Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la ministre, dans votre exposé liminaire, vous avez par deux fois fait référence à la présidence française de l’Union, qui débute le 1er juillet prochain. Il est vrai que les dossiers qui sont sur la table sont lourds et que, compte tenu de l’état de nos finances publiques, nous n’abordons pas forcément cette présidence dans les meilleures conditions. En tout cas, elle nous donne l’occasion de faire avancer notre droit, notamment sous l’angle de la cohérence avec le marché intérieur, et c’est bien ce à quoi tend le présent projet de loi.
En effet, l’adaptation au droit communautaire qui nous est proposée ce soir touche au droit des sociétés, domaine où la prégnance communautaire est forte depuis de nombreuses années.
Trop souvent, la transposition des directives et règlements en la matière nous aligne sur des références extra-européennes qui peuvent fragiliser nos sociétés et les exposer à des prises de contrôle inamicales, alors que les règles de réciprocité ne jouent pas. Tel n’est pas le cas avec les dispositions qui nous sont aujourd'hui soumises.
Mon collègue Richard Yung, membre de l’honorable commission des lois, n’était pas certain de pouvoir être présent aujourd’hui – il nous rejoindra peut-être tout à l'heure – et c’est ainsi que vous « héritez », madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de la contribution d’une modeste commissaire aux finances. (Sourires.)
Cela étant, pour avoir examiné et apprécié l’important travail du rapporteur et de la commission des lois, j’ai pu constater que, par certains aspects, leurs préoccupations n’étaient guère éloignées de celles de la commission des finances.
Mais ne voulant pas vous laisser plus longtemps dans l’insoutenable attente de la position du groupe socialiste (Nouveaux sourires), j’indique immédiatement que celui-ci est a priori favorable à l’adoption de ce texte, et cela pour quatre raisons.
Premièrement, il améliore certains dispositifs relatifs à la société européenne, dont la création, en 2001, a marqué « une avancée spectaculaire », comme le souligne fort justement M. le rapporteur. Cette création aurait dû logiquement entraîner des opérations de fusion transfrontalières. Or, on le sait, les obstacles n’ont pas été surmontés. L’un des enjeux du projet de loi est précisément de les lever.
Deuxièmement, avec ce texte, ces opérations bénéficieront d’un cadre communautaire spécifique, qui devrait permettre de supprimer les obstacles juridiques subsistant du fait de la disparité des droits nationaux, et je pense ici notamment au droit allemand. C’est certainement un facteur qui jouera en faveur de la compétitivité de nos entreprises. En effet, je le rappelle, l’Allemagne, notre principal partenaire commercial, a fait, sur l’initiative du Chancelier Schroeder et de sa majorité, un effort considérable en matière de compétitivité, effort qui lui permet aujourd’hui d’être bien mieux que nous orientée vers la demande des pays émergents.
Il est intéressant de prendre la mesure de l’obstacle principal qu’il fallait surmonter du point de vue de l’Allemagne, mais aussi des Pays-Bas et de la Suède. Ces pays disposent d’un système de participation des salariés qu’ils ne voulaient pas voir sacrifier au travers de ces fusions. M. Jacques Gautier a été particulièrement bien inspiré de rappeler cet aspect dans son rapport écrit.
C’est, du reste, ce que nous avions constaté avec nos collègues Philippe Marini et Christian Gaudin, en janvier 2007, lors d’une mission que nous avions effectuée dans ces pays et qui nous avait conduits, dans le rapport intitulé « La bataille des centres de décision », à préconiser le renforcement de la participation des salariés aux conseils d’administration et aux conseils de surveillance, ainsi que le renforcement de leur droit à consultation préalable pour obtenir des initiateurs d’offres publiques qu’ils explicitent leurs intentions industrielles, tout en facilitant l’exercice de ce droit par les comités de groupe.
Il est regrettable qu’en France cette « partie prenante » que constituent les salariés et leurs organisations représentatives ne soit pas prise en compte en amont des fusions, des acquisitions et de toutes autres opérations qui affectent la bonne marche des entreprises. Au moins peut-on espérer que la fusion transfrontalière bénéficiera aux salariés du côté français par la négociation prévue par la directive. Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, nos collègues députés y ont été attentifs.
Troisièmement, l’adaptation très tardive – trop tardive ! – du règlement du 22 juillet 2003, qui permet d’accueillir la société coopérative européenne est, à mes yeux, une réelle avancée compte tenu du poids économique que représentent les coopératives en Europe. Les coopératives installées sur notre sol ne peuvent qu’y gagner.
D’une manière générale, la singularité du statut coopératif est un atout dans un monde dominé par la finance et où une part trop belle est faite à la rentabilité à court terme, déconnectée de l’économie réelle.
Quatrièmement, au moment où se tiennent des assemblées générales d’actionnaires parfois très houleuses, notamment lorsqu’il s’agit des indemnités généreuses dont se gratifient certains dirigeants, sans rapport avec les résultats de l’entreprise, la transposition de la directive du 14 juin 2006 introduit dans le code de commerce des améliorations quant à l’information des actionnaires sur le gouvernement d’entreprise.
Bien que je croie beaucoup moins aux codes de bonne conduite qu’aux obligations législatives ou réglementaires, je pense que les dispositions transposées augmentent la transparence, notamment sur les opérations hors bilan. La crise financière que nous vivons nous a révélé qu’elles pouvaient être très dangereuses puisque c’est là que se dissimulent les origines de la fameuse crise des subprimes.
Les amendements proposés par la commission des lois et visant à l’effectivité de la loi n’appellent pas de remarques particulières.
Mes réserves portent plutôt sur les amendements de simplification, notamment au sujet du rapport sur le gouvernement d’entreprise : les modalités de participation des actionnaires aux assemblées générales seraient renvoyées aux dispositions des sociétés qui le prévoient. Le risque est, à mes yeux, d’affaiblir la portée de la directive à cet égard.
Toutefois, cette réserve n’affecte pas l’intérêt global de ces adaptations, qui, je le répète, sont cohérentes avec le choix du marché intérieur.
Bien sûr, il serait encore préférable d’avoir, à l’échelle européenne, des politiques communes visant à une croissance durable, porteuse d’emplois, et de bons emplois. Toutefois, je le reconnais, c’est un autre débat, que nous aurons à un moment ou à un autre. (M. le rapporteur ainsi que MM. Jean-Pierre Vial et Bernard Barraux applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où les marchés économiques sont mondialisés, interdépendants, tout en étant le théâtre d’une compétition permanente, la survie et le développement des entreprises françaises passent nécessairement par leur capacité à anticiper, à s’adapter à des contextes fluctuants.
Pour permettre à nos entreprises de relever ces nouveaux défis, nous devons leur donner les instruments juridiques les plus efficaces afin qu’elles puissent lutter à armes égales avec leurs concurrentes.
Le droit français des sociétés, malgré une constante évolution qui nuisait parfois à sa lisibilité, conservait encore un caractère fortement national, et la persistance d’incertitudes juridiques pouvait constituer un obstacle à la réactivité qui doit être celle des entreprises si elles veulent être compétitives, voire un frein à leur développement.
Notre droit des sociétés devait donc être amélioré par un alignement progressif sur les normes européennes.
C’est l’objet du texte que vous nous présentez aujourd’hui, madame la ministre, texte qui opère cette nécessaire modernisation en transposant fort judicieusement plusieurs directives communautaires.
Je tiens d’ailleurs à saluer, madame la ministre, le formidable travail accompli par le Gouvernement et sa majorité, qui a permis de transposer la quasi-totalité des directives européennes prises au cours du premier semestre de 2007. À la veille de la présidence française de l’Union européenne, c’est assurément un signal fort envoyé à la Commission et à nos partenaires européens.
C’est d’ailleurs ce mot, « partenaires », qui oriente et guide l’esprit du texte que nous examinons ce soir. Le partenariat européen trouve désormais une traduction économique grâce aux dispositions simplifiant les fusions transfrontalières.
Comme notre rapporteur, Jacques Gautier, l’a bien montré, la transposition de la directive du 26 octobre 2005, en combinant des règles de conflit de lois et des règles matérielles harmonisées, va permettre une sécurisation – par les garanties conférées aux administrateurs – et une transparence – par le contrôle du procureur de la République – de ces opérations si précieuses, en particulier dans les zones frontalières.
Le partenariat se matérialise également dans le texte par le nouveau statut ouvert aux sociétés coopératives françaises, celui de société coopérative européenne, qui va permettre à nos entrepreneurs individuels et à des petites et moyennes entreprises de se fédérer tout en restant indépendantes : elles seront ainsi reconnues dans l’ensemble des États de l’Union et pourront y développer facilement leur activité.
Bien sûr, ce texte ne règle pas tout : il appelle d’autres ajustements, afin que se poursuive la modernisation de la vie des entreprises. Je sais, madame la ministre, que vous comptez mettre à profit la présidence française de l’Union européenne pour étudier de nouvelles améliorations ; je pense notamment ici à la société privée européenne, qui permettra d’offrir à nos PME un cadre juridique commun, reconnu dans toute l’Europe.
En tout état de cause, le présent texte, qui satisfait pleinement aux nécessaires exigences de compétitivité, de transparence et de sécurisation, représente une étape essentielle de la modernisation de la vie économique.
Madame la ministre, ce soir, j’ai particulièrement envie de vous féliciter pour ce projet de loi.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Catherine Dumas. Le groupe UMP votera ce texte, qui constitue indéniablement un atout supplémentaire pour nos entreprises. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition, via la transposition de deux directives européennes, de faciliter la réorganisation des opérations des sociétés dont l’activité est transnationale.
Avant de traiter du fond, je voudrais faire un bref détour par la forme : je me permets de vous rappeler que le projet de loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, qui a transposé en droit français le régime juridique de la société européenne, en application des règlements et de la directive du 8 octobre 2001, avait été examiné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée.
Or, dans le cas présent, la commission des affaires économiques n’a pas jugé pertinent de se saisir, au moins pour avis, d’un texte qui n’est que le prolongement de cette loi de juillet 2005, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les fusions transfrontalières et les sociétés coopératives européennes. (M. le président de la commission des lois manifeste son désaccord.)
De même, compte tenu des conséquences des dispositions relatives à la représentation des salariés dans les sociétés issues des fusions, il aurait été opportun que la commission des affaires sociales fût également consultée.
Il nous paraît incohérent qu’il n’y ait pas eu, sur ce texte, de collaboration active entre les trois commissions et que seule la commission des lois soit saisie.
Par ailleurs, l’urgence a été déclarée sur ce texte le jour même où il a été débattu à l’Assemblée nationale, et sans motif valable – mais c’est devenu une habitude ! Cette double contrainte sur le travail des parlementaires nous est intolérable, d’autant plus que le Président de la République déclare partout vouloir renforcer le pouvoir des assemblées.
M. Charles Revet. Cela va se faire !
M. Guy Fischer. On verra !
Mme Josiane Mathon-Poinat. J’en viens au fond.
Nous l’avons souvent dit ici, la construction européenne favorise largement, à notre sens, les intérêts capitalistes, bien souvent au détriment des citoyens, dont les droits sociaux et politiques sont négligés, voire ignorés.
Mais ce n’est pas votre avis, madame la garde des sceaux, puisque vous avez déclaré : « Les hommes, les idées et les biens circulent librement au sein de l’Union européenne. La contrainte des frontières n’existe plus. Le droit des sociétés reste, en revanche, encore trop enfermé dans le cadre national. » Et les propos que vous avez tenus ce soir s’inscrivent dans cette ligne.
De l’échec du référendum sur la Constitution européenne aux mobilisations contre l’adoption du « traité simplifié », des sondages exprimant l’insatisfaction des Européens vis-à-vis des institutions aux mobilisations contre une Europe trop libérale – ou libérale tout court ! –, tous les indicateurs sociaux et politiques laissent penser le contraire de ce que vous avancez, avec ce qui nous apparaît comme de la fausse naïveté.
Ce texte ne déroge pas à la règle. Afin de pouvoir concurrencer comme il convient les grandes entreprises de par le monde, le Gouvernement présente ici un projet de loi qui transpose la directive du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux au sein de l’Union européenne et la directive du 14 juin 2006 modifiant des directives comptables, qui adapte notre législation en matière de société coopérative européenne.
En matière d’opérations transfrontalières, si la société européenne permet déjà d’en réaliser, il reste que, selon le Gouvernement, elles sont à la fois trop complexes du point de vue juridique et trop coûteuses.
Cela nous amène à formuler plusieurs remarques.
En premier lieu, ce projet de loi est de nature à favoriser l’émergence de véritables trusts. En effet, il intéresse principalement les sociétés qui sont déjà en capacité de fusionner et, de ce fait, encourage les mouvements de concentration d’entreprises auxquels nous assistons d’ailleurs déjà aujourd’hui, et qui ne sont pas en voie d’extinction au vu des textes que nous votons, car ils ne font qu’en faciliter la pratique.
Ainsi, l’élargissement à toutes les formes de sociétés commerciales, dont la société à responsabilité limitée, et le versement d’une soulte éventuellement due après échange de titres supérieurs à 10 %, quelle que soit la nationalité de la société, illustrent bien la possibilité de concentration en permettant la fusion entre sociétés d’importance très inégale.
Les conséquences sur les salariés, notamment dans le cadre des fusions-absorptions, seront, il faut le souligner, catastrophiques. En effet, ces concentrations et ces fusions d’entreprises au niveau européen sont, de manière quasi systématique, le corollaire des délocalisations et du dumping social.
Ce projet de loi n’a donc d’autre objectif que de favoriser les trusts au détriment, bien évidemment, des petites entreprises.
En second lieu, si ce projet de loi a pour objet de transposer des directives favorables aux fusions transfrontalières, et donc aux entreprises susceptibles de procéder à de telles opérations, il ne prévoit rien en matière d’harmonisation européenne des bases de l’impôt sur les sociétés. Il nous semble que le complément indispensable de la société européenne aurait dû être une coordination des régimes fiscaux ainsi qu’une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
Le fait que ces sociétés soient soumises à des normes comptables harmonisées, alors que les normes fiscales sont fragmentées et le plus souvent opaques, en dit long sur la philosophie de ce texte !
Sans harmonisation fiscale cohérente, un tel texte ne fera qu’encourager une concurrence malsaine et entraînera un risque de fuites fiscales, par le biais du choix de la forme de la société.
Il est vrai que, dans certains États de l’Union, le régime fiscal est beaucoup plus intéressant que dans d’autres. Or la mobilité rendue possible par les statuts de la société européenne permet à de nombreuses entreprises de s’immatriculer dans un autre État, l’Irlande, le Royaume-Uni, le Luxembourg, les Pays-Bas ou le Danemark, autant de pays où les régimes fiscaux, s’ils sont beaucoup plus intéressants pour les entreprises, sont aussi parfois beaucoup plus opaques.
Il conviendrait donc, plutôt que de continuer à favoriser l’évasion fiscale intracommunautaire, puisque l’Union abrite de véritables paradis fiscaux, de travailler dans le sens d’une harmonisation de la fiscalité, gage de sécurité pour l’économie et l’emploi au sein des entreprises européennes.
Ce texte met ainsi en place un beau montage juridique en faveur des sociétés, mais totalement en défaveur des salariés, malgré les quelques gages qu’il contient. En effet, dans le meilleur des cas, il y aura négociation entre les dirigeants de la société issue de la fusion et les représentants des salariés, via la création d’un « groupe spécial de négociation ». Mais rien n’assure une réelle protection de ces salariés, tant il est vrai qu’il n’existe aucune harmonisation claire de leurs statuts dans les sociétés nationales, dans les sociétés européennes et dans les sociétés issues de fusions transnationales.
Enfin, un amendement de la majorité a rendu optionnelle la constitution de ce groupe spécial de négociation avec les salariés. C’est ainsi que la négociation ne serait plus nécessaire dès lors que la représentation des salariés s’alignerait sur le régime dit « le plus favorable » en vigueur au sein des sociétés fusionnantes. Vues comme une perte de temps, ces négociations nous semblent pourtant importantes, voire indispensables, quelle que soit la situation.
Plus grave encore : le projet de loi prévoit même que la société issue d’une fusion transfrontalière ne sera pas tenue d’instituer des règles relatives à la participation des salariés si, à la date de son immatriculation, aucune société partie à la fusion n’en prévoyait. En d’autres termes, une telle société ne sera pas obligée d’instaurer, par exemple, un comité d’entreprise, ce qui revient à nier les avancées de notre droit du travail en matière de représentation des salariés.
Enfin, s’agissant de la partie relative aux sociétés coopératives européennes, un problème spécifique se pose pour les sociétés coopératives ouvrières de production, les SCOP.
Le texte que nous examinons ce soir se situe dans le prolongement de la loi du 30 janvier 2008 relative aux sociétés coopératives européennes, qui a finalement vocation à les faire entrer dans le moule des sociétés coopératives européennes, en niant leur spécificité liée à leur gestion par les salariés ; c’est là un élément que nous avions déjà dénoncé en octobre dernier.
On peut donc regretter que le présent projet de loi ne prenne pas la pleine mesure des spécificités des SCOP, notamment en matière de participation des salariés à la gestion même de l’entreprise.
En définitive, ce texte instaure un cadre favorisant toute évolution de nature à faciliter les phénomènes de concentration ou de répartition spatiale des activités à l’échelon européen. Aujourd’hui déjà, dans de nombreuses entreprises, les plans sociaux annoncés comme des appels aux sacrifices salariaux ont pour origine un projet de délocalisation.
Après le textile-habillement, l’automobile, l’assemblage des ordinateurs et les logiciels, ce sont des secteurs importants de la métallurgie tels que la plasturgie, la mécanique, les équipements de la personne et de la maison, mais aussi certains services, qui sont en cause.
Un formidable chantage se développe pour faire accepter les suppressions d’emplois, les fermetures de sites, de lignes de production ou de centres de recherche, le gel ou la diminution des salaires, l’augmentation du temps de travail et l’aggravation de son intensité. Dans bien des cas, il s’agit de remettre en cause, sans contrepartie, la durée du travail, en utilisant le chantage à la délocalisation dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne, et toute production délocalisable est menacée.
Grâce au présent projet de loi, les firmes pourront pratiquer à loisir la mise en concurrence des salariés en Europe. En quelques années, le paysage économique de l’Europe a ainsi été totalement redéfini par une division sociale et territoriale du travail, de nombreuses activités ayant été déplacées vers les nouveaux entrants, qui sont également des pays à bas coûts salariaux.
Certains – je les entends déjà ! – rétorqueront que cela permet à ces nouveaux membres de se développer ; c’est totalement faux ! L’exemple de l’entreprise Renault est suffisamment parlant : l’entreprise a, il y a quelques années, délocalisé une partie de sa production en Roumanie, mais, maintenant que les ouvriers roumains demandent une augmentation de leurs salaires, elle menace de se délocaliser dans un autre pays !
En fait, un tel texte ne fera que favoriser l’implantation d’entreprises dans des États à la fiscalité attractive et avec un faible niveau de protection sociale, et ce au détriment non seulement des salariés français, mais aussi des salariés des pays qui accueilleront ces entreprises.
Parce que ce projet de loi ne contribue pas à la construction d’une Europe démocratique et sociale, mais ne fait qu’encourager le dumping social sur un marché transnational, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici saisis d’un nouveau texte d’adaptation du droit interne au droit communautaire. Un de plus, seraient tentés de dire certains, tant il est vrai que, ces derniers temps, de telles transpositions ont occupé une part substantielle de l’agenda parlementaire.
Nous pouvons, certes, nous en féliciter, même si c’est aussi la preuve – en était-il encore besoin ? – qu’en matière de transposition la France a peu de leçons à donner à ses partenaires européens. En vérité, le fait que notre pays montre si peu d’empressement à se conformer au droit communautaire me semble bien regrettable.
Sur les quatre textes dont le présent projet de loi assure la transposition en droit interne, trois auraient déjà dû faire l’objet de mesures législatives depuis longtemps. Il s’agit là d’un ratio qui, vous en conviendrez, n’est pas flatteur.
Tout en formulant ce regret, je me félicite que l’approche de la présidence française de l’Union nous donne une excellente occasion de nous rattraper.
Je souhaite aussi que le zèle dont nous faisons preuve actuellement ne soit pas exclusivement conjoncturel, car, si nous n’accompagnons pas correctement l’intégration juridique communautaire, nous risquons de perdre la main dans l’élaboration même de la norme communautaire.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui est d’autant plus emblématique de cette nécessité d’être plus réactifs dans l’adaptation de notre droit qu’il porte sur une matière qui touche aux fondements de l’Union européenne : le droit des sociétés.
En effet, comme le faisait fort justement remarquer notre rapporteur, Jacques Gautier, le droit des sociétés constitue un domaine dans lequel les traités européens ont doté les institutions communautaires de compétences fortes.
Le lien entre le marché unique et le droit des sociétés est clair. L’achèvement du marché intérieur et l’amélioration de la situation économique et sociale dans l’ensemble de la Communauté qui en découle impliquent non seulement que les obstacles aux échanges commerciaux soient éliminés, mais aussi que les structures de production soient adaptées à la dimension communautaire du marché.
Or le cadre juridique dans lequel les entreprises évoluent au sein de la Communauté reste principalement fondé, aujourd'hui encore, sur les législations nationales, et cette situation entrave considérablement le regroupement de sociétés appartenant à différents États membres.
Le Conseil a, voilà quelques années, adopté d’abord un règlement relatif au groupement européen d’intérêt économique, puis un règlement relatif au statut de la société européenne. Je me permets de faire remarquer que ces instruments juridiques, surtout le second, qui a été mis en place en 2001, ont vu le jour après une période de blocage de près de trente ans ; on peut penser qu’ils constituaient une avancée, mais il s’agissait donc surtout du rattrapage d’un retard.
Les enjeux du texte que nous examinons ce soir sont, comme cela a été dit à plusieurs reprises, au nombre de deux.
S’agissant du règlement du 22 juillet 2003 relatif à la société coopérative européenne, il permet ce que n’autorisait pas le règlement de 2001 créant la société européenne. En effet, ce dernier ne concernait que les sociétés anonymes. Avec le règlement que nous transposons ce soir, c’est un autre modèle de société qui pourra se développer à l’échelle de l’Union. Il s’agit en fait de la reconnaissance de la possibilité d’entreprendre dans l’ensemble de la communauté sous une forme autre que celle de la société anonyme.
On sait que la coopérative est une forme d’entreprise à laquelle la France est particulièrement attachée.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Je n’ai pas besoin d’insister sur le fait que le poids de la coopération est très fort dans notre pays, en particulier dans certains secteurs de l’économie tels que la banque, l’agriculture ou la distribution, ce que beaucoup de Français oublient ou ignorent.
Vous-même, madame la ministre, faisiez récemment état de chiffres qui sont très parlants : en France, la coopération représente 21 000 entreprises, 900 000 employés et 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Dans l’ensemble de l’Europe, on dénombre quelque 280 000 sociétés coopératives, regroupant 60 millions de sociétaires et occupant 5 millions de salariés.
Par conséquent, le droit européen, face à une telle présence de la coopération, à un tel dynamisme, ne pouvait demeurer muet, chacun de nous en conviendra, quelles que soient ses options économico-politiques.
Grâce à la société coopérative européenne, les différences existant entre les divers pays de l’Union ne seront plus un obstacle au développement de ces sociétés à l’échelle de notre continent.
De la même façon, nous souscrivons, à la méthode retenue par les institutions communautaires et qui consiste à mettre en place un socle minimal de règles communautaires, le droit de l’État membre où sera établie la coopérative régissant le reste.
Le choix fait par le Gouvernement d’aller au-delà des textes communautaires, en intégrant la société coopérative européenne au droit français, nous semble en outre tout à fait pertinent.
Dès lors, au chapitre des coopératives, on pourrait se dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes communautaires ! Toutefois, il me semble que subsiste un problème de taille, à savoir que, à l’heure où la coopérative est explicitement reconnue par le droit européen, elle pourrait, dans le même temps, être menacée par les institutions communautaires.
L’examen du présent projet de loi nous donne l’occasion d’alerter le Gouvernement sur ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une menace planant paradoxalement sur le statut coopératif.
Je m’explique.
En mai 2004, une plainte émanant de la Confédération du commerce en gros et du commerce international a été déposée auprès de la Commission européenne contre l’État français pour « aide d’État illégale » sur le régime fiscal des coopératives agricoles. Le plaignant excipait de la non-conformité du régime fiscal français des coopératives au regard du droit communautaire.
En vérité, il me semble que le régime fiscal français, loin de constituer une aide illégale, est surtout le reflet d’une reconnaissance proportionnée aux contraintes et aux spécificités du secteur coopératif. Mais chacun sait bien qu’une coopérative, en tant qu’organisation économique singulière, peut être suspecte aux yeux de certains ! Pourtant, il s’agit d’un modèle d’entreprise qui s’inscrit bien dans le marché, même s’il fonctionne selon des règles différentes, notamment en ce qui concerne la prise de décision et la redistribution de la richesse produite, autant de caractéristiques que les pouvoirs publics doivent reconnaître.
Dès lors, assujettir demain toutes les coopératives à une fiscalité de droit commun conduirait inévitablement à rompre avec l’idée que les coopératives sont, par exemple, le prolongement de l’exploitation agricole en ce qu’elles permettent aux agriculteurs d’avoir accès au marché.
J’espère que des distinctions seront faites avec discernement et que l’on pourra clairement identifier, d’un côté, le système coopératif qui fonctionne complètement sur le modèle des sociétés anonymes, et, d’un autre côté, le système coopératif qui conserve et utilise réellement ces spécificités justifiant un régime fiscal particulier.
Avec ce texte, nous réaffirmons notre attachement au statut de la coopérative, et je vous demande donc, madame le garde des sceaux, de veiller à ce que, à l’avenir, le droit européen ne soit pas sur ce point une sorte de Janus, présentant deux visages : d’un côté, la coopérative serait inscrite dans les traités et bénéficierait d’un statut reconnu par le règlement de 2003, et même recommandé par la Commission européenne ; de l’autre, cette même Commission refuserait de reconnaître les caractéristiques des coopératives, telles que les réserves impartageables – à bien distinguer des fonds propres des entreprises privées qui, eux, peuvent être distribués –, la ristourne coopérative ou le versement d’un intérêt limité sur les apports financiers des membres.
Demain, sur le fondement des plaintes déposées devant elle, la Commission pourrait demander à la France un « ajustement » – c’est un euphémisme ! – du régime fiscal des coopératives. Il vous revient donc, madame le garde des sceaux, ainsi qu’à votre collègue chargé du budget, de faire preuve de vigilance, et ce, tout simplement, dans la logique du texte que nous examinons aujourd'hui.
Je ne m’étendrai pas sur l’autre mesure importante contenue dans le présent projet de loi, à savoir l’instauration d’un régime européen de fusion transfrontalière des sociétés de capitaux. D’autres l’ont souligné avant moi, les fusions qui interviennent entre des sociétés de plusieurs États membres se heurtent aujourd'hui à des obstacles juridiques quasi insurmontables. Aussi, parmi les personnes morales ou les groupes qui s’y sont essayés, beaucoup ont dû renoncer à leur projet ou contourner les difficultés juridiques en créant des sociétés dans d’autres pays, quand bien même ce n’était pas forcément la meilleure solution, du moins pour les entreprises françaises.
Les dispositions de ce projet de loi relatives aux fusions transfrontalières sont bonnes parce que leur champ d’application, très large, s’étend à l’ensemble des sociétés de capitaux reconnues par le droit français et parce que, nous semble-t-il, les simplifications qu’elles apportent sont positives. Nous accueillons celles-ci d’autant plus volontiers que la commission des lois proposera tout à l'heure d’aller plus loin dans ce registre, notamment en autorisant les associés, s’ils en décident ainsi, à ne pas recourir à un commissaire à la fusion. L’intervention des commissaires aux comptes serait réservée aux opérations d’apports en nature, dont la valeur doit, bien entendu, rester contrôlée par le commissaire aux apports.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste-UDF est favorable à ce texte, qu’il votera assorti des amendements présentés par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)