Mme Annie David. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. Il est totalement inacceptable de fixer une pré-liste de négociations, qui aura pour résultat de bloquer pendant quatre ans toute possibilité de négociations sur d’autres sujets.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Je maintiens l’avis défavorable que j’ai émis. Il faut le savoir, cette liste ne limite en rien la négociation. En définitive, elle s’apparente à une sorte d’agenda social, ce qui laisse donc une grande latitude aux négociateurs.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, aura-t-elle, oui ou non, un caractère bloquant ?
Mme Annie David. Tout sera figé pendant quatre ans !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, j’entends bien ce que vous nous dites, mais qu’est-ce qui vous permet d’être aussi affirmatif puisqu’une telle disposition est prévue dans le texte ?
Au demeurant, ce n’est tout de même pas à la loi d’aller aussi loin et de fixer l’ordre du jour des réunions !
Mme Annie David. Absolument !
M. Jean Desessard. Il y aura sûrement des interprétations différentes. C’est toujours pareil : vous ne raisonnez, pour élaborer vos textes de loi, que par rapport à l’attitude, certes constructive, des patrons vertueux. Sans doute ceux-ci se montreront-ils arrangeants et respectueux des organisations syndicales. Mais il y a également beaucoup d’employeurs qui ne raisonnent pas ainsi, et certains rêvent même de ne pas avoir de syndicat dans leur entreprise ! Par conséquent, si on leur annonce que la liste sera limitative, ils s’arc-bouteront là-dessus pour refuser toute autre discussion ! Au final, ce sont les employeurs qui pourront tout simplement décider unilatéralement de quel sujet il convient de discuter !
Je ne vois donc pas ce qui vous permet d’être aussi affirmatif. Vous faites comme s’il y avait une sorte de loi invisible ancrée dans l’inconscient du Gouvernement et dont tout le monde pourrait prendre connaissance à n’importe quel moment.
M. le président. L’amendement n° 178, présenté par MM. Lise, Gillot, G. Larcher et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l’article L. 2122-7-1 du code du travail, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. .... - En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion, pour la mise en œuvre des articles L. 2122-1, L. 2122-2, L. 2122- 4, L. 2122-5, L. 2122-7 et L. 2122-7-1 du présent code, les taux de suffrages exprimés sont rapportés à chacun des départements.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nos collègues des départements d’outre-mer, ne pouvant être présents parmi nous ce soir, nous ont confié la tâche de défendre cet amendement qui leur tient particulièrement à cœur.
Il s’agit de tenir compte du contexte spécifique et de l’originalité du fait syndical dans ces mêmes départements. La non-reconnaissance actuelle d’une telle spécificité conduit à une réduction de l’application des droits syndicaux, à une exclusion de la gestion des organismes paritaires, et porte atteinte à la portée des élections prud’homales.
Dans son rapport intitulé Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales, M. Hadas-Lebel a pris en compte l’importance de cette question et précise ceci : « La représentativité des organisations non affiliées, de droit ou de fait, à des confédérations représentatives au niveau national fait parfois l’objet de contestations devant le juge […].
« Pourrait être étudiée l’idée d’ouvrir la faculté, dans les seules collectivités d’outre-mer, d’apprécier la représentativité d’une organisation au seul niveau de cette collectivité. Cela permettrait de tenir compte des spécificités de certaines confédérations. Mais une telle perspective n’est pas sans inconvénients dès lors qu’elle pourrait favoriser les organisations syndicales totalement autonomes au détriment de celles qui entretiennent des relations de coopération avec des confédérations représentatives au niveau national. Et elle pourrait augmenter sensiblement le nombre des organisations reconnues représentatives. »
La reconnaissance de l’originalité du fait syndical outre-mer impose aujourd’hui une réponse appropriée et adaptée pour l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales locales dans ces départements, caractérisés par leur éloignement.
Selon nos collègues, la modernisation du dialogue social outre-mer en dépend. Ils proposent donc, par cet amendement, de retenir le principe d’une représentation appréciée localement, avec des taux de suffrages qui devraient être rapportés à chacun des départements d'outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Cet amendement est totalement satisfait, car toutes les particularités syndicales propres aux départements d’outre-mer pourront être prises en compte au niveau tant de l’entreprise que de la branche. J’avais d’ailleurs été conduit à faire la même réponse à l’Assemblée nationale.
M. Jean Desessard. Où est-ce inscrit, monsieur le ministre ?
M. le président. Quel est, en définitive, l’avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission émet très clairement un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Godefroy, l’amendement n° 178 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, pouvez-vous me certifier que les problèmes posés par nos collègues représentant l’outre-mer sont d'ores et déjà réglés ? (M. le ministre le confirme.) N’ayant pas l’habitude de douter de ce que l’on m’affirme, je vous fais donc confiance, et je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 178 est retiré.
L’amendement n° 68, présenté par M. Godefroy, Mmes Demontès et Printz, M. Desessard, Mme Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 2122-9 du code du travail, remplacer les mots :
confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle
par les mots :
organisation syndicale interprofessionnelle
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 200, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour la section 5 du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du code du travail.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Notre amendement a pour objectif de supprimer les dispositions de l’article 2 tendant à créer le Haut conseil du dialogue social.
Cette instance sera composée de représentants d’organisations syndicales interprofessionnelles d’employeurs et de salariés, de représentants du ministre chargé du travail et de personnalités qualifiées, l’Assemblée nationale ayant même décidé d’y intégrer un député et un sénateur. M. le rapporteur proposera d’ailleurs dans un instant, au nom de la commission, de supprimer cette dernière précision. Nous le suivrons dans cette voie, bien que nous souhaitions, pour notre part, la suppression pure et simple de ce Haut conseil.
En effet, le rôle de cette instance sera, entre autres, de tirer les conséquences de la nouvelle règle applicable à l’établissement de la liste des organisations syndicales représentatives, et ce n’est qu’après son avis que le ministre chargé du travail pourra arrêter cette liste.
La création de ce Haut conseil appelle trois remarques de ma part.
Tout d’abord, le Gouvernement crée une nouvelle instance, qui, il faut bien l’admettre, n’aura qu’un rôle bien limité. À mon sens, son utilité ne sera pas réellement reconnue, puisque, au mieux, ou au pire, selon le point de vue que l’on adopte, elle ne servira que d’intermédiaire entre les organisations syndicales et le ministre.
L’absence d’un tel Haut conseil n’empêche pas aujourd’hui le ministre d’ouvrir le dialogue avec les organisations syndicales, pas plus qu’elle n’empêche l’établissement de la liste des organisations syndicales représentatives. En cela, sa création n’est pas indispensable.
Ensuite, la présence de parlementaires au sein de ce Haut conseil semble totalement inopportune : ils n’y ont en effet absolument pas leur place. Comme je viens de l’indiquer, M. le rapporteur proposera de supprimer cette disposition, et nous le suivrons. Néanmoins, nous souhaitons aller plus loin puisque nous demandons la suppression pure et simple du Haut conseil du dialogue social.
Enfin, lors de précédents débats, nous avons proposé que des instances déjà existantes comme la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, puissent se voir confier ce genre de responsabilités ou, à tout le moins, obtenir des prérogatives plus importantes. Nous n’avons pas été entendus. Pourtant, j’y insiste, il est tout de même bien dommage de créer un Haut conseil alors que l’on pourrait envisager une extension des prérogatives de certaines instances actuelles.
M. le président. L’amendement n° 180, présenté par M. P. Dominati, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l’article L. 2122-10 du code du travail.
La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Une fois n’est pas coutume, le libéral que je suis soutient pleinement la position que vient d’exprimer Mme David !
Mme Annie David. Cela m’a moi-même beaucoup étonnée !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mme David a une telle force de conviction !
M. Philippe Dominati. Je m’interroge moi aussi sur la nécessité de ce Haut conseil. D’une manière générale, je m’efforce de traquer dans la mesure du possible toutes les instances dont l’utilité n’est pas véritablement avérée dans le cadre de l’organisation administrative générale de notre pays. Selon moi, le champ d’application de ce Haut conseil est extrêmement limité.
Mme Annie David. Exactement !
M. Philippe Dominati. Pour ce faire, nos ministères ont toute légitimité. De ce point de vue, je partage complètement l’opinion de Mme David.
Si je comprends la volonté de clarifier le dialogue social, je reste donc circonspect sur la nécessité d’un tel Haut conseil.
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 2122-10 du code du travail, remplacer les mots :
d’organisations nationales interprofessionnelles d’employeurs et de salariés
par les mots :
d’organisations représentatives d’employeurs au niveau national et d’organisations syndicales de salariés nationales et interprofessionnelles
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Dans l’hypothèse où le Sénat maintiendrait la création du Haut conseil du dialogue social, il faudrait, à notre avis, en élargir la composition, pour permettre à certaines organisations représentatives des employeurs importantes sur le plan national, à l’image de la FNSEA, d’y participer.
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 2122-10 du code du travail, supprimer les mots :
, un député et un sénateur, désignés par leur assemblée respective parmi les membres de la commission permanente compétente,
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 200 et 180.
M. Alain Gournac, rapporteur. Toujours dans l’hypothèse où le Sénat maintiendrait la création du Haut conseil du dialogue social, il serait peu opportun que des parlementaires siègent dans une instance ayant vocation à rassembler les partenaires sociaux.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Alain Gournac, rapporteur. Il convient que les députés et sénateurs conservent une totale indépendance par rapport aux choix arrêtés par les partenaires sociaux.
Par ailleurs, la commission émet un avis favorable sur les amendements nos 200 et 180, qui sont très similaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le président, je ne voudrais pas semer le trouble, mais j’avais l’intention d’émettre un avis favorable sur les deux amendements présentés par M. le rapporteur. Or, pour ce faire, je suis contraint d’émettre un avis défavorable sur les deux premiers ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Monsieur le rapporteur, vous avez totalement raison : il faut effectivement prévoir que des organisations comme la FNSEA puissent siéger au sein du Haut conseil du dialogue social.
Mme Annie David. Si sa création est maintenue !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez d’ailleurs bien compris tout l’intérêt de cette instance, puisque vous avez prévu d’en élargir la composition.
Nous ne pouvons pas effectivement mettre en place un tel Haut conseil en l’absence des organisations agricoles ; tout le monde en convient, surtout dans cette assemblée, qui a vocation à représenter les collectivités locales.
M. Guy Fischer. Deux poids deux mesures !
Mme Annie David. Vous savez toucher la corde sensible, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà pourquoi j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur les deux amendements de suppression et un avis favorable sur les amendements présentés par M. le rapporteur.
J’ajoute que la création de cette instance a été proposée par le signataire de la position commune, et plus particulièrement – disons les choses clairement – par la CFDT. Il me semble important de permettre aux partenaires sociaux, sur la base d’une composition plus large que la seule commission nationale de la négociation collective, d’être associés à sa mise en œuvre.
Le Haut conseil du dialogue social ne nécessitera pas la mise en place d’une administration, avec rémunérations et statuts à l’appui ! La structure sera souple. La commission nationale de la négociation collective ne nous entraîne pas bien loin dans les frais : l’électricité pour la réunion et un café offert aux participants ! Il ne s’agit donc pas, au contraire de ce qui a parfois été observé dans d’autres domaines, de créer une administration supplémentaire.
La seule et unique vocation de cette instance est d’associer les partenaires sociaux. Et je ne vous cache pas que j’aurai à cœur de donner satisfaction au sénateur Alain Gournac.
M. Alain Gournac, rapporteur. Voilà une chose qui me touche !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote sur l’amendement n° 200.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Hier, lors du débat d’orientation budgétaire, MM. Philippe Marini et Alain Vasselle nous ont expliqué que, lors de l’examen de chaque texte, nous instituions de nouvelles normes et structures. Comme Philippe Dominati et Annie David, je souhaite en finir avec cette pratique. Je voterai donc leurs amendements.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je dirai, à M. le ministre, sur le mode de la boutade, que, en donnant satisfaction à M. Dominati et à Mme David, il donnerait aussi satisfaction à M. le rapporteur, lequel propose que les parlementaires ne siègent pas au Haut conseil. La suppression de l’organisme règlerait ipso facto le problème de la présence des parlementaires !
Par ailleurs, cela satisferait les organisations agricoles, qui se plaignent de ne pas siéger avec les autres syndicats : plus personne n’y siégerait !
Monsieur le ministre, après cette note d’humour, et après vous avoir entendu dire que vous seriez prêt à payer de votre poche le café nécessaire à la réunion, j’avoue ne pas pouvoir vous empêcher de mettre en place cette structure de consultation, si vous le jugez nécessaire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. Guy Fischer. Vous nous décevez, monsieur le président !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 200.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. Guy Fischer. On a satisfait la FNSEA !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 16.
M. Jean Desessard. Personnellement, je ne suis pas opposé au fait que des représentants des élus nationaux participent au Haut Conseil du dialogue social, surtout s’il s’agit de se prononcer sur les critères de la représentativité.
Mais ce n’est pas cet aspect qui me pose problème. L’amendement mentionne « un député et un sénateur ». J’imagine que chacun appartiendra à la majorité !
Je me situe dans la perspective de la réunion, lundi prochain, du Congrès. Comment un ministre aussi proche du Président de la République a-t-il pu laisser passer une telle disposition ? En effet, j’ai cru entendre le chef de l’État dire que les droits de l’opposition seront garantis.
M. Guy Fischer. Mensonge !
M. Jean Desessard. J’ai cru l’entendre dire que, face à chaque député de la majorité, il y aura un député de l’opposition et que chaque sénatrice de la majorité sera confrontée à une sénatrice de l’opposition. Et j’ai cru que M. Bertrand, le ministre ici présent, écoutait attentivement les directives du Président de la République.
Je suis donc très étonné que, en l’occurrence, on n’ait pas fait en sorte de respecter les droits de l’opposition dans la composition de ce Haut conseil.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mon cher collège, n’avez-vous pas compris que nous sommes dans la même logique que vous ? Comme vous, nous souhaitons qu’il y ait autant de sénateurs de la majorité et de l’opposition dans ce genre d’instance : aucun ! Ce n’est pas leur rôle !
Je déplore trop souvent l’absentéisme pour ne pas répéter mon souhait de voir les parlementaires travailler au Parlement, les sénateurs au Sénat et les députés à l’Assemblée nationale. Je ne veux pas qu’ils se dispersent dans un tas de structures. Non seulement ils n’ont rien à y faire, mais ils y perdent même leur capacité de critique a posteriori, puisqu’ils ont été mêlés à la décision lors de la réunion de cette instance.
M. Jean Desessard. Je pense que c’est la gestion des grandes villes, des conseils généraux et régionaux qui empêche leur présence au Parlement !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16.
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Compléter cet article par un II ainsi rédigé :
II. - Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la septième partie du code du travail est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Représentation professionnelle
« Art. L. 7111-7. - Dans les entreprises mentionnées à l'article L. 7111-3 et L. 7111-5, lorsqu'un collège électoral spécifique est créé pour les journalistes professionnels et assimilés, est représentative à l'égard des personnels relevant de ce collège, l'organisation syndicale qui satisfait aux critères de l'article L. 2121-1 et qui a recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise, ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel dans ce collège.
« Art. L. 7111-8. - Dans les branches qui couvrent les activités de presse, publication quotidienne ou périodiques, agences de presse ou communication au public par voie électronique, des entreprises de communication audiovisuelle, sont représentatives à l'égard des personnels mentionnés à l'article L. 7111-1, les organisations syndicales qui remplissent, dans les collèges électoraux de journalistes, les conditions prévues à l'article L. 2122-5 ou à l'article L. 2122-6. »
II. - En conséquence, faire précéder le premier alinéa de cet article de la mention :
I. -
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. C’est un amendement important, annoncé à plusieurs reprises.
Les journalistes professionnels et assimilés ont des dispositions particulières – et c’est bien ! – qui leur sont applicables dans le Livre Ier de la septième partie du code du travail. Ils disposent, en effet, d’une carte d’identité professionnelle et ont des conditions qui leur sont propres en matière de contrat de travail et de rémunération.
Ils doivent donc pouvoir bénéficier d’une représentation spécifique dans les entreprises de presse, dans les publications quotidiennes et périodiques, dans les agences de presse ainsi qu’au niveau de la branche.
Tout particulièrement attaché à cet amendement, j’ai dit en début de séance combien il est important de ne pas laisser sur le bord de la route un syndicat qui recueille 47 % des suffrages.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Deux choses viennent en quelque sorte s’ajouter au débat.
Premièrement, comme l’a très bien dit M. le rapporteur, la profession de journaliste est organisée de façon spécifique dans le code du travail, avec des dispositions particulières en matière de contrat de travail et de rémunération.
Les journalistes sont présents dans vingt-deux secteurs conventionnels de la presse, de la communication et de l’audiovisuel. Et l’on sait aussi que leurs représentants participent aux négociations dans ces branches.
Voilà pourquoi je comprends tout à fait l’amendement présenté par M. le rapporteur.
Deuxièmement, il est vrai que la position commune n’a pas abordé le sujet. J’ai indiqué qu’il fallait en garder l’esprit et la lettre.
Tels sont les deux arguments. Je ne sais pas s’ils sont d’égale portée, et je laisse les sénateurs porter leur jugement.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. II faut noter que cet amendement prend place dans la septième partie du code du travail relative à certaines professions particulières. Il ne concerne que la profession de journalistes et donne satisfaction aux demandes du SNJ.
Mais il est clair que M. le rapporteur prend bien garde à ne pas aller au-delà de cette revendication professionnelle afin de ne pas effleurer le délicat équilibre de la position commune au sujet du seul syndicat catégoriel interprofessionnel connu.
II en résulte que, si d’autres syndicats professionnels existent ou ont vocation à se créer, ils en seront empêchés par les termes mêmes de la position commune.
Les partenaires sociaux demandent au Parlement d’entériner un dispositif que la démocratie politique ne permettrait pas. Nous devons en avoir conscience.
Compte tenu du caractère particulièrement important de l’existence d’un syndicat de journalistes, tant pour la délivrance de la carte de presse que pour la défense de l’indépendance de la profession, nous voterons cet amendement, avec les réserves que je viens d’indiquer sur un plan général.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Nous avons évoqué ce sujet tout à l’heure au moment de la discussion de l’amendement déposé par nos collègues socialistes.
Monsieur le rapporteur, nous soutiendrons votre amendement, bien que nous regrettions qu’il soit restrictif, même s’il l’est moins que le précédent. Il répondra aux demandes des journalistes, et c’est tant mieux !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je voterai également cet amendement. Toutefois, je tiens à interpeller M. le rapporteur, qui n’a pas répondu à la question que je lui ai posée : qu’est-ce qui justifie qu’il accorde cette possibilité au corps des journalistes et qu’il ne l’étende pas à d’autres catégories professionnelles précédemment citées, tels les pilotes de ligne, les conducteurs de trains et les intermittents du spectacle ? Qu’est-ce qui justifie cette attitude, mis à part le fait qu’il ne veuille pas, je suppose, se fâcher avec les journalistes ? Pourquoi cette catégorie et pas les autres ? Je suis favorable à votre amendement pour cette catégorie, mais je réitère ma question.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Monsieur le sénateur, je vous répondrai d’une façon très claire. Si j’agis de la sorte, c’est parce que les journalistes ne souhaitent pas s’engager dans des syndicats qui ne correspondraient pas à leur éthique. Voilà ma réponse !
Je veux les défendre, parce qu’il ne faut pas les obliger à se tourner vers des syndicats – je dis bien « les obliger » : s’ils veulent le faire, ils le font, cela ne me regarde pas – plus engagés d’un côté ou de l’autre, qui les noieraient dans la masse.
Je l’ai expliqué tout à l’heure, un syndicat a obtenu, lors des dernières élections, un peu plus de 47 % des suffrages, et il est donc très important de ne pas le laisser de côté.
Vous évoquez les pilotes, les conducteurs de trains et les intermittents du spectacle, monsieur Desessard. Néanmoins, je considère qu’il y a une spécificité concernant les journalistes. C’est pourquoi je me bats en faveur de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, je mesure la qualité de votre réponse, et je ne vous ferai pas le reproche de proposer une ouverture au bénéfice d’une profession particulière.
Toutefois, je profite de cette intervention pour souligner qu’aucun d’entre nous n’accepterait une organisation aussi restrictive dans la sphère politique. Jean-Pierre Godefroy l’a rappelé à l’instant, et je crois que tout le monde, ici, partage son avis.
Naturellement, les responsabilités des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Ceux qui ont décidé de suivre la position commune en entérinent progressivement toutes les dispositions, ce qui est logique. Je comprends également – ne tournons pas autour du pot ! – que certains syndicats aient intérêt à ce que cette position commune soit appliquée ; je le reconnais d’ailleurs d’autant plus volontiers que je suis proche de l’une des organisations qui l’a approuvée.
Cela dit, je voudrais relever deux points.
Tout d'abord, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que la profession de journaliste soit si particulière que ceux qui l’exercent, lorsqu’ils défendent leurs intérêts catégoriels, incarnent des valeurs plus élevées que, par exemple, les travailleurs du service public.
Je rappelle que le syndicat des journalistes se trouve chargé de défendre les intérêts professionnels de ses membres, et non la liberté de la presse ! De celle-ci, nous sommes tous comptables, et, à maints égards, ceux qui ne travaillent pas pour les médias la défendent souvent mieux que les salariés qui exercent ces métiers, parce qu’ils ne subissent pas les mêmes sujétions.
L’argument de la spécificité de cette profession ne me semble donc pas devoir être retenu, sauf au sens où celle-ci dispose pour se faire entendre, disons-le franchement, de moyens que d’autres n’ont pas ! (M. le rapporteur proteste.) Pour justifier cette différence, il est inutile de produire des théories qui, finalement, ne nous grandissent pas.
Ensuite, nous butons pour la deuxième fois sur la difficile articulation de la démocratie sociale et de la démocratie politique.
Je n’aime pas l’expression « démocratie sociale » et je ne la comprends pas : la démocratie ne peut être réduite au champ social ; elle s’étend à la société politique tout entière ou elle n’a aucun sens ! En réalité, on veut opposer ici la logique du contrat et celle de la loi, qui reposent sur des raisonnements différents.
Le législateur délibère en vue de l’intérêt général, et la loi s’applique à chacun parce qu’elle est décidée par tous ; mes chers collègues, nous représentons la tierce partie qui se trouve exclue de l’accord contractuel, c'est-à-dire la société tout entière.
En revanche, dans la relation contractuelle, deux parties seulement s’entendent, et l’accord auxquelles elles parviennent peut se révéler le mieux à même d’assurer la paix sociale tout en étant absurde par rapport à l’idée que nous nous faisons de l’organisation de la société !
Nous tombons sans cesse sur cette difficulté, qui est encore en cause ici. En tant que législateurs, nous n’avons rien à dire sur le pluralisme syndical ; nous y serions plutôt favorables, mais là n’est pas la question. De toute façon, nous sommes contraints par la position commune.
Nous devons réfléchir à ce problème, car c’est la deuxième fois en quelques semaines que nous sommes saisis d’un texte visant à valider une position commune des syndicats. Nous ne pourrons plus nous contenter de slogans et considérer la démocratie sociale comme un bienfait pur et constant pour la démocratie politique, parce que telle n’est pas la vérité !
Ce n’est pas sans raison que nos lointains prédécesseurs ont estimé – je regrette que ce soit à moi de le rappeler ! – que la catégorie du citoyen était plus élevée que celle du prolétaire et comportait, si j’ose dire, une dimension eschatologique.
C’est là toute la différence entre la République, qui instaure le citoyen en l’extrayant de l’humus de ses appartenances, et d’autres systèmes où ce sont les catégories sociales qui font la loi. Cette dernière conception n’est pas conforme à l’idée républicaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)