M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est bien !
Mme Isabelle Debré. En revanche, les mesures proposées au sujet du régime de cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante demandent une expertise ou ne sont pas toutes appropriées ; l'une d'elles a été écartée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Il est sage d'attendre les conclusions du groupe de travail qui vient d'être mis en place en vue de la réforme du dispositif et dont les propositions pourront être intégrées dans le prochain PLFSS.
Je soulignerai en conclusion que, sur l'ensemble des thèmes évoqués, il paraît plus prudent et plus cohérent de ne pas entraver le processus en cours en légiférant trop tôt. Nous pourrons profiter du travail approfondi du groupe communiste républicain et citoyen pour préparer le débat que nous serons appelés à mener dans quelques mois.
C'est pourquoi le groupe UMP, tout en saluant sincèrement la qualité du travail accompli, approuve le rejet du texte par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais maintenant laisser le fauteuil de la présidence à mon collègue Adrien Gouteyron afin de pouvoir assister dans les salons Boffrand à la réception donnée en l'honneur de Mme Marcelle Devaud, qui fête ses cent ans. Elle fut la première des très rares femmes qui ont assuré la vice-présidence de notre assemblée lorsque celle-ci s'appelait encore Conseil de la République. (Applaudissements.)
Je la saluerai en votre nom et ne manquerai pas de souligner que, cet après-midi, une femme siégeait au banc du Gouvernement, une autre était rapporteur, une autre encore était sur le point d'intervenir, et que nombreuses étaient les femmes présentes en séance.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Et elles viennent toutes du Nord !
M. Adrien Gouteyron. N'oubliez pas les hommes ! (Sourires.)
Mme la présidente. Pour autant, je ne manquerai pas de la saluer aussi au nom des hommes de notre assemblée !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Laissez-les vivre ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parité vous protégera ! (Nouveaux sourires.)
(M. Adrien Gouteyron remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par souligner une autre particularité de ce débat. Si l'auteur de la proposition de loi est une femme, le rapporteur une femme, le secrétaire d'État siégeant au banc du Gouvernement une femme, elles ont également en commun, ainsi que deux intervenants dans la discussion générale de ce texte, d'être du Nord-Pas-de-Calais, où l'expérience en matière de contamination est, hélas ! partagée.
La proposition de loi dont nous débattons a le mérite de nous mobiliser sur un ensemble de droits acquis essentiels pour la santé publique, en particulier pour celle des travailleurs, mais aussi de nous rappeler qu'en novembre 2007, à l'occasion de la refonte du code du travail, ces droits ont subi une importante érosion sous ordonnance.
Chacun s'accordait sur la nécessité d'une simplification qui aurait conservé l'esprit qui prévalait jusqu'alors et faisait du code du travail un instrument au service du droit et de la justice, au service des salariés et de leur protection.
Dans un jeu de kaléidoscope, le code du travail a été récrit et la protection des salariés s'est mutée en responsabilité partagée. Vivrions-nous dans un monde idéal dépourvu d'employeurs indélicats ? Le terme de « patrons voyous » a pourtant été forgé par la majorité, et non par de dangereux gauchistes !
Dans un contexte de « dialogue social » qui retarde le contrat durable et facilite le licenciement, ce n'est vraiment pas le moment d'exonérer les employeurs de leur responsabilité !
Si le port d'un casque sur un chantier ou d'un masque dans une scierie ne se discute pas, le confinement étouffant d'un scaphandre de désamianteur exige des pauses sanitaires rémunérées. Un simple exemple : dans le cadre de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, nous avons interrogé le directeur santé-sécurité de l'entreprise Arcelor sur l'éradication de l'amiante dans les usines du Brésil. La réponse, malgré tout ce que l'on sait, fut : « Non, car là-bas ce n'est pas obligatoire ».
Mme Michelle Demessine. Voilà !
Mme Marie-Christine Blandin. C'est donc la loi, ses décrets, et le contrôle de son application qui sont garants de la protection et non pas la « responsabilité partagée ».
Un recours a été déposé devant le Conseil constitutionnel sur la forme - le Gouvernement a agi par ordonnance - et sur le fond, en raison de nouveaux articles permissifs.
Une disposition prévoit que « les instructions de l'employeur précisent les conditions d'utilisation des équipements de travail des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses » ; mais un alinéa 2 ajoute que cette disposition échappe au principe de responsabilité de l'employeur.
Il faut savoir, par exemple, que des seuils qui s'imposent pour les produits fabriqués - 0,5 % pour certains éthers de glycol - ne s'appliquent pas pour les travailleurs si la substance est manipulée dans le cadre d'un process de fabrication et ne sort pas de l'entreprise.
Le temps minimal dévolu à la prévention sur les lieux de travail est laissé à l'appréciation et est fonction des disponibilités : il y aura désormais une visite médicale tous les deux ans au lieu d'une par an. Le temps minimal par salarié dont disposait le médecin du travail a disparu. En revanche, le médecin du travail se voit confier un secteur.
Les modalités de la mise en demeure faite par un inspecteur du travail, en cas de constatation d'un danger grave et imminent, sont renvoyées à la parution d'un décret.
Les modalités d'étiquetage des substances dangereuses sont également renvoyées à un décret. Pour la mise sur le marché et l'utilisation des substances et des préparations dangereuses, le nouveau texte ne précise plus que les décrets d'application « peuvent prévoir les modalités d'indemnisation des travailleurs atteints d'affections causées par ces produits ».
De toute façon, les employeurs peu vertueux et récidivistes voient les dispositions dissuasives de doublement des sanctions disparaître du nouveau code.
Tout cet environnement plaide en faveur des propositions du groupe CRC.
Et pourtant, la France n'est pas au sommet de l'exigence.
Quand elle transpose l'annexe 1 de la Directive européenne « cancérogènes et mutagènes », elle ne retient pas certaines filières reconnues par le Centre international de recherches sur le cancer, dont - excusez du peu - les fonderies de fer et d'acier, les métiers de la peinture, l'industrie du caoutchouc !
La santé au travail, déjà mise à mal, devient alors peau de chagrin.
Que sont devenues les propositions du rapport Conso et Frimat en vue de moderniser le dispositif de santé au travail pour mieux prévenir les risques ?
Comment sera anticipé le départ à la retraite d'ici à cinq ans de 1 700 médecins du travail, alors que seuls 370 auront été qualifiés à la même période ?
Quelle formation aujourd'hui et demain pour faire face aux nouvelles connaissances - contaminations et faibles doses - et aux transformations du système productif qui amènent stress et souffrance ? On compte les morts accidentelles et les morts par désespoir.
La proposition de loi nous sort d'une logique purement administrative et comptable qui obère toute chance de refonte d'une médecine préventive du XXIe siècle.
Simultanément, le Président de la République vante la précaution à l'occasion du Grenelle de l'environnement. Il déclare : « Nous allons créer un droit à la transparence totale dans l'information environnementale et de l'expertise ».
Il évoque « un principe de vigilance et de transparence », « un principe de responsabilité », et il dit ceci : « Nos décisions ne doivent pas dégrader la situation des plus démunis. Au contraire, ils doivent en être les premiers bénéficiaires ».
Est-ce pour cela que soixante-trois tribunaux de prud'hommes sont voués à la disparition ?
Est-ce pour cela que la commission des affaires sociales du Sénat a renoncé à la proposition de loi de Mme Demessine,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
Mme Marie-Christine Blandin. ...renvoyant certes à un groupe de travail ?
En la matière, le travail a été fait longuement, scrupuleusement : je pense aux rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat sur l'amiante et aux soixante-dix auditions. Ces dernières ont révélé un scandale total, une faillite éthique, des négligences impardonnables,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Des abus d'indemnisation aussi de temps en temps !
Mme Marie-Christine Blandin. ...et l'amiante n'est que la partie émergée de l'iceberg : triste privilège d'une fibre qui signe son méfait, contrairement à nombre de cancérogènes.
Les conclusions et les propositions apportées rencontrent les attentes de milliers de victimes et de familles endeuillées.
Collectivement, nous avons dit : « Plus jamais ça ». Humblement, certains ont ajouté : « Nous avons avancé à la mesure de ce que nous savions ».
Nous avons exploré tous les mécanismes de la connaissance et de la décision, constaté la nécessité absolue d'indépendance et de moyens accrus pour la médecine et l'inspection du travail.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Marie-Christine Blandin. Ce n'est pas quand il y a mise en examen « pour mise en danger de la vie d'autrui » qu'il faut réagir et mettre à la retraite anticipée ce médecin du travail de Condé-sur-Noireau, par ailleurs membre du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. C'est avant, si la mission est défaillante ou sous influence.
L'indemnisation du nombre croissant de victimes par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, et les contentieux en justice nécessitent, contrairement à l'évolution des textes, une responsabilisation claire des employeurs.
Je rappelle que le principal employeur poursuivi à ce jour et condamné à maintes reprises par les juridictions de sécurité sociale de Brest, Toulon, Cherbourg, n'est autre que le ministère de la défense. Que pensent les ouvriers amiantés de la construction navale des autorités françaises qui ont proposé un désamiantage du Clemenceau en Inde ?
Travailler à la réparation, évaluer son coût humain et financier devraient nous obliger à d'autres choix. Les bons choix d'aujourd'hui seront la réduction des déficits publics de demain. Quand on nous dit que les caisses sont vides, nous faisons appel au bon sens de la ménagère et à l'intelligence des sciences de la précaution : il faut revitaliser en urgence les filières de formation des écotoxicologues et des épidémiologistes qui nous manquent tant ; sinon, avec qui, demain, la France assumera-t-elle sa part d'évaluation selon les nouvelles règles de la directive REACH applicables au 1er janvier 2008 ?
La santé des populations mérite une architecture nouvelle, celle d'un ministère de la santé qui ne se limite pas aux soins et rétablit sa vocation première de protection, de prévention, de précaution.
En matière de prévention, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque ce sont des milliers de personnes qui demandent légitimement réparation pour contamination, les uns par l'amiante, les autres par le plomb, les métaux lourds, dans un contexte de grand sous-équipement des pôles juridiques de santé publique.
L'édifice n'est pas satisfaisant ; nous ne savons pas anticiper.
Je prendrai trois exemples.
S'agissant des nanomatériaux, 700 sont déjà en circulation, et les préventions sanitaires sont inexistantes. La transparence meurt sous le secret industriel.
Les éthers de glycol, certes bien différents les uns des autres, gardent dans leurs rangs des suspects pouvant être substitués.
Quant aux fibres céramiques réfractaires, alors qu'elles sont déjà dénoncées par ceux qui les manipulent comme par certains toxicologues, le professeur Brochard a déclaré ceci devant nous : « Le recul n'est que de trente ans, il faut au moins cinquante ans pour évaluer l'effet sur la population ». Cinquante ans et combien de victimes ?
Nous devons, pour sortir de l'impasse, prendre pleinement la mesure des dangers et des risques.
Nous devons passer de la prévention à la précaution. Ainsi, nous ne devons plus attendre qu'un danger soit prouvé, avec son cortège de drames humains, pour prendre des mesures. Il s'agit parfois simplement de veiller à tenir à l'écart des cibles particulières ou de passer de la notion de protection de la « femme enceinte » à celle de protection de la « femme en âge de procréer », au contact des substances reprotoxiques ou mutagènes.
Notre démocratie se doit de donner aux lanceurs d'alerte, qu'ils soient experts, scientifiques, chercheurs, victimes, ouvriers ou simples citoyens mobilisés sur l'intérêt commun, des espaces pour se faire entendre, et leur assurer la protection quand ils sont menacés.
Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, voient leur diagnostic se confirmer et combien, attentifs à la juste précaution du doute, ont vu leur vie professionnelle basculer, frappés par l'ostracisme, l'interdiction d'exercer ou de s'exprimer, ou simplement la fin de leurs financements ? C'est un inspecteur du travail qui dénonçait déjà l'amiante en 1906. Un statut doit protéger ces lanceurs d'alerte.
Nous pouvons aussi faire preuve d'écoute et d'humilité devant les connaissances accumulées par les travailleurs exposés aux métaux lourds, aux solvants. Ils sont trop souvent réduits au silence par le chantage à l'emploi un temps, puis licenciés, malades, sans perspective de reclassement : qui embaucherait un ancien salarié d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Quel employeur prendrait ce risque ? Le tribunal des prud'hommes de Lannoy devra statuer en février après trois ans de procédures, simplement pour faire appliquer la loi.
En attendant, les itinéraires de vie, les drames sont autant de leçons dans les méandres administratifs, sanitaires et judiciaires. Ce sont les anciens salariés d'Alstom qui alertent les pouvoirs publics sur l'utilisation des chaudières collectives Dravo qu'ils ont construites : elles sont tapissées d'amiante et elles sont présentes encore aujourd'hui dans de nombreuses salles de sports et de nombreux lieux collectifs.
M. Douste-Blazy, interpellé par moi-même ici sur ce risque sanitaire majeur, notamment pour les enfants, avait répondu qu'il n'était pas favorable à ce que l'on attire l'attention sur un équipement particulier, et que cette tâche incombait aux propriétaires. Ce sont les veuves de l'amiante qui organisent aujourd'hui bénévolement l'accompagnement administratif, sanitaire et psychologique des victimes. Ce sont elles qui nous alertent sur l'utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.
Associer plus systématiquement l'expertise d'usage des salariés, donner des formations et des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement en lien avec la sphère hospitalière et en son sein, décentraliser l'expertise, la veille environnementale et sanitaire en créant des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle, sont des pistes nécessaires pour que la santé au travail s'inscrive dans un cadre solide.
C'est aujourd'hui qu'il faut sortir de la frilosité de nos prédécesseurs qui n'ont pas su donner à l'AFSSET les moyens et le cadre réglementaire à la hauteur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.
Pour toutes ces raisons, pour que l'on ne protège pas plus les marchandises que les hommes au travail, les sénateurs Verts pensent qu'un texte inspiré des réflexions de Mme Demessine doit être discuté sans tarder.
Si nous attendons les travaux des partenaires sociaux, évoqués par Mme Desmarescaux et Mme la secrétaire d'État, le texte ne devra pas se contenter de charpenter à nouveau une protection fragilisée de la santé au travail ; il devra tirer toutes les conséquences des drames passés et nous donner les moyens de passer d'une surveillance insuffisante à une véritable précaution.
J'ajouterai en conclusion, devant cette assemblée prompte à s'émouvoir de dépenses en perspective, que la précaution est affaire de confort humain mais aussi d'économies budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure ce débat sur la proposition de loi présentée par Mme Michelle Demessine, je répondrai aux différents orateurs qui se sont exprimés.
Monsieur Vanlerenberghe, la loi donne au FIVA la possibilité d'engager des recours pour faute inexcusable, mais, faute de moyens suffisants en personnels, il n'a pu jusqu'à ce jour faire usage de ce droit.
Conscient de ce problème, le Gouvernement a décidé de renforcer significativement les moyens du fonds, pour lui permettre d'engager un recours chaque fois que la victime y a intérêt : 7 postes ont ainsi été créés en 2007, et 5 autres le seront en 2008, ce qui portera l'effectif du FIVA à près de 60 personnes.
Sur les contrôles de chantier de désamiantage, comme vous le savez, en 2005 et en 2006 ont été organisées des campagnes de contrôles sur tous les chantiers de retrait d'amiante et de démolition. Celles-ci ont été marquées par une forte mobilisation des agents : en 2006, 936 chantiers ont ainsi été contrôlés.
Pour 2008, nous avons veillé à ce que toutes les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle inscrivent dans leurs budgets opérationnels des actions sur l'amiante mettant l'accent sur le contrôle non seulement des opérations de retrait et de confinement de l'amiante mais aussi des activités et des matériaux susceptibles d'émettre des fibres d'amiante.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne négligeons pas le danger des autres fibres minérales !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Au sujet de la réforme du FCAATA, vous êtes favorable au fait de compléter le système actuel d'accès à ce fonds par une voie individuelle.
Comme j'ai pu le dire précédemment, le groupe de travail sur la réforme du FCAATA a pour mission de proposer un nouveau dispositif qui soit davantage centré sur les individus ayant été exposés à l'amiante.
Une question se pose : pourra-t-on cumuler un système d'inscription par liste avec un système individuel ? C'est à ce groupe de travail, dont vous êtes membre, qu'il appartiendra d'y répondre, en veillant à garantir l'équité, la faisabilité technique et administrative et la soutenabilité financière de l'ensemble du nouveau dispositif.
S'agissant du suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l'amiante, la Haute Autorité de santé travaille actuellement à l'élaboration des référentiels en matière de suivi post-exposition.
Monsieur Godefroy, à propos de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, il ne faut pas confondre deux phénomènes distincts.
Il s'agit, d'une part, de la sous-déclaration par un certain nombre de professionnels de santé, en raison d'une méconnaissance des risques professionnels auxquels ont pu être exposés leurs patients. Songez que seulement huit heures d'enseignement sont consacrées à la médecine du travail dans le troisième cycle des internes en médecine générale ! Il importera donc de remédier à cet état de fait.
Il s'agit, d'autre part, du fait que certaines entreprises ne déclareraient pas une partie des accidents du travail subis par leurs salariés. Le Gouvernement est déterminé à sanctionner de telles pratiques, qui sont véritablement inacceptables. Vous-même avez fait implicitement référence à une grande entreprise du secteur de l'automobile. Vous le savez, l'inspection du travail a rendu un rapport à ce sujet ; l'instruction se poursuit.
Vous avez également évoqué les CHSCT de site. Il convient, à mon sens, de laisser les partenaires sociaux nous faire des propositions puisqu'ils doivent négocier sur les moyens d'améliorer l'intervention des CHSCT et de mettre en place, dans les très petites entreprises et dans les petites et moyennes entreprises, le cadre approprié d'un dialogue social sur les conditions de travail.
Quant aux médecins du travail, qui seraient, selon vous, trop « enfermés », le but de la pluridisciplinarité est justement d'enrichir le travail du médecin en lui permettant de recourir à des compétences techniques diverses, notamment celles des IPRP, les intervenants en prévention des risques professionnels. Il faut donc poursuivre dans cette voie.
En ce qui concerne le FIVA, il est inexact d'affirmer que l'indemnisation versée est soumise à une reconstitution de carrière. Le fonds propose en effet des indemnisations à toutes les victimes de l'amiante, y compris à celles dont l'origine de la maladie est environnementale, ainsi qu'à leurs ayants droit.
À propos des services de santé au travail, je partage votre point de vue, car il faudrait améliorer le contrôle social en leur sein. Nous avons d'ailleurs entamé une réflexion sur ce point.
Madame Debré, vous avez insisté sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il importe non pas seulement de contrôler le respect de la réglementation par nos services d'inspection, mais de développer surtout une véritable culture de la prévention auprès de toutes les entreprises, au premier rang desquelles les plus petites.
Pour ce faire, il faut coordonner l'action de tous les « préventeurs » : les services de santé au travail, les CRAM, l'ANACT, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ainsi que son réseau régional, et les OPPBTP, les organismes professionnels de prévention du bâtiment et des travaux publics.
Madame Blandin, les propositions du rapport Conso-Frimat sont actuellement étudiées et font l'objet d'une concertation avec tous les partenaires sociaux et les acteurs des services de santé.
Parmi les solutions qui permettraient de résoudre le problème de démographie médicale chez les médecins du travail, il faut certainement augmenter, par étapes, leur quota. En attendant, il convient sans doute de rétablir les passerelles en faveur des médecins généralistes désireux de changer de voie à la suite d'une formation technique et pratique.
Vous avez en particulier fait allusion à des dispositions légales sur les risques chimiques, qui auraient disparu du code du travail. Vous le savez, ce dernier a été totalement réorganisé. À l'évidence, les dispositions que vous avez évoquées ont « basculé » dans la partie réglementaire.
En conclusion, je souhaite réitérer mes remerciements à Mme Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales, qui nous a présenté de façon remarquable une analyse détaillée de la proposition de loi très complète de Mme Demessine et plusieurs de ses collègues, éclairant ainsi le débat de ce travail de fond. Je tiens à saluer une nouvelle fois la qualité du travail réalisé dans le cadre de ce texte. Ces éclaircissements nous seront à toutes et à tous très utiles, notamment en vue de ce qui nous attend dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention sera brève dans la mesure où j'insisterai uniquement sur un point précis, à savoir la gestion du risque « alcool ».
La présente proposition de loi nous donne en effet l'occasion d'ouvrir les débats sur ce problème, qui est loin d'être pris en compte dans les entreprises.
La consommation d'alcool entraîne de nombreux dysfonctionnements, notamment la baisse de la performance et de la productivité ainsi que la multiplication et l'aggravation des situations conflictuelles. Elle est responsable de 20 % des accidents du travail, qu'on a parfois du mal à expliquer. Un professeur de médecine avait d'ailleurs l'habitude de dire à ses étudiants : quand vous ne connaissez pas la cause, cherchez l'alcool.
Mes chers collègues, les employés passent parfois relativement vite du stade de « bons buveurs », de « bons vivants », en quelque sorte de « porteurs sains », à celui de la dépendance alcoolique et de la maladie. Les jeunes apprentis qui arrivent dans une entreprise doivent souvent subir un rite initiatique : accepter de boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont des hommes, des vrais.
Pourtant, sous l'emprise de l'alcool, les conducteurs de véhicules et d'engins perdent rapidement les facultés psychomotrices et sensorielles requises en termes de vigilance, de réflexes, d'appréciation des distances, de champ visuel et de sensibilité à l'éblouissement.
Dans son rapport sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, Hervé Chabalier propose notamment de faire du monde de l'entreprise un acteur de la prévention. Plusieurs pistes sont envisagées : la formation de l'encadrement ; l'établissement d'un règlement intérieur concernant la consommation d'alcool ; la création d'un protocole de gestion des « pots » ; la mise en place d'un groupe « alcool » pour travailler sur les facteurs de risques et pour aider les personnes en danger ; l'instauration d'un taux « zéro alcool » au travail pour les postes de sécurité, qu'il s'agisse des forces de l'ordre ou de certains salariés du BTP et des transports routiers et de voyageurs ; surtout, la suppression de l'alcool dans les cantines d'entreprise.
Dans ce cas précis des cantines d'entreprise, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'outil législatif existe déjà. Il suffirait de le réactualiser et, avant tout, de veiller à sa stricte application sous peine de sanction.
L'article L. 232-2 du code du travail précise en effet qu'il est interdit de distribuer et de consommer dans les entreprises « toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel ».
Pendant longtemps, on s'est obstiné à faire une différence entre les alcools « forts » et ceux que l'on qualifie de « légers ». Mais les récentes campagnes de prévention ont fait comprendre aux Français que, dans un verre de whisky, de rhum, de bière ou de vin, il y a la même quantité d'alcool pur.
Madame la secrétaire d'État, par souci de cohérence, nous devons rapidement modifier cet article L. 232-2 du code du travail.
Mes chers collègues, je suivrai les conclusions de la commission des affaires sociales pour toutes les raisons qui ont été exposées par notre excellent rapporteur, tout en soulignant que la discussion de ce texte aurait été l'occasion idéale pour faire adopter un amendement en ce sens. J'attendrai donc une autre occasion ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour explication de vote.
Mme Michelle Demessine. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, et vous l'avez souligné, madame le rapporteur, le texte que nous venons d'examiner, certes au pas de course,...
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Non !
Mme Michelle Demessine. ... a donné lieu à un débat de très grande qualité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Michelle Demessine. Je tiens donc à mon tour à m'en féliciter, d'autant que cette proposition de loi s'est nourrie de mois, d'années de luttes, de rencontres, de réflexions communes entre élus et salariés, associations et syndicats.
Pour autant, nous nous doutions bien, en portant cette proposition devant la Haute Assemblée, qu'elle ne ferait pas d'emblée l'objet d'un consensus concret.
Je me félicite néanmoins de ce que ces questions de santé au travail, énoncées au travers des 53 articles du texte, aient pu constituer l'amorce d'un débat sérieux au sein de notre hémicycle, débat qui prolonge opportunément - cela a été dit plusieurs fois - les conclusions du rapport sénatorial. Je regrette d'ailleurs qu'une telle discussion n'ait pu avoir lieu à l'Assemblée nationale, où un texte similaire a été déposé par notre ancien collègue Roland Muzeau, qui continue à se battre sur ce sujet en tant que député.
Je ferai une remarque au passage. Les uns et les autres, en particulier Mme la secrétaire d'État, ont évoqué les divers groupes de travail, missions ou commissions mis en place et auxquels participent d'ailleurs certains de nos collègues. Je salue cet effort, tout en regrettant que l'enceinte de notre assemblée ne soit pas suffisamment utilisée pour approfondir ces questions essentielles.
Madame la secrétaire d'État, comme vous avez pu le constater, il y a ici un nombre important d'expertes et d'experts de grande qualité, légitimés par le suffrage universel. (Mme la secrétaire d'État acquiesce.)
Cela étant dit, pour expliquer mon vote, j'aimerais m'arrêter sur les principales objections qui viennent d'être formulées.
Tout d'abord, pour certains, les principales mesures de ce texte devraient être conditionnées aux résultats du dialogue social.
Vous connaissez tous l'attachement de mon groupe aux négociations conduites par les partenaires sociaux. Pour autant, je souhaite rappeler avec force que, du point de vue de la santé au travail et compte tenu de la dégradation continue des conditions de travail dues à la course effrénée à la rentabilité immédiate, la nation, l'État, et donc le Parlement conservent en ce domaine une responsabilité de premier plan.
En effet, la santé au travail ne saurait se résumer à un arbitrage déséquilibré entre les intérêts financiers des entreprises et la santé des salariés. Il s'agit, comme j'ai pu le développer à plusieurs reprises, d'un enjeu de santé publique qui, en tant que tel, appelle des mesures et une ambition à la hauteur de la population qu'elles concernent, à savoir les 15 millions de salariés de notre pays.
Ainsi, compte tenu du bilan du drame de l'amiante et des drames qui, comme cela a été dit, se profilent en raison du grand nombre d'autres substances toxiques, notre pays a besoin d'un cadre législatif explicite et volontaire pour que la prévention de tous les risques professionnels entre dans la réalité de l'entreprise. C'est pourquoi, loin de nier l'importance et la portée du dialogue social, nous avons souhaité graver dans le marbre un certain nombre de principes fondamentaux et respectueux de la vie de nos concitoyens.
Une autre objection est évoquée de façon récurrente. Notre proposition d'une tarification adaptée aux risques et de sanctions supplémentaires envers les entreprises qui contournent les règles de sécurité ne fait pas l'unanimité, au motif que ces mesures viendraient obérer la profitabilité de ces entreprises.
Plus que jamais - nous le vivons au quotidien -, le travail des salariés sert de variable d'ajustement pour toujours plus de rentabilité à court terme, portant à son extrême son intensification, sa flexibilité et sa précarisation.
Pis encore, se développe de plus en plus aujourd'hui l'externalisation des productions à risque vers les entreprises sous-traitantes et d'intérim et les pays dits « à bas coût ». C'est d'ailleurs ce qui me fait douter de la possibilité d'une réelle coopération entre les entreprises majeures et les sous-traitantes, comme cela nous est proposé.
D'ailleurs, de grands groupes, et non des moindres, n'hésitent pas, pour atteindre les objectifs précités, à adopter des attitudes délictueuses et particulièrement cyniques que je voudrais rappeler.
Ainsi, les responsables de la firme Arkema, dans une circulaire destinée aux différentes directions des ressources humaines, détaillent toutes les mesures à prendre pour contourner les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles, au motif que celles-ci pèsent sur la charge financière des AT-MP de l'entreprise !
L'attitude du groupe Alstom est tout autant condamnable. Je me permettrai de citer l'avocate générale près la cour d'appel de Douai, dont les réquisitoires sont très instructifs : elle rappelait ainsi en décembre dernier que la direction du groupe, au travers d'une note destinée aux actionnaires, argumentait que, en matière d'amiante, il n'y avait pas de risques de perte de rendement de leurs actions puisque les réparations dues aux victimes seraient prises en charge par la sécurité sociale. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, n'est-ce pas absolument scandaleux ?
Quant aux PME-PMI, je souhaite attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues : nous avons pris la précaution de mesures adaptées à leur réalité économique.
J'en viens à la troisième objection, selon laquelle nombre d'articles de cette proposition de loi ont déjà fait l'objet d'une lecture lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela indique pour le moins, vous en conviendrez, une certaine persévérance de notre part !
Cette objection me permet aussi d'évoquer le rôle et le poids que devrait avoir, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
À la suite des deux missions parlementaires relatives au drame de l'amiante, nous aurions pu nous attendre à une plus large prise en compte de la branche accidents du travail et maladies professionnelles au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Or le débat se concentre uniquement autour de trois articles de financement, qui concernent le budget du FCAATA, celui du FIVA et le montant de la réversion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles à la sécurité sociale, au lieu de s'élargir à toutes les grandes questions posées par les rapports parlementaires. Ce n'est, convenez-en, qu'au détour des amendements déposés par notre groupe, ainsi que par nos collègues socialistes et Verts, que nous avons pu jusqu'alors continuer à susciter un débat public sur ce sujet. Malheureusement, et permettez-moi encore de le regretter, le nouveau règlement du Sénat relatif à la discussion des amendements en séance ne nous permettra plus de le faire, puisque ceux-ci vont disparaître, sanctionnés par l'article 40 de la Constitution dès le dépôt en commission.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui a tout de même permis de revenir sur cette grave question et de lui donner une nouvelle résonnance devant le Parlement.
Même s'il faut accorder importance et légitimité à la négociation entre partenaires sociaux, je tiens à dire encore une fois que la responsabilité de la représentation nationale doit rester fortement engagée dans le domaine de la santé au travail. Mme Blandin vient de le rappeler fort justement, en évoquant la réponse cynique faite par le directeur de l'usine Arcelor de Dunkerque à une question posée par la mission sénatoriale.
Je souhaite simplement citer, pour qu'il résonne dans nos têtes, le jugement du Conseil d'État de mars 2004, qui a confirmé la responsabilité de l'État et a condamné ce dernier à indemniser les victimes de l'amiante sur le fondement de la faute pour carence de l'action de l'État dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition professionnelle à l'amiante. Ces manquements sont constitués par l'absence de réglementation spécifique avant 1977, puis par une réglementation insuffisante et trop tardive par la suite. Est ainsi sanctionnée, aux termes de ce jugement, l'inapplication par l'État des principes de prévention et de précaution.
Je tiens à remercier notre rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, pour la qualité de l'examen réservé à notre proposition de loi, Mme la secrétaire d'Etat pour ses réponses et l'appréciation qu'elle a faite de notre travail, ainsi que l'ensemble de nos collègues pour la qualité de leurs interventions, leurs apports au débat et les réflexions nouvelles dont ils ont été les auteurs. Je ne peux néanmoins suivre les conclusions du rapport. Je voterai donc, avec mon groupe, contre les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur ma proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)