Article 18
Le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 18 constitue, avec les articles 7, 16 et 22 du projet de loi constitutionnelle, le socle permettant d’assurer, pour dire le vrai, une marche vers la présidentialisation du régime.
Après son examen par l’Assemblée nationale, cet article prévoit désormais que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par le règlement des assemblées dans le cadre déterminé par une loi organique ».
Guy Fischer et moi-même avons dénoncé en détail au cours de la discussion générale le renforcement du travail en commission au détriment de la transparence et du pluralisme de la séance publique, la réduction du nombre de jours de séance consacrés chaque mois au travail législatif lui-même et la limitation des conditions d’exercice du droit d’amendement, qui est donc expressément prévue dans l’article 18.
À ce propos, monsieur le rapporteur, je citerai M. Warsmann, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui écrit à la page 324 de son rapport : « Aussi est-il proposé de permettre la distinction du régime des amendements examinés en commission et celui des amendements débattus en séance publique, ces différents régimes pouvant fixer des conditions et des limites à l’exercice du droit d’amendement. »
« Cette réforme permettra à la fois de faciliter le recours à des procédures simplifiées d’adoption des projets et propositions de loi, d’organiser des débats à l’avance et, notamment, de leur fixer une limite dans le temps et, enfin, de fixer des délais de dépôt des amendements compatibles avec leur examen approfondi, en cohérence avec la réforme adoptée à l’article 42 de la Constitution modifié par l’article 16 du présent projet de révision. », c'est-à-dire en cohérence avec ce que M. Warsmann prétend être le pouvoir nouveau donné aux commissions.
Contrairement à vous-même, monsieur le rapporteur – il faudra d’ailleurs me dire pourquoi –, M. Warsmann se réfère directement aux travaux du comité Balladur. Dans le rapport de ce dernier, on peut lire en effet : « la principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets ou propositions de loi […] Une fois écoulé le temps de la discussion » – il serait programmé à l’avance, examen des amendements compris – « celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. »
C’est ce que j’appelle avec mes amis, depuis plusieurs mois, le « 49-3 parlementaire », aux mains non plus du Gouvernement, mais de la conférence des présidents, c'est-à-dire de la majorité présidentielle.
Le comité Balladur est d’ailleurs très franc. Selon son rapport, cette mesure « permettrait surtout de limiter l’obstruction parlementaire. […] Cette programmation concertée de la durée des débats est un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire. Elle suppose que le rôle de la conférence des présidents […] soit consacré dans le texte même de la Constitution. Il a semblé au comité que les règles actuelles de la majorité devaient continuer à prévaloir au sein de cette conférence. »
Ainsi, la restriction du droit d’amendement serait la « révolution » que M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement nous a promise en matière de droits du Parlement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si, vous avez vous-même qualifié ces mesures de « révolutionnaires ». Et il s'agit bien d’une révolution, mais conservatrice et antidémocratique, puisqu’elle consiste à limiter le droit d’amendement des parlementaires.
L’article 18, qui paraît affirmer un droit d’amendement en séance publique ou en commission, ouvre en fait la voie à l’adoption simplifiée des textes et va totalement à l’encontre de la volonté affichée de revalorisation des assemblées. Qui peut croire un instant que la limitation du débat démocratique et du pluralisme renforcera le Parlement ? Personne, mis à part ceux qui veulent brider l’expression des représentants du peuple !
Monsieur le rapporteur, pourrez-vous, dès le début de l’examen de cet article 18, nous donner votre sentiment sur la nouvelle limitation du droit d’amendement préconisée par M. Balladur, proposition relayée par M. Warsmann, ce « 49-3 parlementaire » que vous n’évoquez pas précisément dans votre rapport ?
Les sénateurs du groupe CRC alertent l’ensemble des parlementaires sur la confiscation d’un droit essentiel sur le plan démocratique, à savoir le droit d’amendement. Ils ne renonceront pas à faire éclater la vérité sur ce point, vérité masquée par le slogan que martèlent le Gouvernement et ses soutiens concernant un bien hypothétique renforcement des pouvoirs du Parlement.
Je le constate d’ailleurs au fil des semaines, je ne suis pas la seule à dire que cette pseudo-revalorisation du Parlement revient à limiter notre droit d’amendement. En effet, plusieurs constitutionnalistes, qui se sont sans doute réveillés un peu tard, ont fini par reconnaître qu’il y allait véritablement d’une limitation du droit élémentaire et essentiel de chaque parlementaire.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Je formulerai deux grandes observations concernant l’article 18.
J’évoquerai tout d’abord le caractère byzantin de sa rédaction. L’article introduit une distinction entre les amendements examinés en commission et ceux qui seront débattus en séance publique. Ces différents régimes devront être déterminés et comporter certaines conditions et certaines limites, fixées par le règlement de chaque assemblée, qui devra lui-même s’inscrire dans un cadre défini par une loi organique.
Vous le savez, mes chers collègues, la mécanique de poupées russes – je parlais de dispositions byzantines, mais elles s’avèrent plutôt russes ! –, cache parfois des jeux bien dangereux.
Nous considérons, pour notre part, que ce système d’empilement porte préjudice au droit d’amendement des parlementaires. J’y vois même une attaque radicale contre ce droit.
Cette réforme est présentée comme un simple aménagement des modalités d’exercice du droit d’amendement, afin, nous dit-on, d’améliorer la qualité et la clarté des débats parlementaires. A priori, c’est une approche séduisante, à laquelle nous pourrions souscrire. Toutefois, avec la rédaction de l’article 18 qui nous est proposée, et sans connaître davantage les modalités pratiques qui vont être retenues, nous craignons de signer un chèque en blanc sur l’exercice effectif du droit d’amendement.
En modifiant l’article 44 de la Constitution, le présent projet de loi interdira la défense en séance publique d’amendements ayant déjà été discutés en commission. Nous sommes donc sur le point de constitutionnaliser une nouvelle forme de discussion abrégée, dans le simple but de réduire la longueur des débats en séance plénière.
Dès lors que des débats sur certaines questions ne pourront avoir lieu qu’en commission, la question de la publicité des débats est également posée.
Et quelle sera la place réservée au Gouvernement ? Sa présence en commission ne risque-t-elle pas de placer les membres de la majorité dans une forme de subordination ?
L’adoption de l’article 18 permettrait également de contraindre le droit d’amendement, par le biais du réaménagement du temps de discussion en commission et en séance publique, avec, par exemple, l’attribution d’un temps global de discussion pour chaque groupe.
En résumé, nous craignons que l’on n’inscrive dans le règlement de chaque assemblée des conditions et des limites au droit d’amendement, toutes dispositions que nous contestons évidemment formellement.
Nous sommes bien placés pour être prudents, sinon sceptiques, concernant le règlement de chaque assemblée, celui du Sénat n’offrant guère de garanties à l’heure actuelle !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, sur l'article.
M. Bernard Frimat. L’article 18 du projet de loi constitutionnelle, qui modifie l’article 44 de la Constitution, touche à ce qui constitue l’un des droits élémentaires du parlementaire.
Le droit d’amendement est en effet l’essence même de la fonction d’un parlementaire ; c’est en quelque sorte sa liberté individuelle. À ce titre, il concerne aussi bien les parlementaires qui appartiennent à la majorité que ceux qui appartiennent à l’opposition. Quand Christian Cointat ou Richard Yung défendent des amendements qu’ils présentent à titre individuel, ils disposent d’une liberté complète. Voilà pourquoi il faut être très prudent et ne toucher au droit d’amendement que si l’on bénéficie de nombreuses garanties.
Le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à freiner le Sénat dans ses tentatives de simplification, considérant qu’il était impossible de toucher au droit d’amendement.
Modifier la Constitution vous permet donc de passer outre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier n’étant pas constituant, comme nous nous tuons à vous le répéter !
Monsieur le rapporteur, vous allez sans doute nous répondre sur cette question, et avec le talent que nous vous connaissons. Toutefois, je l’avoue, les rédactions successives auxquelles a donné lieu cet article m’inquiètent.
Vous avez très certainement lu, comme moi, le compte rendu des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale. Cette question a représenté un moment très important de l’examen du projet de loi constitutionnelle. Mes collègues du groupe socialiste ont été conduits à demander, sur cet article, une suspension de séance, et le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer– je parle sous votre contrôle, monsieur le secrétaire d’État –, est revenu lui-même en séance à une heure assez tardive pour expliquer un certain nombre de points, et apporter des garanties.
Pour compléter l’argumentation que vient de développer mon collègue Richard Yung, je souhaite rappeler que le droit d’amendement est aujourd’hui garanti par la Constitution, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’agit d’un point particulièrement délicat. La situation s’est déjà dégradée à l’Assemblée nationale, dans la mesure où nos collègues ont prévu de renvoyer à la loi organique pour la définition du cadre dans lequel s’inscriront des conditions et limites dont nous ne savons rien encore.
La commission des lois du Sénat souhaite faire disparaître le renvoi à la loi organique, laissant à chaque assemblée le soin de gérer pour elle-même dans son règlement le droit d’amendement. Or nous n’estimons pas avoir, dans cette hypothèse, suffisamment de garanties pour pouvoir nous rallier à cette position. À nos yeux, il faut impérativement préserver – nous aurons l’occasion d’éclairer cette question au cours du débat – la possibilité de présenter un amendement en commission et en séance plénière. Pour le moment, nous doutons qu’une telle possibilité soit envisagée. La présentation et le rejet d’un amendement en commission interdiront-ils sa présentation en séance plénière ?
M. Bernard Frimat. Ce sont des questions que nous nous posons, monsieur le secrétaire d’État, puisque, à ce jour, nous n’avons aucune garantie sur quoi que ce soit ! Certes, c’est dans vos habitudes, je vous en donne acte ! Vous connaissez la chanson doucereuse « Aie confiance, crois en moi » ; c’est même devenu votre antienne. Mais nous n’avons pas l’intention de nous laisser endormir, même à cette heure avancée de l’après-midi, et de nous contenter d’un « Vous verrez plus tard » ! Chaque fois que nous soulevons un point délicat, on nous renvoie à plus tard. Hélas, plus tard sera sans doute trop tard ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.)
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’article 18 du projet de loi constitutionnelle. Nous estimons en effet, et c’est essentiel, que le droit d’amendement des parlementaires, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, est mieux garanti par la rédaction actuelle de la Constitution que par celle qui est prévue dans l’article 18 de ce projet de loi.
Mes chers collègues, vous devriez faire preuve d’une très grande prudence dans ce domaine. Que vous le vouliez ou non, cette révision constitutionnelle va aboutir à une restriction du droit d’amendement. Or nous montrons, depuis mardi dernier, qu’il est possible de débattre sans déposer des milliers d’amendements, sans solliciter de suspension de séance, sans pratiquer la moindre obstruction, la moindre flibuste. Cela étant, lorsque c’est nécessaire, nous savons faire, et nous ferons !
M. André Dulait. Des menaces…
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 204 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 473 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour défendre l’amendement n° 204.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 18 se combine parfaitement avec l’article 16, qui prévoit que la discussion en séance publique se fait sur la base du texte de la commission.
Avec le présent article, la clé de la nouvelle gestion du débat réside dans la conférence des présidents.
Si le droit d’amendement s’exerce en séance publique « ou » en commission, cela signifie que, à l’avenir, une fois le débat d’amendement effectué en commission, il ne pourra plus avoir lieu en séance publique. C’est clair ! (M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État contestent) Vous ne me convaincrez pas du contraire !
Or la conférence des présidents est le lieu privilégié du fait majoritaire. C’est particulièrement vrai au Sénat, où la majorité est surreprésentée au sein de la conférence des présidents, quatre membres sur dix-huit étant issus de l’opposition, soit 25 %, ce qui est un taux même inférieur à celui de la représentation des groupes en séance publique où, malgré un mode de scrutin injuste, l’opposition occupe 40 % des sièges.
Force est donc de constater que, avec cette disposition, la conférence des présidents tord le bâton davantage encore au profit de la majorité, au Sénat, de façon caricaturale, mais également à l’Assemblée nationale, de sorte que l’écart opposition-majorité se creuse.
Nul besoin de rechercher des procédures simplifiées puisque la formule existe depuis longtemps, même si son champ d’application est expressément limité. Par exemple, selon le règlement du Sénat, elle s’applique uniquement aux textes d’importance moindre. Et les groupes disposent d’un droit de veto quant à son utilisation.
De surcroît, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a établi, à la suite d’une proposition de modification du règlement par le Sénat en 1990, que tout amendement déposé en commission pourrait être repris en séance plénière.
L’article 18 contredit le Conseil constitutionnel, puisqu’il laisse à la conférence des présidents le soin de décider si le droit d’amendement s’exerce en séance plénière ou en commission, alors même que, de toute façon, c’est le texte de la commission qui est discuté en séance publique.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour défendre l’amendement n° 473.
M. Bernard Frimat. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 207, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Dans le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, après le mot : « ont », sont insérés les mots : « à tout moment du débat ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement s’inscrit dans la logique du précédent et vise à préciser que les parlementaires disposent du droit d’amendement à tout instant du débat.
Cette proposition prend l’article 18 à contre-pied. Toutefois, en l’acceptant, le Gouvernement manifesterait sa bonne volonté et son souhait de ne pas brimer, ou brider, les parlementaires.
Avouez qu’il est assez choquant du point de vue démocratique que le Gouvernement dispose du droit d’amendement à tout instant du débat, y compris au moment de l’examen des articles, alors que les parlementaires sont privés de ce droit.
La pratique montre pourtant que l’évolution d’un débat, l’approfondissement d’une question, l’échange d’opinions, y compris sur des amendements individuels en séance publique, peuvent susciter de nouveaux amendements.
Pourquoi exclure une telle possibilité ? Pourquoi empêcher les parlementaires de préciser leur réflexion au cours de la discussion ?
Nous en revenons toujours à ce débat de principe : faut-il limiter le droit d’amendement ? Est-ce une fin en soi ? À ces questions, nous répondons catégoriquement non, d’autant plus que les principaux arguments qui sont avancés pour justifier la limitation de ce droit, que ce soit par M. Balladur ou par les rapporteurs, se fondent sur le risque d’obstruction.
En d’autres termes, chers collègues, le pouvoir exécutif a peur que le Parlement, constitué donc de parlementaires, doté de droits démocratiques, puisse empêcher l’adoption d’un projet de loi. C’est tout de même extraordinaire !
Rassurez-moi, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous ne rêvez tout de même pas de Constitutions anciennes, comme, par exemple, celle de l’An VIII, ou celle de 1814, aux termes de laquelle, pour être discuté, tout amendement devait avoir été consenti par le roi, ou encore, plus subtile, celle de 1852, qui prévoyait de soumettre les amendements pour accord au Conseil d’État avant leur discussion ?
Si l’on veut vraiment revaloriser les droits du Parlement, au moins faut-il inscrire dans la Constitution que le droit d’amendement des parlementaires est imprescriptible.
M. le président. L'amendement n° 206, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Après le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l'adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Par cet amendement, nous vous proposons d’adopter une proposition du comité présidé par M. Balladur visant à limiter le droit d’amendement du Gouvernement.
Trop souvent, ce dernier utilise, en effet, cette capacité exorbitante du droit démocratique lui permettant de déposer, durant l’examen même d’un projet de loi, ce qui en fait un véritable cavalier législatif.
Cette proposition de M. Balladur est a minima. Elle ne remet pas en cause le droit d’amendement gouvernemental, elle en limite les excès. C’est pourquoi nous vous proposons de l’adopter.
M. le président. L'amendement n° 205, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution est supprimé.
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Cet amendement est important. Il tend à supprimer la procédure dite du vote bloqué, qui permet au Gouvernement de demander à une assemblée qu’elle se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte tout en ne retenant que les amendements qu’il juge intéressants.
Cette procédure est à rapprocher de l’actuel article 49, alinéa 3, de la Constitution. Elle est considérée comme une arme contre ce que les gouvernements appellent l’obstruction, ce que notre groupe, comme notre présidente vient de le rappeler, appelle la résistance parlementaire.
Le troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution montre bien les limites actuelles du droit d’amendement, c'est-à-dire des droits du Parlement, limites auxquelles vous ne vous attaquez surtout pas.
Il paraît important de s’arrêter quelques instants sur le terme même d’obstruction.
Permettez-moi tout d’abord d’indiquer que, pour ce qui concerne notre groupe, nous n’avons jamais déposé un nombre excessif d’amendements, et en l’occurrence pas ces milliers d’amendements qui avaient été annoncés ici ou là !
Les chiffres les plus impressionnants concernaient l’Assemblée nationale. Mais chacun sait qu’il y avait un effet d’annonce, puisque les débats ne duraient pas plus longtemps qu’au Sénat, où dix, vingt, trente fois moins d’amendements étaient déposés.
Le règlement et la pratique de l’Assemblée nationale font que, comme ce fut le cas pour Gaz de France, à l’automne 2006, les amendements y sont rejetés par centaines en une seule fois, provoquant des accélérations surprenantes de la discussion.
Objectivement, le dépôt massif d’amendements est devenu un moyen d’alerte face à une pratique gouvernementale, face à l’inflation législative.
Chacun le dit, mais on l’oublie généralement au moment de la séance publique, les conditions du débat démocratique ne sont pas réunies aujourd'hui au Parlement et elles ne le seront pas demain.
Le Gouvernement jure ses grands dieux que tout ira mieux demain, que les droits du Parlement seront parfaitement respectés.
Est-ce pour nous convaincre de cette volonté qu’il viole ces mêmes droits de manière éhontée, en inscrivant à l’ordre du jour des semaines à venir, au titre d’une session extraordinaire de surcroît, des textes aussi fondamentaux que la mise à mort des 35 heures, la restriction du droit de grève à l’école, la chasse aux chômeurs, les cadeaux à la grande distribution et, bien entendu, la présente révision constitutionnelle ?
Il suffit de voir, monsieur le secrétaire d’État, la liste des textes inscrits à l’ordre du jour de notre session extraordinaire pour s’en rendre compte.
Comment exiger de l’opposition un comportement « raisonnable », alors que le pouvoir exécutif avance à marche forcée, impose des réformes dont les Françaises et les Français ne veulent pas ?
Oui, il existe un droit d’opposition, un droit de résistance parlementaire, un droit et un devoir d’insurrection parlementaire.
Quand la ligne jaune est franchie, – avec, notamment, le contrat première embauche, ou CPE, la réforme des retraites, la privatisation des biens publics, la casse du droit du travail – il est normal que les représentants du peuple puissent dire « trop c’est trop, cela suffit ! ».
Le phénomène d’inflation législative conforte cette réaction. Cette volonté de déborder le Parlement pour lui faire accepter dans la confusion et la précipitation des textes fondamentaux légitime des réactions fortes des élus.
Le troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution est l’une des armes qui permet au Gouvernement de s’opposer à cette expression démocratique du Parlement. Nous vous proposons donc de supprimer cet alinéa.
M. le président. L'amendement n° 49 rectifié, présenté par MM. Cointat et Duvernois et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa de cet article :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission. La discussion des amendements peut être organisée conformément au règlement de chaque Assemblée. »
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Cet amendement rejoint l’amendement n° 118 de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas tout à fait !
M. Christian Cointat. … et je le retirerai au bénéfice de ce dernier, car il me semble que le règlement d’une assemblée est d’une puissance normative suffisante pour contenir toutes les prescriptions utiles en matière d’amendement.
C’est à chaque assemblée qu’il revient de décider quelle procédure elle estime devoir suivre.
Voilà pourquoi cet amendement est nécessaire, me semble-t-il, pour redonner toute leur force aux règlements respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale.
M. le président. L'amendement n° 118, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa de cet article :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission. Le règlement de chaque assemblée fixe les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'amendement de ses membres. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La disposition proposée pour l’article 44 devrait permettre qu’une part plus importante du travail législatif soit effectuée en commission.
Aux termes de cet article, il appartiendrait aux règlements des assemblées de déterminer les conditions et les limites de l’exercice du droit d’amendement en séance publique et en commission « dans le cadre déterminée par une loi organique ».
Votre commission estime, tout d’abord, que la référence aux « conditions » englobe la notion de « limites ». Chacun en conviendra, une limite constitue une condition. D’ailleurs, l’expression « conditions et limites » rappelle une formule du vieux droit. En l’occurrence, il n’est donc pas nécessaire de faire figurer le terme « limites » dans la Constitution.
Ensuite, votre commission s’est interrogée sur le renvoi à la loi organique pour déterminer le « cadre » dans lequel s’inscriraient les règlements des assemblées.
Dans deux autres articles de la Constitution, les articles 12 et 24, la compétence donnée aux assemblées pour définir les règles qui les concernent n’est pas encadrée.
La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l’autonomie des assemblées pour fixer les modalités d’exercice du droit d’amendement.
Aussi, nous proposons de supprimer cette référence.
La rédaction proposée par notre amendement permet de marquer clairement que les dispositions adoptées par les assemblées ne concerneront pas l’exercice, par le Gouvernement, de son droit d’amendement. C’est ce qui différencie notre amendement de l’amendement n° 49 rectifié, mais les auteurs de ce dernier partageaient notre point de vue, me semble-t-il.
Pour répondre à M. Frimat, je rappelle que les efforts que nous avons faits pour développer des formules de débats simplifiés sont jusqu’à présent restés infructueux. Peut-être certains s’en réjouissent-ils, mais ils ont tort, car nos débats, par leur longueur, deviennent souvent ésotériques et incompréhensibles. J’ai cité tout à l'heure l’exemple des textes de ratification d’ordonnance ou de codification, qui font l’objet d’une multitude d’amendements techniques que l’on doit défendre très rapidement – sans cesse on se lève, on se rassoit –, si bien que cela confine à l’absurde !
Saisi en 1990 de dispositions tendant à modifier le règlement du Sénat, notamment de l’interdiction faite à tout membre de l’assemblée saisie d’un texte de reprendre en séance plénière un amendement relatif à ce texte au motif que cet amendement aurait été écarté par la commission saisie au fond, le Conseil constitutionnel s’était montré extrêmement strict et avait censuré le dispositif.
La révision pourrait permettre de lever cette difficulté et de procéder comme nous le faisons déjà pour les textes concernant les conventions internationales. L’examen en procédure simplifiée implique, à l’évidence, l’exclusion des textes dont l’importance justifie l’examen complet en séance publique et un souci particulier du respect des droits de l’opposition. En tout état de cause, il appartiendrait au règlement de chaque assemblée de fixer ces dispositifs, comme le prévoient d’ailleurs les amendements de la commission.
Cet amendement va véritablement dans le sens d’une meilleure organisation de nos débats.
Nous sommes souvent saisis de textes très techniques qui exigent de la commission le dépôt de nombreux amendements non moins techniques, sans susciter pour autant un véritable débat en séance publique. Je prendrai l’exemple récent du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire. Il suffirait dans ces cas d’organiser une bonne discussion générale. Si c’est le texte de la commission qui est discuté en séance publique, cela facilitera d’autant plus les choses.
Nous avons intérêt à mener une réflexion commune pour améliorer la lisibilité de nos travaux en séance publique. Tel est le sens du texte voté par l’Assemblée nationale, que nous proposons d’alléger en supprimant la référence à la loi organique, à nos yeux inutile. C’est aussi dans cet esprit que nous recherchons des formules susceptibles de recueillir l’accord de tous pour être applicables à un certain nombre de textes.
Il ne s’agit pas de déposer des amendements pour le plaisir. L’objectif fixé est de réserver la séance publique à de vrais débats, où l’on ne perde pas un temps infini sur des textes techniques, qui ne sont d’ailleurs pas si nombreux. Cette formule rendrait certainement tout son intérêt à une séance publique que l’organisation actuelle de nos travaux ne sert pas.
Le droit d’amendement ne serait absolument pas atteint, puisque les débats de la commission seraient plus ouverts au public, l’objet des amendements déposés serait clairement explicité et chacun saurait comment ils ont été défendus et pourquoi ils ont été rejetés par la commission.
D’ailleurs, ce système existe à l’étranger.
Ainsi, au Parlement italien, le système des leggine, ou petites lois, permet aux commissions de voter la loi sans aucune ratification en séance plénière. Nous n’en sommes pas là, mais une telle mesure contribuerait à la modernisation du Parlement.