M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, je regrette également que le débat se déroule dans ce lieu crépusculaire et souterrain.
M. le président. Mon cher collègue, si ce débat n’avait pas lieu ici, nous aurions dû attendre deux heures du matin pour le commencer dans l’hémicycle. Il me semble donc préférable qu’il se déroule maintenant dans cette salle au demeurant tout à fait sympathique.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne nie pas que nous aurons des échanges plus conviviaux. Mais, plus que le lieu qui a été choisi, je déplore que notre réunion se déroule en même temps que la fin du débat budgétaire, le plus important débat de l’année. C’est tout à fait dommage, vous n’y êtes pour rien, moi non plus.
En accédant à la présidence du Conseil de l’Union européenne, la France, le Gouvernement et surtout le Président de la République ont affiché les plus grandes ambitions. Beaucoup, comme d’habitude, était dans la posture : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! » Mais il y avait aussi un programme précis des cinq priorités que vous connaissez. Je ne peux pas établir un bilan complet dans les quelques minutes dont je dispose, d’autant que plusieurs membres de mon groupe s’exprimeront sur ces différentes questions.
En ce qui concerne le pacte européen sur l’immigration, ou la directive « Retour », approuvée aujourd’hui au Conseil, je dirai que l’objectif est atteint ou qu’il est en bonne voie. Je n’approuve pas forcément le contenu, je le trouve sécuritaire et menaçant pour les libertés publiques, mais si l’on se place du point de vue de la politique souhaitée par le gouvernement français, ce n’est pas le domaine où les choses ont le moins avancé.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la défense. Je ne partage pas votre sentiment. La révision de la stratégie de sécurité, que le gouvernement français espérait obtenir, sera-t-elle adoptée lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre prochains ? Jusqu’à présent, les résultats sont minces.
Y aura-t-il une ébauche d’accord sur l’interopérabilité des armées européennes ? Y aura-t-il un accord sur le partage des compétences technologiques ? Jusque-là en tout cas, la Présidence française n’a été marquée que par un alignement atlantiste sans contrepartie et sans raison bien claire sinon un ralliement au « bushisme » le plus éculé. La seule politique de défense de l’Europe est-elle une intégration à l’OTAN ?
Une de mes collègues vous interrogera sur l’Union pour la Méditerranée. Je ne fais donc qu’évoquer cette question en m’interrogeant en particulier sur la méthode de proclamation unilatérale qui a irrité tant l’Europe du Nord que les rives Est et surtout Sud de la Méditerranée. Certes, hormis le colonel Kadhafi, tout le monde était présent à Paris. Mais combien de réserves affirmées plus ou moins clairement dans cette assemblée ! Puis le projet a évolué sous l’influence des pays du Nord, en particulier de l’Allemagne, pour réintégrer le processus déjà mis en route par l’Union.
N’aurait-il pas fallu être plus modeste et redynamiser le processus de Barcelone en privilégiant une politique des petits pas, des relations équilibrées, sans arrogance, entre les ex-pays coloniaux et la rive Sud de la Méditerranée et en s’appuyant sur les liens existants : historiques, économiques, humains et culturels ? C’était là une voie naturelle, plus efficace probablement que l’ensemble informe et potentiellement conflictuel qui nous a été présenté. On a préféré le spectaculaire au réalisme : la diplomatie s’accommode mal de cette méthode.
En ce qui concerne la diplomatie, je concède volontiers à M. de Rohan que le Président de la République, et avec lui l’Europe, ont été bien présents dans la crise de la Géorgie, laquelle avec l’aval probable des États-Unis a été très imprudente dans cette affaire. Il est regrettable que les dirigeants européens, qui, à la différence de M. Bush, connaissent notre histoire, n’aient pas réussi à faire comprendre que le déploiement de tout un appareil militaire dans les pays de l’Est européen, sous forme de missiles, était une provocation pour la Russie. On retrouve là encore l’alignement atlantiste fâcheux, conséquence de l’intégration sans condition dans l’OTAN.
Le résultat a été une réelle implication européenne dans le conflit et l’obtention difficile, mais obtention tout de même, d’un retrait des troupes russes. Mais au final, ce sont tout de même deux provinces géorgiennes qui passent sous le contrôle de la Russie.
En fait, pendant ces six mois, on a assisté à une politique de l’apparence qui n’a pas toujours donné les meilleurs résultats. L’exemple des relations avec la Chine est le plus éclairant.
Voulant faire pression sur ce grand pays à propos du Tibet, le Président français – président de l’Europe – a commencé par une valse-hésitation sur sa présence à l’ouverture des jeux Olympiques : « J’y vais, j’y vais pas. Finalement j’y vais, mais je me fais discret », ce qui était méritoire. Beau succès !
Voici qu’une rencontre collective avec les prix Nobel, dont le Dalaï Lama, provoque une vive protestation de la Chine contre la France et contre l’Europe ! Beau succès, quand on sait que le Premier ministre britannique, la Chancelière allemande et le prochain Président tchèque de l’Union européenne ont tous les trois rencontré le Dalaï Lama sans la moindre contestation.
L’essentiel de ce qui sera retenu de ces six mois de présidence n’est pas là. Les proclamations sont une chose, elles amusent les médias et le bon peuple, mais la réalité finit toujours par s’imposer. La réalité – ce propos vient à la décharge des critiques que je formulerai ultérieurement – c’est qu’une présidence de six mois, une des tares du système, ne peut guère changer le cours des choses. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le secrétaire d’État, entre la torpeur de l’été et la trêve des confiseurs, les fonctionnaires de la Commission continuent forcément sur leur lancée.
Savez-vous que les grands voiliers qui font actuellement le tour du monde mettent quatre heures pour virer de bord ? Or, c’est bien plus long pour l’Europe qui est un tanker dont la direction ne peut être infléchie qu’avec prudence et modestie, sauf si un accident violent et d’ampleur exceptionnelle se produit !
Dans ce contexte, la brutalité de la crise – dont les prémisses cependant étaient visibles et connues – a constitué un coup dur qui, paradoxalement, pouvait permettre de faire bouger les choses. C’est une chance, en quelque sorte !
L’Europe s’est d’ailleurs souvent construite par des crises. Les proclamations n’ont pas manqué. « Refonder le capitalisme », telle a été l’ambition – rien moins – de notre Président ! Le résultat a été un peu plus modeste.
Certes, on peut se féliciter que le groupe des huit ou des neuf ait été élargi à de grands pays au développement rapide.
Mais le rassemblement du G20 n’a donné lieu qu’à une déclaration de principe et à la promesse de se revoir. On sent bien que les États-Unis, en particulier, ne veulent rien céder ni sur l’équité commerciale, ni sur le contrôle des organismes de notation, ni sur la régulation du grand casino mondial des investissements boursiers, ni sur les paradis fiscaux !
Sur ce dernier point, j’ai fort apprécié la leçon, au Luxembourg, du Président en exercice de l’Union européenne, mais il oubliait qu’il est coprince d’Andorre et que l’indépendance de Monaco est surtout une commodité de façade ! Il vaut mieux quelquefois balayer devant sa porte !
Au bout du compte, le risque est fort que les financiers, sauvés par les États, soient finalement les grands gagnants de cette affaire. Et qu’adviendra-t-il, dans deux ou trois ans, lorsque le prix du pétrole et les cours de la bourse auront remonté et que des liquidités colossales réapparaîtront, ajoutées aux sommes énormes créées d’une façon ou d’une autre par les États et les banques centrales ? N’y a-t-il pas un risque inflationniste fort qui ne nous garantit pas pour autant de la pérennité de la crise économique ?
En attendant, pendant cette période, et malgré les proclamations du Président français de l’Union européenne, l’Europe n’a eu qu’une cohésion de façade. Chacun est parti de son côté et, s’il y a eu un modèle, il n’est venu ni de Bruxelles ni de Paris, il est venu de Londres, et chacun s’est employé à l’imiter. La France est apparue à la traîne.
Ce fut la même chose, ou à peu près, en ce qui concerne le plan européen de relance de l’économie. Après le tsunami financier, après l’accélération de la crise économique et la récession de tous les pays développés – on devrait aussi parler des pays sous-développés –, après la reprise rigoureuse de la hausse du chômage, il fallait, en effet, un plan de relance.
Là encore, chacun a joué son jeu en fonction de sa situation propre et les nombreuses réunions européennes ont surtout consisté à prendre acte des plans nationaux. Chacun hésite encore à suivre les recommandations de la Commission qui souhaitait chiffrer la relance à 1,5 % du PIB ; nous sommes le plus souvent nettement en dessous de ce taux.
L’occasion était pourtant belle de lancer un grand emprunt européen par obligation, sans attendre la révision, dans six mois, du cadre financier de l’Union. L’impression est que la France a été surtout soucieuse de faire avaliser son propre plan plutôt que d’obtenir une action cohérente des États.
Dans ce domaine, c’est toujours Gordon Brown qui a le mieux tiré son épingle du jeu avec un plan assis, notamment, sur la baisse de la TVA et des contraintes fortes imposées aux banques. Certes, on nous dit, de ce côté de la Manche, que c’est une bonne chose pour les citoyens britanniques qui sont très endettés, alors que les Français, eux, le sont peu et qu’il est très dangereux d’opérer une relance par la consommation. Vu l’état de notre commerce extérieur, on comprend les inquiétudes !
En vérité, on ne peut pas baisser les taxes sur la consommation parce que l’État français est dans une situation budgétaire catastrophique : le déficit est énorme et le stock de la dette est en hausse exponentielle. Les quelques marges de manœuvre que nous pouvions espérer, nous les avons gaspillées en juillet 2007 par une politique fiscale scandaleusement antisociale, qui devait, nous disait-on, favoriser la croissance. Il faudrait tirer le vrai bilan économique de cette fâcheuse décision et de ses conséquences sociales.
Je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, que vous alliez personnellement faire vos courses dans des supermarchés d’alimentation, si ce n’est pas déjà le cas. Vous y observeriez de plus en plus d’achats massifs d’œufs, de farine, de riz ou de lait – c’est bon de temps en temps, pas tous les jours ! –, mais peu de viande et aucun achat de poisson ni de légumes ! Vous y verriez aussi des spectacles déchirants, et de plus en plus fréquents, de personnes qui, arrivant à la caisse avec cinq ou six produits, doivent rendre l’un d’eux parce qu’ils n’ont pas assez d’argent pour le payer.
Telle est la réalité, et il serait bon que chacun aille en faire le constat.
Monsieur le secrétaire d’État, l’effort sur la consommation des ménages n’est pas une simple nécessité technique de relance économique, c’est une nécessité sociale. Trop de ménages sombrent actuellement dans la gêne, voire la misère. Nul ne peut y rester insensible.
Mais il est peu probable que vous puissiez faire évoluer la situation, puisque le Président français ne s’est pas converti à la social-démocratie nordique, comme on voudrait nous le faire croire ! Il a pris des mesures d’urgence, en allouant 200 euros pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, une misère quand on sait que M. Bush a accordé 900 euros aux ménages les plus modestes ! Le Président de la République a ainsi proposé un plan de relance plus virtuel que réel.
Ce plan de relance semble mobiliser des sommes très fortes. En réalité, c’est un pur et simple effet d’annonce, qui n’exclut pas les contradictions : on pousse les collectivités locales à dépenser, alors que, deux mois plus tôt, on leur reprochait de trop dépenser !
L’essentiel des sommes représente de l’argent déjà engagé, le rattrapage du retard d’un ou deux ans des contrats de projet provoqué par le désengagement antérieur de l’État. Le Président Sarkozy annonce, pour 2009, une utilisation de ces sommes qui étaient gelées par l’État jusque-là. Nous en prenons bonne note, mais c’est de l’affichage, parce que l’on trompe les gens en leur faisant croire que ces sommes seront dépensées en 2009, ou même en 2010.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Peyronnet !
M. Jean-Claude Peyronnet. Oui, monsieur le président, je termine.
On ne construit pas un TGV en deux ans ni même en cinq ans !
Au demeurant, par les avances de TVA proposées aux collectivités locales, l’État incite ces dernières à faire de la cavalerie, ce qui n’est pas dans leurs habitudes.
J’aurais voulu insister davantage sur les lacunes sociales de la politique menée pendant la Présidence française.
Nous croyons à certaines valeurs. Nous souhaitons une Europe progressiste, dans laquelle la clause sociale transversale obligerait les différents acteurs à prendre en compte la dimension sociale dans toutes les politiques mises en œuvre.
Or il ne nous semble pas que la Présidence française ait fait quoi que ce soit pour que l’Europe avance dans cette voie !
M. le président. Mon cher collègue, je vous signale que j’avais interrompu le décompte du temps lorsque je vous ai interrompu !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je vous en remercie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Messieurs les présidents, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par un rappel. Le dernier Conseil européen avait donné son aval à l’adoption de plans nationaux de redressement des banques et de garantie des prêts interbancaires.
Pourtant, le plan français, qui prévoyait de prêter 10,5 milliards d’euros, a eu de grandes difficultés pour obtenir l’avis favorable de la Commission européenne, qui considérait cette aide comme un avantage anticoncurrentiel.
Bruxelles a donc conditionné son accord à une croissance limitée du crédit et de la taille du bilan des banques. On en revient donc bien à la sacro-sainte interdiction des aides d’État. La révolution, annoncée par le Président Sarkozy, d’en finir avec le marché libre et tout puissant, n’est donc pas à l’ordre du jour de la Commission européenne, qui se considère toujours comme la gardienne du temple du libéralisme.
Revenons-en à l’ordre du jour du prochain Conseil qui est dominé, une nouvelle fois, par les questions liées à la crise financière et à l’entrée en récession. Il devra adopter le pacte de relance présenté le 26 novembre par la Commission et définissant une « stratégie européenne, fondée sur la stratégie de Lisbonne et le pacte de stabilité et de croissance, pour faire face au ralentissement économique ».
Sur le principe, nous sommes satisfaits de l’existence même d’un plan de relance, qui, en effet, n’était pas acquis, comme en témoignent les déclarations du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, le 14 septembre dernier.
Nous considérons également, en accord avec les propositions de la Commission, que ce plan doit passer par un soutien accru à l’économie réelle, ce qui suppose la suspension provisoire du pacte de stabilité.
C’est un événement, soulignons-le. La Commission européenne reconnaît enfin que les critères de Maastricht sont un obstacle au soutien de l’économie réelle.
Ce plan semble a priori significatif, puisqu’il prévoit un effort commun de 1,5 % du PIB communautaire, soit 200 milliards d’euros. Mais il s’agit, en réalité et pour l’essentiel, de l’addition des plans nationaux, 170 milliards d’euros correspondant à l’effort que devraient accomplir les vingt-sept États. À ce titre, Jacques Barrot, commissaire européen, reconnaissait : « Si j’étais le président de la Commission, j’aurais écrit en préambule : voici ce que nous pourrions faire et ce que nous ne ferons pas, faute de moyens ».
Soyons clairs, ce que l’on appelle plan de relance européen n’a d’européen que le nom !
En effet, les moyens pour répondre à la crise sont principalement de la compétence des États membres qui s’y emploient de manières très différentes et très peu coordonnées.
Ainsi, l’Allemagne ne souhaite pas alourdir son taux d’endettement et compte s’en tenir à son niveau actuel d’investissement, soit 32 milliards d’euros. La France et l’Allemagne insistent sur les PME, l’énergie, l’automobile, le logement et les infrastructures. Quant au Royaume-Uni, il se distingue par un allégement massif de sa TVA représentant une dépense fiscale de 15 milliards d’euros.
La seule contribution communautaire, à proprement parler, en dehors de l’utilisation d’un reliquat budgétaire représentant nettement moins de 10 % de l’enveloppe globale, viendra par le biais de la Banque européenne d’investissement, la BEI, qui accorde des prêts à des taux bonifiés aux entreprises européennes. Déjà, en septembre, une augmentation des financements aux PME de 30 milliards d’euros sur deux ans avait été décidée. Une enveloppe supplémentaire sera également prévue pour financer la lutte contre le changement climatique et la sécurité énergétique, notamment dans les secteurs de l’automobile et de la construction. De même, Bruxelles s’engage à verser plus rapidement les aides régionales destinées aux régions les plus défavorisées.
Cet aspect du plan concernant le rôle de la BEI mérite une attention particulière et un bref rappel historique. Il existe un précédent intéressant, qui vaudrait d’être renouvelé.
Dans la période 1992-1993, la BEI fut exceptionnellement autorisée à financer des baisses de taux d’intérêt permettant de soulager les PME des charges financières liées au crédit, en fonction du nombre d’emplois créés. Un contrôle accompagnait ce dispositif financier afin de s’assurer de la création effective de ces emplois. Le résultat fut concluant. Tout plaide donc pour le renouvellement d’une telle démarche.
Aucune harmonisation fiscale ou sociale n’est prévue, conformément aux traités en vigueur, à l’exception, soulignons-le, d’une hypothétique directive concernant la baisse de la TVA sur les produits verts.
Par ailleurs, la Commission préconise le recours aux fameux contrats de partenariats à l’échelon européen. Mais qui dit partenariat public-privé dit retour sur investissements pour le secteur privé. Loin de correspondre à la solution miracle de relance des investissements, ces fameux contrats remettent donc en cause les grands principes d’aménagement du territoire.
En outre, aucune directive ni recommandation ne sont données aux États membres afin de veiller à ce que l’argent mobilisé serve bien l’emploi et le pouvoir d’achat des Européens. C’est très regrettable !
Fondamentalement, la crise financière, économique et sociale que nous vivons aujourd’hui est non pas le résultat d’une déviance du modèle libéral, mais la conséquence directe des préceptes inscrits au cœur de la construction européenne, c’est-à-dire la libre circulation des capitaux, l’indépendance de la banque centrale et l’interdiction d’intervention de l’État dans l’économie.
Ce plan de relance ne marque aucune inflexion, puisqu’il fait toujours référence à la stratégie de Lisbonne et au pacte de stabilité. Ainsi, la seule flexibilité offerte est la suspension de la règle des 3 % pendant deux ans ! D’ailleurs, la Commission continue d’exiger que les « réformes » visant à « assainir » les finances publiques se poursuivent.
Parallèlement, les politiques de libéralisation et de privatisation continuent d’être menées, puisque Mme la commissaire européenne à la concurrence estime, notamment, qu’il faut « briser le carcan des marchés nationaux des télécommunications », laissant craindre l’adoption prochaine d’un nouveau paquet « télécoms ».
Dans ces conditions, ce ne sont pas de simples mesures conjoncturelles qui permettront de répondre à cette crise. Nous avons besoin d’une réorientation complète de la construction européenne. Elle passe par la définition de droits effectifs à garantir par une harmonisation fiscale et sociale « par le haut ».
De tout cela, il n’est pas question, puisque le président de la Banque centrale européenne, la BCE, ne cesse de répéter qu’il faut baisser les charges et les salaires pour limiter l’inflation. Il y a de l’argent pour les banques, mais pas pour l’agenda de la politique sociale de l’Union ! C’est insupportable !
Il n’y a donc aucune remise en cause du système qui nous a conduits à cette crise économique et sociale. Quel meilleur exemple que l’acharnement de nos dirigeants à voir adopter le traité de Lisbonne !
Sur le fond, c’est incroyable ! Les principes ultralibéraux de concurrence libre et non faussée, de libre circulation des capitaux et d’indépendance de la BCE ont directement conduit à cette crise financière, qui trouve ses racines dans la déconnexion totale entre la production et les marchés financiers.
Vous continuez pourtant à vouloir poser ces règles comme socle commun des politiques européennes par le biais de l’adoption du traité de Lisbonne ! Ainsi, vous misez sur son adoption rapide, notamment par le biais d’un nouveau vote de l’Irlande, la République Tchèque ayant renvoyé au 3 février sa réponse, sans, d’ailleurs, que l’on puisse préjuger ce qu’elle sera.
Les sénateurs communistes républicains et citoyens et du parti de gauche continuent, pour leur part, de s’opposer à la remise en cause du vote des Irlandais, en arguant que ceux-ci n’avaient pas bien compris les termes du débat.
Une modification du nombre de commissaires européens paraît insuffisante pour justifier un nouveau référendum.
Nous continuons donc de considérer que ce traité est tout simplement caduc et nous en appelons à la mise en chantier d’un nouveau traité fondateur, conçu sur la base d’un mandat des peuples européens et posant les fondements d’une Europe démocratique et progressiste.
Je citerai deux domaines dans lesquels les politiques de l’Union européenne doivent être réorientées et débarrassées du carcan des marchés financiers.
Le premier est celui de la politique énergétique.
La lutte contre le changement climatique est l’un des dossiers phares de la Présidence française de l’Union européenne. L’objectif est d’obtenir un accord entre les vingt-sept États membres sur le paquet « énergie-climat » avant la fin de l’année 2008, concomitamment avec la conférence de l’ONU, qui se tient actuellement à Poznan.
Si nous partageons évidemment le constat d’urgence sur le réchauffement climatique et la nécessité de prévoir des mécanismes pour permettre la baisse des émissions de gaz à effet de serre, nous voulons faire part d’un certain nombre de réserves.
D’une part, ce plan ne fait plus partie des priorités de l’Union européenne depuis le début de la crise financière. Aboutira-t-on à l’adoption d’un plan quasiment vide, dont le seul intérêt sera celui d’un affichage sans garantie de mise en œuvre ?
D’autre part, quelle peut en être la portée, si aucune des missions qu’il tend à remplir non plus qu’aucun des moyens de le mettre en œuvre ne sont contraignants pour les États membres ?
Plus fondamentalement, le cœur de cette directive se trouve dans le système de gestion des quotas de C02, qui, en posant le principe « pollueur-payeur », représente une ressource financière non négligeable pour l’Union européenne.
Nous pensons, pour notre part, que le principe « pollueur-payeur » ne doit pas dédouaner les gouvernements de poser la question fondamentale, celle de l’organisation du système de production, dont l’évolution passe par un développement des énergies propres permettant de répondre aux besoins et la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire dans notre bouquet énergétique.
Par ailleurs, le recours massif aux biocarburants, bien qu’ayant des effets positifs, notamment sur le réchauffement climatique, est de plus en plus fortement contesté : ses bénéfices énergétiques, climatiques, sanitaires et socio-économiques sont loin d’être avérés et il entraîne des catastrophes sociales et écologiques dans beaucoup de régions du monde.
En tout état de cause, ce plan, qui ne fait pas l’unanimité au sein des États membres, devait faire l’objet d’un vote au Parlement européen avant la réunion du Conseil européen.
Ce vote a été reporté au 17 décembre prochain. Cette décision de report a été justifiée, notamment, par la volonté de ne pas faire adopter, par le Parlement européen, un plan trop ambitieux. On peut donc légitimement craindre que les objectifs retenus lors de ce Conseil européen ne soient pas des plus audacieux.
Le second domaine dans lequel les politiques de l’Union européenne doivent être réorientées et débarrassées du carcan des marchés financiers est celui de la politique agricole commune : elle est une autre illustration des conséquences désastreuses du libéralisme.
Elle s’inscrit depuis quinze ans dans le processus général de réduction des obstacles à la concurrence et du « laisser-faire » sur les marchés. Le secteur agricole est aujourd’hui en souffrance et aucun signe n’est donné aux agriculteurs, que ce soit dans le sens d’une garantie d’un prix rémunérateur ou dans celui du respect des normes sanitaires et environnementales.
Monsieur le président, mon temps de parole est écoulé. Alors je vais en rester là, bien que j’aie encore beaucoup de choses à dire.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le temps est venu de faire le bilan de la Présidence française de l’Union européenne.
Il est indéniable qu’elle fut brillante et riche, tant sa réactivité fut grande face aux crises de première ampleur qui ont frappé l’Europe depuis le début du mois de juillet, le conflit russo-géorgien, notamment, ou la crise financière.
II fallait bousculer les principes et les méthodes, circonstances exceptionnelles obligent.
Cela a été fait avec brio, ce qui a permis à l’Union européenne de s’affirmer sur la scène mondiale en tant qu’acteur politique global et de formuler des réponses la première, alors même que l’administration américaine traversait une période de transition.
Je souhaite exprimer, au nom du groupe de l’UMP, notre pleine et entière satisfaction. Nous devons remercier le Président de la République d’avoir su donner une impulsion majeure à la présidence de l’Union européenne : grâce à sa détermination et à sa volonté sans faille, les États européens sont parvenus à s’unir et à trouver des réponses coordonnées, efficaces et rapides. Face aux crises, l’Europe prouve qu’elle existe et elle fait la démonstration éclatante de sa valeur ajoutée.
Fallait-il que l’Europe se retrouve face à ces difficultés pour qu’elle comprenne enfin que « l’union fait la force » ? Fallait-il qu’elle traverse ces turbulences pour retrouver un élan qu’elle semblait avoir perdu dans les réformes avortées de ses institutions ?
Nous fallait-il passer l’épreuve du feu pour retrouver cette volonté commune de répondre solidairement aux défis de la mondialisation et à ses dérèglements ? Fallait-il que nous ayons perdu à ce point le sens de l’intérêt général de l’Europe pour que nous redécouvrions avec délices les vertus de la politique dans les affaires européennes ?
Fallait-il, enfin, que le spectre noir de la guerre réapparaisse aux frontières des terres européennes, avec ses cortèges funèbres et ses mauvais souvenirs, pour que l’Europe cesse de faire semblant, semblant d’être une solution aux yeux de ses promoteurs et, à l’inverse, semblant d’être une menace aux yeux de ses adversaires ?
Nous pouvons regarder ces six derniers mois avec une certaine fierté : l’action menée par la présidence de l’Union européenne a montré au monde entier une Europe politique forte, unie dans l’adversité, déterminée face à ses partenaires, écoutée sur la scène internationale.
Nous souhaitons que cette nouvelle mentalité européenne, cette nouvelle méthode, devienne la règle et donc perdure.
À nous de faire vivre ces nouveaux modes de gestion à l’intérieur d’un espace commun, d’un espace de solidarité et d’intérêts partagés comme peut l’être l’Eurogroupe. Nous avons la même ambition et une vision commune, ce grâce à l’euro, notre patrimoine commun.
Ne l’oublions jamais : l’euro est une force, notre force ! Que se serait-il passé si nous avions encore nos pauvres monnaies nationales ? Nous aurions assisté à un désastre monétaire et au triomphe de la spéculation.
Une nouvelle méthode est née : les chefs d’État de l’Union ont ainsi appris à discuter, à prendre des responsabilités et des initiatives, bref, à rendre l’Europe politiquement vivante.
Par ailleurs, on ne peut désormais plus opposer une Europe communautaire à une Europe intergouvernementale.
Les deux méthodes coexistent. Cela prouve que les traités sont justifiés et qu’il faut continuer à les soutenir. Une Europe nouvelle est en train de naître. II y a complémentarité naturelle entre les actions des États et celles de l’Union européenne.
Je suis donc persuadé que le traité de Lisbonne est la meilleure solution dont nous disposions pour parvenir à relever les défis qui attendent l’Union européenne. Son principal avantage est d’assurer la continuité. La gestion des crises a mis en évidence la nécessité d’assurer, au plan européen, une continuité d’action et une bonne combinaison entre impulsion politique et institutions.
Nous appelons les États membres ne l’ayant pas encore ratifié à l’approuver rapidement, notamment la République Tchèque, qui va succéder à la France à la tête de l’Union européenne. Nous avons conscience des difficultés rencontrées par les Irlandais et comprenons leurs inquiétudes, mais le statu quo n’est pas une option : ils doivent nous proposer une solution lors du Conseil européen de décembre.
En ce qui concerne la situation économique, force est de constater que l’année 2009 sera difficile du point de vue de la croissance. L’Europe devra, en ce domaine également, conserver une grande capacité de réaction. Les dernières prévisions ne sont pas bonnes et nous savons que la récession touchera de nombreux États.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a adopté, le 26 novembre dernier, un plan de relance qui doit être entériné par le Conseil européen des 11 et 12 décembre.
Ce plan de relance est fondé sur deux éléments principaux qui se renforcent mutuellement : tout d’abord, des mesures à court terme pour stimuler la demande, préserver l’emploi et contribuer à rétablir la confiance ; ensuite, des « investissements intelligents » pour favoriser la croissance et assurer une prospérité durable.
Dans le plan sont prévues des mesures de relance budgétaire rapides, ciblées et temporaires de l’ordre de 200 milliards d’euros, soit 1,5 % du produit intérieur brut de l’Union européenne, faisant appel tant aux budgets nationaux, pour environ 170 milliards d’euros, soit 1,2 % du produit intérieur brut, qu’aux budgets de l’Union européenne et de la Banque européenne d’investissement, pour environ 30 milliards d’euros, soit 0,3 % du produit intérieur brut.
Chaque État membre est invité à prendre des mesures importantes en faveur de ses propres citoyens et du reste de l’Europe. Le plan de relance visera à renforcer et à accélérer les réformes déjà engagées par le biais de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi.
Dans le plan sont ainsi présentées des mesures concrètes pour promouvoir l’esprit d’entreprise, la recherche et l’innovation, notamment dans les secteurs de l’automobile et de la construction.
Une combinaison de dépenses publiques et de réductions d’impôts y est suggérée. Les réductions de TVA ciblées doivent être envisagées, car elles peuvent stimuler la consommation, sans qu’il puisse pour autant y avoir de réponse unique, étant donné les différences de situations entre les États.
Sur ce point, je ne suis pas sûr que la France obtienne satisfaction, étant donné l’opposition de l’Allemagne.
Je note d’ailleurs que ce pays ne paraît pas particulièrement enthousiaste à l’idée d’adopter le plan de relance proposé par la Commission européenne. L’Allemagne souhaite, en effet, donner la priorité à la rigueur budgétaire et au respect du pacte de stabilité, tandis que d’autres pays, comme la France, souhaitent un assouplissement de ce pacte.
L’attitude de l’Allemagne n’hypothèque-t-elle pas le succès de ce plan, monsieur le secrétaire d’État ?
Lors de leur dernière réunion, les ministres des finances des Vingt-sept ont refusé de suivre la voie prônée par le Royaume-Uni concernant la baisse de TVA.
Selon nous, une bonne coordination entre les plans nationaux et le plan européen de relance est cruciale.
Je tiens à saluer au passage le plan de relance français présenté la semaine dernière par le Président de la République, qui est de taille à venir en aide aux secteurs en difficulté.
De façon plus générale, on ne peut qu’être satisfait de l’ampleur de ce plan de relance européen.
Les mesures présentées par la Commission européenne représentent un montant supérieur à 1 % du produit intérieur brut européen. Or, tous les experts estimaient que l’effort devait se situer au-delà de 1 % du produit intérieur brut. L’annonce du chiffre de 1,5 % est une excellente nouvelle, mais il faut s’engager fermement à le respecter. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, car nous savons l’Allemagne hostile à ce seuil.
Il est essentiel que la Commission européenne ait fixé un cadre commun afin d’encourager tous les États membres à participer au plan de relance : la participation de tous est indispensable, pour une relance efficace et massive.
La seule inconnue demeure la clé de répartition de l’effort entre les États. De gros efforts ont déjà été faits par certains États. Seront-ils, ou non, comptabilisés dans le plan ?
Il appartient la Commission européenne de jouer un rôle d’arbitre et de faire les comptes exacts. Cette question devra, à mon avis, être résolue lors du Conseil européen.
D’autres interrogations subsistent.
Ainsi, la semaine dernière, les ministres des finances des pays de l’Union européenne ont, sans conviction, accordé leur soutien aux vastes dispositions du plan, mais ils ont supprimé toute référence au chiffre de 200 milliards d’euros initialement avancé par la Commission.
En outre, les propositions de réduire les taxes sur les services locaux à forte intensité de main-d’œuvre, tels que les coiffeurs et les restaurants, n’ont à nouveau pas été approuvées.
Compte tenu des divergences persistantes, les ministres ont décidé de laisser les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne trancher lors du prochain Conseil européen à Bruxelles. Que cela signifie-t-il ? Les désaccords sont-ils profonds ou simplement de façade ?
Il semble stratégique que le plan de relance de la Commission européenne soit adopté par les chefs d’État et de gouvernement réunis lors du Conseil européen. Ce sera la preuve que l’Union européenne est capable de répondre avec force, rapidité et coordination à une situation économique difficile.
À la crise financière, qui n’est pas encore terminée, s’ajoute aujourd’hui la récession, dont la sévérité risque de s’aggraver – il faut l’éviter à tout prix –, ce qui porterait un second coup au secteur financier, déjà fortement affaibli.
Je tiens à vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, au sujet du paquet « énergie-climat » : selon vous, les conclusions de la conférence de Poznan sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? Par ailleurs, pouvez-vous nous éclairer sur la nature du compromis qui sera adopté par le Conseil européen et qui pourra convenir au Parlement européen ?
Jusqu’à ces derniers jours, il existait une grande distance entre le compromis que la présidence de l’Union européenne tentait d’établir avec beaucoup d’habileté avec les Polonais, les Italiens et les Allemands, et la position de la majorité du Parlement, laquelle reste encore extrêmement attachée à l’accord conclu l’année dernière. Le dialogue s’annonçait difficile, notamment en ce qui concerne les mécanismes de solidarité qu’il faut mettre en place avec les pays d’Europe centrale et orientale, au premier chef avec la Pologne, qui est le pays le plus important de la région et celui qui possède la plus importante industrie charbonnière.
Une considération doit cependant nous réunir : la conscience que le paquet « énergie-climat » est un enjeu majeur pour l’avenir des secteurs de l’industrie, des transports et de l’énergie en France, plus largement, en Europe. Il constitue la réponse à l’une des préoccupations majeures des Européens aujourd’hui, à savoir le réchauffement climatique.
Il me reste à vous rendre hommage, monsieur le secrétaire d’État, pour la grande qualité de votre travail et du soin que vous avez mis à collaborer avec les parlements nationaux, en particulier avec le Sénat français.