M. le président. L'amendement n° I-177, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 200 A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la fin du 2, le taux : « 18 % » est remplacé par le taux : « 20 % » ;
2° Dans le 5, le taux : « 22,5 % » est remplacé par le taux : « 30 % » ;
3° Dans le 6, le montant : « 152 500 euros » est remplacé par le montant : « 50 000 euros » ;
4° Les trois derniers alinéas sont supprimés ;
5° À la fin du premier alinéa du 6 bis, le taux : « 30 % » est remplacé par le taux : « 40 % » ;
6° Le 7 est supprimé.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Cet amendement tend à réviser les règles d’imposition des revenus de capitaux mobiliers.
D’une manière générale, nous souhaitons procéder au relèvement du taux des prélèvements libératoires actuellement mis en œuvre sur option, qui constituent l’une des sources d’alimentation des recettes de l’impôt sur le revenu.
Notre amendement tend notamment à harmoniser le traitement fiscal des revenus catégoriels, à améliorer le rendement de l’impôt et à mettre à la disposition du budget général des ressources nouvelles, et ce en vue d’une réduction du déficit et du financement de nouvelles dépenses.
Il prévoit trois mesures.
Tout d’abord, il vise à augmenter le taux d’imposition des plus-values, avec une hausse de deux points, ce qui, sur la base de 14 milliards d’euros de revenus déclarés, conduira à accroître d’environ 300 millions d’euros le produit de l’impôt.
Par ailleurs, il tend à porter à 30 % le taux de taxation des produits tirés de cessions anticipées de titres centralisés sur un plan d’épargne en actions, un PEA.
Enfin, il a pour objet de modifier le traitement fiscal des stock-options, forme de rémunération dont le coût fiscal demeure pour le moment assez réduit. En effet, le dispositif qui leur est applicable est relativement peu utilisé. En 2006, seuls un peu plus de 2 300 contribuables ont demandé à en bénéficier, pour un montant – tout de même ! – de 100 millions d’euros.
Le gain moyen réalisé par les contribuables concernés n’est pas négligeable puisqu’il atteint 37 600 euros pour les plus-values de court terme, près de 50 300 euros pour celles de moyen terme et près de 42 000 euros pour celles de long terme.
Avec la prise en compte des plus-values réalisées par les conjoints, les moyennes sont relevées d’environ 10 %, c'est-à-dire de près de 40 000 euros, de 54 000 euros et de 45 000 euros respectivement, mais elles peuvent être nettement supérieures, même si c’est évidemment au cas par cas.
Nous sommes donc parfaitement fondés à demander un relèvement sensible de la taxation de ces plus-values, qui est pratiquement nulle compte tenu de l’actuel plafond.
Cela passe singulièrement par un abaissement du plafond d’imposition, que nous proposons de ramener à 50 000 euros de plus-value annuelle, afin de taxer un nombre de contribuables plus important qu’aujourd’hui.
Je le souligne, un taux de taxation de 30 % sur une somme de 50 000 euros, quand le taux marginal est de 40 %, signifie que les détenteurs de stock-options économisent 5 000 euros par rapport au montant qu’ils devraient acquitter si cette forme de rémunération était intégrée dans l’assiette du revenu imposable.
L’adoption de l’amendement n° I-177 pourrait inciter les contribuables concernés à ne pas recourir au dispositif spécifique et à opter pour une taxation normale de leurs revenus selon les barèmes de l’impôt.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le dispositif que cet amendement vise à mettre en place ne paraît pas réaliste et il est contraire aux convictions économiques et aux souhaits en matière de stratégie fiscale de la majorité de la commission.
Au demeurant, aujourd'hui, il y a peu de transactions et très peu de plus-values. Cet amendement me semble donc être en léger décalage. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission et émet un avis défavorable sur cet amendement. Il est important d’adresser des signaux positifs aux personnes qui souhaitent investir en actions.
M. le président. L'amendement n° I-178, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le premier alinéa de l'article 200 B du code général des impôts, le taux : « 16 % » est remplacée par le taux : « 20 % ».
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement s’inscrit dans la même perspective que l’amendement n° I-177. Il s’agit de procéder à l’ajustement du taux d’imposition de l’ensemble des plus-values de cession de biens mobiliers ou immobiliers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement appelle les mêmes observations que l’amendement n° I-177, et l’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-178.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2 bis
L’article 80 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sont également imposées comme des traitements et salaires les indemnités, au-delà de six fois le plafond de la sécurité sociale, perçues au titre du préjudice moral sur décision de justice. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, sur l'article.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 2 bis a été introduit par l’Assemblée nationale dans le présent projet de loi de finances à la suite de l’adoption d’un amendement déposé par notre collègue Charles de Courson.
Il s’agit de fiscaliser les indemnités que le tribunal a accordées à M. Bernard Tapie dans une affaire ayant défrayé la chronique à de multiples reprises, celle du Crédit Lyonnais.
J’ai autrefois siégé à l’Assemblée nationale, et j’ai alors pu constater que M. Charles de Courson était particulièrement sensibilisé par cette affaire. Il a d’ailleurs été désigné par l’Assemblée nationale comme membre titulaire au conseil d’administration de l’Établissement public de financement et de restructuration, l’EPFR, l’organisme chargé de récupérer l’ensemble des actifs du Crédit Lyonnais au moment où celui-ci a connu autant de difficultés. Lorsqu’on tirera un trait sur cette affaire, on s’apercevra qu’elle aura tout de même coûté une certaine somme aux contribuables français.
La décision prise récemment par le tribunal arbitral, qui s’est traduite par le versement à M. Tapie d’une indemnité suffisamment importante pour émouvoir l’opinion, et ce indépendamment du fond de l’affaire, a amené M. de Courson à proposer la création de ce nouvel article, qui a convaincu l’Assemblée nationale et, semble-t-il, le Gouvernement puisqu’il n’y a pas eu de seconde délibération sur ce point.
Dans la mesure où un amendement déposé par la commission des finances concerne la fiscalisation de ces indemnités – M. le rapporteur général expliquera au Sénat les tenants et les aboutissements du débat –, je me bornerai à poser une simple question.
M. Tapie s’est vu accorder une indemnité qui avoisine tout de même 400 millions d’euros. Or, pendant un certain nombre d’années, il a accumulé des dettes fiscales, et certains flous subsistent sur ses déclarations, ce qui pourrait conduire les services fiscaux à le condamner au versement d’amendes et d’intérêts de retard. J’aimerais donc savoir si ces derniers sont compris dans les sommes que M. Tapie doit restituer au fisc, et, en d’autres termes, si le Trésor a bien fait valoir ses droits ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Sur ce point particulier, force est de constater un déséquilibre dans les relations entre l'État et M. Tapie.
D’un côté, le groupe Tapie a été amené à déposer le bilan de la plupart de ses entreprises. À l’exception d’Adidas qui était sorti du groupe, pratiquement toutes les autres sociétés ont terminé devant une juridiction commerciale. On a constaté une dette du groupe d’environ 200 millions d'euros à l’égard du Consortium de réalisation, dette qui a été figée en 1995. Or, depuis lors, cette dette est gelée, et donc non productive d’intérêt.
De l’autre côté, Bernard Tapie se voit aujourd'hui attribuer une indemnité qui fait l’objet d’une actualisation, assortie d’intérêts.
Je ne crois pas que l’on puisse juridiquement faire grand-chose. C’est cette situation fondamentalement déséquilibrée qui suscite l’incompréhension.
Dans ces conditions, comment peut-on proclamer devant l’opinion publique que le droit est respectueux des personnes et de l’équité ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais dire un mot au sujet de cet article 2 bis issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Je le ferai, en ce qui me concerne, sans haine et sans passion, sauf pour la République, en faisant bien entendu abstraction, comme nous devons le faire, des relations que peuvent avoir les uns et les autres avec la personne visée.
Cette disposition me paraît contraire à la Constitution et aux principes de la République pour quatre raisons.
En premier lieu, c’est une disposition manifestement personnelle, visant une personne bien précise. À l’instant, notre collègue et ami Jean-Jacques Jégou a d’ailleurs cité d’emblée le nom de Bernard Tapie.
Mes chers collègues, sauf dans les périodes troublées, notamment au lendemain de la Libération, lorsque le législateur a prononcé la confiscation des entreprises qui avaient trahi – Renault, par exemple – ou de plusieurs journaux et entreprises de presse, aucune mesure individuelle, encore moins une sanction, n’a été prise par la loi en temps de paix, à l’exception de celle, traditionnelle, qui veut que, à leur mort, on exonère, s’il y a lieu, la succession des anciens présidents de la République. Aucune !
Il est contraire à la vocation et au sens de la loi depuis 1789 – et ce n’est pas à l’éminent juriste que vous êtes, monsieur le président, que je ferai la leçon sur ce plan – de viser individuellement les personnes, même indirectement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Michel Charasse. Un seul cas, que j’oubliais, s’est produit en 1960, lorsque le Parlement s’en est pris à Marcel Dassault pour instituer un prélèvement exceptionnel sur les bénéfices de la force de frappe, disposition qui n’a jamais pu techniquement être vraiment mise en œuvre et qu’on a fini par abroger. Oublions ces souvenirs qui ne sont pas très glorieux !
En deuxième lieu, cette disposition est contraire au principe de la séparation des pouvoirs en tant qu’elle remet en cause la chose jugée. Si nous acceptons de nous engager dans cette voie, nous serons condamnés demain à adopter d’autres textes, d’autres lois, pour revenir sur la chose jugée lorsqu’elle ne nous plaira pas, sans parler des indemnités versées en réparation de préjudice par décision de tribunaux, que nous considérerons avoir le droit de contester et de remettre en cause d’une manière ou d’une autre si le chiffre ou le bénéficiaire nous déplaît.
En troisième lieu, dans le cas qui nous occupe, quoi que l’on pense du fond, quel que soit l’angle sous lequel on considère le dossier litigieux, l’indemnité qui a été accordée est la réparation d’un préjudice, c’est-à-dire un élément de patrimoine, et, vous le savez, mes chers collègues, le patrimoine n’est pas toujours matériel, il peut être immatériel, moral par exemple.
Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, reprise par tous les textes sacrés de la République et par le droit européen, interdit toute expropriation sans indemnisation juste et préalable. De ce point de vue-là, le dispositif de l’article 2 représente une forme d’expropriation par le biais de l’impôt.
Enfin, en quatrième lieu, se pose le problème de la rétroactivité. Dans la mesure où cette disposition, même si elle est fiscale, a été présentée à l’Assemblée nationale – comme elle risque de l’être ici – comme une véritable sanction, elle ne peut, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les sanctions ou les quasi-sanctions en matière fiscale, être rétroactive sans violer la Constitution.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, j’ai été pour ma part profondément malheureux de constater que le Parlement de la République pouvait s’engager dans cette voie. En réalité, dans cette affaire, nous ne faisons pas du droit, nous ne faisons pas de la fiscalité, nous n’essayons pas d’apporter au budget de l’État un certain nombre de ressources : nous votons la sanction du pécheur et du péché ! Celui qui a péché un jour est promis au feu éternel, et, même s’il a payé, même s’il a fait de la prison, même s’il a été sanctionné, peu importe ! On le poursuivra jusqu’à la fin de ses jours…
Ce n’est pas une démarche républicaine, ce n’est pas une démarche laïque, c’est la démarche des intégrismes religieux, même si nos collègues n’ont pas forcément voulu cela ! Et dans la République, c’est particulièrement odieux !
Alors, on a évoqué l’opinion publique. Ah, mes chers collègues, parlons de l’opinion publique !
Elle a largement présidé aux débats de la Révolution et des débuts de la République. C’est elle qui hurlait pour envoyer à l’échafaud, qui criait « à mort ! », qui soutenait Fouquier-Tinville ! Voilà l’opinion publique ! Et l’opinion publique n’est jamais à une vengeance près !
Mais nous ne sommes pas le bras armé de la vengeance. (M. Jean Desessard s’esclaffe) Nous sommes le bras armé de la loi, laquelle doit être égale pour tous et respecter les principes sacrés de notre société démocratique.
Pour ces motifs, monsieur le président, je voterai l’amendement n° I-1 de la commission des finances visant à supprimer l’article 2 bis. C’est une position républicaine, quelle que soit, je le redis, le fond du dossier qui, au cas particulier, ne m’intéresse pas. Je pense que ce serait, de la part du Sénat, un acte salutaire que de rappeler à l’ordre dans ce domaine, en indiquant que le Parlement ne peut pas se livrer ainsi, à la petite semaine, sous prétexte que l’on braille ici ou là, à une petite vengeance minable et indigne de lui ! (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-1, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. L’amendement que j’ai l’honneur de présenter au nom de la commission des finances vise à supprimer l’article 2 bis.
Cet article dispose ceci : « Sont également imposées comme des traitements et salaires les indemnités, au-delà de six fois le plafond de la sécurité sociale, perçues au titre du préjudice moral sur décision de justice ».
Cet article exprime donc un principe général à partir d’un cas particulier.
Or il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation – constante depuis près d’un siècle ! – que les indemnités versées au titre de dommages et intérêts pour un préjudice non économique n’entrent pas dans le champ d’application de l’impôt sur le revenu. C’est une jurisprudence aussi ancienne que l’impôt sur le revenu.
Qu’est-ce qu’un préjudice non économique ? C’est un préjudice reconnu par un tribunal pour pallier non pas une perte d’argent, mais un préjudice de caractère moral, …
M. Michel Charasse. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. … qu’il s’agisse de la notoriété ou des capacités d’une personne.
Je peux d’ailleurs vous citer d’autres exemples de préjudice non patrimonial. Ainsi, les victimes d’accident grave touchent des indemnités plus ou moins importantes au titre du préjudice moral,…
M. Michel Charasse. Pretium doloris !
M. Philippe Marini, rapporteur général. …indemnités qu’il n’est jusqu’ici venu à l’esprit de personne de fiscaliser. Par exemple, lors du décès accidentel d’un adolescent, les parents se voient allouer des sommes importantes par les tribunaux à la charge du ou des responsables de l’accident.
Mme Nathalie Goulet. Les sommes ne sont pas assez importantes !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Toutes sortes d’exemples de jurisprudence de cette nature peuvent comporter des indemnités allouées d’un montant largement supérieur à 200 000 euros.
Au demeurant, des indemnités de ce type susceptibles d’être allouées par les tribunaux ne se limitent pas à des suites d’accident ou de violences physiques. Des lésions morales peuvent être infligées à telle ou telle personne, par exemple en cas de mauvaise exécution d’un contrat, de mauvaise foi.
Mme Nathalie Goulet. De diffamation !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On pourrait citer toute une série d’exemples de paroles non tenues, d’escroqueries ayant causé un dommage matériel, mais aussi immatériel.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans de tels cas, les cours et tribunaux sont en droit de fixer des indemnités pour préjudice moral.
En l’occurrence, il s’agit bien de cela, et non pas de M. Tapie et d’une espèce particulière.
Il faut donc se référer aux principes du droit, et telle a été notre démarche au sein de la commission des finances du Sénat. En effet, nous ne voulons en rien interférer dans les suites d’un contentieux. Dans le cadre de ce débat, nous n’avons aucune opinion à exprimer sur ce contentieux, sur le recours à l’arbitrage, sur la sentence, ses motivations, son dispositif. Là n’est pas notre rôle !
D’ailleurs, si nous le faisions, nous porterions tout simplement atteinte à la séparation des pouvoirs, et nous nous placerions hors de l’ordre constitutionnel.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous ne pouvons donc être que les gardiens d’un principe du droit : un préjudice moral ne doit pas faire l’objet d’une imposition au titre de l’impôt sur le revenu.
Au demeurant, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler que la personne dont le nom a été cité et qui est dans l’esprit de chacun doit probablement être assujettie à l’impôt sur le patrimoine et que, à ce titre, l’intégralité de la somme qui lui aura été attribuée figurera dans son actif. C’est là un élément qu’il me paraissait nécessaire de préciser pour être tout à fait complet sur l’application des principes de la fiscalité et du droit.
Par ailleurs, il me paraît inutile de rappeler les éléments d’ordre constitutionnel qui ont été mis en évidence avec précision et éloquence par notre collègue Michel Charasse.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des finances préconise la suppression de l’article 2 bis.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. L'amendement n° I-122, présenté par MM. Détraigne, Maurey et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par les mots :
, à l'exception de celles perçues au titre d'une atteinte corporelle consécutive à un accident ou à un attentat
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. M. le rapporteur général a souligné à l’instant que personne jusqu’ici n’avait imaginé de fiscaliser les indemnités perçues par les victimes d’accident grave ou d’attentat. C’est pourtant ce à quoi aboutirait l’article 2 bis. L’amendement n° I-122 vise donc à exclure de telles victimes du champ d’application de cet article.
Je profite de cette occasion pour insister, à la suite de Jean-Jacques Jégou et du président de la commission des finances, sur la question du paiement des intérêts de retard dus par la personne que nous évoquons depuis tout à l’heure.
Un souci élémentaire du parallélisme des formes devrait nous conduire à mener une vraie réflexion sur ce sujet. Michel Charasse a indiqué à l’instant que M. Bernard Tapie, pour ne pas le nommer, est un citoyen comme les autres. Cela est exact, mais, précisément, tout citoyen qui ne s’est pas acquitté de son impôt à l’échéance fixée voit le montant de celui-ci affecté d’un taux d’intérêt de 10 % à compter du lendemain !
Par conséquent, si l’on veut que la loi soit la même pour tous, cela doit être vrai à tous points de vue !
M. Michel Charasse. Absolument !
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° I-122 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission souhaite bien entendu l’adoption de son propre amendement, qui aurait pour effet de rendre sans objet l’amendement de nos collègues.
Au demeurant, cet amendement est parfaitement justifié, mais, à mon sens, insuffisant.
En effet, comme je me suis efforcé de l’expliquer précédemment, il est d’autres cas de préjudice moral reconnus par les tribunaux que ceux qui résultent d’une atteinte corporelle : des conduites délictueuses ou frauduleuses peuvent aussi induire un préjudice personnel grave, reconnu et indemnisé par les tribunaux.
Par conséquent, si l’amendement n° I-122 est frappé au coin du bon sens, il est à mon avis, je le répète, insuffisant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° I-1. Comme l’a dit M. le rapporteur général, si cet amendement était adopté, l’amendement n° I-122 deviendrait ipso facto sans objet, indépendamment de son bien-fondé et de sa légitimité.
Avant d’exposer les raisons pour lesquelles le Gouvernement soutient l’amendement n° I-1, et puisque des noms de personnes ont été évoqués dans cette assemblée, ce que je regrette tout comme vous, monsieur Charasse, je voudrais répondre à la question de M. Jégou relative aux amendes, pénalités, intérêts de retard divers et variés qui seraient applicables aux créances détenues par l’État sur la société Bernard Tapie Finance ou sur M. Tapie personnellement.
Bien évidemment, tout contribuable, quel qu’il soit, qu’il soit une personne physique ou une personne morale, est soumis aux mêmes règles en matière de retards de paiement. En l’espèce, lorsqu’une somme sera exigible, nous nous efforcerons de la payer nette de tous impôts, en incluant les intérêts de retard qui seraient légitimement dus. Je m’y engage devant le Sénat.
Par ailleurs, si ma mémoire est bonne, vous avez évoqué, monsieur le président de la commission des finances, la question de la compensation de créances. À cet égard, je voudrais souligner que tous nos efforts tendent à parvenir à une compensation réciproque entre les créances dues : celles qui sont détenues par l’État à l’encontre des différentes parties en question et celles qui sont détenues par ces dernières à l’encontre du Consortium de réalisation, le CDR.
Effectivement, une créance ne porte pas intérêts depuis la date à laquelle elle a été inscrite. Dans son excellente gestion d’un certain nombre de dossiers, le Crédit lyonnais n’a tout simplement pas pensé à inscrire les intérêts sur cette créance lorsqu’il l’a produite au redressement judiciaire, qui devait d’ailleurs encore s’appeler règlement judiciaire, conformément au droit de la faillite de l’époque. Je déplore vivement cette situation, puisque l’État est perdant dans cette affaire.
Je voudrais maintenant revenir sur la question de fond et expliquer pourquoi le Gouvernement est favorable à l’amendement de la commission des finances. Je mentionnerai des raisons d’efficacité, des raisons de droit et des raisons fiscales.
Concernant les raisons d’efficacité, je ferai observer que plus de 500 des 180 000 victimes annuelles d’accidents de la route obtiennent une indemnisation supérieure à 200 000 euros. Or l’application à ces personnes du dispositif adopté par l’Assemblée nationale aboutirait littéralement à une confiscation des sommes dont elles sont bénéficiaires.
En outre, on dénombre également chaque année 250 victimes au titre du droit commun qui reçoivent des indemnisations supérieures à 200 000 euros en réparation d’un préjudice moral. Elles aussi se verraient confisquer les sommes allouées.
Le dispositif institué par l’article 2 bis pose donc un véritable problème d’efficacité.
Concernant les raisons de droit, elles me semblent absolument évidentes.
Comme l’ont rappelé M. le rapporteur général et M. Charasse, le régime fiscal des indemnités perçues est indépendant des modalités d’attribution, qu’il s’agisse de jugements, de sentences arbitrales, de transactions ou d’autres voies encore, des montants versés et de l’identité des bénéficiaires.
Or la mise en œuvre du dispositif introduit par l’Assemblée nationale, que l’amendement n° I-1 de la commission des finances vise à supprimer, aurait pour effet de rendre inapplicables les principes généraux du droit selon lesquels le régime fiscal des indemnités perçues est indépendant des modalités, des montants, des bénéficiaires et suit la nature juridique des sommes versées. En l’espèce, l’indemnisation d’un préjudice moral a toujours été considérée, de jurisprudence constante, comme étant non imposable et, surtout, comme n’étant pas assimilable à un revenu.
Assimiler l’indemnisation d’un préjudice moral à un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires, comme le prévoit en fait l’article inséré par l’Assemblée nationale, n’a donc aucun sens sur le plan du droit, qu’il s’agisse du droit relatif à l’indemnisation ou du droit fiscal.
De surcroît, décider d’assujettir cette somme à l’imposition des traitements et salaires aboutirait à diluer, d’une manière complètement inattendue, le lien de subordination qui caractérise généralement la relation dans laquelle s’inscrit le bénéficiaire de revenus imposables au titre des traitements et salaires. De ce point de vue également, cela ne semble pas une bonne idée.
Enfin, la mesure, telle qu’elle a été votée par l’Assemblée nationale, paraît en outre inconstitutionnelle. En effet, la fiscalisation ne concernerait que les seules indemnisations octroyées par décision de justice. Cela introduit donc un régime particulier pour ces indemnisations, car les indemnisations attribuées au titre d’une décision de nature conventionnelle, mais venant également réparer un préjudice moral, ne seraient pas imposées.