M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, l’évolution du transport maritime international, et plus particulièrement la forte expansion du trafic par conteneurs, a substantiellement modifié le paysage portuaire européen. Par ailleurs, l’élargissement de l’Union européenne déplace les flux de marchandises vers le centre de l’Europe.
Par sa position géographique et son histoire, la France dispose dans le domaine portuaire d’atouts non négligeables, sur ses façades occidentale comme méridionale. Pourtant, les principaux ports français ont continué de perdre des parts de marché, plus particulièrement dans le trafic de conteneurs.
De fait, si la France veut occuper une place significative dans les trafics de conteneurs au niveau européen, voire maintenir une économie portuaire riche directement ou indirectement en emplois, elle doit surmonter des handicaps qui lui sont propres et remplir un certain nombre de conditions, toutes nécessaires, aucune n’étant suffisante par elle-même. Il s’agit, en particulier : de la répartition nette entre ce qui est de la responsabilité de l’État et ce qui relève de la compétence des établissements portuaires ; de l’existence de grands terminaux capables de « traiter » une masse croissante de trafic dans un temps de plus en plus court ; de l’organisation de ces terminaux visant à conférer aux ports autonomes la charge des infrastructures et de la régulation de la place et à confier l’exploitation de ces dernières aux entreprises, comme c’est le cas des autres grands ports européens ; enfin, des dessertes performantes, notamment en matière ferroviaire et fluviale.
C’est dire s’il est urgent de réformer notre organisation portuaire, en particulier celle de nos ports autonomes. Depuis la loi de 1992, qui a constitué une première étape, comme l’ont rappelé les intervenants précédents, les avant-projets de loi de modernisation élaborés en 2001, puis en 2003, n’ont pas abouti. Nous sommes actuellement dans la situation paradoxale où, avec des atouts géographiques considérables, les ports français n’occupent plus une place maîtresse dans les flux commerciaux à destination de notre territoire national.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en urgence apporte des réponses structurelles, qui me paraissent aptes à restaurer la compétitivité des ports français.
Tout d’abord, le projet de loi recentre les ports sur leurs missions de nature régalienne, ainsi que sur les missions d’aménageur et de gestionnaire de leur domaine, dont ils seront désormais propriétaires de plein droit. Ils pourront ainsi assurer une meilleure gestion de ce domaine et pourront mieux planifier le développement des infrastructures portuaires.
En outre, chaque grand port maritime s’inscrira plus clairement dans le développement de son territoire et pourra harmoniser son développement avec celui de la collectivité sur le territoire de laquelle il est implanté. À titre d’exemple, citons l’agglomération rouennaise, où l’activité portuaire représente plus de 22 000 emplois directs, indirects et induits, 30 000 en comptant les sites de Port-Jérôme et de Honfleur. Le chiffre d’affaires lié aux opérations commerciales des entreprises portuaires sur le fret chargé et déchargé atteint près de 1 milliard d’euros par an, ce qui offre une illustration du fort impact de l’activité portuaire sur l’ensemble de cette agglomération.
À l’avenir, avec le projet stratégique que chaque port devra adopter, les spécificités locales seront mieux prises en compte et les externalités positives du port se multiplieront.
En vue du recentrage des compétences, ce projet de loi vise à instaurer sur les terminaux un commandement unique pour les activités de manutention. À l’heure actuelle, la coordination des équipes est source de problèmes, car les entreprises de manutention n’ont pas la pleine maîtrise de leur cœur de métiers : la manutention verticale est l’apanage des portiqueurs et grutiers, qui sont salariés de droit privé du port autonome, tandis que la manutention horizontale est confiée aux dockers, salariés des entreprises de manutention.
Le commandement unique améliorera l’organisation des équipes et leur efficacité. Il devrait en résulter, notamment, des progrès en termes de productivité et de développement de l’investissement privé dans les ports français.
Toutefois, il faudra faire preuve d’une grande pédagogie pour bien expliquer les enjeux de la réforme, tout comme les garde-fous qui l’accompagnent. Les personnels concernés ont le souci légitime d’obtenir des garanties quant à leur avenir ; ils doivent être rassurés sur leurs perspectives de carrière, ainsi que sur les possibilités de retour qui leur sont offertes. C’est notamment le rôle du groupe de travail sur le dialogue social, présidé par M. Cousquer. Nous constatons, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez souhaité donner toute sa place à la concertation avec les professionnels concernés.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Le projet de loi prévoit que les partenaires sociaux doivent parvenir à un accord-cadre pour le transfert de ces professionnels aux opérateurs de terminaux avant le 31 octobre 2008.
Dans l’hypothèse où ces négociations échoueraient, le projet de loi fixe également un cadre législatif qui permettrait de sortir de la crise actuelle et de restaurer la crédibilité des ports français par rapport à leurs concurrents européens. Il est nécessaire d’avancer, dans la concertation certes, mais rapidement, car le conflit social actuel a grandement fragilisé nombre d’opérateurs.
Le projet de loi vise, en outre, à réformer le mode de gouvernance des grands ports maritimes. À l’heure actuelle, les ports autonomes sont gérés par des conseils d’administration aux effectifs pléthoriques, ce qui dilue des responsabilités entre, d’une part, les représentants des professionnels et, d’autre part, les financeurs des ports, c’est-à-dire l’État et les collectivités territoriales, qui disposent de moins du tiers des voix au sein de ces instances.
M. Jean-Claude Gaudin. C’est injuste !
Mme Catherine Morin-Desailly. Le texte prévoit de substituer à ces conseils une structure duale, comprenant un conseil de surveillance et un directoire, où l’État et les collectivités locales auront voix prépondérante, afin d’obtenir une meilleure réactivité des établissements portuaires et une distinction plus claire entre les missions stratégiques et de contrôle, d’une part, et la gestion courante de l’établissement, d’autre part.
Par ailleurs, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, le présent projet de loi prévoit également l’instauration d’un conseil de développement, afin de prendre en compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement des ports. C’est là un point important.
Autre mesure primordiale du projet de loi, la possibilité de créer un conseil de coordination entre certains ports. Depuis 2005, une expérimentation de coopération a été lancée entre certains ports autonomes.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples, que je connais particulièrement bien, puisqu’ils sont situés dans mon département, ceux des ports de Rouen et du Havre.
Les résultats de cette coopération restent encore limités, même si un code « de bonne conduite » vise à prévenir la redondance des investissements, une guerre tarifaire et les détournements de trafic entre ces établissements. Il a en outre permis la mise en commun des informations et l’élaboration de stratégies communes relatives à différents sujets techniques, tels que le dragage, les services de trafic maritime ou la logistique.
De nouvelles synergies peuvent apparaître avec la mise en service de Port 2000, sur le modèle des complémentarités développées entre Anvers et Rotterdam.
Ainsi, le port de Rouen ambitionne, avec un armateur, de compléter ses trafics Nord-Sud par le développement d’un trafic fluvial conteneurisé des flux Est-Ouest déchargés au Havre, en se positionnant comme une plate-forme logistique avancée du Havre et en offrant une desserte alternative à la voie routière, dans l’attente de la fiabilisation de la desserte fluviale de Port 2000.
Alors que le port du Havre investit de son côté dans des plates-formes logistiques, cet axe de développement devra s’inscrire dans le cadre d’une coopération renforcée entre les deux ports normands, comme le permet le projet de loi.
Toutefois, si cette réforme importante doit aboutir rapidement pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, il est indispensable de ne pas nous limiter à une réflexion sur la seule façade maritime.
Des ports modernes et compétitifs ne constituent qu’un des instruments d’une politique portuaire réussie. Il importe également de moderniser la desserte des ports. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, « la bataille maritime se gagne à terre ».
Mme Catherine Morin-Desailly. La concurrence s’exerce, en effet, entre chaînes de transport, dont les ports ne sont qu’un élément.
La compétitivité d’un port dépend non pas seulement de ses qualités nautiques, de ses installations et de l’efficacité de son exploitation, mais aussi de l’étendue de son arrière-pays, du coût et de la fiabilité de ses dessertes terrestres.
La part des transports terrestres dans le coût d’acheminement des marchandises de « bout en bout » est considérable. Ainsi, pour l’acheminement d’un conteneur entre Lyon et l’Asie, le préacheminement et le postacheminement par voie terrestre représentent le tiers du coût du transport.
Actuellement, le transport routier demeure largement prédominant dans la desserte des ports français. Il est cependant nécessaire d’adapter ces infrastructures aux besoins spécifiques des ports. Ainsi, à Rouen, 36 000 poids lourds, dont un grand nombre transportent des matières dangereuses, empruntent quotidiennement les voies de circulation de l’agglomération.
Monsieur le secrétaire d’État, en mars 2006, votre prédécesseur, M. Perben, avait annoncé un projet de contournement par l’Est de Rouen, le grand chantier devant débuter en 2008-2009. Ce contournement devrait contribuer, d’une part, au développement économique de Rouen et de son agglomération en favorisant la croissance et la création d’emplois résultant des activités industrielles et portuaires et, d’autre part, à l’amélioration de la qualité de vie grâce à la diminution des pollutions sonore et atmosphérique dues au trafic, des risques liés à l’insécurité routière et au transport de matières dangereuses en milieu urbain ou encore à la limitation de l’étalement urbain.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position actuelle du Gouvernement sur ce dossier et nous dire si le calendrier précédemment annoncé est maintenu ?
M. Jean Desessard. Et l’argent ? Les poches sont vides !
Mme Catherine Morin-Desailly. Toutefois, si les dessertes routières permettent de répondre de façon flexible aux besoins des ports autonomes, il est indéniable que les transports terrestres doivent intégrer les caractéristiques de massification pour desservir efficacement les conteneurs sur un hinterland de plus en plus vaste au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent.
Or les modes ferroviaire et fluvial dans le préacheminement et le postacheminement des ports français n’ont pas pu, à ce jour, remettre en cause la suprématie du transport routier. Au contraire, ces deux modes, dont la pertinence économique repose sur les flux massifiés, se sont montrés plus concurrents que complémentaires.
J’espère que le Grenelle de l’environnement et le projet de loi relatif à sa mise en œuvre conduiront à intensifier les investissements dans ces modes de transports.
Vous avez annoncé, parallèlement au présent projet de loi, un ambitieux plan d’investissement en faveur des ports. Pouvez-vous nous éclairer sur les actions que l’État entend mener pour développer le fret ferroviaire et, notamment, pour concrétiser le projet de diagonale Ecofret, qui permettrait de desservir Port 2000 au Havre ?
En conclusion, je tiens à féliciter notre collègue Charles Revet pour la qualité de son travail.
M. Charles Revet, rapporteur. Merci !
Mme Catherine Morin-Desailly. Il a contribué à éclairer nos réflexions sur ce sujet, ô combien important, de la réforme portuaire, que nous soutenons. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons en première lecture est un texte important au regard des enjeux actuels du commerce maritime et de la place qu’occupe notre pays dans ce secteur, à l’heure de la mondialisation des échanges.
Il nous appartient d’établir une stratégie cohérente pour ce secteur clé de notre économie, tout en apportant des réponses claires aux nombreuses interrogations que pose la situation des personnels concernés par cette réforme.
Personne, je le crois, ne nie sa nécessité. Mais encore faut-il que le texte proposé soit à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Il est facile de les mesurer en égrenant un certain nombre de chiffres. Tous, sans exception, soulignent les retards que nous avons pris au cours de ces dernières années.
Alors que l’on enregistre une augmentation globale du transport maritime mondial, les parts de marché des ports français s’amenuisent comme une peau de chagrin. Même s’ils sont en hausse, leurs trafics augmentent deux fois et demi moins vite que ceux de l’ensemble des places portuaires européennes. Et, à ce jour, la France ne représente pas plus de 14 % du commerce maritime européen.
Ce pourcentage n’est pas rassurant et les comparaisons établies dans le secteur des conteneurs ne font qu’accentuer nos inquiétudes. Au cours des dix dernières années, le volume de ce trafic a doublé. Il doublera encore dans les sept ans à venir, dans le cadre d’une croissance qui correspond au développement des flux commerciaux entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord.
Tout comme moi, vous connaissez les effets de cette évolution.
Ainsi, dans le classement mondial, Le Havre pointe au trente-sixième rang et Marseille ne se situe qu’à la soixante-dixième position.
Ce recul est d’autant plus dramatique qu’il s’effectue face à des concurrents de la vieille Europe et non pas face aux dragons du Sud-Est asiatique, qui écrasent les coûts salariaux et où 64 % du trafic portuaire s’effectue par conteneurs.
En citant ces chiffres, mes chers collègues, je tiens à apporter quelques précisions sur le port de Marseille. Premier port de Méditerranée pour son trafic global, il a perdu, en deux décennies, plus du tiers de ses parts de marché. Si ses performances sur le plan financier sont louables, il n’a attiré que 5,5 % de l’augmentation des échanges en dix ans, ce qui correspond à un volume de 500 000 conteneurs, performance bien modeste, traduisant un évident manque de compétitivité.
Voilà cinq ans, le nombre de tonnes manufacturées s’élevait, à Fos, à 350 tonnes par an et par mètre de quai, contre 400 tonnes au Havre et 1 300 tonnes à Anvers. Et la situation ne s’est pas améliorée, loin de là !
Certains l’expliquent par le coût de la main-d’œuvre. Mais cette explication est bien mince face à nos concurrents – car c’est bien de cela qu’il s’agit – du nord de l’Europe.
Je referme cette parenthèse sur le port de Marseille, pour en revenir au cœur du texte et à l’avenir de nos ports, qui nécessitent bien une réforme.
Mais peut-on dire, monsieur le secrétaire d’État, que le texte que nous avons entre les mains esquisse des solutions appropriées ? À l’évidence, non ! Et je le regrette !
Pour faire accepter politiquement, économiquement et socialement son projet, le Gouvernement a, dans un premier temps, semblé vouloir substituer, au moins dans les mots, la notion de relance à celle de réforme portuaire.
Cette problématique, qui n’a pas dépassé le stade des bonnes intentions, est tragiquement absente des propositions qui nous sont soumises. Bien sûr, quelques lignes rapidement écrites en préambule à l’exposé des motifs font encore référence à la nécessité, pour les ports français, de regagner les parts de marché perdues. Mais il s’agit là d’un simple constat de situation, rapidement dressé, alors que c’est une part essentielle du problème.
Ce projet de loi n’a ni souffle, ni ambition, ni dessein. Alors que l’on aurait souhaité du concret, du courage et des innovations, il se borne à organiser le transfert au secteur privé de l’outillage et des personnels des ports autonomes. Pour donner le change, on rebaptise ces derniers « grands ports maritimes », avec l’espoir que la réalité suivra le verbe.
Belle manœuvre de langage ! Mais quelle chance gaspillée !
En effet, la définition d’une stratégie globale et audacieuse aurait dû être l’occasion de déterminer les nécessaires investissements pour relancer nos ports et de traiter de façon digne et humaine la question du statut des personnels.
Comme tous les observateurs le soulignent, la situation des ports français traduit d’abord une regrettable absence d’anticipation et de stratégie lisible de l’État en matière de politique maritime et portuaire. Néanmoins, je vous concède bien volontiers que cette situation perdure depuis plusieurs années.
La réussite des ports du Benelux tient sans doute à l’efficacité de leur organisation technique, mais aussi commerciale. Cependant, la clef de leur succès a résidé d’abord dans leur capacité à faire face à la taille croissante des navires, en particulier des porte-conteneurs, et dans leur adaptation rapide et efficace aux nouveaux modes d’échanges que ces derniers imposent. Cette adaptation s’est faite en associant intelligemment investissement privé et investissement public.
C’est un fait que la compétitivité des ports ne dépend pas uniquement de leur positionnement géographique, de leurs qualités nautiques, du niveau de leurs équipements ou, même, de l’efficacité de leur exploitation ; elle tient aussi et surtout à la performance de leurs dessertes terrestres, qui détermine l’étendue réelle de leur hinterland.
En l’espèce, mes chers collègues, nous avons, si j’ose dire, plusieurs porte-conteneurs de retard ! En effet, les transports terrestres occupent une place très importante dans le coût de l’acheminement de la marchandise, et cette part sera de plus en plus déterminante. Sur ce terrain, le retard des ports français est considérable. Deux chiffres permettent de le mesurer : 50 % de la desserte terrestre des ports du Benelux est assurée par voie fluviale ou ferroviaire ; 85 % de la desserte du port de Marseille est assurée par la route, et ce alors que les bassins de Fos ne disposent toujours pas d’accès autoroutiers.
M. Charles Josselin. Eh oui ! Très bien !
M. Jean-Noël Guérini. Cette situation inacceptable tient largement à la faiblesse du soutien financier apporté par l’État au développement des infrastructures des ports français et à l’absence d’investissements permettant d’améliorer leur desserte.
Par ailleurs, l’insuffisance des investissements est criante si l’on s’intéresse au seul trafic des conteneurs. Fos 2XL, le premier investissement significatif décidé pour le port de Marseille depuis plus de quinze ans, investissement très important et auquel nous sommes attachés, représente une enveloppe de 206 millions d’euros en termes d’infrastructures. Cette somme est dérisoire quand on la compare à celles qui ont été débloquées pour les terminaux à conteneurs d’autres ports européens : 600 millions d’euros à Anvers, 2,9 milliards d’euros à Rotterdam, 1,1 milliard d’euros à Hambourg. Nous faisons aussi bien pâle figure face aux ports du sud de l’Europe : 300 millions d’euros ont été investis à Gênes et à La Spezia, 520 millions d’euros à Barcelone et 450 millions d’euros à Algesiras.
Les montants importants qu’ont accepté d’investir dans ces ports européens les opérateurs privés, qu’il s’agisse d’équipements, d’outillages ou de moyens de stockage, ne se sont pas substitués aux investissements publics auxquels je viens de faire référence. Le secteur public intervient notamment sur les infrastructures, les digues et les quais, sur les dessertes terrestres ou les accès maritimes, qui, ici comme ailleurs, restent publics.
Je comprends que l’on cherche à encourager les investissements privés dans nos ports. Je n’y suis pas opposé, car l’investissement privé crée la richesse et, par conséquent, l’emploi. Je comprends aussi que l’on s’efforce de sécuriser les conditions dans lesquelles ils peuvent être réalisés. En revanche, je ne comprends pas pourquoi ce texte, depuis si longtemps annoncé et, finalement, depuis si longtemps espéré, n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis que la mondialisation nous impose de relever.
Il ne contient ni plan de relance, ni stratégie de développement, ni exposé sur les moyens de reconquête des trafics. Il n’y a rien, trois fois rien, sur les engagements de l’État en faveur des infrastructures portuaires, ferroviaires et routières. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, j’espère que vous nous fournirez des réponses précises, chiffrées et concrètes.
Ce projet de loi ne dit rien non plus de la stratégie de développement des ports, alors même qu’il est impératif de confirmer leur compétence sur l’aménagement de leur territoire et de permettre que, après une nécessaire phase de concertation, l’approbation, par exemple, d’un schéma directeur leur donne les moyens, non seulement à eux, mais aussi aux acteurs portuaires, de concrétiser leurs projets.
En revanche, ce projet de loi ne manque pas de mettre l’accent sur l’organisation du travail dans les terminaux, comme si l’objet de la réforme était de privatiser les outillages de manutention et leur exploitation.
Certes, une réforme de l’organisation du travail sur les quais peut favoriser des gains de productivité ; certes, personne ne cherche à nier la nécessité d’une adaptation ; certes, l’idée d’une unicité de commandement est admise. De même, le regroupement des grutiers et des dockers au sein d’une même unité est sans doute nécessaire, du moins lorsqu’un opérateur unique est présent dans les terminaux. Cependant, il faut prendre garde de créer de nouvelles citadelles. Il convient que chaque port puisse mettre en place les solutions adaptées à la gestion de ses trafics, en particulier lorsqu’il ne s’agit pas de conteneurs.
Souvenons-nous que, en 1992, on nous présentait déjà l’intégration des dockers au sein des entreprises de manutention comme « la » réforme à mener. À cet égard, on aurait souhaité que la nouvelle réforme de la manutention soit précédée d’une évaluation précise des effets de la précédente, de son coût, de ses apports en termes de productivité et de ses échecs en termes de trafic et, par conséquent, d’emploi.
On objectera que, la réforme de 1992 n’ayant pas été menée au terme de sa logique, celle de 2008 vise à l’achever. En réalité, je crois plutôt que la réforme de 1992, comme celle de 2008, a souffert de ne porter que sur l’un des facteurs de la productivité des ports en oubliant de s’inscrire durablement dans une stratégie de développement.
Je veux ici insister sur un point essentiel qui, pour vous, mes chers collègues, comme pour moi-même, n’est pas un point de méthode.
Une réforme qui concerne les personnels doit d’abord se préoccuper des hommes. Elle ne peut se concevoir qu’avec les intéressés et elle ne peut se bâtir et être mise en œuvre contre eux. Les agents portuaires bénéficient aujourd’hui d’un statut et de garanties qui ont une histoire et une légitimité que l’on ne peut rayer d’un trait de plume sans renier notre propre histoire.
Le Gouvernement a, sur ce point, ouvert le champ à la négociation afin de prendre en compte les évolutions que nous avons évoquées. Cette concertation ne peut pas être un théâtre d’ombres et ne doit pas être vidée de son sens par des dispositions trop précises ou des décrets prématurés. Je pense notamment à l’article 10 du projet de loi, relatif aux conditions de retour des salariés dans les établissements publics portuaires en cas de suppression d’emploi chez les opérateurs et à la durée de cette garantie. Cette disposition ne doit pas être un couperet, et un éventuel retour dans le public peut être envisagé sans mettre en péril l’édifice !
Au-delà de ces garanties individuelles, les salariés portuaires, comme ceux des entreprises de manutention, doivent avoir des perspectives d’avenir crédibles. Celles-ci reposent, je l’ai dit, sur la réaffirmation du rôle prééminent de l’État dans le développement des ports et leur desserte.
Quant à la réforme de la gouvernance, qui prévoit d’accroître l’autonomie des autorités portuaires en les dotant d’un directoire aux pouvoirs élargis, elle mérite, elle aussi, bien des éclaircissements. Je regrette le caractère évasif du texte sur la composition de ce directoire aux pouvoirs élargis. Sera-t-il, comme certains commentaires le donnent à penser, d’une coloration très proche de celle du monde de l’entreprise ? Quelle place réelle sera accordée aux collectivités ?
Le rôle du conseil de surveillance mérite, lui aussi, d’être précisé. L’État, avec cinq représentants, en restera l’acteur principal. Par conséquent, il convient que ce soit le gage d’une responsabilité assumée.
Enfin, la place des collectivités territoriales dans la gouvernance des ports reste très marginale en termes de pouvoir, alors que, ces dernières décennies, leur part dans le financement public des ports autonomes a crû de manière importante – c’était nécessaire –, dépassant parfois celle de l’État.
Dès lors, comment pourrait-on de pas craindre que, une fois de plus, l’État se libère, en la confiant aux collectivités, d’une charge financière qu’il ne peut ou veut plus assumer au motif que ses « caisses sont vides » ?
Les cessions d’actifs telles qu’elles sont envisagées et l’autonomie accordée aux grands ports maritimes, notamment en termes de propriété, avec la disparition des procédures propres au domaine public maritime, ne doivent pas être synonymes d’un désengagement que les élus locaux, mais aussi nos concitoyens, dénoncent et réprouvent.
De même, ce projet de loi ne doit pas ouvrir la porte à l’abandon des terrains portuaires à des fins spéculatives. À cet égard, il nous paraît indispensable que le texte précise les prérogatives et les obligations des ports en la matière.
Vous l’avez compris, j’appelle de mes vœux une réforme, mais je constate que le texte qui nous est proposé ne répond pas, hélas !, aux exigences de l’heure. Il fait l’impasse sur l’effort de rattrapage nécessaire de l’investissement public et il n’est pas suffisamment équilibré et équitable vis-à-vis des personnels portuaires, à qui des garanties individuelles et des perspectives d’avenir doivent être proposées. Celles-ci doivent faire l’objet d’une réelle négociation, sur les conclusions de laquelle le Parlement devra se prononcer.
L’absence de perspectives claires sur les investissements et les craintes quant au devenir des personnels justifient, comme l’a indiqué Charles Josselin, l’abstention du groupe socialiste sur ce texte, qui n’est pas à la mesure des défis que nous devons relever ensemble pour remettre les ports français sur le chemin de la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Bret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos sera beaucoup plus bref que prévu puisque je fais miennes les excellentes réflexions et observations qu’a formulées tout à l’heure notre collègue Patrice Gélard. Aussi me contenterai-je de formuler quelques remarques inédites.
Monsieur le secrétaire d'État, en inscrivant ce projet de loi dans la suite du Grenelle de l’environnement, vous affichez la nécessité de « recodifier » la société sur la base, désormais incontournable, d’un développement durable qui prenne en considération la rareté des ressources de la planète et la nécessité de les respecter pour éviter que l’homme lui-même se condamne, ce qui n’exclut pas la nécessité de promouvoir, aussi et dans le même temps, le développement économique. Vaste sujet, vaste programme !
Ainsi va la chose publique, ainsi va la vie politique que, pour atteindre ces objectifs, il faudra lutter encore et encore contre l’intérêt particulier ou sectoriel érigé en intérêt général. Ce n’est pas nouveau, mais, dans un monde toujours plus égoïste, le combat sera de plus en plus rude. En tout cas, je vous félicite, monsieur le secrétaire d'État, de vous y être engagé.
Mutatis mutandis, peut-être serez-vous amené, dans le même esprit, à reconsidérer le paysage du transport aérien, même si la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports a d’ores permis des avancées. Toujours est-il que bien des choses méritent également d’être améliorées dans ce domaine.
La réforme portuaire s’inscrit dans cette « recodification » de la société que j’évoquais et s’attache à développer sur une grande échelle les transports alternatifs au transport routier.
Je citerai quelques chiffres pour illustrer mon propos. D’ici à 2012, la part du fret non routier, qui est de 14 % aujourd’hui, sera portée à 25 %. Cet objectif est ambitieux. À mes yeux, il ne pourra être atteint que par le doublement du fret non routier à destination ou en provenance des ports ou encore par la « massification » des dessertes maritimes par les voies ferroviaires ou fluviales.
On l’a dit tout à l’heure, mais je le répète parce que c’est important, c’est l’ensemble de la chaîne du transport qui doit être remise en perspective. Encore faut-il que des lignes budgétaires permettent de rendre cette perspective crédible.
Les collectivités consentiront des efforts, de même qu’un certain nombre d’entreprises privées. Cependant, il convient que l’effort de l’État, ou de ceux qui agiront en son nom, soit au moins égal. On ne saurait imaginer que cet objectif de porter à 25 % la part du fret non routier puisse être atteint sans un engagement important des uns et des autres.
Il est clair que le statut de « grand port maritime » concourra à accroître la compétitivité des sept ports concernés, mais l’objectif sous-jacent, c’est que la France redevienne une grande puissance maritime. Nous nous situons au 31e rang des flottes de commerce et au 28e rang en ce qui concerne les tonnages. C’est tout de même très modeste ! Notre classement était bien plus reluisant lorsque j’ai commencé à présenter des rapports sur les ports maritimes. Aujourd’hui, notre activité décline alors même que notre façade maritime, vous l’avez-vous-même rappelé, monsieur le secrétaire d’État, est tout à fait exceptionnelle et que 35 % du trafic maritime mondial transite par la Manche et la mer du Nord. On le sait, paradoxalement, Anvers est aujourd'hui le premier port français !
On ne peut fixer des chiffres dans un texte et promettre des efforts considérables sans prévoir les moyens nécessaires pour tenir de tels engagements. L’« agilisation » à laquelle vous procédez est de très bon aloi.