M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les 1 210 pages que comportent les deux rapports de la commission spéciale laissent entendre que le projet de loi que nous examinons est un texte riche. Après son passage à l’Assemblée nationale, on peut même dire qu’il est un peu touffu.
Pour autant, monsieur Raoul, notre pouvoir de parlementaire est-il pris en défaut ? Non. Grâce à Gérard Larcher, qui a présidé activement, pendant près de trois mois, la commission spéciale, nous avons pu entendre tous les partenaires concernés directement et indirectement par ce texte, de telle sorte que les trois rapporteurs, Mme Élisabeth Lamure, MM. Laurent Béteille et Philippe Marini, ont pu être éclairés. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité de leur travail.
Une telle démarche préparatoire honore le Parlement. Il faut bien que, de temps en temps, il dise du bien de lui-même pour que cela soit répété ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Pour une fois, nous sommes en phase !
M. Gérard Longuet. Cet honneur rejaillira sur l’ensemble des sénateurs présents dans cet hémicycle, qui se sont tous impliqués dans ce débat.
C’est un projet de loi courageux. Il fallait qu’il le soit parce que la France, depuis plus de deux ans, indépendamment de toute circonstance politique, se nourrit de rapports, le rapport Camdessus, le rapport Jacob sur les conditions de paiement, le rapport Attali, documents qui montrent à quel point notre pays est impatient de rattraper le retard qu’il a, hélas ! accumulé tout au long de ces dernières années. Il fallait donc un texte courageux, à la mesure de l’analyse lucide que des experts, de toutes origines, portent sur la situation de notre pays.
C’est un projet de loi réaliste. Comment en serait-il autrement alors que je constate, moi qui suis un ancien fonctionnaire, que les quatre membres du Gouvernement en charge de ce dossier viennent tous du secteur privé ? Pour la première fois, au banc du Gouvernement, pas un seul inspecteur des finances, pas un seul conseiller d’État n’est présent ; seuls y figurent des praticiens de l’économie privée.
M. Jean Desessard. Cela sera répété aux inspecteurs des finances !
M. Gérard Longuet. Je voudrais, en ma qualité d’intervenant au nom du groupe de l’UMP, aborder les sujets qui fâchent et traiter de questions plus politiques. Les questions de compétences ont été très bien présentées par les rapporteurs. Je souscris à la plupart de leurs conclusions.
Si nous avons examiné ce projet de loi, nous n’avons pas esquivé, pour autant, un certain nombre de problèmes posés, que ce texte a le mérite de traiter avec réalisme et bon sens. Comme fil conducteur, certes, pas très original, de mes réflexions, je suivrai l’ordre des titres.
Pour ce qui concerne le titre Ier, trois sujets fâchaient, lorsque les travaux de la commission spéciale ont débuté. Aujourd’hui, pour l’essentiel, les malentendus ont été dissipés.
Le premier sujet qui fâche sur le titre Ier, c’est le statut d’auto-entrepreneur. Monsieur Daniel Raoul, je ne pense pas comme vous qu’il constitue un retour en arrière ou entre en conflit avec celui des TPE, bien au contraire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En réalité, il s’agit de développer un nouvel esprit d’entreprise, qui prépare l’accès au statut de TPE, pour les entrepreneurs qui débutent, qui doivent être encouragés, qu’ils soient jeunes – universitaires, étudiants -, demandeurs d’emploi, qu’ils décident de quitter le statut du salariat pour devenir entrepreneur à leur compte. Il s’agit, en quelque sorte, d’un démarrage sous des auspices de liberté, tout au moins de libre contrainte.
Mais peuvent être aussi concernés les retraités ou les salariés, dont la capacité de travail n’est pas saturée et qui veulent exercer une activité complémentaire. Dans les deux cas, il existe un butoir, qui a été relevé par l’Assemblée nationale.
Alors, de deux choses l’une : ou c’est un nouvel entrepreneur qui accède au statut de TPE en passant le seuil fatidique et il doit alors respecter l’ensemble des obligations, d’ailleurs considérablement allégées, et qui, j’en suis convaincu, continueront de l’être, ou c’est une personne qui décide de rechercher un revenu complémentaire et qui trouve sa place dans un interstice du marché. Toute offre créant sa propre demande, ces activités nouvelles créeront des richesses nouvelles. Dans de très nombreux cas, ces activités permettront de répondre à l’attente de clients que les TPE aujourd’hui ne sont pas en mesure de satisfaire. Ainsi, par exemple, nous savons que c’est le cas dans le secteur du bâtiment ou du second œuvre. Le système, qui n’est pas conflictuel, s’inscrit dans une logique soit de complément, soit d’initiation.
Comme l’a dit Jean Boyer, il ne faudrait pas qu’un monde gris se développe à côté des TPE institutionnalisées. Je suis certain, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, que vous pourrez nous apporter des réponses à ce problème au cours du débat.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit des mesures qui facilitent l’accès des salariés à l’acquisition de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. C’est une réponse à la crainte légitime de ceux qui, ayant développé un fonds de commerce ou une entreprise artisanale tout au long de leur vie professionnelle, penseraient que la cession de ce fonds serait rendue difficile par l’émergence de nouveaux concurrents subissant de moindres contraintes.
Parallèlement à la possibilité de démarrer une activité, le projet de loi permet, dans des conditions très généreuses et réalistes, au salarié qui travaille dans l’entreprise de devenir le successeur de son patron dans un objectif de coopération. Assurément, c’est une façon de réaliser rapidement un chiffre d’affaires non négligeable et d’accéder à une dimension auxquels l’auto-entrepreneur ne peut pas prétendre. J’estime que le malentendu pourra être dissipé et que les débats permettront de rassurer les organisations représentant les artisans et les commerçants, à juste titre sourcilleuses de ne pas voir apparaître une concurrence déloyale.
Le deuxième sujet qui fâche sur le titre Ier va sans doute vous surprendre puisqu’il s’agit du problème des délais de paiement, une faiblesse française constatée par tout le monde. Nous sommes un capitalisme sans capitaux et nos entreprises ont l’habitude de vivre sur le crédit fournisseurs, ce qui est malsain. Pour vous donner un ordre de grandeur, le délai moyen de paiement en France s’établit à 67 jours, alors qu’en Allemagne il est de 47 jours. Cette différence de 20 jours est, certes, faible. Mais, quand on sait que le crédit inter-entreprises est de 600 milliards d’euros, réduire d’un tiers cette somme représente 200 milliards d’euros. On comprend que l’on ne puisse remettre en cause qu’avec d’infinies précautions cette mauvaise habitude de délais interminables.
Pour autant, il ne faut pas se résigner. Le projet de loi vise donc à revenir à un délai raisonnable de 45 jours fin de mois, 60 jours calendaires, dans des conditions qui tiennent compte d’un certain nombre de réalités.
Sur ce point, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, soyons attentifs à ce que, une fois le principe posé par la loi, les dérogations proposées n’aboutissent pas à des situations dans lesquelles les rapports de force priveraient certaines entreprises de la possibilité de survivre. Si une entreprise est durablement condamnée à régler ses fournisseurs à 60 jours alors qu’elle est payée à 90 jours, à un moment donné, le système ne peut plus fonctionner. Je sais que certains secteurs connaissent des difficultés. Au cours du débat, nous entrerons très probablement dans le détail du sujet.
Je souhaite vraiment que la crédibilité du législateur ne soit pas démentie par l’octroi de dérogations meurtrières pour certains secteurs d’activité.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Gérard Longuet. Le troisième sujet qui fâche sur le titre Ier et qui a été évoqué par Jean Boyer est sur le point de trouver une solution. Il concerne l’intervention obligatoire des commissaires aux comptes dans les sociétés par actions simplifiées, les SAS. En vérité, la SAS a été détournée de son objet. C’était une formule juridique intéressante qui devait apporter une réponse aux sociétés membres de grands groupes. Les PME et les SARL en particulier ont très souvent choisi le statut de SAS qui, à l’origine, ne leur était pas destiné. Nous avons donc créé une sorte de marché captif pour les commissaires aux comptes en les faisant intervenir de manière obligatoire dans de petites sociétés.
Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’état, ce domaine est d’ordre réglementaire. Je souhaite que vous puissiez nous donner un éclairage précis sur le seuil à partir duquel le recours aux commissaires aux comptes serait obligatoire.
M’exprimant au nom du groupe de l’UMP et au moment même où le Gouvernement a décidé de permettre aux assujettis de l’ISF de se libérer de cet impôt en apportant des capitaux à des entreprises non cotées, je considère que le recours aux commissaires aux comptes est pertinent, même s’il n’est pas imposé par la loi. Pour celui qui investit dans une entreprise sans la diriger, ce recours lui donne la certitude d’être éclairé sur l’entreprise dans laquelle il investit.
Je défendrai donc les commissaires aux comptes, non pas au nom de la SAS et du passé, le statut de la SAS ayant été détourné de son objet, comme je l’ai déjà indiqué, mais au nom de la disposition fiscale en vertu de laquelle lorsque l’on place son argent dans une entreprise non cotée, il vaut mieux avoir ceinture et bretelles pour être certain de retrouver l’argent que l’on a investi.
Vous me rétorquerez que tel n’est pas le cas avec les impôts. Certes, on retrouve, en quelque sorte, son argent dans les équipements collectifs, mais la satisfaction n’est pas la même !
M. Daniel Raoul. Ce n’est pas si mal que cela !
M. Gérard Longuet. J’en viens maintenant au titre II et au contrat librement négocié, autre sujet qui fâche.
Nous revenons en fait à la réalité de l’économie de marché : l’acte de vente est un acte de liberté. D’aucuns soutiendront que cet acte est soumis à des rapports de force. Certes, mais qu’est l’économie, si ce n’est la recherche permanente d’un avantage au détriment d’un concurrent, d’un partenaire, et une promesse sur l’avenir ? L’économie est toujours conflictuelle et le contrat est l’expression de ce conflit.
Je sais que, actuellement, la presse économique aime beaucoup parler des « gagnants-gagnants ». En réalité, dans ce système, le rapport s’établit plutôt à 90-10 et rarement à 50-50. Nous devons accepter la réalité du contrat librement négocié.
En revanche, madame le ministre, je voudrais vous soumettre une proposition : aidons les producteurs, en particulier les plus petits, à valoriser leurs produits en leur permettant de développer la valeur immatérielle de ces produits, c’est-à-dire la notoriété, la marque, la labellisation, l’appellation d’origine contrôlée.
Ce qui fait la force d’un produit, pour un industriel, ce n’est pas l’intérêt que porte à ce produit le distributeur, mais celui que lui manifeste le consommateur final, celui qui, dans les rayons, désire acquérir ce produit labellisé, connu, bénéficiant d’une appellation du terroir ou ayant acquis au cours du temps une certaine notoriété. La marque cela existe ! C’est dans l’investissement immatériel des petits producteurs qu’il faut sans doute trouver des appuis.
Puisque, apparemment, la TACA rapporte plus d’argent que le FISAC n’en dépense,…
M. Daniel Raoul. C’est un euphémisme !
M. Gérard Longuet. …il serait intéressant, pour aider les petits producteurs, comme nous l’avions fait avec la certification ISO, de faciliter tout ce qui donne une valeur immatérielle, acceptée par le client, aux petits produits. De ce fait, l’acheteur en grande surface serait tenu de prendre en considération des produits prévendus, dont la vente représente 70 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces de distribution alimentaire. Il suffit, d’ailleurs, de se rendre avec ses enfants ou ses petits-enfants dans une grande surface pour savoir très rapidement quels produits ils veulent acheter et ceux dont ils ne veulent pas, même si le prix de ces derniers est plus attractif.
Pour ce qui concerne le contrat librement négocié, à propos duquel l'Assemblée nationale a adopté un amendement que le Sénat ne remettra probablement pas en cause, il convient d’aider les petits producteurs à proposer des produits valorisés de façon immatérielle, de sorte que les acheteurs les acquièrent, et à ne pas se battre sur le seul terrain des prix, sur lequel ils seront toujours battus.
Je ne crois pas que l’Autorité de la concurrence, créée au titre II, soit un sujet qui fâche. Comme Lacordaire, nous sommes tous convaincus qu’ « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Le libéralisme s’est toujours accompagné d’une organisation du marché et d’autorités de régulation. L’existence d’une autorité avec un grand A est donc, pour le libéral que je suis, une source de sérénité.
En revanche, pour l’urbanisme commercial, nous devons en revenir à une idée simple : ce ne sont pas les grandes surfaces qui ont détruit les petits commerces, mais ce sont l’automobile et, accessoirement, le travail des femmes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Odette Terrade. Et le pouvoir d’achat ?
M. Gérard Longuet. Je me souviens que, gamin, je faisais les courses pour ma mère, à pied, avec mon cabas. Aujourd’hui, cela n’existe plus !
Avec la démocratisation de l’automobile et l’évolution des modes de vie familiaux, les ménages font souvent leurs courses en famille, en général le samedi après-midi. Vous connaissez l’expression populaire bien connue : « Tais-toi et pousse le caddie ! » (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Nous sommes entrés dans une nouvelle logique de besoins, auxquels le grand commerce a apporté des réponses discutables et évolutives. Ce n’est pas la loi qui fixe le mode de vie, c’est le mode de vie qui aboutit à la création d’équipements commerciaux.
De la même façon, le renouveau des centres-villes n’a jamais été décidé par la loi, mais il l’a été par des élus qui, au contact de leur population, ont su promouvoir une qualité de vie, une attractivité du centre-ville. Ils ont ainsi créé les conditions permettant à des commerces plus spécialisés et bien identifiés d’équilibrer leur chiffre d’affaires et de dégager des résultats.
Il est souhaitable de laisser les élus locaux, femmes et hommes de responsabilité et de raison, placer le régime d’autorisation sous l’empire d’une réflexion plus large sur l’urbanisme commercial, mais sans leur donner la responsabilité, qu’ils ne peuvent pas assumer, du rééquilibrage économique. C’est respecter leur compétence et suivre une logique de bon sens : bâtir un urbanisme commercial pour composer un paysage harmonieux des territoires dont ils ont la charge.
L’Assemblée nationale a fait un cas particulier des communes de moins de 15 000 habitants. Pourquoi pas ? Nous la suivrons.
Le Sénat propose que les SCOT permettent la création de zones d’activité commerciale afin d’organiser l’urbanisme commercial sur des espaces plus grands, tant il est vrai qu’à l’heure actuelle on peut travailler dans une commune, résider dans une autre et faire ses achats dans une troisième. Seul le SCOT permet de restituer la réalité du bassin de vie. Le groupe de l’UMP soutient donc totalement cette proposition de la commission spéciale, qui constitue l’un des moyens de réintroduire du réalisme au sein des politiques d’autorisation.
Vous me pardonnerez si je suis un peu long, mes chers collègues, mais ces deux sujets qui fâchent ne fâchent plus et le bon sens l’emporte sur l’esprit de polémique et le blocage. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
Je traiterai rapidement des deux derniers titres, car je ne voudrais pas abuser de votre patience.
Monsieur le secrétaire d’État chargé de la prospective, s’agissant du titre III et du numérique,…
M. Jean Desessard. On écoute votre numéro !
M. Gérard Longuet. … il fallait trouver, comme l’ont évoqué les orateurs précédents, un équilibre entre, d’une part, une nécessaire concurrence, qui empêche l’abus de position dominante, monopolistique, héritée du passé, qui prive le consommateur du bénéfice d’un prix réel et, d’autre part, la couverture territoriale.
Cette question de l’équilibre entre concurrence et couverture territoriale est un sujet d’inquiétude pour les élus, et en particulier pour les sénateurs. Les travaux de la commission spéciale, à partir du texte amendé par l’Assemblée nationale, permettent manifestement d’espérer une solution. On peut s’attendre à des différences par rapport à la position de l’Assemblée nationale ; sans doute devrons-nous en débattre.
Je prendrai deux exemples précis.
Sur l’installation de la fibre optique dans les immeubles, nous avons une conception du « vertical » plus restrictive que l’Assemblée nationale, car nous ne souhaitons pas multiplier des équipements alors que nous pouvons rationaliser. L’amendement de la commission spéciale me paraît au plus près des réalités des immeubles, en évitant une mutualisation excessive qui ne serait techniquement pas souhaitable.
Nous proposons, en revanche, la libération des fourreaux, sujet de combat des municipalités. Cela signifie qu’il n’y aura pas de position dominante incontournable.
La commission spéciale est plus réservée à l’égard de l’itinérance locale, et je partage totalement son point de vue. L’itinérance locale a été définie comme une forme d’accès des zones grises, voire des zones blanches, aux nouvelles couvertures numériques. On peut craindre qu’elle ne devienne une desserte de deuxième qualité pour des secteurs qui ont pourtant le droit au même niveau de technicité. L’examen des positions respectives du Sénat et de l’Assemblée nationale devrait nous éclairer. Notre volonté est simple : nous ne souhaitons pas que les zones grises, et a fortiori les zones blanches, soient privées définitivement d’un équipement de haut niveau.
Dans la vie locale, les acheteurs d’un terrain qui veulent construire une maison ne nous demandent pas l’eau, l’électricité, l’assainissement ou des transports scolaires. Ils savent l’aisance avec laquelle les collectivités locales répondent à ces besoins. Même si ces services sont coûteux, les habitants les trouvent naturels sans même se poser de questions. En revanche, ils nous demandent l’accès au numérique. Si nous voulons une présence nouvelle en milieu rural profond ou périurbain, nous devons être en mesure de leur répondre. Il y a là une voie juste à trouver entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
La proposition de la commission spéciale sur le rôle en matière de couverture locale de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, est sans doute une réponse puisque cette instance fournira un diagnostic permanent qui nous permettra de suivre l’évolution de cette situation.
C’était le sujet qui fâche de ce titre III. Le débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat devrait permettre de garantir cet équilibre, en apparence impossible à obtenir, mais en réalité à notre portée, entre une concurrence effective et une couverture réaliste du territoire.
À titre personnel, je n’ai rien contre la proposition de l’Assemblée nationale relative au droit social au portable. Je veux bien qu’on l’accorde à celui qui travaille, celui qui cherche un emploi. Je pense aussi à la mobilité individuelle en milieu rural, condition de l’accès au travail, lui-même lié au portable. Mais je ne suis pas certain qu’il soit impératif de financer sur fonds publics tous les loisirs de la troisième génération accessibles à partir du portable. J’espère que M. Besson, qui a donné un avis favorable sur cet amendement à l’Assemblée nationale, nous éclairera sur ce sujet et nous convaincra.
Sur le titre IV, les batailles apocalyptiques et les conflits homériques que l’on nous annonçait à propos du livret A n’ont pas eu lieu, car vous avez présenté, madame le ministre, des propositions sages et pertinentes. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Après l’examen du texte à l’Assemblée nationale, nous pouvons considérer qu’il est possible, comme l’a souhaité le Président de la République en décembre dernier, à Vandœuvre-lès-Nancy, de faire évoluer le livret A sans compromettre la mobilisation de fonds pour le logement et la politique de la ville, en diminuant le coût de ce livret pour la puissance publique, et en permettant aux épargnants de continuer à transformer, de façon magique, une épargne liquide en épargne de long terme.
Quelle est, en effet, la légitimité du livret A, qui est d’abord et avant tout une niche fiscale ? (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Thierry Repentin. On en voudrait beaucoup des comme ça !
M. Gérard Longuet. Nous sommes tous pour les niches fiscales quand elles nous concernent directement. Mais, quand on observe le déficit du budget de l’État, alors on les condamne globalement !
M. Thierry Repentin. Le livret A, cela rapporte combien à l’État !
M. Gérard Longuet. La transformation du livret A a permis de financer le logement social, ce qui était une véritable nécessité. Les mesures que vous nous proposez garantissent la pérennité de ce financement, à un coût moins élevé pour la collectivité. On ne peut que s’en féliciter.
Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, vous allez passer de longs moments avec nous, ce dont nous nous réjouissons par avance, (Sourires.) notamment sur le titre V, qui s’apparente à la voiture-balai du Tour de France, et dont les nombreuses dispositions mériteraient chacune un débat.
Je ne vous parlerai ni du tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TaRTAM, l’une de mes spécialités, ni de la perquisition fiscale, qui pose des problèmes en termes de liberté.
Si on avait pris plus de temps pour examiner le titre V, le travail parlementaire en aurait peut-être été amélioré. Mais l’expérience prouve que c’est toujours dans l’urgence que l’on fait les meilleurs textes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE ; exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, ce projet de loi de modernisation de l’économie est un texte dans lequel le Gouvernement place beaucoup d’espoirs : gagner 0,3 point de croissance, créer 50 000 emplois en un an, relancer le pouvoir d’achat de nos concitoyens ... Autant d’ambitions auxquelles, tous ici, nous souhaiterions souscrire et qui nous conduiraient presque à regretter que ce projet de loi soit discuté si tard, en session extraordinaire, au mois de juillet.
Si nous pouvons être d’accord sur le diagnostic – le pouvoir d’achat et l’emploi sont bien les principales préoccupations de nos concitoyens –, en revanche, vous l’aurez deviné, notre avis diverge sur les remèdes que vous proposez dans ce projet de loi, qui ressemble plus à un texte portant diverses dispositions d’ordre économique et fiscal qu’à un projet portant une réelle volonté de s’attaquer à la racine des causes.
Votre ambition va loin puisqu’il s’agit, aux termes de l’exposé des motifs, de « faire souffler un vent de liberté » sur l’économie de notre pays. Mais liberté pour qui ?
Au vu des dispositions, selon moi dogmatiques, et j’y reviendrai, que vous proposez dans ce texte, l’espoir de redonner du pouvoir d’achat aux Français qui en manquent le plus s’est malheureusement vite éteint.
Le Gouvernement est allé jusqu’à débourser 4,63 millions d’euros pour diffuser, à des heures de grande écoute, une publicité sur ce sujet. Mais le message est bien déprimant : il faut attendre !
Vous demandez aux familles qui ont du mal à payer leur loyer, qui comptent chaque pièce pour faire leurs courses, aux salariés qui sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler et voient leur budget très sérieusement amputé par la flambée des prix de l’essence, de patienter !
Alors que la précarité explose, vous demandez aux travailleurs pauvres, ceux qui ont un emploi, mais n’ont pas les moyens de se loger, ceux qui vivent dans l’urgence, de patienter. J’estime que c’est insultant pour toutes les personnes concernées au quotidien par cette question éminemment prégnante du pouvoir d’achat de leur famille.
Alors que les routiers manifestent leur mécontentement face à la flambée du prix du carburant, alors que tant de Français envisagent difficilement leur départ en vacances pour les mêmes raisons, votre publicité est décalée et dénote un travers de ce Gouvernement : communiquer plutôt qu’agir !
Comment ne pas être déçus quand on nous propose, au lieu d’une véritable « modernisation » – terme que le Gouvernement apprécie visiblement beaucoup puisqu’il apparaît comme une incantation dans le titre de plus de la moitié des lois que nous avons eu à examiner durant cette année parlementaire –, une simple compilation de dispositions, bien loin du compte, dans des domaines variés allant de l’immobilier commercial à la fibre optique dans les immeubles d’habitation, en passant par les brevets industriels et des dispositions fiscales pour les entrepreneurs.
À lire les différents titres des articles, on se demande ce qu’il peut bien y avoir de moderne dans un tel recueil de dispositions, alors même que l’une des réponses que vous apportez est le recours à l’ordonnance et aux décrets d’application, qui se multiplient au fil des articles. Si mes comptes sont exacts, huit articles font référence au recours à une ordonnance et soixante-trois à des décrets d’application. Méthode démocratique pour le moins discutable !
Votre définition de la modernité paraît également liée à une vision particulière de la « liberté de l’économie », qui consiste à réduire le pouvoir de l’État à sa portion la plus congrue quand il s’agit de poser des règles pour que l’économie fonctionne et, à l’opposé, à donner de l’argent public provenant des caisses de l’État, dont vous dites pourtant régulièrement qu’elles sont vides, par le biais de cadeaux fiscaux aux entreprises, et ce sans offrir aucune garantie sur l’effet supposé bénéfique de ces mesures à l’égard de notre économie.
L’une des illustrations symboliques de cette logique est la banalisation du livret A. Cette épargne, la plus appréciée des Français, même « plébiscitée », selon vos propres termes, madame la ministre, est centralisée jusqu’ici par la Caisse des dépôts et consignations, vous l’offrez en cadeau aux banques, en prenant le risque de voir les fonds mis à disposition du logement social détournés vers d’autres produits financiers qui ne servent qu’à la spéculation des banques privées.
Sur ce dossier, il faudrait d’abord faire la démonstration que l’économie actuelle n’a pas permis de faire évoluer positivement l’activité, la construction et la réhabilitation de logements sociaux ne devant pas faire partie des éléments concourant à la croissance du PIB !
Laisser croire que La Poste et la Caisse d’épargne, en disposant du monopole de collecte du livret A, font obstacle à la croissance économique est pour le moins surréaliste.