M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail…
M. Guy Fischer. Ministre du travail du dimanche !
Mme Isabelle Debré. … des relations sociales, de la famille et de la solidarité.
Monsieur le ministre, aujourd’hui, 7 millions de Français travaillent de manière occasionnelle le dimanche…
M. Paul Raoult. Ça commence !
Mme Isabelle Debré. … 3 millions de façon régulière ; 180 dérogations permettent d’ores et déjà l’ouverture de certains commerces le dimanche ;…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Bertrand veut que les crèches soient ouvertes sept jours sur sept !
Mme Isabelle Debré. … 52 % des Français interrogés par l’IFOP déclarent être favorables à l’ouverture dominicale, et le chiffre atteint 73 % en région parisienne. Enfin, 67 % des Français se disent prêts à travailler le dimanche avec une compensation financière.
La société évolue, les habitudes changent, comme nous avons pu le constater avec Luc Chatel, le secrétaire d’État à la consommation, et notre collègue député Richard Mallié, lors de notre déplacement dimanche dernier à Thiais. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Chez les patrons hors la loi !
Mme Isabelle Debré. Nous devons, comme d’autres l’ont fait avant nous, nous y adapter.
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Isabelle Debré. De nombreux États européens ont développé cette pratique.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne sommes pas obligés de les imiter.
Mme Isabelle Debré. Par exemple, tout en maintenant le principe de base de l’interdiction de travailler le dimanche, la Belgique a assoupli sa législation en 2007.
M. Jean-Luc Mélenchon. La Belgique, maintenant !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et la messe le dimanche, madame Debré ?
Mme Isabelle Debré. Réputée fermée au travail dominical, l’Allemagne s’est elle aussi lancée dans cette voie.
M. Yannick Bodin. C’est une bêtise !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En France, on peut aller à la messe le dimanche, madame Debré !
Mme Isabelle Debré. Le Royaume-Uni, quant à lui, ne se pose plus la question : le travail le dimanche y est généralisé depuis 1994, …
M. Yannick Bodin. C’est une autre bêtise !
Mme Isabelle Debré. … mais de manière très encadrée, et sur la base du volontariat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
M. Didier Boulaud. Et en Islande, qu’ont-ils fait ?
Mme Isabelle Debré. Je rappelle que le droit européen laisse chaque État membre libre de sa politique concernant le travail le dimanche. Seul un repos hebdomadaire après six jours de travail est exigé.
M. Didier Boulaud. Parlez-nous de l’Islande !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr, et pourquoi pas zéro jour de repos, madame Debré ? On travaillerait sept jours sur sept, et la nuit en plus !
Mme Isabelle Debré. Récemment, sur une grande chaîne de télévision publique, un responsable du parti socialiste avec qui vous débattiez, monsieur le ministre, reconnaissait, lui aussi, la nécessité de se pencher sur cette question.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous défendez de bien mauvaises causes !
M. Dominique Braye. Taisez-vous !
Mme Isabelle Debré. Enfin, dans les pays où la législation concernant l’ouverture dominicale des commerces a été assouplie, une hausse significative de l’emploi a été constatée et cette mesure s’est révélée un facteur non négligeable de croissance. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Dans ce contexte, est-il normal de voir la moitié des magasins sur les Champs-Élysées ou dans d’autres sites touristiques très fréquentés, fermés le dimanche ?
M. Didier Boulaud. Tout cela pour vendre des sacs à main…
Mme Isabelle Debré. Est-il normal de voir les contentieux se multiplier,…
M. le président. Veuillez poser votre question, madame Debré.
Mme Isabelle Debré. … certains abusant de l’absurdité de la réglementation actuelle ?
Est-il juste, enfin, d’interdire de travailler le dimanche à ceux qui le souhaitent ?
Monsieur le ministre, n’est-il pas temps d’engager sereinement un débat avec tous les acteurs concernés par ce sujet, étant bien entendu qu’il nous faudra veiller à préserver les équilibres locaux et à garantir aux salariés un droit au refus, une majoration de salaire et un repos compensateur ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Oui, madame le sénateur, il est temps de faire bouger les choses. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, grand temps de travailler sept jours sur sept !
M. Xavier Bertrand, ministre. La réglementation actuelle est en effet complètement dépassée. Mais je ne laisserai pas caricaturer ce beau débat, qui est un débat sérieux.
Les conservateurs de tout poil, ceux qui ne veulent jamais que cela bouge, pourront s’exprimer (M. Jean-Luc Mélenchon proteste), mais il faut aussi regarder la réalité en face.
Aujourd’hui, vous l’avez dit, 7 millions de Français travaillent déjà le dimanche. Les hôpitaux ne sont-ils pas ouverts le dimanche ? Et les maisons de retraite ? Et les cinémas ? Et les restaurants ? Et les boulangeries ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Démago !
M. Xavier Bertrand, ministre. Encore une fois, il faut regarder la réalité en face, mesdames, messieurs les sénateurs.
Voilà pourquoi il est important de permettre, dans certaines zones touristiques bien définies, mais aussi dans certaines zones, telles que l’Île-de-France ou les Bouches-du-Rhône – je pense à Plan-de-campagne -, de permettre à des magasins d’ouvrir le dimanche avec des garanties pour les salariés.
Il s’agit bien entendu du volontariat, qui doit être inscrit dans la loi et garanti dans les entreprises.
D’autre part, si l’on travaille le dimanche, il faut que le jeu en vaille la chandelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour les patrons surtout !
M. Xavier Bertrand, ministre. Pour les salariés concernés, il faut que le travail soit payé double, garantie qui doit aussi être inscrite dans la loi.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Et que va-t-il se passer si rien ne bouge ?
Certaines enseignes qui en ont assez de payer des astreintes ou d’être menacées de payer vont définitivement fermer le dimanche, ce qui veut dire que des dizaines de milliers de salariés vont perdre soit des revenus, soit leur emploi. Or nous ne le voulons ni vous ni moi, voilà pourquoi la situation doit évoluer.
Je ne laisserai jamais dire, comme certains veulent le faire croire parce qu’ils sont gênés par ce débat et parce qu’ils veulent faire peur,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’êtes pas du tout gêné, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. … que tous les Français vont travailler tous les dimanches, car vous savez bien que c’est faux.
Je ne laisserai jamais dire non plus par ceux qui veulent caricaturer le débat que tout sera ouvert le dimanche, même les crèches.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ce que vous avez dit ! Les crèches seront ouvertes sept jours sur sept !
M. Xavier Bertrand, ministre. Expliquez-moi comment font deux parents qui travaillent le dimanche et qui n’ont aucune solution de garde ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le dimanche à la maison.
M. Xavier Bertrand, ministre. Expliquez-moi comment font les familles monoparentales quand il n’y a pas de solution de garde ?
Cette possibilité existe dans les Yvelines, il n’est pas question de l’étendre sur l’ensemble du territoire, mais la question doit être soulevée.
Ce débat ne me fait pas peur. Quand on cherche à faire peur, c’est parce que l’on n’ose pas avancer et que l’on est conservateur. C’est tout le contraire de ce que souhaitent les Français. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Le travail le dimanche, c’est une question de droit du travail, mais aussi une question de droit au travail. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
réforme des départements et régions
M. le président. La parole est à M. François Patriat, qui s’exprime pour la première fois dans cet hémicycle en tant que sénateur.
M. François Patriat. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Le titre du rapport Warsmann, Pour un big bang territorial, ouvre le débat sur la réforme des collectivités locales. La presse d’aujourd’hui s’en fait l’écho. Or nous avons le sentiment que ce débat s’ouvre de façon désordonnée, confuse, voire obscure.
Monsieur le président, vous en avez vous-même fait une de vos trois priorités il y a deux jours. Cette réforme est aussi une priorité du Gouvernement, le Premier ministre, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, certains parlementaires, MM. Perben, Méhaignerie, en ont fait état et hier encore une réunion des parlementaires UMP s’est même tenue sur ce sujet.
Cette réforme peut être intéressante, elle est même nécessaire, mais elle doit reposer sur des principes simples : pertinence des territoires, lisibilité, efficacité.
En revanche, engager ce débat pour montrer du doigt la gestion des collectivités territoriales, leurs contributions, leurs finances, leurs modes de fonctionnement, est illégitime.
Certes, on nous a dit que moins de collectivités, ce serait moins d’impôts, mettant en cause par là même des collectivités territoriales d’opposition. Mais permettez-moi de rappeler que, actuellement, les collectivités locales ne représentent que 11 % de la dette de la nation, mais qu’elles participent à hauteur de 73 % dans l’investissement civil (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste) et que, de surcroît, la fiscalité des régions, qui ont été souvent montrées du doigt ici, ne représente jamais que 0,2 % du PIB des régions.
Dès lors, madame la ministre, quel est le scénario privilégié par le Gouvernement aujourd’hui ?
Qu’il faille supprimer les doublons, certes ! Mais faut-il pour autant supprimer des étages pour arriver à des formes de collectivités « cantonalisées » ? Cela ne nous paraît pas souhaitable pour l’administration territoriale.
Nous avons le sentiment, après la constitution de la commission Balladur et après la publication du rapport Warsmann, que le scénario est déjà écrit, et le débat terminé pour ce qui nous concerne.
Madame la ministre, quelles sont les solutions privilégiées par le Gouvernement ? Souhaitez-vous supprimer des échelons ? Préférez-vous, au contraire, clarifier les compétences des collectivités et leur assurant des ressources pérennes ?
Si vous ne nous répondiez pas, nous pourrions alors considérer que vous voulez mettre en accusation des collectivités d’opposition, détournant ainsi le regard des Français de la récession qui se profile, avec son lot de difficultés sociales et économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Leclerc. La ficelle est un peu grosse !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur Patriat, je vais vous répondre, et je vais le faire très clairement.
M. Yannick Bodin. On va voir !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Chacun, quelle que soit son appartenance politique, reconnaît que notre organisation territoriale est complexe, lourde, incompréhensible pour les citoyens, parfois même pour les élus.
Chacun ici reconnaît aussi que le mode de financement des collectivités n’est pas très satisfaisant. L’État est souvent le premier contributeur des communes mais, d’une manière générale, il est devenu difficile de savoir qui finance quoi.
Depuis plusieurs semaines, de nombreuses voix se sont élevées pour souhaiter des réformes. Le Président de la République a demandé au Gouvernement d’ouvrir ce chantier, et de le faire rapidement, afin que 2009 soit l’année de la réforme, ou peut-être des réformes, puisque nous devrons revoir tout à la fois les structures territoriales et la fiscalité locale.
Monsieur le sénateur, cette réforme sera menée en toute transparence. Le Gouvernement travaillera avec une réelle volonté de concertation avec tous les acteurs intéressés, à tous les échelons, avec toutes les associations, et bien entendu avec les parlementaires.
Cette réforme sera menée en dehors de tout esprit partisan – nous y avons tous intérêt – et sans a priori.
Aucun échelon n’est a priori particulièrement menacé, contrairement à ce que j’entends souvent s’agissant des départements.
Nous souhaitons écouter tout le monde. Il s’agit de réfléchir ensemble à une organisation territoriale qui soit satisfaisante pour les élus comme pour les citoyens.
Nous devons coopérer, travailler ensemble, afin de parvenir à une meilleure gestion des ressources publiques, car elles ne sont pas extensibles à l’infini et parce que c’est toujours l’argent de nos concitoyens. Nous devons aller dans le sens d’une plus grande lisibilité – nous y aspirons tous – et d’une efficacité accrue.
Tels sont nos objectifs. Je vous propose, pour les atteindre, de dépasser les intérêts particuliers, de rechercher ensemble une organisation territoriale qui nous permette de mieux répondre aux besoins, de mieux préparer l’avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
La réforme de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, qui est envisagée, et qui comporte essentiellement la suppression du critère des logements sociaux, risque d’avoir des effets contraires à ceux qui sont recherchés, c'est-à-dire d’aggraver les inégalités entre les communes et leurs populations.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. La dotation de solidarité urbaine a été instituée en 1991 afin de réduire les inégalités entre les villes riches et les villes pauvres. Il s’agissait notamment d’améliorer la situation des communes urbaines les plus en difficulté.
Aujourd'hui, 715 communes en bénéficient. Demain, 238 communes pourraient en être privées, ce qui risquerait d’amputer sérieusement leurs ressources, d’autant que, dans le même temps, on assiste à une régression du fonds de solidarité de la région d’Île-de-France, qui est progressivement épuisé par les transferts fiscaux massifs des communes les plus riches vers les intercommunalités qu’elles ont créées à cet effet, et à des amputations des contrats urbains de cohésion sociale.
On justifie le projet de réforme de la DSU par la volonté, fort légitime, d’éviter le saupoudrage. Mais la suppression du critère des logements sociaux contrarie les incitations de l’État en faveur de leur construction ou de leur rénovation.
De surcroît, en privilégiant le critère des aides au logement, ce projet oublie que de nombreux locataires ne perçoivent pas d’aide au logement, tout simplement parce que leurs loyers sont très bas. Ainsi, bien que ces locataires soient éligibles, à plus d’un titre, aux politiques de solidarité, ils sont exclus par le nouveau mode calcul.
La suppression de la DSU contraindrait nombre de communes à ne plus offrir à leur population des services vitaux, voire – cela semble pourtant impossible – à augmenter les impôts locaux.
Dans ces conditions, madame la ministre, considérez-vous qu’il soit nécessaire de donner suite à ce projet ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Des sénateurs socialistes applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Comme vous l’avez rappelé, monsieur Portelli, la dotation de solidarité urbaine vise à aider les villes les plus pauvres ou les plus en difficulté.
Aujourd’hui, 75 % des villes de plus de 10 000 habitants perçoivent la DSU. Il en résulte un saupoudrage des crédits préjudiciable à l’expression de la solidarité, à la volonté d’aider réellement les plus pauvres.
C’est la raison pour laquelle le Président de la République a demandé, au mois de février, que la dotation de solidarité urbaine soit recentrée sur sa finalité : aider les villes qui en ont le plus besoin. Au total, ce sont sans doute plus de 50 % des villes de plus de 10 000 habitants qui percevront la DSU. Vous reconnaîtrez qu’entre 50 % et 75 %, il y a une marge.
En tout état de cause, il s’agit non pas de dire combien de villes percevront la DSU, mais de définir les critères qui nous permettront de déterminer quelles sont les villes éligibles.
C’est le comité des finances locales, je le rappelle, et non pas l’État, qui a proposé, dès 2004, de remplacer le critère des logements sociaux par celui des aides au logement. Ce n’est donc pas moi qui ai inventé cette disposition !
J’ai écouté avec attention tous les arguments. Il est vrai que des personnes n’habitant pas dans un logement social peuvent bénéficier d’une aide au logement. Mais il est non moins vrai que des personnes qui ne perçoivent pas d’aide au logement peuvent occuper un logement social. C’est un débat récurrent.
Comme je l’ai déclaré devant le comité des finances locales, je suis ouverte à une réflexion sur l’ajustement des critères. Nous pourrions éventuellement réintroduire certains éléments. Néanmoins, je le répète, si les élus ont proposé de modifier un critère, c’est bien qu’il n’était pas satisfaisant.
Il s’agit sans doute d’une question de dosage.
C'est la raison pour laquelle j’ai proposé, lors de la dernière réunion du comité des finances locales, de confier à un groupe de travail le soin de rouvrir le dossier des critères. Il convient de les affiner afin de trouver la solution la plus juste possible.
À l’issue de ce travail commun, de nouveaux critères seront définis. Leur application privera certaines villes du bénéfice de la DSU. Je veux dire à ceux qui gèrent ces villes que je comprends leurs craintes et leurs difficultés, mais ils doivent savoir qu’en aucun cas il n’y aura de rupture, de suppression brutale de la dotation de solidarité urbaine. La sortie du dispositif se fera en sifflet, de façon à leur permettre d’aménager progressivement leurs budgets et de faire face à leurs nouvelles obligations.
Vous le constatez, nous travaillons dans la concertation. Nous recherchons des solutions qui répondent à la fois aux finalités de la DSU et à des contraintes que l’élue locale que je suis comprend très bien.
suicides en prison
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Jacqueline Panis. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame le garde des sceaux, vous le savez, la situation des prisons en France est préoccupante. Entre 1997 et 2002, sous le gouvernement de M. Jospin, le nombre de places a diminué de 4 %. (Protestations sur les travées socialistes. - Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et voilà, c’est la faute à Jospin !
Mme Jacqueline Panis. Le rapport de la commission d’enquête présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest, datant de juin 2000, l’avait souligné avec gravité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rapport unanime !
Mme Jacqueline Panis. Madame le garde des sceaux, sous votre impulsion et celle de vos prédécesseurs, les choses bougent. Vous avez pris la décision de construire de nouvelles prisons et d’augmenter dans des proportions importantes les financements et les crédits de fonctionnement.
Néanmoins, les progrès demeurent insuffisants. Malgré tous ces efforts financiers et immobiliers, il reste encore beaucoup à faire. À ce jour, notre pays compte 51 000 places de prison disponibles pour 64 250 détenus, ce qui crée des difficultés.
Il en est ainsi en particulier pour l’incarcération des jeunes. Nous avons malheureusement recensé, depuis le début de cette année, quatre-vingt-sept suicides en France, le plus récent étant celui d’un jeune homme de seize ans, à la prison de Metz. Vous vous êtes rendue sur place, et je salue le geste que vous avez ainsi fait envers la famille et, plus largement, envers la Lorraine tout entière.
Madame le garde des sceaux, quelles mesures envisagez-vous en ce qui concerne l’incarcération des jeunes ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne faut plus mettre des jeunes de seize ans en prison !
Mme Jacqueline Panis. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour prévenir le suicide, que nous ne saurions admettre, de mineurs…
M. Guy Fischer. Il ne faut pas les mettre en prison !
Mme Jacqueline Panis. … et d’adultes ?
Pouvez-vous également nous faire part des mesures que vous avez l’intention de prendre en matière d’aménagements de peines et d’alternatives à l’incarcération, notamment de mineurs ?
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, deux adolescents incarcérés se sont en effet suicidés, l’un à Metz, l’autre à Strasbourg. Comme vous l’avez rappelé, je me suis rendue sur les lieux. Je tiens de nouveau à m’associer à la douleur des familles et des proches.
Le suicide d’un adolescent est toujours un drame pour la société.
M. Yannick Bodin. C’est d’abord un drame pour lui !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Lorsqu’il s’agit d’un adolescent incarcéré, quels que soient les efforts qui ont pu être déployés, c’est également la marque d’un échec.
C’est aussi un drame pour l’administration pénitentiaire et l’institution judiciaire dans son ensemble. Je souhaite à cet égard renouveler mon soutien et rendre hommage aux personnels de l’administration pénitentiaire, qui exercent une mission difficile dans des conditions elles-mêmes difficiles.
M. Roland Courteau. Très difficiles !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je tiens également à renouveler mon soutien aux magistrats, qui sont saisis dans l’urgence de réalités extrêmement complexes et doivent pourtant juger.
Pour vous répondre, madame la sénatrice, sur le problème de l’incarcération des mineurs, j’entends dire parfois qu’un mineur de seize ans n’a rien à faire en prison. Or je rappelle que, lorsqu’un mineur est en prison, c’est qu’il a commis un crime ou des actes de nature criminelle. L’incarcération est alors l’ultime sanction.
Les mineurs incarcérés sont aujourd’hui 697 pour 1 200 places. Leur nombre a diminué de près de 4 % en un an, ce qui prouve que nous faisons davantage pour la prévention de la délinquance des mineurs.
Nous devons aller encore plus loin. En effet, malgré la baisse de la délinquance générale et de la délinquance de voie publique, malgré la diminution des atteintes aux personnes, la délinquance des mineurs ne diminue pas, car les outils juridiques dont nous disposons pour la réprimer ne sont plus adaptés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, ça !
M. Guy Fischer. C’est l’ordonnance de 1945 !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il est donc important que nous revoyions nos procédures afin de mieux prévenir la délinquance des mineurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il n’y a pas là matière à polémique, le sujet est trop grave.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons nous satisfaire de voir notre jeunesse s’ancrer dans la délinquance.
M. Guy Fischer. C’est sûr !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous ne pouvons pas plus nous satisfaire de ces suicides de mineurs incarcérés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes bien d’accord !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J’ai donc demandé une inspection, comme il est d’usage d’en diligenter systématiquement lorsqu’un événement de ce type se produit en prison, afin de connaître les circonstances qui ont conduit à ces drames. J’ai souhaité que tous les acteurs concernés, fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et magistrats, soient auditionnés.
Deux conséquences doivent être tirées de ces drames.
Il faut, tout d’abord, prendre toutes les dispositions utiles afin d’améliorer la prévention du suicide en prison et, ensuite, adapter les outils juridiques existants afin de mieux prévenir la délinquance des mineurs.
C’est pourquoi j’ai signé, le jour même, un décret, qui a été publié dès le lendemain, aux termes duquel tout mineur doit désormais être présenté à un magistrat avant d’être incarcéré. Personne ne peut être contre cette mesure !
Lorsque sa garde à vue est prolongée ou lorsqu’une peine d’emprisonnement ferme est prononcée à son encontre, le mineur doit obligatoirement être présenté à un magistrat. C’est notre conception de la justice !
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’un des deux mineurs qui se sont suicidés avait été condamné à six mois d’emprisonnement, mais n’avait pas comparu à l’audience. Ce mineur, au passé pénal chargé, était dépourvu d’environnement familial et de repères. Il avait été interpellé dans une cave par les gendarmes et n’avait ni parents ni famille à prévenir. Il n’a pas été présenté à un magistrat ; il s’est suicidé le lendemain de son incarcération.
Nous devons disposer de tous les moyens permettant de prévenir et la délinquance des mineurs et le suicide en prison. La première mesure consiste en ce sens à présenter tout mineur incarcéré à un magistrat.
Avec Roselyne Bachelot-Narquin, nous avons pris une deuxième mesure, anticipant ainsi une disposition qui devait figurer dans la loi pénitentiaire, pour que, dès le 1er novembre, une grille d’évaluation des risques suicidaires soit fournie aux directeurs d’établissements pénitentiaires pour leur permettre, lors de chaque incarcération de mineur, de mieux évaluer ces risques.
Nous avons également souhaité que, dans chaque prison pourvue d’un service médical, un médecin référent dédié aux mineurs évalue l’état sanitaire du jeune incarcéré.
Ces deux drames doivent tous nous mobiliser et ne sauraient en aucun cas susciter de polémiques.
L’incarcération est nécessaire dans certains cas, et vous le savez bien !
Mme Michelle Demessine. Il n’y a pas que la prison !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Elle permet une meilleure prise en charge de l’adolescent, surtout lorsque celui-ci est privé de repères et de structure familiale. Je vous rappelle que 80 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous jouez sur les mots, madame la ministre !
Mme Raymonde Le Texier. Et quand il n’y a pas de famille ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Quand il n’y a ni famille ni repères, l’État, et en particulier la justice, se doit de combler ce manque et d’assumer tout son rôle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument ! Mais c’est le contraire qu’il a fait !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S’agissant du nombre de places de prison, vous avez eu raison de rappeler, car c’est une réalité, qu’entre 1997 et 2002, ...
M. le président. Veuillez conclure, madame le garde des sceaux !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. ... alors que la délinquance explosait, on a supprimé des places de prison. Pour notre part, nous avons fait baisser les chiffres de la délinquance et nous allons également construire des prisons beaucoup plus dignes. Notre programme, qui prévoit la construction de 13 200 places à l’échéance de 2012, sera tenu. C’est cela encore, notre conception de la justice ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)