M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 440.
M. Michel Charasse. Je suis plutôt favorable à ces différents amendements, mais il serait bon qu’ils mentionnent que les parlementaires ayant demandé la constitution d’une commission d’enquête doivent aussi prendre part aux séances publiques. Il ne s’agit pas seulement de se faire plaisir dans la presse…
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 440.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10
L'article 25 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « ou leur remplacement temporaire en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d'organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou des sénateurs ou répartissant les sièges entre elles. »
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron, sur l'article.
M. Adrien Gouteyron. J’avais déposé un amendement à cet article, que j’ai décidé de retirer pour des raisons diverses, sur lesquelles je ne veux pas m’étendre. Je tiens toutefois à exprimer mes craintes, que tout le monde, je crois, comprendra.
Cet article comporte une disposition permettant aux membres du Gouvernement qui étaient parlementaires avant leur entrée en fonctions de retrouver leur siège lorsqu’ils les quittent. Je tiens à dire que je ne suis pas d’accord avec cette disposition.
Je sais comment les choses se sont passées sous la IVe République. Lorsque survenait une difficulté ou lorsqu’une mesure quelque peu impopulaire était sur le point d’être prise, des ministres, choisissant la facilité, regagnaient leur siège de parlementaire. Le cordon entre le Parlement et l’exécutif n’était pas nettement coupé !
M. Michel Charasse. Il ne l’était pas du tout !
M. Adrien Gouteyron. En effet !
L’institution des suppléants a profondément modifié les choses, et c’est un acquis de la Ve République. Je ne voudrais pas que la disposition que sans doute nous adopterons porte atteinte à cet acquis.
Or je crains précisément qu’il n’en aille ainsi, la nature humaine et les raisons politiques étant ce qu’elles sont, le calcul des intérêts particuliers n’étant pas forcément plus absent des esprits aujourd’hui qu’hier ! C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à cette disposition de l’article 10.
La IVe République, nous en sommes sortis, Dieu merci !
M. Michel Charasse. Mais on y retourne ! (Sourires.)
M. Adrien Gouteyron. Je ne voudrais pas que nous y retournions ! C’est l’une de mes craintes, beaucoup l’ont compris.
Je ne dis pas que la Constitution de la Ve République se trouvera bouleversée par les dispositions que nous avons adoptées ou que nous allons adopter, mais je ne voudrais pas que des modifications apportées par petites touches ne nous ramènent à des travers qui avaient profondément déconsidéré le monde politique et perverti la vie publique de notre pays.
Certes, la IVe République a pâti d’autres défauts que d’un lien trop étroit entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça, c’est sûr !
M. Adrien Gouteyron. Cela étant, il y avait les institutions et l’esprit même de ces institutions. À cet égard, j’ai entendu M. de Rohan citer le général de Gaulle, qui disait que le mot de gouvernement n’entrait ni dans la lettre, ni dans l’esprit de la IVe République.
Je tenais à m’exprimer sur ce point, mais je pourrais avancer des arguments d’un autre ordre.
Monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, je me demande comment les choses se passeront pour les suppléants qui, devenus députés ou sénateurs…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les « remplaçants éventuels » !
M. Adrien Gouteyron. … parce que le titulaire du siège est entré au Gouvernement, seront obligés d’abandonner un mandat local pour des raisons de cumul. Si leur prédécesseur au Parlement quitte le Gouvernement et reprend son siège, que se passera-t-il ? Ils ne retrouveront pas, eux, leurs fonctions de conseiller régional, de conseiller général ou de maire.
M. Michel Charasse. À l’Assemblée nationale, ils ont des indemnités de chômage !
M. Adrien Gouteyron. Je sais bien que le problème serait réglé par l’interdiction du cumul, mais je ne vais pas rouvrir ce débat !
Il me semble, en conclusion, que l’on modifie profondément le rôle du suppléant. Il sera, à l’égard du titulaire du siège – car il s’agit bien, dans ces conditions, du titulaire du siège –, une espèce d’intérimaire. Le lien entre le titulaire et le suppléant ne pourra plus être le même.
Je suis gêné par cette disposition, et c’est pourquoi j’avais déposé un amendement tendant à la supprimer. Ayant compris, au fil du débat, qu’il risquait de ne pas connaître un sort favorable, j’ai préféré le retirer et prendre la parole sur l’article 10. (M. Philippe Dominati applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 361, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Avant le deuxième alinéa (1°) de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Le premier alinéa est complété par les mots : «, ainsi que les droits spécifiques d'exercice, par les députés et les sénateurs, de certaines activités professionnelles à l'issue de leur mandat ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je constate que le statut du parlementaire est au centre de nos préoccupations.
Par cet amendement, je propose d’intégrer dans le champ de la loi organique qui régit notre statut la délicate question de la reconversion des parlementaires.
M. Josselin de Rohan. En l’inscrivant dans la Constitution ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous pouvons en tout cas en parler et la prévoir, même si c’est la loi organique qui l’organisera.
Les fonctionnaires devenus parlementaires n’ont pas, de ce point de vue, de problème particulier, en raison de la possibilité qui leur est offerte de se mettre en disponibilité.
Mme Nicole Bricq. En détachement !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Quoi qu’il en soit, ils retrouvent leurs fonctions au terme de leur mandat.
En revanche, pour de nombreux parlementaires, la fin du mandat peut signifier une « chute libre » dans le monde du travail, à laquelle ils ne sont pas tous préparés, parfois en raison de leur âge.
Cet amendement tend à ouvrir la possibilité de mettre en œuvre une véritable reconversion du parlementaire, en assurant, par exemple, soit des équivalences, soit la possibilité d’intégrer un corps de métier ou une autre activité professionnelle avec plus de facilité. Il s’agit donc d’améliorer le sort réservé aux parlementaires à l’issue de leur mandat.
Lorsque j’évoquais tout à l’heure la question du cumul des mandats, notamment dans le temps, certains collègues m’ont interrogée sur la reconversion. La mise en place d’un statut la prévoyant réglerait la question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une proposition intéressante.
M. Bernard Frimat. Ça va mal finir ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’Assemblée nationale et le Sénat ont prévu un certain nombre de dispositions à cet égard. C’est un sujet tout à fait important, mais il ne relève vraiment pas de la Constitution.
Il est vrai, cela étant, que nous avons tous connu des collègues ayant dû abandonner leur profession pour exercer leur mandat. Que sont-ils devenus au terme de celui-ci ? Ce problème peut, à mon sens, être réglé au sein des assemblées, sans que la Constitution en fasse état.
Par conséquent, je demande à Mme Boumediene-Thiery de retirer son amendement.
M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 361 est-il maintenu ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous souhaitons que le principe soit inscrit dans la Constitution, même si sa mise en œuvre relève de la loi organique.
Par conséquent, je maintiens cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement pose, plus globalement, le problème du statut de l’élu.
Votre proposition, qui vise à faciliter la reconversion professionnelle à l’issue d’un mandat parlementaire, est intéressante, d’autant qu’il s’agit d’une question récurrente. Il faudra bien, à un moment donné, se poser la question du statut de l’élu, mais de façon plus globale.
Le statut du parlementaire en tant qu’élu de la nation relève non de la Constitution, mais, le cas échéant, de la loi organique. Ce n’est pas le cas, en revanche, du statut de l’ancien parlementaire.
Des propositions peuvent être formulées en matière de reconversion, sans pour autant qu’elles soient inscrites dans la Constitution. C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Bien évidemment, les dispositions prévues au travers de cet amendement n’ont pas à figurer dans la Constitution.
Je rappellerai simplement que le statut de l’élu a été évoqué à plusieurs reprises, notamment en 2000 par M. Jean-Paul Delevoye et, voilà quelques mois, dans cet hémicycle, par Mme Alliot-Marie, qui nous a promis qu’un texte sur ce sujet serait déposé incessamment sur le bureau des assemblées. Ce sera sans doute le prochain texte que nous examinerons après celui qui nous occupe aujourd’hui. Il semble tout à fait évident que de telles mesures, qui ont déjà été prévues dans cette assemblée depuis longtemps, seront un jour ou l’autre inscrites dans notre droit positif.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La question du statut de l’élu, quelles que soient les fonctions électives considérées, est un véritable serpent de mer ! L’évoquer dans la Constitution représenterait une étape tout à fait importante. Adopter une telle disposition inciterait peut-être le législateur à se saisir réellement du problème.
Je voterai donc l’amendement n° 361, car voilà vingt ans que nous demandons en vain un statut de l’élu.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 313 est présenté par M. Alfonsi.
L'amendement n° 442 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour présenter l’amendement n° 313.
M. Nicolas Alfonsi. Bien entendu, mes chers collègues, je partage les préoccupations de M. Gouteyron.
Je considère en effet que l’esprit qui avait présidé à la rédaction de la Constitution et qui animait alors Michel Debré disparaît peu à peu, au profit de considérations qui me paraissent subalternes ou totalement obscures.
Que se passera-t-il demain ? Je redoute surtout, pour ma part, une perte d’autorité du Premier ministre, un jeu permanent de chaises musicales, un renforcement du rôle du Président de la République et, par grignotages successifs, une dénaturation du texte constitutionnel.
J’estime par ailleurs qu’il ne faut pas nourrir envers les suppléants un mépris qui pourrait conduire à penser qu’ils ne sont que des intérimaires. Je connais d’éminents hommes politiques qui ont débuté leur carrière ainsi. L’ancien maire de Paris, le chef du Gouvernement ou d’autres encore n’ont-ils pas commencé de cette façon ?
L’adoption du dispositif présenté à l’article 10 risquerait donc de porter préjudice à beaucoup. Il y a là une atteinte à la dignité des suppléants, ce qui ne me paraît pas convenable.
Par conséquent, je demande que l’on en revienne au dispositif prévu par la Constitution. Surtout, je souhaiterais que Mme le garde des sceaux nous indique les motifs qui conduisent à proposer la suppression de ce dernier, laquelle semble ne reposer sur aucun fondement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l’amendement n° 442.
M. Bernard Frimat. Cet amendement est identique à l’amendement n° 313 que vient de présenter M. Alfonsi et très similaire à celui que M. Gouteyron a retiré.
Je ferai simplement remarquer que l’adoption de cet article engendrera une curiosité.
Un parlementaire en mission pendant plus de six mois perd son siège.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Bernard Frimat. Afin qu’il puisse le retrouver, il faudra le nommer ministre pour trois ou quatre jours ! Pendant ce laps de temps, son suppléant siègera au Parlement… Il s’agit ici, ni plus ni moins, de l’introduction d’un véritable « parachute », dorsal ou ventral. Je ne dis pas qu’il est doré !
Le parlementaire nommé au Gouvernement saura qu’il dispose, parmi les attributs de sa fonction ministérielle, d’un parachute qu’il pourra ouvrir, le cas échéant, pour retourner dans son assemblée.
Cela ne me semble pas très sain, car un tel dispositif peut contribuer à détruire une équipe ministérielle. En effet, nous savons tous que la vie d’une équipe est toujours compliquée ! Le fait d’avoir la possibilité d’y échapper en réintégrant son assemblée d’origine constitue un élément déstabilisateur.
Je passe sur l’usage d’un tel dispositif dans le dessein de régler un problème pratique ou de procéder à une nomination honorifique pour une courte durée, avant que l’intéressé ne regagne, beaucoup plus modestement, les rangs de son assemblée. L’histoire est pleine de tels exemples.
Cela est d’autant plus malsain qu’il commence à se dire, dans un certain nombre de lieux – nous ne sommes pas toujours dans l’hémicycle et rien ne se fait dans la discrétion dans le monde politique ! –, que la stratégie personnelle d’un certain nombre de membres du gouvernement actuel les pousse à attendre le vote de ce texte pour prendre, en janvier ou en mars 2009, une trajectoire différente, en ayant assuré préalablement leur retour dans l’une ou l’autre assemblée…
En outre, l’adoption du dispositif prévu à l’article 10 signifierait qu’un ministre précédemment parlementaire conserverait temporairement son siège par personne interposée. Dès lors, sera-t-il complètement délié de sa fonction législative ? Une telle situation est-elle compatible avec l’article 23 de la Constitution, qui traite des incompatibilités ? On peut s’interroger sur ce point.
Quant au remplaçant, il pourra être renvoyé du jour au lendemain. M. Raffarin a eu recours ce matin à des comparaisons sportives. Pour ma part, je ne souhaite pas que des parlementaires connaissent le sort des remplaçants de l’équipe de France de football, qui sont rayés de la liste des vingt-trois, reviennent dans le groupe pour huit jours, puis repartent… Tout cela n’est pas sain ! On gagnerait à revenir à la conception d’origine, celle qu’a parfaitement rappelée notre collègue Adrien Gouteyron.
M. le président. L'amendement n° 299, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa (1°) de cet article par les mots :
ayant pris fin sur la présentation de la démission collective du gouvernement
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je me range moi aussi à la position de M. Gouteyron. En tout état de cause, je retire cet amendement, en soulignant toutefois que la situation du suppléant sera extrêmement compliquée. Si ce texte avait été en vigueur l’année dernière, nous nous serions vraisemblablement privés d’un excellent ministre de l’écologie…
M. le président. L’amendement n° 299 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 313 et 442 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Gouteyron, de nous avoir rappelé l’histoire.
Sous la IVe République, les ministres restaient parlementaires…
M. Michel Charasse. Et ils votaient dans leur assemblée !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument ! Il est même arrivé que l’on permette à des ministres de voter, en cas de courte majorité ou de majorité relative, puisqu’ils disposaient d’un certain délai pour choisir entre un siège de parlementaire et un portefeuille gouvernemental. J’ai pu observer ce phénomène au moins une fois sous la Ve République !
Le terme de « suppléant » n’existe pas dans la loi. La question qui se pose a été longuement explicitée par le comité présidé par M. Édouard Balladur.
Mes chers collègues, comme le disait M. Charasse, il ne faut pas être trop hypocrite…
M. Gérard Longuet. Un peu n’a jamais nui ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand quelqu’un est nommé ministre, espère l’être ou tout simplement a des chances de devenir ministre, il fait en sorte que son suppléant remette son mandat à sa disposition.
M. Michel Charasse. C’est exact !
M. Josselin de Rohan. Il existe des lettres en blanc !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ceux qui, comme moi, n’ont aucune vocation à devenir ministres ne se sont peut-être jamais posé la question, mais c’est ainsi que cela se passe !
On voit de temps en temps, et même assez souvent, des ministres quitter le gouvernement – parfois, c’est tout le gouvernement qui démissionne – et essayer ensuite de retrouver leur siège de parlementaire.
Je vous rappelle tout de même, mes chers collègues, que c’est le député qui est élu, et non son suppléant. J’ai connu des grands hommes qui interdisaient à leur suppléant d’intervenir en séance !
M. Gérard Longuet. Alors ils n’étaient pas vraiment de grands hommes !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pourquoi ne pas permettre, comme sous la IVe République, aux députés ou sénateurs devenus ministres de reprendre leur mandat de parlementaire lorsqu’ils quittent leurs fonctions ministérielles ? Ce sont eux qui ont vraiment été élus, et non leurs suppléants !
Selon moi, l’adoption d’une telle disposition ne bouleverserait pas nos institutions, parce que notre régime politique n’a rien à voir avec celui de la IVe République.
La commission, au cours d’un long débat, s’est posé la question d’une éventuelle rétroactivité du dispositif. Pour ce faire, une loi organique serait nécessaire. Nous avons donc prévu une disposition transitoire.
Après avoir pesé le pour et le contre et tenu compte des arguments des uns et des autres, la commission s’est finalement ralliée au dispositif introduit par l’article du projet de loi constitutionnelle.
En effet, dans l’esprit du public, c’est le député ou le sénateur qui est élu. Avec la représentation proportionnelle, c’est un peu différent, car on ne sait pas qui va être élu.
M. Michel Charasse. Ce sont les partis qui font la liste !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, cet inconvénient existe également !
En conclusion, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, de ne pas modifier le dispositif prévu à l’article 10.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. David Assouline. C’est moyen !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’article 10 du projet de loi constitutionnelle tend à permettre aux membres du Gouvernement cessant d’exercer leurs fonctions ministérielles de retrouver leur siège au Parlement.
Cette réforme avait été envisagée en 1974, mais n’avait pas abouti, à quelques voix près. Nous avons considéré qu’il s’agissait d’une réforme tout à fait moderne des institutions.
Comme l’a dit M. le rapporteur, les électeurs placent leur confiance dans la personne qu’ils ont élue comme parlementaire, pour la durée entière du mandat.
J’ajoute que dans le cas d’élections partielles, nombre d’électeurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent retourner voter pour la personne qu’ils ont déjà élue quelque temps auparavant, d’autant que, à leurs yeux, c’est un honneur que d’être nommé ministre.
Il se pose donc un problème de lisibilité. (Mme Alima Boumediene-Thiery marque son scepticisme.)
D’ailleurs, les élections partielles enregistrent des records d’abstention,…
M. Michel Charasse. Elles ne sont pas décisives !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … précisément parce que les électeurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent voter une nouvelle fois pour la même personne.
M. Charles Pasqua. C’est exact !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Telle est la raison pour laquelle le comité Balladur a préconisé que les anciens ministres puissent retrouver automatiquement leur siège au Parlement. Le Gouvernement considère qu’il faut donner cette possibilité aux ministres qui le quittent.
Je rappelle que, dans la plupart des régimes parlementaires, il n’existe pas de compatibilité entre les fonctions parlementaires et ministérielles.
Quant à la situation du remplaçant éventuel, elle ne sera pas modifiée, car à l’heure actuelle, lorsqu’un ministre quitte le Gouvernement, une élection partielle a lieu pour lui permettre de récupérer son siège.
J’ajoute, à l’adresse de M. Frimat, que la situation du parlementaire en mission n’est pas identique à celle du parlementaire qui devient membre du Gouvernement. En effet, le parlementaire en mission continue d’exercer son mandat. Il n’y a incompatibilité que si sa mission se prolonge au-delà de six mois, car elle constitue alors un contrat de fonction publique.
En conclusion, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 313 et 442.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 313 et 442.
M. Michel Charasse. Je ne souhaiterais pas que l’on conclue sur ce point sans répondre à la question soulevée par notre collègue Adrien Gouteyron, même si elle ne relève pas du débat constitutionnel, car il s’agit d’un problème important.
Que se passe-t-il pour le suivant de liste ou le suppléant qui est éjecté puisque son titulaire revient,…
M. Josselin de Rohan. L’ANPE !
M. Michel Charasse. … lorsqu’il s’est trouvé dans la situation d’avoir à choisir, en entrant au Parlement, entre plusieurs mandats ou à renoncer à certains mandats ?
Cela veut dire qu’il faut prendre l’engagement de « détricoter » ce qui a été fait, et par ricochet. En d’autres termes, il devra dire à celui qui l’a remplacé au conseil général, à la mairie ou ailleurs : « Ôte-toi de là que je m’y remette ! »
Ce n’est pas si simple, quelle que soit la situation, que l’on soit suivant de liste ou remplaçant éventuel, ce qui revient au même.
Et si l’on règle ce problème, on ne pourra pas évacuer les victimes de la jurisprudence dite Balladur, selon laquelle lorsqu’un ministre est soupçonné et qu’une information judiciaire est ouverte, il doit démissionner. Si un non-lieu ou un acquittement intervient ensuite, il se retrouve Gros-Jean comme devant, puisqu’il a perdu tous ses mandats et qu’il ne les retrouve pas. Il se révèle finalement que tout cela était un « coup tordu » destiné à évacuer l’élu des mandats qu’il occupait !
Donc, si l’on prévoit des dispositions pour les uns, il faudra bien que l’on réfléchisse à ce qui se passe pour les autres.
D’ailleurs, je n’écarte pas la question posée par Bernard Frimat concernant les parlementaires en mission, puisque la situation est la même,…
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Michel Charasse. … à cette différence près, cependant, que pour ces derniers il existe un moyen de s’en sortir : on peut très bien ne pas faire perdre son mandat à l’intéressé…
M. Gérard Longuet. En suspendant la mission !
M. Michel Charasse. … en mettant un terme à sa mission avant la fin du sixième mois et en lui en confiant une nouvelle le lendemain. On peut simplement en changer le titre, pour que ce ne soit pas formellement la même mission. C’est ainsi que l’on peut maintenir un parlementaire en mission pendant trois fois six mois, quatre fois six mois, etc.
M. Gérard Longuet. C’est exact !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quels arrangements !
M. Michel Charasse. Il faut donc que le Gouvernement nous réponde avec précision sur ce point, même si, je le redis, il ne relève pas de la loi constitutionnelle.
Mais si l’on met en œuvre ce dispositif, il doit être entendu que l’on s’engage, les uns et les autres, à refaire le film en marche arrière !
Sinon, je ne sais pas qui nous trouverons demain pour accepter d’être suivant de liste ou remplaçant d’un parlementaire,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y en aura toujours !
M. Philippe Dallier. Ne vous inquiétez pas, ce sera le trop-plein !
M. Michel Charasse. … si celui qui est devant a des chances de devenir ministre, tandis que lui a surtout une chance, si je puis dire, de se trouver dans la situation d’un mari trompé, sauf qu’il le saura à l’avance sans l’apprendre par la presse !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Cet article n’est pas anodin. Il nous rappelle la nature profondément intermédiaire de nos institutions.
M. Bernard Frimat. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Nous sommes, en ce qui concerne le Gouvernement, à mi-chemin entre un cabinet présidentiel, qui serait l’expression d’un régime lui aussi présidentiel, et un gouvernement dont la légitimité est aujourd’hui parlementaire, nous le savons tous.
En effet, la possibilité, pour un parlementaire qui devient membre du Gouvernement, de retourner le cas échéant à l’assemblée dont il est issu rappelle que, s’il est certes constitué sur proposition du Premier ministre par le Président de la République, le Gouvernement possède cette double nature.
Le Président de la République peut, et il ne s’en prive pas, choisir, avec talent et bonheur, des personnalités extérieures au Parlement pour occuper tel ou tel ministère, parce qu’il estime que cela est bon pour le pays.
Telle n’est pas la situation d’un parlementaire qui accepte de rejoindre une équipe gouvernementale, avec la haute idée qu’il a de lui-même, naturellement, mais surtout la légitimité que lui confèrent son élection et son appartenance à une famille politique.
Je me tourne à cet instant vers mes collègues de gauche, qui défendent somme toute une conception de la République assez proche de la mienne, plus parlementaire et moins présidentielle, pour leur dire qu’ils doivent soutenir résolument la disposition qui nous est présentée.
En effet, elle permet de rappeler aux membres du Gouvernement qu’ils existent, certes, par la décision du Président de la République, mais surtout par ce qu’ils représentent dans la vie publique. Et cette représentation, cette légitimité ne cessent pas lorsqu’ils accèdent au Gouvernement. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’un gouvernement de cohabitation, cas de figure que j’ai connu. Le ministre issu du Parlement qui accepte d’entrer dans un gouvernement ne perd pas sa légitimité.
Il pourrait m’être objecté, à juste titre, que le Premier ministre peut s’en trouver affaibli. Au contraire : mieux vaut diriger une équipe dont la cohésion repose sur la volonté, plutôt qu’une équipe dont les membres ne s’entendent pas vraiment, où chacun doute, et dont la solidarité repose uniquement sur la peur de l’incertitude, de l’aléa ou de la vacuité.
C’est donc un avantage pour le Premier ministre, notamment dans le cadre des arbitrages gouvernementaux, que certains d’entre nous ont vécus, qu’un membre du Gouvernement ait la possibilité de retourner dans l’assemblée d’où il tire sa légitimité. Cela lui permet, face aux administrations, notamment financières, traditionnellement puissantes que la gauche ou la droite soit au pouvoir, de pouvoir dire avec autorité à son Premier ministre qu’il y a des choses qu’il ne peut accepter. (M. Christian Cointat opine.)
La cohésion du Gouvernement se fonde alors sur un débat politique, et non pas sur la crainte de la vacuité.
En outre, pour nous parlementaires, avoir devant nous des ministres susceptibles de revenir dans leur assemblée d’origine nous garantit qu’ils seront beaucoup plus attentifs aux débats, parce qu’ils sont en mesure de choisir entre leur mandat parlementaire et leurs fonctions gouvernementales. Au contraire, un ministre qui n’a pas cette faculté de choix nous écoute, certes, mais pas nécessairement avec autant d’attention, parce qu’il n’est pas libre de ses mouvements.
C’est la raison pour laquelle, défendant cette conception mixte de nos institutions, qui restent régies par une Constitution où le Gouvernement a une légitimité issue du Parlement, nous devons à mon sens accepter de revenir sur une disposition qui avait été introduite en 1958 pour remédier aux excès condamnables constatés sous la IVe République, que Michel Charasse a rappelés. Il y a eu le soutien sans participation, mais il y a eu aussi, messieurs les membres du parti communiste, la participation sans soutien, puisque, en 1947, vous avez quitté le Gouvernement après avoir voté contre lui ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)