M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'examen chiffré de la mission « Action extérieure de l'État », des esprits chagrins pourraient relever que la francophonie est le parent pauvre de la loi de finances, que les ressources allouées sont quasi constantes par rapport au budget précédent et qu'une relative réduction des effectifs se poursuit.
Le redéploiement du personnel ne doit se justifier que s'il s'inscrit dans un processus de rationalisation, qui, pour ma part, me semble engagé : le regroupement des services centraux de neuf à deux sites me paraît, de ce point de vue, une très bonne initiative.
Néanmoins, l'essentiel est ailleurs. L'heure est bien à une profonde transformation des interactions entre les États sur la scène internationale et à la prévalence de nouveaux enjeux, deux processus dont la France doit tenir compte afin d'accompagner ces mutations au lieu de les subir. L'examen de la mission « Action extérieure de l'État » est l'occasion de le rappeler.
L'absence d'une autorité centrale, reconnue comme telle par les États, définit notre système international comme une anarchie plus ou moins régulée, fondée depuis l'ère westphalienne sur une coexistence concurrente pacifique. L'opération « Liberté en Irak » de mars 2003 a, semble-t-il, infléchi cette conduite dans le sens d'une radicalisation de la vision de l'autre : le « rival » est désormais reconsidéré comme un « ennemi ». De même, l'existence depuis le 11 septembre 2001 d'une figure nouvelle de l'ennemi invisible et transnational qui vise à la déstabilisation d'un ordre régional nous fait entrer dans cette nouvelle ère « post-westphalienne », évoquée par certains experts.
De surcroît, la crise socio-économique de pays émergents - je pense aux émeutes de la faim en Argentine à l'automne 2001 -, les crises politiques africaines et moyennes orientales, les désastres climatiques n'invitent guère à l'optimisme.
Comment la France doit-elle se situer dans un tel système ?
L'indépendance nationale ne signifie aucunement l'isolement. Et l'on ne peut que soutenir les démarches du Président de la République qui vont en ce sens, notamment dans le cadre d'une action européenne. L'Europe doit parler d'une seule voix.
Je salue l'impulsion donnée par la France dans la rédaction d'un nouveau traité modificatif, recentré sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui sera signé ce mois-ci lors de la prochaine rencontre de Lisbonne. La création d'un Haut responsable pour la politique étrangère de l'Union, acté dans le projet du traité simplifié, permettra que les différences de vues préalables, inéluctables, ne soient plus transformées en manifestations extérieures de dissensions.
Le 17 novembre dernier, à l'issue du séminaire gouvernemental de préparation de la prochaine présidence française de l'Union, le Premier ministre a évoqué la nécessité d'associer les collectivités locales à cette présidence. Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen sera soucieux de rappeler au Gouvernement que seul l'enracinement local est apte à légitimer l'Union auprès des citoyens.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Georges Othily. Ce renoncement à l'aventure de l'utopie autonomiste pourrait prendre la voie d'un renforcement accru des liens transatlantiques. Notre groupe parlementaire se souvient que l'une de ses figures historiques, Gaston Doumergue, eut pour ministre André Tardieu, qui fut en son temps un chaud partisan d'un tel rapprochement. Encore faut-il se garder des appréciations hâtives. La ligne d'action franco-américaine peut fort bien se concevoir non comme une politique d'alignement bilatérale, mais comme un projet de multilatéralisme.
Que recouvre une telle conception ? On oppose schématiquement une ligne atlantiste portée par les pays anglo-saxons, incarnée ces dernières années par l'axe « Bush-Blair », à une ligne multilatérale marquée par le geste gaulliste.
Gare aux simplifications, car le multilatéralisme n'est plus seulement aujourd'hui une technique diplomatique. Il prend aussi les traits d'un projet politique qui vise à encourager les liens d'interdépendance entre les États.
Sous cet angle, la politique américaine est éminemment multilatérale. On rappellera que la Société des nations fut impulsée par le président Wilson ; et les États-Unis, loin de renier le multilatéralisme, savent tantôt l'utiliser comme ressource d'ajustement, là où leur intérêt les porte à associer des partenaires à leurs projets, quand ce n'est pas à assurer le leadership au sein d'instances internationales telles l'OTAN ou l'OMC, tantôt le rejeter, dès lors que les contraintes des conventions internationales entraveraient leur marge d'action.
Face à ce « multilatéralisme à la carte », pour l'Europe - pour ne pas dire pour la France -, le multilatéralisme se vit généralement, a contrario, comme une contrainte, comme un pis-aller destiné à contrer le leadership. Dès lors, ne nous trompons ni d'objectif ni de combat : si elle ne veut pas s'engouffrer dans un bilatéralisme par défaut, la France doit promouvoir des initiatives.
La question de la représentativité des instances de régulation internationale, que celle-ci soit économique, avec le G8, ou politique, avec le Conseil de sécurité des Nations unies, mérite d'être posée. Je me souviens que le candidat à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy, dans un discours de politique internationale prononcé le 28 février 2007, avait clairement engagé le débat. Quelles que soient les solutions envisagées et les instances concernées, il faudra immanquablement en passer par l'association aux pays développés d'une représentation équilibrée des continents, des puissances émergentes et des pays les plus pauvres. Les critères et les modalités de la pondération, tels que le produit intérieur brut, le nombre d'habitants, etc., restent bien sûr à définir.
Ce « multilatéralisme bien entendu » se conçoit également au travers d'une redéfinition du champ de compétence des institutions et organisations internationales, qui doivent incarner la prise en compte par les leaders nationaux des défis apportés par le nouveau siècle, notamment les défis environnementaux. Le cadre d'ententes régionales - telle l'union euro-méditerranéenne - apparaît comme le niveau adéquat, dès lors que la politique de rapprochement est souhaitée par nous et par nos partenaires, et dans le même temps tient compte de nos fondamentaux.
Un tel redéploiement passe par la fixation d'un cadre à notre diplomatie, défini par le Président de la République et porté par vous-même, monsieur le ministre. Dans ce cadre, la représentation parlementaire doit rappeler l'importance des nouveaux enjeux et oeuvrer à réaffirmer ces fondamentaux : défendre les valeurs des droits de l'homme ; assurer un libéralisme politique et économique progressiste, orienté, si ce n'est dirigé, en faveur de l'homme ; conduire l'aggiornamento intellectuel et la pratique de la promotion de l'économie durable.
Notre groupe sera ainsi attentif à ce que la promotion de l'Europe sociale soit effectivement l'un des principaux axes de l'Union européenne. D'ores et déjà, le maintien dans le prochain cadre institutionnel des objectifs fixés en matière de relations sociales et d'amélioration des conditions des salariés nous paraît un acquis indéniable. La France devrait défendre l'idée d'un relatif élargissement des partenaires sociaux afin que le sommet social tripartite pour la croissance et l'emploi soit bien représentatif de l'ensemble des secteurs et des dimensions d'activités.
La logique de défense des intérêts sociaux et économiques européens, français, n'est par ailleurs pas illégitime dès lors que le protectionnisme se fonde sur la lutte contre les méfaits liés aux conditions de travail des pays tiers et aux dégradations de l'environnement face au dumping social et qu'il promeut les valeurs de ce que l'on pourrait appeler un « corridor socio-environnemental ».
L'idée française d'introduire une taxe - telle la taxe carbone - sur les importations de marchandises industrielles en provenance de pays où les normes environnementales sont moins strictes qu'en Europe a d'ores et déjà fait l'objet de discussions formelles des ministres européens lors du Conseil « Compétitivité » des 22 et 23 novembre derniers. Est clairement mise en exergue la nécessité de redéfinir les règles dans le cadre de l'OMC. Autant d'impératifs qui, je me permets de le rappeler, figurent au nombre des propositions formulées dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques rendu en juin dernier, relatif aux exigences et aux enjeux du développement durable.
Ce cadre fixé à notre diplomatie met en acte la conception du « multilatéralisme bien entendu » que j'évoquais à l'instant. Ainsi, point de suivisme dans le choix éventuel d'un accroissement des forces françaises présentes en Afghanistan, à partir du moment où la contribution militaire française s'effectue dans le cadre des actions internationales de l'OTAN, mandatée par l'ONU, et que, parallèlement, la mission d'assistance politique se réalise en vue de la promotion et de la protection des droits de l'homme, comme l'énonce clairement la résolution 1746 du Conseil de sécurité.
Les discours de politique extérieure du candidat à l'élection présidentielle ne doivent pas demeurer de vains mots : il appartient à la représentation nationale de l'énoncer haut et fort, alors même que doit être fêté très prochainement l'anniversaire de la signature de la Convention européenne des droits de l'homme de 1948, parmi les rédacteurs de laquelle figure, cela mérite d'être rappelé, un Français : le grand juriste René Cassin.
Enfin, on peut sans doute déplorer que la ligne budgétaire relative à l'intervention française dans le cadre de l'opération conjointe EUFOR, qui permettra de garantir la sécurité dans l'est du Tchad, n'intervienne que dans la loi de finances rectificative. Pour autant, nous pouvons louer une initiative française qui s'inscrit pleinement dans le cadre d'action ainsi défini.
Mes chers collègues, sur la base des lignes directrices que je viens de développer devant vous, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans sa majorité, votera la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'action extérieure de la France est aujourd'hui à un carrefour. Au moment où nous examinons le budget de la mission correspondante - qui ne retrace qu'une partie de l'action à l'étranger, celle qui relève du ministère des affaires étrangères -, il n'est pas inutile de souligner ce qui, aux yeux de mon groupe et à mes yeux, doit constituer quelques idées fortes de notre diplomatie.
Monsieur le ministre, je serai peut-être un peu long, mais les débats sur les affaires étrangères sont peu fréquents dans notre assemblée, hormis ceux qui sont organisés avant les sommets des chefs d'État européens.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je tiens à le faire observer également aux deux vice-présidents du Sénat qui, l'un au fauteuil de la présidence, l'autre au banc de la commission, sont aujourd'hui présents dans l'hémicycle.
La construction européenne demeure bien sûr, aux yeux de notre groupe - c'est à la base même de l'existence de ce qui fut l'UDF -, l'impératif majeur de notre politique étrangère. Le compromis obtenu par le Président de la République à Lisbonne, qui est vraiment un grand succès de la diplomatie française et même, je le crois, un succès personnel du Président Sarkozy, permettra l'adoption rapide, en quelques jours à peine, d'un traité européen simplifié.
M. Giscard d'Estaing lui-même a souligné que l'essentiel des travaux de la Convention européenne, qu'il a présidée, avait été préservé. Aussi, le projet de loi de ratification du traité devra être examiné avec bienveillance par la Haute Assemblée et mon groupe demeurera vigilant et attentif dans ce débat, qui fera avancer la cause de l'Europe.
Devant le développement des grands ensembles continentaux, nous devons veiller, mes chers collègues, à préserver ce bien précieux qu'est l'Europe. À juste titre, le Président de la République a proposé d'approfondir l'Union des vingt-sept avant qu'elle ne procède à quelque autre élargissement, même si les efforts de la Croatie doivent être regardés avec sympathie. Pour ma part, je plaide en faveur de l'intégration dans l'Union européenne des pays de l'Espace économique européen : la Norvège, la petite Islande - qui me tient particulièrement à coeur, puisque je préside le groupe interparlementaire d'amitié -, la Suisse et le Liechtenstein.
Comme mon groupe, je souhaite une Europe de la défense, dans l'esprit de la conférence de Saint-Malo qui, en 1998, avait réuni le Royaume-Uni et la France : les propositions formulées à l'époque par Tony Blair gardent toute leur valeur.
Mais je me souviens également des enseignements de mon maître en politique, Jean Lecanuet, qui fut dans notre Haute Assemblée un exemple et une exigence. L'Europe a une monnaie commune et unique. Elle n'est pas chère, elle est forte, et elle nous met à l'abri de tout retour de l'inflation : un moyen commode pour se soustraire à la dette - et nous sommes bien tentés par ce genre de chose !
Avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel, l'euro est le garant de l'Union européenne et un passeport pour une véritable union politique.
Cette union politique se fera un jour, nous l'espérons, mais elle ne se fera qu'à la condition que nous gardions les yeux grands ouverts vers l'est, vers notre partenaire naturel, la Russie.
Dans un rapport récent sur les relations entre la Russie et l'Europe, j'avais mis l'accent sur l'indispensable partenariat stratégique qui doit se nouer entre les deux entités. J'y rappelais que jamais au cours de son histoire la Russie n'a été un État-nation : elle fut toujours un empire, et elle n'a pas encore fait le deuil de la perte de son « étranger proche ». Elle pourra donc être tentée par la constitution d'un ensemble eurasiatique, ou par un rapprochement avec l'Europe.
Il faudra naturellement l'encourager à aller dans le sens de l'Europe et oeuvrer pour cette politique dans l'Union européenne. Le nouveau Premier ministre polonais, M. Donald Tusk, peut à cet égard jouer un rôle essentiel dans le rapprochement des points de vue sur la question russe, notamment entre la nouvelle Europe et la Russie.
Face à la Russie, il est indispensable que l'Union européenne parle d'une seule voix. Pour autant, nous ne devons pas réduire ce dialogue à une simple sécurisation de notre approvisionnement énergétique : bien au contraire, il nous faut appeler la Russie, grand pays européen, à une communauté de destins avec notre continent. Ce grand pays vit mal sa rivalité avec la Chine et s'interroge sur l'immigration chinoise : ses responsables nourrissent une réelle inquiétude à l'égard de Pékin et de sa démographie. Par ailleurs, le gouvernement russe ressent comme une agression la politique des États-Unis en Ukraine, en Géorgie et en Azerbaïdjan, et s'irrite de leur présence en Asie centrale.
Il y a également l'affaire des droits de l'homme. La Russie, qui fut toujours un empire - l'empire des tsars, puis l'empire soviétique - découvre à peine cette démocratie que nous avons, nous, mis deux siècles à construire. Il est tout à fait nécessaire que les Européens rappellent et défendent les principes des droits de l'homme ; cependant, je voudrais y insister, si l'on a assurément raison de rappeler fermement que la démocratie doit exister aussi en Russie, on doit également tenir compte du fait que c'est un pays jeune, en pleine évolution, où la démocratie est encore balbutiante et fragile.
La politique atlantique doit être, du point de vue de mon groupe, le deuxième pilier de notre politique étrangère. Trop longtemps, la Ve République a mené une politique de méfiance à l'égard de nos amis américains. C'est une ingratitude incompréhensible pour eux, qui ont tant fait pour l'Europe durant les deux guerres mondiales et ont tant dépensé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour ramener la prospérité.
Le Président de la République a eu raison de réchauffer les liens qui nous unissent avec l'Amérique, notre amie et notre alliée de toujours, et il l'a fait dans des conditions équilibrées en n'oubliant pas de venir saluer le Congrès et sa majorité politique nouvelle. Cependant, ce réchauffement ne nous interdit pas de dire publiquement que nous ne pouvons plus accepter des décisions unilatérales comme celle de déployer en République tchèque et en Pologne le système de missiles antimissile sans concertation préalable avec l'Europe, sous prétexte que cette décision relève des relations bilatérales entre les intéressés. Où en est-on, monsieur le ministre ? Le fait que les Russes aient récemment suspendu leur participation au traité sur les forces conventionnelles en Europe n'était pas de bon augure, et je souhaiterais entendre votre avis là-dessus.
Mais l'Amérique est un continent qui ne se limite pas aux États-Unis : l'Amérique latine a été trop longtemps oubliée dans notre politique étrangère, et les efforts déployés par la France depuis quelques années vont dans le bon sens. Notre pays avait esquissé en 1964 une grande politique avec les pays du continent lors de deux tournées présidentielles, au printemps et à l'automne. Nos amis latino-américains attendent beaucoup de notre part. Sachons leur répondre.
Car un défi nous est lancé : le défi de la francophonie, celui de la vitalité de cette belle langue qu'est la langue française. Monsieur le ministre, je citerai un seul exemple pour illustrer mon propos. En 1989, c'était au moment de l'élection du président Aylwin, je me suis rendu au Chili avec votre ami Bernard Stasi ; la langue française était à l'époque très présente. Quand j'y suis retourné quelques années plus tard - et l'on m'a indiqué récemment que la tendance s'était confirmée -, l'anglais avait remplacé le français comme langue de culture chez les élites chiliennes. C'est bien le signe que nous devons faire des efforts, car le problème est important.
À cet égard, ne soyons pas arrogants et sachons rester pénétrés d'humilité. La langue française se parle sur le continent américain : au Canada bien sûr, en Haïti - je caricaturerais à peine en disant qu'à New York tous les chauffeurs de taxi parlent français -, en Louisiane et partout où les étudiants se nourrissent de notre culture. Elle se pratique aussi, bien sûr, sur le continent africain, où elle est préservée et souvent mieux parlée que dans notre pays. Mais la politique française en Afrique doit être réformée.
J'ai fait allusion tout à l'heure, en tant que rapporteur pour avis, au rapport qu'André Dulait, Robert Hue et moi-même avons cosigné. Il nous est apparu clairement que, si elle veut être plus efficace, la politique menée en Afrique doit rassembler, singulièrement, tous les pays qui ont eu des responsabilités sur le continent : la France, le Royaume-Uni, la République fédérale d'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Belgique.
Nous devons parvenir à une mutualisation de nos efforts, source d'économies dans nos représentations diplomatiques et consulaires. C'est peut-être d'ailleurs là, monsieur le ministre, la meilleure façon de résister à l'emprise de la Chine sur ces pays-là.
Ces efforts permettront à nos amis africains de progresser dans la démocratie et d'atteindre les portes d'un codéveloppement indispensable à leur avenir. Et je voulais dire à ce propos que la France devrait envier les taux de croissance de certains pays africains, qui sont quelquefois de 6 % ou 7 %. Donc, n'ayons pas d'arrogance à ce sujet.
Parce que « l'Afrique de grand-papa » a vécu, nos relations avec nos partenaires doivent être empreintes de sérénité et de transparence au service des peuples qui souffrent de peu recueillir le fruit de leurs efforts.
Plus près de nous, il y a le bassin méditerranéen. Au début des années soixante-dix, Georges Pompidou avait initié une politique méditerranéenne de la France. Elle avait soulevé à tort du scepticisme. La Méditerranée est une mer intérieure entre l'Afrique et l'Europe. Elle nous a marqués, elle a marqué notre civilisation. Sur son pourtour se sont forgées de grandes civilisations, la nôtre mais d'autres aussi. Le Président de la République reprend l'ouvrage, et il a raison de le faire. Les plus grands malheurs peuvent venir de cette mer intérieure si l'on n'y prend garde.
Nous souhaitons, bien sûr, que le Sénat soit associé au développement de cette politique et je souhaite aussi, à titre personnel et au nom du groupe Union centriste-UDF, que nous ayons un débat sur ce sujet.
Il y a deux jours était célébré le soixantième anniversaire du plan de partage de la Palestine. Si les hommes de paix avaient été écoutés à l'époque, le Proche-Orient et le Moyen- Orient n'auraient pas vécu soixante ans de conflit. Aussi, je n'évoquerai pas ce sujet délicat, qui doit être résolu dans le secret et dans la discrétion des chancelleries. Mais nous souhaitons tous, mes chers collègues, qu'une paix juste et durable s'instaure entre Israël, qui a un droit sacré à son existence, et la Palestine, laquelle doit prendre une juste place dans le concert international.
Mais la paix ne se gagne pas seulement dans ces contrées. Quand la Chine s'éveillera, avait écrit Alain Peyrefitte en 1973 et notre génération avait été marquée par ce livre. Elle s'est éveillée - le voyage du Président de la République nous l'a confirmé -, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait suivant : la Chine, comme la Russie, n'est pas un État-nation. Il y a les Han majoritaires dans l'Empire du Milieu, mais ils ne sont pas les seuls : le Tibet demeure depuis 1959 une épine douloureuse dans le pied chinois, les Ouïghours et les minorités musulmanes constituent eux aussi un mélange explosif.
Et le xixe congrès du parti communiste chinois a démontré que la croissance économique trop rapide forgeait des déséquilibres sociaux préoccupants à terme. Les voisins immédiats de la Chine - la Corée du Nord, le Pakistan et l'Afghanistan - sont des détonateurs puissants pouvant à tout moment provoquer un conflit, nous le savons bien.
La tâche du Gouvernement au côté du Président de la République est immense. Je voudrais y apporter nos encouragements, et tout particulièrement à votre égard, monsieur le ministre, vous qui portez si haut, si clair, si fort la voix de la France et la voix de l'Europe, même si l'on n'est pas toujours d'accord avec vous. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, la politique extérieure de la France est aujourd'hui en question. Preuve en est la mise en place récente d'une commission, au sein de laquelle j'ai l'honneur, au côté de notre collègue Jean François-Poncet, de représenter le Sénat, chargée de rédiger d'ici à juin 2008 un livre blanc sur ce sujet.
L'examen du projet de loi de finances pour 2008 permet de traiter des crédits dédiés à la mission « Action extérieure de l'État », mais au-delà des chiffres, ce qui importe, c'est de décrypter les choix stratégiques qu'ils recouvrent. Or ces choix n'apparaissent pas clairement. Je voudrais donc vous interroger sur notre effort budgétaire global - au service de quelle stratégie ?-, sur l'évolution du réseau culturel à l'étranger et les risques de dislocation de la Direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, et, enfin, sur l'avenir de notre audiovisuel extérieur.
Comme l'ont rappelé nos rapporteurs, la part du budget consacré aux affaires étrangères dans le budget de l'État pour 2008 est légèrement supérieure à 4,5 milliards d'euros, soit environ 1,5 % du budget général, correspondant à 13 200 emplois équivalents temps plein. La relative stabilité constatée et les débats légitimes sur les moyens ne doivent pas occulter les questions stratégiques qui restent posées à la France en cette fin d'année 2007.
La première concerne les priorités de la présidence française de l'Union européenne, qui débutera le 1er juillet prochain. Ce sujet a déjà été évoqué mercredi et jeudi avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mais il est nécessaire de le resituer dans votre vision globale de la politique étrangère.
Le budget de la présidence française fait l'objet d'un programme spécifique - le programme 306 - dans la mission « Action extérieure de l'État », et vous l'avez fixé, monsieur le ministre, à 190 millions d'euros, dont 120 millions d'euros en crédits de paiement. À titre de comparaison, c'est à peu près équivalent à la dernière présidence allemande, 180 millions d'euros. Nous n'en doutons pas, ces crédits sont justifiés, encore faudrait-il les flécher plus précisément.
Mais la véritable question concerne les orientations européennes que la France défendra : le Gouvernement impulsera-t-il auprès de nos partenaires européens un renforcement des ressources propres de l'Union pour jeter les bases d'un véritable gouvernement économique européen ? Les négociations avec la Turquie suivront-elles leur cours normal ? De nouvelles et nécessaires initiatives seront-elles prises en faveur de l'Europe de la recherche ? Comment traduirez-vous en actes l'urgence d'une réelle politique énergétique européenne, qui ne soit pas uniquement centrée sur le droit de la concurrence, mais qui prenne en compte également la nécessité d'assurer la sécurité d'approvisionnement et de protéger l'environnement ?
J'espère en tout cas, monsieur le ministre, qu'à l'occasion de sa présidence la France fera entendre au reste du monde une autre voix que celle d'une Europe forteresse ouverte seulement aux plus riches ou aux plus qualifiés. Si l'on s'en tient aux dernières déclarations de votre collègue M. Hortefeux appelant à un pacte européen de l'immigration, il est permis d'en douter.
D'autres questions stratégiques se posent.
À la veille des élections législatives en Russie, dans un climat très lourd, quelques jours après la visite du Président de la République en Chine qui a vu la signature de très importants contrats commerciaux et industriels, ce débat budgétaire est également l'occasion d'éclaircissements, monsieur le ministre, sur la manière dont la France défend la démocratie et les droits de l'homme dans le monde. Où en est-on de notre dialogue sur ce sujet avec ces deux grandes puissances ? Comment articule-t-on nos principes avec les enjeux stratégiques, commerciaux et industriels ?
Dans quelques jours, le Président Sarkozy se rendra en visite officielle en Algérie. Malgré les propos scandaleux tenus par un membre du gouvernement algérien, qui n'ont été que mollement désapprouvés par le Président Bouteflika, personnellement j'approuve le maintien de cette rencontre. Car la France est là non pas pour récompenser ou punir, mais pour mener avec ce pays un dialogue exigeant et constructif. Comment la France compte-t-elle exprimer ses préoccupations sur les libertés démocratiques en Algérie ? La question se pose d'ailleurs de la même manière en Tunisie et en Libye.
Nous attendons aussi du Gouvernement qu'il apporte tous les éclaircissements nécessaires à la commission d'enquête parlementaire, présidée à l'Assemblée nationale par notre collègue Pierre Moscovici, sur la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Celle-ci vous a déjà entendu jeudi, elle doit poursuivre ses auditions car quelques coups d'éclat fortement médiatisés ne peuvent tenir lieu de stratégie durable. (M. le ministre est dubitatif.)
Enfin, le projet d'Union méditerranéenne suscite beaucoup d'attentes. Monsieur le ministre, comment ferez-vous en sorte qu'il ne creuse pas un nouvel écart entre la France et ses partenaires européens ?
J'en viens au deuxième sujet d'interrogation forte : le sort de notre réseau culturel à l'étranger et les risques de disparition de la DGCID, la Direction générale de la coopération internationale et du développement.
Monsieur le ministre, j'ai la conviction que, parmi les axes stratégiques du ministère des affaires étrangères, la défense de notre langue, l'action de coopération culturelle et scientifique ainsi que la promotion de diversité culturelle sont une composante essentielle, et certainement pas accessoire. C'est à partir de là qu'il faut évaluer les réformes d'organisation administrative que vous envisagez.
Vous avez déjà indiqué que des décisions seraient prises à ce sujet d'ici au mois de mars prochain. S'il est sans doute nécessaire d'envisager une nouvelle évolution de la DGCID, vers quelle réforme se dirige-t-on exactement, du moins quelle réforme souhaitez-vous ? La dernière date de 1998 avec la réunion du ministère de la coopération et du ministère des affaires étrangères, et la création de la Direction générale de la coopération internationale et du développement.
Le monde change vite. Il est légitime de songer à un nouveau départ dix ans plus tard, pour gérer des actions réclamant avant tout de l'imagination, de la souplesse et de la réactivité. Mais va-t-on pour cela poursuivre la « vente à la découpe » de la DGCID, déjà bien amorcée, au bénéfice d'opérateurs spécialisés ? Il se dit, en effet, que se prépare la mise en place de deux grands opérateurs autonomes, l'un pour la culture, l'autre pour la coopération scientifique universitaire, la DGCID devenant une direction beaucoup plus ramassée, chargée seulement de piloter l'ensemble. Certains évoquent même l'hypothèse de son absorption complète dans une grande direction transversale. Je crois, monsieur le ministre, que ce dispositif éclaté nous conduirait à de graves déboires. Le dispositif doit être réformé, mais sans jeter le bébé avec l'eau du bain.
Si la DGCID doit ne plus être paralysée par les contraintes de gestion d'une administration centrale, elle mérite aussi d'être fortifiée, par exemple en devenant une grande agence de coopération culturelle, scientifique et universitaire, dotée de son propre réseau, car c'est le réseau qui fait notre force à l'étranger. Elle aurait tout naturellement sa place auprès des deux agences déjà existantes, l'Agence française de développement, l'AFD, et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, ainsi que des opérateurs chargés de l'audiovisuel extérieur. Le ministère des affaires étrangères pourrait assurer le pilotage stratégique de l'ensemble grâce à une direction transversale, pour peu que celle-ci soit dotée des moyens financiers et humains nécessaires.
Je reviens un instant au réseau culturel, monsieur le ministre. Le montant de la subvention versée aux centres et aux instituts culturels est en diminution constante ces dernières années. Cette dotation est ainsi passée de 68 millions d'euros en 2002 à 61 millions d'euros en 2007. Plus du tiers des centres et des instituts culturels situés en Europe ont été fermés entre 2000 et 2007, avec parfois un coût très élevé, par exemple à Bilbao : 1 million d'euros. On leur demande d'augmenter toujours plus leur taux d'autofinancement. Dès lors, une question s'impose : l'État souhaite-t-il toujours conduire une action culturelle extérieure volontariste ? Nous attendons vraiment du Gouvernement qu'il prouve par ses décisions dans les mois à venir qu'il prend bien la mesure de l'enjeu que constitue l'action culturelle extérieure en tant qu'instrument irremplaçable de notre influence dans le monde. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Nous avons sur ce plan une autre préoccupation majeure : elle concerne l'avenir de notre audiovisuel extérieur En effet, monsieur le ministre, lors de la conférence des ambassadeurs le 27 août dernier, vous avez annoncé une réforme de ce secteur. Le comité de pilotage constitué à cet effet a remis hier son rapport au Président de la République.
Certes, je sais que, pour la deuxième année consécutive, le programme audiovisuel extérieur figure dans la mission « Médias », dont les crédits ont été discutés jeudi soir en séance avec la ministre de la culture et de la communication. Je souscris totalement aux réserves exprimées à cette occasion par notre collègue Monique Cerisier ben-Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, sur les projets annoncés, notamment les risques d'une fusion autoritaire entre France 24, TV5 et RFI, et le déséquilibre flagrant de traitement budgétaire constaté entre ces trois chaînes au détriment des deux dernières.
Mais cette question engage bien évidemment la politique étrangère de la France et je trouve donc normal de vous interroger à votre tour, monsieur le ministre. Quelle place la France entend-elle accorder à son audiovisuel extérieur dans l'ensemble de sa politique étrangère ? Quel est à vos yeux l'intérêt de la future holding « France Monde » ? Quel rôle lui prévoyez-vous ainsi qu'aux opérateurs qui la composeront ? Comment comptez-vous adapter la tutelle de votre administration à cette nouvelle organisation ?
Sur tous ces sujets, si la réforme de la LOLF encore balbutiante permet parfois une meilleure lisibilité budgétaire, elle ne suffit absolument pas à masquer le manque des crédits ni le flou des grandes orientations stratégiques qui devraient inspirer la politique étrangère de la France. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, mes collègues du groupe socialiste du Sénat et moi-même voterons contre votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.