M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans l'ambiance d'un lundi matin au Sénat, nous allons débattre ou tout au moins accomplir la formalité qui permettra à l'Assemblée nationale de traiter de ces deux textes.
Permettez-moi un court instant, sans abuser de votre patience, de revenir sur les conditions dans lesquelles nous débattons.
Monsieur le secrétaire d'État, vous êtes venu devant la commission des lois mardi dernier. Vous avez souhaité recevoir les formations politiques et nous vous avions également rencontré à votre ministère, je vous en donne acte.
M. Christian Cointat, dont tout le monde connaît l'agilité d'esprit et le talent, a pu, dans la foulée même de votre audition mardi dernier, présenter son rapport et ses amendements. Nous avons eu jusqu'à vendredi matin pour déposer nos amendements et la commission s'est réunie ce matin, à 8 heures 30, pour examiner les amendements extérieurs. Nous voici maintenant en séance et nous avons une heure pour délibérer ; notre propos sera donc forcément cursif.
Que ne nous avez-vous présenté, monsieur le secrétaire d'État, un texte sur les chiens dangereux ou les manèges en Polynésie, vous auriez eu deux heures ! Notre assemblée a en effet consacré un temps assez long à ces deux textes. En revanche, il ne lui est donné qu'une heure pour traiter des institutions de la Polynésie : à chacun sa hiérarchie des valeurs !
Comme si cela ne suffisait pas, vous avez déclaré l'urgence sur ces deux textes. Nous pensions qu'une navette entre les deux assemblées permettrait de bénéficier des travaux des députés et d'aboutir à un texte qui soit plus réfléchi, mais vous nous avez annoncé, jeudi soir, que l'urgence était déclarée. Dont acte !
Il nous faut donc « travailler » dans ces conditions-là. L'assemblée de la Polynésie française a examiné l'avant-projet du texte, puisqu'elle n'a pas été saisie du projet dans sa version définitive, celle qui a été soumise au Conseil d'État. Des améliorations auraient pu être apportées.
Les textes que vous nous présentez sont intitulés « renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française ». J'ai vraiment le sentiment qu'entre le titre et le contenu de ces projets il y a plus qu'un décalage, pour ne pas dire que votre titre est, sur certains points, un « anti-titre ».
Les dispositions qui recueillent le plus fort consensus entre nous - et je me réjouis que ce consensus puisse exister - concernent la transparence de la vie politique.
J'ai entendu notre collègue Christian Cointat dresser un réquisitoire en six points - le procès-verbal de nos travaux en fera foi - à propos de l'opacité. Tout le monde a lu - certains sans doute avec plus d'attention que d'autres - les différents rapports : le rapport de la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française, le rapport sur l'assemblée de la Polynésie française, le rapport sur la délégation de la Polynésie française à Paris et, enfin, en 2006, l'insertion, dans le rapport annuel de la Cour des comptes, sur la gestion des fonds publics par la Polynésie française. Cette lecture est pour le moins intéressante, je dirai même que, dans un certain nombre de cas, elle est édifiante.
Mais je n'ai pas entendu préciser, ni par le secrétaire d'État ni par le rapporteur, la période couverte par ces rapports. Or ils portent sur un examen des finances de la Polynésie jusqu'à 2004.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils concernent la période antérieure à 2004 !
M. Bernard Frimat. Le rapport de la chambre territoriale des comptes a été publié en 2006, on en est bien d'accord, mais la période qui est observée est antérieure à la mise en place de l'actuelle assemblée de Polynésie. Faire l'amalgame sans apporter cette simple précision historique, qui n'est pas polémique, c'est faire porter, sans le dire, la responsabilité de l'état financier à l'actuelle assemblée de la Polynésie française, ce qui me semble injuste.
Dans le rapport de la Cour des comptes, on peut lire, au contraire, qu'en 2006 un certain nombre de mesures ont été mises en place.
Monsieur le rapporteur, à propos des griefs formulés par la Cour des comptes dans son rapport, vous évoquez l'organisation favorisant l'opacité de la gestion, la concentration du pouvoir de décision et la faiblesse des organes délibérants, l'opacité des procédures, la faiblesse des outils de prévision, etc. Ce réquisitoire nous semble tout à fait fondé, mais il faut, me semble-t-il, rendre à César ce qui est à César et savoir sur qui, sur quels élus notamment, portent ces critiques et sur quelle période. Nous n'avons pas épuisé les conséquences de ces rapports. Nous en apprécierons la portée en laissant l'appareil judiciaire statuer, que ce soit dans les domaines comptable, administratif ou autres, mais je pense qu'il y a nécessité d'apporter des précisions.
Monsieur le rapporteur, vous écrivez, dans une note au bas de la page 25 de votre rapport, à propos de la situation des communes : « À ce sujet, la Cour des comptes déplore à cet égard ? l'absence des dossiers techniques et de critères d'attribution ?, qui rend obscurs les choix effectués pour l'octroi des subventions aux communes. »
Si l'on se reporte au texte de la Cour des comptes, on peut lire : « Par ailleurs, en l'absence de dossiers techniques et des critères d'attribution, les motifs des choix opérés par le président pour l'octroi des subventions d'investissement aux communes restent obscurs. » Il faut donc bien situer les responsabilités.
Monsieur le secrétaire d'État, nous pouvons trouver des points d'accord sur la transparence, le contrôle budgétaire, le contrôle financier.
Quand le statut de 2004 a été voté dans cette assemblée dans les conditions que nous savons et à la demande de qui nous savons, j'aurais aimé que cette même majorité qui, aujourd'hui, vient nous expliquer la nécessité des contrôles fasse preuve, à l'époque, d'une telle vigilance. Mais pourquoi nous plaindre si, aujourd'hui, la raison vous vient ?
Un autre aspect du rapport de M. Cointat a trait au renforcement de la stabilité des institutions.
Je reconnais - mais qui ne le ferait pas ? - que la situation politique polynésienne est complexe, mouvante, changeante. Mais, là encore, il faut faire preuve de rigueur et ne pas englober cinq présidents, six motions de censure dans une même logique, un même mouvement, qui, en apparence, ne dépendrait de personne.
En 2004, un statut a été voté par le Parlement. Ce statut a eu un inspirateur, ou alors ma mémoire est défaillante. Il a même été affiné, dans cet hémicycle, pour le système électoral ; il suffisait de parler pour obtenir.
La dissolution de l'assemblée polynésienne est intervenue, à la demande du gouvernement polynésien de l'époque. Les élections ont eu lieu, mais elles n'ont pas donné - que le peuple est capricieux ! - le résultat attendu. On ne peut jamais prévoir ce qui sort des urnes, et l'on doit s'en réjouir. M. Temaru, grâce à la victoire de son parti, avec deux alliés autonomistes, M. Schyle et Mme Bouteau, personnages que nous allons ensuite retrouver, a été élu président de la Polynésie française.
Le résultat était très serré, je le reconnais : vingt-neuf voix contre vingt-huit, on ne peut pas avoir de majorité plus courte. Tout le travail - puis-je utiliser ce terme, monsieur le secrétaire d'État ? - du gouvernement français de l'époque a été de déstabiliser le gouvernement polynésien, à tel point que, comme M. Flosse le disait ce matin en commission, devant ce résultat, Mme Girardin, ministre de l'outre-mer, s'est même demandé si l'on ne devait pas donner la présidence à un industriel pour éviter que cette catastrophe électorale non annoncée ne provoque trop de dégâts.
Il y a donc eu blocage de la part du gouvernement de l'époque. Vous n'en étiez pas membre, monsieur le secrétaire d'État, je vous en donne acte, mais la majorité était la même et le monde politique français n'est pas né au soir du 6 mai 2007. Il faut assurer la continuité quand c'est une continuité politique.
M. Bernard Frimat. D'autres peuvent l'assurer puisqu'ils ont voté les textes.
Le peuple polynésien a été appelé à trancher un an plus tard et c'est parce qu'il a confirmé ses choix que s'est produit cet aller-retour après le débauchage d'un élu. Les trois premiers présidents constituaient donc un épiphénomène et, logiquement, si ces manoeuvres n'avaient pas eu lieu, il aurait dû n'y en avoir qu'un.
M. Bernard Frimat. Monsieur le secrétaire d'État, ne m'interrompez pas. Je dispose de peu de temps et je sais que la mansuétude du président a ses limites.
M. le président. Même si elle est grande, elle a effectivement ses limites ! (Sourires.)
M. Bernard Frimat. Je retiendrai surtout qu'elle est grande, monsieur le président.
Ce que vous proposez aujourd'hui - j'y viendrai en détail lors de la discussion des amendements, parce que le temps m'est compté -, c'est une dissolution qui ne veut pas dire son nom, une dissolution de convenance.
Le statut actuel vous donne les moyens de dissoudre. Si le gouvernement de Polynésie demande au Gouvernement français la dissolution, elle peut intervenir. Il ne le fait pas. Aujourd'hui, les décisions se prennent, les institutions ne sont plus bloquées, alors qu'elles l'étaient au début de l'année 2005 ou à la fin de l'année 2004, quand Mme Girardin, qui occupait votre place, refusait la dissolution, réclamée par tout le monde, y compris par Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, pour permettre au peuple de trancher.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement prenne ses responsabilités ! Si la composition de l'assemblée de la Polynésie française ne lui convient pas, s'il a de nouveaux amis - même si les anciens n'ont pas complètement disparu -, s'il a un nouveau poulain pour lequel il essaie de choisir un mode de scrutin - bien qu'on l'ait déjà modifié entre-temps, dont une fois pour rien : je parle des dispositions qui se sont glissées dans la loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer sans que notre assemblée ait eu à en débattre, mes chers collègues - que les choses soient claires : assumez ! Je peux vous comprendre, monsieur le ministre, mais assumez vos choix !
Dites que la situation politique ne vous convient pas, que vous l'estimez bloquée et que le Gouvernement de la République française décide de dissoudre l'assemblée de la Polynésie française et de la renvoyer devant les électeurs. Mais ne venez pas nous demander de prononcer en quelque sorte une « dissolution parlementaire », alors qu'elle n'est prévue ni par le statut existant, ni - pire encore ! - par le nouveau statut que vous présentez ! Les articles 6 et 20 du projet de loi organique se contredisent !
Je conclus, monsieur le président. La pratique républicaine consiste à ne pas changer le mode de scrutin dans l'année qui précède une élection. Quel curieux sort faisons-nous à la Polynésie française ? En février 2004, on a changé le mode de scrutin alors que le vote était prévu pour le mois de mai. On l'a modifié, ensuite, une nouvelle fois pour ne pas l'appliquer. Aujourd'hui, on le change avant une « dissolution parlementaire ». Tout cela n'est pas très satisfaisant, c'est le moins que l'on puisse dire !
Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous demande pas de renoncer à vos convictions ; ce ne sont pas les miennes, mais je les respecte. Malgré tout, il aurait été plus clair que vous assumiez la volonté gouvernementale de dissoudre l'assemblée de Polynésie française au lieu de demander au Parlement de le faire à votre place ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour la seconde fois au cours de la même année, le statut de la Polynésie française va être modifié, l'objectif étant de parvenir à stabiliser les institutions de cette collectivité d'outre-mer dotée de l'autonomie.
S'il nous faut adopter de nouvelles règles, c'est bien parce que celles qui ont été votées au mois de février dernier ne permettaient pas d'atteindre cette stabilité. Il faut croire que le mode de scrutin prévu dans la loi de 2004 n'était pas si facile à remplacer, malgré toutes les critiques de ses détracteurs, puisque nous n'avons pas encore trouvé une solution meilleure.
En effet, le mode de scrutin adopté en février permet à une multitude de petites formations de détenir quelques sièges au sein de l'assemblée de la Polynésie française, empêchant ainsi la constitution d'une majorité solide. De plus, ces élus minoritaires n'ont cessé de trahir leurs électeurs et leur parti, acceptant sans scrupule de s'allier avec n'importe quelle formation, y compris indépendantiste, pourvu qu'ils puissent défendre leur intérêt particulier.
Dans ces conditions, je suis favorable à cette nouvelle modification du mode de scrutin, dès lors qu'elle vise à favoriser l'émergence d'une majorité forte et, par voie de conséquence, à stabiliser le gouvernement.
Pour qu'il en soit ainsi, vous avez vu juste, monsieur le rapporteur, en retenant le seuil de 5 % des suffrages exprimés, pour que les listes puissent participer à la répartition des sièges. On ne parviendra à stabiliser le pouvoir en Polynésie que si, au second tour, dans l'hypothèse où aucune liste n'obtient la majorité absolue au premier tour, on autorise les seules formations qui ont obtenu 12,5 % des suffrages exprimés à se maintenir, comme le prévoit votre amendement, monsieur le rapporteur. Ce seuil est un minimum : j'aurais préféré qu'il soit fixé à 12,5% des inscrits, comme aux législatives, mais votre amendement représente un net progrès par rapport au texte initial du projet de loi organique.
Vous voulez que ces règles nouvelles soient rapidement mises en oeuvre, monsieur le secrétaire d'État. Vous avez donc décidé d'abréger le mandat des représentants et d'organiser de nouvelles élections dès 2008 pour mettre fin à l'instabilité chronique que connaît notre collectivité depuis 2004, après vingt-trois ans de stabilité, de progrès et de partenariat constructif avec la France obtenus grâce au Tahoeraa huiraatira. Il faut, en effet, qu'une nouvelle majorité cohérente et stable puisse enfin s'atteler à la tâche et redonner confiance aux milieux économiques et à tous nos concitoyens. Mais, hélas ! ce voeu ne sera pas réalisé si l'on procède dans la précipitation, comme vous nous y invitez.
Les élections seront, en effet, organisées au cours du mois de janvier, ce qui veut dire que la campagne électorale va se dérouler au moment des fêtes de fin d'année, Noël et le jour de l'an. Par ailleurs, l'élection du président de la Polynésie française, qui suit celle des représentants à l'assemblée, se déroulera probablement aux alentours du 6 mars 2008, soit trois jours avant le premier tour des élections municipales. Cela n'est pas raisonnable. Il eût été préférable de laisser se dérouler les élections municipales et d'organiser ensuite les élections à l'assemblée, en avril ou en mai, afin de permettre l'émergence de nouvelles forces, bien ancrées dans la société polynésienne et légitimées par leur implantation municipale.
Pour renforcer la stabilité institutionnelle, il serait également souhaitable d'adopter un dispositif qui sanctionne les « aller-retour » de certains élus entre les différentes formations politiques. (Mme Voynet s'exclame.) La situation d'instabilité chronique dans laquelle est plongée la Polynésie française depuis plusieurs années a été aggravée par le jeu de ces élus peu scrupuleux. Ils ont été candidats sur une liste mais, dès leur élection, ils ont quitté le parti politique qui les a fait élire pour aller s'allier à un autre groupe. Puis, en fonction des changements de majorité, ils quittent leurs nouveaux « amis » pour revenir dans leur formation d'origine. Un élu d'un archipel éloigné a ainsi « basculé » quatre fois !
Hélas ! ce comportement scandaleux a été contagieux...
M. Gaston Flosse. Au total, douze représentants sur cinquante-sept ont trahi leur formation politique et donc leurs électeurs. (Mme Voynet s'esclaffe.) C'est pourquoi il faut mettre un terme à de tels comportements et, par un mécanisme approprié, rendre la parole aux électeurs en leur permettant de sanctionner les élus qui se comportent ainsi.
Outre le relèvement des seuils, notre rapporteur a présenté quelques amendements judicieux, par exemple sur la procédure d'élection du président de la Polynésie française. Celui-ci ne pourra plus être élu par une minorité des suffrages exprimés comme dans la version initiale du projet de loi organique.
En revanche, je ne peux souscrire à la plupart des amendements qui nous sont présentés, non seulement parce qu'ils sont étrangers aux objectifs que se fixe cette loi modifiant le statut de la Polynésie française, mais aussi parce qu'ils mettent à mal l'autonomie de notre collectivité.
Je pense, notamment, au paragraphe ajouté à l'article 166 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Dans la loi de 2004, cet article 166 était ainsi rédigé : « Le haut-commissaire veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française et à la légalité de leurs actes ».
N'était-ce pas suffisant pour garantir la parfaite régularité des actes de nos élus ? Pourquoi ajouter un paragraphe qui autorise le haut-commissaire à assumer directement le pouvoir exécutif dans tous les domaines qui relèvent de nos compétences, chaque fois qu'il estimera que nous avons négligé de prendre les décisions qui, d'après lui, nous incombent ? C'est un pouvoir discrétionnaire qui annule, de fait, toute l'autonomie que nous a accordée le législateur. Il n'existe plus un seul domaine où les élus polynésiens peuvent prendre une décision, ou même s'abstenir d'en prendre, sans s'assurer au préalable de l'accord du haut-commissaire. Nous sommes, à nouveau, tombés sous la tutelle des gouverneurs !
Enfin, je tiens à souligner que l'article 18 du projet de loi organique, s'il est adopté, reprend des compétences accordées à la Polynésie française depuis 1984 en matière de réglementation budgétaire et comptable. Or, il faut savoir que cette répartition des compétences avait fait l'objet, à la fin de 1983, d'un arbitrage du Président de la République qui avait demandé le retrait de cette matière de la liste des compétences attribuées à l'État.
Après le vote de la loi statutaire de 1984, la direction de la comptabilité publique a tenté une remise en cause de cet arbitrage en proposant un projet de décret relatif à la réglementation budgétaire et comptable, projet que le Conseil d'État a rejeté dans sa totalité estimant qu'il méconnaissait la répartition des compétences fixée dans la loi statutaire.
S'appuyant sur cet avis du Conseil d'État, les autorités polynésiennes ont adopté une réglementation territoriale dans le domaine budgétaire, comptable et financier. Tel était l'objet de la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 29 janvier 1991, complétée et refondue par la délibération du 23 novembre 1995. Aucun de ces textes n'a été déféré par le haut-commissaire à la censure des juridictions administratives pour incompétence de l'auteur de l'acte. La réforme statutaire réalisée par la loi organique du 27 février 2004 n'a pas non plus remis en cause l'arbitrage présidentiel de 1983 et aucun élément en ce sens n'apparaît dans les travaux préparatoires de cette loi.
Aussi, on ne peut que s'interroger sur ce retour en force de l'État. Il est normal que celui-ci demeure compétent en matière de contrôle budgétaire, mais c'est à la Polynésie qu'il appartient de fixer ses propres règles en matière budgétaire. Dès lors, il n'y a pas lieu d'introduire dans l'ordre juridique de la Polynésie française les articles L.O. 273-4-1 à L.O. 273-4-12 du code des juridictions financières, qui reproduisent purement et simplement des dispositions applicables aux collectivités métropolitaines. C'est encore de la départementalisation ! Une fois de plus, on fait peu de cas de l'autonomie budgétaire et comptable accordée à la Polynésie française par le statut de 1984, après arbitrage du Président de la République.
De nombreuses raisons me conduisent à m'opposer fermement à cet article 18. Seuls les articles L.O. 272-12 et L.O. 273-4-11 du code des juridictions financières peuvent figurer dans la loi statutaire. Dans le cas contraire, les Polynésiens constateront que la loi tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française vise un troisième objectif, inavoué mais bien réel, qui consiste à nous reprendre des compétences.
Plus j'analyse toutes ces modifications, et plus je suis convaincu que l'on veut nous appliquer la départementalisation. On nous jure que non, mais j'ai des doutes...
Ce projet de loi comporte plusieurs améliorations appréciables de notre statut, et j'en remercie M. le secrétaire d'État, ainsi que M. le rapporteur. Je pense, notamment, à tous les articles visant à renforcer la transparence dans le fonctionnement de nos institutions. Nous les approuvons sans réserve.
Je regrette cependant que ces mesures positives soient gâchées par l'ajout de dispositions contraires à l'esprit de l'autonomie que les élus polynésiens, en concertation avec tous les gouvernements successifs de la République, ont construite depuis trente ans.
Je comprends que l'instabilité gouvernementale constatée depuis 2004 inspire des doutes sur la capacité des Polynésiens à exercer toutes les compétences que le législateur leur avait attribuées. Toutefois, j'aurais voulu que vous répondiez à ces doutes par la confiance dans nos capacités de progresser, et non par la défiance systématique, qui a inspiré de trop nombreux articles de ce projet de loi. J'ai l'impression que la France a trop vite oublié que, pendant trente-cinq ans, la Polynésie française a contribué à l'édification de la force de dissuasion nucléaire qui lui permet aujourd'hui de faire partie des grandes nations de ce monde !
Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que vous portez un grand intérêt à notre pays, et nous vous en sommes reconnaissants. En six mois, vous êtes déjà venu trois fois. Vous avez parcouru des milliers de kilomètres en quelques jours pour rendre visite, dans tous nos archipels, aux populations les plus éloignées. Elles y ont été sensibles. Je sais aussi que vous avez l'intention de revenir avant la fin de l'année, et je m'en réjouis.
J'espère que vous serez là pour présider la cérémonie d'ouverture d'un événement culturel majeur : le festival des arts des Marquises. Vous constaterez alors que la demande des élus marquisiens auprès de l'UNESCO, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, est parfaitement justifiée : les Marquises méritent pleinement d'être inscrites au patrimoine mondial de l'humanité, et j'espère que vous appuierez les démarches entreprises dans cet objectif. En attendant votre prochaine visite, je veux croire que l'intérêt que vous accordez à la Polynésie française pourra se manifester aujourd'hui, devant notre assemblée, par le soutien que vous apporterez aux amendements que nous avons déposés.
Mes chers collègues, il est encore temps ; nous pouvons encore amender ce texte dans le sens de la confiance à l'égard de la Polynésie française et de ses élus. C'est le meilleur choix pour le présent, et plus encore pour l'avenir. C'est le meilleur choix pour la Polynésie française, pour son maintien dans la République et pour le rayonnement de la France, et à travers elle de l'Europe, dans le Pacifique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une nouvelle fois, ce lundi matin, nous légiférons en urgence et dans la précipitation sur l'évolution institutionnelle de la Polynésie française. Il s'agit probablement de textes de circonstance ; cette façon de procéder est pour le moins détestable. De telles conditions de débat conduisent à s'interroger sur le respect de cette collectivité d'outre-mer par le Gouvernement.
À vous entendre, monsieur le secrétaire d'État, on croit rêver ! Vous nous dites vouloir redonner la parole aux Polynésiens dans le respect de leur autonomie, combattre la corruption, l'absence de transparence...
En réalité, vous organisez les institutions polynésiennes à la mode de la Ve République, avec paternalisme, il va sans dire, mais surtout en faisant mine d'ignorer le rôle de Paris dans l'instabilité politique de la Polynésie française.
Je dois d'ailleurs dire que l'on peut constater, depuis la nouvelle élection de M. Temaru à la tête de l'assemblée de la Polynésie française, qu'une stabilité plus grande s'est instaurée, qui se trouve aujourd'hui renforcée par un accord entre les principales forces politiques locales.
Pourquoi, dans ces conditions, ce coup de force parisien ? Pourquoi afficher aussi visiblement une tutelle métropolitaine, alors que la révision constitutionnelle de 2003 annonçait, peut-être brièvement, une autonomisation croissante de ces territoires ?
Il est manifeste que, une nouvelle fois, le Gouvernement n'a pu se retenir de faire acte d'ingérence, adoptant une attitude aux relents colonialistes. C'est bien Paris qui impose à la Polynésie française les conditions de son évolution politique. Ce simple fait contredit l'autonomie qui est supposée être garantie à ce territoire, comme M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur ont éprouvé le besoin de le marteler dans leurs interventions respectives. On insiste sur l'autonomie et, en même temps, on impose la tutelle...
Monsieur le secrétaire d'État, respecter l'autonomie, c'eût été prendre acte du rejet global de votre projet par l'assemblée de la Polynésie française - ce rejet, vous l'avez entendu, mais vous n'en avez cure -, écouter les arguments présentés et s'engager dans une autre voie.
Je rappelle que le président Temaru, qui venait d'être élu, a dénoncé l'ingérence de l'État français et la « mise en quarantaine » de l'autonomie depuis l'annonce du résultat des élections. Le statut était, en fait, conçu pour faire élire qui plaisait à Paris : évidemment, comme cela n'a pas été le cas, il devient tout d'un coup pesant !
Aujourd'hui, l'avis de l'assemblée de la Polynésie française est consultatif. C'est bien là où le bât blesse, et d'ailleurs, en passant outre cet avis, vous apportez la preuve, monsieur le secrétaire d'État, que l'assemblée de la Polynésie française ne saurait garantir l'autonomie de la collectivité.
Décidément, la présence de M. Temaru à la tête de la Polynésie française n'a pas encore été bien « digérée » par la droite métropolitaine. Pourtant, ne vous en déplaise, tout ce que vous critiquez avec une bienséante véhémence résulte de la mainmise de Paris, y compris, précisément, sur les élus de Polynésie française avant 2004.
Par conséquent, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, qui défendent depuis longtemps l'idée d'un renforcement de l'autonomie des collectivités d'outre-mer, sont absolument opposés à ce que vous proposez aujourd'hui.
Par ailleurs, je précise que nous rejetons le relèvement à 5 %, préconisé par la commission des lois, du seuil minimal devant être atteint pour qu'une liste accède à la répartition des sièges. C'est là, pour nous, une position de principe.
Pour conclure, je poserai la question suivante : essayez-vous encore aujourd'hui d'instaurer un statut, un mode d'élection afin de faire élire qui vous souhaitez ?
Pour toutes ces raisons de principe et de circonstance, nous voterons contre les deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est aujourd'hui demandé à la représentation nationale de s'acquitter des basses besognes, de dissoudre purement et simplement l'assemblée de la Polynésie française et d'abréger, depuis Paris, le mandat confié par les électeurs polynésiens à leurs représentants. La date des nouvelles élections est déjà fixée : ce sera en janvier ! Les Polynésiens vivront la campagne électorale pendant les fêtes de fin d'année et seront priés d'assimiler en quelques semaines les nouvelles règles électorales !
La loi prévoit pourtant que le conseil des ministres peut prononcer la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française. Encore faut-il que le gouvernement de la Polynésie française, ou l'assemblée elle-même, lui demande de le faire. De fait, ils n'ont rien demandé du tout.
La volonté de renforcer le rôle du Parlement a été claironnée à maintes reprises, avant et après l'élection de l'actuel Président de la République, le tout en usant et en abusant de grandes formules et de généreuses promesses de modernisation de notre régime politique.
Mais il faut en prendre acte : le Parlement n'est pas davantage respecté que les élus de Polynésie ne le sont. Il nous est, en effet, demandé, monsieur le président, mes chers collègues, de traiter de l'avenir de la Polynésie française en moins de temps que nous n'en avons consacré à un énième texte sur les chiens dangereux ou à la réglementation relative aux manèges forains. J'avais cru comprendre, à la lecture des journaux, que, désormais, la vie politique de l'archipel intéressait pourtant au plus haut point quelques-uns des élus de la majorité, qui ont semble-t-il trouvé dans le Pacifique une solution à leurs problèmes de trésorerie...
J'ai évidemment tort de faire de l'humour sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État, car le texte qui nous occupe aujourd'hui est tout sauf anodin, au regard de la situation politique en Polynésie, au regard de l'histoire de la République. Jamais, jusqu'à présent, il n'avait été envisagé d'abréger d'autorité, sans justification aucune, un mandat accordé à une assemblée par le suffrage universel. Les intéressés l'ont-ils demandé ? Non. L'ordre public est-il menacé ? Non plus. Un mouvement populaire réclame-t-il, par des pétitions, des grèves, des manifestations, de nouvelles élections ? Pas davantage. D'autres motifs, si graves qu'on nous les aurait cachés jusque-là, justifient-ils une décision aussi exceptionnelle ? Dites-nous tout, si c'est le cas.
La dissolution de l'assemblée de la Polynésie française est d'autant plus choquante qu'elle n'est pas, je l'ai dit, demandée aujourd'hui par les élus de Polynésie. Il est arrivé qu'ils la réclament ; ce fut le cas à plusieurs reprises, au cours des trois dernières années, sans que le gouvernement en place daigne accéder à leur demande. C'est quand la situation politique de l'archipel se stabilise, c'est quand le dialogue est renoué - grâce à la volonté d'apaisement des leaders polynésiens et sans que le Gouvernement, qui a, pardonnez-moi l'expression, beaucoup « pataugé » dans cette affaire, puisse s'en attribuer le mérite - que l'on décide, à Paris, de donner satisfaction à un « notabliau » marri d'avoir été dépossédé de son éphémère pouvoir !
À une écrasante majorité de quarante-quatre voix sur cinquante-sept, les élus polynésiens rejettent votre réforme. « À aucun moment, les élus polynésiens n'ont été associés à la préparation du texte », regrette Edouard Fritch, président de l'assemblée de la Polynésie française, qui pointe par ailleurs les « inacceptables retours en arrière » au regard de l'autonomie de la Polynésie française. Le communiqué du conseil des ministres revendique pourtant « une très large consultation des forces politiques concernées par la situation de la Polynésie française, aux plans local et national ». Pour faire court, monsieur le secrétaire d'État, je dirai que ces efforts nous ont totalement échappé !
Auriez-vous oublié l'engagement que vous aviez pris au nom du Gouvernement, en août 2007, de ne pas dissoudre l'assemblée territoriale, parce que - je vous cite - vous vouliez « respecter le libre choix des hommes politiques de Polynésie » ? Faut-il vous rappeler que c'est, aussi et d'abord, le libre choix des citoyennes et citoyens de Polynésie qu'il s'agit de respecter ?
Ce libre choix, vous vous apprêtez à le sacrifier pour des motifs incompréhensibles, sauf à admettre que la détestation d'un homme, Oscar Temaru, et le rejet viscéral de la perspective politique qu'il incarne pourraient suffire à justifier ce caprice.
Venons-en maintenant au contenu du texte.
Il s'agirait donc de renforcer la « stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie ». J'ai cherché, en vain, en quoi le mode de scrutin proposé permettrait d'atteindre plus facilement cet honorable objectif que le mode de scrutin existant, déjà taillé sur mesure à la demande et au service d'un homme qui siège parmi nous aujourd'hui, comme en décembre 2003 !
Que nous est-il proposé ? Un mode de scrutin qui va encourager l'émiettement au premier tour, puis les alliances de circonstance au deuxième, et l'aventure au troisième puisqu'un lapin peut être alors sorti du chapeau ! Je veux ici - ceux qui nous connaissent l'un et l'autre savent que nous nous sommes affrontés plus d'une fois et ne peuvent nous suspecter d'aucune connivence - citer Gaston Flosse. Que dit sur ce point l'ancien président de la Polynésie française ? Que le mode de scrutin ne permettra pas de « dégager une majorité cohérente et stable. [...] Nous aurons une assemblée émiettée soumise au caprice de quelques girouettes. » L'homme sait de quoi il parle, sa remarque n'en a que plus de saveur...
Comment le mode de scrutin que vous proposez, strictement proportionnel et sans même une prime majoritaire minimale, pourrait-il conforter en quoi que ce soit - et c'est une militante du scrutin proportionnel qui vous le dit ! - la cohérence des exécutifs, la stabilité des institutions et, au final, l'efficacité de l'action politique en Polynésie ? Monsieur le secrétaire d'État, vous vous moquez !
Comment nier que les épisodes d'instabilité majeure que l'archipel a connus sont d'abord à rapporter à la fin d'une époque de la vie politique polynésienne, époque où la stabilité se payait au prix de la gestion autoritaire et autocratique d'un homme fort, aussi féodal sur son territoire que lié, par ses intérêts, aux puissants de la métropole ?
Les Polynésiens ont très clairement voulu tourner cette page, ce qui ne s'est pas fait sans difficulté.
Dès lors, la première tâche d'un gouvernement soucieux de renforcer la vie démocratique n'est pas de jouer avec le feu, d'accentuer les clivages, ou de déstabiliser le président élu - même s'il ne vous convient pas - comme cela fut fait de façon systématique en 2004, c'est de soutenir cette transition dans le respect des institutions.
Par exemple, s'agissant de la transparence de la vie politique en Polynésie, vous prenez prétexte, monsieur le secrétaire d'État, d'un rapport très sévère de la Cour des comptes sur la gestion du territoire. Il ne vous aura pas échappé que ce rapport porte sur la période d'avant 2004, et qu'il pointe les dérives d'un système qui n'a plus cours, auquel les élections de 2004 ont justement mis fin !
Ce système fut très longtemps soutenu par les membres de l'actuelle majorité, contre l'évidence de sa faillite et contre l'idée qu'on peut se faire, dans une démocratie, de la morale publique.
On peut discuter ad libitum de l'avenir de la Polynésie. Pour ma part, je considère que c'est, pour l'essentiel, aux Polynésiens d'en décider. Je constate que le débat n'a jamais cessé en Polynésie même, entre partisans de l'autonomie et de l'indépendance. Les lecteurs attentifs l'auront noté : en revenant sur certaines des compétences reconnues aux institutions polynésiennes, le texte qui nous est soumis remet en cause les termes même du dialogue engagé.
Comment expliquer cette volonté de « reprise en main » par l'État, au mépris de tous les engagements passés ? Est-on revenu à l'époque où l'on pensait pouvoir juger à Paris de ce qui est bon pour Papeete, Hao ou Rapa ?
Monsieur le secrétaire d'État, sous couvert de stabilité, vous offrez une prime à l'émiettement et au désordre.
Sous couvert de moraliser la vie politique polynésienne, vous choisissez la reprise en main par l'État.
Sous couvert de réforme, vous organisez le recul de l'autonomie de la Polynésie.
Ces projets de loi sont néfastes, nous devons donc les rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)