Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mobilité des fonctionnaires est un enjeu essentiel de la réforme de l’État.
Elle ne doit plus être pénalisante pour l’agent, bien sûr. Au contraire, elle doit être valorisée. Elle doit être perçue comme un outil de promotion et donc d’évolution. L’administration doit en faire un élément essentiel de gestion des ressources humaines.
Les fonctionnaires espèrent en effet une plus grande mobilité dans leur carrière. Il faut leur donner la possibilité de varier les postes entre les trois fonctions publiques : la fonction publique d’État, la fonction publique territoriale, la fonction publique hospitalière. Certains fonctionnaires sont même prêts à tenter l’expérience – j’allais dire à franchir le pas ! – du secteur privé. Fonctionnaires et employeurs attendent donc aujourd’hui plus de souplesse.
Or, force est de le constater, la mobilité est difficilement pratiquée, car 5 % seulement des fonctionnaires exercent en dehors de leur administration d’origine.
Les règles statutaires doivent donc être moins rigides. Il faut permettre à chaque individu de négocier cette mobilité.
Le Président de la République l’a rappelé dans son discours du 19 septembre 2007 à l’Institut régional d’administration de Nantes, et nombre d’entre vous y ont fait référence : « Il faut faire circuler les hommes, les idées, les compétences. C’est une idée totalement étrangère à notre tradition administrative, à son organisation verticale, à sa gestion par corps, à ses cloisonnements statutaires […]. »
Un premier pas a été franchi le 2 février 2007 avec la loi de modernisation de la fonction publique, dont l’objet était de faciliter les progressions de carrière et d’accroître les échanges aussi bien entre administrations publiques qu’entre le secteur public et le secteur privé.
La loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale a également été adoptée dans le but de donner plus de liberté aux élus locaux dans leur gestion des ressources humaines, de rendre la fonction publique territoriale plus attractive et plus efficace et de rationaliser son organisation institutionnelle.
Or, comme l’a très justement souligné M. le rapporteur, les obstacles demeurent encore nombreux et les résultats obtenus se révèlent jusqu’à présent décevants.
Le projet de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis marque une nouvelle étape, en levant les obstacles juridiques et financiers à la mobilité des fonctionnaires.
Chacun aura bien compris que le Gouvernement nous propose, à travers ce texte, de placer la gestion des ressources humaines au cœur de la réforme de la fonction publique.
Il s’agit d’un enjeu majeur, compte tenu du rôle prépondérant que la fonction publique doit jouer dans le dynamisme et la compétitivité de la France.
De son organisation et de sa gestion dépend en effet la capacité de l’État, des collectivités locales et des autres organismes publics à exercer efficacement leurs missions, de manière à satisfaire non seulement les usagers du service public, mais également leurs agents.
Une fonction publique adaptée, c’est une fonction publique qui cesse de gérer des statuts et commence à « gérer des métiers, à savoir des hommes et des femmes, dont les idées et les compétences doivent circuler ».
Une fonction publique adaptée, c’est une fonction publique qui offre à ses agents des perspectives de carrière équivalentes à celles du secteur privé, en matière tant de rémunération que d’évolution de carrière.
Ce projet de loi apportera de réelles avancées, puisqu’il consacre un droit effectif au départ en mobilité, en assouplissant les conditions de détachement et d’intégration directe des fonctionnaires.
L’agent pourra en effet obtenir sa mobilité vers un autre corps, vers une autre fonction publique que sa fonction publique d’origine, ou vers le secteur privé, sans que l’administration puisse s’y opposer, sous réserve du respect d’un délai maximal de préavis de trois mois.
Ce texte offre également des outils financiers pour encourager la mobilité, en créant des primes pour ceux qui souhaiteraient changer de lieu ou d’administration d’affectation, et en instituant une indemnité de départ volontaire pour les agents désirant quitter la fonction publique afin de réaliser un projet personnel.
En conférant de nouveaux droits aux agents, ce projet de loi vise à permettre à ces derniers d’avoir la pleine maîtrise de leur parcours professionnel au sein de l’administration et à leur offrir ainsi de réelles opportunités de carrière.
Ces mesures me semblent particulièrement utiles et efficaces.
En effet, dans la perspective d’un allongement des carrières, il est impératif de diversifier les expériences des personnes, d’enrichir leurs compétences et de développer de vrais parcours professionnels.
Parallèlement, ce texte tend à imposer à l’administration de nouvelles obligations, notamment en matière de formation et de recherche d’activité.
L’administration aura aussi l’obligation de s’assurer du maintien du niveau de revenu de l’agent en cas de mobilité et, si besoin, de verser une indemnité. Elle sera tenue, dans le cadre d’un détachement, de prendre en compte les promotions obtenues précédemment dans l’administration d’origine. Elle devra également préparer, accompagner et aider l’agent, avant même la réorganisation effective d’un service, si celle-ci se traduit notamment par des suppressions de poste.
C’est tout le sens de la réorientation professionnelle prévue à l’article 7 du projet de loi, qui est destinée à favoriser la réaffectation d’un fonctionnaire de l’État dont l’emploi est susceptible d’être supprimé.
Là aussi, il s’agit d’une mesure efficace, qui permettra aux administrations d’accompagner les agents par la mise en œuvre d’actions de formation ou d’une reconversion professionnelle.
Dans ce cadre, l’administration établira, après consultation du fonctionnaire, un projet personnalisé d’évolution professionnelle visant à faciliter l’affectation de celui-ci dans un emploi correspondant à son grade, dans la fonction publique ou dans le secteur privé, ou à lui permettre de créer ou de reprendre une entreprise.
Le projet de loi a aussi pour objectif de créer les conditions permettant d’assurer la continuité et l’adaptation du service, d’une part, en autorisant le remplacement d’un fonctionnaire par le recours à l’emploi contractuel ou à l’intérim, d’autre part, en élargissant les possibilités de cumul d’emplois à temps non complet.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, un débat a eu lieu en commission des lois concernant le maintien de l’article 10 du projet de loi, lequel autorise le recours à l’intérim dans chacune des trois fonctions publiques.
Le texte prévoit en effet de légaliser le recours aux salariés intérimaires par les organismes publics pour pourvoir rapidement des emplois temporairement inoccupés ou pour faire face à un besoin ponctuel.
La commission des lois, sur l’initiative de son rapporteur, M. Hugues Portelli, a adopté un amendement de suppression de l’article 10, certains de nos collègues estimant que cette procédure pouvait être de nature à accentuer la précarité au sein de la fonction publique.
Je comprends les préoccupations légitimes de M. le rapporteur. Toutefois, l’évolution des administrations et l’obligation d’assurer la continuité du service public peuvent rendre nécessaire le recours à l’intérim de manière temporaire, lorsqu’il n’est pas possible de disposer de fonctionnaires.
Il s’agit de donner un outil supplémentaire à chaque administration, lorsqu’un service a un besoin immédiat compte tenu d’un surcroît ponctuel d’activité.
Il s’agit également de donner une base légale à ce recours, dans la mesure où l’intérim est souvent utilisé aujourd’hui dans la fonction publique hospitalière alors qu’aucun texte ne l’autorise, comme cela vient d’être rappelé.
C’est la raison pour laquelle je proposerai, avec un certain nombre des membres de la commission des lois, un amendement n° 22 visant à conserver le dispositif prévu à l’article 10, tout en l’encadrant mieux dans son objet et sa durée.
Il s’agit de préciser la durée des contrats de mission conclus par un employeur public, ainsi que les modalités de renouvellement de ces contrats, afin que ces règles soient spécifiques aux besoins de la fonction publique. Le recours à l’intérim pourra ainsi s’organiser dans un cadre juridique sécurisé.
Cet amendement équilibré, s’il était adopté, devrait permettre d’apaiser les inquiétudes exprimées par certains de nos collègues, tout en répondant au souhait du Gouvernement de rendre légal le recours à l’intérim dans la fonction publique. J’appelle donc l’ensemble de mes collègues du groupe UMP à le voter.
Le dernier volet du projet de loi comporte diverses dispositions de simplification, qui permettront d’accompagner cette réforme par un allégement des procédures de gestion des ressources humaines ou la mobilisation de nouveaux outils de gestion tels que la dématérialisation du dossier individuel du fonctionnaire.
L’adoption de ce projet de loi apportera de réelles avancées, non seulement pour le fonctionnement de nos administrations, mais aussi pour les besoins d’évolution de carrière des fonctionnaires qui les composent.
Ces mutations se font dans le bon sens. Elles tendent à rapprocher la gestion de la fonction publique de celle que connaissent les entreprises, c’est-à-dire une gestion toujours plus responsable, plus transparente et plus efficace.
Je me félicite, au nom du groupe UMP, de constater que ce projet de loi a pour ambition d’apporter un nouveau souffle dans la réglementation de la fonction publique. Pour l’ensemble de ces raisons, et sous réserve de ces observations, notre groupe votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter quelques éléments de réponse en ce début de débat, sachant toutefois qu’il y aura encore beaucoup à dire au cours de la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable et tout au long de l’examen des articles.
Tout d’abord, monsieur le rapporteur, je remercie la commission des lois pour le travail extrêmement complet et de qualité qu’elle a réalisé. Elle apporte ainsi des éclairages non seulement sur ce texte, mais aussi pour les textes à venir. En effet, les choses s’emboîtent les unes dans les autres.
Il faut bien le comprendre, ce texte regroupe une série d’outils, André Santini et moi-même l’ayant voulu ainsi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je réfute toute motivation idéologique. Nous avons réuni les secrétaires généraux des ministères, les gestionnaires des ressources humaines et la Direction générale des finances publiques, pour essayer de comprendre ce qui « verrouillait » la fonction publique. Et vous nous accusez, monsieur Peyronnet, de vouloir « faire sauter tous les verrous ». Eh bien oui ! Nous faisons sauter les mauvais verrous des portes closes, car il faut ouvrir, oxygéner, apporter de la transparence, de la mobilité et de la fluidité. C’est ainsi que les personnes peuvent se réaliser dans leur parcours professionnel. Et tel n’est pas le cas si on les cloisonne et si on les isole de façon étanche : la fonction publique n’est pas un sous-marin !
On ne peut pas être au service du public, en l’occurrence des Français – ils sont exigeants, car ils connaissent les services publics et souhaitent qu’ils soient de mieux en mieux adaptés –, et, dans le même temps, employer des agents de plus en plus éloignés des réalités, car évoluant de moins en moins.
Nous devons au contraire faire en sorte que la fonction publique, que nous aimons et que nous avons envie de développer, soit une fonction publique du xxie siècle. On ne peut pas la gérer avec les outils du xxe ou du xixe siècle ! On doit donc pouvoir la faire évoluer. Ni plus, ni moins, et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avoir compris.
S’agissant de l’intérim, j’ai bien entendu ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur. La commission a éclairci un certain nombre de points, ce qui nous permet d’avoir un texte plus complet encore.
Monsieur Othily, les dispositions du projet de loi s’appliquent bien évidemment aux fonctionnaires ultramarins qui travaillent aujourd’hui dans les différentes collectivités d’outre-mer.
Il apportera, je le crois, un avantage supplémentaire aux collectivités d’outre-mer, qui cherchent des fonctionnaires de qualité. J’étais en Martinique voilà quelques jours, et je me suis aperçu que, dans un certain nombre de cas, les administrations d’État avaient du mal à recruter des fonctionnaires. Je ne sais si la situation est identique en Guyane, à la Guadeloupe ou sur d’autres territoires, mais nous devons répondre à une telle difficulté.
À cet égard, le texte incite à la mobilité, puisque des éléments très concrets tels que les primes y seront attachés. Ces dernières permettront notamment de faciliter le « retour au pays » des fonctionnaires issus des territoires d’outre-mer. Après avoir passé des concours et effectué une partie de leur carrière en métropole, nombre d’entre eux souhaitent retourner dans leur territoire. Aucune administration d’origine ne pourra désormais s’opposer à leur souhait, alors que tel est bien le cas aujourd’hui.
Madame Gourault, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux est toujours d’actualité. Ce n’est pas parce que nous n’en avons pas parlé que cette mesure a disparu ! Il est possible de présenter les choses ainsi : nous remplacerons un fonctionnaire sur deux partant en retraite.
La fonction publique va donc beaucoup recruter dans les prochaines années, et nous devons être à la hauteur de ces recrutements. Le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique valorise la fonction publique et, surtout, les carrières de la fonction publique. Il permet ainsi de rendre cette dernière plus attractive et donc plus compétitive par rapport au secteur privé, qui connaît actuellement des tensions en matière de recrutement. Regardez autour de vous : paradoxalement, de nombreuses entreprises ne trouvent pas sur le marché du travail les compétences dont elles ont besoin.
La fonction publique, qu’elle soit d’État ou territoriale, doit pouvoir recruter des fonctionnaires qui, demain, serviront avec qualité les usagers du service public.
Notre vision n’est pas comptable : nous pensons simplement que nous pouvons avoir une fonction publique moins nombreuse – il faut bien le dire ! –, mieux valorisée et mieux payée. Il s’agit d’une vision non pas comptable, mais extrêmement prospective.
Vous nous mettez également en garde, madame Gourault, contre une accumulation de textes relatifs à la fonction publique. Mais il s’agit d’un vaste sujet, et il est donc assez naturel de ne pouvoir tout régler au moyen d’un seul projet de loi. Bien évidemment, nous sommes sans cesse en phase d’adaptation.
André Santini et moi-même nous efforçons d’élaborer des textes permettant d’aller le plus possible au fond des choses.
Le présent projet de loi est une boîte à outils répondant à des besoins précis. Nous reviendrons vers vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour élaborer en amont un dispositif qui ira un peu plus loin et aura pour objet de proposer une évolution de l’organisation de la fonction publique dans un certain nombre de cas très précis.
Nous attendons en effet d’avoir tiré tous les enseignements du Livre blanc que M. le Premier ministre a demandé à M. Silicani de rédiger, à l’issue d’une période de consultations extrêmement vastes réalisées par André Santini, Jean-Ludovic Silicani et moi-même. Nous avons ainsi beaucoup discuté non seulement avec les fonctionnaires, mais aussi, au-delà, avec ceux qui portent un regard sur la fonction publique.
Nous pensons qu’il faut une fonction publique de métiers. Aujourd’hui, l’accès à la fonction publique est extrêmement verrouillé. Il faut, selon nous, un brassage plus important des fonctionnaires et une ouverture de la fonction publique vers l’extérieur. Les critères d’entrée dans la fonction publique doivent s’appuyer moins sur des connaissances académiques que sur les compétences requises pour exercer une activité. Il s’agit de moins « brider » les personnes, qui doivent avoir une vie professionnelle normale au sein du service public. Ces dernières seront abritées derrière un statut lorsque ce sera nécessaire ou embauchées sous contrat lorsque cela se révélera possible.
Un tel débat constituera un vrai débat de fond et permettra une véritable évolution après tant d’années d’immobilisme.
Madame Gourault, la disposition concernant l’intérim constitue une mesure forte, qui ne précarise pas l’emploi. Ce texte n’est pas source de précarité. D’ailleurs, à l’heure actuelle, il faut vraiment se boucher les yeux et les oreilles pour ne pas se rendre compte de l’existence d’une grande précarité dans la fonction publique ! En effet, des vacataires sont employés tant par les collectivités locales que par l’État.
Il ne suffit donc pas de monter sur ses grands chevaux en dénonçant la précarité : elle existait déjà lorsque la gauche était au pouvoir, et elle continue à exister !
Nous devons donc combattre la précarité. Nous organisons le remplacement de fonctionnaires en fonction des besoins ponctuels, ni plus ni moins, par le biais de l’appel à l’intérim. C’est d’ailleurs ce que fait la fonction publique hospitalière, mais dans des conditions juridiques discutables. Nous consolidons le dispositif. Il s’agit de répondre aux besoins rapidement, sans tergiverser, ce qui ne paraît pas aberrant !
Aujourd'hui, être intérimaire est un statut, qui emporte une protection indispensable inscrite dans le droit du travail. Il est bien naturel que la fonction publique puisse en profiter.
Monsieur Peyronnet, vous ne voterez pas ce projet de loi sur la mobilité, car, je l’ai bien compris, vous voteriez un texte sur l’immobilité ! En effet, l’ensemble de votre discours consiste à nous dire, en substance : « surtout ne faites rien ! », « ne bougez pas ! », « n’évoluez pas ! », « laissez les choses en l’état ! ».
Mais ce n’est pas du tout ce que nous choisissons ! D’ailleurs, d’autres pays ont pris des mesures comparables aux nôtres, tout en étant gouvernés par des personnes aux opinions politiques proches des vôtres, notamment M. Zapatero en Espagne, ou M. Blair, naguère, au Royaume-Uni.
Moi, j’ai été choqué par vos propos – et je vous le dis en vous regardant droit dans les yeux, monsieur le sénateur – nous accusant de démolir – toujours les grands mots ! – la fonction publique.
Permettez-moi de vous répondre que, au contraire, nous nous efforçons d’adapter la fonction publique aux besoins actuels. Pour ma part, je respecte les besoins des citoyens en matière de services publics. Ceux qui travaillent dans les services publics doivent avoir un statut et des conditions d’emploi adaptés au service du public.
Là encore, n’employons pas de grands mots comme paravents pour masquer la réalité ! La France est une République, fière de ses fonctionnaires et de ses services publics. C’est une culture profondément enracinée en nous. Pour autant, nos services publics ne sont heureusement pas des vaches sacrées ! Nous devons pouvoir en parler sans tabou et les faire évoluer. Je tiens à vous le dire, une telle démarche se fonde non pas sur une idéologie, mais uniquement sur du pragmatisme.
Et ce n’est pas en embaumant la fonction publique que vous la ferez évoluer, monsieur le sénateur ! En tout cas, ceux qui déterreront dans deux mille ans le statut dont vous rêvez feront de l’archéologie ! Nous préférons, pour notre part, faire de la gestion ; cela me paraît une approche plus efficace !
Monsieur Gouteyron, je vous remercie des propos très utiles que vous avez tenus concernant le ministère des affaires étrangères. C’est un ministère que je connais bien, et nous avons déjà eu l’occasion de travailler ensemble sur ce sujet à d’autres époques. Il est vrai qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires de ce ministère sont aujourd’hui mal employés, voire inemployés. Nombre de mesures contenues dans les seize articles de ce projet de loi répondent à ces difficultés d’emploi et de gestion spécifiques à ce ministère.
Madame Mathon-Poinat, vous avez également parlé de précarité. Je l’ai dit, le texte crée non pas de la précarité, mais, au contraire, de la souplesse pour permettre des remplacements afin d’assurer la continuité du service public. C’est en donnant un cadre d’emploi adapté à cette souplesse face aux besoins ponctuels que nous voulons lutter contre la précarité.
J’ai également retenu de votre intervention, madame le sénateur, que, en diminuant le nombre de fonctionnaires, nous dégraderions le service public ! Au-delà de ces propos alarmistes et, à mon avis, un peu déplacés (Mme Marie-France Beaufils proteste.), il faut voir la réalité en face. C’est ce que doit faire un élu, sauf à avoir une vision irresponsable des choses, et nous ne sommes pas élus pour avoir une telle vision. L’attitude que vous prônez est donc quelque peu étonnante.
N’oublions pas que la France affiche des déficits publics, que vos amis ont d’ailleurs contribué à creuser.
Mme Marie-France Beaufils. C’est faux ! Vous supprimez des recettes !
M. Éric Woerth, ministre. Tout le monde est responsable de cette situation existant en France depuis maintenant une bonne trentaine d’années. Les déficits de l’État, des collectivités locales, des régimes sociaux constituent une préoccupation constante, qui pourrait susciter un minimum de consensus sur l’ensemble de ces travées. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Il faut bien que nous combattions ces déficits, et c’est aussi en diminuant le nombre de fonctionnaires que nous y parviendrons.
Nous avons embauché 300 000 fonctionnaires dans les dix ou quinze dernières années, ce qui est évidemment beaucoup trop. Les collectivités locales continuent à embaucher une cinquantaine de milliers de fonctionnaires chaque année. Nous devons réagir !
Ne me dites pas que la qualité du service public s’accroît. Au contraire, les Français pensent l’inverse.
Par conséquent, la logique de moyens n’est pas une logique de qualité. Ne confondez pas les deux. Il faut bien une logique d’organisation, de juste répartition des moyens, de classification de la nécessité des services publics, mais également une logique d’évaluation des services publics.
Ces logiques ne sont ni de droite ni de gauche ! Elles reflètent la réalité. Elles s’inspirent non pas de l’idéologie, mais, au contraire, du pragmatisme. Nous ne cassons pas les services publics : nous les consolidons, madame le sénateur !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est cela, l’idéologie libérale !
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Détraigne, je vous remercie de la qualité de vos propos. Vous avez raison de le dire, il faut simplifier la fonction publique et, globalement, les textes qui s’appliquent à la fonction publique et aux administrations. Tel est le sens de notre combat. Le cœur du projet de loi est bien d’ouvrir plus systématiquement les voies d’accès au sein de chaque fonction publique, de simplifier et d’harmoniser les règles de gestion de la fonction publique.
Monsieur Buffet, je veux souligner les propos tenus par le Président de la République, auxquels je crois fermement et qui ont été relayés par André Santini et moi-même au cours de cette discussion générale : il faut faire circuler les idées, car une idée qui ne circule pas s’étiole et moisit. Il faut faire circuler aussi les hommes, parce que les compétences s’acquièrent au travers d’une multitude d’expériences. C’est ainsi que l’on enrichit une vie professionnelle et que l’on devient de plus en plus utile à la collectivité.
Tel est le sens profond de ce projet de loi. Ce dernier inaugure une nouvelle étape, avez-vous dit. Je le crois, car il est l’expression d’une véritable ambition. Je rêvais peut-être, mais j’espérais un consensus entre la droite et la gauche sur un tel texte.
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, n’a pas voté pour, certes, mais n’y a-t-il pas un peu d’hypocrisie, très fondamentalement, chez les employeurs de la fonction publique territoriale ?
M. Pierre-Yves Collombat. Il n’y a pas d’hypocrisie ! Et le Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Je l’ai constaté lors des discussions sur les rémunérations. Nous avons demandé aux représentants de la fonction publique territoriale, qui s’inquiétaient à propos de leurs budgets, de s’engager sur des sujets lourds, comme la création d’une garantie individuelle de pouvoir d’achat, le point d’indice, les rémunérations catégorielles ou au mérite. En discutant individuellement avec les responsables des collectivités locales, qu’ils soient de droite ou de gauche, j’ai eu le sentiment que nous partagions la même opinion, que nous avions le même désir de voir nos fonctionnaires mieux rémunérés, tout en convenant de la nécessité de se doter de règles de gestion claires. Or, curieusement, dès que le sujet vient sur la place publique, ce ne sont que des cris d’oies blanches effarouchées !
Pour ma part, je considère qu’il faut regarder les choses en face, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous devons évaluer notre fonction publique et la faire évoluer. C’est vraiment l’intérêt des fonctionnaires de notre pays, qui sont remarquables et que nombre de pays nous envient d’ailleurs.
Mme Marie-France Beaufils. C’est pour cela qu’il ne faut pas diminuer leur nombre !
M. Éric Woerth, ministre. Nous avons une fonction publique, des administrations, des services publics organisés, et nous devons pouvoir continuer dans cette voie.
Cependant – et je m’exprime sur ce point en tant que ministre du budget –, il importe également de résoudre nos problèmes de déficits publics.
Je suis convaincu que nous pouvons réussir dans ces deux domaines sans idéologie, avec beaucoup de pragmatisme et, me semble-t-il, dans le consensus. Je regrette l’absence de ce dernier dans cette discussion générale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Je rappelle que, par lettre en date du 9 avril 2008, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l’urgence du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (n° 267).
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisi, par Mmes Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 33 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (n° 267, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la motion.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, qui nous est soumis aujourd’hui, remet en cause, dans le cadre de la politique de réduction des dépenses publiques et de privatisations menée depuis 2002 et de façon plus accrue depuis 2007, les principes mêmes du statut général de la fonction publique.
Il se situe dans le prolongement de la loi de juillet 2005, qui a introduit le contrat à durée indéterminée dans la fonction publique, et la loi de février 2007 qui, sous couvert de renforcer le droit à la formation des agents, gomme un peu plus les différences entre la fonction publique et le secteur privé.
Mais il est aussi un prélude à la grande loi à venir sur la fonction publique, qui viserait à banaliser encore plus le statut des fonctionnaires, en facilitant le passage entre le secteur public et le secteur privé.
Il s’inscrit dans le cadre du grand chantier gouvernemental ouvert en juillet 2007 de révision générale des politiques publiques et du discours du Chef de l’État à Nantes, en septembre 2007.
Enfin, il nous est présenté au lendemain de la parution du rapport Silicani sur l’avenir de la fonction publique, véritable offensive contre le statut de la fonction publique.
En étudiant le présent projet de loi, nous ne pouvons pas faire comme si tout cela était détaché et sans cohérence.
Ce projet de loi poursuit, en fait, la transformation de la fonction publique amorcée lors de la précédente législature.
Depuis quelques années, les attaques contre le statut n’ont cessé d’être portées par les gouvernements de droite qui se sont succédé, et ce pour une raison essentielle : ce statut constitue un obstacle à la logique de marché.
En effet, le statut de la fonction publique est fondé sur des principes républicains et constitutionnels inhérents à la spécificité de la fonction publique. Mais force est de constater que cette spécificité tend peu à peu à disparaître.
Le statut garantit l’existence et l’unité d’une fonction publique nationale sur l’ensemble du territoire. Cette dernière est fondée sur le principe d’égalité d’accès aux emplois publics grâce au recrutement par concours, qui s’oppose au clientélisme et à l’élitisme.
Quant à la séparation du grade et de l’emploi, elle garantit l’indépendance des fonctionnaires à l’égard du pouvoir politique.
Enfin, le principe de responsabilité confère au fonctionnaire la plénitude des droits des citoyens. En ce sens, la fonction publique est l’instrument central de la mise en œuvre de l’intérêt général. C’est pourquoi il est placé par la loi dans une situation statutaire au regard de l’administration et non pas contractuelle.
Or les lois de 2005 et de 2007, qui se situent elles-mêmes dans un contexte de privatisation et de dérégulation, ont contribué à étendre le champ de la contractualisation au sein de la fonction publique, au détriment du statut, et donc de la loi.
Aujourd’hui, cette logique est renforcée avec ce projet de loi, qui organise l’instabilité de l’emploi au sein de la fonction publique et favorise le clientélisme.
Cela participe à la remise en cause de la conception même du service public telle que notre pays l’a développée au cours de son histoire. C’est donc l’abandon des principes régissant la fonction publique qui est en l’espèce inquiétant.
Le projet de loi, avec le système de droit au départ, d’accompagnement financier à la mobilité, conduit à l’individualisation des carrières. L’extension des possibilités de cumul d’emplois à temps non complet accroît la précarité au sein de la fonction publique.
Enfin, le recours facilité aux contractuels ou, pis encore, le recours légalisé à l’intérim ouvrent de façon encore plus grande la brèche de la contractualisation dans le recrutement pour accéder à la fonction publique.
Cette contractualisation renforcée, couplée à l’intérim, revient à fonder le recrutement sur le clientélisme pour en faire une filière d’embauche à part entière, pour transformer les agents de la fonction publique en variable d’ajustement, comme dans les entreprises privées.
Ces dérives du projet de loi constituent des éléments phares du rapport Silicani. Nous ne nous en étonnerons pas. L’orientation de ce rapport est clairement favorable à un abandon du statut et des principes qui le fondent. M. Silicani formule ainsi plusieurs propositions, qui nient purement et simplement la conception républicaine de notre fonction publique.
Il entend banaliser le contrat comme mode de recrutement. Il n’est d’ailleurs même plus question du contrat de droit public ; il s’agit bien de soumettre les personnels à un contrat de droit privé.
La proposition n° 12, pudiquement intitulée « Moderniser le régime des agents contractuels des collectivités publiques », revient en fait à proposer que « les emplois correspondant à des missions de souveraineté ou comportant des prérogatives de puissance publique soient occupés, à titre principal, par des agents titulaires et, à titre complémentaire, par des contractuels de droit public ; les autres emplois des collectivités publiques seraient occupés, à titre principal, par des agents titulaires et, à titre complémentaire, “en régime de croisière” par des contractuels de droit privé. »
Comment s’étonner, ensuite, que M. Silicani considère le concours comme un frein à l’accès à la fonction publique ? Le concours est pourtant le fondement même du principe de l’égal accès à l’emploi public.
Faire du contrat le mode de recrutement dans la fonction publique n’est pas le fruit du hasard. Placer l’agent – mais pourra-t-on encore l’appeler ainsi ? – dans un rapport individuel à l’égard de l’administration le déconnectera de l’intérêt général et le renverra vers des intérêts particuliers. Cela le rendra également plus vulnérable aux pressions administratives, politiques ou économiques.
Il en va de même lorsqu’il est question d’imposer le métier comme concept de référence en lieu et place de la fonction, comme le suggère le rapport Silicani. Ce sont ici deux notions qui s’affrontent : la fonction publique de carrière, qui garantit l’indépendance du fonctionnaire, et la fonction publique de l’emploi, qui soumettra ce dernier à une logique de marché.
Substitution du contrat à la loi et substitution de la notion de métier à la notion de fonction vont donc de pair. C’est à croire qu’il vous est insupportable que 5,3 millions de personnes échappent encore aujourd’hui à la logique de marché et à cette logique de « flexisécurité » qui vous est si chère.
Ce qui vous anime, c’est donc non pas l’intérêt général, mais bien la volonté de faire éclater le statut de la fonction publique pour mieux mettre en place votre révision générale des politiques publiques. Les fonctionnaires sont aujourd’hui considérés comme trop nombreux et trop coûteux. La révision générale des politiques publiques commande des suppressions massives de postes de fonctionnaire.
Ce projet de loi est taillé sur mesure pour accompagner ce mouvement et, ainsi, mettre fin plus sûrement au service public. S’inscrivant dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il donnera aux administrations de nouveaux outils pour gérer les restructurations qu’elle imposera.
Pour le gouvernement actuel, comme pour les gouvernements qui l’ont précédé, la réduction des effectifs de la fonction publique est une priorité pour assainir les comptes publics. C’est surtout un choix clairement politique : le Gouvernement aurait pu tout aussi bien opter pour une augmentation des recettes de l’État. La politique fiscale, en particulier le bouclier fiscal, porté à 50 % dès après l’élection présidentielle, entraîne en effet un véritable manque à gagner pour le budget de l’Etat.
Le Président de la République ne peut à la fois promettre des cadeaux fiscaux et réduire le déficit. Sa solution est donc simple : « L’équilibre de nos finances publiques dépend de notre capacité à réduire les effectifs. » Ainsi, la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite conduira à la suppression de 35 000 postes en 2009.
Ce projet de loi s’inscrit dans cette logique de réduction des dépenses et des effectifs : il encourage les départs sous couvert de mobilité ; il donne en fait les outils nécessaires à l’État pour mettre en œuvre un plan social d’une ampleur inégalée ; enfin, il permettra à l’État, toujours dans le but de réduire les dépenses publiques, de se désengager sur le dos des collectivités territoriales.
Le Gouvernement utilise l’argument de la mobilité pour, en réalité, encourager les fonctionnaires à quitter la fonction publique. C’est une formule que l’on connaît bien ; nous avons connu ce même processus avec France Télécom, La Poste ou EDF et GDF, lors des opérations de privatisation.
Quelques articles du projet de loi en sont l’illustration : l’article 4 crée un droit au départ des fonctionnaires dans une autre administration, mais aussi dans le secteur privé ; les articles 5 et 6 mettent en avant un avantage avant tout financier afin d’encourager les fonctionnaires à la mobilité, bien que la mobilité envisagée en l’espèce soit en réalité contrainte, puisqu’elle se fera dans le cadre de la restructuration d’une administration.
La mobilité est également contrainte pour l’agent qui, en vertu de l’article 7 du projet de loi, aura refusé successivement trois emplois publics : il sera ni plus ni moins placé d’office en disponibilité.
À la lecture de ces articles, il est question d’encourager plus les départs de la fonction publique que la mobilité au sein de ses trois « versants ».
Le Gouvernement organise également l’incitation au départ de la fonction publique dans un cadre qui dépasse ce projet de loi. En effet, ce texte sera accompagné de toute une série de décrets, d’ores et déjà prêts, voire, pour certains, déjà publiés – je vous renvoie à cet égard au Journal officiel du 19 avril dernier ! –, ayant pour objet d’instituer des primes au départ. Ainsi, l’un d’entre eux prévoit le versement d’une « prime de restructuration de service » plafonnée à 15 000 euros pour les agents, titulaires ou non, « mutés ou déplacés » dans le cadre d’une restructuration, ainsi que le versement d’une « allocation d’aide à la mobilité du conjoint » contraint d’abandonner son emploi pour suivre l’agent muté, d’un montant pouvant atteindre 6 100 euros. Un autre décret institue une indemnité de départ, plafonnée à deux ans de salaire, pour les fonctionnaires quittant la fonction publique d’État pour mener à bien un projet personnel ou créer leur entreprise. Enfin, les fonctionnaires acceptant d’occuper au moins trois ans un emploi difficile à pourvoir ou situé dans des zones géographiques sensibles recevront une indemnité de mobilité versée « par tranche » et plafonnée à 10 000 euros.
La mobilité est ici clairement utilisée à des fins purement comptables et financières, et ce projet de loi doit être analysé dans son ensemble sous l’angle de la révision générale des politiques publiques. Ses objectifs sont la réduction des dépenses publiques, le remodelage de l’appareil de l’État.
Monsieur le secrétaire d'État, vous voulez recentrer l’intervention publique sur des missions de pilotage des politiques publiques, de régulation et de cohésion sociale minimum. Pour vous, cela induit nécessairement que le statut des personnels, avec la même logique, soit modifié en conséquence.
Ainsi, et de façon assez provocatrice, le Gouvernement se donne les moyens d’organiser dans la fonction publique un vaste plan social qui ne dit pas son nom.
Il prévoit la possibilité de placer en disponibilité d’office un fonctionnaire qui, dans le cadre d’une restructuration, privé de son emploi, refuserait successivement trois emplois publics. Cette mesure constitue en fait un licenciement à peine déguisé.
Plus grave encore, le Gouvernement propose de légaliser le recours à l’intérim dans chacune des trois fonctions publiques pour pourvoir rapidement des emplois temporairement inoccupés ou pour faire face à un besoin ponctuel.
N’est-ce pas plutôt une gestion prévisionnelle des emplois et des formations qui aurait été nécessaire ? On le mesure bien, en particulier, dans le secteur hospitalier.
Deux objectifs guident votre choix : d’une part, dans le cadre d’une réduction des effectifs, recourir de moins en moins aux agents publics pour remplacer temporairement leurs collègues ; d’autre part, habituer les esprits au fait qu’un emploi public peut aussi bien être assuré par un intérimaire que par un agent public, que l’emploi public n’est pas plus spécifique que n’importe quel emploi salarié.
C’est une remise en cause de notre conception républicaine du statut de la fonction publique qui nous est présentée ici.
L’introduction de l’intérim s’inscrit donc très clairement dans la logique comptable du Gouvernement : une fois que les effectifs d’agents publics seront réduits, il faudra bien recourir à l’intérim en cas de besoins ponctuels. Et après ? Rien n’empêchera, une fois cette brèche ouverte, d’élargir le recours à celui-ci. La commission des lois elle-même a été jusqu’à proposer la suppression pure et simple de l’article 10 du projet de loi. M. le rapporteur a en effet jugé qu’il était « discutable de confier aux salariés de travail temporaire qui, par nature, assurent des missions fugaces chez des employeurs successifs de toutes natures, des fonctions de puissance publique ». Il conclut de manière nette et sans appel que « le sens du service public s’acquiert par une longue pratique et par l’application d’un statut spécifique ».
Le Gouvernement défend une autre logique, qui consiste à gommer petit à petit les différences entre le secteur public et le secteur privé, à banaliser le service public et l’emploi public.
Les parlementaires communistes ont une tout autre idée de ce que devrait être une fonction publique. Notre pays a besoin de développer ses services publics pour leur permettre de répondre pleinement aux besoins de la population. Cela est d’autant plus vrai que, aujourd’hui, la montée de la précarité dans la population place les collectivités territoriales en première ligne face à des familles que le chômage fragilise ou jette dans des difficultés insurmontables.
L’importance de services publics locaux n’étant plus à démontrer, il est essentiel de maintenir les agents publics qui les assurent. Les collectivités territoriales, étranglées financièrement notamment en raison des transferts de compétences entraînés par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, mais aussi en raison du désengagement de l’État, éprouvent bien des difficultés à faire face. Bien que tous les élus aient tiré à de nombreuses reprises la sonnette d’alarme, le Gouvernement poursuit son entreprise de désengagement de l’État vers les collectivités territoriales.
En même temps, monsieur le secrétaire d'État, vous reprochez à ces collectivités de trop dépenser et, ainsi, de ne pas suffisamment contribuer à la réduction des déficits publics, conformément à l’engagement du Président de la République auprès de la Commission européenne. C’est d’ailleurs ce qui conduit M. Silicani à préconiser de « mieux spécialiser chaque catégorie de collectivités publiques dans l’exercice de certaines missions et de renforcer les capacités de régulation de l’État ». Il ajoute que « l’État devrait poursuivre et accentuer le mouvement conduisant à confier la mise en œuvre des politiques publiques […] à des établissements publics placés sous sa tutelle […], aux collectivités territoriales […], aux partenaires sociaux […], à des associations ou des entreprises, pour la gestion de services publics à but non lucratif […] ».
Ce projet de loi relatif à la mobilité prépare donc en fait l’accentuation du désengagement de l’État vers les collectivités territoriales. De plus, l’exemple de l’article 6 du projet de loi, qui prévoit que, en cas de restructuration d’une administration de l’État, la collectivité d’accueil du fonctionnaire lui verse une indemnité d’accompagnement à la mobilité, est significatif : il fait reposer sur les collectivités territoriales la prise en charge financière des fonctionnaires dont l’État ne voudra plus.
Ce désengagement de l’État devient ainsi un formidable outil pour réduire le déficit du budget de l’État. La logique est la même que celle qui a prévalu avec le projet de loi relatif aux contrats de partenariats, discuté récemment dans cette enceinte. Néanmoins, le présent projet de loi va bien plus loin : il remet en cause la spécificité de la fonction publique et la détourne de l’intérêt général, ce pour quoi elle existe.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que ce projet de loi ne répondra aux attentes ni des agents en matière de mobilité ni des citoyens en matière de services publics. C’est pourquoi ils proposent, par l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable par scrutin public, de rejeter ce texte, d’autant que, comme le rappelait M. le rapporteur, un autre texte devrait prochainement avoir pour objet de réformer la fonction publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)