M. le président. Il vous faudrait tout de même songer à conclure, mon cher collègue : vous avez atteint le double votre temps de parole !
M. Claude Biwer. S’agissant, enfin, de l’article 27 relatif à l’urbanisme commercial, il a fait l’objet d’importantes modifications à l’Assemblée nationale. Cela sera-t-il suffisant ? Les élus auront-ils les moyens de répondre à tous ceux qu’inquiète le relèvement du seuil de saisine des CDAC de 300 à 1000 mètres carrés ?
Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur ce texte très important pour l’avenir de notre pays. J’ose espérer que les amendements que notre groupe va proposer seront pris en considération et que nous pourrons apporter notre contribution à cette entreprise empreinte d’un réalisme auquel nous sommes tous très attachés. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un texte fort « joufflu » qui nous arrive de l’Assemblée nationale, joufflu, mais pas forcément assez musclé pour répondre aux objectifs que le Gouvernement lui assigne.
C’est précisément, madame la ministre, sur les objectifs, les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre et la philosophie politique qui les sous-tend que j’ai placé mon intervention.
Premier objectif, la croissance et le pouvoir d’achat. Madame la ministre, votre texte ne peut pas être « hors sol » : il intervient dans un contexte macro-économique qu’il faut quand même rappeler.
Un an après la funeste loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, les espoirs de croissance se sont envolés avec la crise financière et ses effets systémiques. Dans un contexte de tension du pouvoir d’achat, les salariés et les entreprises ne se sont pas rués sur les solutions que vous leur aviez proposées à ce moment-là. Cette première cartouche a fait long feu !
Avec la loi LME, votre ambition est plus modeste : 0,5 point de pouvoir d’achat par an pendant trois ans et 0,3 point de croissance.
Malheureusement, la chute du pouvoir d’achat au premier trimestre 2008, au moment où l’inflation dépasse les 3 %, glace cette modeste ambition.
Comment attendre de la concurrence qu’elle compense la hausse structurelle des matières premières et des énergies compte tenu de la demande des pays émergents, qui ne faiblit pas, et de la spéculation, qui pèse sur les prix alimentaires, les marchés ne faisant qu’anticiper une hausse structurelle et durable ?
Parallèlement, les emplois que vous vous réjouissiez d’avoir créé sont essentiellement des emplois à temps partiel et en contrats à durée déterminée, ce qui crée des pauvres en puissance dans la mesure où ces emplois sont peu rémunérés.
L’équation sur laquelle reposait le modèle de croissance molle en Europe supposait, pour être soutenable, que les consommateurs paient moins cher les produits importés. La hausse des produits de base vient durablement bloquer ce type de croissance. Des temps très durs pour la France et les Français s’annoncent, surtout si l’on ajoute à ce panorama la contraction de l’offre de crédit et son renchérissement.
Nous serons aux alentours de 1,6 point de croissance, cette année sans que l’horizon se dégage pour 2009.
Je sais, madame la ministre, que vous n’aimez les statistiques que lorsqu’elles sont bonnes. Sans doute est-ce la raison pour laquelle vous souhaitez introduire une Autorité de la statistique ! Il vous serait plus commode de suivre l’exemple du gouvernement italien, qui a fait voter une loi enjoignant aux médias de donner 50 % de bonnes nouvelles et 50 % de moins bonnes ! Pourquoi n’emprunteriez-vous pas cette voie en matière de statistiques ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
La croissance de la France reposait sur l’unique moteur de la consommation. Or celle-ci flanche. Peut-elle rebondir ? Non, car ce gouvernement, comme les deux précédents, n’a pas pris la mesure de la mondialisation ni de la montée en puissance de nouveaux acteurs. Nous vous l’avions déjà dit dès juillet 2007 : vous avez préféré accroître la demande de ceux qui ont trop – ou beaucoup – plutôt que d’engager tout de suite des mesures destinées à muscler le tissu productif, c'est-à-dire celles qui sont – vous ne pouvez l’ignorer – les plus longues à produire leurs effets. Vous dites que vous le faites maintenant avec ce projet de loi. Mais cette deuxième cartouche, avant même d’être tirée, est mouillée, car vous persistez dans l’erreur.
Cette fois-ci, vous faites reposer votre action sur la stimulation de la concurrence. Or faire de la concurrence un principe général d’organisation de l’économie, c’est limiter l’individu au strict rôle d’agent marchand, c’est faire fi de sa situation de salarié – et les salariés ne reçoivent par leur part de la création de richesses à laquelle ils participent –, c’est faire fi de sa qualité de citoyen qui, surtout s’il est pauvre, a besoin de disposer d’un capital public important.
Implicitement, vous développez une vision de la société qui consiste à découper l’individu en tranches : aujourd’hui, nous nous occupons de la tranche « consommateur ». Nous ne partageons pas votre vision des choses, celle d’individus isolés, rendus arbitres de leur propre sort sans capacité d’agir collectivement sur le destin du monde, la vision de la « concurrence de tous contre tous » !
Si vous aviez voulu agir pour traiter ensemble le citoyen et le consommateur, vous lui auriez conféré le droit d’exercice collectif de l’action de groupe, absent de ce texte. On nous dit qu’il viendra plus tard, dans une curieuse cohabitation avec les dispositions relatives à la dépénalisation du droit des affaires. Très étonnante proximité !
La troisième cartouche viendra à l’automne, avec le bouleversement annoncé par le Président de la République des règles de la participation et de l’intéressement. Je vous mets en garde contre les conséquences néfastes du déblocage massif de la participation sur l’épargne de long terme, si nécessaire au développement des entreprises ou à la constitution de l’épargne retraite.
Et que dire de l’encouragement à l’intéressement, développé à coups de crédit d’impôt ? Voilà nouvelle niche fiscale, alors que vous prétendez en limiter le nombre ! Cette troisième salve sera tout aussi inefficace que les deux premières parce que votre raisonnement de base est faux.
Le deuxième objectif de ce projet de loi est la modernisation de l’économie.
Le tissu de nos entreprises ne prédispose pas la France à la globalisation : notre pays compte beaucoup de petites ou très petites entreprises – plus que dans les pays anglo-saxons – et un nombre important de grands leaders mondiaux. Il abrite, en revanche, très peu de grosses PME innovantes et exportatrices.
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. Le diagnostic est connu et, je le crois, partagé, mais les remèdes apportés par le Gouvernement se cantonnent à des mesures d’assouplissement administratif ou fiscal visant à « libérer les énergies », euphémisme convenu pour masquer le fait que vous dérégulez, sans structurer pour autant.
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Nicole Bricq. Le président Larcher a rappelé tout à l’heure qu’il avait été favorablement impressionné par les vertus du modèle allemand. Il a raison ! Mais le lien de proximité qu’entretient le système bancaire allemand avec le tissu des PME est historique et n’existe pas en France.
M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
Mme Nicole Bricq. Il n’existera pas davantage après le vote de ce projet de loi.
M. Gérard Longuet. C’est vraisemblable !
Mme Nicole Bricq. Quant à la création du statut d’auto-entrepreneur, elle reprend finalement une vieille idée de Raymond Barre, émise il y a plus de trente ans, lorsqu’il était Premier ministre et qu’il conseillait aux chômeurs de créer leur entreprise. En fait de nouveauté, vous faites porter le risque sur l’individu, sans lui accorder le filet de sécurité qui le mobiliserait durablement et positivement.
L’attractivité du territoire est votre troisième objectif. Les dispositions du projet de loi relatives à ce sujet, que j’ai examinées particulièrement, sont essentiellement tournées vers la place financière de Paris, laquelle, après la suppression de l’impôt de bourse en loi de finances rectificative pour 2008, obtient à peu près ce qu’avait demandé le Haut comité de place. Vous accordez des avantages fiscaux aux « impatriés haut de gamme », mais nous ne savons rien du nombre d’entre eux que vous espérez voir s’intéresser à ce dispositif. Si nous adoptions, en plus, les amendements du rapporteur Philippe Marini, nous arriverions au régime fiscal britannique de remittance basis, qui était très favorable aux non-résidents jusqu’à ce que Gordon Brown le remette sérieusement en cause.
S’il s’agissait de donner un avantage compétitif à la place financière de Paris – et j’ai cru comprendre en écoutant votre intervention, madame la ministre, que tel était votre objectif avoué –, il vaudrait mieux le dire sans habiller l’opération d’une appellation infondée, particulièrement inopportune dans un contexte de chasse aux sans-papiers, ceux-là mêmes qui font tourner notre économie, qui assurent les services à la personne en s’occupant de nos vieux parents et de nos très jeunes enfants !
M. Thierry Repentin. Ils font aussi tourner les restaurants connus de Neuilly !
Mme Bariza Khiari. Il faut le dire à M. Hortefeux !
Mme Nicole Bricq. Il ne restera plus qu’à abolir la taxe sur les salaires dans une prochaine loi de finances. La satisfaction des financiers serait alors complète !
Mais il ne m’a pas échappé – car j’ai, malgré tout, eu le temps, hier, de lire les rapports écrits – que le rapporteur Philippe Marini trouvait que vous n’en faisiez pas assez, madame la ministre, concernant les exonérations des droits de mutation à titre onéreux aux articles 15 et 16 du projet de loi.
Les fuites sur la énième réforme de la taxe professionnelle que vous préparez inquiètent sérieusement, une fois encore, les élus. On croyait le dispositif stabilisé, il n’en est rien : il faut que cette taxe meure petit à petit !
Je voudrais également rappeler qu’au « top 50 » des centres de décision des grands groupes, Paris est en troisième place derrière New York et Londres, notamment pour la gestion d’actifs. C’est bien la preuve que le mal français n’est pas là. Il est à noter, du reste, que l’industrie française est une grande absente de ce projet de loi…
Mon collègue Daniel Raoul a évoqué avant moi le grand nombre d’habilitations que comporte ce projet de loi. Je voudrais notamment vous mettre en garde contre une habilitation que vous demandez au Parlement pour moderniser la place financière de Paris. Vous allez réformer par ordonnance l’appel public à l’épargne, singularité française dans le contexte mondial : vous la mettez en danger, sans conférer pour autant des avantages aux petits porteurs ni aux petits actionnaires.
J’en viens à l’épargne réglementée, que vous bouleversez avec la libéralisation du livret A. Vous prétendez répondre à la demande de la Commission européenne, à la suite du recours intenté par les banques, mais le projet de loi va bien au-delà. Il remet en cause la centralisation auprès de la Caisse des dépôts et consignations et prend le risque insensé – j’avais pourtant cru comprendre que le logement social était une des priorités de ce gouvernement – de mettre en péril, à terme, le financement du logement social. Le taux de centralisation ne figure pas dans la loi et le coefficient plancher de 1,25 – nous vous le démontrerons – ne correspond pas aux besoins.
Ce bouleversement de l’épargne réglementée est profondément déséquilibré, pour le plus grand profit des banques. Elles sont gagnantes sur tous les tableaux. Je vais me contenter de les énumérer, mais, croyez-moi, nous y reviendrons !
Les banques n’auront pas à satisfaire au principe de l’accessibilité bancaire puisque le service d’intérêt économique général reposera uniquement sur la Banque postale.
M. Thierry Repentin. La banque des pauvres !
Mme Nicole Bricq. Vous avez présenté la fixation du taux de rémunération forfaitaire des banques à 0,6 % comme le fruit d’un compromis « laborieux », je vous cite, mais nous vous démontrerons qu’il s’agit en réalité d’une surcompensation.
Les banques auront accès à un surcroît de liquidités, bienvenu en cette période de crise financière où elles doivent éponger des pertes dans leur bilan. Évidemment, ce sont les gros livrets qui les intéressent, ceux qui n’induisent pas de frais de gestion importants. Pour ceux-là, le taux de rémunération de 0,6 % est excessif : de l’avis même d’un banquier de la place, un taux de 0,1 % eût été suffisant.
Les banques ont échappé à l’exigence de comptabilité séparée.
Enfin, la suppression du service d’intérêt économique général de collecte et de centralisation transforme en une simple prestation commerciale la relation État-banques. L’exemple des CODEVI, rebaptisés livrets de développement durable ou LDD, aurait pu vous amener à vous interroger : les aides aux entreprises, qui étaient l’objectif du LDD, se sont limitées à 50 % des encours collectés. Les députés l’ont constaté et ont adopté un amendement pertinent.
Vous mettez le doigt dans un engrenage fatal, qui conduira inexorablement les banques à demander, dans un avenir plus ou moins proche, la suppression de la centralisation auprès des fonds d’épargne gérés actuellement par la Caisse des dépôts et consignations, déjà considérée par les esprits les plus libéraux comme une « étrange survivance ».
Pour ce qui est de la Caisse des dépôts et consignations, le Gouvernement s’est révélé finalement plus prudent que certaines déclarations ou l’avant-projet pouvaient le laisser craindre. Car la « vieille dame » agace dans les plus hautes sphères de l’État, nous l’avons remarqué depuis quelques mois !
Les modifications apportées dans sa gouvernance sont finalement limitées. L’instauration d’un comité des investissements avait lui-même été proposé par les instances de la Caisse. Les fonds d’épargne sont bien identifiables sans qu’il soit utile de les isoler dans un établissement public, comme l’idée en avait été émise. Enfin, le contrôle de la Commission bancaire doit être interprété comme un appui aux missions de la Caisse des dépôts et consignations.
Toutefois, pour l’avenir, nous ne sommes pas tout à fait rassurés. Toutes ces mesures sont, dans l’esprit de certains, un prélude à la banalisation de la Caisse des dépôts et consignations. Nous voulons, une fois encore, vous mettre en garde de manière solennelle : la Caisse est placée depuis sa naissance sous la surveillance du Parlement ; elle le restera ! Quant à lui faire jouer le rôle d’un fonds souverain ou de « chevalier blanc » du CAC 40, il ne faudrait pas oublier l’essentiel, à savoir que les fonds dont elle dispose ne lui sont pas propres : elle les gère pour compte de tiers. Elle sécurise l’épargne des Français.
Nous voulons donc vous donner un avis sans frais concernant l’avenir, car notre inquiétude n’est pas dissipée. La pratique des gouvernements depuis 2002 nous a instruits : ce qui ne peut être fait immédiatement en raison de trop grands risques politiques, est finalement réalisé par grignotages successifs. On dessine ainsi un paysage de la société française dans lequel les Français ne se reconnaissent plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, moderniser l’économie en relançant la concurrence pour agir sur la baisse des prix et stimuler la croissance, telle est l’ambition du projet de loi qui nous est soumis, dans le but de créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois par an.
De nombreuses dispositions sont particulièrement bienvenues, qu’elles concernent l’auto-entrepreneur, les travailleurs indépendants, les artisans, les professions libérales et les conjoints collaborateurs, tout comme les différentes catégories de sociétés.
À ce stade, je voudrais saluer la contribution de premier plan apportée par le groupe de travail sur la modernisation de l’économie que le Sénat avait pris soin de constituer, au cours du premier trimestre 2008, ainsi que de toutes les équipes qui ont travaillé autour de son président.
De nombreuses mesures de ce projet de loi qui visent à favoriser le développement des PME et à simplifier leur fonctionnement vont dans le bon sens. J’en citerai quelques-unes.
Permettre un accès privilégié des PME innovantes à la commande publique est une mesure indirecte de soutien aux PME qui, bien que juridiquement contrainte, mérite d’être expérimentée.
Je crois également à une économie au service de l’homme et, partant, à une législation qui répond à ses besoins. C’est ce que fait ce projet de loi en prévoyant les conditions dans lesquelles pourra être créé un tarif social pour la téléphonie mobile. Nous savons tous, mes chers collègues, ce que représente, dans le budget des foyers les plus modestes, le coût de la téléphonie mobile et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
S’il est, en revanche, un volet de ce projet de loi sur lequel je me permettrai d’émettre des réserves, c’est sans conteste celui qui concerne la réforme du régime juridique de l’urbanisme commercial.
Certes, une réforme de l’équipement commercial est depuis longtemps nécessaire : il y a effectivement urgence à se mettre au diapason du droit communautaire et, surtout, à répondre aux nécessités du terrain.
Mais quelle est la situation actuelle ? Malgré la loi du 29 janvier 1993 et celle du 5 juillet 1996, plus restrictive, les grandes surfaces n’ont cessé de croître et le grand commerce, de se développer. Il occupe désormais les niches autrefois réservées aux petits commerçants ou aux moyennes surfaces situées dans les centres-villes ; je pense, par exemple, à l’équipement de la personne. Tout cela contribue à détruire l’animation des centres-villes, et nos territoires ruraux sont les premiers touchés.
Le hard discount se développe déjà sur des surfaces ne dépassant pas les 299 mètres carrés. Il n’est donc pas nécessaire de le favoriser à outrance, comme le texte le permet implicitement. Imaginez ce qu’il adviendrait demain des boulangers indépendants, qui sont le poumon économique et social de nos communes rurales, si le hard discount alimentaire se généralisait avec une baguette vendue au prix d’appel de 29 centimes d’euro, comme cela s’est déjà vu dans ce type d’enseigne !
C’est parce qu’il avait conscience de cette évolution de la situation que, dès le printemps 2004, le Premier ministre de l’époque m’avait confié la mission d’évaluer le dispositif législatif et réglementaire garantissant l’équilibre entre les différentes formes de commerce. J’avais, par la suite, déposé une proposition de loi, cosignée par une soixantaine de sénateurs, qui a été adoptée en première lecture en juin 2005.
Le dispositif que notre assemblée avait ainsi voté était le résultat d’une concertation approfondie avec tous les acteurs concernés. Il répondait très largement aux attentes exprimées par tous, aussi bien au sujet des principes directeurs de l’équipement commercial – promouvoir un aménagement urbain équilibré, protéger l’environnement, satisfaire les besoins des consommateurs et participer au développement de l’emploi – que des critères sur lesquels doivent se fonder les décisions des commissions d’équipement commercial – considérations architecturales et esthétiques et cohérence urbaine du projet, notamment.
Cela étant, le 5 juillet 2005, soit quelques jours après l’adoption de ce texte par le Sénat, la Commission européenne adressait une lettre de mise en demeure à la France, la sommant de mettre sa législation en conformité avec la directive « services ». C’est la raison pour laquelle le ministre qui était à l’époque en charge des PME, du commerce, de l’artisanat avait pris l’initiative de constituer un groupe de travail sur la réforme de la législation de l’urbanisme commercial. Mais la décision effective date seulement de la fin de l’année 2006, soit un an et demi plus tard ! Et la commission a rendu ses conclusions en février 2007.
Il est vivement regrettable que nous ayons perdu autant de temps ; la réforme aurait permis de mieux limiter le nombre de mètres carrés autorisés, qui, pendant cette période, se sont accumulés : 3,5 millions en 2005, 3,8 millions en 2006 et 3,575 millions en 2007. Soit plus de 10 millions de mètres carrés supplémentaires en trois ans ! Qu’en aurait-il été sans la loi Raffarin ? En fixant un seuil de blocage à 300 mètres carrés, elle a permis d’éviter un trop grand développement de ce type de surfaces.
Le Sénat, quant à lui, avait pressenti et anticipé cette urgence dès le mois de juin 2005. J’observe d’ailleurs que le groupe de travail ministériel a permis de valider les orientations qui avaient été retenues.
Tous s’accordaient sur le nécessaire maintien d’une législation spécifique, suivant ainsi le chemin emprunté par l’ensemble des pays de l’Union européenne qui se sont dotés progressivement d’une réglementation applicable à la création et à l’extension des grandes et moyennes surfaces de commerce de détail, comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède.
Le maintien d’une commission départementale, fût-elle rebaptisée commission d’aménagement commercial, était également approuvé, avec des modifications. Les CDEC méritaient d’être modifiées, de même que la commission nationale d’équipement commercial. La composition des CDEC a facilité l’extension d’un certain nombre de magasins. L’existence du schéma de développement commercial comme celle des seuils à partir desquels est déclenchée la procédure étaient confortées. Mais, à aucun moment, il ne fut question de relever le seuil au-delà duquel l’autorisation est requise.
Madame la ministre, retenir 1 000 mètres carrés, comme vous le proposez aujourd’hui, ce serait revenir trente-cinq ans en arrière ! En effet, c’était le seuil fixé par la loi Royer du 27 décembre 1973 ; il a été abaissé à 300 mètres carrés par la loi de 1996.
On peut, certes, considérer que la structuration de l’offre commerciale a évolué et que la modernité, pour satisfaire à l’intitulé du projet de loi, conduirait peut-être à retenir un seuil intermédiaire de 500 mètres carrés, comme un certain nombre de sénateurs le souhaitent.
J’y mettrai, personnellement, une double condition. D’une part, il faut maintenir la possibilité, pour les maires des communes de moins de 20 000 habitants, ainsi que de celles qui ne sont pas directement concernées mais qui font partie de l’intercommunalité, de saisir la CDAC des projets compris entre 300 et 500 mètres carrés, chiffres qui, loin des 1 000 mètres carrés annoncés, correspondent mieux à la réalité du terrain. D’autre part, il est indispensable de prendre en compte l’impact que peut avoir sur un autre département ou sur une autre région un projet situé à leurs confins, par exemple, la création d’un hypermarché de 20 000, 30 000 ou 50 000 mètres carrés, de même que celle d’un magasin de marques ou d’un magasin d’usine.
La commission spéciale n’a donné sur ce point que quelques pistes. Selon moi, il faut mettre en place une commission interdépartementale, qui doit fonctionner avec souplesse sans devenir une usine à gaz. Convoquée par le préfet du département d’implantation, cette commission pourrait répondre efficacement aux besoins, car nous savons tous que les bassins de vie ne respectent pas la logique du découpage administratif !
Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, je comprends la logique du Gouvernement, mais permettez-moi de ne pas la partager sur ce point précis. Dans votre optique de concurrence totale, on peut d’ailleurs se demander pourquoi vous maintenez encore un seuil, et même une législation spécifique.
À mes yeux, la concurrence, ce n’est pas la loi de la jungle, qui consacre celle du plus fort. L’aménagement du territoire, ce n’est pas une incantation, c’est une ardente obligation. Mon idéal, ce n’est pas l’appauvrissement des territoires à l’écart desquels fleuriraient, autour des grandes villes, des hard discounters. Vous le savez, ces enseignes, qui sont pour la plupart liées à la grande distribution, se frottent déjà les mains – regardez tous les encarts publicitaires qui fleurissent dans la presse ! –, alors que certaines d’entre elles n’ont de cesse de pressurer leurs fournisseurs et créent, en fait, moins d’emplois qu’elles n’en font disparaître. Sans parler des conditions salariales qui sont faites à un certain nombre de leurs employés !
L’équilibre entre les différentes formes de commerce doit être l’objectif prioritaire de la réforme en cours. Nous devons lutter contre la désertification commerciale, préserver et développer les commerces de proximité dans les centres des villes, qu’elles soient petites ou grandes, et dans les territoires ruraux.
De gros efforts ont été entrepris, ces dernières années, en matière de partenariat entre les créateurs de commerces de proximité, les collectivités locales et l’État, par l’intermédiaire du FISAC. Veillons à ne pas détruire ce qui a été mis en place progressivement. Il y va de la vitalité de nos territoires. C’est à nous, représentants des collectivités locales, mais aussi à l’État, qu’il revient de les soutenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. Mes chers collègues, je vais, dans quelques instants, suspendre la séance, mais je donne au préalable la parole est à Mme Odette Terrade, qui souhaite intervenir une nouvelle fois sur l’organisation de ce débat.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, nous l’avons tous souligné, le projet de loi de modernisation de l’économie a été sensiblement « alourdi » par l'Assemblée nationale puisqu’il comporte désormais plus de cent vingt articles. La première lecture à l'Assemblée nationale a en outre montré que, sur bien des points du texte, une seconde lecture ne serait nullement superflue.
En raison de la technicité des dispositions de ce texte et du recours prévu aux ordonnances, nous pensons donc qu’il est indispensable de lever l’urgence qui a été décrétée par le Gouvernement.
Par ailleurs, compte tenu de la multitude des sujets abordés, de l’importance du projet de loi et du nombre élevé d’amendements, nous souhaiterions savoir précisément comment vont se dérouler nos travaux. En effet, un examen non seulement précipité mais encore entrecoupé des articles ne pourrait que nuire à la qualité et à la sérénité de nos débats.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Madame Terrade, je ne peux vous répondre sur la question de l’urgence : cela ne relève pas des compétences du président de la commission spéciale que je suis.
Sur le second point, je propose de réunir, lorsque la séance sera suspendue, la commission spéciale pour que nous puissions ensemble examiner le déroulement de nos travaux. Nous devrons tenir compte d’un certain nombre d’impératifs et décider d’une organisation qui soit aussi harmonieuse que possible, pour permettre à chacun de faire les prévisions qui lui sont utiles. Croyez bien, ma chère collègue, que je suis, comme vous, soucieux de faire en sorte que nos débats se passent dans les meilleures conditions.
Monsieur le président, si vous le voulez bien, j’exposerai, aussitôt après la reprise de la séance, à l’ensemble des membres de notre assemblée le déroulement des travaux que proposera la commission spéciale, sous réserve naturellement de votre accord et de celui du Gouvernement.