M. Jacques Gautier. ...dont vingt-deux membres de l’Union européenne, ce qui concourt à une situation aussi étonnante que surprenante. Comment les instances onusiennes ou européennes peuvent-elles engager des missions alors qu’une partie des pays membres n’a pas reconnu officiellement ce pays ?
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter quelques précisions concernant l’évaluation de l’action de nos troupes dans cette zone complexe ? Le maintien de soldats français y est-il véritablement nécessaire au regard de la présence des autres contingents des différentes missions ?
Certes, le maintien de la stabilité dans les Balkans est fondamental, mais c’est à l’Union Européenne qu’incombe prioritairement cette tâche. Par conséquent, il s’agit pour nous de définir le rôle de la France au sein de la mission EULEX.
Je le répète, le caractère même des OPEX a changé et se traduit par une augmentation croissante des coûts. Entre 2006 et 2008, à effectifs constants, les surcoûts ont augmenté de prés de 250 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 40 %.
Face à ces évolutions, le processus de budgétisation des OPEX est absolument nécessaire afin de pallier les incertitudes des financements complémentaires apportés en loi de finances rectificative. À ce titre, nous pouvons nous féliciter de la prise en compte de ces évolutions par la loi de programmation militaire, qui porte le montant de la loi de finances initiale à 630 millions d’euros en 2011 et à 510 millions d’euros dès 2009.
Cette tendance à l’augmentation constante du coût des OPEX est le résultat d’une surenchère des soutiens logistiques de nos troupes : c’est le « plus loin », « plus violent », « plus longtemps » et « plus exigeant en équipement ».
De fait, nos contributions financières à l’OTAN et à l’Union européenne ne sont pas près de diminuer.
Cela s’explique aussi par la contribution de la France au coût commun des opérations de l’OTAN et de l’Union européenne, qui inclut les crédits de fonctionnement et de contribution des organisations internationales. Or la définition de ce coût commun est très restrictive ; le mécanisme de financement, appelé ATHENA, laisse à la charge des principaux contributeurs le financement de ces coûts.
Comme l’a rappelé le président Josselin de Rohan, les remboursements partiels des surcoûts ne s’élèvent qu’à 37 millions d’euros en 2008, pour un surcoût total de 833 millions d’euros.
Dans un contexte financier international déjà extrêmement difficile pour nos économies, au moment où nous procédons à une véritable rationalisation des coûts au sein de notre propre armée, il n’est pas acceptable que, dans le cadre des missions effectuées sous l’égide de l’Union européenne, les pays contributeurs de moyens humains et matériels doivent en plus assumer des coûts en constante augmentation.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jacques Gautier. Il est capital que tous les pays membres de l’Union européenne, même s’ils n’ont pas la volonté ou les moyens d’y participer physiquement ou matériellement, participent à l’effort financier que fournissent les pays contributeurs.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Gautier. La mise en place d’un meilleur système de répartition des charges entre les pays membres est essentielle pour la construction d’une politique européenne de défense.
Être membre de l’Union européenne ne peut se résumer au seul volet économique de la politique commune : cela implique un partage de valeurs pour lesquelles il faut être prêt à s’investir d’une façon ou d’une autre.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, le groupe UMP du Sénat est bien entendu favorable à la prolongation de nos différentes OPEX et à l’allégement de nos troupes chaque fois que cela est possible et nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos engagements extérieurs correspondent-ils aux intérêts majeurs de la France ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre.
Le mérite des hommes n’est pas en cause ; je m’associe à l’hommage qui leur a été rendu par le président Josselin de Rohan et de nombreux intervenants.
Le Gouvernement vient d’annoncer une réduction, certes légère, du nombre de nos soldats engagés sur des théâtres d’opérations extérieures. Cette réduction n’est-elle pas le préalable d’un redéploiement en direction de l’Afghanistan ?
Mme Michelle Demessine. M. Morin l’a démenti !
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous verrons, j’en accepte l’augure !
Je ne conteste pas que la France ait un rôle à jouer comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle accomplit là un devoir supérieur, au service de la communauté internationale.
Je ne conteste pas non plus le rôle que la France joue au profit de pays encore fragiles, des États qui ne se tiennent pas toujours très fermement sur leurs jambes, notamment en Afrique, où se trouvent notre histoire et nos intérêts.
Je ne conteste pas davantage le renforcement de notre présence militaire au Proche-Orient afin de faciliter l’application des résolutions de l’ONU.
Mais je m’inquiète d’une dérive, qui correspond à l’évolution du monde et qui conduit notre pays à intervenir de plus en plus dans le sillage de la diplomatie américaine.
Sans doute y aurait-il beaucoup à dire sur les opérations de maintien de la paix de l’ONU : leur coût considérable – 7 milliards de dollars, contre 840 millions en 1998-1999 –, la montée exponentielle des effectifs engagés – 108 000 personnes, dont 88 500 casques bleus, contre 12 400 en 1996 –, les conditions dans lesquelles elles se déroulent.
La proportion des forces issues du sous-continent indien est très élevée – 40 % ! – et il faut rendre hommage aux pays francophones qui accomplissent un effort, parmi lesquels figurent le Maroc, le Sénégal et le Bénin.
Je n’évoquerai pas le coût de ces opérations ; je laisse ce soin à M. de Montesquiou.
M. Jean-Pierre Chevènement. Moins de la moitié des dépenses réelles sont prévues dans le budget. Or ce coût représente, depuis 1976, en euros constants 2008, près de 20 milliards d'euros, soit l’équivalent de six porte-avions nucléaires. Il pèse sur nos dépenses d’équipement, sur le maintien de nos matériels en conditions opérationnelles.
Cette dispersion de nos engagements ne s’est pas produite par hasard. Elle résulte d’une orientation diplomatique à laquelle vous avez contribué, monsieur le ministre des affaires étrangères, avec le fameux « devoir d’ingérence ». A-t-on jamais vu le faible s’ingérer dans les affaires du fort ? Ce concept, qui a trop souvent justifié un droit à deux vitesses – on l’a vu au Proche-Orient et en Irak –, a été corrigé par l’Assemblée générale de l’ONU, qui a affirmé beaucoup plus raisonnablement « le devoir de protéger ».
M. Jean-Pierre Chevènement. Je n’évoquerai ni la professionnalisation des armées, qui a facilité cette évolution, ni le rapprochement de la France de l’OTAN depuis 1996, ni le risque que nous nous trouvions engagés de plus en plus dans une guerre des civilisations.
Il n’est pas possible de séparer nos choix en matière d’opérations militaires extérieures d’une réflexion sur l’état du monde. Celui-ci est menacé par une certaine anomie, évanescence de l’État et du droit, dans certaines régions fragiles. L’autre facteur de tensions et de guerres tient au renversement de l’équilibre des puissances et au passage de l’unipolarité du monde à une multipolarité qui s’est imposée depuis cinq ans.
Dans un tel contexte, où est l’intérêt de la France ? Est-il de suivre les États-Unis ? N’est-il pas plutôt de préserver sa capacité d’influence et de médiation ?
Au sein d’un monde multipolaire, qui prévaudra de plus en plus, la question est de savoir si l’Europe, donc la France, sera elle-même un pôle.
Nous devons essayer d’apprécier la rupture que représente incontestablement l’élection de M. Obama. Jusqu’à présent, les États-Unis semblaient hésiter entre trois ennemis potentiels : le monde arabo-musulman, au nom de la « grande guerre contre la terreur », la Russie, enfin la Chine.
L’intérêt de la France est d’abord dans la paix avec ses grands voisins. Il faut faire de la solution du problème israélo-palestinien une priorité ; la France doit y contribuer, y compris par l’envoi de forces d’interposition, si la démarche est sincère. C’est vrai aussi pour le Liban.
Je n’évoquerai pas les questions sur lesquelles vous ne nous interrogez pas, mais sur lesquelles la plus grande prudence serait de mise : l’Irak, l’Iran, où nous n’allons pas jouer les imprécateurs, l’Afghanistan ; chacun sait que les racines du conflit sont ailleurs et que nous risquons d’être conduits à un enlisement de longue durée si nous ne donnons pas la priorité à une solution politique.
Avec la Russie, nous n’avons pas à nous laisser entraîner dans les conflits du Caucase, pas plus que dans ceux du Moyen-Orient. À cet égard, la gestion de la crise géorgienne par le Président Nicolas Sarkozy, au mois d’août, a été pragmatique. Elle a sauvegardé l’essentiel, c’est-à-dire le partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, qui répond à des intérêts réciproques évidents.
Messieurs les ministres, je souhaite vous interroger sur ce déplacement de l’équilibre du monde et sur le fait que nous donnons le sentiment d’être de plus en plus aspirés par la politique américaine.
La réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN serait un mauvais signal pour le monde, en particulier les grands pays du Sud. Elle le serait aussi pour la Russie. Elle le serait enfin pour nombre de nos responsables politiques et militaires déjà naturellement enclins à ne penser et à ne juger qu’à l’aune du regard américain. Quand la France adhère à une organisation internationale, ce n’est pas pour assurer des fins de carrière prestigieuses à ses responsables, qu’ils soient militaires ou civils.
Je ne vois pas que les États-Unis aient renoncé à élargir l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, ce qui laisse préfigurer de graves tensions avec la Russie. Je vous rappelle que la Première Guerre mondiale a éclaté en raison d’alliances préconstituées et rigides, qui ont rendu l’embrasement inévitable. Le plus simple serait donc de garder nos distances.
Avec l’Asie et la Chine, c’est encore plus évident ! En 1983, au sommet de Williamsburg, le problème du champ géographique de l’Alliance avait été posé par les États-Unis, qui voulaient y inclure le Japon. L’Institut John Hopkins a été chargé de réfléchir au nouveau concept stratégique de l’OTAN. Qu’en est-il résulté ? Qu’en est-il de la réflexion française à ce sujet ? Les Européens se sont-ils concertés ?
Nous estimons que la sagesse consiste pour nous à accompagner l’inévitable montée en puissance de l’Asie dans des conditions pacifiques.
La France doit donc se fixer deux priorités : un recentrage sur l’Afrique, car c’est la zone traditionnelle de nos intérêts et une région francophone, et un recentrage sur le Proche-Orient, parce que s’y déroule la crise matricielle des relations internationales.
Par ailleurs, il est des opérations dont il faut savoir se désengager ; je pense aux Balkans, et cela vaut pour le Kosovo comme pour la Bosnie-Herzégovine.
Il y a des interventions qu’il faut savoir conclure : l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, dès lors que le processus politique aura été mené à son terme. Ainsi, à l’opération EUFOR au Tchad doit succéder une opération placée sous l’égide de l’ONU.
Je m’interroge sur les économies de bouts de chandelle qui consisteront à replier nos forces prépositionnées. Une évaluation du coût serait bienvenue.
Des coupes franches sont nécessaires. Elles demanderont d’autant plus de résolution que le Livre blanc programme à la baisse, de 50 000 à 30 000 hommes, notre capacité de projection simultanée.
Le contrôle du Parlement institué par la récente révision de la Constitution sera bienvenu s’il est exercé sans faiblesse, parce qu’il conditionne la mise sur pied d’un outil militaire efficace. Nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Conseil de sécurité a mené vendredi dernier, sur l’initiative conjointe de la France et du Royaume-Uni, une réflexion sur la façon d’améliorer les opérations de maintien de la paix.
Pour Alain Le Roy, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, « 2009 sera une année pivot ». En effet, le nombre et la complexité croissants de ces opérations, comme leurs difficultés de financement, posent des problèmes qu’il faudra résoudre dans un avenir proche.
Le présent débat sur l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées françaises porte sur des questions analogues.
Désormais, le Parlement est appelé à voter sur la prolongation du maintien de forces armées sur des théâtres extérieurs. Cette obligation constitutionnelle traduit un meilleur équilibre des pouvoirs. Toutes les composantes de la représentation nationale peuvent enfin se prononcer sur des choix majeurs de politique étrangère, en particulier sur l’engagement de nos forces armées.
Le Sénat fait à nouveau la preuve de sa vocation internationale, grâce à l’initiative du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qui a décidé, comme il vient lui-même de le rappeler, de missionner une délégation paritaire de deux sénateurs dans les pays où se déroulent les OPEX auxquelles participent les forces françaises.
Les opérations extérieures ont pour objet, dans leur volet militaire, la cessation ou le contrôle des hostilités. Mais étant de plus en plus imbriquées avec les opérations civiles, elles tendent désormais à s’organiser en confiant aux militaires le soin de sécuriser l’environnement, aux forces de police et de justice la consolidation de l’état de droit, et aux techniciens les missions d’expertise.
Nous ne pouvons certes pas nous soustraire à des missions visant à consolider la paix et la sécurité internationales dans des zones où celles-ci sont sérieusement mises en cause, mais nous devons mieux définir leur champ d’action et leur coût.
Lors du débat demandant l’autorisation d’envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan, j’avais souhaité que le montant de cette intervention soit consacré non seulement à un effort de guerre, représenté par l’envoi de nouveaux soldats, mais aussi et surtout à un effort de paix.
Notre pays, profondément attaché au multilatéralisme, se doit, comme le dit Hubert Védrine dans le rapport qu’il a remis au Président de la République, de « contribuer de la meilleure façon possible à la résolution des problèmes du monde. La France a, à cet égard, une expérience, une créativité et un savoir-faire tout à fait particuliers. »
Nous connaissons bien certaines régions situées sur l’arc de crise Mauritanie-Pakistan, que le Livre blanc définit comme un axe d’intervention prioritaire. C’est le cas aussi de certains pays d’Afrique, comme le Tchad ou la Côte d’Ivoire, ou bien encore le Liban, théâtres extérieurs sur lesquels nous sommes appelés à voter ce soir.
Le Président de la République a choisi le Liban pour présenter ses vœux aux forces armées. C’est significatif ! La France entretient des liens très étroits et anciens avec ce pays et avec ses voisins ; elle possède une excellente connaissance de la région. Notre action pour le maintien de la paix dans cette zone conflictuelle du Moyen-Orient est prioritaire.
En tant que vice-président de la commission des finances, je porte, comme mes collègues, une attention particulière au financement de nos opérations extérieures, qui soulève de réelles difficultés.
Le budget pour 2009 de la mission « Action extérieure de l’État » du ministère des affaires étrangères a clairement mis en exergue la forte augmentation des contributions internationales obligatoires, qui se montent à plus de 692 millions d’euros. La moitié de cette somme est consacrée aux opérations de maintien de la paix, soit 340 millions d’euros, contre 271 millions d’euros en 2006.
Pour ce qui est des surcoûts, c’est-à-dire les dépenses supplémentaires engagées sur les théâtres d’opération par les ministères de la défense et de l’intérieur, ils ne seront que très partiellement remboursés : seulement 37 millions d’euros sur 833 millions d’euros en 2008 ; c’est anormal !
On ne peut non plus négliger les surcoûts dans le financement des dépenses communes des opérations de l’OTAN et de l’Union européenne : ils s’élevaient à 31 millions d’euros en 2006 et ils ont plus que triplé aujourd’hui !
S’il est souhaitable de budgétiser ces opérations en loi de finances initiale, ce qui est le cas depuis 2005, il est encore plus souhaitable d’éviter de les compléter par de nouveaux crédits votés en projet de loi de finances rectificative et, surtout, par un décret d’avances, comme ce fut le cas en 2006. Il faut encore moins les financer par des annulations de crédits à due concurrence sur les crédits consacrés aux équipements des armées.
La budgétisation des OPEX dès la loi de finances initiale est indispensable à la bonne gestion des finances publiques. Le graphique comparant la provision en loi de finances initiale et l’exécution des dépenses fait apparaître la disproportion du bilan : l’exécution est en moyenne deux fois plus importante que la provision !
Du fait du contrôle par le Parlement de la prolongation du maintien de troupes, nous sommes dans l’obligation de demander des comptes.
Lorsque les opérations de maintien de la paix sont décidées par la communauté internationale ou par l’Union européenne, ce sont celles-ci, et non pas essentiellement la France, qui doivent en supporter la charge financière. Le mécanisme ATHENA laisse à la charge des principaux contributeurs en troupes la plus grande part des coûts. Vous devez demander, monsieur le ministre, une mutualisation de ces coûts.
Plus qu’un objectif, la politique étrangère européenne est devenue une réalité sous l’impulsion de la présidence française. Son corollaire indispensable est une défense. En conséquence, il faut pérenniser les OPEX dans la perspective d’une force européenne plutôt qu’une force française.
La participation à la résolution des conflits doit devenir un catalyseur de défense et de politique étrangère européennes. J’ajoute qu’il faut renouveler l’articulation entre l’OTAN et l’Union européenne.
Je partage le constat de Bronislaw Geremek qui, auditionné à la fin de 2007 dans le cadre du Livre blanc de la défense, déclarait : « lorsqu’on regarde les dépenses militaires et qu’on les compare à d’autres modèles, on voit quelle puissance pourrait avoir l’Europe pour mener sa politique. Mais elle ne l’utilise pas, car l’unité européenne, dans ce domaine, n’est qu’à son début. [...] Si, dans le domaine de la douceur, l’Europe est un géant, dans celui de la dureté, l’Europe reste un nain. Cela peut être changé. »
Monsieur le ministre, vous avez évoqué l’évolution souhaitable de l’organisation et du financement des OPEX. La majorité de mon groupe votera le maintien de nos forces dans les pays où elles opèrent. Les armes françaises servent au nom de la paix et de la liberté, avec un professionnalisme, une efficacité et un sens de l’honneur reconnu par tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à côté du vote de la loi, le contrôle est la deuxième grande fonction du Sénat.
Dans une publication du Sénat, qui peut-être consultée sur son site internet, on peut lire que « ce contrôle s’exerce sur le Gouvernement en séance publique et, de façon permanente, par le travail des commissions et délégations du Sénat. Pour être efficace, la mission de contrôle confiée au Sénat exige une information permanente, riche, diversifiée et proche de l’actualité. L’efficacité du contrôle est ainsi liée, dans une large mesure, à la qualité de l’information et aux conditions dans lesquelles les renseignements sont fournis au Parlement ».
M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste du Sénat, dans un courrier qu’il a adressé le 15 janvier 2009 à M. le Premier ministre, exprimait son souci « d’aborder ce débat d’une manière digne et responsable ».
Dans ce courrier, il évoquait l’article 35 de la Constitution qui prévoit une information du Parlement, précise son contenu et fait notamment référence aux objectifs poursuivis. Jean Pierre Bel exprimait sa crainte que « sur un sujet si sérieux et lourd de conséquences, nous ne participions à un débat escamoté ».
En conclusion, il demandait que nous soient apportés « rapidement tous les éléments d’information utiles pour que ce débat ait lieu dans les meilleures conditions ».
Monsieur le ministre, vous me permettrez de penser, avec toute la considération due à vos fonctions éminentes, que vous faîtes preuve d’ingratitude à l’égard du Parlement. (M. le ministre de la défense rit.) Je m’explique : la démarche du président du groupe socialiste, soucieux de créer les conditions d’un débat parlementaire de qualité, n’a pas retenu votre attention.
Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et il faut l’en féliciter, a veillé, par ses initiatives et des déplacements, organisés sur une base paritaire majorité-opposition, à ce que nous puissions être informés de la pertinence politique et stratégique de nos engagements en contrôlant l’adéquation des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.
Bien entendu, ces déplacements ont aussi été l’occasion de manifester l’intérêt, l’attention et la considération du Parlement pour l’action menée par nos soldats.
Comme cela a été rappelé, d’avril 2008 à janvier 2009, nos déplacements nous ont permis de voir sur place l’ensemble des opérations dont nous discutons aujourd’hui. Mais quid de l’avenir ?
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir fourni à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées les éléments d’information sur vos positions au regard de l’avenir des OPEX ? Cette transmission nous aurait permis d’y réfléchir, d’en débattre et, peut être, d’obtenir un consensus, souvent fort nécessaire en ces matières. Pourquoi ce mutisme jusqu’au dernier moment ?
Le moins que l’on puisse dire est que, pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui, nous n’avons pas eu une information permanente, riche, diversifiée et proche de l’actualité émanant du Gouvernement.
Face aux parlementaires, le Gouvernement s’est avancé masqué. Malgré ses efforts, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n’a pas pu organiser des auditions en temps utile et a dû se contenter de l’éclairage apporté par les visites d’information que nous avons effectuées tout au long de l’année 2008. Un rapport, fort utile, mais forcément incomplet, a été produit et diffusé le vendredi 23 janvier au soir.
Face aux questions et aux votes d’aujourd’hui, le Gouvernement devrait nous apporter une analyse détaillée, précise et argumentée de chaque opération extérieure.
Nos questions sont simples ! Quelle est la pertinence politique et stratégique de nos engagements extérieurs ? Comment contrôler l’adéquation des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés ? Quels sont les objectifs politiques ultimes de chaque OPEX ?
Le rapport d’information produit par la commission, avec les informations et les réflexions recueillies sur le terrain, permet d’avoir un éclairage sur la situation de certaines OPEX à un moment donné. Mais de là à pouvoir juger de la pertinence de la prolongation ou de la réduction de nos opérations extérieures, il y a un grand pas !
Plus grave encore, nous apprenons par voie de presse que « la France va réduire la voilure », que le Président de la République et le ministre de la défense annoncent déjà la décision de « resserrer et toiletter le dispositif des opérations extérieures ».
Bref, nous avons tous l’impression d’assister à un débat sans enjeu, tant les décisions sont prises par le pouvoir exécutif et déjà mises en application.
M. André Vantomme. Ce n’est pas la conception que nous avons du débat parlementaire et de la fonction de contrôle du Parlement.
Nous assistons aujourd’hui à un dévoiement de cette fonction de contrôle et, par là même, à une mauvaise application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution.
Le Parlement est dans une situation non pas de « contrôle » des opérations extérieures, mais simplement d’information et d’enregistrement.
Or, si on doit voter, il vaudrait mieux que cela se fasse dans la clarté. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !
Je m’étonne que, pour prendre une série de décisions aussi importantes qui engagent la vie de nos soldats, le Parlement ne dispose pas d’une évaluation précise de ce que nous avons fait en Côte d’Ivoire, au Liban, au Kosovo, d’une vision de l’évolution de ces crises et surtout de leur issue.
D’autant que, selon l’Express du 6 décembre 2008, le travail d’analyse, de bilan, aurait déjà été fait : « Le ministère de la défense passe actuellement en revue la totalité des "opérations extérieures"[…] L’objectif est de réévaluer avec précision les besoins opérationnels, afin de réduire la voilure de certaines OPEX dont le coût ne cesse d’augmenter – on devrait atteindre le milliard d’euros cette année.
« La participation française à la FINUL II, au Liban, pourrait ainsi décroître progressivement, à l’instar du retrait déjà amorcé en Côte d’Ivoire. »
Pour ce qui nous concerne, notre souhait est d’aborder tous les thèmes relatifs à la défense. Réfléchir, débattre et voter sur l’étendue, dans l’espace et dans le temps, des missions confiées à nos militaires en opérations extérieures nous semble une exigence démocratique.
Vu l’état de nos finances, et étant donné l’incapacité du Gouvernement à relancer une économie déjà mal en point avant même la crise financière actuelle, la tentation est forte de faire des économies en réduisant le nombre des opérations extérieures. Mais la contrainte économique, même forte et pressante, ne peut pas être le seul critère !
Ces dernières années, face à la multiplication des OPEX, les armées ont donné à plusieurs reprises des signes de surmenage ; on a appelé cela la « surchauffe », plus perceptible d’ailleurs dans l’armée de terre, très sollicitée pour les OPEX.
Mais plus que le nombre d’hommes, c’est le nombre d’opérations qui pose problème, par la multiplication des systèmes de commandement, de transport et de communications qu’elles supposent. Il ne s’agit pas de promenades de santé !
Les soldats français, il faut le reconnaître, s’engagent dans des conditions de plus en plus difficiles. Les engagements, par exemple en Afghanistan, seront de plus en plus durs, ce qui implique un investissement différent en termes d’entraînement des hommes, de capacité des matériels...
Bref, l’heure est à la « remilitarisation » des interventions, pour préparer des guerres qui, demain, seront peut-être plus cruelles encore.
Les OPEX se caractérisent désormais par leur durée, leur durcissement, leur dispersion géographique et leur diversité. Notre souci devrait être alors de ne pas laisser nos soldats s’engluer dans des opérations incertaines.
Plusieurs raisons peuvent motiver la volonté de remise à plat des opérations extérieures. Cependant, leur coût ne peut pas être la seule variable d’analyse. Il faut trouver un point d’équilibre entre nos capacités militaires, nos possibilités financières et le sens politique, géopolitique des OPEX.
Aujourd’hui, ce sont surtout les objectifs et les conditions de ces engagements qui sont en question. Il importe également de se préoccuper des conditions d’entraînement des forces qui ne sont pas mobilisées pour les OPEX, notamment quant aux moyens dont elles disposent en termes d’armes et de moyens de transport, notamment.
Avant même de se lancer dans une opération, il faut être sûr qu’il y a une perspective politique et qu’il n’y aura pas de décalage entre le discours et les actes, entre la pratique et la théorie, entre les moyens et l’objectif final poursuivi. Nous avons l’impression que ce décalage existe, peut-être pas au début d’une opération, mais ensuite, quand au fil du temps celle-ci s’éternise, s’effiloche, que son sens se dilue et que son objectif final tend à s’obscurcir.
La question de la sortie de crise doit être abordée dès le début de l’opération extérieure. Cette question doit aussi concerner nos partenaires dans le cadre d’opérations multilatérales.
Il y a aussi les critères d’engagement de la force militaire, la « caveatisation » excessive, ou même les mandats inadéquats, qui rendent l’opération incapable d’atteindre ses propres objectifs. Des règles d’engagement claires sont réclamées par les militaires ; sur ce point, ils ont raison !
Nous le savions déjà, et le Livre blanc est venu le confirmer : nos armées sont sollicitées au maximum de leurs possibilités, aussi bien humaines que matérielles.