Mme Annie David. Je m’en souviens !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bien que vous vous abritiez derrière la décision du Conseil constitutionnel du 16 août 2007 concernant les transports, nous pensons que, avec cet article 3, il y a bien atteinte à l’exercice du droit de grève des enseignants du premier degré.
Ce projet de loi tend à créer une procédure « d’alerte sociale ». Ce pourrait être une bonne nouvelle, tant sont ignorées les revendications des organisations syndicales, notamment sur les suppressions de postes et la réforme des programmes. En réalité, ce processus de négociation préalable, qui n’impose aucune obligation de résultat à l’État en termes de prise en compte des revendications, va conduire à un allongement du temps nécessaire pour le dépôt d’un préavis de grève : onze jours.
L’obligation faite ensuite à toute personne exerçant des fonctions d’enseignements de se déclarer nominativement gréviste au moins quarante-huit heures avant une grève ne constitue pas non plus une avancée démocratique. Elle revient même à ignorer l’usage qui est en vigueur dans le premier degré puisque les enseignants informent toujours les parents au moins trois jours à l’avance de leur intention de faire grève.
Je résume : aux onze jours nécessaires pour le dépôt d’un préavis s’ajoutent les cinq jours francs obligatoires entre le dépôt de ce préavis et la grève.
Les enseignants ne pratiquent pas de grèves sauvages et se mobilisent toujours pour défendre une qualité d’enseignement au service de tous les élèves. Votre objectif, monsieur le ministre, est, en réalité, de décourager les enseignants de faire grève en alourdissant la procédure et en accentuant la pression.
C’est tout le sens de l’article 5 de ce projet de loi, qui tend à inverser la procédure de déclaration de grève. Jusqu’à présent, la loi exige des enseignants qu’ils informent le directeur de leur école et les parents de leur intention de faire grève. C’est ensuite à l’inspecteur de l’éducation nationale de leur circonscription de constater l’état de grève. Désormais, aux termes de l’article 5, « toute personne exerçant des fonctions d’enseignement dans une école maternelle ou élémentaire publique » devra informer « l’autorité administrative, au moins quarante-huit heures avant de participer à la grève, de son intention d’y prendre part ».
Cela posera un problème, car informer son autorité administrative de son intention de prendre part à la grève, cela ne veut pas dire faire effectivement grève. En revanche, c’est être déclaré comme gréviste auprès de l’inspecteur de l’éducation nationale dont on dépend. N’est-ce pas là une façon de mettre dans la loi une pratique de plus en plus usitée consistant à opérer systématiquement, en cas de grève, des retenues sur salaire, à charge pour les non-grévistes de prouver qu’ils étaient bien au travail ?
Les maires connaissent le haut niveau de conscience professionnelle des enseignants de leur commune, ces mêmes maires à qui vous voulez imposer la responsabilité de gérer les conséquences des conflits sociaux avec vos fonctionnaires.
Quid, par ailleurs, du droit de grève des agents territoriaux, qui vont se voir proposer d’endosser la casquette de briseurs de grève ?
Les expérimentations l’ont montré : les maires, de droite comme de gauche, ne veulent pas que ce service leur soit imposé. À Saint-Quentin, dans l’Aisne, commune dont M. Xavier Bertrand, grand militant du service minimum, est maire-adjoint, le maire ne pas l’a pas organisé. (Sourires sur les travées du groupe CRC. – M. le rapporteur pour avis sourit également. )
En effet, les maires ont compris que ce texte allait les mettre en danger, financièrement et juridiquement, les deux étant étroitement liés. Le danger financier vient tout simplement du fait que la mise en place de ce « service d’accueil » comporte une inconnue de taille pour les communes : elles seront dans l’incapacité de savoir à l’avance le nombre d’enfants qu’elles auront à accueillir. Elles risquent donc d’engager des dépenses supérieures à la contribution que vous voudrez bien leur accorder.
Retiendrez-vous le forfait de 90 euros par tranche de quinze élèves accueillis, tel qu’il a été appliqué lors de l’expérimentation ? Ce montant est insuffisant, vous le savez : les maires ont rapidement fait le calcul. Nous n’aurons pas le loisir, malheureusement, de débattre réellement de cette « contribution », ainsi nommée dans l’article 8 du projet de loi, puisque son montant, établi en fonction du nombre d’élèves accueillis, et les modalités de son versement seront fixés par décret.
Pourtant, le troisième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution, lequel est le garant de la libre administration des collectivités territoriales, prévoit expressément que « toute création… – et c’est bien de cela qu’il s’agit ici – … ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. », c’est-à-dire ici par nous, sénatrices et sénateurs, conjointement avec les députés.
Pour clarifier les choses, nous avions déposé deux amendements à l’article 8 en faveur du versement d’une « compensation intégrale financière », calculée en fonction du « nombre d’enseignants grévistes ». Ces deux amendements ont été rejetés par la commission des finances au motif, bien pratique, qu’ils étaient irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est bien la preuve, monsieur le ministre, que votre « contribution » ne couvrira pas la dépense que ce service occasionnera aux communes.
Après l’article 89 de la loi du 13 août 2004 faisant obligation aux communes de financer les écoles privées, le Gouvernement impose le service d’accueil : c’est une double peine pour les communes, notamment pour les moins bien dotées et les communes rurales.
Mme Jacqueline Gourault. Décidément, encore la double peine !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. De plus, au prétexte d’une « grande souplesse offerte aux communes », il n’est fait aucune mention d’un taux d’encadrement minimum dans le projet de loi. Cela a une conséquence directe : cet accueil devra se limiter à une activité de pure garderie.
Que feront donc, toute la journée, les enfants ainsi accueillis ? Le simple fait de lire un livre peut être assimilé à de l’enseignement, celui de jouer avec un ballon, aux loisirs.
À l’article R. 227-16 du code de l’action sociale et des familles est prévue la présence, au minimum, d’« un animateur pour dix mineurs âgés de moins de six ans » et d’« un animateur pour quatorze mineurs âgés de six ans ou plus. » Comptez-vous appliquer ce taux d’encadrement minimum ?
Par ailleurs, qui encadrera les enfants ? Des animateurs ? Pourquoi pas, dans les communes qui en emploient déjà pour leurs centres de loisirs ? Mais qu’en ira-t-il dans les autres, notamment les communes rurales qui ne disposent pas de centre de loisirs et n’auront pas de personnels en nombre suffisant ? Sera-t-il fait appel à des chômeurs ayant refusé plus de deux offres raisonnables d’emploi ?
Mme Annie David. Ah !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Selon quels critères seront recrutés les personnels ? De quelle qualification, de quelle expérience disposeront-ils ? Toute personne qui a un jour encadré des enfants sait combien il est difficile de les occuper sans un minimum de préparation et d’expérience. De surcroît, les personnes qui auront la responsabilité de cet accueil devront s’occuper d’enfants qu’elles ne connaissent pas, dont la tranche d’âge peut aller de deux ans à sept ans.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est mettre ces personnels dans une situation délicate et c’est prendre le risque d’activités mal maîtrisées.
Et dans quels « locaux » seront accueillis les enfants ? Les classes ? Mais il ne s’agit pas de leur dispenser des enseignements. Dans la salle du réfectoire, dans le préau, dans la cour ? Sur ce point, le texte reste évasif : il n’y est question que des « locaux des écoles maternelles et élémentaires publiques ».
Là encore, les communes rurales se trouveront dans l’impossibilité matérielle d’organiser ce service, a fortiori quand elles ne disposent plus d’école en propre sur leur territoire. Cela faisait dire à juste titre à l’ancien président de l’association des maires ruraux de France, Gérard Pelletier, que ce service est tout simplement « inapplicable » dans les petites communes.
Or, faire basculer la mise en place de ce service avec un taux de gréviste de 10 %, voire de 20 %, c’est l’appliquer dans quasiment toutes les écoles.
Enfin, de quels matériels les maires disposeront-ils pour assurer cet accueil ? Ils devront investir !
Sur aucun de ces points il n’est apporté la moindre précision dans le projet de loi. Ils sont pourtant essentiels et ne peuvent être laissés au hasard quand on prétend « instaurer un droit d’accueil ».
Ce taux d’encadrement, que vous refusez de définir dans la loi, va directement mettre en jeu la responsabilité pénale et civile du maire. En effet, en cas d’accident et de mise en cause devant les tribunaux, cette question de l’encadrement se posera, et c’est le juge qui tranchera en s’appuyant sur la jurisprudence.
Les maires ont donc raison à plus d’un titre de s’opposer à ce texte inutile, dangereux, démagogique et attentatoire à ce qui fonde notre service public de l’enseignement. C’est pourquoi le groupe auquel j’appartiens se prononcera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à créer un nouveau droit pour les familles et une nouvelle charge pour les communes.
Tout l’enjeu est de faire en sorte que la mise en œuvre de ce droit et de cette charge s’opère en bon équilibre, sans créer de sentiment de frustration ou d’opposition. Je suis convaincue que cela peut se faire, notamment grâce aux propositions de notre rapporteur, M. Philippe Richert.
Ce service d’accueil des élèves en cas de grève des enseignants des écoles maternelles et élémentaires publiques est, en effet, accueilli favorablement par un grand nombre des familles.
Selon le sondage exclusif réalisé les 6 et 7 mai dernier par le CSA pour le Parisien-Aujourd’hui en France et I-Télé, 60 % des Français estiment qu’il s’agit d’une « bonne » initiative. Ce pourcentage atteint 69 % chez les femmes, celles-ci étant souvent les premières à devoir organiser la garde de leurs enfants.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Bien sûr !
Mme Muguette Dini. Les Français ont fait état, çà et là, dans la presse, de leur « soulagement » de n’avoir plus enfin à se poser cette sempiternelle question : « Qui va garder les enfants ? »
Je me permets de reprendre les propos d’une de nos concitoyennes, publiés sur le site d’un quotidien du soir. Ils résument parfaitement bien la position de beaucoup de Français et les problèmes rencontrés par les parents : « Discussions familiales pour savoir qui garde, discussions sur son lieu de travail pour poser un jour de congé, perte d’un vrai jour de vacances choisi, perte de rémunération, perte de contrat, de clients, modification du planning de rendez-vous, rattrapage du retard... À chacun sa liste, mais elle peut être longue. Je suis dans une région où les entreprises sont principalement des TPE et PME et, à la différence des très grandes entreprises, où les absences arrivent à être diluées dans la masse, les absences non planifiées portent, dans les entreprises de petite taille, préjudice aux salariés et aux employeurs. Ce service est indispensable ! ». Tout est dit !
J’irai même plus loin : ce dispositif d’accueil est crucial pour toutes les femmes qui élèvent seules leurs enfants, pour toutes les familles, tout particulièrement pour les familles modestes quand elles ne peuvent compter sur la solidarité familiale.
Les premiers à être conscients de ces difficultés sont bien les maires. « Nous sommes des gens pragmatiques et nous n’apprécions pas d’être confrontés à des parents sur les nerfs », déclare l’un d’eux. « C’est un service que j’aurais rendu de toute façon », indique un autre.
En effet, en cas de grève d’enseignants ou de fermeture d’école, nombreux sont les maires qui, depuis plusieurs années, proposent aux parents des solutions de remplacement telles que l’embauche de vacataires ou l’accueil dans les centres de loisirs et les garderies de la commune.
Le présent projet de loi prévoit donc de généraliser ce service d’accueil à l’ensemble du territoire.
Les maires demandent des garanties juridiques et financières pour assumer, de façon optimale, la mise en place et l’organisation de ce dispositif. Ils ont raison !
Les amendements qui seront défendus par notre rapporteur permettent d’apporter une première réponse à leurs justes revendications. Cinq propositions retiennent plus particulièrement mon attention.
Il s’agit, d’abord, pour l’organisation de ce service d’accueil, de l’affirmation d’une compétence de principe de l’État et d’une compétence par exception pour les communes.
J’évoquerai ensuite le relèvement du seuil d’intervention de la commune – apprécié école par école – pour le porter de 10 % à 20 % de grévistes. Peut-être conviendra-t-il de l’augmenter encore.
Je mentionnerai également la constitution, très en amont, par les communes, d’un fichier de personnels qualifiés pouvant être mobilisés à l’occasion de la mise en place de ce service d’accueil.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bonne initiative !
Mme Muguette Dini. Je citerai encore la subrogation de l’État dans les droits des communes en cas de dommage commis ou subi par un élève du fait de l’organisation ou du fonctionnement du dispositif.
Il s’agit, enfin, du versement par l’État aux communes d’une réelle compensation financière.
Les maires réclament surtout plus de souplesse, une plus grande latitude dans la mise en œuvre de ce dispositif. Là encore, ils ont raison. L’organisation d’un tel service doit être décidée librement par chaque commune ou chaque communauté de communes, en fonction des contingences locales et des besoins de familles, comme c’est déjà le cas dans certaines villes. Telle est la position que défend l’Association des maires de France, par la voix de son président, M. Jacques Pélissard, et nous souhaitons y faire écho.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de mon intervention, je tiens à dire combien je regrette que nous nous soyons plutôt focalisés sur la création de ce service public et que nous ayons assez souvent passé sous silence celle de la procédure de négociation obligatoire et préalable à tout mouvement de grève.
Cette disposition est extrêmement importante puisque ce n’est qu’en cas d’échec de ces pourparlers qu’il y aurait mouvement de grève, avec l’obligation pour l’enseignant de déclarer à sa hiérarchie, quarante-huit heures avant, son intention d’y participer, de manière que puisse être connue à temps la nécessité d’organiser l’accueil des enfants.
Concernant cette obligation de déclaration préalable, le projet de loi n’innove pas vraiment. En effet, depuis toujours, lorsqu’un enseignant soucieux de la sécurité de ses élèves décide de suivre un mot d’ordre de grève, il en informe généralement les familles à l’avance, pour leur permettre de s’organiser. Il choisit de le faire par un mot dans le carnet de correspondance et vérifie le lendemain que son message a été lu par les parents. Tout cela prend environ quarante-huit heures, soit le délai prévu dans le projet de loi.
Avec ce texte et les propositions de la commission, une situation de grève au sein des écoles publiques du premier degré pourra être abordée de manière plus sereine, et ce pour les deux parties. Surtout, je suis persuadée que les Français, moins « englués » dans leurs problèmes pratiques, porteront, de ce fait, plus d’attention aux revendications du corps enseignant.
Par conséquent, monsieur le ministre, le groupe de l’UC-UDF, dans sa grande majorité, apportera son soutien à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi démagogique parce qu’inapplicable sur le terrain pour la majorité des communes disposant d’au moins une école publique, sans même parler des regroupements pédagogiques intercommunaux.
Dès le mois de janvier dernier, monsieur le ministre, l’Association des maires ruraux de France vous alertait sur le point suivant : aucune commune rurale ne dispose de personnel communal en réserve pour assurer un service minimum en cas de grève. De même, l’Association des maires de France estime que les 20 000 communes de moins de 2 000 habitants, sur les 22 500 communes abritant une école publique du premier degré, ne seront pas en mesure de mettre en œuvre ce texte.
En réalité, vous prenez les communes en otages, d’autant qu’il s’agit, pour elles, non pas d’une faculté, mais bien d’une obligation. Mais peu vous importe ! Vous avez réussi votre opération de communication : laisser croire aux parents que vous aviez réglé la question. De toute façon, si cela ne fonctionne pas, c’est aux communes, et non au Gouvernement, que les parents demanderont des comptes. C’est tout bénéfice pour vous !
Ce projet de loi est également démagogique parce qu’il vise un objectif tout autre que celui de l’accueil des élèves de maternelles et de primaires les jours de grève. Le Gouvernement a fait preuve d’un enfermement idéologique certain et de visées cachées, pour faire d’un tel accueil le terrain d’un affrontement. Vous avez ainsi opposé parents et enseignants, enseignants et fonctionnaires territoriaux, en laissant entendre que ceux de ces derniers qui assureront le service d’accueil seraient payés par les retenues de salaires des grévistes. Ce faisant, vous avez pris les communes en otages.
Or, bien souvent, en cas de grève, les enseignants s’organisaient entre eux pour accueillir, dans leur propre classe, les enfants pour lesquels les parents n’avaient aucune autre solution. Il s’agit pour moi non pas de nier la gêne subie par les parents, mais de redonner à ce problème sa juste proportion. En effet, lorsqu’on interroge les parents sur les absences les plus gênantes à leurs yeux, ce ne sont pas celles qui sont dues aux grèves qu’ils mentionnent en premier, ce sont bien les jours d’enseignement perdus en raison des non-remplacements d’absences, y compris celles qui étaient pourtant prévues.
Mmes Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
M. Serge Lagauche. Plus que les jours de grève, ce sont ces remplacements non assurés qui mettent en cause la qualité du service public de l’éducation au quotidien, et les parents y sont particulièrement sensibles.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Ce n’est pas le sujet !
M. Serge Lagauche. Si l’article 2, en instituant un service d’accueil généralisé en cas d’absence, ne portait pas une atteinte grave à notre service public d’enseignement scolaire, je saluerais la prévoyance du Gouvernement, car ce dernier sait pertinemment qu’il aura de moins en moins de moyens pour assurer les remplacements. Nous avons tous en tête les suppressions massives de postes : 11 200 en 2008, 17 000 annoncées en 2009.
Parallèlement, souvenons-nous de la série de jugements rendus en 2003 sur ce sujet par le tribunal administratif de Versailles, jugements qui l’ont conduit à affirmer qu’il est du devoir de l’État d’assurer le remplacement des professeurs absents. Dans les onze affaires jugées, le tribunal a condamné l’État à verser aux parents d’élèves plaignants des sommes comprises entre 150 et 450 euros, selon le nombre d’heures de cours non dispensées.
Voici ce que, chaque fois, le tribunal a jugé : « La mission d’intérêt général d’enseignement impose [à l’État] l’obligation légale d’assurer l’enseignement de toutes les matières obligatoires inscrites aux programmes. Le manquement à cette obligation légale [...] est constitutif d’une faute de nature à engager [sa] responsabilité [s’il se poursuit] pendant une période appréciable ». Quant au « manque de crédits budgétaires allégué par le recteur de l’académie de Versailles ou les démarches qu’il aurait mises en œuvre », ils « ne sauraient exonérer l’administration de la responsabilité qui lui incombe », ont estimé les juges.
Voilà bien ce que le Gouvernement entend éviter à l’avenir, en substituant un droit d’accueil, un service de garderie en somme, à la continuité du service public d’enseignement. L’État ne sera plus contraint de remplacer un enseignant par un autre. Ajoutons qu’il n’est nullement précisé dans cet article à qui incombe ce service d’accueil. Dès lors, il n’est pas injustifié d’y voir un nouveau moyen pour le Gouvernement de se défausser de ses responsabilités sur les collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, tel est le réel objectif de ce texte.
La ligne de votre politique, c’est l’habillage de la pénurie. Pour s’en rendre compte, il suffit de remettre vos mesures en perspective.
Vous annoncez l’amputation de deux heures de l’horaire hebdomadaire de travail des élèves. Comment peut-on croire que c’est en travaillant moins que l’on fera mieux ? Comment les enseignants parviendront-ils à réaliser en classe ce qu’ils n’arrivaient pas à faire avec deux heures en moins ?
Vous prônez le recentrage sur les fondamentaux en primaire, caractéristique de cette école du « retour » que votre majorité met en place depuis la publication du rapport Thélot, de cette école d’« avant-mai 68 », d’avant la massification, de cette école d’antan largement mythifiée, alors qu’elle n’était destinée qu’à une élite.
Vous défendez la suppression de l’année de formation professionnelle des futurs enseignants, celle qui justement leur permet de développer et d’adapter leurs capacités pédagogiques, pour pouvoir faire comprendre aux élèves ce qui ne l’a pas été une première fois. Selon vos propres termes, il s’agit « d’en finir avec trente ans de pédagogisme qui a laissé croire qu’on pouvait apprendre en s’amusant ».
Cela va à l’encontre de la professionnalisation des enseignants, et, malgré ce que vous semblez croire, il ne suffit pas d’avoir des connaissances pour savoir les transmettre.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C’est vrai !
M. Serge Lagauche. Vous proposez la création d’une agence de gestion des remplacements des enseignants en faisant appel à des non-fonctionnaires, parce que l’État n’est plus en mesure d’assurer les remplacements avec ses propres personnels du fait des réductions d’effectifs.
Cette gestion de la pénurie est au service d’une idéologie claire, à savoir la mise en œuvre, en totale rupture avec la continuité républicaine française, du libéralisme éducatif : ciblage de l’individu et rejet de la dimension collective ; culte de la performance de l’individu et des établissements avec parution d’un hit-parade dans la presse ; suppression de la carte scolaire et renforcement de la ghettoïsation.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, qui conduit à un affaiblissement des objectifs éducatifs et à un glissement dangereux des missions de l’école, participe de cette orientation. Ce qui est en jeu va bien au-delà de l’idée d’accueil des enfants en cas de grève. On franchit aujourd’hui, subrepticement, une étape supplémentaire avec le dévoiement de la mission d’éducation de l’école. Par là même, vous leurrez les Français sur l’objectif visé.
Lorsqu’un professeur sera absent, et non pas en grève, quel que soit le motif de cette absence, les enfants seront désormais en garderie, et non plus en train d’apprendre en classe avec un enseignant remplaçant parce que, faute de moyens, l’État aura refusé d’assumer sa mission de service public d’éducation.
Monsieur le ministre, si l’on avouait la triste réalité de votre projet aux parents, pas un seul ne le soutiendrait. Vous les avez bien bernés !
M. Philippe Richert, rapporteur. Mais non !
M. Serge Lagauche. Vous concevez l’institution scolaire comme un service dont l’objet est de satisfaire, à court terme, ses usagers, au détriment de sa mission éducatrice, civilisatrice et émancipatrice et de ses valeurs. Ce n’est pas notre conception du service public de l’éducation.
Certes, les travaux menés par la commission l’ont conduite à proposer un certain nombre d’évolutions, mais, pour l’instant, nous nous en tenons aux dispositions du projet de loi et aux perspectives qu’il ouvre. Nous attendons de voir le sort réservé aux amendements par la majorité, car certaines propositions font débat, y compris en son sein, pour nous prononcer définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens en lieu et place de mon collègue Yves Détraigne, qui ne peut être présent parmi nous ce matin. Par conséquent, je m’efforcerai de vous présenter le plus clairement possible à la fois son point de vue et le mien !
Je tiens à aborder ce projet de loi de manière positive, sans opposer les particularismes des uns à ceux des autres, la plaine à la montagne, les frontaliers à ceux du centre, et surtout pas le privé au public ! Je regrette d’ailleurs que M. Carle ne soit plus là, car je souhaitais dire en sa présence qu’il faut vraiment nous garder de rallumer, comme c’est trop souvent le cas, et comme lui-même l’a fait tout à l’heure, cette guerre stérile à partir de détails.
Monsieur le ministre, je formulerai plusieurs remarques.
Tout d’abord, cela a été rappelé à plusieurs reprises, il faut avoir bien conscience que les maires ont été choqués par la manière dont cette réforme a été engagée.
Dans de nombreux endroits, le service d’accueil dans les communes existe.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui !
Mme Jacqueline Gourault. Voilà longtemps que les maires prennent et assument leurs responsabilités en décidant ou non, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales, d’accueillir les élèves les jours de grève des enseignants.
D’ailleurs, si seulement 2 870 maires ont répondu favorablement à votre demande d’expérimentation du service minimum d’accueil lors de la grève de janvier dernier, les communes qui ont assuré un tel service étaient en réalité beaucoup plus nombreuses. En effet, celles qui ont déjà l’habitude de mettre en place ce système ne se sont pas fait connaître ce jour-là.
Par conséquent, le premier élément à souligner, c’est le respect que l’on doit aux collectivités territoriales et aux maires qui savent assumer leurs responsabilités, en cas d’absence d’enseignants, pour ne pas laisser les enfants tout seuls dans la nature. Quoi qu’on en dise, il existe souvent une bonne coordination entre les maires, les directeurs d’école et les enseignants.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault. Je tenais à le rappeler pour faire un sort à cette idée selon laquelle on aurait inventé là quelque chose d’extraordinaire, de totalement inédit !
Comment s’étonner que les parents d’élèves interrogés sur le point de savoir s’ils sont intéressés par une solution pour faire garder leurs enfants les jours de grève répondent par l’affirmative à 80 % ? Je vous le dis gentiment et posément, monsieur le ministre : si l’on sondait les parents sur la suppression d’une classe, je suis sûre qu’ils seraient contre à 80 % !
Le 17 juin 2008, très récemment donc, Jean-Pierre Raffarin faisait remarquer que nos concitoyens n’acceptent plus que les projets de loi soient préparés dans les cabinets ministériels. Je vous l’accorde bien volontiers, monsieur le ministre, il n’est pas du tout certain que cette idée ait germé dans votre cabinet ! Mais je crois qu’il aurait mieux valu ne pas légiférer sur ce sujet. En vérité, je ne comprends pas pourquoi on légifère pour mettre en place ce système d’accueil !
En effet, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, je considère qu’on déplace la frontière entre le domaine régalien et la sphère d’intervention des collectivités locales. Je m’explique : dès lors qu’on légifère sur le droit de grève, en l’espèce celui des personnels enseignants, on entre dans le domaine régalien. Car de quoi s’occupent les maires ? De la cantine, du périscolaire, de ce qui se situe en amont et en aval de la classe, mais en aucun cas de l’enseignement ! Ils se conforment ainsi aux principes de l’école de la République, si souvent vantée tout à l’heure, l’école de Jules Ferry… aujourd’hui celle de Xavier Darcos. (Sourires.)
Et voici qu’on déplace cette frontière en proposant de faire intervenir les collectivités locales dans le champ de l’enseignant, gréviste ou non-gréviste. C’est un problème de fond, monsieur le ministre !
Cela me rappelle l’époque où Lionel Jospin, ministre de l’éducation nationale, avait décidé qu’une langue étrangère serait enseignée dès le primaire ; cela a d’ailleurs perduré. Le ministère de l’éducation nationale n’ayant pas les moyens de rémunérer tous les enseignants, on avait demandé aux collectivités locales de payer des intervenants.