M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 215. Le code des juridictions financières prévoit que la Cour des comptes assure la vérification des comptes et de la gestion des établissements publics de l’État à caractère industriel et commercial, des entreprises nationales, des sociétés nationales, des sociétés d’économie mixte ou des sociétés anonymes dans lesquelles l’État possède la majorité du capital social.
Contrôler l’utilisation des fonds publics par toute entreprise privée élargirait considérablement les prérogatives de la Cour des comptes. Examiner les comptes des entreprises privées dépasserait largement ses possibilités ! Vérifier l’utilisation des fonds doit simplement être justifié quand il y a une dette publique. S’il fallait vérifier tous les comptes des entreprises privées, où irait-on ? Et je ne parle pas des libertés !
La commission est défavorable à l’amendement n° 217. La préoccupation des auteurs de cet amendement paraît satisfaite par la rédaction du premier alinéa de l’article 21 telle qu’elle résulte des travaux de l’Assemblée nationale, sauf à vouloir interdire que la Cour des comptes assiste le Gouvernement, ce qui ne me paraît absolument pas correspondre à l’esprit dans lequel l’Assemblée a travaillé.
Enfin, la commission est également défavorable à l’amendement n° 216. La disposition est assez imprécise dans sa formulation. Sur quel objet saisir la Cour des comptes ? Cette disposition ouvrirait la voie à une instrumentalisation de la Cour des comptes, ce qui n’est pas souhaitable.
L’amendement n° 144 rectifié bis me plaît beaucoup, monsieur le président ! (Sourires.)
En 1995, à la suite de la grande réforme qui allait moderniser d’une manière considérable les méthodes de travail du Parlement grâce notamment à la session unique, vous vous en souvenez certainement très bien, monsieur le président,…
M. le président. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.… nous avions créé – dois-je le rappeler ? – un Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques.
M. le président. Que l’on n’a pas eu le courage de supprimer !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, il l’a été !
M. le président. On a tari les crédits pour le rendre invivable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On l’a fait mourir de sa belle mort !
M. le président. Cette proposition – je parle sous le contrôle de M. Arthuis – est restée sous le coude du président de la commission des finances pendant deux ans.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui.
M. le président. Il a été interpellé sans cesse par les médias, car on pensait que c’était la traduction d’une querelle entre des parlementaires. On l’a créé quand même, par discipline, mais ce projet s’est révélé impraticable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela dit, monsieur le président, il n’en demeure pas moins – et nous l’avons inscrit dans la loi – que nous évaluons les politiques publiques ; ce n’est pas une simple contribution. Par conséquent, le Parlement doit être doté d’outils adaptés.
Certes, le concours de la Cour des comptes, qui est extrêmement précieux compte tenu de la qualité de ses magistrats, est inscrit dans la Constitution, mais rien n’interdit de faire appel à d’autres.
Un office, c’est très compliqué à faire fonctionner notamment entre les deux assemblées,…
M. le président. Effectivement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.… exception faite de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
L’Office parlementaire d’évaluation de la législation n’a pas bien fonctionné non plus, bien que nous ayons tenté de le faire vivre.
Nous devons donc réfléchir à la possibilité de faire appel, au-delà de la Cour des comptes, à des cabinets d’experts notamment.
M. le président. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au nom de quoi n’aurait-on pas le droit de le faire ? C’est une décision qui appartient aux assemblées.
Par conséquent, je suis assez défavorable à cet amendement. Les expériences précédentes n’ayant pas abouti, il est inutile de recommencer ; il y avait sûrement des raisons à ces échecs.
En revanche, une fois la révision constitutionnelle achevée, nous devrons réfléchir à la façon de nous doter d’outils adaptés pour permettre au Parlement d’évaluer les politiques publiques, comme le veut la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 215. En vertu du code des juridictions financières, la Cour des comptes peut effectivement contrôler l’ensemble des organismes qui bénéficient de concours financiers de l’État, d’une autre personne soumise à son contrôle ou de la Communauté européenne. Mais il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la Constitution.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 216, qui vise à inscrire dans la Constitution que les groupes parlementaires peuvent saisir la Cour des comptes.
Sur la forme, je dirai que les modalités de saisine par les assemblées de la Cour des comptes ne relèvent pas de la Constitution.
Sur le fond, je ne suis pas sûr que le groupe parlementaire soit le cadre pertinent pour saisir la Cour des comptes.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 217. L’Assemblée nationale a adopté un amendement à l’article 21 qui précise que la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques. Je ne crois pas qu’il faille empêcher la Cour d’assister aussi le Gouvernement dans cette tâche.
L’amendement n° 144 rectifié bis pose un vrai problème. Le Gouvernement y est défavorable, même s’il en comprend parfaitement la philosophie. Désormais, la Constitution précise que le Parlement doit concourir à l’évaluation des politiques publiques. Dans ce cadre, l’idée de créer un organe d’audit propre au Parlement est évidemment intéressante, mais elle pose deux problèmes de fond.
Tout d’abord, il existe une institution qui a largement fait les preuves de son efficacité : la Cour des comptes, dont le projet renforce la fonction d’assistance au Parlement. Un outil concurrent serait donc inutile.
En revanche, ce dont a probablement besoin chacune des chambres, c’est d’un comité interne pour coordonner tout le travail de contrôle effectué par les organismes internes à l’assemblée ainsi que par les organismes extérieurs tels que la Cour des comptes.
Ensuite, la création des offices parlementaires relève de la loi ; il est donc inutile d’inscrire cette disposition dans la Constitution. J’observe d’ailleurs qu’un office parlementaire d’évaluation des politiques publiques commun aux deux assemblées avait été créé par la loi du 14 juin 1996.
M. le président. Eh oui !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il n’a pas connu le succès escompté.
Par conséquent, le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote sur l’amendement n° 144 rectifié bis.
M. Yves Pozzo di Borgo. Dans les commissions parlementaires – je siège moi-même à la commission des affaires étrangères –, nous sommes amenées à voter des crédits considérables, qui atteignent parfois plusieurs milliards d’euros. Or je suis incapable de vérifier si ces sommes, votées en commission puis en séance, sont justifiées ou non !
Les parlementaires d’autres pays, en particulier les parlementaires allemands ou américains, ont la possibilité de mener des expertises, en amont et en aval. Pas nous ! En général, nous ne disposons que d’une expertise en amont qui nous est fournie par des fonctionnaires.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec la Constitution !
M. Yves Pozzo di Borgo. Je suis désolé, mais cette affaire est beaucoup plus importante qu’on ne veut bien le dire !
N’oublions pas que la Cour des comptes participe du pouvoir judiciaire. Quant au Parlement, il n’a pas la possibilité, à l’heure actuelle, de procéder à des évaluations. La seule commission qui peut aller vérifier sur place et sur pièces, c’est la commission des finances. Les autres parlementaires n’ont pas ce droit.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose ! Ce n’est pas une évaluation !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il se trouve que j’étais inspecteur général de l’éducation nationale avant d’être parlementaire. Quand j’inspectais mon administration, mon pouvoir était beaucoup plus grand ! Je pouvais aller au CNRS, ou bien dans une université ou un lycée, quels qu’ils soient, et demander la base comptable pour vérifier la situation des comptes. Aujourd’hui, en tant que parlementaire, siégeant à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, quand je me rends dans une ambassade, je peux tout juste demander à l’ambassadeur quel est l’état de ses comptes ! Notre impuissance est incroyable !
L’amendement n° 144 rectifié bis vise donc à instituer une disposition fondamentale.
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous avons à notre disposition, en tant que parlementaires, toutes les inspections ministérielles. Tout le travail parlementaire en dépend, et on refuse de le reconnaître ! Pourquoi ne pas les utiliser ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Yves Pozzo di Borgo. Les commissions pourraient, comme vous le suggérez, monsieur le rapporteur, avoir recours à ces inspections. Mais pourquoi ne pas les regrouper dans un office parlementaire ? Je ne sais pas si mon collègue Laurent Béteille va retirer cet amendement, mais je considère pour ma part que c’est l’un des plus importants pour la démocratie !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec la Constitution !
M. Yves Pozzo di Borgo. Si nous l’adoptons, nous pourrons vérifier si ce que nous autorisons en dépenses est justifié. Or, actuellement, on ne peut pas le faire !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons déjà essayé de faire fonctionner un tel office : celui-ci est mort de sa belle mort ! Par ailleurs, une telle disposition n’est pas du domaine constitutionnel. De plus, vous confondez évaluation et contrôle !
M. Yves Pozzo di Borgo. L’inspection peut faire l’évaluation !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Vous mélangez tout ! Le contrôle effectué par les rapporteurs budgétaires, qui sont investis de certains pouvoirs par la commission des finances, est tout à fait spécifique. Nous aurions peut-être souhaité que la possibilité d’effectuer de tels contrôles soit élargie, notamment aux rapporteurs pour avis des autres commissions. En même temps, on ne peut pas multiplier les dispositions de ce genre !
Très honnêtement, je comprends vos préoccupations, mon cher collègue. Je vous rappelle cependant que le Parlement peut demander à la Cour des comptes d’effectuer des contrôles. Il peut également demander des expertises à des cabinets d’audit. Rien ne l’interdit, c’est à nous de le décider si nous le souhaitons ! Le Gouvernement, pour son propre compte, fait procéder à des évaluations par des cabinets extérieurs. Par exemple, à l’occasion de l’élaboration du projet de loi de modernisation de l’économie, le Gouvernement a fait évaluer toutes les dispositions existantes en matière d’urbanisme commercial par un grand cabinet spécialisé international. Rien n’interdirait au Parlement de faire de même !
L’important est que nous ayons inscrit dans la Constitution – mais vous n’étiez peut-être pas en séance à ce moment-là – que le Parlement vote la loi, en mesure les effets, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. Quant aux moyens, c’est à nous de nous les donner, mais ils n’ont pas à être inscrits dans la Constitution, car seuls les principes doivent y figurer !
Il est vrai que d’autres parlements ont à leur disposition des organismes très puissants. Ces derniers ne sont pas pour autant prévus dans la Constitution de ces pays. C’est ainsi notamment en Grande-Bretagne, qui, je le rappelle, ne dispose pas de Constitution écrite ! Quoi qu’il en soit, ne mélangeons pas l’objectif et les moyens, et n’oublions pas qu’il existe une hiérarchie des normes !
Par conséquent, je souhaite vraiment que cet amendement soit retiré.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, cette question me paraît de première importance.
Vous l’avez souvent dit, monsieur le président, le contrôle est la seconde nature du Parlement. Vous pourrez dire désormais que le contrôle et l’évaluation sont la seconde nature du Parlement !
Certes, la Cour des comptes est une juridiction. Mais, du fait de sa mission de certification de la sincérité des comptes de l’État, elle s’oriente vers deux missions bien distinctes : celles qui relèvent de l’ordre juridictionnel et celles qui relèvent de l’ordre du contrôle et de la certification. Et je gage que la Cour des comptes sera beaucoup plus désormais un auditeur certificateur des comptes qu’une juridiction. Selon moi, une telle évolution est irréversible.
Les parlementaires que nous sommes doivent s’investir eux-mêmes dans le contrôle et l’évaluation. Certes, la commission des finances a des prérogatives spécifiques en la matière. Désormais, la commission des affaires sociales dispose également de certains pouvoirs en ce qui concerne les comptes de la sécurité sociale. Mais nous faisons en sorte – je prends à témoin mes collègues des autres commissions permanentes – que les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis diligentent conjointement les travaux de contrôle. Cela doit devenir une habitude.
S’agissant de l’évaluation, cher collègue Pozzo di Borgo, je pense que nos champs d’action s’ouvrent considérablement avec la réforme constitutionnelle. Rien n’empêchera un groupe de membres de la commission des affaires étrangères d’aller passer quelques jours dans une unité militaire ou une ambassade pour poser des questions sur la gouvernance de ces services. Le jour où des membres de la commission des affaires culturelles se rendront dans une université pour s’interroger sur la gouvernance de l’université, ils accompliront, me semble-t-il, un travail tout à fait essentiel, qui contribuera à l’amélioration du fonctionnement des grands services de l’État et de la sphère publique.
Je le confirme, nous pouvons toujours recourir à des concours extérieurs. Certes, la loi organique relative aux lois de finances, dans ses articles 58-1 et 58-2, prévoit de faire appel à la Cour des comptes. Cependant, chaque fois que nous avons demandé aux questeurs des crédits pour pouvoir être assistés d’experts extérieurs, nous n’avons jamais souffert de restrictions.
Par conséquent, il s’agit d’une affaire d’organisation collective au sein de chacune de nos commissions, au sein de notre assemblée ; c’est un enjeu extraordinaire.
Cher collègue Pozzo di Borgo, les corps d’inspection qui relèvent des différents ministères représentent des possibilités d’audit interne à la disposition du ministre. Nous pouvons naturellement les consulter, mais je crois qu’il est peu envisageable de les regrouper dans une sorte d’office qui serait mis à la disposition du Parlement.
Par conséquent, je suis d’avis, moi aussi, de ne pas modifier la Constitution sur ce point particulier.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis est-il maintenu, monsieur Béteille ?
M. Laurent Béteille. Sur le fond, je suis pour le moins perplexe, car je n’ai pas été vraiment convaincu par les arguments qui viennent d’être évoqués.
En effet, le recours à la Cour des comptes, dont le président de la commission des finances, M. Arthuis, a bien défini la mission, ne me semble pas être suffisant pour les évaluations qui sont nécessaires au travail du Parlement.
Même si l’histoire témoigne de l’échec de l’office parlementaire en la matière, on ne peut pas se contenter de se référer à une mauvaise expérience pour s’en tenir là et ne jamais tenter de créer un nouvel office.
Sur le fond, je maintiens donc ma position. Cependant, j’ai bien entendu les demandes de retrait qui m’ont été adressées par la commission et le Gouvernement. Effectivement, on peut raisonnablement se poser la question de savoir si une telle disposition est d’ordre constitutionnel. Sur ce point, je rejoins quelque peu M. le rapporteur.
Par conséquent, je retire cet amendement, ce qui ne signifie pas que le dernier mot soit dit sur cette question.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 21, modifié.
(L’article 21 est adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 268 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
7
Texte soumis au Sénat en application de l’article 88-4 de la Constitution
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l’exercice 2009. Volume 0.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3891 et distribué.
8
Dépôt d’un rapport d’information
M. le président. J’ai reçu de MM. Robert del Picchia et Hubert Haenel un rapport d’information, fait au nom de la délégation pour l’Union européenne, sur l’Union européenne et la Turquie à la veille de la présidence française.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 412 et distribué.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 24 juin 2008, à dix heures, seize heures et le soir :
1. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
2. Discussion du projet de loi (n° 390, 2007-2008) relatif aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi (urgence déclarée).
Rapport (n° 400, 2007-2008) de M. Dominique Leclerc, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 24 juin 2008, à zéro heure cinquante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD