Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Didier Boulaud. J’ai déjà donné mon avis sur cette question ; je ne m’y attarderai donc pas.
Laissez-moi, une fois n’est pas coutume, être d’accord avec l’ancien Premier ministre Alain Juppé, qui s’est demandé récemment si l’on n’était pas en train de faire un marché de dupes en rentrant sans conditions dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Didier Boulaud. C’est une bonne question !
Cette réorientation de notre politique étrangère et de défense dans un sens atlantiste est lourde de conséquences. Pourquoi avoir renoncé à notre singularité ? Pourquoi intervertir les priorités de l’Europe et de l’OTAN ? Pourquoi cet empressement à s’aligner ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Didier Boulaud. On peut d’ailleurs parler de supercherie : alors que l’on nous rebat les oreilles avec la priorité que vous prétendez donner à l’Europe de la défense, nous apprenons, par une dépêche de l’AFP, que deux des trois régiments de la brigade franco-allemande sont menacés de dissolution. Nous attendons avec impatience les annonces du 3 juillet ! Si tel est le cas, monsieur le ministre, vous devrez vous expliquer sur cette manipulation et de l’opinion et de la représentation nationale.
Je voudrais reprendre à mon compte la question posée cet après-midi par ma collègue députée Patricia Adam, qui n’a d’ailleurs pas obtenu de réponse.
M. Didier Boulaud. Je vous offre l’occasion de lui répondre, monsieur le ministre !
Ma collègue se demandait ce qui s’était passé dans le monde depuis le mois de février 2007, époque à laquelle Mme Alliot-Marie déclarait au Sénat : « Sur le plan politique, le statut singulier de notre pays au sein de l’Alliance lui permet en revanche de faire entendre sa voix et d’être écouté » ? Votre réponse ne manquera pas de nous éclairer !
Cette réorientation de notre politique étrangère et de défense est un signal qui sera interprété négativement à Moscou comme à Pékin, sans parler de l’opinion internationale, qui perçoit souvent l’OTAN comme un outil unilatéral au service de la politique extérieure des États-Unis.
Pour finir mon intervention, j’aborderai la question du centralisme présidentiel mis en musique par le Livre blanc.
À rebours de toutes les déclarations verbales sur le rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement, la politique de l’Élysée s’oriente nettement vers une extension du domaine réservé au Président de la République en matière de politique étrangère, de politique de défense et de sécurité intérieure.
Ce que le Livre Blanc appelle « la réorganisation des pouvoirs publics » n’est, en réalité, qu’une nouvelle concentration au sommet de l’État, une confiscation des pouvoirs !
Qu’on en juge : création d’un Conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le Président de la République, qui préside, en outre, le Conseil de politique nucléaire, créé, dans sa forme actuelle, par décret du 21 avril 2008. Relevons aussi la création du Conseil consultatif sur la défense et la sécurité nationale auprès du Président de la République, réunissant des personnalités indépendantes nommées par ce dernier, la création du Conseil national du renseignement, présidé par le Président de la République, la nomination d’un coordonnateur national du renseignement, placé à la Présidence de la République, la création imminente d’un conseil des affaires étrangères auprès du Président de la République.
Une prochaine réforme de l’ordonnance de 1959 portant organisation générale de la défense traduira cette nouvelle organisation dans les textes. Nous pourrons alors constater l’envergure de l’effacement du Premier ministre et des ministres concernés par ces matières.
Et, comme s’il fallait encore « serrer les boulons », on apprend la nomination, par le Président de la République, d’un coordonnateur des travaux d’élaboration du futur projet de loi de programmation militaire pour la période 2009-2011 qui sera placé... auprès du Président de la République. L’œil de l’Élysée !
Ainsi, sans ambages, la présidentialisation du pouvoir deviendra totale dans les domaines de la défense et de la sécurité extérieure et intérieure.
La plupart des décisions et des choix seront concentrés dans les mains d’un homme, loin du Gouvernement et sans que le Parlement puisse les contrôler. Comprenez que cette situation, qui découle des propositions du Livre blanc, propositions elles-mêmes inspirées par les émissaires de l’Élysée, ne peut que susciter notre condamnation.
Les membres du groupe socialiste resteront vigilants face aux évolutions de notre dispositif de défense et aux conséquences de votre réforme sur la condition militaire, sur les droits des personnels civils et militaires, sur les restructurations et, en particulier, sur la cohérence et l’efficacité de notre outil de défense, garant de la sécurité de la Nation.
M. le président. La parole est à M. André Dulait. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Dulait. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dernier Livre blanc date de 1994 ; or, depuis cette date, la situation mondiale a beaucoup évolué et un nouveau contexte géopolitique impliquant de nouvelles formes d’engagement des forces armées françaises est apparu.
D’autre part, un lien entre la défense nationale et la sécurité intérieure s’est établi durablement, comme l’a indiqué le Président de la République dans son discours du 17 juin en ces termes : « Nous devons nous prémunir contre toute crise majeure sur le territoire national qu’elle soit intentionnelle ou non. Cette stratégie de protection doit conduire à une réorganisation de nos efforts et de nos moyens ».
Ce Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale prend en compte l’ensemble des crises prévisibles, au moment où la mondialisation s’impose à nous de façon irréversible. Il existe désormais une mondialisation des menaces terroristes islamistes, de la prolifération nucléaire, des tensions régionales, du développement du crime organisé et des possibilités de pandémies qui, toutes, prennent leur source loin de l’Europe, mais pourraient nous affecter chaque jour davantage.
S’y ajoutent une mondialisation des échanges, la révolution des communications et une lutte féroce pour les ressources stratégiques, soit un ensemble de phénomènes qui affectent la planète avec une rapidité favorisée par l’intensification des transports et des migrations.
Cette mondialisation a une conséquence importante sur le plan stratégique : la distinction entre la sécurité extérieure et intérieure s’estompe. De fait, la France et l’Europe de demain ne bénéficieront plus de l’effet protecteur de la distance géographique par rapport aux zones de guerre, de conflits ou de troubles.
Dès lors, une véritable continuité se crée entre les situations de crise ou de conflit, même dans les régions les plus éloignées de la planète, et le risque qui pourrait en résulter pour nos intérêts. Le champ couvert par le Livre blanc et les orientations qu’il arrête témoignent de la détermination des autorités françaises à tirer pleinement les conséquences de ce constat.
La première de ces conséquences est la mise en place d’une fonction stratégique, celle de « la connaissance et de l’anticipation », qui constitue notre première ligne de défense. Cette connaissance et cette anticipation, en un mot le renseignement, doivent garantir notre autonomie de décision et nous permettre de disposer des moyens d’éclairer nos actions le plus en amont possible.
Pour cela, la création, auprès du Président de la République, d’un conseil national du renseignement et d’un coordonnateur national, qui regroupera les services, constitue un élément fondamental. Il nous faut, en effet, renforcer les moyens, les méthodes et la technologie, moyens spatiaux compris, qui doivent être accompagnés par des hommes maîtrisant la culture du renseignement, de sorte que le dispositif de communication et d’information se retrouve placé au centre de la gestion des crises et que les objectifs opérationnels soient assignés désormais conjointement à la sécurité intérieure et à la sécurité civile, ainsi qu’aux forces armées.
Cette coordination des moyens civils et militaires constitue l’un des principes fondamentaux de notre nouvelle stratégie.
Par ailleurs, cette dernière s’inscrit complètement dans l’ambition européenne. Nous souhaitons que l’Europe se dote de capacités plus importantes, à savoir d’une capacité d’intervention globale, d’une capacité de déployer des opérations de maintien de la paix ainsi que des opérations civiles et des moyens de dynamiser l’industrie de défense européenne.
Incontestablement, la protection des citoyens européens implique un renforcement de la coopération contre le terrorisme et les attaques informatiques, ainsi qu’une sécurisation durcie des approvisionnements en matières premières stratégiques.
Le Livre blanc souligne également la complémentarité entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique, que nous n’avons jamais abandonnée. Certes, en 1966, nous avons quitté le commandement intégré, mais, aujourd’hui, beaucoup de choses ont évolué. Cependant, notre indépendance demeure préservée, car toutes les décisions politiques sont prises par consensus des vingt-sept alliés.
En son sein, la France a la même voix que les États-Unis. Par ailleurs, l’OTAN n’est pas allée en Irak, même si l’Italie et l’Espagne ont participé aux opérations, puis ont décidé de se retirer quand elles l’ont voulu.
Sur un autre plan, nous avons pris l’initiative de retarder à Bucarest le processus d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie. Tout cela montre la souplesse politique et stratégique de l’OTAN.
M. André Dulait. Enfin, depuis les septennats de François Mitterrand et de Jacques Chirac, une évolution de la France vers une réévaluation de notre place dans l’OTAN s’est confirmée.
De nouveau, nous siégeons dans toutes les instances politiques et militaires, sauf deux ; nous avons des officiers généraux dans le commandement intégré ; nos procédures militaires nationales sont harmonisées avec celles de l’OTAN et nos industriels fabriquent des matériels aux normes de l’OTAN dont, par ailleurs, nous demeurons l’un des principaux contributeurs.
Aujourd’hui, pour nous, il s’agit de siéger au Comité des plans de défense et d’affecter des officiers supérieurs dans les commandements, signe de confiance attendu par nos alliés européens. Nos troupes sont sur le terrain avec l’OTAN, qui a besoin d’être également rénovée, et nous devons participer à cette restructuration. Il est cependant impératif de maintenir fermement notre indépendance en matière de dissuasion nucléaire, la dissuasion nucléaire française étant en quelque sorte l’assurance vie de notre pays. Toute cette nouvelle stratégie entraîne, de fait, la mise en place de nouveaux formats pour nos armées, déterminés à partir des objectifs opérationnels retenus par le Gouvernement, sur proposition du Livre blanc.
Les principaux points en sont les suivants : une force opérationnelle terrestre de 88 000 hommes, autorisant une projection à distance de 30 000 hommes qui peuvent être déployés en six mois, un dispositif d’alerte permanent de 5 000 hommes et une capacité mobilisable sur le territoire national, en appui des autorités civiles, de 10 000 hommes en cas de crise majeure ; un groupe aéronaval, avec son groupe aérien complet, dix-huit frégates de premier rang, ainsi que six sous-marins nucléaires d’attaque, et une capacité à déployer un ou deux groupes navals, amphibie ou de protection du trafic maritime ; un parc unique de trois cents avions de combat, Rafale et Mirage 2000 modernisés.
Dans le cadre de ce budget, il est impératif que nous nous efforcions de mieux maîtriser le coût de possession des matériels, à travers leur cycle de vie. Ce coût de possession, et cela a été longuement évoqué dans le Livre blanc, engage les services de l’État sur le long terme, puisqu’il englobe non seulement l’acquisition, mais également le coût d’entretien, le coût du soutien en service, de la mise à niveau, voire du démantèlement. Force est de constater qu’une mauvaise maîtrise du coût de possession a entraîné par le passé des dérives budgétaires parfois considérables. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une nouvelle organisation autour d’une équipe, sous la responsabilité d’un directeur de programme.
Sur le plan de la doctrine d’emploi, cette réorganisation procède d’un quadruple souci : améliorer sans tarder la disponibilité et la modernisation des équipements les plus utilisés en opération ; lancer les programmes liés au renseignement et à la préparation de l’avenir ; améliorer la protection de nos soldats dans nos trois armées ; initier de nouveaux programmes dans le domaine de la connaissance-anticipation.
Pour mettre en œuvre ces objectifs, la France se doit de consacrer à sa défense un effort financier majeur et cohérent avec les choix retenus.
Ainsi, les crédits de défense ne baisseront pas. Dans un premier temps, les ressources annuelles, hors charges de pensions, seront maintenues en volume, c’est-à-dire s’adaptant au rythme de l’inflation. Elles pourront aussi comporter des ressources exceptionnelles.
Dans un second temps, dès l’année 2012, le budget sera accru au rythme de 1 % par an, en volume, c’est-à-dire de 1 % en plus de l’inflation. D’ici à 2020, l’effort total consenti pour la défense, hors pensions, s’élèvera à 377 milliards d’euros. En parallèle, les restructurations se traduiront par une diminution importante des effectifs sur six à sept ans et par une réduction des coûts de fonctionnement du ministère et des armées.
Les marges qui seront dégagées seront intégralement réinvesties au profit de la condition du personnel, ...
M. André Dulait. ... mais surtout au profit du budget d’équipement, qui passera de 15,2 milliards d’euros en 2008 à 18 milliards d’euros en moyenne par an pour la période 2009-2020.
Pour que toute cette stratégie soit mise en place, un « Conseil de défense et de sécurité nationale » présidé par le Président de la République sera créé, dont le Conseil national du renseignement sera l’une des formations majeures. Le Premier ministre dirigera ...
M. Didier Boulaud. Rien du tout !
M. André Dulait. ... l’application des décisions prises par le Conseil. Une réforme de l’ordonnance de 1959 sera entreprise. Par ailleurs, le rôle du Parlement sera considérablement renforcé s’agissant de l’intervention de nos forces dans des opérations extérieures (M. Didier Boulaud. s’esclaffe), des accords de défense et du suivi du Livre blanc dont l’actualisation sera périodique.
Toutes les démarches que nous venons d’évoquer ne pourront se faire sans une adhésion globale de la Nation. À cet égard, le Livre blanc préconise de donner une impulsion nouvelle dans plusieurs domaines : la formation des jeunes comme des élus locaux ; la rénovation de la journée d’appel et de préparation à la défense, la JAPD ; la création d’un service civique ; une organisation cohérente et attractive des volontariats susceptibles d’être mobilisés au service de la sécurité de la France.
Notre pays doit comprendre que la défense demeure toujours et partout l’affaire de tous.
Dans cet esprit, je souhaite insister sur une réalité qu’il ne faut pas oublier : le Livre blanc expose, sur les quinze prochaines années, une stratégie de sécurité nationale. Il concerne donc non pas exclusivement la défense au sens militaire du terme, mais aussi l’ensemble des acteurs contribuant aujourd’hui à la sécurité et à la protection de nos concitoyens, c’est-à-dire, au premier chef, le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères.
C’est donc de la capacité de la représentation nationale à « coproduire » les réformes indispensables, avec les élus locaux et l’ensemble du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, que dépendra la réussite du Livre blanc. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, présenté le 17 juin par Nicolas Sarkozy, définit un concept global devant permettre de répondre à la nouvelle donne française et internationale.
Ce document frappe d’abord par la clarté d’exposition des grands enjeux nationaux et internationaux. Le Livre blanc de 1994 était celui de l’après-guerre froide et de la fin de la conscription. L’édition de 2008 est celle de la mondialisation : menaces diffuses, incertitude stratégique.
Cependant, il exprime une vision de l’ordre mondial défini par les seules craintes de l’Occident. Les nouvelles dynamiques sont appréhendées sous l’angle des risques et les réponses sont donc essentiellement sécuritaires.
On peut regretter que des voies comme le désarmement multilatéral, le jeu des coopérations ouvertes, la régulation collective, n’aient pas été plus explorées.
Il faut également saluer l’effort de clarification stratégique entrepris dans le Livre blanc.
Une nouvelle mission « anticipation » est assignée à la défense. Dans le contexte actuel, cette mission est évidemment capitale. Depuis les attentats du 11 septembre, le terrorisme a en effet brusquement changé d’échelle. Il s’est aussi déterritorialisé jusqu’à prendre racine au cœur des pays occidentaux. Les conflits se sont multipliés et sont désormais interconnectés.
Enfin, des menaces d’un genre nouveau sont apparues, ou risquent d’apparaître, avec le développement de la cybercriminalité, le réchauffement climatique ou encore la course à l’énergie.
« Gouverner, c’est prévoir ». Mais, pour prévoir, il faut savoir. Le Livre blanc consacre la fonction du renseignement et prévoit d’accroître nos capacités d’observation, notamment spatiales. Il faut s’en féliciter.
Un autre point positif est le recadrage de notre doctrine de dissuasion.
L’arme nucléaire est aujourd’hui la garantie la plus crédible de notre indépendance et de notre sécurité. La capacité de projection de cette force spécifique est plus que jamais un impératif. L’arme nucléaire demeure un atout maître pour la France, par ailleurs profondément engagée au service de la paix et du règlement pacifique des conflits.
Ces dernières années, on avait pu craindre des inflexions dans la doctrine nucléaire française : d’un côté, les propos du président Chirac à l’Île Longue laissant redouter une dérive vers une stratégie d’emploi, de l’autre, une nouvelle génération de responsables politiques et militaires qui n’ont pas connu la guerre froide et sont donc moins convaincus des bienfaits du nucléaire.
Le Livre blanc conforte la dissuasion dans sa logique et ses programmes. Il s’agit toujours de protéger nos « intérêts vitaux » face à une menace étatique grave, en maintenant des forces nucléaires à un niveau de stricte suffisance.
Cela dit, il faudra définir la place du nucléaire français au sein de l’Alliance atlantique et son articulation avec la Politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, dans une Europe élargie. La défense européenne est une priorité de la présidence française de l’Union, mais certains de nos partenaires sont favorables à une dénucléarisation de l’Europe. Comment peut-on concilier cette exigence avec notre consensus nucléaire ?
S’agissant de nos capacités d’intervention, le Livre blanc préconise une concentration géographique prioritaire allant de l’Atlantique à l’océan Indien, en passant par la Méditerranée et le golfe arabo-persique.
Mme Nathalie Goulet. Persique, pas arabo-persique !
M. Georges Othily. L’ancienne posture aboutissait à une dispersion des efforts. On ne peut donc qu’approuver un recentrage de notre politique de défense.
C’est sans doute dans cet axe que les risques impliquant les intérêts français sont les plus élevés. Mais il ne faut pas oublier la zone Antilles-Guyane, qui est un point stratégique sur les plans économique et militaire. Son éloignement de la métropole peut rendre difficile une projection rapide de renforts tant humains que matériels. Or, si la probabilité d’actions hostiles de la part d’un acteur régional est jugée faible, il y a des risques importants de catastrophes naturelles et de trafics de tous ordres.
Par ailleurs, le site de Kourou, essentiel pour la France et l’Europe, justifie des moyens spécifiques. Le Livre blanc est un peu ambigu. D’un côté, on parle de redéfinir les forces stationnées au niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites, ce qui laisse présager un « dégraissage » des effectifs, de l’autre, on parle de mettre à disposition des moyens importants au bénéfice du centre spatial et de la lutte contre les narcotrafics. Est-ce à dire que l’essentiel des forces dans la région Caraïbes sera positionné en Guyane ?
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Georges Othily. Je souhaiterais que vous puissiez nous donner quelques éléments de réponse.
Avec la réduction des effectifs de la fonction publique, de l’éducation nationale et de Météo France, sans oublier la remise en cause des dispositifs de défiscalisation dans les départements d’outre-mer, toute réduction du format des armées et de la taille des unités dans les régions ultramarines ne manquera pas de sinistrer encore davantage leurs économies déjà fragilisées.
S’agissant des dispositifs de régulation collective, le Livre blanc prône à la fois une ambition européenne renforcée et la réintégration de la France dans l’OTAN.
Plus que jamais, nous avons besoin de regrouper nos forces et nos visions communes, à la fois pour protéger nos citoyens, mais aussi pour participer à la construction d’une mondialisation qui soit équilibrée, qui soit éthique et qui respecte les individus.
Nous sommes tous conscients de l’importance que revêt, pour l’Europe, l’existence d’une véritable politique étrangère et de défense qui soit à l’image de sa puissance démographique et économique. Mais, soyons francs, elle n’existe pas aujourd’hui !
Toute avancée dans ce domaine suppose d’abord de rénover l’OTAN, dont les objectifs ne sont plus ceux du Pacte de Varsovie, et de redéfinir le partage des tâches entre cette organisation et l’Union. Tant que nous n’aurons pas fait cette démarche, je crains que l’OTAN ne reste pour certains un substitut confortable, et moins onéreux, à une défense européenne.
Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre de la défense, de votre Livre blanc qui dresse une analyse stratégique pour les quinze ans à venir, on retient surtout la réduction des effectifs. Une trentaine de casernes ou de bases militaires sont amenées à disparaître.
Si cette réforme peut sembler indispensable pour rendre notre outil militaire plus cohérent et plus efficace, encore faut-il que ses conséquences soient acceptables non seulement pour les familles des militaires, mais aussi pour toutes les populations qui les accueillent. Il faut que l’on tienne compte du tissu économique local dans un esprit d’aménagement du territoire qui a toujours été l’une des lignes directrices de notre République.
Au total, on donne l’impression que les objectifs assignés à notre défense ont été ajustés à la réalité des moyens qui lui sont alloués, alors que cela aurait dû être l’inverse.
On peut, certes, faire des économies, mais la défense nationale ne devrait pas être tributaire des variations de budgets.
L’armée, à laquelle nous devons le plus profond respect, ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire.
La dépense de défense est trop souvent présentée comme un fardeau dans l’inconscience de l’imprégnation : les Français et leurs élites oublient que la paix a un coût et que celui de la guerre est bien plus élevé.
Notre sécurité et le développement ne sont pas suffisamment corrélés.
Notre politique de défense et de sécurité doit tout d’abord assurer la cohésion du peuple français, autour de valeurs partagées qui le caractérisent.
La politique de défense, c’est d’abord le niveau d’ambition de la France dans le monde. Elle doit nous préparer à prévenir les conflits, à défendre nos intérêts. Elle exige de l’anticipation.
Notre dépendance budgétaire, creusée par la dette, fait obstacle à l’indépendance nationale.
Vous nous avez assuré que les crédits de défense ne baisseraient pas, et augmenteraient même de 1 % à partir de 2012. C’est le moins que l’on puisse faire quand on a l’ambition d’influencer les options stratégiques et opérationnelles de l’OTAN et de relancer l’Europe de la défense.
En tout état de cause, chacun sait bien que les arbitrages sur les équipements et les formats des armées relèveront de deux exercices disjoints : le vote de la loi de programmation et des budgets militaires, d’une part, la révision générale des politiques publiques, d’autre part.
Nous resterons attentifs, madame la ministre, monsieur le ministre, à ce que les objectifs du Livre blanc ne restent pas des vœux pieux ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF et de l’UMP.- M. Didier Boulaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Morin, ministre. Je commencerai par répondre à M. le président de la commission et à M. Dulait. Vous avez raison : notre ambition sera celle que nous nous fixerons à nous-mêmes. En France, nous avons trop souvent tendance à chercher des boucs émissaires pour expliquer nos propres faiblesses. Il est donc bon de rappeler que notre ambition, en matière de défense et de sécurité, dépend de la volonté de la Nation et de ses représentants, volonté qui se manifeste notamment lors du vote du budget et de la loi de programmation militaire.
Le Président de la République a clairement confirmé sa volonté de voir la France demeurer une puissance militaire globale, l’une des grandes puissances militaires de la planète.
Cette ambition transparaît nettement dans la loi de programmation militaire et doit désormais se traduire par le respect des engagements budgétaires pris.
En dépit d’un contexte budgétaire extrêmement difficile et d’une croissance économique incertaine, le Président de la République a procédé à deux arbitrages.
Le premier est le financement, par des ressources extrabudgétaires exceptionnelles, de matériels qui doivent être livrés le plus rapidement possible. Je salue au passage la lucidité dont ont fait preuve Michèle Alliot-Marie, qui m’a précédé à ce poste, et Jacques Chirac, alors Président de la République, en lançant le renouvellement de toute une série d’équipements dont nos forces ont absolument besoin.
Ces ressources extrabudgétaires exceptionnelles proviendront d’abord de cessions immobilières dont nous récolterons les fruits avant même qu’elles n’interviennent, par le biais d’une société financière en cours de création, ensuite de la vente d’un certain nombre de fréquences et, enfin, de la vente de participations publiques, qui devraient permettre le financement intégral de la « bosse » budgétaire, soit, sur les années 2009, 2010 et le début de 2011, près de 3,5 milliards d’euros.
Le second arbitrage du Président de la République, qui fait de la défense une exception dans la sphère de l’administration française, vise à ce que la défense conserve la totalité des économies qu’elle réalisera, et ce au profit non seulement de l’amélioration de la condition militaire, mais aussi de l’équipement des forces.
Ce double arbitrage devrait permettre de porter, dans la prochaine loi de programmation militaire, les 16 milliards d’euros prévus pour l’équipement des forces à 18 milliards d’euros en moyenne.
Il est absolument indispensable, en effet, de maintenir les crédits consacrés à la recherche – les premières orientations de la future loi de programmation militaire permettront au moins de les conserver, voire, comme je l’espère, de les augmenter un peu –, d’autant plus compte tenu de la réduction d’un certain nombre de cibles et de la révision à la baisse d’un certain nombre de programmes. Les compétences, les qualifications, les bureaux d’études, doivent alors être préservés.
Les crédits nécessaires à cette fin seront prévus dans la future loi de programmation militaire.
Madame Demessine, vous nous reprochez une absence de concertation. J’ai, quant à moi, la chance d’avoir connu trois restructurations ; je peux donc en parler.
Je revois encore Pierre Joxe, en 1992 – c’est la gauche qui était au pouvoir à l’époque ! – présenter les restructurations à l’ensemble des députés – j’étais alors membre de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale – à peu près en ces termes : « C’est ainsi, il n’y a pas à discuter ! ».
Je me souviens également de la restructuration de 1994 : je faisais alors partie du cabinet de François Léotard. Sur arbitrage du Premier ministre et du ministre de la défense, il avait été décidé de prévenir les parlementaires de la majorité la veille au soir, et ceux de l’opposition, le matin même de l’annonce desdites restructurations.
Enfin, les restructurations de 1996 ont été annoncées par Charles Million, le 17 juillet, quand la France était en vacances et la session parlementaire close.
Pour ce qui me concerne, voilà plus de deux mois et demi que je reçois tous les parlementaires, même si ce que je leur annonce n’est pas forcément ce que l’on peut considérer comme de bonnes nouvelles. Cet énorme travail d’écoute s’est révélé très utile, d’ailleurs, car il m’a conduit à faire des ajustements et à mieux cibler les difficultés d’un certain nombre de territoires.
Je réfute donc l’accusation selon laquelle nous n’aurions pas procédé à la concertation nécessaire, car jamais des discussions d’une telle ampleur n’ont été menées au sein du ministère de la défense.
Nous sommes partis de l’idée que, là où nous ne pouvions pas apporter de réponse positive, nous devions engager un vrai travail de réflexion en termes de compensations et d’aide à la dynamisation des territoires.
Le Premier ministre a annoncé 320 millions d’euros pour financer ces compensations et accompagner ces politiques de re-développement et de reconversion.
J’estime qu’une ville ou une agglomération de 500 000 ou 600 000 habitants doit pouvoir absorber la fermeture d’une unité militaire assez facilement. Seuls dix ou douze sites seront effectivement dans une situation plus compliquée et nécessiteront à ce titre une aide, qui leur sera fournie grâce aux moyens que je viens d’évoquer.
J’ai, de plus, envoyé une lettre à l’ensemble des entreprises cotées en Bourse, qui a suscité près d’une quarantaine de demandes d’information sur ces sites, en vue de possibles implantations et investissements.
Enfin, la longueur du délai accordé – les décisions de restructurations seront annoncées avant le 14 juillet, mais il s’écoulera au moins deux ans, parfois même cinq ans, avant qu’elles ne deviennent effectives –, permettra de procéder au tour de table préalable à la mise sur les rails de la relance des territoires concernés.
La question du porte-avions a été largement évoquée lors de mon audition par votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Les Britanniques ne nous ont pas lâchés ; ils ont décidé de lancer leur propre porte-avions, en en profitant pour restructurer leurs chantiers navals. Nous avons, nous, choisi d’attendre, avant de lancer le nôtre, d’avoir avalé la « bosse » budgétaire.
Nous avons préféré disposer auparavant d’une analyse de notre capacité militaire globale. La construction immédiate d’un nouveau porte-avions revenait à engager 500 millions d’euros de crédits d’équipements supplémentaires dès l’année prochaine. Compte tenu de l’obsolescence des moyens, il était prioritaire pour nous d’équiper le plus rapidement possible nos forces du programme d’avion de transport A400M, du VBCI, le véhicule blindé de combat d’infanterie, du NH90 et d’autres matériels modernes.
M. Boyer est attaché au maintien d’une marine océanique. Le Livre blanc tient compte du rôle majeur des mers dans la sécurité de nos approvisionnements et la protection de notre zone économique exclusive, la deuxième du monde. Avec dix-huit frégates de premier rang, un groupe aéronaval, deux groupes amphibies, nous restons largement une puissance militaire navale de premier rang.
Par ailleurs, le financement des OPEX va entraîner des coûts supplémentaires, du fait d’un certain nombre de restructurations, de la création de bases de défense destinées à accueillir les ressources mutualisées qui vont servir à l’ensemble des unités militaires, mais cela n’impose pas nécessairement la construction de bâtiments ex nihilo. Toutes ces mesures sont inscrites dans la loi de programmation militaire et sont comprises dans les 377 milliards d’euros prévus par le Livre blanc.
J’attends des réductions d’effectifs, de la mutualisation des services et de la densification accrue du soutien, grâce à la création des bases de défense, une économie de 2 milliards d’euros, dès lors que la totalité de ces différentes mesures seront mises en œuvre.
M. Yves Pozzo di Borgo s’est interrogé sur le porte-avions : je viens de lui répondre.
Je tiens à le rassurer sur la brigade alpine : les régiments seront maintenus en l’état, sans la moindre réduction de leurs effectifs ou de leur puissance. Ces unités de mêlée jouent un rôle de premier plan lors de nos opérations extérieures.
Là comme partout ailleurs, nous n’envisageons que de densifier les unités pour obtenir un meilleur ratio entre compagnies de soutien et compagnies opérationnelles : au lieu d’avoir une compagnie de soutien, quatre compagnies opérationnelles et quatre compagnies de combat, nous passerons à une compagnie de soutien et cinq ou six compagnies de combat.
Enfin, monsieur Boulaud, vous reprochez au Président de la République d’avoir annoncé un certain nombre de mesures antérieurement à la publication du Livre blanc. Je m’étonne : le Président de la République n’est-il pas, aux termes de l’article 15 de la Constitution, le chef des armées ? N’est-il pas élu par le peuple, et responsable devant le peuple ? C’est à lui de procéder aux arbitrages concernant les grandes orientations de notre défense, et il est heureux qu’il en soit ainsi.
Je serais pour ma part, en tant que ministre de la défense, très affecté que ce soit la commission du Livre blanc, en dépit de la valeur, de la qualité, de l’intelligence, de la connaissance et de l’expérience indéniables de ses membres – vous en avez d’ailleurs fait partie ! – qui décide de ces arbitrages. Selon moi, en effet, c’est celui à qui il incombe de diriger le pays qui doit y procéder, sous le contrôle du Parlement.
Car vous semblez l’oublier, mais le contrôle du Parlement existe. Ainsi, l’Assemblée nationale peut voter une motion de censure en cas de désaccord avec le Gouvernement, et le Parlement, saisi des projets de loi de programmation militaire, peut toujours par ses votes infléchir les choses. Il n’y a rien là que de très naturel dans un pays démocratique et républicain