Article 14
L’article 39 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans la dernière phrase du dernier alinéa, les mots : « et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France » sont supprimés ;
2° Il est ajouté trois alinéas ainsi rédigés :
« Les projets de loi sont élaborés dans des conditions fixées par une loi organique.
« Ils ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour tant que les Conférences des Présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues.
« Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 199 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 280 rectifié est présenté par MM. Mercier, Amoudry, Badré et Biwer, Mmes Dini, Férat et Payet, MM. Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, C. Gaudin, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste - UDF.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant le 1° de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Dans la première phrase du dernier alinéa, après le mot : « avis » est inséré le mot : « public » ;
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 199.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 39 de la Constitution prévoit que le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement. Cette compétence du Conseil d’État concerne l’ensemble des textes normatifs de valeur législative et constitutionnelle.
Les séances des sections administratives et de l’assemblée générale du Conseil d’État ne sont pas ouvertes au public. Si un certain nombre d’avis sont publiés au rapport annuel du Conseil d’État, les avis sont destinés au seul Gouvernement et ne sont rendus publics que si le Gouvernement en décide ainsi.
Par cet amendement, nous demandons la publicité de ces avis. D’une part, nous considérons que, si ces avis ne sont pas publics, ils ne sont pas secrets pour tout le monde. L’accessibilité à géométrie variable à de tels documents pose déjà un problème. D’autre part, en raison de l’expertise juridique qu’ils délivrent, ces documents sont précieux pour l’information et la formation du jugement des parlementaires. Enfin, cela éviterait la suspicion et les situations délicates dans lesquelles, après que le ministre s’y est engagé en commission et dans le respect total de la Constitution qui ne le lui interdit en rien, l’avis n’est jamais transmis.
Je rappelle pour ceux qui n’y ont pas assisté que, lors des débats au Sénat sur le projet de loi relatif à la réforme portuaire, notre groupe a fait un rappel au règlement afin d’attirer l’attention du ministre sur la non-transmission de l’avis du Conseil d’État sur ce projet, alors même que ledit ministre s’y était engagé publiquement devant la commission des affaires économiques.
Le ministre nous a répondu qu’il n’était pas de tradition de transmettre les avis du Conseil d’État et qu’en outre il s’agissait, en l’occurrence, non pas d’un avis à proprement parler, mais de quelques modifications rédactionnelles, donc rien qui puisse retenir l’attention du Parlement. C’est savoureux !
Le ministre s’est alors à nouveau engagé à nous faire parvenir le document qui était, selon nous, fondamental, au regard de l’atteinte au domaine public portée par le projet de loi.
Plusieurs jours après la fin des débats, nous avons reçu, de la part des services du ministère, un document de quelques lignes, ni signé ni daté, livrant une analyse postérieure au débat et qui, par conséquent, ne pouvait être confondu avec les remarques, toujours antérieures, du Conseil d’État.
Cette attitude est d’autant plus déplaisante que l’on ne saurait imaginer un seul instant que le Conseil d’État se contente de quelques lignes sur un sujet aussi important, alors que les projets de loi qui lui sont adressés sont instruits par un rapporteur et donnent lieu à un projet amendé ou à une note de rejet, elle-même discutée et votée. Si ce n’était pas le cas, on pourrait s’interroger fortement sur la qualité et la raison d’être de sa fonction consultative !
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous vous demandons d’adopter notre amendement, qui permettra enfin d’éviter que les ministres ne se déjugent et de rendre les avis publics pour tous.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l’amendement n° 280 rectifié.
Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement vise à rendre public les avis du Conseil d’État lorsque celui-ci est saisi d’un projet de loi.
L’obligation de consulter le Conseil d’État revêt une importance toute particulière dans la mesure où plus de 80 % des lois sont d’initiative gouvernementale. Si l’avis est obligatoire, celui-ci est traditionnellement secret, la publicité étant réservée au Gouvernement et au Conseil constitutionnel lorsque ce dernier est saisi d’un recours.
Cette règle du secret n’est mentionnée dans aucun texte, ni dans la Constitution, ni dans l’ordonnance de juillet 1945, ni dans le décret du 30 juillet 1963. Le secret relève davantage de la tradition et peut trouver un fondement juridique dans l’obligation de discrétion et de secret professionnel faite aux fonctionnaires.
Si le secret peut se justifier par le fait que le Gouvernement est le destinataire de cet avis, il n’en est pas de même pour le maintien de cette obligation s’agissant des parlementaires. Cela se justifie d’autant moins que le Gouvernement se prévaut fréquemment des avis du Conseil d’État au cours des débats devant le Parlement, sans en donner la teneur ou en ne la faisant connaître que partiellement.
Enfin, et c’est certainement le plus regrettable, le contenu de l’avis est très souvent reproduit dans la presse.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que cet avis soit rendu public.
M. le président. L’amendement n° 466, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après la première phrase du deuxième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Les avis du conseil d'État sur les projets de loi sont rendus publics après leur adoption en conseil des ministres. »
La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Cet amendement tend à rendre publics les avis du Conseil d’État, après leur adoption en conseil des ministres.
Chacun a bien compris qu’il ne s’agit ni de remettre en cause la fonction de conseiller du Gouvernement qui est dévolue au Conseil d’État ni de porter atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, puisque celui-ci est libre de s’écarter de l’avis du Conseil d’État. C’est pour cette raison qu’il est précisé dans cet amendement que les avis du Conseil d’État sont rendus publics uniquement à l’issue de leur adoption par le conseil des ministres.
Il s’agit en fait, avec cet amendement, d’améliorer le travail des parlementaires en leur procurant une meilleure information et en leur permettant de débattre des projets de loi en toute connaissance de cause. En effet, cela peut leur permettre de mieux connaître les intentions et les objectifs du Gouvernement.
Que le Gouvernement soit informé, c’est tout à fait normal. Mais que le Parlement ne le soit pas, alors que nous essayons d’engager l’un et l’autre le dialogue, c’est plus difficilement acceptable.
Enfin, disons-le franchement, ces avis font souvent, voire systématiquement, l’objet de fuites, totales ou partielles. Si cet amendement est adopté, il sera mis fin au caractère aléatoire de la confidentialité de ceux-ci.
Rappelons d’ailleurs que le comité Balladur « a estimé utile à la qualité du travail législatif que les avis émis par le Conseil d’État sur les projets de loi dont il est saisi, en application de l’article 39 de la Constitution, soient rendus publics ».
Ainsi serait mis un terme aux rumeurs qui entourent cet avis dont la publication n’est autorisée, au cas par cas, par le Gouvernement qu’à la fin de chaque année. D’ailleurs, dans nos propres débats, rappelons-le, les rapporteurs font souvent référence à ces avis, mais sans les communiquer aux membres de la commission.
En un mot comme en cent, nous vous proposons tout simplement de faire en sorte que les rumeurs cessent et que nous disposions d’informations exactes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous allons mettre beaucoup de choses dans la Constitution !
Le débat sur la publicité des avis du Conseil d’État sur les projets de loi revient de façon récurrente. Nous aborderons ultérieurement la question des propositions de loi.
Généralement, nos collègues de l’opposition ont connaissance des avis du Conseil d’État avant nous. (M. Michel Charasse s’exclame.) C’est sans doute la marque d’une respiration de la démocratie…
Pour ma part, j’estime que cette disposition ne doit pas figurer dans la Constitution.
Je rappelle que le Conseil d’État est le conseil du Gouvernement. (M. Yannick Bodin s’exclame.) Laissez-moi terminer, monsieur Bodin ! Décidément, les Seine-et-Marnais, cet après-midi ... ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Je n’ai rien dit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous m’avez interpellé tout à l’heure !
Le Conseil d’État donne un avis au Gouvernement sur les projets de loi. Cette procédure est utile lorsque le Conseil d’État n’est pas entièrement d’accord, mais elle provoque des polémiques. Or si ces avis sont rendus publics, les polémiques seront encore plus importantes.
Le conseil, c’est une chose, la décision politique, c’est le Gouvernement qui la prend !
Je ne suis pas certain qu’il faille systématiquement publier les avis du Conseil d’État. Mais, en tout état de cause, cette disposition ne doit pas figurer dans la Constitution.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage tout à fait la préoccupation d’améliorer la qualité de la législation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article du projet de loi constitutionnelle introduit l’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi.
En revanche, le Gouvernement ne partage pas votre position s’agissant de la publicité de l’avis du Conseil d’État, d’abord parce que cet avis appartient à celui qui le demande, ce dernier pouvant tout à fait en faire la publicité s’il le souhaite. Mais si l’avis est d’emblée public, avant même que le destinataire en ait connaissance, cela risque de brider le Conseil d’État lorsqu’il doit rendre des avis plus circonstanciés. Il faut donc laisser le destinataire en faire la publicité s’il le souhaite.
Je prendrai l’exemple des textes émanant du ministère de la justice, qu’ils portent sur les peines plancher ou sur la rétention de sûreté : les avis ont été rendus publics et une grande transparence a été de mise.
Il est, en particulier, préférable de ne pas obliger le Gouvernement à rendre publics ces avis.
Peut-être considérerez-vous, monsieur Frimat, que je ferme la porte une fois de plus, mais la proposition du groupe socialiste de rendre publics les avis du Conseil d’État sur les projets de loi après leur adoption en conseil des ministres suscite elle aussi des réserves.
Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 199 et 280 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Je suis au regret de ne pas être de l’avis de mes amis du groupe de l’UC-UDF auteurs de l’amendement n° 280 rectifié.
Je partage, en revanche, celui de M. le rapporteur : il serait inutile, superflu et éventuellement dangereux de « sacraliser » les avis du Conseil d’État en les rendant publics, car cela en ferait inévitablement l’une des étapes du processus législatif. Celui-ci, qui est déjà assez compliqué comme cela, s’en trouverait brouillé, car une telle publication ne manquerait pas de donner lieu à une polémique. Ce qui se passe en amont de l’examen du projet du Gouvernement ne regarde que ce dernier. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Certes, des fuites se produisent, comme pour toutes les choses confidentielles, mais ce n’est pas une raison pour légaliser les fuites ! L’avis du Conseil d’État reste un avis privé donné au Gouvernement, qui en fait ce qu’il juge devoir en faire en son âme et conscience. N’en faisons pas un élément de la procédure législative et, par voie de conséquence, un objet de polémique.
C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Comme vient de le dire M. Pierre Fauchon, l’avis du Conseil d’État est, depuis l’avènement de la IIIe République, c’est-à-dire depuis bientôt 150 ans, réservé au Gouvernement.
Si d’ailleurs nous adoptons, dans un moment, la disposition tendant à ouvrir la possibilité de consultation du Conseil d’État pour les propositions de loi, cet avis sera réservé au Parlement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. Si le Parlement veut le rendre public, il le rendra public.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !
M. Michel Charasse. De même, aujourd'hui, si le Gouvernement veut le rendre public, il le rend public.
Il faut quand même savoir, parce que l’on fantasme beaucoup sur ces avis, que, la plupart du temps, ils sont surtout juridiques, mais parfois teintés d’opportunité.
Madame Borvo Cohen-Seat, sur des textes très importants, j’ai vu passer, pendant quatorze ans, à l’Élysée, dans le dossier du Président de la République, des avis du Conseil d’État qui étaient quelquefois de trois lignes, de deux paragraphes ou d’un seul, bien qu’il se soit agi de sujets majeurs.
La plupart du temps, il n’y a pas de note,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exact !
M. Michel Charasse. … il y a le texte plus ou moins rerédigé par le Conseil d’État.
Quelquefois, cependant, il s’agit effectivement d’un avis d’opportunité. La plupart du temps, il est d’une portée superficielle, par exemple une simple recommandation de bon sens : « Faites attention ! Vous avez adopté, voilà deux ans, un texte comportant des dispositions contraires à celles-ci ! »
Dans quelques cas, cet avis est très désagréable pour le Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
M. Michel Charasse. La fonction consultative du Conseil d’État n’étant pas une fonction juridictionnelle, le Gouvernement n’est donc pas tenu de suivre les avis rendus.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. Si ses avis sont rendus publics, à la suite de deux ou trois polémiques qui feront scandale, ou bien le Conseil d’État choisira de ne plus rien dire et de ne plus rien écrire, et ne s’exprimera plus sauf verbalement et en privé, ou bien le législateur – comme, en l’occurrence, cela relève du domaine réglementaire, ce sont les dispositions réglementaires qui régissent le Conseil d’État qui s’appliqueront – interviendra pour rappeler au Conseil d’État que ce dernier doit désormais émettre non plus des avis d’opportunité, mais des avis purement juridiques sur les articles.
J’estime que ce serait une mauvaise solution, même si je comprends parfaitement la démarche de celles et de ceux qui demandent à consulter ces avis. Mais la procédure est ainsi faite. Si nous avons une procédure d’avis sur les propositions du Parlement,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On va voir !
M. Michel Charasse. … dans ce cas, les assemblées pourraient décider de les rendre publics comme un élément des travaux préparatoires de la loi.
En revanche, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, nous pourrions peut-être réfléchir à une solution qui conduirait le Gouvernement à donner au moins le sens général de ces avis, sans entrer dans les détails : nous saurions ainsi s’ils sont favorables ou non, ce qui lèverait une grande partie du mystère.
Tout cela est délicat, et, non plus que M. Pierre Fauchon, je ne peux voter ces amendements : il faut tout de même laisser au Gouvernement le droit de s’entourer des avis et des conseils qu’il veut,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. … faute de quoi, mes chers collègues, il vous faudra bientôt révéler les avis de vos assistants parlementaires. Je ne suis pas sûr que cela vous arrange ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Nous regrettons bien entendu que ni le Gouvernement ni la commission ne soient favorables à l’amendement n° 466, mais il ne s’agit que d’un regret, nous ne sommes pas pour autant désespérés…
M. Yannick Bodin. … puisque, fort heureusement, dans la pratique, ces avis sont, pour l’essentiel, publiés dans la presse ! Nous eussions préféré que leur publication fût prévue dans la Constitution, mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous nous contenterons de la presse quotidienne.
M. Jacques Valade. Quelle mentalité !
M. Yannick Bodin. Quant à savoir s’il s’agit ou non d’une nouvelle ouverture, madame la garde des sceaux, j’ai le sentiment que la porte est fermée depuis déjà pas mal de jours et qu’il n’y a rien de changé cet après-midi !
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. La question de la publicité des avis du Conseil d’État ne me paraît pas représentative du clivage entre majorité et opposition. C'est la raison pour laquelle, personnellement, je voterai ces amendements.
En effet, lorsque j’ai été élu parlementaire, je pensais naïvement que les avis du Conseil d’État étaient réservés au Gouvernement et que ce dernier les diffusait s’il le souhaitait.
M. Michel Charasse. Oui !
M. Jean-René Lecerf. Cependant, j’ai pu m’en apercevoir, ce n’est pas du tout ainsi que cela se passe : c’est par des personnes autres que les membres du Gouvernement que j’étais informé desdits avis, y compris lorsque j’étais rapporteur.
Mme Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Jean-René Lecerf. J’apprenais leur teneur, par exemple, de la bouche de collègues autrefois conseillers d’État ou ministres. Je remercie d’ailleurs très vivement l’un de mes collègues de l’opposition ici présent, que j’apprécie beaucoup, de m’avoir fait connaître parfois, quand j’étais rapporteur, les avis du Conseil d’État.
Aujourd’hui, connaissant mieux les milieux de la presse parisienne, il m’arrive d’être informé de ces avis par les responsables de la rubrique judiciaire des grands journaux parisiens.
Ces procédés ne me semblant pas particulièrement convenables, il serait selon moi beaucoup plus sage de rendre les avis publics.
Mme Nicole Bricq. Voilà !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Lecerf a tout dit. J’ajouterai cependant que, puisque c’est le Parlement qui vote la loi, qu’il soit informé des avis du Conseil d’État sur un projet du Gouvernement me paraîtrait tout à fait logique !
Il n’y a pas, d’un côté, le Gouvernement qui préparerait des lois en suivant sa propre voie, et, de l’autre, le Parlement qui en élaborerait d’autres. Non ! C’est le Parlement qui vote la loi, que le texte soit d’origine gouvernementale ou parlementaire.
Il est donc tout à fait normal que le Parlement, avant de voter, sache quel est l’avis du Conseil d’État sur un projet du Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parfois, il vaut mieux ne pas le savoir !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Je retire l’amendement n° 280 rectifié, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 280 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 199.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 45 rectifié bis, présenté par M. Cointat, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. Ferrand, est ainsi libellé :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Par voie d’amendement, l’Assemblée nationale a supprimé, à l’article 39 de la Constitution, toute référence aux Français de l’étranger. Cet amendement trouve son origine à gauche, celle-ci voulant enlever toute priorité au Sénat dans l’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales ou aux Français établis hors de France. Finalement, seuls ces derniers ont fait les frais de l’opération.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce qu’ils auront des députés !
M. Christian Cointat. Je constate d’ailleurs que nos collègues socialistes vont tenter de poursuivre l’opération s’agissant des textes relatifs aux collectivités territoriales, au travers de l’amendement qui suit.
En réalité, cette question de priorité est sans doute pour le moins curieuse, car il me paraît tout de même naturel que l’assemblée la plus compétente, s’agissant d’un domaine qui relève de sa spécialité, puisse se prononcer en premier afin d’éclairer les députés, qui sont appelés à trancher en dernier ressort. Cela me semble tellement évident que je suis étonné de ces manifestations de susceptibilité !
Le vrai problème n’est pas là : il tient à la politique définie lors de l’élaboration de la Constitution de la Ve République.
En effet, ses rédacteurs ont alors choisi de prendre en compte les Français de l’étranger en décidant qu’ils seraient représentés, comme tous les citoyens, à l’Assemblée nationale, cette dernière représentant tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Le Sénat représente, lui, les collectivités de citoyens, autrement dit les collectivités territoriales.
Il se trouve que, à cette époque, il a été décidé de permettre aux Français de l’étranger de s’inscrire sur les listes électorales en France dans une commune de rattachement et de participer à l’élection des députés par ce biais.
C’est pourquoi les Français de l’étranger ont aujourd'hui des députés ! Il ne faut pas croire qu’ils sont privés de représentation nationale : ils sont représentés par des députés élus dans les départements de la République française.
Par ailleurs, si les Français de l’étranger sont représentés à l’Assemblée nationale en tant que citoyens, force est de constater qu’ils ont une spécificité tout à fait particulière, et, aux termes de l’article 24 de la Constitution, il a été reconnu qu’ils formaient non pas une collectivité territoriale, mais une collectivité de fait, et qu’à ce titre ils devaient être représentés au Sénat.
Le fait qu’ils soient représentés par des députés spécifiques ne change rien : les Français établis hors de France constitueront toujours demain une collectivité de fait, qui va d’ailleurs être renforcée par la création de députés et qui devra naturellement se transformer en une collectivité de droit.
Il ne manquait aux Français de l’étranger que la création de sièges de député pour que les attributs d’une collectivité de plein exercice – une collectivité extraterritoriale, bien entendu – soient réunis. Aucun citoyen français ne peut être privé de l’appartenance à une collectivité publique de la République.
Pour l’instant, les Français établis hors de France relèvent des communes, mais, dès lors qu’ils voteront pour élire des députés spécifiques, comment justifier qu’ils puissent continuer très longtemps à participer à la désignation des conseillers généraux, des conseillers régionaux, des conseillers municipaux ?
Par conséquent, c’est un problème de fond qui se pose. L’Assemblée nationale l’a parfaitement compris, puisqu’elle reconnaît que si, de par la Constitution, Saint-Martin et Saint-Barthélemy doivent avoir des sénateurs spécifiques en tant que collectivités, elles n’ont pas forcément à avoir de députés spécifiques, et que la situation actuelle, avec une circonscription englobant une partie de la Guadeloupe, pourrait être maintenue.
Telle est en tout cas la position qu’ont adoptée un certain nombre de députés.
Dans ces conditions, il est évident que traiter de manière différenciée, à l’article 39 de la Constitution, les Français établis hors de France remet en cause l’émergence, que j’appelle de mes vœux et qui doit être organisée autour de l’Assemblée des Français de l’étranger élue au suffrage universel, de la collectivité formée par cette catégorie de nos compatriotes, une collectivité d’outre-frontières, certes extraterritoriale, mais néanmoins publique.
Cette remise en cause est très indirecte. Je reconnais que plus aucune spécificité n’est indiquée à l’article 24 de la Constitution pour le Sénat, mais, pour autant, cette spécificité, comme je viens de le démontrer, existera toujours demain.
Il est donc quelque peu regrettable, mes chers collègues, que, pour des raisons de susceptibilité aucunement fondées, puisque ce sont les députés qui ont le dernier mot et qui doivent être éclairés en connaissance de cause avant de prendre leur décision finale, la collectivité des Français établis hors de France se voit appliquer un traitement différent de celui qui est réservé aux collectivités territoriales.
Plus grave encore, alors que nous avons, en 2003, modifié la Constitution de façon à préciser que la France est organisée de manière décentralisée, les Français établis hors de France, qui sont au nombre d’environ 2,3 millions, sont les seuls à ne pas être encore organisés ainsi dans leur vie quotidienne, c’est-à-dire pour ce qui n’a rien à voir avec les pouvoirs régaliens de l’État.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Christian Cointat. Il est donc utile de bien montrer que cette collectivité existe.
Voilà pourquoi j’ai déposé cet amendement. Je souhaitais, mes chers collègues, vous expliquer la situation, attirer votre attention sur cette évolution, qu’il faut arriver à maîtriser, sans altérer l’esprit ayant présidé à la rédaction de la Constitution de la Ve République. Je vous invite à maintenir la rédaction actuelle de l’article 39 de la Constitution, car il serait dommage de revenir aujourd’hui sur des dispositions que nous avons tous votées en 2003.
M. le président. L'amendement n° 463, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le 1° de cet article : 1° La seconde phrase du second alinéa est supprimée.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. À titre personnel, je fais miens dans une très large mesure, ce qui n’est pas le cas de tous les membres de mon groupe, les propos que vient de tenir M. Cointat. Cela tient sans doute à notre spécificité de représentants des Français de l’étranger.
Cela étant, si notre assemblée devait continuer dans la même voie que l’Assemblée nationale, nous irions pour notre part plus loin en demandant le parallélisme des formes, c’est-à-dire la suppression de l’examen prioritaire par le Sénat non seulement des textes relatifs aux Français établis hors de France, mais également des textes relatifs aux collectivités territoriales.
En effet, cette priorité législative, similaire à celle dont bénéficie l’Assemblée nationale pour les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, déséquilibre d’une part l’institution parlementaire, puisqu’elle instaure sur ce point la primauté du Sénat sur l’Assemblée nationale, et obscurcit d’autre part les règles de la procédure.
Par ailleurs, bien qu’elle s’inspire des règles applicables à l’examen des projets de loi de finances, la priorité sénatoriale ne bénéficie pas d’une légitimité comparable à celle de l’Assemblée nationale s’agissant de la procédure d’élaboration du budget.
Enfin, la définition des textes pour l’examen desquels le Sénat dispose d’un droit de priorité est insuffisante. À l’image de la notion imprécise de projet de loi de finances sous la IIIe et la IVe Républiques, la caractérisation des projets de loi dont « le principal objet est l’organisation des collectivités territoriales » est incertaine. Je pourrais en donner plusieurs exemples.
Pour toutes ces raisons, nous invitons le Sénat à voter notre amendement.