M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la ministre, à l'occasion de votre arrivée à la tête du ministère de la culture et de la communication, le 1er août 2007, le Président de la République vous adressait une lettre de mission dans laquelle il vous signifiait les priorités qu'il vous entendait voir mettre en oeuvre : « L'heure d'un nouveau souffle pour notre politique culturelle est donc venue, celle d'adapter l'ambition d'André Malraux au XXIe siècle. Il vous revient de proposer les voies et moyens d'une politique culturelle nouvelle, audacieuse, soucieuse de favoriser l'égalité des chances, d'assurer aux artistes une juste rémunération de leur travail, de développer la création et nos industries culturelles, de s'adresser à tous les publics. »
Ces quelques lignes issues de votre lettre de mission ont suscité chez l'ensemble des acteurs culturels l'espoir que, enfin, après cinq années de mise en berne, la culture soit remise au premier plan de l'action gouvernementale.
Si l'enveloppe budgétaire attribuée à votre ministère ne peut être considérée comme le seul levier de votre action, elle est, vous en conviendrez, madame la ministre, un outil significatif, sinon déterminant.
Or il y a fort à craindre que la rupture chère au Président de la République ne se produise pas, en 2008 et d'un point de vue budgétaire, dans les domaines de la culture et de la communication.
En effet, si les crédits de la mission « Culture » pour 2008 sont affichés comme étant en hausse de 3,2 %, ils ne sont pas directement comparables avec ceux du budget de 2007, du fait des changements de périmètre : le produit de la taxe affectée au Centre des monuments nationaux, le CMN, d'un montant de 70 millions d'euros, fait l'objet d'une re-budgétisation pour 2008 ; 25 % du produit de la taxe sur les droits de mutation à titre onéreux font désormais partie des lignes budgétaires.
Déduction faite de cette re-budgétisation, et à structure constante, le budget de la culture connaîtra en réalité une diminution de 56,6 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse effective de 2 %.
Cette baisse réelle, loin de constituer un souffle nouveau pour notre politique culturelle, aura de lourdes conséquences tant pour les artistes, la création et l'exposition des oeuvres, que pour les publics.
En ce qui concerne le programme « Patrimoines », si l'on déduit la re-budgétisation des 70 millions d'euros que j'évoquais à l'instant, les crédits du patrimoine monumental et archéologique chutent de 272 millions d'euros en 2007 à 269 millions d'euros en 2008. Ils sont même en diminution sensible de 27 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 8 %.
Le moins que l'on puisse dire est que ce secteur a été sinistré au cours des années précédentes, suscitant la colère des professionnels.
Le Président de la République avait d'ailleurs promis durant sa campagne d'allouer 4 milliards d'euros sur dix ans, soit 400 millions d'euros par an, aux monuments historiques afin, je cite, de « redonner sa splendeur au patrimoine ». Force est de constater que le budget pour 2008 est loin d'atteindre cet objectif, puisque seuls 316 millions d'euros seront affectés au patrimoine monumental, soit, déduction faite des 70 millions d'euros re-budgétisés, une hausse de 570 000 euros par rapport à 2007.
Hors dépenses de personnels, et à périmètre constant, les moyens attribués au programme « Création » en 2008 diminuent de 0,2 % par rapport à 2007.
S'agissant plus précisément du spectacle vivant, la stagnation du budget cache en réalité une baisse de 414 000 euros en crédits de paiement et de 715 900 euros en autorisations d'engagement. Alors que, en 2007, la part du spectacle vivant dans le budget du ministère de la culture était de 32,3 %, elle passe à moins de 31 % en 2008.
Avec une telle baisse, comment pouvez-vous, madame la ministre, considérer que le spectacle vivant constitue une priorité de votre action, alors même que ces crédits sont destinés à soutenir un réseau de près de 1 000 lieux de création, de production ou de diffusion sur l'ensemble du territoire ?
Ces lieux, vous le savez, sont consacrés au théâtre, aux arts du cirque, de la rue, à la musique, à la danse, à l'ensemble de ces disciplines mono et pluridisciplinaires qui font vivre les artistes et rêver les publics.
De plus, il faut subventionner non seulement les lieux, mais également les troupes qui, à l'image du théâtre de rue, amènent l'art directement au contact du public et de manière souvent gratuite pour le spectateur. Or les acteurs des 1 063 compagnies de théâtre de rues répertoriées sont inquiets. Ils se sentent considérés comme le parent pauvre du spectacle vivant.
La somme annuelle allouée par l'État aux arts de la rue - aux alentours de 8 millions d'euros - est bien trop modeste. Elle représente à peine plus que le budget annuel d'une scène nationale. Comment, dans ces conditions, redonner confiance à ces artistes ?
Je ne pense pas, madame la ministre, que l'évolution du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, artistes et techniciens, soit de nature à rassurer les professionnels du spectacle vivant.
Un certain nombre d'avancées ont certes pu être obtenues dans le cadre de l'accord conclu par les partenaires sociaux le 21 décembre 2006, notamment en ce qui concerne la nouvelle possibilité pour les artistes et les techniciens de comptabiliser le nombre d'heures travaillées sur une période pouvant s'étaler au-delà des dix mois ou dix mois et demi prévus dans le protocole d'accord du 26 juin 2003.
Mais ni le fonds provisoire mis en place en 2004, ni le fonds transitoire de 2005, ni le Fonds de solidarité et de professionnalisation instauré depuis 1er janvier 2007 n'ont pu endiguer l'érosion du nombre d'intermittents affiliés au régime d'assurance chômage des annexes 8 et 10.
Il est vrai qu'en durcissant les conditions d'admission au régime de l'intermittence, les accords du 26 juin 2003 et du 21 décembre 2006 n'avaient d'autre objectif que la réduction du déficit de l'UNEDIC. Les chiffres sont éloquents : le nombre d'allocataires indemnisés a chuté de 105 600 en 2003 à 99 300 en 2006 ! Pourtant, la hausse du déficit des annexes 8 et 10 n'a en rien été enrayée. Bien au contraire, ce déficit a crû, passant de 887 millions d'euros à 991 millions d'euros en 2006.
Je ne reviendrai pas sur l'analyse de la Cour des comptes dans son rapport annuel de février 2007 de la gestion du régime d'indemnisation des intermittents du spectacle. J'ai eu l'occasion de l'évoquer il y a quelques instants dans mon intervention au nom de la commission des affaires culturelles sur les crédits du programme « Création ».
Nous souhaiterions cependant connaître, madame la ministre, les suites que vous entendez donner aux recommandations des magistrats du Palais Cambon.
Par ailleurs, la remise en cause des droits sociaux des intermittents du spectacle devait être compensée par l'élaboration de huit conventions collectives couvrant le secteur du spectacle vivant et enregistré, entreprise que les partenaires sociaux, sous l'égide du Gouvernement, auraient dû achever à la fin de l'année 2006.
Or, si des textes ont été pris dans le secteur de l'audiovisuel, les secteurs du spectacle vivant public et du spectacle vivant privé, celui des éditions phonographiques, de la production cinématographique, des prestataires techniques et des personnels non permanents de la radio font toujours l'objet de négociations, qui n'ont à ce jour pas abouti.
C'est d'autant plus regrettable que, à l'heure où les intermittents du spectacle sont plus que jamais fragilisés dans leurs droits sociaux, la signature de ces conventions collectives doit permettre de sécuriser leurs parcours professionnels tout en favorisant la pérennisation de l'emploi artistique et la limitation des abus.
Il est urgent, madame la ministre, d'accélérer l'élaboration de ces conventions collectives, car la définition du périmètre de l'intermittence permettra d'en réguler l'accès.
Les moyens budgétaires que votre ministère attribuera en 2008 aux industries culturelles, c'est-à-dire au livre, au disque, au droit de prêt en bibliothèque et au théâtre privé, sont simplement reconduits pour un montant de 31 millions d'euros. On peut toutefois souligner l'importance des accords dits « de l'Élysée » du 23 novembre dernier, sur lesquels a débouché la mission confiée à M. Denis Olivennes pour le développement et la protection des oeuvres et des programmes culturels sur les nouveaux réseaux, mais ils ne coûtent rien à votre ministère...
Le troisième programme de la mission « Culture » est celui sur lequel le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, s'est le plus engagé, du moins par la parole : il s'agit du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Présentée comme la première de vos priorités, cette politique visant à permettre à nos concitoyens d'accéder à toutes les formes de culture a été, et est encore cette année, sacrifiée. L'action en faveur de l'accès à la culture subit en effet une baisse historique de 18 % en crédits de paiement.
À l'heure où déjà deux tiers des financements culturels sont assurés par les collectivités territoriales, ce sont plus particulièrement les crédits destinés à rééquilibrer l'action de votre ministère en faveur des territoires culturellement moins favorisés qui sont touchés par cette baisse. Les actions en faveur des personnes handicapées, des associations d'éducation populaire et des associations de lutte contre l'exclusion sont elles aussi sacrifiées.
Nos quartiers les plus sensibles, parce qu'ils font l'objet d'un ostracisme et qu'ils sont isolés à la marge de nos grandes villes, expriment un besoin d'accéder à la culture sous toutes ses formes et d'exprimer la richesse de leurs diversités culturelles.
Les associations subventionnées par votre ministère sont un formidable relais pour encourager cette diversité des expressions artistiques. Pour la deuxième année consécutive, les moyens qu'elles reçoivent de votre administration chutent à pic. C'est là, je le répète, non seulement un paradoxe, mais aussi une erreur politique majeure.
Madame la ministre, nous sommes d'accord avec vous : votre budget est contraint. Il l'est d'autant plus que, au titre de la révision générale des politiques publiques, 6 % des crédits de votre ministère seront mis en réserve.
Les professionnels de la culture sont inquiets.
Le 19 novembre dernier, les organisations d'employeurs du spectacle vivant public et privé ont fait part à la presse de leur désarroi face à votre budget pour 2008. Ils ont adressé une lettre ouverte au Président de la République, dans laquelle ils appellent à la mise en place d'un Grenelle de la Culture. L'ensemble des acteurs du secteur culturel attendaient un signe fort du Gouvernement en leur direction.
Les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, inquiets du report de la parution des décrets relatifs aux obligations des chaînes de télévision pour soutenir la production cinématographique et audiovisuelle, ont pour leur part dénoncé le 21 novembre dernier le passage de l'exception culturelle à l'exécution culturelle !
Au final, le budget de la culture pour 2008, loin de constituer un souffle nouveau pour notre politique culturelle, ne fait que s'inscrire dans une logique continue d'essoufflement de l'action gouvernementale.
C'est donc avec regret que nous ne suivrons pas l'avis de la majorité de la commission des affaires culturelles, malgré l'excellence de ses rapports. (Sourires.) Nous sommes contraints de vous signifier notre refus d'un tel budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte d'indispensable maîtrise des dépenses et de révision générale des politiques publiques, la culture demeure, avec un budget de près de 4 milliards d'euros, une priorité pour le Gouvernement.
Des politiques seront ainsi confortées et de nouvelles orientations seront décidées, d'autant mieux que le domaine culturel a la particularité de combiner les interventions publiques et privées, les dotations budgétaires et les incitations fiscales.
Aussi, je concentrerai mon propos sur le patrimoine architectural et le développement des enseignements artistiques.
Nous le savons tous : l'état de certains monuments fait parfois peser une menace sérieuse sur une partie de notre patrimoine, et ce depuis des dizaines d'années, malgré les efforts qui ont été réalisés.
C'est la raison pour laquelle a été élaboré, voilà trois ans, un plan national d'action en faveur du patrimoine, dont l'objectif est d'associer l'ensemble des partenaires - l'État, les collectivités territoriales, les propriétaires privés et les associations - pour mettre en place des outils adaptés à la situation.
Malgré cette orientation forte, l'évolution budgétaire a été pour le moins erratique, au point que le problème du sous-financement structurel de l'entretien et de la restauration des monuments historiques rend indispensable la mise en place d'un financement dédié et véritablement pérenne. Les besoins des monuments historiques - faut-il le rappeler ?- sont évalués à environ 4 milliards d'euros sur dix ans, soit 400 millions d'euros par an.
Aussi, et dans le droit fil du discours qu'il a prononcé à la Cité de l'architecture et du patrimoine, par lequel le Président de la République a confirmé l'importance cruciale de la politique du patrimoine, vous avez, madame la ministre, pris l'engagement de trouver cette ressource extrabudgétaire indispensable.
Dans cet esprit, et compte tenu de l'importance des moyens que requiert la préservation des monuments historiques, il me semble nécessaire de porter une attention toute particulière au mécénat patrimonial, qui émerge dans notre pays depuis une dizaine d'années.
C'est notamment grâce au mécénat dit « de compétences », qui permet au mécène d'intervenir financièrement et de suivre les travaux, que la Galerie des glaces du château de Versailles a pu être restaurée dernièrement et que l'Hôtel de la Marine, situé place de la Concorde, le sera prochainement.
Destiné à favoriser le maintien sur le territoire national de trésors nationaux comme l'achat de biens culturels situés en France ou à l'étranger présentant un intérêt majeur pour notre patrimoine, ou bien encore l'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, la diffusion du spectacle vivant ou l'organisation d'expositions d'art contemporain, le mécénat a également un rôle majeur jour en matière de restauration du patrimoine architectural et monumental.
C'est pourquoi, selon nous, il conviendrait de procéder à une évaluation de la loi du 1er août 2003, afin de connaître précisément l'impact réel des mesures d'incitation fiscale concernant le mécénat culturel.
À cet égard, je voudrais faire un rappel. L'an dernier, en adoptant l'article 10 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007, nous avons décidé d'étendre la réduction d'impôt pour mécénat aux dons destinés à des travaux de restauration et d'accessibilité du public des monuments historiques privés. Ainsi, les dons à la Fondation du patrimoine ou à toute autre fondation ou association agréée doivent ouvrir droit à réduction d'impôt pour les entreprises et les particuliers, sous réserve, bien entendu, que le monument soit conservé par son propriétaire et ouvert au public pendant au moins dix ans.
Madame la ministre, comme cela a été souligné tout à l'heure, nous apprécions la forte augmentation - supérieure à 20 millions d'euros ! - des crédits affectés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État qui figure dans le projet de loi de finances pour 2008.
Au total, 123 millions d'euros viendront financer les subventions d'État au patrimoine protégé communal. Cette orientation est donc très positive pour les communes qui ont des projets de restauration ou dont les chantiers ont, par le passé, parfois été interrompus.
Une politique culturelle ambitieuse est forcément multidirectionnelle. La diversité de l'offre culturelle ne prend tout son sens que si elle rencontre son public.
Selon l'INSEE, le spectacle vivant touche chaque année, selon les genres, entre 4 % et 25 % des Français de quinze ans et plus. Environ 15 % de la population fréquente les galeries d'art ou les différents lieux d'exposition en arts plastiques et 31 % de nos compatriotes se rendent dans des bibliothèques.
Il faut donc continuer à réduire les inégalités qui peuvent parfois exister s'agissant de l'accès à la culture, ainsi que les disparités entre les différents types de publics et entre les territoires. Je pense notamment aux zones rurales. En clair, il faut confirmer et accentuer l'effort entrepris.
L'éducation artistique et culturelle constitue l'un des principaux aspects des politiques de démocratisation de l'accès à la culture. Elle est une composante essentielle de la formation des jeunes, car elle forme le regard, la sensibilité, le sens critique et la capacité à émettre un jugement esthétique.
Vous concentrez donc, madame la ministre, l'effort budgétaire sur le développement de cette discipline, en augmentant ses crédits de plus de 6 % par rapport à la loi de finances pour 2007. Nous vous en félicitons !
De leur côté, les collectivités territoriales ne sont pas en reste en la matière. Plusieurs départements ont adopté leur schéma départemental de développement des enseignements artistiques, conformément à ce qui a été défini par le législateur.
Merci, madame la ministre, de nous préciser les conditions qui sont envisagées et les modalités de transfert de crédits nécessaires à la viabilité même de ces schémas.
Ces points évoqués, le budget de la mission « Culture » nous convient, notamment dans un contexte qui, comme cela a été rappelé, n'est pas si simple.
Le groupe de l'UMP salue donc les efforts entrepris par le Gouvernement. Naturellement, nous soutiendrons vos propositions, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, d'avoir respecté votre temps de parole.
La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a plusieurs façons d'aborder le budget de la culture.
Premièrement, le lire au fil des chiffres et de leur agencement ; cela ne donne pas toujours grand-chose, chaque année étant vorace d'une nouvelle présentation. On devient orphelin. Ainsi, dans le budget 2008, par un changement de périmètre, les crédits du patrimoine monumental sont majorés artificiellement, alors qu'ils baissent de 18 % en crédits de paiement et de 6,4 % en autorisations d'engagement.
Deuxièmement, croire les chiffres, alors que nombreux sont ceux qui ne sont pas véritablement vrais, d'où un document en simulacre qui somnambulise. Ainsi, dans le budget 2008, le spectacle vivant, stationnaire en écriture, baisse dans ses crédits d'intervention de 414 000 euros en crédits de paiement et de 715 900 euros en autorisations d'engagement.
Troisièmement, il y a la lecture quantitative, celle qui ravale les arts, leur création, leur rencontre avec les publics et leur pluralisme à une comptabilité anonymisant tout, qui conduit à l'invisibilité démocratique. Pour moi, c'est du sarkozysme dans le budget, mais cela ne se voit pas à chiffres nus.
Les clés d'accès à la lecture qualitative du budget sont à prendre ailleurs, dans deux documents. D'une part, L'Économie de l'immatériel : la croissance de demain, de Maurice Lévy, PDG de Publicis, et de Jean-Pierre Jouyet, alors chef du service de l'Inspection générale des finances, paru le 6 décembre 2006. D'autre part, la lettre de mission que le Président de la République vous a adressée le 1er août 2007, madame la ministre.
Synthétisons le premier avec M. Pierre Musso, professeur de Sciences de l'information et de la communication à l'université de Rennes-II : « Ce rapport joue un rôle fondateur. Il est l'équivalent du rapport Nora-Minc de 1978 sur ?l'informatisation de la société française?. À l'époque, ce rapport s'appuyait déjà sur la mutation technique de la numérisation, rendue possible par la convergence des télécommunications et de l'informatique, alors qualifiée de télématique, pour annoncer l'entrée dans une nouvelle société dite ?de l'information?. » Le rapport de 1978 invitait à déréguler le secteur des télécoms.
Aujourd'hui, le même raisonnement est revisité, mais au nom de l'économie et de la « société de connaissances », qui viendrait se substituer à celle de l'information et l'englober. Il faut déréguler les secteurs de la culture, de la recherche, de la création et de l'enseignement. Hier, on dérégulait les tuyaux. Aujourd'hui, ce sont les contenus et les idées.
Le numérique étant érigé au rang de mythe rationnel indiscutable, la naturalisation de la technologie permet au pouvoir de la manier comme un discours de la causalité fatale. C'est la combinaison de la fatalité de la technologie avec celle de la financiarisation du monde. Dans cette approche technico-financière, tout deviendrait immatériel. Les réseaux d'information, notamment Internet, dématérialisent les objets, les territoires, les institutions, voire les hommes, transformés en « actifs immatériels ». Il conviendrait, dit-on, de traiter économiquement le capital humain. La notion d'« immatériel » est appliquée à l'innovation, à la recherche, à la formation, à l'enseignement, au design, à la mode, en passant par la créativité, le jeu vidéo, la publicité, les marques, l'entertainment, l'esprit d'entreprise, l'ensemble du champ des immatériels lié à l'imaginaire, ce qui permet de mettre sur le même plan la création artistique et culturelle, la publicité ou les marques.
Le rapport fait soixante-huit recommandations. J'en retiens une : le rapport demande la transformation des universités et des musées sur le modèle américain en les identifiant par des marques. Pour les musées, il faut lever plusieurs tabous, est-il dit, donc vendre ou louer des toiles.
Ainsi, le discours idéologique sur l'économie de l'immatériel pointe un fait majeur, l'importance de la connaissance et de la culture dans la société et l'économie, mais il vise à les standardiser en « actifs comptables », donc en signes valorisables pour les soumettre à une financiarisation généralisée. L'esprit des affaires prétend s'imposer aux affaires de l'esprit !
Maintenant, la lettre présidentielle sur la culture, d'une gravité extrême pour la création du spectacle vivant. Voyez plutôt : « La démocratisation culturelle, c'est enfin veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public. Vous réformerez à cette fin les conditions d'attribution des aides en créant des commissions indépendantes d'attribution associant des experts, des artistes et des représentants du public. Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu'elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et des subventions. » Ainsi, les artistes seraient essentiellement des commerciaux.
La création du passé et le patrimoine ne sont pas mieux traités : « Vous engagerez une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections ». C'est la mise en cause de la notion d'« oeuvre inaliénable ».
Cette politique, le Président de la République la veut « efficace » et « moins coûteuse ». Il faut « réallouer les moyens publics des politiques inutiles ou inefficaces au profit des politiques qui sont nécessaires et que nous voulons entreprendre ». Pour se garantir, il conclut en demandant de proposer des « indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint » entre l'Élysée, Matignon, Bercy et, tout de même, le ministère de la culture !
« Je ne suis pas un théoricien, moi, je ne suis pas un idéologue. Oh, je ne suis pas un intellectuel ! Je suis quelqu'un de concret », disait-il après son élection.
Quelle illustration de ce que disait Jean Vilar à André Malraux, en mai 1971, sur les rapports entre pouvoir et artistes, qui sont souvent un « mariage cruel » !
Jean Vilar déclarait ceci : « Il s'agit aussi de savoir si nous aurons assez de clairvoyance et d'opiniâtreté pour imposer au public ce qu'il désire obscurément ». Je pense également à ce propos de Pierre Boulez : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l'immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l'amertume de l'inconfort, mais plus encore avec l'assurance de l'inconnu. »
Nicolas Sarkozy veut imposer la répétition qui promeut l'entertainment, la culture de l'instant, de l'éphémère, du divertissement et du présentisme, lequel enferme et contribue à ce qu'une immense masse de gens devienne flottante dans « un état d'impondérabilité de ses valeurs ». Cette pratique va jusqu'à interdire l'espérance d'un au-delà de ce qu'on connaît. C'est fade comme le rire permanent de Ruquier. Soyons intransigeants sur la création, car elle désactualise, met en rapport les générations et délocalise à la manière de la chanson de Renaud C'est quand qu'on va où ? : « L'essentiel à nous apprendre, c'est l'amour des livres qui fait qu'tu peux voyager d'ta chambre autour de l'humanité ».
La création permet de nouveaux commencements. Au mois de mai, à Aubervilliers, un professeur au Collège de France, Predrag Matvejevitch, intervenant sur l'oeuvre d'Ivo Andric Le Pont sur la Drina, eut ce propos : « Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre et, dans un même mouvement, nous devons nous en défendre. Autrement, nous serions en retard d'avenir, nous serions inaccomplis. » Le Président de la République est bourré de retards d'avenir. J'évoquerai René Char : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel ». Voilà la création.
La politique qui ressort du rapport et de la lettre est au service des grands groupes avides d'une dimension internationale. On sait par expérience que, quand Vivendi ou les télécoms ont grandi par achats, notamment aux États-Unis, ils ont connu de lourds déboires préjudiciables aux finances publiques. Ces concentrations, qui faisaient hier des compromis avec le pouvoir politique, s'imposent aujourd'hui à lui.
À la politique industrielle a succédé la politique financière. Aux ententes négociées se sont substituées les stratégies financières imposées au pouvoir politique. Les ententes d'hier étaient à moyen ou long terme. Maintenant, ce sont les actionnaires qui exigent le court terme, à travers des bilans trimestriels que le pouvoir suit. C'est un basculement.
Le monde culturel et artistique vit douloureusement cela. Le gel traditionnel d'un pourcentage de crédits est augmenté et externalisé des subventions. Les subventions de fonctionnement baissent de 375 000 euros à Chaillot, de 475 000 euros à la Comédie-Française, de 250 000 euros au Théâtre national de Strasbourg, de près de 1 million d'euros à la Cité de la musique, de 300 000 euros pour l'École des beaux-arts de Paris, de 1,1 million d'euros au Parc de la Villette et de 631 936 euros à Monum.
Cela s'inscrit dans la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui a été décidée par l'Élysée et qui est l'étude au ministère et dans un cabinet qui a déjà visité l'Opéra, Chaillot, le Conservatoire et le musée d'Orsay.
Dans les régions, y compris en Île-de-France, les décisions cheminent vers un moins. En Rhône-Alpes, c'est moins 6 % pour l'ensemble des institutions et structures. Sur 37 millions d'euros pour la région, il y a donc une baisse de 2,4 millions d'euros. Pour la MC2 de Grenoble, c'est moins 140 000 euros, pour le Centre dramatique national de Saint-Étienne, moins 120 000 euros. Même si le directeur régional des affaires culturelles, le DRAC, fait l'impossible pour maintenir aux jeunes compagnies leurs subventions, celles-ci risquent de perdre dans la foulée des diminutions aux institutions.
Le 24 novembre, j'étais au soixantième anniversaire du premier centre dramatique national, à Saint-Étienne. Quel plaisir de voir un public de 700 personnes, qui étaient non pas un chiffre, mais une qualité de partenariats participant à l'aventure lancée par Dasté, et qui, autour d'une belle politique de création de Jean-Claude Berutti et François Rancillac, pratiquent la coopération avec l'Afrique, l'Europe, les compagnies indépendantes ! Neuf jeunes comédiens de l'école de théâtre présentèrent talentueusement l'histoire de la comédie dans un montage de textes roboratifs.
Clôturant cette chaleureuse fête de l'esprit et du coeur, on entendit un merveilleux texte de Michel Vinaver : « Eh bien, je te souhaite, décentralisation, ma mie, de préserver ton identité, liée à tes origines et aux ressources dont tu vis. Je souhaite que tu gardes ta différence ; que tu restes aventureuse et exploratrice prioritairement. Que tu ne cèdes pas à la tendance de tout mélanger à tout pour que tout ait le goût de tout. Fraye avec l'autre si tu veux, mais veille à ce que ne s'effacent pas les contours. Ne laisse pas se diluer ton génie particulier.
L'altérité des deux théâtres, privé et public, est aussi bonne à prendre que celle des sexes. Chacun y trouve son compte. »
Autres soustractions : plusieurs opéras de province sont touchés. Tours avait perdu 300 000 euros, qu'il a récupérés... La scène nationale de Bar-le-Duc perd 150 000 euros sur les 300 000 qu'elle recevait. Les centres dramatiques nationaux de la région parisienne perdent 3 %, résultat d'un plus 2 % d'engagement de l'État et d'un moins 4 % de gel du même État.
Un cas mérite d'être souligné, celui du théâtre de la Bastille, dirigé par Jean-Marie Hordé, dont on connaît les choix de créations si originaux « d'un art inattendu ». Fin 2008, il sera au bord d'un dépôt de bilan si l'intervention nationale ne l'épaule pas. L'exercice des métiers du théâtre dans cette précieuse petite salle est miné.
Je voudrais à cet instant évoquer les salariés dans leurs rapports avec la culture. Leur travail est marqué par une intensification jamais connue, une suractivité, une mobilisation de tous les instants. Pierre Legendre dit : « L'homme symbolise comme il respire. » Précisément, les conditions de travail d'aujourd'hui externalisent la respiration. Le sujet, même agité, devient désoeuvré.
Yves Clot, psychologue du travail au Conservatoire national des arts et métiers, ...
M. le président. Mon cher collègue, il faut songer à aller vers la conclusion.
M. Jack Ralite. Encore un peu ... (Exclamations au banc des commissions.)
M. le président. Monsieur Ralite, vous avez d'ores et déjà dépassé votre temps de parole. (M. Jack Ralite interrompt là son propos et quitte la tribune.)
Mes chers collègues, au bout de douze minutes, il me paraissait normal d'inviter l'orateur à envisager de conclure. Je ne disais rien de plus. (Tout à fait ! au banc des commissions.)
La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Monsieur le président, il est vrai que j'aurais bien continué à écouter Jack Ralite. Nous ne sommes pas si nombreux et, de temps en temps, c'est un vrai plaisir d'entendre un discours aussi profond.
M. le président. Permettez-moi simplement d'indiquer, mon cher collègue, que nous devons traiter avec un minimum d'équité l'ensemble des intervenants. M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, n'avait que cinq minutes pour présenter l'ensemble de son budget et il a respecté son temps de parole.
Dans ces conditions, je pense que l'on peut admettre que j'invite l'orateur à envisager de conclure au bout de douze minutes. Je n'y vois aucun motif de différend entre nous. C'était un beau discours, et l'assemblée l'a apprécié. Pour autant, il arrive un moment où l'on peut inviter un orateur à conclure.
Veuillez poursuivre, monsieur Dauge.
M. Yves Dauge. Je vous comprends, monsieur le président, mais je redis tout de même combien j'étais heureux d'entendre Jack Ralite...
M. le président. Tout à fait !
M. Yves Dauge. ...et que j'aurais bien continué. Cela étant dit, nous n'allons pas nous disputer !
Madame la ministre, la politique du patrimoine est une grande politique et il est nécessaire, pour la défendre, de se mettre d'accord sur sa profondeur et son champ d'action.
Sa dimension culturelle est évidente, ne serait-ce que par l'utilisation des monuments restaurés, qui restent des lieux extrêmement forts dans le développement de la culture.
Son aspect économique est considérable, tant par le nombre et la qualité des emplois et des formations que par les entreprises remarquables qui oeuvrent dans ce secteur et qui font honneur à notre pays.
Sa dimension urbaine et d'aménagement du territoire, enfin, est essentielle. Les politiques de la ville manquent bien souvent d'inspiration et auraient tout intérêt à se refonder sur les centres historiques pour donner un sens au développement urbain.
Forts de cette ambition à laquelle nous pourrions tous souscrire, il nous faut avoir les moyens de cette politique. Avec 400 millions d'euros, nous sommes loin du compte. Je peux comprendre la contrainte budgétaire, mais encore faut-il que l'on puisse disposer des sommes annoncées et que tout le monde parle un discours de vérité. J'avoue que j'ai moi aussi quelquefois du mal à comprendre exactement ce qui se passe.
Je voudrais d'ailleurs saluer le travail de la commission des affaires culturelles qui, depuis deux ou trois ans, oeuvre à la compréhension des mécanismes quelque peu obscurs qui se sont développés dans ce domaine. Le Sénat a essayé de comprendre, dans le souci d'aider honnêtement le ministère, madame la ministre.
Il reste que l'année 2008, je le dis franchement, sera difficile. Comment pourra-t-on faire face, avec ce budget, au montage opérationnel que l'État devra opérer pour Monum ? Et les dettes de l'État, qui ne sont pas apurées ? Comment trouvera-t-on de quoi alimenter les directions régionales des affaires culturelles, elles-mêmes endettées, dont les crédits vont baisser alors qu'elles se trouvent déjà en difficulté ?
En définitive, je me demande, même si je ne suis pas sûr que nous soyons en mesure de le savoir clairement, s'il restera des crédits nets, après avoir honoré toutes les dettes, pour monter des opérations nouvelles en 2008.
Je n'insiste pas, mon rôle n'est pas de vous compliquer la tâche, madame la ministre, mais nous avons intérêt à être le plus clair possible vis-à-vis des entreprises et des collectivités locales. L'absence de transparence dans cette affaire serait nuisible à la réputation et à la crédibilité de l'État, que je suis, tout comme vous, décidé à défendre.
La pire des choses serait de poursuivre dans la voie que nous avons suivie pendant des années, car on est arrivé au point où les fonctionnaires, que ce soit au niveau des DRAC ou à l'échelon central, finissent par se faire agresser.
Un effort de clarification est donc indispensable en 2008. Les chiffres étant ce qu'ils sont, il faut dire la vérité : voilà ce que nous ferons, voilà ce que nous ne ferons pas. Payons d'abord nos dettes, nous verrons ensuite ce qu'il reste.
Dans la dotation des DRAC, j'insiste toujours sur les crédits destinés aux espaces protégés, aux espaces sauvegardés. S'il est une politique emblématique, c'est bien celle-là !
Il serait certes possible de trouver un partenariat plus efficace avec les villes pour financer les études, madame la ministre, mais les crédits sont en baisse et l'on assiste à une diminution visible des espaces protégés, des zones de protection du patrimoine, je pense notamment aux abords des monuments historiques. C'est à la dimension urbaine du patrimoine que l'on touche : elle est essentielle et il importe de la défendre ardemment.
Comment pourra-t-on faire face financièrement et répondre à toutes ces interrogations en 2008 ? Je me le demande. Le groupe d'études sur le patrimoine architectural, que vous présidez, monsieur Richert, pourrait se saisir de ce dossier.
Je voudrais dire quelques mots sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives, l'INRAP. Des progrès ont été réalisés, l'ambiance est meilleure. Je suis convaincu que, même dans une situation budgétaire difficile, l'INRAP doit absolument parvenir à l'équilibre financier. Simplement, il faut améliorer le recouvrement de la redevance, qui n'est pas suffisamment efficace. Il n'y a aucune raison que nous n'arrivions pas à atteindre les 80 millions d'euros, ce qui nous permettrait d'allouer à peu près 30 millions d'euros au fonds d'intervention. Or, nous en sommes encore loin !
Je souhaite aussi que l'on puisse débloquer l'emploi dans le domaine des fouilles. Partout, qu'il s'agisse des maîtres d'ouvrage, des opérateurs, la demande est formidable. Tout le monde se plaint que les fouilles ne vont pas assez vite, mais l'INRAP n'a pas le droit de créer d'emplois publics.
Il faudrait tout de même pouvoir négocier une possibilité de répondre à la demande. Nous sommes dans un système absurde : la demande existe, les compétences aussi, mais on freine tout faute de créations d'emploi. C'est ridicule ! Notre rapporteur spécial, Yann Gaillard, connaît très bien ce dossier. Je souhaiterais que l'on puisse introduire un peu de respiration dans la gestion de cette affaire.
Voilà une solution simple, madame la ministre, qui vous éviterait de verser 10 millions d'euros supplémentaires à l'INRAP pour boucher les trous, des millions dont vous avez vraiment besoin pour le patrimoine.
Dans le même ordre d'idée, je redis ce que j'ai toujours dit ici : il est inadmissible de maintenir les exemptions de redevance actuelles. Les lotisseurs affligent la totalité de notre territoire d'opérations contestables sur le plan de l'urbanisme et en plus ils ne paient pas la redevance : on se demande bien pourquoi !
Dans ma région, 500 lotissements sont ainsi exonérés. Nous pourrions leur faire payer le juste prix, puisqu'ils relèvent du droit commun. Ils ont simplement été soutenus par un lobby dont vous faites les frais, madame la ministre. Vos collègues sont bien à l'aise pour défendre des exemptions, mais c'est vous qui payez la note. C'est scandaleux !
Il y a là matière à mener des actions concrètes et efficaces et je souhaite vivement qu'elles voient le jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur le banc des commissions.)