M. Adrien Gouteyron. On l’a connue, dans le passé !
M. Robert Badinter. …ou qu’un partage plus avantageux prévaudrait quant à l’ordre du jour.
Quant à l’article 49, alinéa 3, dont on pensait qu’il allait enfin disparaître et qui, s’agissant des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, je le conçois, doit être conservé, on a constaté avec surprise qu’il faisait sa réapparition dans la version qui nous est proposée par la commission des lois sous réserve d’une formalité : le passage devant la conférence des présidents, qui n’est pas un organe constitutionnel.
Je n’ai point vu d’annonce précise s’agissant du changement de la loi électorale.
Quant au changement concernant le Sénat, Bernard Frimat a dit tout à l’heure comment les choses se présentaient : très simplement, par le maintien de la situation actuelle telle qu’elle a été interprétée par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire qu’au lieu de procéder à une constitutionnalisation explicite de la décision du Conseil constitutionnel, comme on a songé à le faire, on préfère plus habilement une constitutionnalisation implicite de cette interprétation, ce qui, en fait, interdit un changement de majorité à distance perceptible.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !
M. Robert Badinter. Rappelez-vous à ce sujet que le pouvoir de révision de notre Constitution passe en réalité par l’accord de la majorité du Sénat, et celle-ci, de ce fait, peut, une fois que ce texte aura été conservé, s’opposer ainsi à toute modification puisqu’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale verrait censurer par le Conseil constitutionnel toute velléité de démocratiser le scrutin.
On ne saurait mieux dire : c’est condamner d’une certaine manière, non pas à perpétuité, mais pendant une très longue période,…
M. David Assouline. C’est une peine de sûreté !
M. Robert Badinter. … l’opposition à demeurer telle et la majorité à conserver son pouvoir au sein de la Haute Assemblée.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Sénat a accepté des réformes constitutionnelles !
M. Robert Badinter. C’est une belle avancée démocratique !
Sur le troisième volet, c'est-à-dire les droits des citoyens, qui doivent avoir une importance particulière dans une telle monocratie car c’est l’un des rares moyens que l’on puisse encore utiliser pour préserver leurs droits fondamentaux, j’aperçois une avancée et je m’en réjouis : il s’agit de l’exception d’inconstitutionnalité.
Les anciens savent que j’ai été le promoteur, l’instigateur de cette exception d’inconstitutionnalité en 1989. J’en avais convaincu – difficilement, je dois le dire – le Président Mitterrand, qui était très attaché à la souveraineté parlementaire mais qui avait tout de même rallié cette conception, et des projets ont été présentés à deux reprises.
Avec le Premier président Pierre Drai et le président Marceau Long, nous avions mis au point le système de filtre qui est proposé aujourd'hui et qui figurait déjà dans ces projets, pour éviter la surcharge et en même temps faire en sorte que l’ensemble du corps judiciaire et du corps administratif puisse ainsi être pénétré de l’importance du respect des principes constitutionnels.
Voici que l’exception d’inconstitutionnalité fait maintenant sa réapparition, et j’espère qu’elle sera votée. Je crois me souvenir – M. le président de la commission des lois doit s’en rappeler – que c’est le Sénat qui avait à deux reprises opposé son veto à une telle proposition.
Regardant la réalité de cette révision, au-delà des proclamations et des annonces, et constatant le grand nombre d’articles de ce texte, je retrouve derrière tout cela le mot sublime de Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit de la vingt-troisième révision de la Constitution en cinquante ans, justifiée par la volonté de rééquilibrer les pouvoirs, nous dit-on, au profit du législatif.
Comme tous les parlementaires, je me réjouis de tout ce qui peut accroître notre influence, surtout lorsqu’il s’agit de mieux contrôler l’action du Gouvernement, de débattre davantage, d’avoir une plus grande marge d’initiative sur le plan législatif et peut-être de prendre davantage en compte, comme le fait le texte, les droits de l’opposition.
Cependant, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, je vais être amené à critiquer l’une des dispositions de ce projet qui me semble dangereuse, et je le regrette : il s’agit de la réforme proposée pour l’article 49, alinéa 3. Cela montre que nous pouvons nous succéder à la tribune et ne pas partager les mêmes analyses : c’est le privilège de la démocratie.
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
M. Josselin de Rohan. La mise en place de cet article, en 1958, visait à remédier aux errements des républiques antérieures. Le but recherché était de conforter la notion de majorité, fondement essentiel du régime parlementaire, et de lutter contre l’instabilité ministérielle.
La Constitution de 1946 disposait que la confiance ne pouvait être refusée au gouvernement qu’à la majorité absolue des députés.
Dans la pratique, les majorités se disloquaient parce que la mise en minorité du gouvernement sur un texte, due le plus souvent à la défection de ses amis ou prétendus tels ou d’une partie des membres de sa coalition, conduisait ce dernier à démissionner sans attendre que la confiance lui fût refusée. Ainsi privait-on l’exécutif des moyens de gouverner sans prendre pour autant directement la responsabilité de sa chute.
C’est sur l’initiative des ministres d’État, Pierre Pflimlin et Guy Mollet, tous deux anciens présidents du Conseil, que les dispositions actuelles de l’article 49, alinéa 3, ont été incluses dans notre Constitution. C’était le fruit de leur expérience parlementaire.
L’objet de l’article 49, alinéa 3, est double.
Il est en premier lieu de contraindre une majorité craintive ou rétive à adopter tout ou partie d’un texte à laquelle elle est opposée, mais que le gouvernement estime indispensable à la poursuite de sa politique.
Il répond, en second lieu, au souci de mettre un terme à une obstruction parlementaire continue, plus connue sous le nom de filibuster, qui retarde le vote de la loi de manière systématique et bloque l’action gouvernementale.
Le Premier ministre nous a dit tout à l’heure que c’est cette forme d’action qui s’était développée, mais le fait qu’elle se soit développée récemment n’enlève rien au problème auquel on doit faire face avec une majorité rétive.
Pour Michel Debré, l’arme de l’article 49, alinéa 3, est l’ultima ratio. Elle ne saurait être utilisée que pour les projets que le gouvernement juge essentiels, et son abus constitue une preuve de faiblesse, car il traduit le manque de confiance de la majorité à l’égard de l’exécutif et il contribue – c’est un fait – à caricaturer et à affaiblir la fonction parlementaire.
La motion de censure constitue, quant à elle, le pendant et la réplique à l’article 49, alinéa 3, car il est normal que l’opposition cherche, même si elle ne parvient pas à renverser le gouvernement, à dénoncer la politique du projet de loi qu’elle réprouve.
Ainsi, chacun est amené à prendre ses responsabilités, la majorité en se solidarisant avec le gouvernement lorsque sa confiance est sollicitée, et l’opposition en témoignant de manière solennelle sa méfiance à l’encontre de ce même gouvernement et en appelant très logiquement à sa démission.
L’utilisation parfois hors de propos de l’article 49, alinéa 3, par certains gouvernements a conduit à la mise en cause du dispositif. Faut-il rappeler, mes chers collègues, que cet article a été invoqué trente-neuf fois entre le 23 juin 1988 et le 3 avril 1993, dont vingt-huit fois par le gouvernement de Michel Rocard ?
Quelle innovation nous propose-t-on pour cet article ? Un encadrement, en limitant le recours à ce dernier pour les seuls projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale et en restreignant son usage pour un seul autre texte par session ou à un texte au cours d’une session extraordinaire.
Les restrictions apportées par la nouvelle rédaction de l’article 49, alinéa 3, sont dangereuses pour le Gouvernement. L’impact de cet article procède de sa capacité dissuasive.
M. David Assouline. C’est bien, alors !
M. Josselin de Rohan. Or, comme l’a dit tout à l’heure M. Jean-Pierre Raffarin, une arme qui ne peut servir qu’une fois est à l’avenir dépourvue de crédibilité.
De plus, nous travaillons avec le postulat que nous aurons toujours une majorité parlementaire. Or l’expérience nous montre que cette garantie n’existe pas pour la nuit des temps. En 1967, la majorité parlementaire n’a tenu qu’à une voix. En 1988, elle était très mince. Pour peu que soit un jour réintroduite, comme en 1986, la représentation proportionnelle rêvée par certains, on assistera inévitablement au retour des majorités improbables, des alliances douteuses et des coalitions instables.
Prises isolément, les mesures adoptées accordant aux assemblées une plus grande maîtrise de l’ordre du jour ainsi que la délibération en séance plénière du texte issu des travaux de la commission ne sont pas en elles-mêmes dangereuses ; mais conjuguées à la limitation de l’article 49, alinéa 3, elles peuvent conduire une majorité frileuse ou frondeuse à paralyser durablement l’exécutif.
Le gouvernement, placé dans une situation où il n’a pas la majorité, devra négocier l’inscription de ses projets à l’ordre du jour, l’adoption de ses amendements en séance plénière et compter, sinon avec l’obstruction, du moins avec un combat retardateur de sa majorité, d’autant plus soutenu que le recours à l’article 49, alinéa 3, aura été épuisé en une seule fois, au cours d’une session qui dure sept mois. L’issue de ce combat ne fait aucun doute : c’est l’inertie, l’attentisme et l’inaction qui guettent un gouvernement étrillé avec, en prime, le discrédit.
Les rédacteurs du projet de loi, en proposant que le recours à la motion de confiance ne puisse porter que sur un seul texte, non financier, ont tenté de désamorcer la critique, mais il ne s’agit que d’une demi-mesure. Le véritable débat, c’est de savoir s’il faut maintenir ou supprimer l’article 49, alinéa 3 ; ce n’est pas de le rafistoler.
L’amendement de la commission des lois rétablit l’article dans sa rédaction originelle, assorti d’une consultation de la conférence des présidents. Je le voterai en souhaitant que cette rédaction ne fasse pas les frais d’un compromis ultérieur, bien que je sois sans trop d’illusion sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État.
Il paraît que, dans d’autres enceintes, d’aucuns s’étonneraient que le Sénat puisse émettre une opinion sur cette question au motif qu’il n’est pas directement intéressé par cette disposition.
Ainsi, en tant que Français, j’ai le droit d’avoir une opinion sur l’article 49, alinéa 3, mais cela m’est dénié en tant que parlementaire et en tant que sénateur !
Je prétends que cette affaire intéresse le Parlement dans son ensemble, car il s’agit de l’équilibre des pouvoirs. Aucune des dispositions du projet de loi constitutionnelle ne doit nous être étrangère.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous sommes une assemblée constituante !
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Mes chers collègues, avant de nous prononcer sur la réforme qui nous est présentée, je citerai le général de Gaulle évoquant le gouvernement dans la Constitution de 1946 : il disait n’y avoir vu figurer ni le mot ni la chose. Je souhaite, quant à moi, non seulement que l’on conserve le mot, mais encore que l’on n’altère pas la chose.
Au moment où j’approche de mon soir, je ne veux pas revoir les temps de ma jeunesse où la République était impuissante, absente et discréditée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jean Arthuis et Michel Mercier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce n’est pas parce qu’il prend la forme de dispositions multiples, et apparemment disparates – M. Alfonsi a parlé tout à l'heure de projet « fourre-tout », voire « baroque », mais le baroque n’est-il pas un grand style architectural digne de respect et de considération ? –, que le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République manque de cohérence.
Il est en réalité, vous le savez bien, mes chers collègues, profondément cohérent dans sa démarche, qui tend, il faut le répéter, à rééquilibrer notre démocratie en faveur du Parlement, et sur certains points, plus exploratoires peut-être – mais il faut vivre avec son temps –, en faveur des citoyens eux-mêmes.
Ce n’est pas parce que ce texte fournit une fois de plus l’occasion d’engager des confrontations entre la droite et la gauche et de susciter des réactions contradictoires, qui unissent en réalité dans un même combat conservateur l’inquiétude quelque peu fétichiste des uns et la surenchère des autres, qu’il nous faut perdre de vue qu’il s’agit non pas d’une réforme parmi d’autres, mais d’une occasion unique et, disons-le, inespérée d’opérer une mutation profonde de notre régime politique, de réanimer ce dernier après une trop longue période d’enlisement ayant débouché, comme souvent dans notre histoire, sur l’impuissance des pouvoirs publics face aux manifestations de rues : rappelez-vous ces dernières, il n’y a pas si longtemps, remplaçant une opposition inexistante et élevées à la dignité de contre-pouvoirs, en dépit de leur caractère partiel et irresponsable. Jean Giraudoux déjà avait écrit De pleins pouvoirs à sans pouvoirs !
Saluons donc cette entreprise qui apportera peut-être – admettons-le et faisons confiance à l’avenir – aux institutions de la Ve République le tempérament qui leur manque depuis le profond bouleversement de l’élection du Président de la République au suffrage universel.
Je n’ai pas besoin d’évoquer, à mon tour, les conséquences profondes que ce phénomène a eu sur notre vie politique, aboutissant, année après année, élection après élection, à un certain affaissement ou, en tout cas, à un découragement du pouvoir du Parlement, dont l’absentéisme est le signe le plus visible et, quelquefois, le plus affligeant. Nous en avons eu la preuve voilà quelques jours encore !
Tout en saluant la démarche entreprise et en nous efforçant de la rendre efficace, grâce notamment aux mesures évoquées tout à l'heure par M. Mercier et auxquelles le groupe de l’UC-UDF attache une grande importance, est-il permis de douter que cette réforme suffise à désenliser notre vie publique, …
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Pierre Fauchon. … alors qu’elle n’ose s’attaquer à l’épineuse question du cumul des mandats, dont personne ne parle beaucoup ces temps-ci ?
M. Jean-Pierre Bel. Mais si !
M. Jean-Louis Carrère. Le suffrage universel la règle !
M. Pierre Fauchon. Je vous remercie, cher ami ! Je constate une fois de plus notre convergence de vues !
Non pas que ces mesures soient mineures et ne sauraient peser dans la balance, si je puis dire, mais il me semble que l’on a cédé tout à l'heure à la polémique en parlant de « pschitt », certes de manière peut-être oratoire. Le poids de nos habitudes et de nos routines risque en effet d’être plus grand encore. La vérité, disons-le, c’est que nul ne sait d’avance ce que donne telle ou telle réforme, car nul n’est prophète en ce domaine.
Je me souviens – j’étais alors au cabinet de Jean Lecanuet, alors garde des sceaux – de la réforme engagée par le Président Valéry Giscard d’Estaing permettant à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, réforme qui a suscité à l’époque le scepticisme général au sein des milieux politiques. Or voyez le chemin parcouru et la profonde transformation opérée !
Dans cette perspective, je m’interroge sur le point de savoir si une mesure plus radicale, plus clarificatrice et plus mobilisatrice ne serait pas la bienvenue. Vous l’aurez deviné, je pense, rejoignant M. Baylet, au régime présidentiel pur et simple – pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom et revenir à un schéma qui porte en lui une si grande évidence ?
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Fauchon. La présente réforme nous en rapproche sensiblement, mes chers collègues, sans oser franchir l’étape décisive, comme le montre le débat autour de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, une étape dont le Premier ministre ne nous a pas caché tout à l'heure qu’elle aurait eu sa préférence.
M. Gérard Delfau. Oui !
M. Pierre Fauchon. Est-il permis d’évoquer les avantages que présenterait une telle solution, qui supprimerait la pseudo-responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, qui n’est en réalité que la garantie de l’affaiblissement du Parlement, voire quelquefois d’une sorte de démission silencieuse de ce dernier ?
Une telle mesure ne changerait guère la vie publique de l’exécutif, telle qu’elle a été établie avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’enchaînement des élections, car tout fonctionne efficacement.
En revanche, en affranchissant le Parlement, c’est-à-dire en lui faisant confiance – la confiance est beaucoup plus féconde que la simple loyauté, qui présente un caractère assez passif –, celui-ci retrouverait la capacité et le goût d’assurer d’une manière plus créative ses responsabilités. Cette mesure permettrait de rendre l’Assemblée nationale plus représentative du pluralisme français, puisque l’on n’aurait plus le souci de la voir se constituer en une majorité compacte. Plus profondément, en allégeant dans nos débats le poids des clivages partisans, on éviterait des affrontements souvent stériles, dont nous ne sommes pas particulièrement fiers, les remplacant par des majorités d’idées qui répondent, avouons-le, tellement mieux aux problèmes de notre temps.
De bons esprits s’inquiéteront des risques de blocage d’un tel système, car, compte tenu de notre tempérament, le goût de la confrontation l’emporte souvent, à tout le moins quelquefois, sur celui de la composition. Aussi nous faudrait-il envisager l’hypothèse d’un Président ne parvenant pas à faire voter des lois nécessaires ou devant subir de la part du Parlement des lois qui lui paraîtraient dangereuses. Au-delà du fameux principe des checks and balances américain, qui correspond à une situation totalement différente, à un modus vivendi et à des traditions, il nous faut imaginer une solution plus efficace qui nous permettrait de parler d’un régime présidentiel « à la française ». Mais je reviendrai sur ce sujet lors de l’examen des articles.
Dans cet esprit, mes chers collègues, avec quelques amis du groupe de l’UC-UDF, nous vous soumettrons des amendements dans l’espoir sinon de bousculer l’ordre des choses dans l’immédiat, du moins d’enrichir le débat et de l’élever au-dessus des questions particulières – ce ne sera peut-être pas un mal ! – dans lesquelles il pourrait s’enliser au fil des jours et des nuits, dans la perspective d’une étape ultime qui mettrait fin à la confusion paralysante que nous connaissons…
M. Pierre Fauchon. …et dont la présente réforme, si bienvenue soit-elle, aura quelque mal à nous faire sortir. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 octobre prochain, la Constitution de la Ve République aura cinquante ans. Certes, ce point a déjà été souligné mais, en ce jour, il faut le répéter.
Mis à part les lois constitutionnelles de la IIIe République, la Constitution de 1958 bat le record de longévité des quinze constitutions que la France a connues depuis 1789. Qu’on le veuille ou non, les institutions qu’elle a instaurées ont au moins eu le mérite de s’être adaptées sans heurt majeur aux contextes politiques et sociaux très différents qui se sont succédé au cours de ce demi-siècle. Elles auront survécu à vingt-trois modifications constitutionnelles et même permis, à trois reprises, la cohabitation d’un président et d’un Premier ministre de bords politiques opposés.
Je m’associe pleinement aux hommages rendus au général de Gaulle et à François Mitterrand, le premier pour avoir été le fondateur de cette Constitution, le second pour l’avoir maintenue.
Pourquoi réformer cette Constitution une nouvelle fois ?
À l’évidence, une réforme de la Constitution ne peut répondre à elle seule à la crise persistante du politique qui sévit depuis des années en France, ainsi qu’en Europe d’ailleurs. Elle peut toutefois y contribuer. C’est pourquoi les socialistes ne sont pas hostiles à cette démarche, loin de là. Ils la jugent même nécessaire aujourd’hui. Toutefois, ils ne veulent pas du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République dont nous débattons cet après-midi, et qui est loin de faire l’unanimité au sein même de la majorité !
Avant moi, Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et Robert Badinter ont déjà exposé les principales raisons de l’opposition des parlementaires socialistes au projet qui nous est soumis.
Pour ma part, j’insisterai plus particulièrement sur deux aspects essentiels à mes yeux, à savoir le renforcement, au détour de l’article 7 du texte, de la présidentialisation du régime institutionnel français et la question du Sénat, qui nous concerne.
La révision constitutionnelle de 1962, qui a instauré l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, a bien sûr conféré un tour présidentialiste à nos institutions, même si la caractéristique d’un régime parlementaire, à savoir la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, est maintenue.
L’émergence du fait majoritaire, puis, en 2000, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont encore accentué la prééminence du Président de la République, qui cumule les prérogatives d’un Premier ministre parlementaire et d’un président élu. De grâce, mes chers collègues, n’allons pas plus loin !
Or, l’article 7 du projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été adopté par la majorité de l’Assemblée nationale et qui modifie l’article 23 de la Constitution, sous un aspect que certains peuvent juger anodin, pose en fait la question de la nature même de notre régime institutionnel. Cet article prévoit que le Président de la République « peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote ».
Ne nous y trompons pas, cette disposition, nouvelle dans notre Constitution, symbolise une évolution vers un régime présidentiel, et donc une personnalisation du pouvoir que l’actuel Président de la République appelle sans doute de ses vœux et qu’il met d’ailleurs déjà en pratique. (Sourires.)
Je sais que, à droite comme à gauche, certains sont favorables à un « présidentialisme à la française ». Pour ma part, j’y suis opposé, comme la majorité des socialistes. C’est la raison pour laquelle nous défendrons tout à l’heure, comme l’ont fait les députés socialistes, un amendement de suppression de l’article 7 du projet.
En effet, le régime présidentiel ne correspond ni à l’histoire politique de notre pays, ni au souhait des Français qui se souviennent – en tout cas ceux qui aiment l’histoire – que la seule expérience de régime présidentiel que la France ait connue, de 1848 à 1851, sous la IIIe République, a abouti au coup d’État du 2 décembre 1851 et à l’instauration du second Empire. Et je ne parle pas des pleins pouvoirs accordés à Pétain qui ont mis fin au régime parlementaire car, là, nous sommes hors norme, hélas !
Enfin, la tradition républicaine française ne permet pas d’importer un système à l’américaine, dont les règles d’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, comme l’organisation de la vie politique, sont très différentes des nôtres.
Dès lors, qu’apporterait la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en congrès ? Nicolas Sarkozy explique que, « puisque le Président gouverne, il doit être responsable ». Certes, mais devant qui ? Dans la mesure où le Gouvernement a renoncé à faire du chef de l’État le chef de l’exécutif en ne modifiant pas l’article 20 de la Constitution, cette venue n’a pas de sens. Il ne peut pas être responsable devant le Parlement, alors que lui-même est doté de la même légitimité que celle des parlementaires, celle du suffrage universel direct. Aucune des deux légitimités ne pouvant être supérieure à l’autre, le Président de la République ne peut être responsable que devant les seuls électeurs !
Cette prise de parole du Président devant le Congrès ne ferait qu’ajouter à la confusion entre les deux têtes de l’exécutif, dont les rapports sont parfois difficiles, voire signerait la fin de la fonction de Premier ministre telle qu’elle est conçue dans la Constitution. Cette dualité n’a finalement pas si mal marché depuis cinquante ans. Personnellement, je ne m’en plains pas pour la part que j’y ai prise, dans une harmonie que l’on a d’ailleurs souvent soulignée entre le Président et le Premier ministre. Ce qu’en pense le Premier ministre actuel, je ne le sais pas. Peut-être nous fera-t-il un jour des confidences ? Quoi qu’il en soit, nous devons conserver cette dualité.
La répartition des rôles entre le Premier ministre et le Président de la République a incontestablement permis une souplesse de fonctionnement, le plus souvent favorable au Président, qui tire sa force de la fonction d’arbitre que lui confie l’article 5 de la Constitution et qui le place au-dessus des contingences politiciennes. À lui de garder la force et la sagesse de cette fonction d’arbitre. Pourquoi aller plus loin ?
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : je suis, avec beaucoup, un partisan convaincu du régime parlementaire. Dans ce cadre, je me suis prononcé à de nombreuses reprises, d’abord devant la commission Vedel voilà maintenant quelques années, en faveur d’un Président de la République élu pour un mandat de sept ans non renouvelable. Mais je suis réaliste ; le temps a passé et l’on ne reviendra pas sur le quinquennat.
Dès lors, il me semble qu’il faut prendre notre système tel qu’il est. Ne nous mettons pas tous à rêver !
M. Jean-Louis Carrère. C’est sûr !
M. Pierre Mauroy. Prenons notre système tel qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses, et, au contraire de ce que l’on nous propose, renforçons l’aspect parlementaire. Si réforme de la Constitution il doit y avoir, j’ai la conviction que l’urgence porte aujourd’hui sur le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Tout le monde l’affirme, mais faisons-le et faisons-le vraiment ! Donnons au Parlement français une place comparable à celle dont disposent les parlements dans les grandes démocraties européennes de type parlementaire et, finalement, établissons un véritable équilibre !
J’en viens à une autre question qui nous touche et qui me touche particulièrement – combien de fois d’ailleurs l’ai-je abordée à cette tribune ! –, la question du Sénat.
La réforme proposée contient, certes, quelques avancées qui ont été évoquées au cours de ce débat, mais elles sont largement en deçà de ce que l’on pouvait attendre. En outre, certaines d’entre elles ne laissent pas d’être inquiétantes. L’article 18 du texte, par exemple, peut être interprété comme rendant possible une restriction du droit d’amendement des parlementaires.