M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les réflexions développées excellemment par le président de la commission des finances et les rapporteurs sur l’ensemble des problèmes que pose le projet de loi de finances pour 2009 s’agissant de nos collectivités.
Je commencerai mon intervention en dressant un double constat.
Tout d’abord, de nombreuses collectivités territoriales vont connaître, en 2009 et en 2010, des pertes de recettes à cause non seulement du plafonnement des dotations, mais également de la conjoncture immobilière et des difficultés rencontrées par beaucoup d’entreprises. Or ce n’est ni le recours à l’emprunt ni la hausse des tarifs publics qui permettront de pallier ces pertes de recettes.
Ensuite, comme M. Mercier l’a indiqué, tout le monde parle de réforme. Toutefois, cette réforme, il faut aujourd'hui l’envisager non pas dans le cadre classique des relations entre l’État et les collectivités territoriales, mais dans celui de la mondialisation.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui !
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ne pouvons-nous avoir aujourd'hui une conception des finances locales qui ne soit pas attentatoire à la compétitivité des entreprises, ne favorise pas la délocalisation, le départ d’un certain nombre de prestataires de services vers la Chine, l’Inde ou ailleurs ?
Nous ne devons donc pas perdre de vue ce contexte de mondialisation pendant les deux ou trois années où nos collectivités vont avoir à subir une perte de recettes.
En vertu de ce double constat, je formulerai deux propositions.
Tout d’abord, il faut redonner un peu d’élasticité aux finances locales. Monsieur le ministre, vous avez parfaitement engagé cette politique en créant des marges nouvelles. Certes, vous avez fait augmenter, par voie législative, le coefficient de revalorisation des valeurs locatives, mais ce n’est pas suffisant.
Comme nous réclamons une certaine autonomie pour les collectivités et voulons prendre nos responsabilités en la matière, je propose, madame le ministre, monsieur le ministre, en cette période de crise, que ce coefficient soit fixé par chaque collectivité – évidemment, il sera plus simple de le faire au niveau de chacun des 2 000 groupements de communes que compte notre pays, et non à celui de chaque commune – et que chacune soit pleinement responsable des allégements et des exonérations qu’elle consent.
Je suis consterné de constater que le poste le plus important du budget de l’État, avec plus de 90 milliards d’euros, celui qui a trait aux remboursements et dégrèvements, et dont Mme Beaufils est le rapporteur spécial, sera voté un samedi à trois heures du matin par quelques personnes sympathiques…
M. Henri de Raincourt. Et courageuses !
M. Jean-Pierre Fourcade. … qui accepteront de rester en séance.
La première réforme à engager, qui me paraît correspondre à la volonté de responsabilisation des élus, et qui aurait dû être mise en place dès 1990, concerne donc la réévaluation des valeurs locatives. Dix-huit années ont été perdues, sauf pour le Trésor public, qui a continué de collecter la taxe sur la révision des valeurs locatives, …
M. Joël Bourdin. Grâce à la taxe Charasse !
M. Jean-Pierre Fourcade. … laquelle rapporte un milliard d’euros par an, soit au total – excusez du peu – 18 milliards d’euros !
Comme je l’ai dit, il faut, à mon avis, associer à cette réforme les groupements de communes, car chaque situation est différente. À chacun de prendre ses responsabilités.
Ma seconde proposition, beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, concerne la taxe professionnelle.
Il n’est pas un chef d’État de ce pays qui n’ait qualifié cet impôt, qui de « stupide », qui de « dangereux pour l’économie », qui de « particulièrement singulier en Europe ».
Voilà quelques années a été supprimée la part salaire ; aujourd'hui, on parle de supprimer partiellement ou totalement la part investissements ; demain, on parlera de supprimer la part valeur locative. Qu’en restera-t-il alors ? Rien !
Comme nous traversons l’une des plus violentes crises que nous ayons connues depuis longtemps et que nous allons en supporter les effets pendant plusieurs années, quels que soient les discours optimistes que nous puissions entendre, le moment est venu de s’engager dans une réforme beaucoup plus importante, à l’instar de ce que font la Suède, le Danemark, la Finlande ou encore, plus récemment, l’Allemagne, en partageant les grands impôts entre l’État et les collectivités territoriales, à partir des bases actuelles de la taxe professionnelle, corrigées par une péréquation tenant compte des difficultés et des perspectives de chaque partie concernée.
Ainsi serait maintenu le lien, essentiel, entre l’activité économique et l’alimentation financière des collectivités territoriales. En effet, si le calcul repose sur des bases fictives ou dépassées, nous n’arriverons pas à réaliser les investissements nécessaires.
Par ailleurs, cette réforme permettrait aux collectivités de bénéficier enfin d’une élasticité plus importante de ses impôts, l’État ayant conservé pour lui-même les impôts à forte élasticité, tels que l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, une partie de la TIPP et la TVA. Un système qui pourrait être triennal leur garantirait un bon financement et assurerait un lien permanent entre l’activité économique et la collectivité concernée.
Bien entendu, mes deux propositions ne peuvent être mises en œuvre que si l’on démêle l’imbrication extrêmement complexe des compétences et des financements des uns et des autres. Mais je fais confiance aux commissions créées à cet effet par les deux assemblées et j’attends avec intérêt les conclusions des travaux de la commission Balladur.
Pendant des années, alors que la conjoncture économique était favorable, nous avons différé les réformes et renvoyé à plus tard l’ensemble des ajustements nécessaires.
M. Jean-Jacques Jégou. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aujourd'hui, profitons de cette crise pour engager nos réformes, car nos concitoyens les attendent. Je vous en prie, madame le ministre, monsieur le ministre, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations entre les collectivités territoriales et l’État doivent être régies selon les principes de responsabilité et de confiance. Nous prenons acte de cette double exigence exprimée par le Gouvernement.
Pour autant, les dispositions du projet de loi de finances pour 2009 relatives à nos communes, nos départements et nos régions ne me semblent pas traduire ces intentions louables.
Certes, dans un contexte économique plus qu’incertain, il peut paraître bien naturel de faire partager l’effort de maîtrise des dépenses publiques et de l’endettement public. Pour y parvenir, vous avez fait le choix, à l’article 10, d’appliquer aux concours financiers aux collectivités les contraintes que l’État s’applique prétendument à lui-même et ne respecte d’ailleurs jamais. Vous avez ainsi fixé le taux de progression de la DGF pour 2009 à 2 %, conformément au taux d’inflation prévisionnelle initialement fixé, et vous annoncez, eu égard à l’annonce d’une inflation prévisionnelle ramenée à 1,5 %, une progression de 800 millions d’euros supplémentaires. En réalité, cette option est beaucoup moins favorable que ne l’était le dispositif dicté par le « contrat de croissance et de solidarité ».
En effet, comme certains de mes collègues l’ont déjà souligné, vous intégrez le FCTVA au sein de l’enveloppe normée, conformément à l’article 6 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. Ce changement de périmètre modifie les règles du jeu et fausse naturellement les comparaisons.
Sans doute les modalités de calcul et de versement du FCTVA ne changent-elles pas, mais, comme ce dernier devrait continuer de progresser d’environ 10 %, cela pénalisera les dotations de fonctionnement qui seront ajustées en conséquence. Cette modification risque de décourager – nous le redoutons en tout cas –, les investissements publics locaux, qui représentent pratiquement 75 % des investissements de la nation, ainsi que l’ont également souligné, à juste titre, les orateurs qui m’ont précédé.
Le FCTVA est une créance de l’État à l’égard des collectivités locales qui ne doit pas servir de prétexte à la raréfaction de leurs ressources. Une nouvelle fois, les collectivités sont étranglées, alors qu’elles supportent, sans mot dire, les nouvelles compétences qui leur sont déléguées par l’État dans le cadre des réformes successives de la décentralisation. Non seulement elles les supportent, mais elles les mettent en application de la meilleure des manières possible.
Les élus ne cherchent pas à dépenser pour dépenser. Ils souhaitent avant tout pouvoir faire face à leurs charges, qui augmentent alors que leurs moyens sont régulièrement rabotés. Or les transferts liés à la décentralisation, nous le savons tous – notamment ceux d’entre nous qui exercent des responsabilités locales –, ne sont pas neutres, contrairement à ce qui avait été promis et même garanti par l’article 72-2 de la Constitution ainsi que par la loi organique du 29 juillet 2004.
Ainsi, les dépenses réalisées par les départements au titre de la gestion du RMI-RMA sont passées de 6,3 milliards d’euros à 7,3 milliards d’euros entre 2004 et 2007, soit une hausse de 15 %. Je rappelle d’ailleurs à ce sujet que nous sommes bien loin de la compensation « à l’euro près » garantie par le ministre de l’époque, M. Copé.
De la même manière, les dépenses liées à l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, progressent, sous l’effet du vieillissement de la population, de 8 % par an, ce qui pose le problème de la récupération sur succession, dont il faudra bien se saisir un jour.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. Que n’a-t-on entendu, en 2002, lorsque le Gouvernement a annoncé, au moment de la création de l’APA, un partage de sa prise en charge financière à hauteur de 50 % pour l’État et de 50 % pour les collectivités ? Aujourd'hui, les départements financent cette aide à 70 %, contre 30 % pour l’État !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n’est pas normal !
M. Jean-Michel Baylet. Non, ce n’est pas normal, et il faut le rappeler de temps en temps parce que l’on montre du doigt les collectivités alors qu’elles essaient de faire pour le mieux. Globalement, dans leur diversité, elles ne font pas si mal que cela, et heureusement qu’elles sont là !
À ces postes incompressibles, voire extensibles, s’ajoute l’impact financier des lois et règlements.
En effet, même s’il ne s’agit parfois que de quelques centaines de milliers d’euros, les conséquences du cumul de normes qui ont des incidences financières sur les collectivités méritent d’être mieux évaluées. Notre collègue Jean-Pierre Fourcade a donné tout à l'heure quelques exemples en la matière.
Grâce notre collègue Alain Lambert, la commission consultative d’évaluation des normes vient enfin de voir le jour. Il serait, à mes yeux, souhaitable qu’elle étende systématiquement sa compétence à l’évaluation préalable des textes législatifs. En effet, si la commission a la possibilité de mener une telle évaluation, elle n’en a pas l’obligation, et c’est bien dommage.
Nous sommes bien placés, en tant que législateur, pour savoir que de nombreuses lois adoptées ont un impact sur les finances locales. Pour ne prendre que des exemples récents, je citerai la loi de modernisation de l’économie ou la loi relative aux archives.
J’ajouterai que, même lorsque l’État prévoit la compensation financière, comme c’est le cas pour le RSA, qui va être très prochainement institué, une évaluation du supplément de charges qui en résulte pour les collectivités locales serait la bienvenue.
Madame le ministre, monsieur le ministre, les collectivités locales ont besoin de visibilité, surtout quand vous les mettez sous pression avec l’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation prévisionnelle.
Dans cette logique d’accroissement des charges parallèle à une restriction des ressources, vous allez une fois de plus encourager une augmentation de la pression fiscale locale que certains de vos collègues ou de vos amis politiques ne manqueront pas de dénoncer ensuite. Pourtant, pour beaucoup d’entre nous, quel autre choix que celui d’augmenter les impôts locaux quand l’État demande toujours plus sans contrepartie ? C’est sur les ménages que pèsera in fine votre politique fiscale.
Le plafonnement de la taxe professionnelle, qui restreint déjà les budgets, conduira à se tourner vers la taxe d’habitation ou l’impôt sur le foncier non bâti. Que se passera-t-il d’ailleurs si le projet de suppression totale de la taxe professionnelle voit finalement le jour ? Ce n’est pas le débat du moment, mais je me demande tout de même comment nous pourrons faire, et comment le Gouvernement, quelle que soit son inventivité, expliquera aux collectivités territoriales ce qu’elles doivent faire pour financer leurs dépenses, particulièrement dans la conjoncture actuelle, en se passant des recettes de taxe professionnelle !
Une fois encore, les plus modestes seront mis à contribution. Les collectivités locales participent ainsi, malgré elles, j’y insiste, à la politique d’injustice fiscale de l’État.
En outre, le principe de libre administration des collectivités est menacé parce que ces choix fiscaux nous sont imposés.
Dans ces conditions, madame le ministre, monsieur le ministre, les radicaux de gauche n’approuveront pas les dispositions du projet de loi de finances pour 2009. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé.
M. Edmond Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est précisément parce que, tout comme le M. le président de la commission des finances, nous sommes attachés à la solidarité nationale et institutionnelle que nous estimons que le projet de loi de finances pour 2009 présente un défaut majeur en ce qui concerne les ressources des collectivités territoriales : il restreint leur capacité financière et limite l’investissement local, alors même que celui-ci est le principal vecteur de la croissance.
Une telle orientation ne peut donc qu’aggraver la crise économique et sociale qui frappe notre pays.
Ajoutez-y une politique d’annonces telle que les élus territoriaux ne savent pas aujourd’hui de quoi demain sera fait et vous avez un ensemble de facteurs particulièrement néfastes à notre économie en particulier et à notre société en général.
Madame la ministre, les principales mesures de restriction budgétaire que vous imposez aux collectivités territoriales sont bien connues. Je pense à la baisse de la dotation globale de fonctionnement, à l’intention que vous avez eue de réformer la dotation de solidarité urbaine, au nouveau régime de la taxe professionnelle, au défaut de péréquation, à l’insuffisance des modulations en matière d’environnement et de développement durable, aux transferts non compensés. Sans entrer dans le détail des chiffres, je crois me rappeler que, selon les calculs du Comité des finances locales, ce sont quelque 25 milliards d’euros qui, globalement, manqueraient depuis 2004.
Il y a aussi le fameux débat relatif au FCTVA. J’ai à l’instant entendu M. le ministre déclarer qu’il ne fallait plus parler d’enveloppe normée mais d’un « ensemble » progressant de 2 %. Je prends acte de ce changement de vocabulaire.
Monsieur le rapporteur général, quel que soit le respect que j’ai pour votre personne et pour vos fonctions, je ne puis accepter l’explication que vous avez donnée – et je vous ai écouté très attentivement. Le régime qui nous est proposé pénalise les collectivités territoriales et les établissements publics qui investissent. Par voie de conséquence, il allège également les contributions de l’État. Bien sûr, je peux me tromper, mais je souhaite que nous ayons, sur ce point, un débat de fond, un débat qui ne soit pas académique mais chiffré, preuves à l’appui. Je vous en remercie à l’avance.
Les différentes mesures que je viens d’évoquer viennent restreindre notre capacité budgétaire dans un contexte difficile : le ralentissement de l’activité économique va peser sur les rentrées fiscales, avec un décalage de deux ans s’agissant de la taxe professionnelle. Parallèlement, la demande de solidarité sociale sera beaucoup plus pressante du fait, malheureusement, de la croissance du chômage et des conséquences, de plus en plus lourdes financièrement, du transfert des compétences sociales, en particulier vers les départements.
Le dernier rapport d’information de la délégation du Sénat pour la planification, daté de ce mois de novembre, pose, dans le langage fort courtois qui est le sien, la question : la baisse programmée des moyens n’est-elle pas incompatible, dans toute son ampleur, avec le maintien des missions des collectivités locales ? Vos choix privent celles-ci des mesures nécessaires pour satisfaire les besoins de la population, relancer notre économie et favoriser l’emploi.
Voici ce qu’on peut lire à la page 27 du dernier numéro paru de la sage revue Sénat et Territoires : « Au regard de la crise financière et économique, l’accent pourrait être mis sur l’investissement public local qui représente 73 % de l’investissement public civil en 2007, son rôle moteur dans l’économie locale est indéniable. » Au lieu d’« économie locale », l’auteur aurait pu, sans se tromper, parler de l’économie en général.
Vous n’avez pas choisi la voie de la relance économique et vous avez donc ignoré le rôle possible de nos collectivités territoriales. Or, si l’on sait leur en donner la possibilité, elles jouent un rôle déterminant par leur capacité de commande directe et indirecte.
Vous connaissez tout aussi bien que moi la diversité des marchés conclus par les collectivités territoriales : marchés de fournitures, de prestations de services, de travaux. Ces commandes correspondent à d’authentiques besoins, à une diversité d’activités et donc d’entreprises. Beaucoup d’entre elles ont un effet immédiat et présentent une importante capacité d’entraînement de l’activité dans le temps et dans l’espace.
Cet appel au soutien du dynamisme économique de nos collectivités territoriales vaut tout aussi bien pour les actions relatives à l’aménagement, à l’équipement, à l’environnement, au logement, au transport, aux nouvelles technologies, à l’enseignement, à la formation, à la maîtrise du foncier, que pour ces solidarités sociales et culturelles que plusieurs orateurs ont évoquées avant moi.
Si nous plaidons pour une relation entre l’État et les collectivités territoriales qui soit active, créatrice, solidaire, durable et aussi, madame la ministre, confiante – car, aujourd’hui, de fait, nous constatons un divorce –, c’est parce que nos collectivités territoriales apportent chaque jour la preuve de leur responsabilité et de leur engagement.
Elles accomplissent quotidiennement de grands efforts de modernisation, parfois à rebours de l’opinion. C’est l’honneur des responsables locaux que de le faire.
Elles sont également très peu endettées et très généralement fort bien gérées.
Les uns et les autres, nous devrions continuer de nous inspirer d’une conduite locale aussi exemplaire !
Elles disposent en outre d’un personnel politique respecté et d’une administration de qualité qui n’a rien à envier aux anciens élèves des grandes écoles, que j’admire et que je respecte. Vous le savez d’autant mieux, madame la ministre, qu’il n’existe pas un seul secteur dans lequel l’État ne cherche leur concours, y compris dans ces domaines régaliens par excellence que sont la défense, la sécurité ou les relations internationales.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons besoin d’une clarté qui fait aujourd’hui défaut. Je me contenterai d’évoquer trois exemples.
La révision générale des politiques publiques, fondée sur un objectif essentiellement financier, prive brutalement, sans concertation, nos collectivités de services essentiels de conseil, d’expertise, de sécurité juridique, économique et comptable. Pourtant, il faudra bien, mes chers collègues, que ces fonctions soient exercées. Ne partez donc pas en guerre, madame la ministre, contre la dépense locale de fonctionnement.
S’agissant de la fiscalité locale, je reconnais que vos prédécesseurs n’ont pas de leçons à vous donner, mais ce n’est pas une raison pour marcher dans leurs pas. N’ayant jamais varié sur ce sujet et ayant toujours regretté un manque de courage en la matière, je suis de ceux qui estiment qu’il est temps qu’une volonté politique réfléchie et, si possible, partagée se prononce très clairement en faveur d’un système fiscal local moderne, juste, efficace, s’appuyant sur une péréquation appropriée, verticale et horizontale.
Je vous ai écouté sur ce point, monsieur le rapporteur général. Je suis d’accord avec vous lorsque vous affirmez et définissez l’autonomie fiscale. Celle-ci ne doit être confondue ni avec l’autonomie financière, ni avec l’autonomie budgétaire, ni, surtout, avec l’autonomie de gestion. (M. le rapporteur général acquiesce.)
Ces différents concepts vont de pair et cela doit être formulé dans un cadre national, au nom, précisément, de la cohérence et de la solidarité.
Encore faut-il, mes chers collègues, que l’on ne dénigre pas systématiquement l’impôt, que l’on arrête de dire un jour que l’on supprime la taxe professionnelle pour annoncer le lendemain qu’on va la réformer. Nous avons bien souvent constaté de tels revirements.
Il n’y aura pas dans ce pays de politique d’équipement territorial digne de ce nom sans un impôt économique moderne. Il n’y aura pas non plus de services locaux actifs et justes sans un impôt juste, fondé sur la réelle capacité contributive des ménages. C’est parce que nous avons bien souvent oublié ce principe essentiel que nous subissons la crise que chacun sait.
Madame la ministre, mes chers collègues, le magasin des instruments de la réforme fiscale locale déborde de lois. Souvenez-vous : en 1978, le Parlement avait adopté une loi qui fondait la taxe professionnelle sur la valeur ajoutée. Ce n’est donc pas la première fois, monsieur le rapporteur général, qu’une loi votée par le Parlement est mise entre parenthèses.
J’ai souvenance, monsieur Fourcade, d’une loi relative à la taxe départementale sur le revenu. Elle fut tout aussi inappliquée, même si le Parlement fut respecté puisqu’un amendement avait été adopté. (M. Jean-Pierre Fourcade acquiesce.) Cela n’avait pas été le cas lors de l’examen de la loi de 1978.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mon cher collègue, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Edmond Hervé. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l’autorisation de l’orateur.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous vous livrez, monsieur Hervé, à un historique extrêmement intéressant, mais je crois qu’il serait bon de se souvenir aussi de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, en 1998.
Je me rappelle avoir alors entendu M. Fourcade déclarer qu’on commençait à « détricoter » la taxe professionnelle. Je crois qu’il anticipait ainsi de manière tout à fait judicieuse.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Hervé.
M. Edmond Hervé. Acceptez, monsieur le rapporteur général, que je vous réponde en invoquant le principe de coresponsabilité. En effet, tous les gouvernements successifs, quelle que soit leur sensibilité, ont « détricoté » la taxe professionnelle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Edmond Hervé. Si le Parlement ne réagit pas, vous n’aurez plus besoin de débattre d’un système fiscal local, car nous aurons un système de dotations,…
M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est le risque !
M. Edmond Hervé. …qui n’est d’ailleurs pas anti-démocratique – la Grande-Bretagne le pratique –, mais…
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais ce n’est pas l’autonomie fiscale.
M. Edmond Hervé. …ce n’est effectivement pas l’autonomie fiscale.
Aussi, sans transformer notre assemblée en académie, il importe de nous mettre d’accord sur les concepts.
Enfin, la réforme de l’organisation des collectivités territoriales constitue un troisième élément d’incertitude.
Je saisis cette occasion pour saluer l’excellent esprit qui règne au sein de la mission temporaire consacrée à ce thème et présidée par notre collègue Claude Belot.
Les incertitudes d’existence, les interrogations sur le devenir ne favorisent pas l’allant.
Pour la loyauté du dialogue, commençons par reconnaître la spécificité française : elle réside dans l’existence de nos 36 568 communes et non dans la trilogie région-département-commune, trilogie que nous partageons notamment avec l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Pologne.
Aucune grande politique ne peut réussir sans le ciment de la confiance et de la solidarité entre l’État et les collectivités territoriales.
Lorsqu’on aborde la réforme des collectivités territoriales, qui est aussi la réforme de l’État, ne pensons pas qu’un systématisme théorique réglera tout.
Comment voulez-vous conjuguer le système des blocs de compétences homogènes avec, d’une part, le système des relations contractuelles et, d’autre part, le principe selon lequel aucune collectivité ne peut imposer une tutelle sur une autre ?
Nous avons entre nous des points de vue différents sur la notion de décentralisation.
Ne croyez pas au succès d’une politique qui ferait l’impasse sur la décentralisation. Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne sommes plus au temps de la « décentralisation transfert », cousine de la déconcentration. Nous sommes au temps de la « décentralisation projet », de la « décentralisation développement », mobilisatrice des compétences, des intelligences et des ressources, partenariale, contractuelle et territorialisée, comme toutes les grandes politiques publiques. Il n’y a pas une seule politique de l’État qui ne fasse appel aux collectivités territoriales.
Je pourrais trouver un début de preuve de ce que j’affirme dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, qui précise in fine qu’il faut réduire la croissance des dépenses publiques et que les deux tiers de cette réduction doivent reposer sur la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Or même le rapporteur général, M. Philippe Marini, juge « irréaliste » cet objectif pour ce qui concerne les collectivités territoriales.
Une politique de relance générale est une exigence économique, sociale et territoriale. Si elle doit emprunter différentes voies, celle de l’implication volontaire, confiante, contractuelle et soutenue des collectivités territoriales demeure impérative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Jacques Jégou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, oui, le pays doit engager des réformes en profondeur ! Oui, le pays doit assainir ses finances publiques ! Oui, cette tâche est difficile, surtout quand ces politiques se télescopent avec une crise financière mondiale, dont les répercussions sur l’économie réelle seront, je le crains, très dures !
Un plan de relance nous sera d’ailleurs proposé dans quelques semaines, probablement en janvier prochain, par le Président de la République.
Bien sûr, les collectivités locales, qui représentent 75 % des investissements publics en France, doivent être des partenaires de ce plan de relance. Mais elles ne peuvent l’être que si l’État a la volonté de les associer en toute confiance.
Vous le savez bien, madame le ministre, l’autonomie financière des collectivités locales se réduit aujourd’hui comme peau de chagrin. L’État leur verse à l’heure actuelle 64 % de leurs recettes de fonctionnement, contre 50 % il y a quinze ans.
Alors que les dotations et les compensations sont de plus en plus importantes, leur indexation sera limitée cette année à 2 %, ce qui représente, il est vrai, 0,5 % de plus que l’inflation. Cependant, face à l’augmentation des dépenses de fonctionnement, il ne s’agit pas d’un geste exceptionnel en faveur des collectivités locales. Celles-ci sont en effet confrontées à une crise immobilière qui va limiter les droits de mutation, à des taux d’intérêt plus élevés et à des dépenses sociales en hausse.
L’équation budgétaire devient donc de plus en plus difficile pour les collectivités locales.
Madame le ministre, alors que l’environnement économique vient d’évoluer avec la crise financière mondiale et qu’un plan de relance s’avère nécessaire, fallait-il créer ce climat d’incompréhension avec les collectivités locales, en intégrant le remboursement de la TVA dans l’enveloppe normée ?
Je souhaite insister ici sur la nécessaire sortie du FCTVA, le fonds de compensation pour la TVA, du périmètre de l’enveloppe normée.
Son dynamisme est tel – il augmentera de 13 % en 2009 – que la progression du remboursement de cette fiscalité représentera plus de la moitié de l’évolution des transferts financiers vers les collectivités et, donc, pénalisera les autres dotations à hauteur d’environ 660 millions d’euros.
Cette moindre capacité d’investissement sera évidemment très dommageable à nos collectivités, tout comme aux entreprises qui réalisent ces investissements, donc à l’économie tout entière et à l’emploi.
Par ailleurs, il nous semble que ce remboursement devrait faire l’objet d’un traitement particulier : plus les collectivités investissent, plus elles versent de TVA à l’État. Il ne s’agit donc ni d’une subvention, ni d’une dotation globale, ni d’une dotation particulière, il s’agit du remboursement d’une taxe, comme c’est le cas pour les entreprises.
D’autres questions viennent aussi interférer avec le ralentissement de la progression des crédits. Par exemple, au moment où nous allons voter des budgets pour l’année 2009, comment concilier cette situation avec les mesures destinées à atténuer l’effet de la prise en compte du recensement de 2006 ?
Indépendamment de l’évolution de la dotation globale de fonctionnement, la baisse ou la stabilisation de nombreuses dotations est également très dommageable. Je pense notamment à la dotation globale d’équipement des communes – 485 millions d’euros –, à la dotation de développement rural – 131 millions d’euros –, à la compensation de la part « salaires » de la taxe professionnelle et à la compensation des pertes de base d’imposition à la taxe professionnelle – 264 millions d’euros au total – qui resteraient également stables.
L’avenir est donc incertain, et il est important de le sécuriser.
J’évoquais au début de mon propos les relations que l’État doit entretenir avec les collectivités, ce qui sous-entend que celui-ci doit leur laisser une réelle liberté pour réaliser leurs missions.
Le partenariat entre l’État et les collectivités doit alors être fondé sur la clarté et la confiance réciproque. Outre une transparence améliorée lors des transferts de compétence, il est nécessaire d’établir des relations financières justes, s’inscrivant dans des perspectives pluriannuelles juridiquement et économiquement plus sûres.
Madame le ministre, plutôt que de transférer la TVA dans l’enveloppe normée, j’aurais proposé que les collectivités soient associées, en toute confiance, au plan de relance et que, pendant trois ans, la TVA soit remboursée dans l’année même de réalisation des travaux.
Dans le cadre de ce nécessaire plan de relance, je serais même allé plus loin, parce que je suis convaincu que les réformes de structure nécessaires pour assainir les finances de l’État ne sont plus aujourd’hui les uniques remèdes : il nous faut organiser et activer la relance, en lui apportant un peu d’oxygène. C’est pourquoi j’aurais également proposé un prêt bonifié de la Caisse des dépôts et consignations aux collectivités qui s’engagent dans des investissements porteurs de développement durable, d’éducation et d’innovation. Je pense, entre autres éléments, aux équipements informatiques des écoles et des collèges.
On évoque par ailleurs le « millefeuille » français et, surtout, sa simplification. Les différentes commissions mises en place, notamment sur ce sujet, sont les bienvenues. Au-delà du nécessaire travail de clarification de l’organisation, c’est une question de finances publiques et, surtout, d’efficacité de la dépense qui est en jeu. Une telle simplification s’inscrit naturellement dans la révision générale des politiques publiques. Il faut mener cette réflexion à son terme.
En outre, le Président de la République a récemment annoncé que tout nouvel investissement réalisé à partir du 23 octobre dernier serait exonéré à 100 % de la taxe professionnelle jusqu’au 1er janvier 2010. Là encore, il est nécessaire non seulement de compenser cette exonération, mais également de prévoir une réforme en profondeur de la taxe professionnelle. Naturellement, elle doit être menée de concert avec l’ensemble des acteurs.
Madame le ministre, j’ai volontairement tenu des propos réalistes et empreints d’une certaine inquiétude. Les citoyens font confiance à leurs élus locaux, parce ceux-ci sont proches d’eux et à leur écoute. Les collectivités jouent ainsi un rôle de pivot relationnel entre l’État et les citoyens, d’interface entre ces deux mondes. Elles nouent avec eux des liens parfois tendus, souvent efficaces, mais toujours indispensables. Alors, respectez-les et faites attention à elles ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste. – MM. Jean-Pierre Fourcade et Adrien Gouteyron applaudissent également.)