M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage évidemment l’opinion de ma collègue.
Je souhaite également vous rappeler, madame la secrétaire d’État, qu’un député communiste avait déposé, voilà quelques années, une proposition de loi tendant à supprimer le mot « race » de tous nos textes de loi. On lui avait répondu, à l’époque, qu’il était d’urgent d’attendre, car une telle disposition aurait rendu obligatoire la modification de nombreux codes, ainsi que de la Constitution. Certes, je n’en disconviens pas. Mais n’est-ce pas souvent le cas ? Nous sommes fréquemment amenés à modifier la législation, à codifier, à « recodifier » et à « décodifier », et nous le faisons sans être pour autant épuisés !
Si l’on suit votre raisonnement, on trouvera toujours le moyen de s’abriter derrière des textes de toutes sortes, y compris européens et internationaux.
Je crois vraiment que nous nous honorerions, et ce particulièrement en traitant du problème des discriminations, si nous prenions, les premiers, l’initiative – après tout, cela nous est déjà arrivé au cours de l’histoire ! – de supprimer le mot « race » de notre législation, initiative qui aurait sans aucun doute un effet sur d’autres législations européennes, voire internationales.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Le texte que nous examinons vise à lutter contre les discriminations. Utiliser le terme de « race », même dans le but de prohiber les discriminations, concourt à légitimer cette notion, alors même que tous les travaux scientifiques dont nous disposons ont conclu à l’inexistence de toute race au sein de l’espèce humaine.
La contradiction qui existe entre le droit et la science n’est pas sans conséquences. Il est certain que le fait de supprimer ce mot de notre vocabulaire ou de notre législation ne fera pas disparaître le racisme. Mais il s’agit tout de même, avec ce texte, de faire tomber les préjugés et de leur ôter toute force dans l’imaginaire des individus.
Ce que nous vous demandons, chers collègues, c’est d’être un peu imaginatifs, innovants et créatifs. Rien de plus !
Mme Annie David. Bien sûr !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 31.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas les amendements.)
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mmes Alquier et Khiari, MM. Madec et Michel, Mme Demontès, M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
ses convictions
par les mots :
ses opinions politiques, ses activités syndicales ou mutualistes, ses convictions religieuses
La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Il s’agit d’un amendement de précision.
Le mot « convictions » est en effet très large et n’implique pas nécessairement un engagement public affirmé. Nous proposons donc de décliner ce terme sous les différentes formes que les convictions sont susceptibles de revêtir, et surtout celles qui peuvent donner lieu le plus fréquemment à discrimination : les opinions politiques, les convictions religieuses, les activités syndicales. Cette précision nous paraît de nature à fournir un fondement juridique plus précis dans les différents contentieux pouvant surgir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. Contrairement à ce qu’indique l’objet, il ne s’agit pas d’un simple amendement de précision.
Cet amendement tend en effet à ajouter deux nouveaux critères de discrimination à la définition communautaire des discriminations : les activités syndicales et les activités mutualistes, et sans doute en a-t-on oublié. Or ces deux critères ne sont pas prévus par les directives transposées et leur intégration dans le droit communautaire ne peut se faire que par la négociation d’une nouvelle directive. Par ailleurs, les discriminations fondées sur les activités syndicales et mutualistes sont déjà interdites par le code du travail.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Cet amendement vise à préciser la notion de convictions mentionnée dans les directives, en indiquant que celles-ci recouvrent les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes et les convictions religieuses.
Cette précision nous éloigne du texte de la directive et nous fait courir un risque sur le plan juridique. En effet, il est tout à fait possible que la notion de convictions puisse recouvrir d’autres éléments que les quatre figurant dans l’amendement.
Le Gouvernement estime que l’amendement proposé présente ainsi le risque de restreindre la portée de la définition. Il rappelle, en outre, que l’interdiction des discriminations fondées sur les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes et les convictions religieuses est d’ores et déjà posée par l’article L. 122-45 du code du travail, qui renverra explicitement aux définitions contenues dans le projet de loi.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° 36, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer le mot :
sexe
par le mot :
genre
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement, qui pourrait paraître à un certain nombre d’entre vous comme étant de pure forme, est toutefois très important sur le fond.
Il ne s’agit nullement ici de nier la réalité. Effectivement, le sexe est un facteur discriminant. Mais l’utilisation de cette seule notion dans les textes de loi tend à faire croire que la discrimination fondée sur le sexe renvoie systématiquement à la sexualité. Or tel n’est pas le cas : dans une part non négligeable des cas, les discriminations des femmes par rapport aux hommes ne sont pas construites à partir d’une approche sexuée de la personne mais, au contraire, à partir d’une approche sociétale.
La discrimination à l’égard des femmes est donc le plus souvent fondée sur une vision négative, ancienne, pour ne pas dire moyenâgeuse, des femmes.
On retiendra, par exemple, les critiques faites aux femmes d’être plus incompétentes que les hommes, d’abandonner le foyer conjugal et les tâches qui sont censées leur revenir, comme le ménage, l’éducation des enfants et la confection des repas, ou encore la critique associée consistant à expliquer la hausse du chômage par le « vol » du travail des hommes par les femmes.
Le mot « sexe » est ici mal venu et il serait préférable d’utiliser le mot « genre », comme dans les expressions « genre masculin » et « genre féminin ».
Avec cet amendement, nous espérons que vous prendrez la mesure des évolutions sociétales en jeu et que vous ferez en sorte que le langage législatif « colle » à la volonté réelle du législateur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. Le mot « genre » n’est pas très utilisé dans notre société latine, qui lui préfère le mot « sexe », à la différence de ce que l’on constate assez fréquemment dans le nord de l’Europe et dans les pays anglo-saxons.
De surcroît, le droit communautaire comme le droit national recourent de préférence à cette notion de sexe, mais rarement, voire pas du tout, au mot « genre ».
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Dini, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
, ne l’a été ou ne le serait
par les mots :
ou ne l’a été
La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. Cet amendement vise à limiter l’insécurité juridique qui résulte de la définition communautaire de la discrimination directe.
La dimension fictive de la comparaison, exprimée par la formule au conditionnel « ne le serait », pourrait en effet conduire à des condamnations fondées sur de simples suppositions. Comment une personne accusée de discrimination pourra-t-elle se défendre si les accusations dont elle fait l’objet ne sont que des hypothèses ? Veut-on remettre en cause, dans notre pays, le principe fondamental selon lequel une personne ne peut être condamnée que pour des actes qu’elle a effectivement commis ?
En réalité, mes chers collègues, le conditionnel « serait » ouvre une porte légale aux procès d’intention, ce qui me semble inacceptable. Aussi la commission des affaires sociales, soucieuse d’éviter de tels procès, a adopté à l’unanimité cet amendement qui, en conformité avec le droit communautaire, tend à supprimer l’expression au conditionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. Le Gouvernement ne peut émettre qu’un avis défavorable.
La définition qui apparaît dans le projet de loi est directement issue des directives communautaires. Le Gouvernement a repris cette définition au mot près, car la Commission européenne nous a demandé très explicitement de le faire dans les avis motivés qu’elle nous a adressés. Elle indique ainsi : « La formulation adoptée dans la directive est importante afin de déterminer les situations de discriminations à travers la méthode comparative dans le passé, le présent ou le futur ».
Il s’agit, pour la Commission, d’un point fondamental de la transposition des directives relatives aux discriminations, sur lequel elle nous a indiqué qu’elle ne ferait aucune concession et n’hésiterait pas à saisir la Cour de justice des Communautés européennes.
Il faut donc être clair : si le projet de loi contient une autre définition que celle des directives, la France sera condamnée en manquement par la CJCE.
J’ajoute que la méthode comparative est déjà utilisée en droit français. Je pense, par exemple, aux cas dans lesquels le juge procède à des reconstitutions de carrière ou à l’indemnisation de la perte de chance en matière de responsabilité hospitalière. Nous sommes, là aussi, dans le conditionnel et l’éventualité, et c’est à cela que tient la garantie des victimes.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. Ainsi donc, madame la secrétaire d’État, et je le constate avec inquiétude, la Commission européenne serait capable de discriminations ? Je m’explique.
La loi espagnole du 30 décembre 2003 transposant la même directive ne reprend pas le conditionnel « serait ». Or la Commission a considéré que la transposition espagnole était tout à fait correcte et n’a pas engagé d’action en manquement contre l’Espagne. De plus, le 31 janvier dernier, la Commission a fait une communication dans laquelle elle affirmait avoir engagé une action en manquement contre tous les États membres n’ayant pas correctement transposé la directive 2000/78/CE, et l’Espagne ne figurait pas sur sa liste.
J’en conclus que, si nous supprimions les mots « ne le serait », la Commission ne pourrait pas engager une action en manquement contre la France, dans la mesure où elle ne l’a pas fait contre l’Espagne. Dans le cas contraire, nous serions victimes de discrimination ! (Sourires.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et, là, il faudrait condamner l’Europe !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Il me semble que c’est un amendement de bon sens : une définition juridique est positive ou négative, mais pas conditionnelle.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Dini, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots :
susceptible d’entraîner
par le mot :
entraînant
La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. Comme le précédent, cet amendement n’a d’autre objet que de limiter les risques de procès d’intention qui découlent des définitions communautaires des discriminations.
La définition de la discrimination indirecte évoque une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre, susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres.
D’après la définition, une personne pourrait donc être condamnée pour avoir instauré une pratique, une disposition, un critère qui ne crée pas de discriminations, mais qui est, d’après le juge, susceptible de le faire.
Une telle définition revient à autoriser les procès d’intention, et cela, une fois de plus, me paraît « incorrect », pour parler comme les Américains. (Sourires.)
Voilà pourquoi la commission des affaires sociales a adopté à l’unanimité, en conformité avec le droit communautaire, cet amendement qui tend à remplacer l’expression : « susceptible d’entraîner » par le mot : « entraînant ». Il n’y aura donc de sanction possible que pour des faits réels, et non hypothétiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. L’avis du Gouvernement sera évidemment le même que sur l’amendement n° 1 : défavorable !
Qu’il me soit permis de le rappeler, pour mémoire, à votre assemblée, la France, qui va assumer bientôt la présidence de l’Union européenne, fait tout de même aujourd'hui l’objet de trois procédures sur ce sujet des discriminations !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Les mots : « susceptible d’entraîner » figurent dans la directive. Il ne me semble pas souhaitable de les supprimer. En effet, s’ils s’appliquent à une disposition ou une pratique en apparence neutre, ils visent des faits indirectement discriminatoires. On peut dire que, dans la discrimination indirecte, le désavantage avance masqué.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. Pour continuer avec mon exemple, je rappelle qu’en Espagne la loi du 30 décembre 2003 ne reprend pas l’expression : « susceptible d’entraîner », et la Commission européenne ne s’en est pas émue ! Si elle se décidait à intervenir contre nous, nous serions donc victimes d’une autre discrimination !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 32, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. - Rédiger comme suit le début de l'avant-dernier alinéa (1°) de cet article :
1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa subi par une personne...
II. - Rédiger comme suit le dernier alinéa (2°) de cet article :
2° Tout agissement lié à un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, subi par une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
III. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
3° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Mme Dini, rapporteur, signale, dès les premières pages de son rapport, que ce projet de loi présente bien des lacunes. Je cite ses propres mots : « La recherche d’efficacité semble avoir conduit le Gouvernement à négliger des problèmes de forme, préoccupants, et à sous-estimer des difficultés de fond, ce qui est plus inquiétant ».
Je m’associe à ce constat, tout en précisant que je ne souscris pas à l’ensemble du rapport de Mme Dini, comme je l’ai dit dans la discussion générale.
L’intérêt de cette transposition, outre le fait de nous éviter une condamnation certaine par la Cour de justice, réside, ou plutôt devrait résider dans l’intégration en droit national des définitions contenues dans les textes communautaires.
Malheureusement, la rédaction des définitions du harcèlement, telle que proposée par ce gouvernement, ne reprend que partiellement les directives communautaires : la directive 2002/73 /CE apporte en matière de harcèlement une définition, ou plutôt deux définitions qui n’ont pas fait l’objet d’une transposition correcte en droit interne et qui ne seraient pas non plus correctement transposées si ce texte était adopté en l’état. Nous risquerions donc une nouvelle réprimande de la Commission européenne.
Vous avez retenu certains éléments de la directive, mais vous n’avez pas adopté l’intégralité de son contenu, puisque l’article 2-2 de cette directive introduit deux formes de discriminations fondées sur le genre : une discrimination que l’on pourrait qualifier de sexiste : il s’agit de l’alinéa 3 de l’article 2-2 ; et une discrimination sexuelle dans un sens plus attendu, tel que défini à l’alinéa 4 de cette même directive.
Dans le cadre de l’alinéa 3, qui vise la discrimination sexiste, il s’agit, en fait, d’offrir aux États membres un outil juridique permettant de sanctionner les agissements d’un individu ou d’un groupe d’individus autour d’une personne, l’élément « fondateur » de ce harcèlement résidant dans « le genre » de la victime. Un tel outil est aujourd’hui inexistant en droit français.
Il s’agit, pour faire simple, de sanctionner les situations que subissent des milliers de citoyennes et de citoyens dans notre pays. Ce sont, par exemple, les propos machistes, inappropriés, relatifs aux capacités professionnelles, ou encore portant sur l’aspect physique ou les tenues vestimentaires. Aujourd'hui, cela ne peut pas faire l’objet de sanctions dans le monde de l’entreprise, le code du travail ne contenant pas de dispositions en ce sens.
Quant à la définition contenue à l’alinéa 4 de l’article 2-2 de la directive, elle apporte une précision supplémentaire en droit français. Il s’agit, dès lors, de sanctionner non plus les seuls « actes dont le but est d’obtenir pour soi ou pour un tiers des faveurs sexuelles », mais tous les agissements non désirés liés au sexe.
On le voit, ces deux définitions sont complémentaires en droit communautaire et doivent l’être en droit national. Or, la rédaction du projet de loi ne transpose pas la première définition et ne transpose que partiellement la seconde. La définition proposée par le Gouvernement reprend en partie, il est vrai, la définition contenue au quatrième alinéa, tout en supprimant les notions d’actes exprimés « physiquement, verbalement ou non verbalement ».
La réalité du droit français est telle que les procès pour harcèlement sur le lieu de travail aboutissent régulièrement à une non-condamnation, quand ce n’est pas à une condamnation de la plaignante aux dépens. Nous avons d’ailleurs déploré cette réalité lors de l’examen en commission du rapport. Non pas que les juges éprouvent des réticences particulières à recourir à cette notion, mais les lois sont tellement restrictives qu’elles n’offrent que peu de points d’appui pour les juges prud’homaux.
Cet amendement vise donc à transposer intégralement dans l’actuel projet de loi les définitions contenues dans les directives européennes. Il s’agit, pour mon groupe, d’une part, d’éviter une transposition incorrecte pouvant déboucher sur une nouvelle sanction communautaire, d’autre part, d’offrir aux victimes de harcèlement un outil plus protecteur que celui qui est défini dans ce projet de loi.
Madame la secrétaire d’État, vous ne pourrez pas me soutenir le contraire, vous qui venez de nous dire que, si la France ne transpose pas au mot près, la Commission agira en manquement ! Il faut donc adopter cet amendement, qui vous permettra de respecter notre obligation de transposition !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non, ce n’est pas vrai ! Il faut relire les décisions de justice !
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans l'avant-dernier alinéa (1°) de cet article, avant les mots :
tout agissement
insérer les mots :
les actes de harcèlement définis comme
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Pour défendre cet amendement, je m’appuierai sur le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, notamment sur la question des définitions.
En effet, j’en partage l’analyse et, plus spécifiquement, celle qui concerne les définitions du harcèlement : les définitions actuelles sont plus restrictives que les définitions communautaires.
Je partage également l’analyse formulée dans le rapport en ces termes : « Si votre délégation devait formuler un regret, cela serait plutôt que cet exercice de transposition aboutisse parfois à une juxtaposition de dispositions qui risquent de contribuer à brouiller la lisibilité de l’ensemble ». Telle est d’ailleurs notre principale critique.
Or, en matière de harcèlement sexuel, on ne peut que regretter la conciliation opérée par le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. Il ne remet nullement en cause les définitions du droit national, qu’il s’agisse de celle contenue dans le code du travail ou de celle contenue dans le code pénal.
Vous l’aurez remarqué, lors de mon intervention dans la discussion générale, ou à l’occasion des amendements que je viens de défendre, le groupe CRC s’est inscrit dans une démarche résolument positive, construite autour d’une ambition : améliorer ce texte de transposition pour en faire un outil utile à celles et ceux qui sont victimes de discriminations.
Pour cela, nous refusons de nous faire enfermer dans une explication nébuleuse qui reviendrait à interdire toute action du législateur national au nom de la stricte transposition des directives communautaires.
À ce propos, je vous rappelle l’article 6 de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique que je vous ai citée dans la discussion générale. Il est mentionné dans ce texte que : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive ».
Au reste, cet article, vous le connaissez parfaitement ! La preuve ? Soit vous ne transposez pas intégralement certaines définitions ; soit vous intégrez dans ce projet de loi des dispositions modifiant le code pénal, alors que rien n’oblige en matière de transposition le législateur national à intervenir dans le domaine pénal ; soit encore vous proposez des enseignements séparés, alors que rien dans la directive n’y fait référence. Mais j’y reviendrai.
Pour revenir à l’amendement, la définition que vous donnez du harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, réussit l’exploit d’expliquer un « contexte » sans lui donner d’appellation. Il s’agit d’ailleurs là d’une interprétation non littérale des directives communautaires qui précisent, quant à elles, que les faits incriminés sont des actes de harcèlement.
Or on ne retrouve pas cette précision dans le présent projet de loi. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. Ces amendements visent à transposer mot à mot la définition communautaire du harcèlement sexuel. Cette définition, assez confuse, pose des problèmes de sécurité juridique sans renforcer efficacement la lutte contre le harcèlement sexuel et la protection des victimes qui sont, au surplus, d’ores et déjà assurées aussi bien que possible par le code du travail et par le code pénal, c'est-à-dire par la législation nationale.
La commission émet un avis défavorable, car, sur ce point, elle suit le Gouvernement et retient la rédaction qu’il nous a proposée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Sur l’amendement n° 32, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée.
Sur l’amendement n° 35, l’avis est défavorable. C’est volontairement que le Gouvernement a évité d’utiliser le mot « harcèlement » dans le projet de loi qui vous est soumis, pour ne pas créer de confusion entre les faits assimilés à du harcèlement au sens de la directive et la notion pénale de harcèlement.
En effet, les directives que nous transposons ne régissent que la matière civile ; elles n’ont aucune incidence en matière pénale. En particulier, elles ne nous imposent pas d’aligner la définition du harcèlement au sens pénal du terme sur la notion de harcèlement au sens civil du terme, c’est-à-dire dans la perspective d’obtenir la réparation du préjudice subi.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. J’insiste sur le caractère confus de la définition communautaire du harcèlement sexuel, comme chacun peut le constater en la relisant : « Tout agissement lié à un comportement non désiré à connotation sexuelle s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, subi par une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
De plus, la Commission européenne n’a pas demandé que nous transposions cette définition mot à mot. Il n’y a pas de grief et donc pas de risque de sanction.
Je maintiens, au nom de la commission, notre soutien à la rédaction proposée. Il faut éviter de rendre notre droit confus et de créer une insécurité juridique supplémentaire.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Dini, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Une différence de traitement entre les salariés d’une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination.
La parole est à Mme Muguette Dini, rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur. Cet amendement rappelle un principe énoncé par la Cour de cassation dans son arrêt EDF c/ Chaize et autres du 7 octobre 1999, et plusieurs fois repris depuis lors.
La distinction entre la différence de traitement et la discrimination est essentielle, car elle détermine l’état d’esprit de la lutte contre les discriminations. Sans cette distinction, les salariés sont incités par le droit, dans un cas d’inégalité de traitement, à d’emblée invoquer un motif discriminatoire, alors que l’inégalité de traitement peut résulter d’autres facteurs et n’est pas forcément due au sexe, à la couleur de peau ou à l’orientation sexuelle de la personne.
La distinction vise au contraire, afin de faire cesser l’inégalité, à encourager les salariés à se réclamer du principe d’égalité qui est commun à tous et n’enferme pas les individus dans leurs différences.
Voilà pourquoi cet amendement, qui fut adopté à l’unanimité en commission, rappelle simplement cette distinction fermement établie par la Cour de cassation.