compte rendu intégral
Présidence de M. Christian Poncelet
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Ouverture de la seconde session extraordinaire de 2007-2008
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République, en date du 1er août 2008, portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter d’aujourd’hui lundi 22 septembre 2008.
L’article 2 de ce décret précise que l’ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra l’examen des textes suivants :
- projet de loi en faveur des revenus du travail ;
- projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République, en date du 27 août 2008, complétant l’ordre du jour de la session extraordinaire par une demande d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.
Acte est donné de ces communications.
Par voie de conséquence, en application des articles 29 et 30 de la Constitution, la seconde session extraordinaire de 2007-2008 est ouverte.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 23 juillet 2008 a été publié au Journal officiel.
Il n’y a pas d’observation ?...
Le procès verbal est adopté.
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Décès d'un sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous rappeler le décès de notre collègue le président Michel Dreyfus-Schmidt, sénateur du Territoire de Belfort, survenu le 7 septembre 2008. (M. le Premier ministre, MM. les ministres, M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Ancien député, sénateur depuis 1980, il fut, pendant douze ans, vice-président de notre assemblée.
Nul ne pourra oublier ce redoutable débatteur si talentueux, si tenace, aux fortes convictions, épris de liberté et féru des questions de procédure, qui a fortement marqué nos travaux pendant ses vingt-huit ans de mandat sénatorial.
Avec plusieurs de nos collègues, je me suis rendu à ses obsèques où, en votre nom à toutes et à tous, j’ai salué la mémoire de ce grand sénateur.
J’adresse mes condoléances les plus émues à ses proches, à ses collègues de la commission des lois et au groupe socialiste.
Son éloge funèbre sera prononcé ultérieurement, mais, dans l’immédiat, je vous propose d’observer une minute de recueillement. (M. le Premier ministre, MM. les ministres, M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
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Remplacement d'un sénateur décédé
M. le président. Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales m’a fait savoir que M. Yves Ackermann, président du conseil général, a remplacé Michel Dreyfus-Schmidt en qualité de sénateur du Territoire de Belfort.
Son mandat a débuté le 8 septembre dernier à 0 heure.
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Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous rappeler le décès de notre ancienne collègue Marcelle Devaud, qui fut sénateur de la Seine de 1946 à 1958.
Elle fut la première femme vice-présidente du Sénat, bien avant la parité…
À l’occasion de son centième anniversaire, j’avais rendu hommage en janvier dernier à cette personnalité hors du commun qui a défendu la place des femmes à travers le monde.
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Retrait d'un projet de loi
M. le président. M. le Premier ministre m’a fait connaître le 4 août 2008 qu’il retirait du Sénat, pour le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale, le projet de loi en faveur des revenus du travail, qui avait été déposé sur le bureau du Sénat le 23 juillet 2008.
Acte est donné de ce retrait.
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Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par deux lettres en date du 24 juillet et du 7 août 2008, le texte de trois décisions rendues par le Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution :
- de la loi relative aux contrats de partenariat ;
- de la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
- et de la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
Ces décisions du Conseil constitutionnel ont été publiées au Journal officiel.
Acte est donné de ces communications.
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Organisme extraparlementaire
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des deux sénateurs appelés à siéger au sein du Comité national de l’eau.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires économiques à présenter deux candidatures.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
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Dépôt de rapports en application de lois
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :
- loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon ;
- loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier ;
- loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés ;
- loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs ;
- loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Les trois premiers ont été transmis à la commission des lois, le quatrième à la commission des affaires économiques et le dernier à la commission des affaires sociales.
J’ai également reçu de M. le Premier ministre :
- en application de l’article 29 de la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de la défense, le rapport évaluant l’état de la réserve militaire en 2007 ;
- en application de l’article 139 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, le rapport portant bilan du transfert de compétences des services régionaux de voyageurs ;
- en application de l’article L.O. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, le rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales pour l’année 2006 ;
- en application de l’article 142 de la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007, le rapport d’étape sur l’évaluation des expérimentations du revenu de solidarité active ;
- en application de l’article 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, le rapport pour 2007 du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier a été transmis à la commission des affaires étrangères, le deuxième à la commission des affaires économiques, le troisième à la commission des lois, le quatrième à la commission des affaires sociales, le cinquième à la commission des finances.
J’ai par ailleurs reçu :
- de M. Noël Diricq, président de la Commission instituée par l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, le rapport de cette commission évaluant le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ;
- de M. Jean-Marie Rolland, président du Conseil de surveillance du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, le rapport d’activité pour 2007 de ce fonds, établi en application de l’article R. 862-8 du code de la sécurité sociale ;
- de Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, présidente de l’Observatoire économique de l’hospitalisation publique et privée, le rapport semestriel de juin 2008 sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie relatives aux frais d’hospitalisation, établi en application de l’article L. 162-21-3 du code de la sécurité sociale ;
- de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, le rapport d’activité pour 2007 de cet organisme établi en application de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique ;
- de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, le rapport pour 2007 du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières, établi en application de l’article D. 614-3 du code monétaire et financier ;
- de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, le rapport pour 2008 de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, établi en application de l’article L.O. 132-3 du code des juridictions financières ;
- de M. Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le rapport sur le développement de la diffusion des services de télévision en haute définition et des services de télévision mobile personnelle et sur les modalités de mise en œuvre des dispositions afférentes, établi en application de l’article 30-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
- de M. Pierre Leclercq, président de la Commission d’examen des pratiques commerciales, le rapport d’activité 2007-2008 de cette commission, établi en application de l’article L. 440-1 du code de commerce.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Les quatre premiers ont été transmis à la commission des affaires sociales, les cinquième et sixième à la commission des finances, le septième à la commission des affaires culturelles et le dernier à la commission des affaires économiques.
Tous ces rapports sont disponibles au bureau de la distribution.
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Prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan
Débat et vote sur une demande d'autorisation du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat et un vote sur la demande du Gouvernement tendant à autoriser la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, tel qu’il résulte de la récente révision et qui dispose : « Lorsque la demande de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement ».
Nous nous retrouvons donc, fait inhabituel, au lendemain même des élections sénatoriales qui se sont déroulées hier, dans le cadre de la session extraordinaire du Parlement convoqué par le Président de la République à compter de ce jour.
C’est donc le Sénat dans sa composition antérieure aux élections d’hier qui est aujourd’hui appelé à se réunir, conformément à l’article L.O. 277 du code électoral qui précise que le mandat des sénateurs nouvellement élus commence à l’ouverture de la session ordinaire qui suit leur élection, date à laquelle expire le mandat des sénateurs antérieurement en fonction. C’est pourquoi j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui une nouvelle fois dans notre hémicycle certains de nos collègues dont le mandat s’achèvera dans quelques jours.
La date inhabituelle de ce débat est toutefois justifiée, vous l’avez compris, par l’aggravation de la situation en Afghanistan au cours des dernières semaines. C’est en effet le 18 août dernier qu’une embuscade a coûté la vie à dix de nos soldats au cours de combats contre des terroristes talibans, dans le cadre d’une mission approuvée par les Nations unies.
J’ai aussitôt, au nom des sénatrices et des sénateurs, exprimé ma très vive émotion et salué la mémoire de nos soldats, rendant hommage à leur action, à leur courage et à leur dévouement exemplaires au service de la lutte contre le terrorisme et de la paix. J’ai naturellement adressé à leurs familles et à leurs proches, si cruellement éprouvés, nos condoléances les plus attristées.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat s’est pour sa part réunie le 29 août dernier, sous la présidence de notre collègue Josselin de Rohan, pour entendre M. le ministre de la défense et M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur ces événements dramatiques et sur l’évolution de la situation.
Par ailleurs, M. le Président de la République a, par décret du 27 août 2008, complété le décret du 1er août portant convocation du Parlement en session extraordinaire, pour permettre au Gouvernement de soumettre à l’autorisation du Parlement la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.
Avant de donner la parole aux orateurs pour cette première application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, permettez-moi de rendre aujourd’hui un nouvel hommage, au nom du Sénat, à la compétence, au professionnalisme et au sens du sacrifice de nos soldats qui luttent, de façon particulièrement volontaire et courageuse, contre le terrorisme et pour la défense de nos valeurs. (Applaudissements.)
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, nous mesurons tous le poids de nos responsabilités quand il s’agit du sort de nos soldats.
Nos soldats sont engagés en Afghanistan, et nous venons de l’éprouver douloureusement. Ils sont aussi engagés en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Kosovo ou au Liban.
Depuis la fin de la guerre froide, notre sécurité ne se joue plus exclusivement à nos frontières. L’interdépendance des enjeux et des menaces nous contraint à agir loin, parfois puissamment. Cette évolution stratégique n’est pas sans incidence sur le lien, si nécessaire, entre la nation, nos armées et leurs missions.
Se battre sur nos frontières est une chose. Se risquer pour d’autres, loin de l’Hexagone, en est une autre. L’entreprise est d’autant plus sensible que notre société, qui vit en paix, n’est naturellement pas rompue aux épreuves de l’affrontement.
Faut-il s’engager pour Beyrouth ? Faut-il s’engager pour le Koweït ou pour Sarajevo ? Faut-il s’engager pour Kaboul ? La nouvelle donne stratégique nous conduira de plus en plus souvent à nous poser la question. La réponse ne sera plus seulement du ressort du Président de la République et du Gouvernement puisque, dorénavant, conformément à l’article 35 de la Constitution, chacun d’entre vous sera aussi conduit à se prononcer par un vote.
Voulue par le Président de la République et adoptée par la majorité de la Haute Assemblée, cette nouvelle clause institutionnelle, qui signe la fin du domaine réservé, sera un progrès pour notre démocratie. Elle constituera un atout pour notre politique étrangère et de défense qui, par votre intermédiaire, sera l’affaire de tous les citoyens. Elle contribuera au soutien de nos armées, qui doivent pouvoir sentir que le Parlement est à leur côté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’Afghanistan, je crois à la nécessité du consensus national. Ce consensus se bâtit dans l’écoute des convictions et des interrogations de chacun.
La situation afghane ne se prête ni aux postures ni aux caricatures. Il faut regarder lucidement les choses en ne cédant ni à l’angélisme ni au catastrophisme.
Nous sommes, ensemble, suffisamment au fait de nos devoirs pour débattre de la situation avec gravité et responsabilité.
Depuis deux ans environ, la situation s’est tendue sur le terrain, notamment dans l’est et le sud de l’Afghanistan.
C’est sur la base de ce constat que la France a insisté pour rénover la stratégie de la coalition et a décidé au printemps dernier d’augmenter le nombre de ses hommes. L’Allemagne vient à son tour d’annoncer qu’elle comptait porter ses effectifs à 4 500 soldats.
Les talibans et les insurgés accentuent leur pression. Leur organisation et leurs méthodes se sont sophistiquées. Ils misent sur notre lassitude et sur nos doutes.
Le 18 août, dans la vallée d’Uzbeen, dix de nos soldats sont morts au combat, et vingt et un autres ont été blessés. Vous connaissez les circonstances de cette embuscade. Les événements se sont déroulés dans une région qui n’avait été le théâtre, jusque-là, que d’affrontements de faible intensité conduits par des insurgés qui ne s’accrochaient pas au terrain.
Partis pour une simple mission de reconnaissance, nos hommes sont finalement tombés dans une embuscade tendue par une centaine de rebelles lourdement armés et aguerris.
Au cours de cet accrochage violent qui a duré plusieurs heures et qui a occasionné des pertes importantes également chez nos agresseurs, nos troupes ont fait preuve sous le feu d’une cohésion et d’une vaillance exemplaires, allant jusqu’à des actes héroïques.
Je ne reviendrai pas sur les déclarations antérieures du ministre de la défense en réponse aux légitimes questions, mais aussi aux rumeurs infondées de ces dernières semaines. En réponse aux toutes dernières d’entre elles, relayées par un journal canadien, qui se fonde sur un compte rendu à chaud ne recoupant pas les informations complètes que nous avons recueillies, je veux toutefois confirmer de nouveau un certain nombre de points.
D’abord, les forces engagées dans les combats du 18 août ont toujours été en mesure de riposter aux tirs de leurs adversaires. Plus de trois tonnes de munitions supplémentaires ont été acheminées durant les combats à cette fin.
Ensuite, les moyens de communication, contrairement à ce qui a été dit, n’ont pas manqué. Une section d’infanterie est aujourd’hui équipée de vingt postes de radio de différentes natures. L’un d’entre eux, destiné aux liaisons avec l’arrière au sein de la section tombée dans l’embuscade, est resté muet quelques minutes seulement lorsque le soldat qui le portait a été mortellement touché.
Enfin, un seul de nos soldats a été tué à l’arme blanche et aucun d’entre eux n’a été capturé par l’ennemi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réalité est suffisamment cruelle pour ne pas y ajouter le mensonge et la désinformation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Je sais votre assemblée solidaire de nos soldats et je veux, avec vous, saluer leur professionnalisme et leur courage.
Ceux qui sont tombés sous le feu ennemi étaient jeunes, et, en découvrant leur visage, chacun en a eu le cœur serré. Mais ils étaient des soldats entraînés et motivés dont l’engagement était réfléchi et souvent passionné.
J’affirme avec force devant vous que leur mission était juste et qu’elle le demeure. Je récuse la thèse de ceux qui pensent que nos soldats sont morts pour rien. Nos troupes ne sont pas en Afghanistan pour annexer qui que ce soit. Elles n’y sont pas pour des intérêts économiques. Elles sont sur place pour assurer notre sécurité collective, en faisant en sorte que l’Afghanistan ne redevienne pas le sanctuaire du terrorisme international. Elles sont là-bas, auprès du peuple afghan, pour reconstruire un pays ruiné et longtemps déchiré. Elles y sont, dans le cadre d’un mandat de l’ONU, aux cotés de trente-neuf autres nations, dont vingt-cinq sont membres de l’Union européenne. Elles y sont pour permettre au peuple afghan de vivre en paix, de façon souveraine et démocratique.
Ce 18 août, notre peuple dans son entier s’est associé à la douleur des familles dont la dignité fait figure de leçon.
Le Président de la République et le Gouvernement ont tiré tous les enseignements de cette embuscade meurtrière. Nous avons décidé de renforcer nos moyens militaires, notamment dans les domaines de l’aéromobilité, du renseignement et de l’appui. Ces moyens seront sur place dans quelques semaines. Concrètement, des hélicoptères Caracal et Gazelle canon, des drones, des moyens d’écoute, des mortiers supplémentaires seront envoyés, avec les effectifs correspondant, soit une centaine d’hommes de plus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Afghanistan exige un discours de vérité. Même si cette vérité est difficile, nous partons du principe que la France peut et doit l’assumer.
La sécurité et la paix ne pourront s’imposer en Afghanistan sans ténacité, sans confiance partagée, mais aussi sans prise de risque. Les Français doivent savoir que nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan, mais que nos troupes peuvent être engagées ou impliquées dans des opérations de guerre. Ils doivent savoir que le redressement de ce pays est une œuvre lente et difficile mais qui porte ses fruits.
Je ne doute pas de la légitimité de l’action que nous menons en Afghanistan, et je sais qu’il en est de même pour la majorité d’entre vous.
Ne pas agir, ce serait laisser le champ libre aux talibans et à Al-Qaïda, laisser le peuple afghan aux mains de ses bourreaux, laisser à nos partenaires le soin de combattre à notre place. Ce serait renoncer aux valeurs universelles pour lesquelles une majorité d’Afghans se bat et espère. Ce serait mettre un coup d’arrêt au développement d’une société qui n’est pas condamnée au malheur éternel.
En 2001 – j’ai déjà eu l’occasion de citer ces chiffres devant vous –, en Afghanistan, seuls 800 000 garçons étaient scolarisés ; les écoliers sont aujourd’hui 6 millions, dont 40 % de filles.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vrai !
M. François Fillon, Premier ministre. Le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 25 %. Le nombre de centres médicaux a été accru de 60 %. Plus de 20 % de la population a désormais accès à l’eau potable contre 4 % en 1990. En 2004, 70 % des électeurs afghans ont voté lors des élections présidentielles. Le Parlement afghan compte près de 30 % de femmes.
Le Gouvernement croit à l’action engagée. Mais il est parfaitement conscient des difficultés rencontrées, lesquelles sont diverses.
Ces difficultés tiennent d’abord au fait que, après avoir chassé la dictature talibane, les forces alliées ont concentré leurs efforts sur Kaboul et ses environs. Les zones les plus lointaines n’ont pas fait l’objet de la même attention. Seules les opérations « coup de poing » de l’opération « Liberté immuable » contre les talibans et les réseaux terroristes s’y sont déployées.
Ce n’est qu’à partir de 2006, voilà donc fort peu de temps, que la FIAS, la Force internationale d’assistance à la sécurité, s’est engagée à sécuriser l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, ce sont vers ces zones que nos efforts sont tendus et, par là même, les occasions d’affrontement s’amplifient.
En outre, la présence de jihadistes internationalistes s’est accrue. L’approche strictement militaire, avec ses drames collatéraux, a trouvé ses limites, chaque erreur pouvant faire basculer la population afghane dans la désolation, quand ce n’est dans la défiance ou l’hostilité.
Enfin, l’aide à la reconstruction n’est pas assez rapide et coordonnée, et la corruption et le trafic de drogue continuent de gangrener de larges pans de la société afghane.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tout cela, la France le pressentait, et ne s’y résout pas.
Voilà pourquoi, sous l’impulsion du Président de la République, notre pays est à l’origine de la rénovation de la stratégie internationale entérinée lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, en avril 2008. Cette stratégie rompt avec la vision quantitative et d’abord militaire qui prévalait jusqu’alors.
Voilà aussi pourquoi notre pays s’est impliqué à fond dans la conférence de Paris sur la reconstruction de l’Afghanistan, le 12 juin dernier.
Pour construire la paix, il faut en toutes circonstances rappeler l’objectif central : donner au peuple afghan le pouvoir d’assurer par lui-même et pour lui-même sa sécurité, sa prospérité et sa souveraineté.
Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord et avant tout gagner la confiance des Afghans.
Des expériences locales nous encouragent dans cette voie et nous montrent que l’échec n’est pas une fatalité.
Le redressement de la situation dans la plaine de Shamali que nos soldats parcourent depuis 2003 en est une démonstration. Cette plaine, qui compte 400 000 habitants, connaît une véritable renaissance.
Dans la plaine de Shamali, les champs sont en culture, les écoles fonctionnent, les lignes électriques ont été rétablies, les échanges commerciaux reprennent.
Tout cela, c’est le fruit d’une démarche déterminée où l’équilibre est constamment recherché entre les actions offensives et les actions de reconstruction, entre le retour de la sécurité et l’amélioration des conditions de vie.
La paix se gagne par la confiance. Et cette confiance exige une approche globale. C’est précisément ce que le Président de la République a fait acter lors du sommet de Bucarest et lors de la conférence de Paris.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre stratégie, c’est d’abord celle de l’afghanisation. Plus vite les Afghans seront en mesure de stabiliser leur pays et de prendre leur destin en main, plus vite nous nous retirerons. L’armée afghane compte aujourd'hui un peu moins de 60 000 hommes. Plus de 300 de nos soldats participent activement à sa formation.
Nous nous sommes fixé un objectif, celui d’équiper une armée de 80 000 hommes d’ici à 2010 et, à terme, une armée de 130 000 hommes.
Le transfert de la responsabilité de Kaboul aux autorités militaires afghanes est en cours depuis le 28 août dernier ; celui de la région Centre est prévu pour avril 2009.
Notre stratégie, c’est ensuite celle de la reconstruction rapide de l’Afghanistan.
À Paris, 20 milliards de dollars ont été recueillis et une feuille de route pour les trois ans à venir a été fixée. Mais tout cet argent n’a de sens que s’il n’est pas dispersé. Il n’a d’efficacité que s’il s’inscrit dans le cadre d’une véritable politique afghane rationalisée, hiérarchisée et évaluée. Enfin, il n’a de véritable utilité que s’il s’articule avec les opérations de sécurisation.
La coordination civile et militaire était insuffisante. Nous avons demandé et obtenu qu’elle soit placée sous l’égide de l’ONU, sous l’autorité d’un nouveau représentant, le Norvégien Kai Eide.
Le gouvernement du président Karzaï a présenté sa stratégie nationale de développement. Les autorités afghanes doivent intensifier leurs efforts en faveur des réformes, du respect des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption et contre la drogue.
Le 17 septembre dernier, devant l’une des commissions de l’Assemblée nationale, Antonio Maria Costa, directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, a indiqué que, en 2008, pour la première fois, la superficie cultivée comme la production de drogue avaient diminué.
Ce combat contre la drogue est très difficile. Bien sûr, il est souvent mal vécu par les populations locales. Il exige de la fermeté et il suppose le développement de cultures alternatives qui doivent être rentables pour les paysans.
Notre stratégie, c’est aussi celle de la démocratie et de la réconciliation de l’Afghanistan.
La démocratie n’est pas le privilège des seules nations développées ! C’est aussi une arme contre ceux qui misent sur la servitude et sur le mutisme du peuple afghan.
Les électeurs ont été huit millions lors des élections présidentielles de 2004, et cinq millions pour les élections législatives de 2005.
L’élection présidentielle et l’élection des conseils provinciaux se tiendront à l’automne 2009. Les élections législatives et celles des conseils de district, quant à elles, auront lieu à l’été 2010. Chacun mesure combien la réussite de ces consultations constitue un rendez-vous décisif pour l’Afghanistan. C’est justement ce rendez-vous que nous devons protéger et accompagner jusqu’à son terme.
Pour garantir le succès de la mise en œuvre de la démocratie en Afghanistan, il faut aller vers une réconciliation nationale. Les autorités afghanes doivent créer les conditions d’un dialogue politique avec tous ceux qui sont susceptibles de respecter les institutions et de déposer les armes.
Pour notre part, nous devons réfléchir à la nature même de l’insurrection à laquelle nous sommes confrontés. L’adversaire qui est en face de nous ne constitue pas un bloc unifié. Nous devons explorer la manière de séparer les jihadistes internationalistes de ceux qui inscrivent davantage leur action dans des logiques nationales ou tribales.
Sécurisation, afghanisation, reconstruction, démocratisation et réconciliation : c’est cette approche globale que nous défendons dans toutes les instances politiques et militaires, devant l’Organisation des Nations unies, au Conseil de l’Atlantique Nord, au sein de l’état-major de la FIAS.
Cette approche réclame une très grande maîtrise dans les opérations militaires. Les armées de la coalition doivent impérativement veiller à faire un usage proportionné de la force.
Nos soldats ne peuvent parvenir à nouer une relation de confiance avec une population qui continuerait à être meurtrie par des actions offensives insuffisamment ciblées. Une bombe ne doit pas créer plus d’ennemis qu’elle n’en supprime en frappant sans discernement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Nos soldats sont particulièrement sensibilisés à cet impératif.
Concernant l’engagement de ses propres forces, la France exerce un contrôle national permanent extrêmement strict sur l’action de son contingent. Ainsi, nos pilotes ont pour instruction de ne tirer que sur des cibles identifiées à 100 %.
Cette vigilance que nous nous imposons, il importe – je le dis solennellement – que nos alliés, tous nos alliés, en fassent preuve également.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !