M. le président. La parole est à M. André Dulait.
M. André Dulait. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Nous traversons actuellement une période hivernale difficile et tous les producteurs d’énergie sont extrêmement sollicités. Dans ce contexte, un conflit vient de naître entre la Russie et l’Ukraine à propos de l’approvisionnement en gaz : l’Ukraine a vu se fermer les robinets de la société Gazprom. Ce conflit, qui ne devait avoir qu’un impact local, retentit maintenant sur l’Europe de l’Est, et la France risque également d’être touchée. En effet, 40 % du gaz russe est exporté vers l’Europe, dont 80 % via l’Ukraine.
Monsieur le ministre, nous ne sommes peut-être pas concernés directement par ce conflit, compte tenu de la multiplicité de nos fournisseurs, mais pouvez-vous nous faire part des analyses du Gouvernement sur ce conflit s’agissant de la France, d’une part, et de l’Europe, d’autre part, sachant que certains pays de l’Est connaissent des situations extrêmement difficiles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, le Président de la République et le Premier ministre sont extrêmement vigilants sur ce sujet, qui comporte trois dimensions.
Tout d’abord, s’agissant de la situation énergétique de notre pays, nous pouvons rassurer nos concitoyens, les ménages comme les entreprises : grâce au mix énergétique français, qui est extrêmement diversifié, nous ne courons aucun risque au cours des mois à venir, 85 % de notre approvisionnement gazier provenant d’autres sources que celle de la Russie via l’Ukraine.
Une réunion s’est tenue hier avec le Premier ministre et Gérard Mestrallet : Suez–Gaz de France a accentué ses approvisionnements en provenance du nord de l’Europe, essentiellement de Norvège, et de l’Algérie. En outre, nous disposons de stocks extrêmement importants.
Ensuite, pour ce qui de la sécurité des contrats en Europe, qui englobe les rapports avec les différentes entreprises, dont Gazprom, le Premier ministre a exprimé hier la position française : le non-respect de ces contrats est inacceptable. Le Président de la République, lors d’une conférence de presse en présence de Mme Angela Merkel, a appelé aujourd’hui Gazprom et la compagnie ukrainienne à trouver un accord dans les plus brefs délais, nos contrats d’approvisionnement devant être honorés en tout état de cause.
Enfin, en ce qui concerne la solidarité européenne et la sécurité énergétique de l’Europe, la présidence française a commencé à travailler sur ce sujet. La présidence tchèque considère cette question comme une priorité, qui se décline en trois points : la capacité d’aider rapidement tel ou tel pays, dans la mesure où les situations énergétiques, donc les risques d’incidents, sont très variables ; les interconnexions de toute nature ; l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui consiste globalement à réduire les besoins.
Nous réfléchissons à un développement des infrastructures respectueuses de l’environnement. Mais nous aurons besoin, en tout état de cause, d’infrastructures et d’interconnexions.
Il s’agit d’une question technique, commerciale, financière, politique, et de solidarité à l’égard des autres Européens.
Des observateurs devraient partir demain pour surveiller l’approvisionnement. Le comité des représentants permanents, ou COREPER, se réunit aujourd’hui à quinze heures pour définir les modalités pratiques. Et je me rendrai lundi prochain au Conseil européen de l’énergie convoqué en urgence par la République tchèque si, par extraordinaire, la situation n’était pas rétablie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Plan de lutte contre l'escroquerie
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis.
Mme Jacqueline Panis. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.
Madame la ministre, avec l’évolution de notre société, les faits de délinquance se multiplient et il ne se passe pas un jour sans que l’on découvre de nouvelles formes d’escroquerie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mme Alliot-Marie nous a dit le contraire !
Mme Jacqueline Panis. La grande toile de l’internet, qui a entraîné une prolifération des échanges à l’échelle du globe, est un vecteur de ces nouvelles formes de délinquance ; nous sommes loin d’en connaître tous les aspects, et pouvons donc difficilement les maîtriser et les combattre efficacement.
J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi visant à pénaliser l’usurpation d’identité numérique, pratique qui est l’une des sources de la délinquance financière lucrative. À ce jour, seules les conséquences de cette délinquance sont pénalisées. La multiplication des arnaques s’accroît donc.
Chacun a entendu parler de telle personne abusée, faute d’une vigilance suffisante, par des escrocs ayant récupéré ses coordonnées bancaires via le net, ou de telle autre, à laquelle on a fait miroiter un gain substantiel moyennant un petit « coup de pouce » pour récupérer une forte somme d’argent. Ces messages sont en général envoyés à partir de pays africains.
Par ailleurs, savez-vous qu’à ce jour 62 % des parents ne savent pas que leur enfant tient un blog ! Or, parmi les blogueurs se trouvent des adultes qui se font passer pour des enfants, ce qui représente un danger de détournement de mineurs et d’adolescents.
Lorsque vous nous avez annoncé avant-hier, madame la ministre, votre plan de lutte contre les escroqueries, je me suis réjouie de cette initiative d’État témoignant d’une réactivité salutaire pour nos concitoyens. Pouvez-vous le détailler et nous préciser l’ampleur que vous souhaitez donner à ces mesures ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Madame la sénatrice, nous découvrons en effet, jour après jour, de fausses offres de participation à des successions, des captations d’identité, des récupérations de numéros de cartes bancaires, le tout au détriment d’un certain nombre de personnes trop généreuses ou naïves, en tout cas fragiles.
Alors que la tendance est à une baisse générale de la délinquance, notamment de la délinquance de proximité, on constate une explosion des escroqueries sur internet : sur un an, elles ont augmenté de près de 20 %.
Il convient donc de réagir, notamment parce que ce sont les plus fragiles qui sont visés, et tel est l’objet du plan que j’ai présenté.
Il importe, d’abord, de prévenir de tels actes en donnant des informations aux personnes et, ensuite, d’agir.
S’agissant de l’information, nous allons distribuer une plaquette qui sera disponible dans tous les services accueillant le public, tels les commissariats de police, les préfectures ou les bureaux de poste. En décrivant des exemples d’escroqueries, ce document permettra d’alerter toute personne qui se verra proposer sur internet de soutenir l’action pour la démocratie dans un pays africain, de participer à un héritage en aidant au paiement des droits de succession, voire d’acheter une voiture.
Á titre complémentaire, nous avons mis en place un numéro de téléphone accessible au prix d’un appel local et largement diffusé puisqu’il figure sur ladite plaquette. Ainsi, la personne qui craint d’être victime d’une escroquerie pourra contacter des policiers ou des gendarmes qui la guideront, lui donneront les renseignements, la mettront en garde et lui indiqueront les procédures à suivre pour se défendre.
Mais il faut aller au-delà ! C’est la raison pour laquelle j’ai créé une plateforme. Opérationnelle depuis le début de la semaine, elle permet de signaler immédiatement les tentatives d’escroqueries sur internet, que la personne soit directement visée ou qu’elle ait identifié un site sur lequel il lui semble qu’une escroquerie est en train de se mettre en place.
En agissant immédiatement, on peut bloquer une tentative dont la vocation pourrait être plus générale puisque les escroqueries ont souvent lieu en série ou au travers de réseaux.
Bien entendu, nous ne devons pas nous contenter d’agir au niveau national, car des sites trouvent leur origine à l’étranger, en Afrique et en Europe de l’Est, par exemple. J’ai donc proposé, voilà deux mois, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, la création d’une plateforme européenne destinée à signaler les sites illicites. Adossée à Europol, elle voit son financement partiellement assuré par la Commission européenne et nous permet d’étendre le champ de notre opération.
Nous disposons donc de toute une série de dispositifs visant à protéger contre les escroqueries et les abus de confiance nos concitoyens, notamment les plus fragiles parce que les moins informés.
M. le président. Nous en avons fini avec les questions d’actualité au Gouvernement.
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Décès d'un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès brutal de notre ancien collègue Roger Besse, qui fut sénateur du Cantal de 1989 à 2008. (Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Nous gardons tous ici le souvenir d’un homme de cœur, d’un homme d’une grande courtoisie qui fut longtemps le rapporteur de la commission des finances pour les crédits de l’aménagement du territoire. Il fut également, pendant de nombreuses années, le représentant du département du Cantal au Sénat. Nous l’appréciions tous, sur l’ensemble des travées de cette assemblée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq,
est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication audiovisuelle
Nomination des présidents de sociétés de l'audiovisuel public
Suite de la discussion d’un projet de loi et d'un projet de loi organique déclarés d’urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France et du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, adoptés par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence.
projet de loi
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Assouline et Bel, Mmes Blandin et Bourzai, M. Lagauche, Mmes Lepage, Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (n° 145, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Bernadette Bourzai, auteur de la motion.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la motion que je présente au nom du groupe socialiste, apparentés et rattachés est fondée sur les motifs d’irrecevabilité suivants.
D’abord, les dispositions des articles 20 et 21 instaurant de nouvelles taxes pour certaines catégories de citoyens sont intrinsèquement discriminatoires et contraires au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Ensuite, les dispositions de l’article 18 supprimant la publicité aux heures de grande écoute sur les antennes de France Télévisions font dépendre le financement de la télévision publique du budget de l’État et remettent en cause l’indépendance de ce secteur.
De même, les dispositions de l’article 8 prévoyant la nomination des présidents des sociétés du secteur public de l’audiovisuel sont contraires aux exigences posées par l’article 34 de la Constitution, qui confie au législateur le soin de fixer les règles garantissant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet dernier.
Enfin, de nombreuses dispositions, telles que la suppression de la référence aux différentes chaînes et donc au maintien du périmètre de France Télévisions, remettent en cause le pluralisme.
Comment croire que nos médias du secteur public seront plus indépendants ?
Comment le croire, alors que l’on met fin au double système de financement dont bénéficiait France Télévisions, système qui lui permettait jusqu’à présent tout juste d’être en équilibre financier mais, hélas ! en sous-financement chronique par rapport aux ambitions affichées ?
Comment le croire alors que l’on laisse s’accumuler les déficits, qui ont atteint 100 millions d’euros l’année dernière depuis l’annonce de la suppression de la publicité et qui devraient, selon les prévisions, atteindre 130 millions d’euros pour 2009 ?
Comment le croire alors que l’on supprime aussi radicalement la publicité en début d’année et que l’on se prive donc d’une des ressources principales de la télévision publique sans que des alternatives de financement n’existent jusqu’à la mise en œuvre de la loi ?
Comment le croire alors que l’on lie complètement l’avenir de l’audiovisuel public à une compensation publique aléatoire selon les budgets annuels et les recettes perçues, recettes incertaines puisque les taxes proposées sont attaquables devant le Conseil constitutionnel ?
Pour notre part, nous n’y croyons pas !
En outre, il s’agit aussi, selon nous, d’une erreur économique grave, qui va bouleverser et déstabiliser tout le secteur de l’audiovisuel public.
Dans le contexte actuel de crise économique, il est incompréhensible que cette décision soit prise dans la précipitation, qui plus est sans que les règles élémentaires de la démocratie représentative soient respectées puisqu’une partie des mesures contenues dans le projet de loi ont été mises en œuvre avant même que le Sénat se prononce !
M. le Premier ministre et Mme la ministre de la culture et de la communication annoncent qu’ils mettront en place un financement pérenne assuré, d’une part, par le budget de l’État et, d’autre part, par l’institution d’une taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision ainsi que d’une taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, tout en nous assurant que ce financement ne sera pas à la charge de l’usager.
Permettez-nous d’en douter !
Tous nos interlocuteurs que concernent ces taxes sont formels.
Dans le contexte économique de la publicité, qui est dépressif, si les chaînes de télévision privées sont taxées, elles financeront moins la création. Cela aura non seulement des conséquences sur la qualité du paysage audiovisuel mais aussi des effets graves sur le plan économique et social, car, derrière, il y a des femmes et des hommes qui se battent courageusement pour la création et pour conserver leur emploi.
Quant aux opérateurs de télécoms français, ils envisagent de diminuer les investissements ou alors d’augmenter directement la facture de l’abonné, en y faisant d’ailleurs figurer clairement la nouvelle taxe.
Du bluff, me direz-vous, mais je n’en suis pas si sûre : au final, c’est bien le client qui paiera la taxe !
Dans ce secteur fortement concurrentiel, cela aura d’importantes conséquences sur les capacités d’investissement dans la fibre optique, le haut débit mobile et la couverture numérique du territoire.
Ce sont les usagers qui souffriront de cette baisse des investissements, et notamment ceux qui habitent les zones les moins rentables, par exemple les zones rurales, les zones périphériques, comme l’a dit hier M. Virapoullé, ou les zones de montagne.
Cette situation va donc aggraver la fracture numérique entre nos territoires.
Il faut aussi reconnaître que, pour l’instant, la fourniture du service audiovisuel par des opérateurs de communications électroniques n’est que peu répandue.
Ainsi, ce service représente moins de 1 % de leur chiffre d’affaires. Ce secteur n’est donc pas complètement concerné par ce projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et pourtant on veut en faire l’un des principaux contributeurs.
De notre point de vue, il eut été plus intéressant, plus efficace et plus logique de leur demander de s’engager à réaliser les investissements nécessaires à la couverture numérique du territoire qu’ils laissent le plus souvent à la charge des collectivités territoriales que sont les départements et les régions. Cela aurait d’ailleurs pu faire partie du plan de relance de l’économie, qui ne comporte aucune mesure permettant de promouvoir l’économie numérique.
Des juristes indépendants et des professeurs renommés se sont déjà penchés sur la constitutionnalité des articles 20 et 21 du projet de loi qui nous est soumis et ils sont formels : ces taxes paraissent irrémédiablement contraires à la Constitution.
D’abord, ces taxes sont non affectées au financement de l’audiovisuel public et sont donc destinées au budget général. À ce titre, elles sont gravement attentatoires au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques inscrit dans l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui impose que la contribution commune soit équitablement répartie entre tous les citoyens, à raison de leurs facultés.
Pourquoi, en effet, parmi toutes les entreprises qui acquittent déjà l’impôt sur les sociétés en isoler quelques-unes pour les soumettre à un impôt spécifique supplémentaire ? Ces taxes seraient donc intrinsèquement discriminatoires.
Et même si ces taxes étaient affectées, elles seraient contraires au principe d’égalité puisque de nombreuses sociétés visées n’ont aucun lien avec la diffusion de programmes audiovisuels, ce qui, de fait, devrait les exclure du périmètre de la taxe. D’autant plus qu’il y a rupture de l’égalité devant l’assiette de cette taxe qui est constituée, pour l’essentiel, par le chiffre d’affaires et non par la réelle capacité contributive de ces sociétés.
Un recours devant le Conseil constitutionnel aura donc toutes les chances d’aboutir. Dans ce cas, madame la ministre, quelles solutions proposerez-vous pour compenser les pertes de France Télévisions ?
M. David Assouline. Ce sera la publicité !
Mme Bernadette Bourzai. Peut-être la redevance que vous n’avez pas voulu augmenter jusque-là ?
Dans ces conditions d’insécurité juridique, on ne peut pas parler de financements pérennes pour l’audiovisuel public. C’est donc la remise en cause de son indépendance, voire de sa survie, contraire à l’article 34 de la Constitution révisée depuis le 23 juillet dernier.
D’autant que le montage financier du plan d’affaires met aussi en avant une économie à court terme de 100 millions d’euros. Du fait de la restructuration des services et des filiales de France Télévisions et de la création d’une entreprise unique, on ferait des économies d’échelle et on supprimerait des prétendus doublons. En fait, les audits montrent plutôt qu’il n’y aura pas de bénéfice immédiat et que dans un premier temps l’entreprise unique va coûter de l’argent du fait des modernisations qui sont nécessaires pour le projet de média global, notamment.
D’ailleurs, la commission Copé avait bien précisé que cette nouvelle ambition, en termes de service public de l’audiovisuel, devait « être associée aux moyens budgétaires nécessaires à sa mise en œuvre », ce qui comprend « la compensation des recettes publicitaires » ainsi que « la mobilisation des ressources nécessaires au développement et au rayonnement de France Télévisions ».
Or vous ne parlez plus de ressources supplémentaires. Quant à la simple compensation des recettes publicitaires, on ne sait pas si elle sera intégrale.
Permettez-moi de revenir un instant sur la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision privées, qui permettrait de financer l’audiovisuel public. Selon moi, il est évident qu’elle sera contre-productive et qu’elle aurait dû être écartée d’emblée.
En effet, si nous raisonnons à plus long terme, le produit de cette taxe sera plus élevé si le chiffre d’affaires des chaînes privées progresse et donc si leur audience s’accroît ; cette constatation conduit à espérer que l’audience de TF1 et de M6 augmente pour que le financement des chaînes publiques soit suffisant et, par conséquent, que l’audience des chaînes publiques diminue, par l’effet des vases communicants ! On aura donc des chaînes publiques soit avec beaucoup d’audience mais peu de financement, soit avec peu d’audience et un financement important. Dans un cas comme dans l’autre, la tentation sera forte de privatiser une chaîne ou de la faire disparaître. Quelle logique !
Mais n’est-ce pas, au final, l’objectif à peine caché poursuivi depuis plus d’un an, à savoir favoriser les chaînes privées quitte à saborder le service public de la télévision et de la radio ?
Pour s’en sortir financièrement, l’audiovisuel public serait donc réduit à espérer perdre des spectateurs ! Telle n’est pas, heureusement, la volonté des dirigeants de France Télévisions, qui nous ont assuré avoir pour objectif d’atteindre l’audience la plus large possible. Encore faut-il leur en donner les moyens !
Par ailleurs, ce projet de loi ne nous donne aucune garantie que toutes les chaînes publiques seront maintenues et que les spectateurs continueront d’avoir un large choix de programmes à regarder puisqu’il ne comporte aucune référence aux différentes chaînes publiques – France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO – comme composantes de l’entreprise unique.
De ce fait, le périmètre de France Télévisions n’est pas du tout garanti dans le projet de loi. Le financement étant, comme nous l’avons vu, plus qu’incertain, nous avons toutes les raisons d’être inquiets quant au maintien de l’identité éditoriale de chaque chaîne. À terme, cela aura sans aucun doute des conséquences sur le pluralisme des médias et sur l’offre proposée aux téléspectateurs. Pour nous, c’est inacceptable !
Nous avons plus précisément des inquiétudes sur l’avenir de France 3, chaîne généraliste qui assure aussi une information de proximité et rend compte des événements régionaux et locaux.
C’est vraisemblablement la chaîne qui a subi le plus de bouleversements dans sa grille de programmes d’information depuis le 5 janvier dernier, mais à moyens et effectifs constants. Le journal local est diffusé désormais à 18 heures 40 et n’est plus rediffusé à 19 heures 55, comme c’était le cas auparavant, afin de libérer du temps d’antenne pour la publicité avant 20 heures, puisque c’est le créneau qui se vend le plus cher ! Le journal régional est allongé d’environ cinq minutes mais sans moyens et sans équipe supplémentaires. Une nouvelle édition régionale de cinq minutes a été incluse dans le Soir 3 national à 22 heures 30 – c’est une bonne chose –, mais elle devra être bouclée à 20 heures 30, faute de moyens, d’où une incapacité à réagir si un événement se produit en début de soirée.
Cette tension sur les moyens budgétaires et humains disponibles va avoir des conséquences sur la qualité de l’offre d’information de proximité à laquelle les téléspectateurs régionaux sont pourtant très attachés. Marie-Christine Blandin en a parlé hier et j’aurais pu développer l’exemple de France 3 Limousin Poitou-Charentes dont l’édition régionale est la plus regardée en France.
Vous semblez sous-estimer, madame la ministre, cet attachement à une télévision régionale de proximité que les habitants et leurs élus ne se résigneront pas à voir disparaître.
Rappelons, à ce propos, que l’engagement initial du Président de la République n’a pas été tenu, puisque la publicité devait être maintenue sur France 3 régional afin de panacher les financements, d’assurer l’indépendance et de financer ces nouveautés de programmation.
Comme cela a déjà été indiqué, il y a de vrais aspects pervers de cette réforme depuis le 5 janvier.
La suppression, par exemple, de la rediffusion du journal local avant 20 heures sur France 3 est significative de la schizophrénie qui se développe à France Télévisions du fait de la suppression brutale de la publicité après 20 heures sans garantie, pour l’instant, d’une juste compensation.
Sur France Télévisions, le téléspectateur a désormais une « télé d’avant 20 heures » et une « télé d’après 20 heures ».
Le tunnel de quinze minutes de publicité existant jusque-là entre la fin du journal et le début du programme de première partie de soirée de 20 heures 35 est purement et simplement avancé entre 19 heures 45 et 20 heures !
Et les programmes destinés aux enfants diffusés dans l’après-midi risquent aussi d’être encore plus encombrés par la publicité, qui pourtant, nous le savons, provoque des dégâts sur les habitudes alimentaires des plus jeunes, nourrissant les risques d’obésité que Mme la ministre de la santé entend combattre par ailleurs. Quelle cohérence dans les politiques publiques !
Donc, France Télévisions sera amenée à prendre des décisions de grille avant 20 heures afin de faire le plus de recettes publicitaires possible tant que celles-ci existent encore. Il se peut que nous ayons désormais une télévision publique de moins bonne qualité avant 20 heures, alors que l’objectif affiché était précisément d’améliorer la qualité !
Alors que la télévision publique réussissait, jusqu’à présent, à faire des journaux d’information et des reportages de grande qualité, elle est aujourd'hui obligée de faire une gestion de précaution et de réduire ses frais, ce qui met en danger l’indépendance des rédactions, leurs marges de manœuvre et leur réactivité.
Je ne reviendrai pas sur l’exposé fait ce matin par notre collègue Jean-Pierre Sueur lorsqu’il a défendu la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi organique concernant la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Nous sommes en complet désaccord avec vous sur ce point.
Les articles 47 et 48 du projet de loi, qui concernent le Centre national de la cinématographie ainsi que les relations entre les distributeurs et les programmateurs, mériteraient un véritable débat parlementaire, et non le recours aux ordonnances. En effet, eu égard aux délais annoncés, il n’y a aucune urgence. D’ailleurs, la dernière réforme constitutionnelle était censée limiter cette pratique qui prive le Parlement du plein exercice de ses pouvoirs.
En conclusion, les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés soutiennent que ce texte est irrecevable et estiment qu’il n’y a pas lieu d’en débattre car il contredit des principes constitutionnels tels que le pluralisme, l’indépendance des médias, l’égalité des citoyens devant les charges publiques et condamne à terme le service public de l’audiovisuel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)