M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l’article.
Mme Marie-Christine Blandin. Je rappellerai tout d’abord au président de la commission des affaires culturelles que nous n’avons pas bien travaillé ! Nous qui avons toujours plaisir à entendre les subtiles argumentations de Mme Catherine Morin-Desailly ou de M. Michel Thiollière avons été frustrés ce matin : ce n’était plus le TGV, nous avons franchi le mur du son !
J’en viens au sujet qui nous occupe.
La nomination des présidents de l’audiovisuel public par le seul Président de la République n’est pas contrebalancée par les avis des commissions dans la mesure où la proportion de votes négatifs requise pour un veto condamne les éventuelles contestations de l’opposition à rester inopérantes.
Quant à l’argument selon lequel il faut en finir avec l’hypocrisie, le pouvoir influant de toute façon sur ce type de nomination, je ne doute pas, madame la ministre, que, même en l’absence de texte, il soit possible d’induire des choix de personnes. C’est une raison supplémentaire de profiter de ce débat législatif pour faire souffler une brise salutaire de déontologie et pour définir des procédures éthiques et garantes de l’indépendance des personnalités nommées.
Quand on constate une anomalie durable, l’alternative est la suivante : soit on la rectifie et l’on s’en protège – ce que nous appelons de nos vœux, notamment à travers nos amendements –, soit on l’officialise, on s’en accommode et même on en profite pour mieux asseoir un pouvoir – tel est le choix du Gouvernement.
On nous a enfin affirmé que, somme toute, cette affaire n’est pas grave et n’a qu’une portée symbolique. C’est faire peu de cas de la valeur symbolique des choses !
Madame la ministre, vous êtes ici assise au banc du Gouvernement, et les huissiers veillent scrupuleusement à ce qu’aucun membre du Gouvernement ne monte dans les travées réservées aux sénateurs.
Certes, cette distance physique entre l’exécutif et le législatif est purement symbolique, puisque nous savons que les rapporteurs ont amplement dialogué avec Matignon, mais les huissiers tiennent pourtant à cette dimension symbolique, et nous aussi. En effet, la ligne de partage reste intangible : dans une démocratie, le législatif et l’exécutif sont séparés, chacun demeure à sa place.
Voulez-vous un autre exemple de l’importance des symboles ? La Marseillaise, chant dont, personnellement, je réprouve les paroles sanguinaires,…
M. Gérard Longuet. Toutes les paroles ne sont pas sanguinaires, vous ne les connaissez pas !
Mme Marie-Christine Blandin. … ne définit pas les frontières de la France ; pourtant, que l’on y touche ou bien qu’on la siffle dans un stade, et c’est toute la représentation parlementaire, tous les élus, tous les sportifs, tous les journalistes qui s’indignent !
Il y a donc, madame la ministre, des symboles qui font sens et des attaques contre ces symboles qui font elles aussi sens.
En conséquence, rien ne tient dans l’argumentation que l’on avance pour justifier la nomination par le Président de la République des présidents de l’audiovisuel public : ni le prétendu encadrement du processus – la majorité est d’une docilité déconcertante –, ni sa simple portée symbolique – en politique, les symboles comptent –, ni enfin son caractère anodin allégué, car la séparation des pouvoirs et l’indépendance de l’audiovisuel public sont des piliers de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 5.
M. David Assouline. L’examen de l’article unique du projet de loi organique sera sans doute bref, pourtant il va donner le ton à notre discussion et nous amener à mettre en évidence ce qui ne va pas.
Nous allons voir que la fragilisation de l’indépendance financière de l’audiovisuel public va porter atteinte à l’indépendance de ce dernier à l’égard du pouvoir politique.
À aucun moment, lorsque le Président de la République a annoncé, voilà un an, la fin de la publicité sur les chaînes de télévision publiques – quoi que l’on pense d’une telle mesure, qui a même pu être présentée, au sein de la majorité, comme une idée de gauche – ou au cours des travaux, qui ont duré plusieurs mois, de la commission Copé, n’a été évoqué le fait que le Président de la République nommerait le président de France Télévisions. Cela s’appelle charger la barque !
Madame la ministre, vous nous renvoyez aux merveilleux travaux de la commission Copé, mais celle-ci a indiqué, à propos de la gouvernance, que le projet de loi devrait absolument prévoir un mode de désignation du président de France Télévisions garantissant son autonomie de gestion. La commission Copé avait bien perçu que l’ancien système était certes quelque peu hypocrite, mais elle invitait à réfléchir à la manière de le réformer dans un sens plus démocratique.
Cela étant, comme tout le monde ici vous l’a dit, l’hypocrisie était relative, car ce n’est pas la même chose que le CSA s’efforce de ne pas procéder à une désignation qui heurterait l’exécutif ou que le Président de la République choisisse lui-même le patron de la télévision publique. En effet, dans le second cas, le cordon ombilical avec l’exécutif n’est pas tranché.
On semble parfois s’étonner que nous socialistes ne voulions pas que la puissance publique ait la haute main sur la désignation du président de la télévision publique alors que cette dernière vivra désormais essentiellement de l’argent public. Mais c’est faire mine d’oublier qu’il s’agit en l’occurrence d’un média représentant 35 % de l’audience et au travers duquel nos compatriotes accèdent à la culture, à l’art, à l’information, au débat citoyen et politique, mûrissant ainsi les choix qu’ils feront lors des élections : tout passe par lui ! Vous savez bien qu’il n’occupe plus la même place dans la vie des Français qu’il y a trente ou quarante ans. Il exerce une influence majeure qui rythme toute la vie de nos concitoyens.
Par conséquent, distendre autant que faire se peut, de façon symbolique mais aussi effective, le lien entre l’exécutif et les présidents de l’audiovisuel public répond à une exigence démocratique. Pour cela, nous devrions tout de même être capables, de loin en loin, de faire un petit pas vers davantage de démocratie. Avant, c’était l’ORTF, puis le CSA a été mis en place : puisque le résultat n’est pas parfaitement satisfaisant, allons aujourd’hui plus loin. C’est ainsi que l’on pourra lever l’hypocrisie !
Comment faire en sorte que le CSA soit réellement indépendant ? Nous ferons des propositions sur ce sujet lors de la discussion du projet de loi ordinaire, notamment celle consistant à prévoir que les membres du CSA soient nommés pour moitié par l’opposition et pour moitié par la majorité. C’est à mes yeux la seule façon de garantir l’indépendance de cette autorité. Par-delà les circonstances politiques, il faut désigner des personnalités qui fassent consensus et soient au-dessus de tout soupçon d’esprit partisan, à l’instar de M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Par ailleurs, puisque vous vantez l’esprit d’entreprise et que vous appelez de vos vœux la constitution d’un média global, je vous ferai observer qu’une entreprise a un conseil d’administration, qui élit en son sein le président. Dans le cas qui nous occupe, si les membres du conseil d’administration sont nommés par une autorité indépendante, cela permet de couper le cordon.
Cela ne veut pas dire pour autant que France Télévisions s’opposera au pouvoir politique. En effet, son président, qui devra régulièrement négocier les moyens que l’État lui accordera, n’ira pas s’enfermer dans une attitude d’opposition frontale.
Toutefois, il jouira d’une véritable indépendance d’esprit. Il pourra par exemple se permettre de ne pas décrocher le téléphone si le Président de la République l’appelle, parce que ce n’est pas ainsi qu’il convient de procéder.
En revanche, s’il est nommé par le Président de la République, cela signifie que le lien sera très fort. Il aura même intérêt, s’il ne veut pas être révoqué, à anticiper les désirs de l’exécutif. Il ne sera même plus besoin de lui téléphoner, comme on peut le constater dans de nombreux pays ! Quand on sait que l’on joue son poste, c’est dans la tête que se construisent les interdits.
Sur cette question fondamentale, nous aurions pu choisir la voie de la modernisation et d’une plus grande démocratisation pour lever ce que appelez une hypocrisie ; or cette hypocrisie, vous avez au contraire décidé de l’institutionnaliser et de revenir en arrière en plaçant l’audiovisuel public, et donc l’information, sous la tutelle directe du Gouvernement, au contraire de ce qui se pratique dans tous les pays démocratiques. Nous contestons résolument cette disposition, qui est emblématique de l’ensemble du texte. Nous sommes ici bien loin de l’arrêt de la publicité sur les chaînes publiques !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 6.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Lorsque nous avons débattu dans cet hémicycle, le 19 juin dernier, de la modification de l’article 13 de la Constitution, nous n’imaginions pas – mais peut-être était-ce un tort ! – que le Président de la République annoncerait une semaine plus tard son intention de recourir à ce dispositif pour la nomination des présidents de l’audiovisuel public.
La pratique institutionnelle a montré que les différents Présidents de la République qui se sont succédé, sans aucune exception, ont largement usé et abusé de ce pouvoir de nomination. Ils ont puisé dans un vivier de quelques milliers de managers publics et privés souvent coupés des réalités vivantes du pays, formés selon les mêmes références idéologiques, en sollicitant davantage leur allégeance que leur esprit de service public.
Or le clientélisme gangrène trop souvent la vie publique et discrédite dangereusement les institutions et le personnel politique aux yeux de nos concitoyens.
La procédure prévue à l’article 13 de la Constitution ne nous semblait déjà pas satisfaisante ; elle l’est encore moins s’agissant de la nomination des présidents-directeurs généraux des sociétés publiques de l’audiovisuel.
Il est effarant que le Président de la République lui-même ait qualifié d’« hypocrite » le fait de demander l’avis du CSA ! Quant à l’avis des commissions culturelles du Parlement, là encore, que d’hypocrisie ! On sait comment le pouvoir actuel traite les commissions parlementaires et ignore leurs décisions, fussent-elles unanimes !
C’est pourquoi nous proposerons, lors de l’examen de l’article 8 du projet de loi ordinaire, une autre solution, tendant à prévoir la création, par les assemblées, d’une commission permanente spécialisée en matière d’audiovisuel, de médias et de pluralisme.
Cette commission traiterait de toutes les questions concernant le domaine de l’image et du son. Elle proposerait une liste de cinq candidats à la présidence de France Télévisions, laquelle serait examinée par le CSA, lui-même reconfiguré. Ensuite, le conseil d’administration de France Télévisions, lui aussi recomposé afin d’être plus représentatif, procéderait à l’élection de son président.
Une telle formule apparaît plus logique et plus démocratique à qui veut respecter l’autonomie des entreprises publiques et garantir l’indépendance de ces sociétés à l’égard de l’exécutif national.
En effet, les garanties d’indépendance qu’on nous présente au travers de ce texte, qu’il s’agisse de l’avis conforme du CSA ou de l’intervention des commissions culturelles, sont purement illusoires.
Or il est légitime de considérer que l’indépendance des médias a valeur constitutionnelle, puisqu’elle a été inscrite de façon expresse à l’article 34 de la Constitution, par le biais de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : le législateur est tenu de garantir la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias.
Nous sommes donc devant une profonde contradiction, ce qui justifie notre proposition de supprimer cet article.
Le présent projet de loi organique met en cause l’indépendance, le pluralisme et l’autonomie des chaînes publiques. Le chef de l’État n’est pas un patron, et l’État n’est pas seulement un actionnaire.
En l’occurrence, le Président de la République commet une confusion volontaire entre la notion d’État et celle de pouvoir exécutif de l’État. Cela aboutit à la mise en place d’une télévision d’État.
Or, si l’on veut bien admettre, d’une part, que « la télévision représente le centre de la production économique et symbolique de la société », comme le résume l’universitaire Carlo Freccero, ancien conseiller audiovisuel de Berlusconi, et, d’autre part, avec le sociologue Georges Balandier, que « le grand acteur politique commande le réel par l’imaginaire », on peut comprendre que cette réforme dite historique est dangereuse, en ce qu’elle impose aux sociétés d’audiovisuel la stratégie de l’État néolibéral, contre laquelle nous devrions au contraire les protéger.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Morin-Desailly et M. Thiollière, au nom de la commission des affaires culturelles, est ainsi libellé :
Dans la deuxième phrase de cet article, après les mots :
chargée des affaires culturelles
insérer les mots :
, qui se prononce après avoir entendu publiquement la personnalité dont la nomination lui est proposée
La parole est à M. Michel Thiollière, rapporteur, pour présenter cet amendement et donner l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 5 et 6.
M. Michel Thiollière, rapporteur. Par l'amendement n° 2, la commission propose d’améliorer encore la procédure de nomination des présidents de l’audiovisuel public en prévoyant notamment la possibilité d’organiser une audition publique du candidat dont la nomination est proposée.
Nous nous inspirons ainsi, par exemple, de la pratique du Sénat américain : des auditions publiques permettent de connaître à la fois la personnalité et le projet du candidat.
Par ailleurs, s’agissant des amendements identiques nos 5 et 6, j’observerai que, dans le système actuel, le CSA nomme le président de France Télévisions de manière confidentielle puisque, depuis une décision du Conseil constitutionnel de juillet 2000, il ne lui est pas permis de rendre publiques les raisons pour lesquelles telle ou telle personnalité a été nommée.
Je vous fais grâce, mes chers collègues, de la lecture de la brève argumentation du CSA relative à la nomination de l’actuel président de France Télévisions, mais je puis vous indiquer qu’elle ne permet pas d’éclairer suffisamment les parlementaires et l’opinion publique.
Nous pensons donc qu’il est judicieux de prévoir que la proposition de nomination de l’exécutif soit soumise au CSA et aux commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées, conformément au texte qui nous est soumis, mais en ouvrant la possibilité pour celles-ci d’organiser des auditions publiques qui permettront de connaître de manière approfondie la personnalité et le projet du candidat.
Sans faire de procès d’intention à quiconque ni préjuger de ce que seront les modalités pratiques de nomination, nous pouvons considérer que ce projet représente un net progrès par rapport à la procédure actuelle, qui reste confidentielle. Demain, le président de France Télévisions sera nommé au terme d’une procédure en trois étapes claire, transparente et publique.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 5 et 6 et propose au Sénat d’adopter l'amendement n° 2.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement émet bien sûr un avis défavorable sur les amendements identiques nos 5 et 6.
J’ai déjà eu longuement l’occasion de m’exprimer sur le fond. Il s’agit, je le répète, de procéder à une clarification : l’État actionnaire prendra ses responsabilités en choisissant la personnalité qui présidera aux destinées de l’entreprise unique de l’audiovisuel public, tout en s’entourant de la double garantie de l’avis conforme du CSA et d’un débat public au Parlement. Cette personnalité bénéficiera ainsi d'une triple légitimité.
Je souligne que le texte ne prévoit pas l’interruption des mandats en cours des différents présidents de l’audiovisuel public, qui ont vocation à exercer leurs fonctions jusqu’à leur terme.
L’audiovisuel public porte une grande ambition. Penser que les journalistes des rédactions des chaînes publiques pourraient être aux ordres serait gravement méconnaître leur esprit d’indépendance. On sait d’ailleurs qu’ils ont des opinions : une enquête réalisée par l’hebdomadaire Marianne montrait que les rédactions se situaient ouvertement à gauche. Aucune présidence n’a cherché à influer sur les rédactions ; il n’en ira pas autrement demain.
Il s’agit bien de choisir une personnalité qui viendra ensuite présenter son projet devant le Parlement lors d’un débat public permettant d’examiner sa personnalité et son parcours. C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 2.
Toutes les garanties seront réunies pour s’assurer de la compétence de la personnalité choisie pour présider aux destinées de l’audiovisuel public. Le fait que l’État actionnaire fasse un choix n’est en soi ni blâmable ni contradictoire. J’ai évoqué à cet égard le cas d’André Rousselet, qui a dirigé avec succès Canal Plus et dont personne n’a dit qu’il était à la tête d’une chaîne socialiste.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 5 et 6.
M. Jean-Pierre Bel. Cet après-midi, lors des questions d’actualité au Gouvernement, j’ai été quelque peu surpris par la réponse que m’a faite M. le Premier ministre concernant la défense des libertés publiques, s’agissant notamment de l’indépendance des médias, de celle de la justice et du rôle du Parlement.
En effet, M. le Premier ministre m’a indiqué – et Mme Albanel va bien évidemment tout à fait dans ce sens – que le présent projet constitue, en termes d’indépendance et de liberté, non pas une régression mais une avancée, sous prétexte que les assemblées seront consultées pour le choix des personnalités qui présideront aux destinées de France Télévisions et de Radio France.
Je suis extrêmement surpris, je l’avoue, que l’on puisse considérer aujourd'hui que l’indépendance des médias se trouve améliorée quand on confie au seul Président de la République la responsabilité de nommer les présidents de l’audiovisuel public, même si sa décision sera encadrée par diverses consultations !
L’État actionnaire doit certes prendre ses responsabilités, comme vous nous l’avez indiqué, madame la ministre, mais évitons de donner à cette discussion un tour trop technique.
Nos concitoyens sont ouverts, intelligents. Ils ont aujourd’hui accès à de nombreux médias et savent comment les choses se passent dans d’autres pays.
Lorsque l’on passe d’un système collégial de nomination à une procédure quelque peu autocratique où le Président de la République prend seul la responsabilité de choisir le président de la télévision publique, cela rappelle un temps dont M. Pasqua se souvient certainement,…
M. Charles Pasqua. Moi ? Je n’ai jamais nommé de président de France Télévisions ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Bel. … quand un certain Président de la République considérait que la télévision devait être la voix de la France !
Revenons-nous à cette conception centralisatrice qui me paraît complètement dépassée ou faisons-nous en sorte, dans une société en pleine mutation, que le Parlement, en particulier, puisse avoir son mot à dire dans une telle affaire ?
Quant au seuil des trois cinquièmes de votes négatifs qu’il faudra atteindre pour que le Parlement puisse s’opposer à une nomination par le Président de la République, il est quasiment inaccessible dans le contexte électoral et politique que nous connaissons depuis plusieurs législatures.
En outre, la pratique du pouvoir est également à prendre en considération. Quelle image donnera-t-on au monde lorsque le Président de la République, aujourd’hui Nicolas Sarkozy, décidera de qui dirigera la télévision publique française ? C’est là un véritable retour en arrière.
Si j’ai souhaité m’exprimer sur ce point, c’est parce que la réponse du Premier ministre, cet après-midi, me paraît aller à contre-courant de ce que l’opinion peut ressentir dans les circonstances actuelles.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je voterai contre les deux amendements de suppression de l’article unique, parce que la commission nous a présenté un amendement de nature à apaiser nos craintes.
Pour avoir rédigé avec François Fillon le programme de l’UMP pour les élections législatives de 2007, je dois dire que ce qui me gênait dans cette affaire, ce n’était pas tant la nomination du président de France Télévisions par le Président de la République que le fait que cette nomination puisse intervenir sans que l’on connaisse le projet, le programme et les objectifs de la personne choisie.
Nous étions paradoxalement dans cette situation en 1986 avant que François Léotard ne modifie singulièrement l’économie générale de l’audiovisuel, notamment en instituant la CNCL, qui est ensuite devenue le CSA.
J’avoue avoir trouvé quelque peu choquant que l’on ait pu juger que les décisions de ces institutions étaient hypocrites. En effet, leurs membres ont exercé avec honnêteté le mandat qui leur avait été confié par les présidents des assemblées et le Président de la République, en faisant preuve d’un maximum d’indépendance. L’histoire de l’audiovisuel public rendra justice à l’esprit de responsabilité de ces institutions. Le CSA n’a pas failli, et il est injuste d’affirmer que ses décisions étaient hypocrites.
Dire, pour justifier le changement, que la procédure en vigueur était hypocrite ne me paraît donc absolument pas suffisant. C’est pourquoi je suis heureux que la commission des affaires culturelles ait présenté un amendement tendant à prévoir que le candidat, s’il est effectivement pressenti par le Président de la République, sera tenu de présenter publiquement un projet devant les deux commissions compétentes du Parlement, dans une transparence totale. Ce sera une sorte de « grand oral », et cette procédure sera sans doute beaucoup plus convaincante que le recours à une sélection restreinte.
L’improbabilité de réunir une majorité négative des trois cinquièmes a été évoquée. À cela, j’opposerai l’improbabilité que le Président de la République choisisse un candidat qui ne soit ni compétent ni honnête. Nous ne sommes plus à l’époque où Caligula nommait son cheval consul ! L’intérêt bien compris d’un Président de la République est de nommer une personnalité compétente et honnête, capable de défendre un programme et de le présenter en toute transparence, ce qui n’était pas le cas antérieurement. Or cette transparence est apportée par l’amendement de la commission.
L’instauration du quinquennat est sans doute à l’origine du changement que nous connaissons aujourd’hui : en l’acceptant, on acceptait de facto toute une série de conséquences, et le candidat Nicolas Sarkozy nous avait annoncé ses intentions à cet égard au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, prenant en particulier l’engagement que le Président de la République serait responsable de l’exécutif.
Nous assistons aujourd’hui à une mise en œuvre de cet engagement, qui permet un progrès démocratique puisque le candidat pressenti par le Président de la République aura l’obligation de présenter publiquement son programme. Cela renforcera sa légitimité, car il pourra s’appuyer sur ce programme pour asseoir son autorité et exercer sa présidence si certaines tentations d’affaiblir sa position par des voies politiques se font jour. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au fond, M. Longuet nous donne la clé.
M. Gérard Longuet. À tout pécheur miséricorde !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voyons tous les travers d’une évolution présidentialiste que nous n’avons pour notre part ni souhaitée ni approuvée.
Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention, mais le Président de la République est maintenant à la fois le chef de l’État, le chef du Gouvernement, le chef de la majorité, le chef du parti majoritaire de la majorité. Qui dit mieux !
Mme Isabelle Debré. Et alors ?
M. Gérard Longuet. Il a été élu pour ça !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous le regrettons !
À cet égard, la question qui nous occupe est tout à fait symbolique. Nous n’étions pas satisfaits des nominations faites par le CSA, instance qui manque singulièrement de pluralisme, mais il est franchement inique que le Président de la République nomme lui-même les présidents de Radio France et de France Télévisions. Bientôt, il décidera de tout et fera tout, comme il l’annonce d’ailleurs lui-même !
Quant à la nécessité de réunir une majorité des trois cinquièmes pour s’opposer à une nomination, nous avons déjà eu cette discussion au moment de la révision constitutionnelle : un tel seuil ne sera jamais atteint. Le Président de la République étant chef de la majorité, il est bien évident que cette même majorité ne refusera pas le candidat choisi par lui.
Le Président de la République est chef du pouvoir exécutif. Il pèse sur le pouvoir législatif à travers sa majorité, à laquelle il ne se prive pas de rappeler son autorité le cas échéant. Il intervient directement sur l’autorité judiciaire. Désormais, il sera aussi chef des médias ! C’est là une évolution tout à fait négative et inquiétante, et aucun argument ne saurait nous convaincre du contraire.
Dans quelle autre démocratie le Président est-il aussi le chef des médias ? Vous qui aimez tant vous référer aux démocraties européennes ou aux États-Unis, citez-nous un autre cas de cet ordre ? Il n’y en a aucun ! C’est donc une première, particulièrement symbolique et très grave ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 6.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)