M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est important de souligner que nous sommes ici face à une entreprise purement parlementaire.
En effet, c'est à la suite de l'excellent travail de la mission d'information créée au sein de la commission des lois que le président de la commission, Jean-Jacques Hyest, a déposé sur le bureau du Sénat cette proposition de loi.
Ce texte reprend un certain nombre des recommandations de la mission dont nos collègues Hugues Portelli et Richard Yung ont été les rapporteurs.
Madame le garde des sceaux, nous avons entendu non pas trente personnes, mais très précisément quarante-huit personnes. Vous pouvez donc mesurer à ces chiffres l'étendue du travail qui a été réalisé par cette mission d'information.
Nous nous étions interrogés, au sein de la commission des lois, pour savoir si nous devions nous intéresser dès à présent à la prescription en matière pénale, car ce sujet est une source régulière de préoccupation. J'en dirai deux mots tout à l'heure.
Je précise que le texte qui nous occupe aujourd'hui se concentre sur les règles de la prescription en matière civile. La réforme de cette prescription est en effet nécessaire à plusieurs titres.
D'une part, la durée actuelle de droit commun de trente ans est considérée comme inadaptée aux sociétés contemporaines, dans lesquelles l'accès à l'information est plus aisé et plus rapide.
D'autre part, la multiplication excessive des délais particuliers, notamment pour la prescription extinctive, a rendu cette matière terriblement complexe et, au bout du compte, totalement inintelligible pour la plupart de nos concitoyens, y compris les juristes !
D'ailleurs, le groupe de travail présidé par M. Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, recensait plus de 250 délais de prescription différents - vous l'avez dit tout à l'heure, madame le garde des sceaux -, dont les durées variaient de un mois à trente ans.
Par ailleurs, les points de départ, les régimes de suspension, les régimes d'interruption sont si différents, multiples, voire pléthoriques, qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui de savoir quelles sont les règles applicables lorsqu'on se trouve confronté à un cas concret pour peu qu'il ne soit pas courant.
Du fait de cette complexité, nous avons créé une situation d'insécurité juridique, qui est source d'un abondant contentieux et qui engendre souvent un sentiment d'arbitraire pour ceux qui sont concernés.
Plusieurs rapports ou projets, qui ont déjà été cités, ont avancé des pistes de réflexion, comme le « projet Catala », mis au point par une commission qui réunissait des universitaires, des magistrats, des avocats, ou le projet du groupe de travail présidé par M. Weber.
Si les solutions proposées ne reçoivent pas toutes un accueil a priori favorable, le constat est néanmoins unanime : la réforme du droit de la prescription est indispensable, car la prescription est un droit fondamental, qui permet d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. Or, aujourd'hui, l'état de notre code civil ne permet pas de garantir l'effectivité de ces droits.
La commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, Laurent Béteille, s'est permis de réécrire, la proposition de loi, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour l'améliorer !
M. François Zocchetto. ...sous la présidence, toutefois, de l'auteur de la proposition de loi, et l'on peut observer que le rapporteur a gardé l'essentiel des réformes qui étaient proposées par Jean-Jacques Hyest.
L'objet de ce texte est principalement d'abréger les délais, de diminuer le nombre des prescriptions, de simplifier le cours de la prescription et de faciliter les aménagements contractuels de la prescription.
Je crois utile de rappeler que, par rapport à la proposition de loi initiale, le rapporteur de la commission des lois a fait une suggestion importante, à savoir de changer profondément les structures du code civil, en distinguant très clairement, dans deux titres différents, les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives. Le débat est un peu technique, mais le texte, tel qu'il est présenté par le rapporteur, a quand même le mérite de simplifier les choses.
D'après certains articles que j'ai pu lire, une partie de la doctrine considérait que la réforme était inutile, lourde, contraire à l'unité des prescriptions acquisitives et extinctives. Je crois, à l'inverse, que la réforme ne peut qu'apporter une clarification utile à tous les différents régimes en vigueur. En effet, si des règles communes régissent les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives, la multiplication des exceptions, en particulier pour les prescriptions extinctives, justifient les propositions qui sont formulées aujourd'hui.
Concernant la réduction des délais, il est proposé, pour les prescriptions extinctives, de passer à un délai de droit commun de cinq ans, au lieu de trente ans actuellement, ce qui n'est pas rien. En matière de prescription acquisitive, il est proposé de maintenir le délai de trente ans, pour protéger nos concitoyens, sauf en matière immobilière où la proposition semble être de retenir une durée abrégée de dix ans.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. S'il y a bonne foi et juste titre !
M. François Zocchetto. Certes !
Cette évolution législative est conforme aux législations des autres pays, qui ont quasiment tous prévu des délais plus courts.
L'importance de la concurrence des systèmes juridiques en Europe induit la nécessité, pour le droit français, de présenter une réelle attractivité par rapport aux autres législations européennes. Cela justifie la réduction substantielle des délais. Mme le garde des sceaux a en effet rappelé qu'en Allemagne le délai de droit commun était passé de trente ans à trois ans ; en Angleterre, il est de six ans et, en Italie, de dix ans.
S'il est difficile, voire utopique, d'aboutir à une unification parfaite, il faut toutefois se féliciter des différents projets et initiatives internationaux ou européens.
À cet égard, j'ai relevé une contribution intéressante de l'Institut national pour l'unification du droit privé, UNIDROIT, qui a établi des principes relatifs aux contrats du commerce international.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Zocchetto. Également en accord avec les règles pratiquées chez nos partenaires européens, la proposition de loi prévoit de rationaliser les prescriptions, en réduisant le nombre de délais dérogatoires, selon qu'ils étaient plus longs ou plus courts.
Ainsi, la commission des lois propose, à juste titre selon moi, de mettre fin au régime particulier dit « présomptives de paiement ».
En revanche, pour certains cas particuliers, seraient conservés des délais plus longs : délai de dix ans pour l'exécution des décisions de justice et pour l'exercice des actions en responsabilité pour les dommages corporels ou ceux qui auraient été causés par un ouvrage ; délai de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant d'actes de torture ou de barbarie ou de violences ou d'agressions sexuelles sur mineurs ; délai de trente ans pour les actions réelles immobilières. Je suis favorable au maintien de ces délais.
Enfin, il est proposé de conserver le délai biennal de prescription de l'action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu'ils leur fournissent.
Je n'évoquerai pas les autres points principaux de la réforme, comme la suppression des règles d'interversion des délais, qui est assez est largement souhaitée. Il est également proposé d'instaurer un délai butoir. Il est à noter que cette proposition n'avait pas forcément reçu l'accord des auteurs des précédents rapports, par exemple celui du groupe dirigé par M. Catala.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au contraire, M. Catala voulait une date butoir !
M. François Zocchetto. C'est exact, excusez-moi ! M. Catala avait, en effet, proposé un délai butoir, mais il avait été critiqué à l'époque par la doctrine.
La Cour de cassation, elle, s'était déclarée clairement hostile à un délai butoir ; elle s'était même permis de dire que c'était peut-être constitutionnellement douteux ! Avec toute la modestie qui nous caractérise, nous dirons qu'il est éventuellement possible de ne pas partager le point de vue de la Cour de cassation, et même de le combattre aujourd'hui. (Sourires.)
En résumé, l'ensemble de ces mesures était attendu, surtout s'agissant des délais. Peut-être ne susciteront-elles pas l'unanimité, mais elles me semblent participer d'une volonté de simplifier et de rendre notre droit nettement plus cohérent.
Il est toujours possible d'aller plus loin, notamment en généralisant encore plus le délai de droit commun à cinq ans pour l'ensemble des prescriptions extinctives, ou en s'interrogeant sur l'opportunité de maintenir des délais préfix, point qu'a d'ailleurs évoqué notre rapporteur tout à l'heure, car ceux-ci peuvent être jugés arbitraires dans certains cas. Mais, aujourd'hui, nous posons une première pierre, importante et solide, de cet édifice qu'est la réforme du droit des prescriptions.
Ce n'est qu'une première étape et, même si ce sujet n'est pas celui dont nous traitons aujourd'hui, en matière pénale, nous devons poursuivre la réflexion, car il est nécessaire d'engager également une réforme de la prescription pénale.
Là encore, la multiplication des dérogations, la diversité des régimes, des points de départ, des cas de suspension ou d'interruption, qui ont été prévus au fur et à mesure des années par le législateur rendent les prescriptions en matière pénale très peu cohérentes et sont sources d'insécurité juridique et d'un contentieux abondant.
Comme le rapport de la mission d'information le rappelle, une analyse de M. Jean Dante, consacrée à la prescription, livre à cet égard, sur la base des arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin entre 1958 et 2004, des indicateurs intéressants.
Le pourcentage des cassations prononcées sur la question de la prescription s'élève à 37 %. C'est énorme ! Mais ce taux de cassation tend à augmenter chaque année puisqu'il représente 46 % des pourvois qui sont fondés sur le moyen de la prescription. C'est donc bien le signe d'une complexité croissante et d'un contentieux abondant du droit de la prescription.
Lorsqu'on examine les choses de plus près, on s'aperçoit que, dans 35 % des cas, le contentieux porte sur le point de départ du délai de prescription et, dans 40 % des cas, sur les causes d'interruption.
Or il n'échappe à personne que, encore plus qu'en matière civile, la prescription est un élément constitutif de notre droit pénal et le corollaire de deux autres principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, à savoir le droit à un procès équitable et le droit pour chacun d'être jugé dans un délai raisonnable.
Je ne m'attarderai pas plus sur la question de la prescription pénale, que je souhaitais néanmoins évoquer rapidement.
Pour conclure, je salue de nouveau le travail de notre commission des lois. À l'heure où l'on parle beaucoup de la réforme des institutions et de la revalorisation des pouvoirs du Parlement, les différents travaux qui ont été menés sur la question de la prescription montrent que le Parlement, en l'occurrence le Sénat, peut jouer un rôle majeur dans le processus législatif.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Excellent exemple !
M. François Zocchetto. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, madame le garde des sceaux, le groupe UC-UDF votera sans hésitation cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, est le produit d'observations déjà anciennes quant à une simplification devenue nécessaire de la prescription extinctive en matière civile.
Notre collègue Richard Yung, que je remplace à cette tribune car il était aujourd'hui empêché d'assister à cette séance, vous l'aurait dit mieux que moi puisqu'il a participé à la mission d'information de la commission des lois qui a travaillé sur cette question.
Il ne s'agit donc en cet instant que d'une simplification devenue nécessaire de la prescription extinctive en matière civile, et de cela seulement. Madame le garde des sceaux, vous avez fait allusion à une prescription en matière pénale à laquelle vous tenez, mais il n'en est pas question dans le texte qui nous occupe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certains avaient cru pouvoir subodorer qu'il s'agissait de remettre en cause les règles de prescription en matière d'abus de biens sociaux. Il n'en a jamais été question !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'empêche que la presse nous a tous interviewés sur ce problème.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'y a que cela qui intéresse les journalistes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous laisse la responsabilité de cette observation. En tout cas, cela les intéressait beaucoup.
Mieux : le droit pénal reste aujourd'hui totalement en dehors de la proposition de loi dont nous discutons et que - je le dis d'emblée - le groupe socialiste votera, sous réserve d'un amendement que nous avons déposé et que j'évoquerai tout à l'heure.
Ce ne serait pas le cas, monsieur Zocchetto, si nous parlions de la prescription pénale.
En ce domaine, les choses ont été rendues de plus en plus compliquées. Le point de départ a été retardé, la durée allongée, et cela soulève des questions de preuves, ainsi que le groupe socialiste n'a cessé de le dire. Là aussi, les délais sont trop longs : on ne peut plus rien prouver ! Vous l'avez souligné à propos de ce projet de loi, mais c'est également vrai en matière pénale, même si, je le répète, ce n'est pas aujourd'hui le domaine qui nous occupe.
Dès 1996, aux Presses Universitaires de Toulouse, le professeur Alain Bénabent stigmatisait - c'est le titre de son ouvrage - Le chaos du droit de la prescription extinctive. En 2004, Mme la professeure Fauvarque-Cosson publiait des Variations sur le processus d'harmonisation du droit à travers l'exemple de la prescription extinctive et, la même année, Mme la professeure Lasserre-Kiesow intitulait sa réflexion au Jurisclasseur : « La prescription, les lois et la faux du temps ».
Il faut encore noter que, conformément aux voeux émis par le Président de la République Jacques Chirac - éminent spécialiste en matière de prescription, mais plus en matière pénale qu'en matière civile ! - (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) lors des célébrations du bicentenaire du code civil, le 11 mars 2004, une commission d'universitaires dirigée par le professeur Pierre Catala a élaboré un avant-projet de réforme du livre III du titre III du code civil intitulé : « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ».
En ce qui concerne la prescription, l'avant-projet de réforme a été officiellement remis le 22 septembre 2005 au garde des sceaux, à l'époque M. Pascal Clément, et a fait l'objet, en Sorbonne, d'un important colloque de présentation, le 25 octobre 2005.
En ce qui concerne encore la prescription, c'est le professeur Malaurie qui a signé l'exposé des motifs de l'avant-projet de réforme concernant le titre XX du livre troisième du code civil.
Sur la base de tous ces éléments, la mission d'information de la commission des lois du Sénat s'est mise au travail, conduite par le président Jean-Jacques Hyest, accompagné de nos collègues Hugues Portelli et de Richard Yung. Cette mission d'information a procédé à de nombreuses auditions entre février et juin 2007. Ses travaux sont à l'origine du dépôt de la proposition de loi de M. Hyest que nous examinons aujourd'hui : vous voyez qu'elle était, si j'ose dire, dans l'air du temps.
Comme vous l'avez entendu, cette proposition de loi prévoit la réduction de la durée et du nombre des délais de la prescription extinctive, la simplification et la clarification des modalités de décompte de cette prescription, enfin l'extension encadrée de ses possibilités d'aménagement contractuel. À ce titre, le texte adopté par la commission permet aux parties à un acte juridique d'allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d'un an, la durée de la prescription, avec possibilité d'ajouter aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription.
C'est ce dernier point qui a suscité nos réserves : nous craignions en effet que la loi ne cesse ici de protéger le faible contre le fort, pour reprendre l'expression de Lamennais. Ce souci avait déjà incité le rapporteur, notre collègue Laurent Béteille, puis la commission, à prohiber toute possibilité d'aménagement contractuel dans le cadre des contrats d'assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel.
C'est pourquoi nous avons aussi déposé un amendement, que la commission des lois a bien voulu adopter ce matin, tendant à rendre inapplicables ces dispositions d'aménagement conventionnel aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages.
Un salarié peut réclamer cinq ans de salaires non payés ; de même, les loyers non payés se prescrivent par cinq ans s'ils ne sont pas réclamés. C'est actuellement le droit et cela doit le rester. En effet, il ne faudrait pas que l'employeur puisse imposer au départ à son salarié un délai de prescription inférieur à cinq ans, ni que le bailleur professionnel ait la possibilité d'imposer à ses locataires un délai supérieur à cinq ans.
Comme je l'ai dit et sous réserve de l'adoption de notre amendement, le groupe socialiste votera la proposition de loi dans la rédaction résultant du rapport de notre collègue Laurent Béteille.
Je voudrais, en conclusion, vous faire part d'un regret : l'article 2279 du code civil disparaît...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne disparaît pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La proposition de loi le transforme en un article 2276 du code civil. Tous les juristes auront du mal à s'y faire ! L'article 2279, dont le texte ne change pas sous son nouveau numéro, était le plus célèbre du droit civil français...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le plus célèbre, c'est l'article 1382 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Après, les articles 1382 et 1384, bien entendu ! Je connais bien l'arrêt Galeries Belfortaises, comme vous devez vous en douter.
J'entends encore le professeur Leballe : « En fait de meubles - corporels -, la possession - de bonne foi - vaut titre - de propriété. » Pourquoi changer le numéro de cet article ? C'est bien dommage ! Ce changement vous donne peut-être le sentiment d'avoir fait une oeuvre révolutionnaire : en ce qui me concerne, il me paraît inutile. Nous voterons néanmoins en faveur de cette proposition de loi.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Merci !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au Sénat a pour objet d'apporter des modifications attendues au droit de la prescription civile.
Nous devons saluer l'excellente initiative du président de notre commission des lois.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Hugues Portelli. Ce texte consacre une partie des propositions de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription établi sous l'autorité du professeur Catala, d'une part, et des recommandations de la mission d'information de notre Haute Assemblée présidée par Jean-Jacques Hyest en personne, d'autre part.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mission dont faisait partie Hugues Portelli !
M. Hugues Portelli. La réforme du droit de la prescription répond à un besoin devenu impérieux et fait l'objet d'un large consensus, à la fois prétorien et doctrinal. Ce besoin se manifeste en matière pénale, civile, fiscale et commerciale.
La présente proposition de loi vise uniquement la prescription civile, dans l'attente d'une éventuelle intervention ultérieure du législateur en matière pénale, ces deux domaines ne relevant absolument pas de la même logique. En matière civile, la finalité de la prescription est libératoire et acquisitive, ce qui induit une réduction des délais, alors qu'en matière pénale, la prescription s'apparente à une forme d'oubli, contre laquelle le législateur lutte de plus en plus en allongeant les délais.
Les règles applicables à la prescription civile font l'objet de nombreuses critiques : cette prescription est malade en raison de sa longueur excessive, elle souffre aussi de la multiplicité de ses délais, elle pâtit enfin de l'imprécision de son régime d'application.
S'agissant de la longueur de la prescription en matière civile, le délai de droit commun est actuellement établi à trente ans, en vertu du fameux article 2262 du code civil. Ce délai distingue la France des autres États membres de l'Union européenne, qui ont eu soin d'adapter leur droit de la prescription à l'évolution des échanges et à l'accélération des transactions commerciales, puisque ce délai a été ramené à trois ans en Allemagne et à six ans au Royaume-Uni. Afin de réaliser cette adaptation nécessaire, la proposition de loi prévoit de réduire le délai de droit commun à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, tout en préservant le délai de trente ans pour les actions réelles immobilières.
Quant à l'usucapion, c'est-à-dire la prescription acquisitive en matière immobilière, qui permet au possesseur de bonne foi d'acquérir la propriété d'un immeuble, la proposition de loi fixe un délai unique de dix ans. Cette simplification très attendue contribuera à rendre notre droit civil et commercial plus compétitif et facilitera une éventuelle harmonisation à l'échelon communautaire.
Ensuite, les délais sont beaucoup trop nombreux, rendant le droit de la prescription incompréhensible pour les justiciables et difficilement maniable pour les praticiens. En effet, notre droit actuel connaît une prolifération des dérogations aux délais de droit commun, de trois mois, six mois, un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, dix ans, vingt ans et trente ans !
Si l'instauration d'un délai de prescription unique n'est pas complètement envisageable, compte tenu de la diversité des situations juridiques, la proposition de loi qui nous est soumise tend à ramener une grande partie des délais au nouveau délai de droit commun de cinq ans, en préservant toutefois les dispositions spécifiques prévoyant des délais plus courts. Là encore, cette généralisation ne peut qu'avoir un effet bénéfique en vue d'améliorer la pratique juridique. Elle contribuera aussi à réduire le nombre des contentieux, notamment devant la Cour de cassation.
Il apparaît également nécessaire de réduire la confusion régnant entre différentes notions proches de la prescription, telles que les délais préfix, de forclusion et de garantie. La proposition de loi s'y emploie, en soumettant ces délais au même régime juridique que celui de la prescription dite ordinaire.
Par ailleurs, s'agissant du régime juridique de la prescription proprement dite, le texte prône la suppression des interversions intempestives de prescription. Il fait également de la citation en justice une cause de suspension du délai de prescription, au même titre que la désignation d'un expert en référé, la médiation et la négociation de bonne foi.
La proposition de loi s'inspire également du dispositif de « délai butoir » institué dans d'autres États voisins, au terme duquel le droit d'agir du créancier est définitivement éteint.
Enfin, la proposition de loi innove en donnant plus de place à la liberté contractuelle, ce qui était souhaité. Elle prévoit notamment, dans son chapitre Ier, la possibilité pour les parties d'aménager les délais de prescription. Bien entendu, cet aménagement reste encadré, dans la mesure où les cocontractants ne peuvent dépasser le délai de dix ans ni descendre en deçà d'un an.
En outre, le délai de prescription des contrats d'adhésion, tels que les contrats d'assurance et ceux qui sont conclus entre les professionnels et les consommateurs, échappe à la volonté des parties par souci de la protection des non-professionnels.
En conclusion, cette proposition de loi apporte enfin des solutions concrètes aux difficultés rencontrées en matière de prescription civile, qui suscitaient de nombreuses critiques. Elle consacre le volet civil de la réforme proposée par notre mission d'information sur le régime des prescriptions, et ne peut que faire l'objet d'un large consensus politique et doctrinal, en attendant qu'un travail législatif de qualité équivalente aborde les autres domaines du droit des obligations dans l'esprit des travaux remarquables conduits sous l'autorité du professeur Catala.
La proposition de loi examinée aujourd'hui, que le groupe UMP soutient bien sûr sans réserves, montre non seulement que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, l'harmonisation des droits nationaux des États européens est nécessaire, mais surtout qu'une action anticipatrice de la France est souhaitable. Le droit français ne doit pas se contenter de rattraper son retard sur le droit des autres États européens. Il doit être capable d'innover et de constituer à son tour la référence fédérant le droit des autres États, comme ce fut le cas il y a deux siècles avec le code civil et comme ce n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'intérêt de la réforme des délais de prescription est évident. L'existence de plus de deux cent cinquante délais créait une situation inextricable et l'unification des règles relatives à la prescription devenait nécessaire.
Plusieurs propositions ont été formulées par la Cour de cassation, en 2001, 2002, 2004 et un projet de réforme a été lancé par le ministère de la justice. C'est dans ce contexte que, le 22 septembre 2005, un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de Pierre Catala, a été présenté au garde des sceaux de l'époque. À l'instar de ce que préconisait la Cour de cassation, il prévoyait de réduire le délai de droit commun de la prescription civile à dix ans.
Cet avant-projet de réforme du droit de la prescription est pourtant resté lettre morte jusqu'en février 2007, date à laquelle notre commission des lois a constitué une mission d'information, ce qu'on ne peut lui reprocher : je défends bien sûr tout particulièrement le travail législatif quand il est possible et conséquent !
La mission d'information a rendu son rapport en juin 2007 et a rédigé des recommandations : sept en matière pénale et dix en matière civile. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'est inspiré de ces recommandations en matière civile, mais également des propositions formulées dans l'avant-projet de réforme de 2005, pour rédiger une proposition de loi. Cette proposition, entièrement réécrite par le rapporteur, a abouti au texte examiné aujourd'hui, qui abaisse à cinq ans le délai de prescription de droit commun.
Cette nouvelle rédaction me pose quelques problèmes. La proposition de loi initiale prévoyait également une modification des règles relatives au cours de la prescription : la négociation de bonne foi entre les parties, y compris le recours à la médiation, et la citation en justice devenaient des causes de suspension de la prescription et non plus d'interruption, s'agissant de la citation en justice. Elle consacrait les solutions jurisprudentielles aux termes desquelles la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de sa créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir.
Enfin, la rédaction initiale de la proposition de loi tendait à autoriser, sous certaines conditions, un aménagement contractuel de la prescription.
La commission des lois a entièrement réécrit le texte, mais en a conservé le fond, à deux exceptions près : elle maintient l'effet interruptif de la demande en justice et laisse inchangées les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques. Elle propose également d'instaurer un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive, ce que ne prévoyait pas initialement la proposition de loi.
Ce qui posait apparemment le plus problème était le délai de trente ans applicable à la prescription extinctive, délai qui serait, selon le rapporteur, « inadapté au nombre et à la rapidité croissants des transactions juridiques ».
Il n'est guère étonnant de constater que ces propos rejoignent plus ou moins ceux qui ont été tenus par certains professeurs de droit ayant activement participé aux travaux d'élaboration de l'avant-projet de 2005. Ils étaient même favorables à un délai de droit commun de la prescription de trois ans. Cette durée a certes été retenue en Allemagne, mais il ne s'agit pas d'une référence absolue puisque d'autres pays ont fixé des délais plus longs.
Je citerai simplement, à cet instant, Philippe Malaurie, professeur émérite, qui préconisait un délai de droit commun de trois ans, afin d'apporter « le stimulant dont a besoin l'activité économique », « la concurrence internationale », ou encore afin de retrouver « notre vitalité, condition de la croissance ».
Étrangement ou non, le Président de la République et vous à sa suite, madame la ministre, avez tenu il y a peu des propos identiques s'agissant de la dépénalisation du droit des affaires : tous deux avez dénoncé le « risque pénal excessif qui entrave l'activité économique ».
Cette convergence de motivations me paraît désagréable. Le droit de la prescription serait-il devenu un enjeu économique ? Il y a tout lieu de le croire, et c'est pourquoi nous sommes vigilants quant au contenu de cette proposition de loi. Ce texte amorce-t-il une réforme de la prescription en matière pénale, nécessaire certes, mais dont l'orientation doit être discutée ? Sert-il à préparer le terrain, afin de faciliter le travail de la commission chargée précisément de réfléchir à la dépénalisation du droit des affaires ?
De manière générale, il me semble que le délai de droit commun de cinq ans prévu par la proposition de loi est trop court. La prescription répond, de l'aveu général, à l'impératif de sécurité juridique. Pour ma part, j'aurais tendance à considérer que faire passer le délai de droit commun de trente ans à cinq ans ne permet pas nécessairement d'assurer cette sécurité juridique.
En effet, la prescription est censée sanctionner la négligence du titulaire d'un droit qui serait resté trop longtemps inactif : or cinq ans, cela peut passer très vite, sans que l'intéressé ait forcément fait preuve de négligence. Ce délai de cinq ans pourrait être ressenti comme injuste par une personne titulaire d'un droit qu'elle n'aurait, de fait, pas eu le temps d'exercer. De ce point de vue, un délai de dix ans me semble plus raisonnable.
Je voudrais d'ailleurs faire remarquer que nous sommes confrontés à une situation paradoxale. En matière civile, l'évolution du droit de la prescription tendrait vers un raccourcissement des délais, alors que, en matière pénale, depuis une vingtaine d'années, les multiples dérogations apportées par le législateur aux règles régissant la prescription concourent à l'allongement des délais de celle-ci.
C'est pourquoi nous sommes également sceptiques quand nous constatons que la proposition de loi, dont l'auteur est suivi sur ce point par la commission, prévoit d'abaisser de dix ans à cinq ans le délai de droit commun applicable en matière commerciale. Même fixé à dix ans, comme c'est le cas depuis le vote de la loi du 18 août 1948, ce délai apparaît encore trop long à la majorité des acteurs économiques. Étant donné les propos que j'ai relatés à ce sujet, une telle position n'est guère étonnante. En ce qui nous concerne, nous proposerons néanmoins de maintenir à dix ans le délai de droit commun de la prescription.
Nous proposerons de fixer également à dix ans le délai au-delà duquel les sommes issues des contrats d'assurance vie non réclamés sont affectées au Fonds de réserve des retraites. Nous avions déjà déposé un amendement à cette fin lors du débat sur la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Il nous avait alors été répondu que cet amendement aurait toute sa place dans l'examen de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui : nous l'avons donc à nouveau déposé sur ce texte.
Enfin, nous voulions proposer d'allonger le délai de prescription s'agissant des personnes victimes de maladies professionnelles, mais notre amendement a malheureusement subi le couperet de l'article 40 de la Constitution. Cela est bien dommage, parce que cette question est tout à fait importante. On voit très bien, en la matière, que la situation des plus faibles de nos concitoyens n'est pas le point central du débat...
En conclusion, votre proposition de loi, monsieur Hyest, appelle donc de notre part des réserves. J'attends de savoir quel sort sera réservé à nos amendements : s'ils devaient ne pas être retenus, nous nous abstiendrions.