M. Pierre Fauchon. On a le droit de réfléchir !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fauchon, vous avez tout à fait le droit et le devoir de réfléchir, et nous ne saurions trop vous en remercier.
Cela dit, mes chers collègues, de deux choses l’une.
Ou bien le Gouvernement nous propose une réforme de la Constitution afin d’instaurer un régime présidentiel. Cela aurait des avantages, notamment celui de la clarté, et ce serait un choix clair et assumé. On sait très bien ce qu’est un régime présidentiel : c’est un régime dans lequel le Parlement a plus de pouvoir que n’en a aujourd’hui le Parlement français. On le voit bien aux États-Unis, où le président doit négocier avec le Sénat, la chambre des représentants, pour faire passer le budget. (M. Michel Mercier fait un signe d’approbation.) Le pouvoir du Parlement américain est donc bien supérieur à celui qui est reconnu au Parlement français.
M. Gérard Longuet. Cela, on le sait !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, dans ce cas-là, il n’y a plus de dissolution, plus de motion de censure et il y a cohabitation entre un exécutif fort et un Parlement qui a beaucoup de pouvoir. Il n’est pas possible de faire cohabiter deux morceaux d’exécutif, comme cela se passe chez nous, ce qui n’est pas toujours la meilleure solution pour notre pays.
Ce choix, qui eût été très clair pour une réforme et une modernisation de nos institutions, vous ne l’avez pas fait. Dès lors quelle est l’utilité de faire des discours, comme s’il y avait des buttes témoins d’une logique qui a été refusée, en disant : « on aurait pu, on pourrait peut-être… » ? Le conditionnel a beaucoup d’avantages, mais il a aussi l’inconvénient d’être le conditionnel ! Le conditionnel passé, quant à lui, cumule les désavantages du conditionnel et du passé…
Il était possible de proposer une réforme forte et, dans ce cas, il eût fallu qu’elle fût vraiment claire. En effet, nous proposer un régime présidentiel dans lequel la dissolution est maintenue, c’est quand même très ambigu. Dans un régime présidentiel, le président doit accepter la cohabitation, à laquelle il ne peut finalement pas échapper, avec un pouvoir législatif.
Il y avait une autre possibilité qui consistait à conserver le système existant, avec le Président de la République tel qu’il est dans notre Constitution, mais en rééquilibrant fortement les pouvoirs en faveur du Parlement. Or, depuis le début de ce débat, nous constatons que, malheureusement, la plupart des mesures qui sont proposées afin de rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement sont des faux-semblants, des mesures formelles qui ne permettront en aucun cas d’aboutir à ce nécessaire rééquilibrage.
Donc, vous n’avez pas voulu une réforme claire dans le sens du régime présidentiel, avec les avantages et les inconvénients qu’il implique. Vous n’avez pas non plus voulu, dans le cadre actuel, donner au Parlement la plénitude des pouvoirs qu’il doit avoir, ce qui est pourtant indispensable. Comme vous n’avez fait ni l’un ni l’autre, vous nous délivrez un certain nombre de considérations, qui sont très intéressantes, mais qui n’ont aucun effet concret.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Je souhaite tout d’abord dire à M. Fauchon que je suis d’accord avec lui sur bien des points de son argumentation.
Je suis en parfait accord avec lui sur le diagnostic, notamment lorsqu’il évoque, dans l’exposé des motifs de son amendement, le déséquilibre actuel des pouvoirs. Il souligne que ce déséquilibre est le fruit à la fois de l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, de la rationalisation du parlementarisme, de l’avènement du fait majoritaire, en rappelant que le fait majoritaire, malgré tout, est très lié au mode de scrutin et que ce fait majoritaire ne nous est peut-être pas acquis pour l’éternité, et que ce déséquilibre est également le fruit de l’inversion du calendrier électoral.
Cette inversion du calendrier électoral a, dans une certaine mesure, « satellisé » l’Assemblée nationale autour du Président de la République et a renforcé encore l’esprit d’indépendance du Sénat. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Je partage également l’opinion de Pierre Fauchon sur la pertinence et sur l’importance du rééquilibrage que ce projet de loi de révision constitutionnelle vise à mettre en place et sur le fait qu’il constitue une chance, sans doute unique pour longtemps, de rendre au Parlement toute sa place dans nos institutions.
J’admire, mais je ne suis pas le seul, l’imagination créatrice de notre collègue : il invente en fait une nouvelle forme de régime présidentiel par cet amendement qui prévoit qu’une demande de seconde délibération présentée par le Président de la République à l’Assemblée nationale pourrait, en cas d’échec, déboucher sur la dissolution et de nouvelles élections.
Réintroduire la dissolution dans le régime présidentiel, alors qu’il s’agit théoriquement d’un régime de séparation stricte des pouvoirs, permettrait effectivement de remédier à des situations de blocage entre exécutif et législatif qui sont, on le sait, le risque majeur du régime présidentiel. La France a d’ailleurs connu de tels blocages lorsqu’elle a pratiqué ce type de régime. Je ne rappellerai que pour mémoire le Directoire ou la Seconde République, qui ont débouché sur des blocages dont on n’est sorti que par les coups d’État du 18 Brumaire et du 2 décembre.
M. Michel Charasse. Napoléon III et la défaite de Sedan !
M. Jean-René Lecerf. On pourrait aussi évoquer le régime de 1791, qui a mal fini pour le Président de la République de l’époque, si vous me permettez cette assimilation au sujet de Louis XVI !
Alors, sur quoi suis-je en désaccord, fort amicalement d’ailleurs, avec Pierre Fauchon ?
Je suis en désaccord sur le fait qu’il nous faille absolument choisir entre le régime parlementaire et le régime présidentiel, sur le fait que le régime parlementaire nous serait à tout jamais interdit en raison de l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État, réforme sur laquelle on ne reviendra pas puisqu’elle fait partie des acquis sociaux de la République, si je peux m’exprimer ainsi.
La seule solution qui lui paraît efficace aujourd’hui serait l’évolution vers un régime présidentiel. Nous serions donc, avec cette réforme, en quelque sorte au milieu du gué, mais dans une évolution incontournable vers le régime présidentiel de type américain, que l’on baptise, pour se faire plaisir, « régime présidentiel à la française ». C’est sur ce point que ma conviction est un peu différente.
On doit pouvoir ne pas entrer dans les schémas préétablis et n’avoir ni régime parlementaire à la française ni régime présidentiel à la française. On peut imaginer un compromis entre les aspects positifs de l’un et de l’autre. Jusqu’à présent, et durant cinquante ans, ce compromis nous a permis de bénéficier d’une stabilité gouvernementale remarquable, même si c’est au prix d’un déséquilibre entre les pouvoirs.
On nous donne aujourd’hui l’opportunité avec cette réforme de renforcer le pouvoir législatif sans supprimer pour autant l’existence d’un gouvernement responsable.
Pour ma part, je parie pour un chef de l’État élu au suffrage universel direct, un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale - et parce qu’il est responsable et parce que le pouvoir suit la responsabilité, conservant une partie non négligeable du pouvoir - et un Parlement bicaméral tel qu’il existe aujourd’hui.
Le Gouvernement nous offre une opportunité de trouver un régime spécifique, sui generis, capable de nous donner à la fois la démocratie et l’efficacité. Je propose que nous répondions à ce pari de manière positive.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Permettez-moi de prolonger le colloque qu’évoquait notre collègue Jean-Pierre Sueur, pour vous livrer une réflexion personnelle.
S’il y a eu crise pendant trente ans et si la société française s’est trouvée déconnectée par rapport à la société politique pendant les quinze dernières années, cela est dû à la cohabitation, problème que Jean-Pierre Sueur a également évoqué.
Un régime bon est un régime qui fonctionne bien, et personne ne peut m’assurer que le dispositif actuel, avec l’inversion du calendrier, donnera, demain, une majorité. Par conséquent, nous pourrions nous retrouver dans des situations de crise.
Quand un Président de la République sera élu « au couteau », de façon extrêmement serrée et que la majorité parlementaire ne sera pas celle du Président de la République - c’est pour l’instant une hypothèse d’école mais cela pourrait se produire - la situation sera la suivante : ou il y aura crise ou il y aura cohabitation et, dans ce dernier cas, ce sera ingérable.
Il est certain que notre culture ne nous permet pas d’adopter le régime présidentiel à l’américaine. Les propos de Jean-René Lecerf tentent de concilier l’inconciliable, mais, pour l’instant, notre système ne permet pas un fonctionnement sain des pouvoirs publics. Il pourra y avoir, demain, des situations de crise.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Il était délicieux de se retrouver dans une atmosphère de colloque scientifique et non plus au cœur d’un débat sur une révision de la Constitution.
Je ferai tout d’abord remarquer à Jean-René Lecerf qu’il donne à l’entreprise de révision actuelle une dimension qu’elle ne comporte pas réellement.
Ainsi que j’ai eu l’occasion de m’en expliquer assez longuement lors de l’ouverture de ce débat, nous sommes dans un régime singulier qui, à partir du parlementarisme rationalisé à la faveur des deux modifications les plus importantes, l’élection du Président de la République au suffrage universel - sur laquelle on ne reviendra pas, il faut bien se le dire -, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, a abouti à ce que l’on ne peut désigner que par un seul nom : la monocratie.
Il n’y a aucun doute, après l’élection démocratique, indiscutable, du Président de la République, c’est fini. Pour cinq ans, nous avons une majorité qui s’appelle elle-même « majorité présidentielle » et qui, à ce titre, ne peut pas répondre – hélas, dirai-je ! - aux exigences d’une véritable séparation des pouvoirs. La majorité présidentielle, c’est la majorité que dirige le Président de la République, patron du principal parti de la majorité.
Nous sommes dans un régime original, qui a le mérite de répondre à une exigence d’exécutif fort. Il a de grands inconvénients : c’est le pouvoir d’un seul, avec tout ce que cela signifie.
Je dirai ensuite à Pierre Fauchon que l’exposé des motifs de son amendement, d’une certaine manière, est plus prometteur que le dispositif qu’il propose, qui n’est pas, il faut le reconnaître, de nature à révolutionner nos institutions.
Cher Pierre Fauchon, l’exercice du droit de dissolution, en cas de rejet d’un texte après une seconde délibération, aboutit encore à renforcer le pouvoir du Président de la République sur l’Assemblée nationale.
Vous me direz que c’est un enjeu, celui qui est inhérent à la dissolution telle qu’elle est pratiquée actuellement. Si, après la dissolution, le Président de la République se retrouve avec une majorité politique qui lui est opposée, il aura le choix entre démissionner ou cohabiter. Je ne suis pas sûr que ce soit exactement ce que nous devons envisager comme le meilleur des régimes possibles.
Mais, mon cher collègue, tout ce que vous avez exposé sur ce mouvement, à mon avis irrésistible, qui nous entraînera, à la suite de l’élection du Président de la République au suffrage universel – sur laquelle on ne reviendra pas –, vers un régime présidentiel, assorti de nos spécificités nationales, me semble très juste.
Il faut accompagner ce mouvement ! La révision actuelle ne le fait pas, mais nous reprendrons certainement la question dans l’avenir. Aujourd’hui, nous procédons plus à un aggiornamento qu’à autre chose.
Je conclurai en disant que nous sommes un peuple admirable, et je ne résiste pas au plaisir de vous raconter une petite anecdote à ce sujet.
Lorsqu’a été célébré le deux centième anniversaire de la Constitution des États-Unis, en 1987, le président de la Cour suprême avait invité tous les présidents des cours constitutionnelles des démocraties. Comme j’avais le privilège d’être alors le plus jeune, mes collègues m’ont chargé de répondre en leur nom à tous. J’étais très honoré et j’ai travaillé pendant huit jours. Je suis parti avec la tenue du doyen Vedel : il en fallait une, et sa tenue me paraissait plus belle que la mienne, une simple robe de professeur ; je lui avais donc demandé de me prêter le costume de doyen. J’ai ainsi assisté à la cérémonie dans toute ma splendeur ! (Sourires.)
Le discours du Chief Justice Rehnquist a été une exaltation inouïe de la Constitution américaine. À la longue, le tempérament national a fini par se réveiller en moi et j’ai répondu en rappelant la contribution de l’Europe dans le domaine de l’invention constitutionnelle. J’ai fini en ces termes : « C’est vrai, vous avez eu depuis deux siècles la même Constitution et vingt-six amendements. Mais, franchement, pendant la même période, la France a usé trois monarchies, deux empires et elle en est à la Ve République, sans compter les innombrables amendements. En fait, comme la cuisine, le constitutionnalisme est chez nous un art national ! » (Sourires.)
M. le président. Monsieur Fauchon, l’amendement n° 265 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Pierre Fauchon. Je suis conscient du caractère saugrenu de ma démarche, mais il faut bien saisir les occasions qui se présentent !
Je suis, je l’avoue, quelque peu désespéré par notre vie politique et extrêmement inquiet du devenir de notre pays. Je ne trouve pas que la France évolue de manière satisfaisante, je le dis depuis des lustres ! Je pense que notre régime politique n’y est pas pour rien et que nous sommes enfermés dans des routines qui nous ankylosent et dont nous ne parvenons pas à nous extraire. C’est une des raisons pour lesquelles j’estime qu’une réanimation politique exigerait un choc profond : un changement de régime, tel que je le propose, serait une manière de provoquer ce choc.
Je dois admettre aussi, même si mon pessimisme n’a pas totalement pris fin, qu’il se trouve un peu tempéré depuis un an, dans la mesure où le nouveau chef de l’État, en bousculant nos habitudes, nos modes de pensée, en mettant en œuvre une politique de réforme, en nous incitant à nous interroger sur ce que nous faisons et en nous proposant, par-dessus le marché, cette révision constitutionnelle – ce qui est un assez beau geste de sa part – nous donne une nouvelle chance.
M. Gérard Longuet. Il a fait une partie du chemin !
M. Pierre Fauchon. Comme mon ami Lecerf, je l’observe avec confiance, une confiance non dépourvue d’une certaine inquiétude. Mais enfin, il faut toujours choisir l’espérance ! Le cardinal de Retz disait que « l’on est plus souvent dupe de sa défiance que de sa confiance ». J’opte donc pour la confiance et j’espère que cette réforme permettra cette réanimation de notre vie politique et, plus spécialement, du Parlement, que nous souhaitons de tout cœur !
Dans cet esprit – mais c’est peut-être reculer pour mieux sauter ! – je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 265 rectifié bis est retiré.
Article 4
L’article 13 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la réunion des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque la réunion des commissions permanentes compétentes a émis un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés ainsi que les modalités selon lesquelles les avis sont rendus. »
M. le président. L’amendement n° 384 rectifié, présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi, est ainsi libellé :
Au début de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
… - L’avant-dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution est complété par les mots et trois phrases ainsi rédigées :
« après avis conformes des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les règlements des assemblées parlementaires précisent les commissions permanentes qui ont compétence pour chacune des nominations mentionnées ci-dessus. Elles statuent à la majorité des trois cinquièmes, et si au moins l’une d’entre elles se prononce contre une nomination alors celle-ci ne peut avoir lieu. Leurs avis sont publics. »
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Nous sommes parvenus à l’article 4, relatif au pouvoir de nomination du Président de la République aux postes de haute responsabilité.
L’amendement n° 384 rectifié a pour objet de donner clairement au Parlement la capacité d’influer sur ces nominations ou de les refuser. Pour cela, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de constituer une commission ad hoc et qu’il convient de confier aux commissions permanentes des deux assemblées le pouvoir de vérifier si la proposition de nomination correspond à l’intérêt général de la nation.
Par exemple, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat pourraient se prononcer, à la majorité des trois cinquièmes, sur la nomination des conseillers d’État. Si l’une des deux commissions émettait un avis défavorable, la nomination en question ne pourrait avoir lieu.
Nous ne sommes pas les seuls à proposer des amendements en ce sens. Leur adoption permettrait un renforcement significatif du pouvoir du Parlement, puisque c’est lui qui, après avoir examiné la proposition du Président de la République, pourrait soit la confirmer soit, au contraire, la refuser. Nous ne proposons pas d’instaurer le système américain, mais nous nous sommes inspirés de son esprit et nous souhaitons que nos collègues accordent toute leur attention à cette proposition. J’ajoute que l’avis rendu par chacune des commissions devrait évidemment être public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien entendu, nous aurions le plus grand plaisir à donner notre avis sur la nomination des conseillers d’État, du grand chancelier de la Légion d’honneur, des ambassadeurs, des conseillers maîtres à la Cour des comptes, des préfets, des représentants de l’État dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, des officiers généraux, des recteurs d’académie et des directeurs d’administrations centrales… Mais, franchement, mes chers collègues, ce serait excessif !
Je suis favorable à un tel contrôle pour les autorités qui garantissent les droits fondamentaux ou les organismes qui régulent la vie économique, parce qu’il s’agit d’autorités indépendantes : il est donc normal que le Parlement émette un avis.
En revanche, il appartient à l’exécutif de nommer les représentants de l’État et les membres des grands corps : c’est ce qui se fait depuis toujours. La remise en cause de ce système serait une transformation considérable !
Certes, comme vous avez proposé, auparavant, l’instauration d’un régime présidentiel, votre amendement a sa logique. Mais, cher collègue, pouvez-vous imaginer que les commissions parlementaires émettent un avis sur la nomination des préfets, des officiers généraux, du chef d’état-major des armées, des procureurs généraux ? Croyez-vous vraiment que cela ferait progresser la République ? En réalité, il n’y aurait plus de séparation des pouvoirs ! Or, c’est un des principes fondamentaux de la démocratie et de la République.
Mon cher collègue, je souhaiterais donc vivement que vous retiriez cet amendement, sinon je me verrais dans l’obligation d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le projet de loi renforce les garanties qui entourent l’exercice par le président de la République de son pouvoir de nomination aux postes les plus importants pour la vie de la nation. Le Parlement sera mieux associé, dans un souci de transparence et de démocratie irréprochable.
Deux catégories d’emplois sont visées.
La première l’est à raison de la garantie des droits et libertés. On peut penser au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, ou à celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
La seconde catégorie l’est au titre de la vie économique et sociale de la nation. Il s’agit, là encore, de la présidence de certaines autorités administratives indépendantes, comme le Conseil de la concurrence ou l’Autorité des marchés financiers. II s’agira aussi de certains établissements ou certaines entreprises publiques qui, par l’importance des services publics qu’ils gèrent, exercent une influence déterminante sur les équilibres économiques et sociaux de notre pays. On peut penser à la Caisse des dépôts, à la Régie autonome des transports parisiens, la RATP, ou encore à la Société nationale des chemins de fer français, la SNCF.
Vous proposez l’extension de cet encadrement aux nominations auxquelles il est procédé en conseil des ministres en application de l’article 13 de la Constitution. Le Gouvernement estime que cette extension n’est pas justifiée puisque la plupart de ces emplois sont la traduction du lien qui unit l’exécutif à l’administration. Je pense en particulier aux préfets, aux ambassadeurs, aux recteurs, aux directeurs d’administration centrale ou encore aux procureurs généraux.
En vertu de l’article 20 de la Constitution, qui dit : le Gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée », le comité présidé par M. Edouard Balladur proposait que les emplois que vous visez restent en dehors de la nouvelle procédure. Ils sont le lien qui permet au Gouvernement de mobiliser l’administration pour mettre en œuvre la politique sur laquelle sa majorité a été élue. Ces autorités sont là pour faire corps avec le pouvoir exécutif ; elles ne peuvent dépendre que de lui.
Par ailleurs, vous exigez des commissions des assemblées un avis conforme à la majorité des trois cinquièmes, ce qui leur attribue un pouvoir de codécision en la matière.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Delfau, l’amendement n° 384 rectifié est-il maintenu ?
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, j’avais conscience, en présentant cet amendement, qu’il s’écartait de la nature du régime institutionnel dans lequel nous vivons. Mais, comme je l’ai dit lors de la présentation de l’amendement n° 383 rectifié, je m’étais donné comme mission, au nom de mon groupe, de rappeler qu’un autre type de fonctionnement démocratique existait et que, peut-être, au fil des décennies, la France en emprunterait un certain nombre d’éléments.
M. Michel Charasse. Ça, c’est la Révolution !
M. Gérard Delfau. Cette réflexion étant faite, je retire l’amendement n° 384 rectifié.
La même argumentation risquant de m’être opposée, je retirerai également l’amendement n° 385 rectifié, qui relève de la même inspiration.
M. le président. L’amendement n° 384 rectifié est retiré.
Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 417, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa de cet article :
« L’ensemble des emplois auxquels nomme le Président de la République est soumis à avis conforme d’une commission constituée des membres des deux assemblées du Parlement désignés à la proportionnelle des groupes parlementaires. Elle statue à la majorité des trois cinquièmes. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Le Président de la République tient de l’article 13 de la Constitution un pouvoir de nomination étendu qui participe d’ailleurs du caractère fondamentalement présidentiel de ce texte : « Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État », et la plupart des très hauts fonctionnaires de l’État sont nommés lors du conseil des ministres qu’il préside.
La pratique institutionnelle a montré que les différents présidents qui se sont succédé, sans aucune exception, ont largement usé et abusé de ce pouvoir. Ils ont puisé dans le vivier de quelques milliers de managers publics et privés, souvent coupés des réalités vivantes du pays, formés selon les mêmes références idéologiques, sollicitant davantage leur allégeance que leur esprit de service public.
Or le clientélisme – pour ne pas dire le népotisme – gangrène trop souvent la vie publique, discrédite dangereusement les institutions et le personnel politique aux yeux de nos concitoyens.
Le projet de loi de modernisation des institutions reconnaît ces dérives et propose d’associer le Parlement à la procédure de nomination.
Les députés ont modifié le dispositif initial afin de confier le soin à la réunion des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée de formuler l’avis sur ces nominations et de donner à une majorité représentant les trois cinquièmes des suffrages exprimés un pouvoir d’opposition dans le cas où la réunion de ces commissions aurait émis un avis négatif.
Cette procédure ne nous semble pas satisfaisante au regard de l’objectif affiché, qui est de renforcer les pouvoirs du Parlement. Elle ne saurait, en effet, garantir l’indépendance et la compétence des personnes auxquelles seraient attribués les postes concernés.
C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, d’adopter une autre procédure.
Nous considérons tout d’abord qu’il est nécessaire d’étendre le champ d’application de la nouvelle procédure à l’ensemble des emplois auxquels nomme le Président de la République, sans faire exception de ceux qui sont mentionnés au troisième alinéa de l’article 13. En effet, au-delà des connivences politiques et du fait que, aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement dispose de l’administration, l’intérêt général conduit toujours à privilégier la compétence et la qualité des personnalités. D’ailleurs, contrairement à ce qui ressort des travaux du comité Balladur, il ne nous semble pas que le fait d’associer le Parlement à la nomination à ces emplois méconnaîtrait l’article 20 de la Constitution.
Ensuite, alors que le projet prévoit deux commissions permanentes et renvoie à une loi simple la détermination des commissions compétentes selon les emplois ou fonctions concernées, nous proposons que les nominations soient soumises à l’avis conforme d’une seule commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement désignés à la proportionnelle des groupes parlementaires. Cette composition assurerait une représentation de l’ensemble des tendances politiques présentes au sein des assemblées parlementaires.
Enfin, l’avis négatif voté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, qui a pour effet d’interdire la nomination et d’obliger le Président à soumettre un autre candidat à l’examen du Parlement, constitue, selon nous, une contrainte excessive et empêche d’atteindre l’objectif recherché, c’est-à-dire le renforcement des droits du Parlement.
À ce titre, l’interprétation faite par M. le rapporteur des conditions qui doivent être réunies pour que le veto s’exerce semble encore diminuer les chances de réalisation d’une telle procédure. Ainsi, nous pouvons lire dans le rapport que « le principe d’un veto mérite d’être conservé et supposerait qu’il ait été exprimé par les trois cinquièmes des suffrages exprimés à la commission du Sénat et à celle de l’Assemblée nationale ». Est-ce à dire qu’il ne suffirait pas qu’une des deux commissions exprime son désaccord ? Nous pouvons le craindre.
Afin d’éviter de conférer un droit au Parlement dont l’exercice serait quasiment impossible, nous souhaitons que le Président ne puisse nommer une personnalité que si sa candidature recueille un avis positif de la commission statuant à la majorité des trois cinquièmes.