M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas vrai ! C'est à droit constant.
Mme Odette Terrade. ...il modernise le marché du travail en le rendant toujours plus flexible ; il réorganise l'accueil des demandeurs d'emplois en réalisant une structure sui generis publique dont les missions sont privatisables à merci.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !
Mme Odette Terrade. Et, aujourd'hui, vous modifiez l'aide sociale en la conditionnant à la reprise d'activité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vos propos sont caricaturaux !
Mme Odette Terrade. À n'en pas douter, en appliquant la règle, voulue par le Président de la République, de la sanction au second refus d'une offre d'emploi acceptable, c'est vers les personnes concernées par le RSA que vous vous tournerez, pour les contraindre à accepter les quelques milliers d'emplois très précaires et sous payés que le patronat vise à satisfaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC sont dubitatifs. Car derrière les déclarations, il y a les faits tenaces d'un gouvernement. Je crains fort que votre Grenelle n'y puisse rien, à moins qu'enfin le Président de la République ne se décide à mettre fin à cette politique de casse sociale et de rupture des solidarités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Je voudrais tout d'abord vous féliciter, monsieur le haut-commissaire, de votre exposé introductif, que j'ai trouvé excellent tant sur la forme que sur le fond. J'aurais même pu croire que c'était un discours de gauche ! (Rires.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh non !
M. Gérard Longuet. C'est l'ouverture !
M. Jean Desessard. Je voudrais ensuite vous faire part de ma satisfaction s'agissant des méthodes que vous employez : expérimentation, débat de société, consultation des associations, débat au Parlement, groupes de travail en amont ; a priori, les formes sont là ! J'espère qu'elles seront respectées.
Je vous incite, monsieur le haut-commissaire, à consulter non seulement les associations qui s'occupent d'insertion, mais également celles qui soutiennent les chômeurs, comme l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires, le Mouvement national des chômeurs et précaires, Agir ensemble contre le chômage, Droit au logement, le Comité des sans-logis, et d'autres.
Ces associations sont à l'image du public qu'elles rassemblent, ou organisent puisqu'elles veulent rendre la dignité aux chômeurs : elles ont des difficultés financières, elles luttent pour leur survie économique, et elles sont dans une grande précarité. Si l'on veut que les chômeurs aient la parole, il faut donner des moyens financiers à ces associations, car les cotisations des adhérents sont insuffisantes. Une solution pérenne doit être trouvée pour assurer le financement des associations de chômeurs, qui rencontrent aujourd'hui des problèmes avec les administrations.
Monsieur le haut-commissaire, vous parlez de droits et de devoirs pour les bénéficiaires. Une société humaine doit être solidaire de l'ensemble de ses citoyens, y compris et surtout les plus faibles. Assurer la garantie d'un revenu à toute femme ou à tout homme qui n'a pas de ressources, c'est une marque de respect des droits humains, mais c'est également une façon de réaliser des économies pour la société.
En effet, à moins que l'on n'accepte cyniquement que les pauvres ne soient plus logés et fassent la manche pour survivre, il faudra bien, vous en conviendrez, qu'ils aient un logement, qu'ils puissent se nourrir, et que leurs enfants puissent accéder à l'éducation. Cela a un coût, qui est aujourd'hui assuré par l'État et, surtout, par les collectivités locales, les services publics et les associations caritatives.
Pourquoi tout simplement ne pas garantir un revenu social suffisant à toute personne sans ressources pour éviter les expulsions, les coupures d'électricité et de chauffage ?
Pourquoi vouloir absolument imposer des contreparties à cette solidarité nécessaire ?
Les premières conditions de l'insertion, c'est de pouvoir se nourrir, conserver son logement, s'habiller et assurer l'éducation des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter le montant des minima sociaux. Sur ce point, je vous ai trouvé bien timide, monsieur le haut-commissaire : vous avez parlé d'une petite taxe sur le textile, de « mesurettes » ; j'attendais une plus grande contribution de la part de l'État.
Il faut rendre ces minima sociaux inconditionnels et indépendants des revenus des autres membres de la famille ; il faut les élargir aux 18-25 ans.
L'une des questions porte sur les emplois aidés.
Les écologistes considèrent qu'il faudra bien en venir à une réduction de la consommation. Vous allez me dire que nous sommes d'accord ! Mais cela signifie, à terme, une diminution de la production. Nous ne pouvons donc avoir comme objectif la course à la croissance, qui risquerait d'entraîner un appauvrissement des ressources naturelles de la planète.
En conséquence, un jour ou l'autre - bientôt ! - il faudra nécessairement dissocier le revenu du travail si l'on veut éviter une catastrophe écologique.
Néanmoins, dans le système actuel, il importe de permettre à chaque individu de pouvoir trouver une activité salariée. Monsieur le haut-commissaire, vous avez évoqué un service public national de l'emploi. Il faudrait qu'il repose non pas sur la rentabilité, mais sur l'intégration de tout un chacun. Il n'est pas normal que les payeurs décident qui a droit à une allocation.
À une certaine période, on considérait comme justifié qu'un chômeur touche 90 % de son ancien salaire. Les valeurs morales ont-elles changé ? Non ! C'est le nombre de chômeurs qui a augmenté. Ce n'est pas à ceux qui cotisent de fixer le montant de l'allocation ; cela relève de la solidarité nationale.
On doit garantir, pour tout emploi aidé, au minimum le SMIC mensuel, et non pas horaire. Il faut arrêter les « mesurettes », monsieur le haut-commissaire !
Il faut développer le secteur de l'économie solidaire et les travaux d'utilité publique, sociale ou écologique.
Il faut revaloriser les métiers dans les secteurs qui ne parviennent pas à recruter. On dit souvent que les gens ne veulent pas travailler. Mais il faut voir quelles sont leurs conditions de vie et de travail : ils sont souvent obligés de se lever tôt le matin et de travailler le week-end pour gagner peu. Des compensations doivent être prévues ! C'est à l'État d'accompagner la transformation et la valorisation de ces métiers.
Monsieur le haut-commissaire, j'approuve votre volonté de permettre le cumul des minima sociaux et des revenus de l'activité pour éviter de pénaliser les chômeurs qui retrouvent un travail peu rémunéré et qui perdent tout à coup de nombreuses aides sociales. Cela évite les effets de seuil et rend toute reprise du travail financièrement intéressante.
Mais ces avantages se retrouvent dans une proposition plus générale que j'ai déjà présentée ici même : le revenu d'existence universel. Son montant serait fixé en fonction du seuil de pauvreté ; ce serait un droit individuel, sans condition de ressources, ouvert à tous les citoyens majeurs, et cumulable avec d'autres ressources, ressources du travail ou du capital. Le financement de cette mesure serait compensé par l'impôt sur le revenu.
Cette solution serait plus simple pour l'administration et pour le bénéficiaire, car elle remplacerait toute une série d'aides éparpillées pour le logement, les transports, la santé, ou les loisirs ; elle serait également moins intrusive, moins stigmatisante et plus égalitaire pour les chômeurs et les travailleurs à faible revenu.
Si le but est de faire baisser le pourcentage des personnes sous le seuil de pauvreté, la mesure que je propose, sans pour autant ruiner nos finances, serait immédiatement efficace. Évidemment, elle coûterait un peu plus cher que le modeste RSA. Pour mémoire, l'expérimentation du RSA qui a été votée cet été coûte 50 millions d'euros pour 90 000 personnes. C'est loin d'être suffisant pour changer la vie des personnes ciblées par cette mesure. Pourtant, on ne peut pas dire que la France soit particulièrement généreuse avec ses chômeurs. À titre de comparaison, pour chaque chômeur, le Danemark dépense 2,6 fois plus que la France.
Et ce n'est pas près de changer ! Le 31 décembre dernier, le Président de la République, qui se revendique comme « président du pouvoir d'achat », a augmenté le RMI de 1,6 % pour une personne seule et l'AAH de 1,1 %, tandis que le complément AAH réservé aux handicapés qui ne peuvent plus travailler reste stable à 179,31 euros. Pour les prestations familiales, l'augmentation sera de 1 %. Enfin, le minimum vieillesse a été relevé de 1,1 %. Or la hausse des prix, en rythme annuel, est de 2,4 % !
Monsieur le haut-commissaire, quand on baisse le revenu réel des 7 millions de personnes qui dépendent des minima sociaux l'année où l'on donne 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, cela nous laisse perplexe.
Le projet d'une société solidaire et respectueuse des droits pour tous paraît difficilement compatible avec une politique économique basée sur la croissance à tout prix, la concurrence exacerbée, la compétition économique et la diminution du rôle de l'État.
Je doute que ce système capitaliste - vous avez utilisé l'image de la centrifugeuse, mais il faut bien appeler les choses par leur nom ! -, qui privilégie le profit au détriment de l'individu, soit compatible avec les objectifs affichés dans votre discours.
Néanmoins, monsieur le haut-commissaire, vous voulez associer les parlementaires à votre démarche. Les élus Verts répondent présents. Ils adhèrent à votre démarche et s'associeront à toutes initiatives et propositions susceptibles d'améliorer les conditions des plus démunis, même si cela s'apparente à un travail de Sisyphe, dans notre société inégalitaire et discriminatoire.
En conclusion, monsieur le haut-commissaire, je vous remercie de cette analyse rigoureuse, documentée et pertinente. C'est une excellente base pour le travail à venir. Bon courage à vous ! Je souhaite également bon courage aux parlementaires et à tous les acteurs qui participeront à ce Grenelle de l'insertion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos réactions et de vos interventions, qu'elles visent à m'encourager ou à m'inciter à la vigilance.
Je reviendrai d'abord sur les propositions et les analyses que vous avez faites. Elles confirment l'intérêt d'associer le Parlement aux travaux du Grenelle de l'insertion, parce qu'il a déjà effectué de nombreux travaux et rédigé de multiples rapports sur lesquels nous pouvons nous appuyer, y compris sur des questions difficiles. J'espère que cette collaboration pourra continuer. Je sais que vous avez des projets de commission et de mission d'information. Tout ce travail est essentiel, en plus de celui des groupes de travail.
Monsieur le président de la commission, vous avez consacré votre intervention à la question du handicap et vous avez bien fait. Nous essaierons d'en tenir compte. Sur ce sujet, une chose m'a frappé. Lorsque nous nous sommes fixés un objectif de réduction de la pauvreté, nous avons cherché à savoir combien de personnes handicapées vivent en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays, mais cette statistique n'existe pas ! (M. le président de la commission des affaires sociales opine.) Nous ne sommes pourtant pas un pays sous-développé en matière de statistiques ! Une telle statistique est pourtant fondamentale. Nous en avons besoin afin de savoir quelles catégories de la population sont surreprésentées en termes de pauvreté et quels sont leurs problèmes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cela dit, même sans statistiques, nous nous doutons que les personnes handicapées sont surreprésentées et qu'elles sont plus nombreuses que les autres à vivre en dessous du seuil de pauvreté.
Par ailleurs, vous avez pointé les insuffisances des textes pour concilier une activité adaptée à un handicap et le bénéfice de la solidarité nationale.
Notre démarche est simple : Valérie Létard et moi-même travaillons avec l'ensemble des associations pour personnes handicapées, réunies dans un groupe de travail que nous co-pilotons. Soit elles choisissent de maintenir l'allocation aux adultes handicapés en modifiant ses règles de calcul selon les principes qui seront appliqués aux autres minima sociaux - ce sera alors la solution retenue -, soit elles décident qu'il n'y aura plus qu'une prestation unique, le RSA, qui intégrera alors un barème spécifique pour les personnes handicapées. Si cette solution est retenue, elle sera proposée au Parlement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La logique est la même.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cette question doit faire l'objet d'une négociation, comme toutes les réformes envisagées dans le cadre du Grenelle de l'insertion.
Sur tous ces sujets, la concertation est indispensable, afin de ne pas se heurter à un refus. De la même façon, nous réunissons autour de la table les employeurs et les salariés, car si l'on fait plaisir aux uns tandis que les autres renâclent, on se retrouve avec un système qui ne fonctionne pas.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Monsieur Paul Blanc, vous avez insisté sur la valeur du travail pour l'ensemble de la société. Permettez-moi de revenir sur la question des contreparties, qui est très difficile. Tout le monde le reconnaît : bénéficier de la solidarité nationale suppose, en retour, de prendre des engagements. Toutefois, ces engagements ne doivent pas enfermer les bénéficiaires de la solidarité dans un statut. Ils ne doivent pas non plus être de simples procédures.
Il n'est pas sain de demander aux bénéficiaires de la solidarité nationale de venir pointer tous les mois, en contrepartie de cette solidarité, pour finalement les renvoyer vers un autre service, sans leur proposer de solution.
Il ne faut pas instaurer dans la précipitation une contrepartie d'intérêt général pour certains, sous-entendant ainsi qu'ils ne seraient pas dignes de travailler. Il faut permettre aux personnes qui vivent aujourd'hui des minima sociaux, une fois qu'elles sont sur une pente ascendante, de retrouver un emploi salarié. Le cas général doit être celui-là. Je reviendrai tout à l'heure sur les critiques qui ont été formulées contre le RSA.
Il doit donc y avoir plus de places dans les entreprises et les structures d'insertion qu'il n'y en a aujourd'hui. La question de leur financement est essentielle. Ce financement suppose une évaluation du service qu'elles rendent et de leurs performances. Cela évitera que les présidents de conseils généraux ne se déclarent prêts à arrêter de financer un certain nombre de structures d'insertion parce qu'ils considèrent qu'elles ne permettent pas aux personnes de sortir de leurs difficultés.
Il est vrai que, dans certains cas, en accord avec la personne concernée, on décide que le fait de travailler n'est pas la solution à un moment donné. La priorité est alors de permettre un accès aux soins et à un certain nombre de services. Dans ce cas, il ne faut pas demander de contreparties artificielles, qui se retourneraient contre la personne.
Avec le revenu de solidarité active, nous disons que la seule manière de travailler, c'est avec un salaire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est d'accord !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, non ! Il faut un emploi et un salaire !
Mme Odette Terrade. Un salaire suffisant, qui permette de vivre de son travail !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. La contrepartie ne doit pas être demandée en dehors du cadre salarial.
Monsieur Seillier, je me suis inspiré de nombre des travaux que vous avez conduits pour définir certains principes, notamment de votre rapport sur la formation professionnelle du printemps dernier. Vous me permettrez en revanche de ne pas vous suivre sur un certain nombre de développements - j'y réfléchirai à tête reposée - qui m'ont semblé un peu éloignés de nos préoccupations directes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Je sais que vous avez été l'un des défenseurs du contrat unique d'insertion quand cela n'était pas encore à la mode. Je me souviens qu'au moment où vous déposiez votre rapport sur le contrat unique d'insertion, on recloisonnait les différents contrats. Nous nous retrouverons sur ce sujet très prochainement.
M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales Il n'est jamais bon d'avoir raison trop tôt !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Trop tard non plus ! (Sourires.)
Madame Le Texier, vous avez manifesté votre inquiétude sur la généralisation du revenu de solidarité active.
Madame Terrade, vous m'avez mis au défi de vous indiquer le nombre de bénéficiaires du RSA. Je ne peux pas vous dire combien ils sont aujourd'hui, en revanche, je peux vous indiquer combien ils étaient au 31 décembre dernier. On en dénombrait 2 300, dans les dix premiers départements où le RSA est expérimenté. Je rappelle en effet que les quarante départements concernés ne le mettent pas tous en place au même moment. Dans certains départements, il est mis en oeuvre en janvier, dans d'autres, il le sera en février. Par ailleurs, soyons précis, ce dispositif a démarré au mois de novembre. Il est donc très récent.
En outre, on a laissé le choix à la plupart des départements. Un certain nombre d'entre eux ne versent le revenu de solidarité active qu'à celles et ceux qui ont recommencé à travailler après la date de mise en place du dispositif. D'autres départements en font bénéficier des personnes ayant recommencé à travailler avant leur entrée dans le nouveau dispositif.
Au cours des trois prochains mois, nous allons assister à une reprise d'activité d'un plus grand nombre de personnes. Le nombre de bénéficiaires du RSA va augmenter. Le chiffre des toutes premières semaines n'est absolument pas préoccupant. Il montre au contraire une montée en charge satisfaisante.
Cette montée en charge s'explique par une raison bien simple : contrairement à ce qui se pratique habituellement dans ce domaine, personne n'a imposé à des départements comme le Val-d'Oise, l'Eure, la Seine-Saint-Denis ou la Côte-d'Or de mettre en oeuvre le RSA. On leur en a simplement donné la faculté.
Si les présidents de conseils généraux se sont engagés dans ce dispositif, malgré les contentieux qu'ils ont avec l'État et qu'ils me rappellent tous les matins, à l'instar de Claudie Lebreton que j'ai vu hier, c'est pour deux raisons. La première, c'est qu'ils savent qu'il en résultera une amélioration pour les allocataires du RMI avec lesquels ils travaillent quotidiennement. La seconde, c'est que les acteurs de terrain, y compris les travailleurs sociaux, l'ont demandé et s'impliquent dans la conception et la mise en oeuvre du RSA.
Ne condamnons donc pas un dispositif que les acteurs locaux ont la possibilité d'adapter, ce qu'ils font, quelle que soit leur couleur politique. C'est le point positif du dispositif.
Alors faut-il attendre trois ans avant de généraliser le RSA ? J'ai annoncé la couleur dès le départ en indiquant qu'il s'agissait d'une expérimentation sur trois ans, afin de donner de la visibilité à ceux qui souhaitent le mettre en oeuvre, mais que le but était de passer rapidement à l'étape suivante, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, le législateur a accepté que le dispositif ne soit mis en oeuvre que sur une partie du territoire. Les présidents de conseils généraux ont eux accepté, ce qui est un risque politique, que certaines personnes, dans leurs départements, bénéficient d'une prestation nouvelle et que d'autres n'en bénéficient pas. Je pense que ce système ne peut pas durer très longtemps. S'il commence à fonctionner - si cela frémit, si cela bout un peu -, il faudra aller plus loin.
Ensuite, depuis des années, on maintient des inégalités, dont le RSA n'est pas à l'origine, entre personnes qui ont bénéficié des minima sociaux et personnes n'en ayant pas bénéficié. Ainsi, on ne peut laisser perdurer très longtemps le fait que, dans une même entreprise, deux personnes effectuant le même nombre d'heures de travail ne perçoivent pas le même montant, l'un continuant à bénéficier de la CMU ou cumulant une partie de son allocation antérieure avec son salaire, l'autre non, parce qu'il n'a pas bénéficié du RMI ou qu'il a commencé à travailler avant l'âge de vingt-cinq ans. Telle est la deuxième raison pour laquelle il faut étendre au plus vite le dispositif aux travailleurs pauvres.
Enfin, troisième raison, vous nous mettez au défi de mettre des moyens dans ce dispositif. On devra en mettre. Plus vite on les mettra, plus grandes seront nos chances de disposer de moyens à la hauteur de nos ambitions.
Ce n'est pas rendre service aux personnes devant être aidées, à savoir les allocataires du RMI, de l'API, de l'AAH, les travailleurs pauvres, et peut-être même les jeunes, que de leur dire qu'il faudra attendre 2011. Le moment est peut-être venu de faire entrer les jeunes dans un mécanisme. Il pouvait être justifié de refuser le RMI avant l'âge de vingt-cinq ans, mais il est sans doute judicieux, désormais, de mettre en place un dispositif qui s'applique aussi à eux, dès lors qu'il concilie la solidarité et le travail.
Vous l'aurez remarqué, je suis toujours prudent : je ne prétends pas tirer d'enseignements de situations qui ne nous permettent pas d'en tirer. Nous disposons d'un comité d'évaluation, de tableaux de bord, d'enquêtes qui doivent nous permettre de tirer, à la fin de l'année 2008, les enseignements de l'expérimentation et de passer à l'étape suivante. Il sera bien entendu possible de rester dans une phase d'évaluation, si est laissée à chaque département la possibilité de maintenir son barème et de comparer.
Si notre politique consistait à basculer tout d'un coup dans un système où les règles seraient figées, je conviendrais qu'il ne faut pas aller trop vite. Maintenir des possibilités d'adaptation permettra à chaque collectivité de pouvoir adopter le nouveau dispositif.
Madame Le Texier, c'est dans cet esprit que nous travaillons. Vous êtes élue d'un département qui expérimente le dispositif. Comme vous le savez, nous nous sommes engagés à déposer devant le Parlement un rapport sur le sujet.
Je vous remercie, madame Debré, d'avoir fait le lien entre le nombre de pauvres et les objectifs des politiques d'insertion, d'avoir cité le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 817 euros par mois, et d'avoir rappelé que les politiques d'insertion visent à faire diminuer leur nombre.
Vous avez évoqué la pauvreté des enfants : 2 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Le meilleur moyen de le leur faire franchir, c'est de permettre à leurs parents de disposer de revenus dignes, le revenu du travail constituant le socle, auquel s'ajouterait un complément émanant de la solidarité.
Dans certaines configurations familiales, il faudrait travailler seize mois dans l'année pour parvenir à franchir le seuil de pauvreté. Une année ne comptant que douze mois, il faut bien pouvoir compléter le revenu. On peut travailler à plein temps, toucher le SMIC, avoir des enfants à charge et, malgré tout, ne pas franchir le seuil de pauvreté. Ce cas de figure doit devenir impossible, grâce au revenu de solidarité active. Il s'agit là d'un objectif simple. Je vous remercie, madame la sénatrice, en ayant mis en parallèle la question du RSA et celle du contrat unique d'insertion, de l'avoir replacé dans la perspective de réduction de la pauvreté.
Madame Terrade, vous avez été particulièrement sévère et vous avez voulu démonter le processus dans lequel nous nous engageons.
M. Alain Gournac. Ils sont gênés !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je profite de la présence de Mme Borvo Cohen-Seat pour dire combien je regrette que votre groupe, alors que tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat étaient invités à participer au Grenelle de l'insertion, soit le seul à n'avoir désigné aucun représentant. (M. Alain Gournac sourit.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Fischer a été désigné !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Si vous aviez désigné un représentant plus tôt, peut-être un certain nombre des malentendus auraient-ils été évités.
M. Alain Gournac. Très bien ! Il faut le dire !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous seriez convaincue, Mme Borvo Cohen-Seat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand nous aurons plus de sénateurs, nous pourrons participer à tous les groupes de travail !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je me réjouis que vous participiez dorénavant aux réunions de travail et je serai heureux de collaborer avec M. Fischer.
Je tiens à insister sur le fait que le revenu de solidarité active est, à l'évidence, un compromis. Il a été conçu comme tel. C'est ce qui fait non pas sa faiblesse, mais sa force. La commission qui l'a élaboré, après concertation entre les associations de lutte contre l'exclusion, les syndicats, les employeurs et l'ensemble des collectivités territoriales, l'a pensé comme un point d'équilibre, et non comme quelque chose d'abstrait faisant tomber tout cuits des emplois de bonne qualité.
Je suis choqué par un certain état de fait, et je suis prêt à reprendre le débat sur ce sujet : on ne peut pas priver les personnes qui prennent aujourd'hui des emplois de quelques heures par semaine, notamment dans le secteur des aides à la personne, d'un mécanisme de cette nature-là, garder le système actuel, car ce ne sont pas elles qui l'ont choisi, et leur dire qu'elles peuvent avoir un travail gratuit, ce qui est leur cas aujourd'hui.
M. Alain Gournac. Il a raison !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Un système dans lequel une personne travaille huit heures ou seize heures par mois sans gagner un centime de plus que le RMI impose le travail gratuit. Il faut en sortir.
Ce que je constate, c'est que, aujourd'hui, contrairement, d'ailleurs, à mes propres craintes - les statistiques sont intéressantes -, le temps moyen travaillé par personne dans le service des aides à la personne, notamment, qui est l'un des secteurs où les travailleurs pauvres sont nombreux, est supérieur à ce qu'il était voilà trois ou quatre ans, grâce à l'effort accompli en matière de formation et de qualification.
M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. De formation !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pour que les revenus augmentent, l'action combinée de trois leviers est nécessaire : les mécanismes de solidarité doivent être bien appliqués, là où il le faut, et conjugués avec le travail ; ensuite, il faut mettre fin à la précarisation, sortir du temps partiel ; enfin, il faut favoriser l'accès à la qualification.
Je ne suis pas le seul à penser ainsi, puisqu'il est écrit noir sur blanc dans le rapport de la commission : « au possible, nous sommes tenus ». Je vous remercie d'avoir rappelé cette devise, qui signifie, d'une part, que réduire la pauvreté n'est pas impossible et, d'autre part, que c'est une obligation qui pèse sur nous.
Madame Terrade, j'ai donc trouvé que vos critiques pouvaient se retourner contre celles et ceux que vous souhaitiez défendre.
Monsieur Desessard, je vous remercie de l'analyse que vous avez faite. Je regrette que, dans votre discours, vous ayez défendu le revenu d'existence, qui n'est pas une mesure de gauche (M. Alain Gournac s'esclaffe), et n'est d'ailleurs pas défendu principalement par des personnalités politiques de gauche.
Pourquoi n'est-ce pas une mesure de gauche, alors que le RSA, lui, peut être considéré comme une mesure de gauche aussi bien que de droite, comme le montre l'implication de conseils généraux de gauche ou de droite dans sa mise en place ?
Si, avec le revenu d'existence, vous garantissez à tout le monde 817 euros sans condition, le seuil du retour au travail se trouve situé à un niveau totalement infranchissable. (M. Jean Desessard est dubitatif.)
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Tel est le problème du revenu d'existence.
Si, tout d'un coup, le RMI était fixé à 817 euros, plus de gens seraient « scotchés » à 817 euros et moins pourraient franchir cette barre. (M. Jean Desessard le conteste.)
M. Alain Gournac. Mais oui !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. C'est cela le problème, et je suis prêt à en débattre. Telle est la raison pour laquelle le RSA est beaucoup plus social que ne le serait un revenu d'existence, qui, en réalité, se retourne contre ceux auxquels il est censé venir en aide.
Je me bats donc contre le revenu d'existence et pour le RSA, et je vous en fiche mon billet, si j'ose dire, instaurer le RSA permettra de faire sortir beaucoup plus de gens de la pauvreté que créer un revenu d'existence à 817 euros.
Mme Isabelle Debré. C'est logique !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cela me paraît primordial.
En revanche, je vous approuve sans réserve sur la nécessité de faire participer les associations de chômeurs ou les personnes concernées directement à nos travaux. D'ailleurs, je vous l'assure, elles ne demandent pas, elles, le revenu d'existence.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous en reparlerons. Les associations de chômeurs ne sont pas les seules à être représentées au sein des groupes de travail que nous avons mis en place à l'occasion du Grenelle de l'insertion : ces derniers accueillent également des représentants des syndicats, du patronat, des collectivités territoriales, de l'État, mais aussi des acteurs de l'insertion, et un collège des usagers.
Afin de remédier à la sous-représentation des usagers, nous avons fait appel à certaines personnes, en accord avec les représentants des syndicats et des associations, qui oeuvrent en faveur de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion via leur appartenance à certaines associations, notamment au Mouvement national des chômeurs et précaires, ou leur implication dans les groupes de travail sur le RSA. Leur collaboration est fondamentale, parce qu'elle nous permet de vérifier que ce que nous proposons correspond aux aspirations de ceux qui ont besoin d'aide, et de les aider plus efficacement à lutter contre les obstacles qu'elles rencontrent au quotidien.
Je citerai l'un des obstacles que la mise en place du RSA permettra de supprimer : nous avons parlé des effets de seuil, mais le mode de calcul des minima sociaux lui-même, fondé sur un trimestre pris dans sa globalité, fait qu'une personne à qui l'on aurait donné un travail de vingt-six heures hebdomadaires le 1er janvier, avec ces 750 euros que j'évoquais tout à l'heure, se verrait demander, à la fin janvier, le remboursement d'une partie du RMI perçu légalement mais au mois de novembre et au mois de décembre, sous prétexte que le calcul aurait été effectué sur l'ensemble du trimestre.
C'est à ce système que nous devons mettre fin.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Les personnes concernées ne nous font pas toujours part de cette situation. En effet, le système tourne tellement sur lui-même que celui qui envoie la demande de remboursement d'un indu n'est pas forcément celui qui a fait signer le contrat : le travailleur social ou l'accompagnant de l'ANPE qui a fait signer le contrat d'insertion ou a incité à la souscription d'un contrat aidé ne sait pas obligatoirement que, par ailleurs, un autre service administratif va demander le remboursement d'à peu près la même somme. Nous marchons sur la tête !
Faire participer directement les usagers aux groupes de travail permet, par exemple, de contrecarrer le discours souvent tenu par les administrations : les gens en difficulté préfèrent qu'on leur donne des prestations trimestrielles. Or, ce n'est pas ce que nous disent ces derniers ! Ils veulent être considérés comme tout salarié : tout salaire étant versé mensuellement, il doit donc en aller de même pour le RSA et pour les différentes prestations.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous sommes parvenus à nouer ce dialogue, ce qui me laisse espérer la mise en place de ces différentes mesures, sans être, comme vous, pessimiste.
Les choses ne sont pas mâchées à l'avance : s'agissant du RSA, nous savons sur quoi mettre le cap, grâce à la concertation que nous avons eue avec l'ensemble des partenaires concernés ; pour l'étape suivante, sa traduction dans la réalité, nous tiendrons compte de l'avis des représentants des conseils généraux et des différents acteurs.
Je conclurai en soulignant qu'il a été fait référence à mai 1968. Pourquoi le mot « Grenelle » est-il particulièrement approprié ? Parce que, jusqu'à présent, les questions d'insertion et de pauvreté ne faisaient pas partie des enjeux des négociations sociales. Or, il faut négocier sur ces questions.
La signature de contrats de travail un peu spécifiques nécessite l'accord des uns et des autres. Une simple annonce de l'État, relative à l'existence d'un nouveau contrat de travail, ne saurait suffire.
Si nous voulons que les entreprises s'engagent, nous devons les associer à la négociation.
Nous avons réussi à obtenir, au moment de l'élaboration de l'agenda social, avec l'ensemble des syndicats et des organisations d'employeurs, sous la présidence du Président de la République et du Premier ministre, que soient évoqués tout à la fois la question de la pauvreté, le Grenelle de l'insertion et le revenu de solidarité active. L'ensemble de ces acteurs ont d'ailleurs décidé à l'unanimité de s'impliquer et de faire en sorte que les discussions débouchent sur quelque chose de concret.
C'est là une garantie fondamentale : tant que d'autres choses étaient négociées et qu'était laissé uniquement aux pouvoirs publics ou aux associations le soin de s'occuper des 7 millions de personnes en situation de pauvreté ou de précarité, nous n'avions plus que les miettes à leur distribuer (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit), tandis que si ce sujet est traité à la grande table des négociations, nous pouvons espérer obtenir davantage.
Enfin, le juge de paix - les milliards contre les millions -, c'est l'objectif de réduction de la pauvreté.
De deux choses l'une : soit l'objectif de réduction de la pauvreté d'un tiers en cinq ans ne sera pas atteint, la pauvreté n'aura pas régressé et vos quolibets auront été justifiés, soit cet objectif sera atteint...