M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est la faucille et le goupillon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Or vous, vous voulez, ce jour-là, faire ouvrir les commerces !
Nous, non ! Pourquoi ? Parce que le cycle de la vie est une norme collective.
Nous approuvons le point de vue de Mme David : nous voulons que les familles puissent vivre. Comment pouvez-vous faire de grands discours sur la famille et, ensuite, retirer le tapis sous les pieds des gens, les priver de ces petites choses simples et humbles grâce auxquelles il est possible de vivre en famille ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.).
Monsieur Fourcade, vous nous avez fait une démonstration brillante, comme à l’accoutumée, et cohérente : vous nous avez au moins fait l’honneur d’une démonstration globale. Vous avez évoqué les trois moteurs de la croissance et avez cité les chiffres des « déclinistes », à l’argumentation imparable. Comment cette pauvre France, où tout va toujours si mal, dont le système éducatif se traîne et ne vaut rien, avec des entreprises où les gens se reposent, où rien ne marche, fait-elle pour être la sixième puissance économique du monde ?
Les travailleurs français accomplissent peut-être deux cents heures de travail de moins par an que ceux d’autre pays – nous allons le vérifier –, mais oubliez-vous que leur productivité est parmi les premières au monde ?
Un travailleur français produit en une heure de travail horaire 20 % de plus que son collègue anglais. Pourquoi ? Ce dernier est-il fainéant ? Non, mais il doit supporter une telle amplitude d’heures de travail que c’est toute sa personne qui est mise à l’épreuve, si bien que sa disponibilité et sa capacité à bien travailler sont diminuées. Il y a un rapport entre la qualité du travail effectué et la durée pendant laquelle les gens sont contraints de travailler.
Si les Français ont une meilleure productivité horaire, c’est parce qu’ils ont de meilleures machines, parce qu’ils savent s’y adapter mieux que les autres, parce qu’ils ont reçu une bonne éducation à l’école et, enfin, c’est parce qu’on ne les enchaîne pas au travail. Cela dit, nous allons voir dans un instant que cela n’empêche pas qu’ils soient, en fait, pressés comme des citrons.
Madame Debré, point n’est besoin d’ouvrir les commerces le dimanche, puisque, grâce aux RTT, ils peuvent en principe faire leurs courses durant la semaine.
Les travailleurs français sont plus productifs parce qu’ils ont la capacité de reconstituer leur force de travail – pour utiliser un vocabulaire qui nous est familier.
Si nous étions si mauvais, si lamentables, si nous reculions dans tous les domaines, comment expliquez-vous que la France soit parmi les trois premiers pays au monde à attirer les investissements privés ?
Quelqu’un m’a répondu un jour que ces investisseurs venaient dépouiller les entreprises françaises. J’y vois non pas une négation, mais la preuve de ce que j’avance : s’ils viennent dépouiller nos entreprises, c’est qu’il y a quelque chose à y prendre, c’est qu’ils ont un profit à en tirer.
Non, la France ne décline pas ! La France est puissante et ses travailleurs produisent bien !
M. Alain Gournac, rapporteur. Ça fait plaisir à entendre !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous avançons bien sûr en rencontrant parfois des difficultés, mais nous sommes capables de les dépasser. C’est bien la productivité du « site France » en tant que telle qui doit être évaluée globalement. Ne raisonnons pas entreprise par entreprise, ou produit par produit.
C’est parce que nous avons accès à un haut niveau de santé et d’éducation, à des transports de qualité et à des horaires de travail décents que notre productivité est bonne et que nous sommes hautement compétitifs, et pas l’inverse !
Ce n’est pas en précarisant les travailleurs, en les menaçant, le couteau sous la gorge, de leur faire perdre leur emploi et de détruire leur vie de famille que l’on augmente la productivité du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout est clair : le parti communiste roule pour le Vatican ! (Sourires.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Exactement !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Monsieur Mélenchon, allons jusqu’au bout de votre argumentation : le dimanche, vous ne pourrez plus aller au marché, vous ne pourrez plus acheter votre journal, un petit bouquet de fleurs pour votre épouse ou vos croissants pour le petit-déjeuner !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous confondez le dimanche et le sabbat, monsieur le rapporteur !
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous ne pourrez plus appeler les pompiers, trouver des policiers dans les rues ou vous rendre à l’hôpital, car tout sera fermé ! Arrêtez, monsieur Mélenchon ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Heureusement que les curés travaillent le dimanche !
M. Alain Gournac, rapporteur. Voilà où cela nous mène si nous allons jusqu’au bout de votre argumentation !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n’ai pas proposé d’aller jusqu’au bout ! Vous confondez le sabbat et le dimanche !
M. Alain Gournac, rapporteur. Pas du tout ! Cessez donc de proférer de tels propos !
Mes chers collègues, parmi les employés municipaux de ma commune, je connais de nombreuses personnes, notamment des femmes, pour qui le mercredi est beaucoup plus important.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Alain Gournac, rapporteur. Ce jour-là, elles veulent pourvoir rester avec leurs enfants.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a les RTT pour cela !
M. Alain Gournac, rapporteur. Monsieur Mélenchon, épargnez-nous vos raisonnements jusqu’au-boutistes, qui conduisent à dire que plus rien ne devrait être ouvert le dimanche ! Il est au contraire primordial de conserver le petit marché du dimanche, qui nous est à tous si sympathique.
Par conséquent, il faut vraiment voter contre l’amendement n° 231.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je vous en prie, mon cher collègue, allez à l’essentiel !
M. Jean Desessard. Pour ma part, j’estime que Mme David s’est exprimée de façon très modérée. (Mme Isabelle Debré s’exclame.)
Mes chers collègues, si l’on veut que le Sénat soit à l’image de la société française, on doit pouvoir y exprimer la voix de la précarité, de ceux qui souffrent, de ceux qui sont licenciés, de ceux qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. La colère et la révolte grondent, et il faut en tenir compte.
Madame David, je vous dis bravo pour avoir relayé tous ces sentiments et défendu les laissés-pour-compte !
Quant à M. le ministre et M. Fourcade, ils ont brillamment exposé des arguments théoriques auxquels je voudrais répondre.
Monsieur le ministre, vous avez dit vouloir accroître la quantité individuelle de travail.
M. Jean Desessard. Nous défendons, nous, l’augmentation de la quantité collective de travail, pour que tout le monde puisse travailler, surtout les demandeurs d’emploi.
Monsieur Fourcade, il faut raisonner en fonction des échanges internationaux, car l’objectif ne peut pas être de développer la France au détriment des autres pays. Ou alors, il ne faut pas s’étonner des migrations économiques ! Que d’autres, notamment les pays émergents, s’en sortent et jouissent enfin d’une certaine prospérité économique – mais aussi, j’espère, sociale et démocratique –, on ne peut que s’en réjouir. Leur développement ne doit pas être perçu comme une catastrophe ; nous assistons, bien au contraire, à un rééquilibrage international que nous appelions de nos vœux. D’ailleurs, celui-ci a fait l’objet de suffisamment de colloques et de sommets pour le déplorer.
J’en viens maintenant à la question de la quantité de travail et à celle, plus générale, de l’organisation de la société.
Je lisais hier dans Le Monde un article sur les conséquences de la surpêche du thon en Méditerranée.
Mme Isabelle Debré. Du thon rouge !
M. Jean Desessard. Non seulement les pêcheurs ne pourront plus exercer leur activité librement et seront tenus de respecter une certaine organisation, mais tout cela ne manquera pas non plus de poser d’autres problèmes, par exemple dans le domaine du tourisme.
Il importe donc de veiller à la manière dont nous entendons nous développer.
Ainsi, même si vous prônez l’augmentation de la durée du travail, cela ne doit pas vous empêcher de réfléchir à d’autres modes de transports, faute de quoi nous risquons d’avoir toujours plus de camions sur les routes !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le pétrole coûte trop cher !
M. Jean Desessard. Cela ne doit pas non plus conduire à délocaliser la production en Chine et à faire travailler des personnes dans le seul but d’importer tous ces produits finis.
Nous devons donc réfléchir à l’organisation du travail que nous souhaitons.
De toute façon – je m’exprime au nom des Verts et pas forcément au nom de tous mes collègues de l’opposition –, nous ne pourrons pas continuer de travailler de plus en plus sans abîmer notre planète. Tout cela mérite qu’on y réfléchisse, car il convient de garantir suffisamment de travail pour vivre bien sans nous condamner à l’épuisement des ressources naturelles.
Un autre sujet de discussion, cette fois-ci plus politique, porte sur l’organisation de la société.
Toutes les activités doivent-elles prendre la forme du salariat ? N’y en a-t-il pas certaines, à l’image de la garde de nos enfants ou de nos anciens, de la livraison des repas à domicile ou de l’accompagnement au restaurant des personnes âgées, qui pourraient relever du temps libre ou du travail domestique, c’est-à-dire d’une autre organisation de la société ?
Derrière ce débat sur le partage du temps de travail se profilent effectivement des conceptions différentes de la société que nous voulons.
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai été particulièrement heureux de pouvoir assister à ce débat de fond, qui a révélé toute sa richesse. Il était important que nous ayons pu le mener dans de telles conditions, en prenant le temps nécessaire.
M. le président. Je vous propose maintenant de reprendre le rythme que nous avions adopté précédemment, ce qui nous permettrait de revenir à des délais raisonnables.
M. Roger Romani. Tout à fait, monsieur le président !
Article 16
I. - L’article L. 3121-11 du code du travail est remplacé par les articles L. 3121-11 et L. 3121-11-1 ainsi rédigés :
« Art. L. 3121-11. - Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
« Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l’ensemble des conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà et, le cas échéant, en deçà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l’article L. 3121-22.
« À défaut d’accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel.
« À défaut de détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires par voie conventionnelle, les modalités de son utilisation et de son éventuel dépassement donnent lieu au moins une fois par an à une consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’il en existe.
« Art. L. 3121-11-1. - Les heures supplémentaires sont accomplies, dans la limite du contingent annuel applicable dans l’entreprise, après information du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe.
« Les heures supplémentaires sont accomplies, au-delà du contingent annuel applicable dans l’entreprise, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe. »
II. - Les articles L. 3121-12 à L. 3121-14, L. 3121-17 à L. 3121-19 et le paragraphe 3 de la sous-section 3 de la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la troisième partie du même code sont abrogés.
III. - Supprimé………………………………………………………………
IV. - Les clauses des conventions et accords conclus sur le fondement des articles L. 3121-11 à L. 3121-13 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur au plus tard jusqu’au 31 décembre 2009. À titre transitoire, et pendant cette période, la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l’article L. 3121-11 du même code dans la rédaction issue de la présente loi est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Avant toute chose, je voudrais féliciter nos collègues députés, particulièrement ceux de gauche, naturellement, grâce à qui les dispositions initialement contenues dans le III de cet article ont été supprimées.
En effet, votre projet initial, monsieur le ministre, prévoyait, comme vous l’avez partiellement fait avec votre seconde loi sur le pouvoir d’achat, le rachat et la monétisation des repos compensateurs.
Cela mérite d’être souligné, il aura fallu toute la mobilisation de la gauche et celle des partenaires sociaux, pour que vous soyez contraint au recul. Mais nous sommes vigilants, car nous ne savons que trop combien certains de nos collègues sénateurs et sénatrices, membres du groupe UMP, pourraient être tentés de réintroduire ces dispositions.
Cet article 16 est une pièce majeure dans le puzzle gouvernemental. Tout débute par votre slogan, le fameux « Travailler plus pour gagner plus ». S’ensuit votre série d’attaques sans précédent contre les 35 heures, accusées de tous les maux : plomber l’économie, peser sur le travail, affecter le pouvoir d’achat des Français. Remarquez bien que, ce faisant, vous utilisez les 35 heures comme un véritable écran de fumée, qui permet au Gouvernement de ne pas répondre devant les Français des effets de sa politique libérale. Enfin, voici ce projet de loi.
Avec l’article 16, vous entendez permettre à tous les salariés de dépasser le contingent annuel d’heures supplémentaires, le faisant passer de 220 à 235 heures, pour une rémunération qui ne pourra pas être inférieure à celle qui était anciennement perçue. Je vous remercie de cette précision, mais reconnaissez que c’est tout de même la moindre des choses !
Vous le savez, notre mécontentement, celui des partenaires sociaux et des Français est grand !
Monsieur le ministre, vous avez trahi les partenaires sociaux. Si deux organisations syndicales avaient donné leur accord à cette position commune, c’est précisément parce que les conditions d’utilisation et d’extension du contingent annuel d’heures supplémentaires étaient très encadrées. Il était initialement convenu que ces dérogations devaient être exceptionnelles et que l’employeur ne pourrait y recourir qu’avec l’approbation des organisations syndicales ayant obtenu au moins 50 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections. Et encore fallait-il que ce fût à titre expérimental.
C’est sur cette base et, surtout, sur la reconnaissance de l’accord majoritaire, que la CGT et la CFDT avaient signé votre position commune, qui n’a pas réussi à devenir, en raison du manque de signataires, un accord national interprofessionnel. C’est sans doute cela qui vous a conduit, monsieur le ministre, à retirer vos engagements et, une fois encore, à minorer la portée de la parole de l’État.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette position commune ? Un goût amer de trahison ! De l’« accord majoritaire », il ne subsiste plus que le nom. Vous avez substitué au taux de 50 % celui de 30 %. Vous avez généralisé la possibilité d’extension des heures supplémentaires.
Ce faisant, vous avez réussi l’exploit de mécontenter les signataires de votre position commune et de rassembler des milliers de manifestants contre les attaques portées aux 35 heures, vous avez courroucé la Confédération générale des cadres et, élément notable, même Mme Parisot, la patronne des patrons, s’est plainte de cette méthode de gouvernement, craignant, sans doute à raison, que demain, plus aucune organisation syndicale n’accepte de signer un accord.
Mais vous avez également profité de cette trahison à l’encontre des partenaires sociaux pour imposer le renversement de la hiérarchie des normes, contraire aux valeurs républicaines qui sont les nôtres et à l’histoire sociale de notre pays.
Pour la première fois, une règle individuelle sera plus importante qu’une règle collective. Ce qui primera dès demain, si votre projet de loi est adopté, ce sera non plus la loi, la convention collective ou l’accord de branche, mais bel et bien l’accord individuel, de gré à gré. Les accords de branches deviennent, à la lecture de cet article, des supplétifs en cas d’absence d’accord individuel ; les conventions collectives en sont réduites à devenir une simple option.
Avec ce projet de loi, vous contournez les principes fondamentaux de notre République. Nous avons ici une mission importante : faire la loi, et ce ne peut être un acte anodin. C’est une grande responsabilité et je voudrais, avant que nous n’entamions nos débats sur cet article, vous rappeler les mots de Montesquieu, extraits de ses Cahiers : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l’article.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le ministre, j’ai déjà expliqué assez longuement, il y a un instant, toute la logique de cette seconde partie du projet de loi qui consacre le renversement de la hiérarchie des normes.
Vous nous avez apporté un certain nombre de réponses, mais je reviendrai tout à l’heure, lorsqu’il sera question du forfait jours, sur vos affirmations selon lesquelles cette nouvelle organisation de l’ordre public social ne conduirait pas à une individualisation des rapports sociaux. Tel est pourtant l’objet du texte, et l’on ne gagnera rien à prétendre le contraire !
Au sein de cet article 16 se trouvent les ultimes démantèlements des 35 heures. Je le répète, on peut toujours affirmer que la durée légale du travail est de 35 heures, mais celle-ci devient purement indicative, et ce pour une double raison : d’une part, les contingents d’heures supplémentaires sont totalement déplafonnés ; d’autre part, leur rémunération est tellement abaissée qu’elles finissent par ressembler à des heures ordinaires. Voilà la réalité !
Peut-être y aura-t-il des observateurs qui vous poseront la question après moi : comment allez-vous tenir la promesse faite par le Président Sarkozy ?
Tout à l’heure, à vous entendre, tout a été dit au cours de la campagne électorale, personne n’a été pris en traître, et vous vous sentez légitimement en droit d’appliquer tout ce qui avait été annoncé l’époque. Dont acte, monsieur le ministre !
Mais précisément, lors de cette campagne électorale, le Président de la République avait annoncé que les heures supplémentaires seraient payées au moins 25 % de plus que les heures normales et qu’elles seraient exonérées de charges fiscales et sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sauf accord dérogatoire !
M. Guy Fischer. C’est vous qui en rajoutez !
M. Jean-Luc Mélenchon. Accord ou pas, tout cela, c’est terminé ! Aux termes de la loi, sauf accord, les heures supplémentaires sont majorées, oui, mais de 10 % ! Expliquez-moi, si la loi consent que ce soit 10 %, pour quelles raisons un accord irait plus loin.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parce que les partenaires sociaux sont libres !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le renard libre dans le poulailler libre !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous pouvez toujours rêver ! Il n’y aura qu’un cas dans lequel cela se produira, c’est lorsque les entreprises seront en compétition pour conserver leur main-d’œuvre. Mais ce sera une autre étape.
Autrement dit, au passage, nous nous retrouvons à 10 %, au lieu des 25 % promis.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous me répondrez sur ce point.
En attendant, ce décloisonnement absolu entre la durée légale du travail et la possibilité ici donnée de faire travailler les personnes sans fin revient à affaiblir cette durée légale, qui n’a plus qu’une valeur indicative.
Mais ce n’est qu’un aspect du problème que pose l’article 16 ; l’autre, le plus dur, c’est évidemment la négociation du repos compensateur.
Là, monsieur le ministre, nous allons vous écouter avec beaucoup d’intérêt parce qu’il s’agit non pas d’une faveur, mais bien d’une mesure de santé publique. On considère que ce repos compensateur est un besoin compte tenu de l’effort qui a été sollicité du travailleur.
Si ce n’est pas cela, il faut le dire et cesser de parler de « repos compensateur » pour passer, par exemple, au « temps de travail de moins » ou à une autre appellation que vous choisirez. Quoi qu’il en soit, le « repos compensateur » part de l’idée qu’un effort supplémentaire a été consenti et qu’il doit être réparé par un temps de repos plus long.
En le négociant, ne mettrait-on pas cette réalité en cause ? Il va falloir me répondre par oui ou par non ! Et si on admet qu’il existe une réalité de santé publique, peut-on négocier la santé publique ? Ma réponse est non ! C’est pourtant ce qui est prévu dans le texte qui nous est proposé.
Je veux le signaler parce que cela illustre mon propos, en apparence abstrait, sur l’existence de deux versions de l’ordre public social. La première version, fondée sur l’intérêt général, est fixée par la loi : c’est l’ordre public social républicain. La seconde version, celle qui emprunte le chemin de la négociation de gré à gré, est fondée sur la confrontation des seuls intérêts particuliers, nonobstant le fait qu’ils le sont dans un rapport de force totalement déséquilibré. Eh bien, cette seconde version, la voici !
Les repos compensateurs sont-ils ou non utiles à la santé publique ? S’ils le sont, ils ne peuvent pas être négociés de gré à gré. Et s’ils ne le sont pas, il faut les supprimer ou les appeler autrement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 78 est présenté par M. Godefroy, Mmes Demontès et Printz, M. Desessard, Mme Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 232 est présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Gisèle Printz, pour défendre l’amendement n° 78.
Mme Gisèle Printz. Cet amendement vise à supprimer l’article 16, lequel est contraire à la position commune.
En effet, cet article est un condensé de régressions sociales. En se fondant sur l’aggravation du renversement de la hiérarchie des normes initié par les lois Fillon de janvier 2003 et mai 2004, il modifie le contingent annuel d’heures supplémentaires et supprime le repos compensateur. Ainsi, le recours massif aux heures supplémentaires sans hausse de salaires est désormais permis.
Jusqu’alors, si un employeur entendait passer outre le contingent d’heures supplémentaires, le salarié pouvait faire appel à un inspecteur du travail afin que la loi soit respectée. Avec la rédaction que vous nous proposez, il n’en sera plus question.
Autre exception : non seulement ce contingent d’heures supplémentaires sera fixé par un accord d’entreprise, mais il en sera de même pour leur taux de rémunération. Et cela ne vous suffit encore pas ! Quitte à déréglementer et à trahir l’esprit et la lettre de la position commune, vous vous attaquez également au repos compensateur, qui sera, lui aussi, fixé dans le cadre de l’accord d’entreprise.
En procédant de la sorte, non seulement vous privez les salariés de protection, mais, en plus, vous faites du temps de travail une simple variable d’ajustement salariale. Ainsi, face à la dégradation du pouvoir d’achat, le salarié n’aura plus d’autre choix que d’accepter la remise en cause de ses conditions de travail et, par là même, de sa santé. En effet, qui l’empêchera de renoncer à « sa contrepartie obligatoire en repos » contre le paiement des heures supplémentaires correspondantes ? Personne !
II y a quelques mois, le Gouvernement procédait à la recodification du code du travail. Contrairement à ce que nous affirmions, il prétendait que la réécriture avait été faite à droit constant. Or tel n’est pas le cas puisque la question de la durée du travail, par exemple, a été transférée de la partie intitulée « Conditions de travail » à la partie « Salaires, intéressement, participation et épargne salariale ». De fait, vous gommez toute relation entre durée du travail et santé, pour n’en faire qu’une variable d’ajustement des salaires.
Or il ne vous aura pas échappé que conditions de travail et santé sont toutes deux intimement liées. Il suffit de considérer l’espérance de vie des diverses catégories socioprofessionnelles pour s’en rendre compte. Mais tel n’est visiblement pas votre souci sauf, peut être, lors des débats sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles, laquelle devrait voir ses comptes mécaniquement se dégrader. Pourtant, que vous le vouliez ou pas, si, depuis plus d’un siècle, les ouvriers se sont battus pour que le temps de travail diminue, c’est avant tout pour défendre leur santé et leur dignité.
Tel est le mouvement de l’histoire auquel vous tournez le dos. En privilégiant l’accord sur la loi, vous tirez un trait sur l’intérêt général au profit des intérêts particuliers. Or, au sein d’une entreprise, l’égalité entre l’employeur et le salarié n’est que vue de l’esprit. C’est bien l’employeur qui décidera seul du temps de travail de son salarié et donc de sa santé !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour défendre l’amendement n° 232.
Mme Annie David. Toutes les études l’attestent, le recours aux heures supplémentaires ne fait pas recette, et ce malgré les mécanismes d’exonération de cotisations sociales que vous avez mis en place, considérant visiblement que le temps travaillé au-delà de la durée légale du travail n’avait pas, pour les organismes sociaux et leur équilibre, la même valeur.
La conséquence, nous la connaissons : des comptes sociaux appauvris et en grande difficulté ! Cela permet à votre gouvernement de suggérer une énième réforme reposant, comme toujours, sur la participation financière des citoyens.
Ainsi, seuls 30 % des salariés à temps plein effectuent aujourd’hui des heures supplémentaires, et encore pour à peine 55 heures sur le contingent de 220 heures actuellement en vigueur. Monsieur le rapporteur, vous nous disiez tout à l’heure rencontrer beaucoup de Français réclamant de faire des heures supplémentaires. Force est de constater qu’ils sont peu nombreux à pouvoir en effectuer actuellement !
Une question s’impose alors, pourquoi vouloir accroître ce contingent puisque 55 heures seulement sont réalisées sur 220 ? Pour laisser le choix au salarié, dites-vous. Mais les salariés ne veulent pas s’user au travail, et le débat que vous faites naître est déséquilibré, car vous ne posez pas la bonne question. Vous demandez aux salariés s’ils veulent travailler plus pour gagner plus.
Vous n’avez pourtant jamais accepté les amendements déposés par notre groupe visant à proposer de manière prioritaire les heures supplémentaires aux salariés les plus précaires, ceux, et surtout celles, qui sont embauchés à temps partiel ou très partiel.
Dans ce contexte de paupérisation, bien entendu les salariés veulent gagner plus ! Mais pouvez-vous réellement affirmer que, pour ce faire, ils entendent accumuler des journées de travail de 10 heures ? Ne pensez-vous pas que, dans cette fausse question, les salariés ne veulent qu’une chose, obtenir une juste rémunération ?
Décidément, vous ne connaissez pas les préoccupations des salariés de ce pays ! Je ne dis pas que vous ne connaissez pas le monde de l’entreprise : cette connaissance, vous l’avez démontrée. Je dis simplement que vous méconnaissez les attentes des salariés de notre pays.
Mais peut-être ignorez-vous également celles des petites et très petites entreprises pour lesquelles la priorité n’est pas la multiplication des heures supplémentaires.
Pourquoi alors cet entêtement à vouloir généraliser les heures supplémentaires, alors même que, vous le savez, elles ne seront jamais utilisées pleinement ?
Pour offrir plus de liberté aux entreprises ? Elles en disposent déjà assez et leurs carnets de commandes ne leur permettent pas de proposer plus de 55 heures supplémentaires.
Non, la vérité est ailleurs. Vous voulez tout simplement remodeler le paysage juridique pour permettre aux employeurs de disposer de tous les outils possibles à un management fondé sur la flexibilité imposée. Vous aurez alors beau jeu d’annoncer dans la presse, ou dans cet hémicycle, que la flexibilité doit être choisie et non subie.
Ce que vous voulez, c’est un droit du travail amoindri, réduit au minimum. La recodification du code du travail a été la première étape, et vous poursuivez dans la ligne.
D’ailleurs, le code du travail deviendra bientôt une relique de l’histoire de notre droit social puisque vous permettez la prédominance de l’accord individuel, que vous nommez de manière mensongère de gré à gré, et de l’accord collectif sur la loi ou les conventions collectives et l’accord de branche.