Mme Alima Boumediene-Thiery. Au-delà de l'atteinte aux droits de la défense découlant de la délocalisation de l'audience, je souhaiterais évoquer les moyens qui sont nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle procédure et des contingences liées aux nouvelles technologies.
L'atteinte aux droits de la défense est justifiée ici par un but qui n'est pas légitime : une mobilisation inutile des effectifs de la police de l'air et des frontières et une multiplication des déplacements sous escorte des étrangers vers les tribunaux administratifs. J'ai l'impression que vous souhaitez faire des économies sur le dos de demandeurs d'asile.
Monsieur le ministre, pourquoi souhaitez-vous mettre en place une délocalisation des audiences dans des lieux où les juges refusent déjà de siéger ?
Le principe de la délocalisation et sa mise en pratique sont, me semble-t-il, contraires à la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Ainsi, s'agissant des dispositifs qui existent déjà, les juges refusent de siéger dans les salles d'audience de Coquelles et Roissy. Puisque vous souhaitez faire des économies, n'est-il pas impérieux de s'interroger, au regard de la LOLF, sur l'efficacité de l'utilisation des crédits alloués à la création de ces salles d'audience ?
En effet, vous créez des salles d'audience qui ne seront jamais utilisées par les juges puisqu'ils refusent d'y siéger. L'argent public est donc utilisé sans que l'efficacité du dispositif ait été établie.
C'est pourquoi nous demandons la suppression du recours à une audience délocalisée.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour présenter l'amendement n° 148.
M. Louis Mermaz. On comprend que les juges refusent de siéger dans la salle d'audience aménagée à Coquelles car celle-ci est contiguë à un stand de tir et à un chenil ! Ces conditions ne permettent pas de rendre la justice sereinement. Monsieur le ministre, puisque vous avez été informé, vous allez certainement faire le nécessaire rapidement.
Le projet de loi prévoit la faculté de tenir des audiences dans la salle d'audience d'une zone d'attente - une telle salle a été construite sur le site de Roissy à Zapi 3 - et le magistrat, resté au tribunal, serait relié par un moyen de communication audiovisuelle.
Cette disposition nous semble contraire à l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant. Elle est également contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui dispose que l'intéressé a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement dans un délai raisonnable.
La publicité des débats constitue l'une des garanties auxquelles la Cour européenne des droits de l'homme est le plus attachée. Dans sa décision en date du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a érigé la publicité des débats en principe constitutionnel. Quant à la Cour de cassation et au Conseil d'État, ils ont rappelé à diverses reprises que la publicité des débats est générale et qu'elle ne doit souffrir d'exceptions que dans des cas spécifiés par la loi et très limités.
Or, les audiences délocalisées et audiovisuelles sont contraires à ces principes. Où sera l'avocat, au tribunal ou auprès de son client ? L'étranger ne verra pas son juge ; il ne fera que l'apercevoir par la visioconférence. Quelle publicité sera donnée au débat ? Aucune ! Et pourtant les deux salles d'audience dont nous parlons sont ouvertes au public et à la presse.
Le principe du contradictoire qui implique l'égalité des parties devant le juge est également écorné par la mesure que vous nous proposez, car le représentant de l'administration aura, lui, accès à la salle d'audience du tribunal alors que l'étranger sera dans la salle de la zone d'attente.
C'est pourquoi nous nous opposons à cette disposition.
M. le président. L'amendement n° 56, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le début de la deuxième phrase du sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
Avec l'accord exprimé par l'étranger, dûment informé de cette possibilité dans une langue qu'il comprend, celle-ci peut se tenir...
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article prévoit que la délocalisation de l'audience est automatique, sauf si l'étranger s'y oppose.
Le projet de loi institue une présomption d'adhésion de l'étranger au dispositif de délocalisation, alors que, en réalité, son consentement doit être recueilli de manière expresse.
La tournure de la phrase du septième alinéa de cet article ne laisse guère le choix à l'étranger. La justice d'exception mise en place par cet article s'appliquera par principe, sauf si l'étranger s'y oppose.
Mais, en fait, on oblige l'étranger à subir une justice contraire aux principes fondamentaux des droits de la défense, car on ne lui laisse pas vraiment le choix.
Certes, il est informé de cette possibilité par un interprète, mais cela ne change rien : la délocalisation devient le principe, et non une faculté.
Pour restaurer la place qui revient au consentement de l'étranger dans le choix de cette procédure, cet amendement prévoit de revenir à la nécessité d'un consentement exprès de l'étranger.
M. le président. L'amendement n° 61, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Avant la dernière phrase du sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, insérer une phrase ainsi rédigée :
Il est dressé, dans chacune des deux salles d'audience ouvertes au public, un procès- verbal des opérations effectuées.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à garantir une publicité des débats conforme à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le principe de la publicité des débats constitue l'une des garanties essentielles du procès équitable : il protège le justiciable d'une justice secrète échappant au contrôle du public.
Les difficultés d'accès - soulignées par M. Louis Mermaz - aux audiences délocalisées de Coquelles et Roissy, l'isolement de ces salles, enclavées dans des lieux clos sous haute surveillance policière, témoignent du non-respect de la publicité effective de telles audiences.
Il ne suffit pas, comme le précise septième alinéa de cet article, que la salle d'audience de la zone d'attente et du tribunal administratif soient ouvertes. L'accès de ces salles doit être garanti de manière effective.
Pour ces raisons, nous proposons que les débats fassent l'objet d'un procès-verbal, qui pourra être consulté par tout individu.
M. le président. L'amendement n° 57, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans la seconde phrase du neuvième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, supprimer les mots :
, à sa demande,
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à rendre automatique la délivrance de l'autorisation de séjour à l'étranger admis à entrer sur le territoire français.
L'article prévoit en effet que l'étranger doit demander une autorisation de séjour : faut-il rappeler que, à ce stade de la procédure, l'étranger n'est plus assisté d'un interprète ?
Sa demande d'autorisation de séjour coule de source. Quel étranger ferait annuler une décision de refus d'asile à la frontière pour ensuite renoncer à séjourner en France ? Ce ne serait pas logique !
En réalité, les mots « à sa demande » sont un obstacle curieux, voire dangereux, car si l'étranger ne demande pas d'autorisation de séjour, il est alors dans une situation de non-droit, admis sur le territoire, mais non autorisé à y séjourner !
Il convient donc de mettre un terme à cette absurdité en rendant obligatoire la délivrance de l'autorisation de séjour dès que la décision de refus a été annulée.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Buffet au nom de la commission est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par un alinéa ainsi rédigé :
« Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d'appel dans un délai de quinze jours devant le président de la cour administrative d'appel territorialement compétente ou un magistrat désigné par lui. Cet appel n'est pas suspensif. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement vise à préciser un certain nombre de points, concernant les procédures d'appel et les délais de recours devant la cour administrative d'appel.
De mon point de vue, cet amendement ne pose pas de problème.
M. le président. Le sous-amendement n° 73, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans la première phrase du second alinéa de l'amendement n° 16, remplacer les mots :
quinze jours
par les mots :
un mois
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est étonnant que la création d'une possibilité d'interjeter appel, par ailleurs fort louable, soit aussi restrictive. Même si la France n'est pas tenue de créer de tels recours au regard de ses engagements internationaux, elle se doit, en revanche, lorsque de tels recours existent, de leur donner une certaine effectivité.
Or l'appel ici créé n'est pas effectif. Si on ne crée pas les conditions d'un recours effectif, la possibilité de faire appel ne sera que théorique.
En principe, le délai de recours contre un jugement administratif est de deux mois suivant la notification du jugement, sauf dans un cas de figure, très instructif : l'appel contre un jugement du tribunal administratif sur la légalité d'un arrêté de reconduite à la frontière. Le délai pour faire appel est alors d'un mois.
Pourquoi un étranger déjà présent sur le territoire disposerait-il d'un mois, alors qu'un étranger qui demande l'asile à la frontière ne disposerait, lui, que de quinze jours, sachant que cet étranger, qui vient à peine d'entrer en France, ne connaît pas toujours la langue, ni même les procédures et la loi elle-même ?
Pourquoi ne pas aligner le délai de l'appel que la commission souhaite créer sur le délai d'appel contre l'arrêté de reconduite à la frontière ? Il y aurait là une certaine cohérence.
Selon le code de justice administrative, le délai de quinze jours est réservé aux jugements accordant ou refusant un sursis à exécution.
Or nous ne sommes pas dans ce cas de figure : l'étranger ne demande pas un sursis à exécution, mais bel et bien une annulation de la décision.
C'est pourquoi ce sous-amendement vise à porter à un mois le délai de l'appel.
M. le président. Le sous-amendement n° 103, présenté par Mme Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
I. Dans la première phrase du second alinéa de l'amendement n° 16, remplacer les mots :
de quinze jours
par les mots :
d'un mois
II. Supprimer la seconde phrase du même alinéa.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit d'un sous-amendement similaire.
L'article 6 instaure un certain nombre de restrictions pour les demandeurs d'asile, que nous avons soulignées. Le risque est grand que les sauvegardes existantes soient insuffisantes et que la France ne puisse protéger les personnes contre le refoulement, comme l'y oblige pourtant le droit international.
À titre d'information, en 2005 - je n'ai pas étudié les chiffres pour 2006 -, la Commission des recours des réfugiés a annulé 15,5 % des décisions de rejet de l'OFPRA.
Le nombre de demandeurs d'asile est en diminution. Le nombre des demandes d'asile acceptées a considérablement baissé, du fait de votre politique évidemment. Si le nombre de demandes d'asile est en baisse, c'est parce que les gens considèrent que la France est de moins en moins un pays d'asile.
En revanche, des décisions de rejet ont été annulées parce qu'elles avaient été prises à la va-vite. Il se trouve que les demandes qui ont été rejetées n'auraient pas dû l'être. C'est donc qu'il y a un problème. C'est la raison pour laquelle la garantie de pouvoir intenter un recours est importante.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 101. Vous demandez la suppression l'article 6 alors qu'il instaure un recours suspensif.
L'amendement n° 144 vise à étendre le recours suspensif à tous les étrangers ayant fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français. La commission y est défavorable.
L'amendement n° 59 est satisfait par l'amendement n° 15.
La commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 102 et 145.
Concernant l'amendement n° 62, nous pensons qu'il est utile que la requête soit motivée, l'étranger ayant intérêt à ce que les choses soient clairement indiquées. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Elle a également émis un avis défavorable sur l'amendement n° 63. Pour une meilleure lisibilité, nous souhaitons une unité des procédures et des délais.
L'amendement n° 146 vise à s'assurer que l'étranger sera assisté en toutes circonstances par un conseil, en la circonstance par un avocat. La commission y est donc favorable.
L'amendement n° 147 vise à supprimer la possibilité pour le président du tribunal administratif de rejeter une ordonnance de recours entachée d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance, ou manifestement mal fondée. L'instauration d'un délai de quarante-huit heures pour le recours nous paraissant renforcer les droits de l'étranger, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
La commission est défavorable aux amendements identiques nos 60 et 148. Nous souhaitons le maintien des dispositifs de visioconférence.
L'article 6 prévoit que la visioconférence est de droit et qu'il suffit à l'étranger de la refuser pour qu'elle ne soit pas utilisée. L'amendement n° 56 vise à prévoir le recueil de l'accord de l'étranger. La commission y est défavorable. On maintient le droit actuel.
La commission aimerait connaître l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 61, en raison des conséquences que son adoption pourrait entraîner. Elle sollicite également l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 57.
Enfin, la commission est défavorable aux sous-amendements nos 73 et 103.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. L'article 6 organise concrètement le recours en annulation des rejets de demande d'asile à la frontière et prévoit le caractère suspensif de toute mesure d'exécution de ces décisions. Sur ces sujets, nous avons cherché à atteindre un équilibre. Ces dispositifs ont donc été en quelque sorte pesés au trébuchet.
Afin que les droits de l'étranger soient pleinement respectés, je vous indique que je suis favorable à ce que le délai de recours, que l'Assemblée nationale avait fixé à vingt-quatre heures, soit porté à quarante-huit heures. Cela me conduit à émettre un avis favorable sur un certain nombre d'amendements.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 101 et 144 et favorable sur les amendements nos 15 et 59. Il émet un avis défavorable sur les amendements nos 102, 145, 62 et 63, mais favorable sur l'amendement nos 146. Il est défavorable aux amendements nos 147, 148, 60, 56 et 61.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 57.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 16.
Enfin, il est défavorable aux sous-amendements nos 73 et 103.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Mon explication de vote portera sur les amendements concernant la délocalisation de la juridiction.
J'ai utilisé il y a quelques jours mon droit de visite pour me rendre à Zapi 3 sur le site de Roissy. J'ai été étonné d'y être accueilli de façon charmante par la directrice de la police de l'air et des frontières.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais on y est toujours accueilli de façon charmante...
M. David Assouline. Compte tenu de tout ce que vous dites et de ce que vous diffusez dans l'opinion, je m'attendais à trouver à Zapi 3 de nombreux étrangers sans papiers et en attente d'être expulsés après avoir tenté d'assaillir nos frontières. J'ai été étonné de constater que Zapi 3 était quasiment vide. Nous ne sommes donc pas si assaillis que cela ! Ce serait bien de communiquer sur ce sujet afin de ne pas alimenter des peurs qui n'ont pas de raison d'être.
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai visité la salle d'audience qui vient d'être fabriquée, mais qui n'a jamais été utilisée, car les avocats et les magistrats s'y refusent. On m'a décrit les travaux qui vont y être faits pour ne pas avoir à juger dans l'enceinte même de la zone de rétention, ce qui est interdit administrativement, de la même façon que l'on n'a pas le droit de juger dans une prison. Des séparations vont être créées afin de permettre aux magistrats et aux avocats d'avoir un accès distinct des autres et pour séparer les deux salles.
On m'a indiqué le coût ainsi que les dates d'engagement des travaux. Je pensais que ces travaux ne seraient possibles qu'après le vote du présent projet de loi, or je me suis rendu compte que l'administration a précédé le politique. C'était comme si tout était déjà provisionné et réalisé, alors que nous sommes encore en train de discuter ce texte et que nous pourrions rejeter de telles possibilités. Pourriez-vous, monsieur le ministre, me donner quelques précisions sur ces travaux, que l'on m'a décrits comme étant quasiment faits ?
Enfin, s'agissant du jugement, il y a deux façons de présenter les choses. La directrice de la police de l'air et des frontières m'a presque convaincu. Elle m'a expliqué que ces étrangers qu'on allait juger, probablement refouler, vivent un calvaire. Ils sont emmenés à huit heures du matin à Bobigny, pour une audience qui, souvent, n'aura pas lieu avant seize heures. Ils traînent et attendent, avec d'autres, pendant des heures entières,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui ! C'est comme cela que cela se passe.
M. David Assouline. ...alors qu'ils pourraient être jugés sur place tout de suite.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. David Assouline. Pourquoi tant de complications ? Pourquoi leur faire vivre une journée de calvaire ?
Je vous le dis franchement : si on présente les choses à l'étranger de cette façon, il préférera la visioconférence et l'audience sur place, mais il faut - c'est déterminant - qu'on lui explique ses droits et qu'il ait vraiment le choix. En tout cas, la façon dont on m'a présenté les choses a failli me faire flancher.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Je connais la situation qui vient d'être décrite par M. Assouline, car je me suis également rendu sur place. De même, j'ai visité la zone de rétention administrative de Toulouse.
S'agissant du cas que vous évoquez, monsieur Assouline, la réalité est très simple. Comme vous le savez, la salle d'audience a été construite voilà plus de deux ans.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien plus !
M. Brice Hortefeux, ministre. Effectivement, monsieur le président de la commission des lois, cela fait deux ans et demi.
Toutefois, les magistrats ont exigé la construction d'une deuxième salle - je ne porte pas d'appréciation sur leur attitude ; j'énonce simplement des faits -, qui ne sera achevée que dans un an, voire dans un an et demi. En attendant, ils refusent effectivement de siéger dans la première salle.
Voilà pour ce qui relève de l'explication calendaire. Pour le reste, il appartient à chacun de se forger sa propre opinion.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. La juridiction de Bobigny et la salle d'audience de la zone d'attente des personnes en instance de reconduite à la frontière de l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle ont été largement évoquées.
Pour ma part, je suis un peu étonné de vous entendre, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes.
En effet, lorsque l'on connaît les conditions d'exercice de la justice à Bobigny, on devrait tout de même s'en préoccuper. Or, je me permets de vous rappeler que cela n'a pas été le cas jusqu'en 2002. Comme vous le savez, à cette période, le gouvernement était socialiste.
Pourtant, le tribunal de Bobigny est la deuxième juridiction de France. Il aura fallu attendre les gouvernements précédents pour que des postes de greffiers en nombre et de magistrats en nombre soient enfin créés. Et il aura fallu attendre les dernières années pour qu'une solution aux problèmes des locaux soit enfin envisagée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas la question !
M. Philippe Dallier. Monsieur Assouline, ayant passé une journée d'observation au tribunal de Bobigny, je pense que les arguments qui vous ont été avancés sont tout à fait exacts.
À mon sens, ceux qui, par le passé, ont peu agi pour améliorer les conditions d'exercice de la justice à Bobigny pourraient se montrer plus raisonnables.
Certes, jusqu'à présent, les magistrats se sont refusés à siéger dans la salle d'audience de la zone d'attente des personnes en instance de reconduite à la frontière de l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. Pour ma part, je le regrette. A priori, cette salle et les futurs locaux me semblent être de qualité. J'espère que les aménagements qui s'imposent seront rapidement effectués.
D'ici là, tant mieux si la visioconférence peut favoriser et améliorer l'exercice de la justice.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur Dallier, la question qui se pose ne porte pas sur les moyens en personnel affectés au tribunal de Bobigny.
En réalité, si les magistrats refusent d'aller siéger dans une telle salle d'audience, c'est simplement, et je partage leur opinion, parce qu'ils refusent une justice à deux vitesses. Ils ne veulent pas d'une justice qui établirait une différence de traitement entre les étrangers et les Français. C'est cela, la question. Il ne s'agit pas d'un problème d'effectifs.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 et 59.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 102 et 145 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 62.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 60 et 148.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Nous donnons acte à la commission d'avoir porté le délai de recours devant le tribunal administratif pour l'étranger demandeur d'asile de vingt-quatre heures à quarante-huit heures. Certes, nous aurions préféré un délai de deux jours ouvrés, mais il est vrai que le dispositif retenu par la commission constitue tout de même un progrès.
Pour autant, si les amendements déposés par l'opposition avaient été adoptés, l'article 6 serait conforme aux recommandations de la Cour européenne des droits de l'homme. Malheureusement, force est de constater que tel n'est pas le cas.
C'est la raison pour laquelle nous sommes au regret de voter contre cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article additionnel après l'article 6
M. le président. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et le cas échéant, s'il formule un recours devant la Cour nationale du droit d'asile dans le délai mentionné à l'article L. 751-2, jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile » ;
2° La dernière phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et le cas échéant, si un recours est formé devant la Cour nationale du droit d'asile, avant la décision de la Cour ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet d'instituer un recours suspensif pour les cas de refus d'asile à la frontière autres que celui qui est prévu par le dispositif gouvernemental.
En effet, il convient de le noter, le Gouvernement n'institue un recours suspensif de plein droit que pour les demandes d'asile à la frontière. Pourtant, il existe d'autres procédures en matière d'asile et aucun recours suspensif n'est prévu pour ces cas.
En vertu de l'article 39 de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États-membres, directive dont nous attendons la transposition en droit interne, les autorités françaises sont tenues d'instituer des recours effectifs contre toutes les décisions concernant les demandes d'asile.
Aujourd'hui, les demandes qui viennent en fonction de la procédure dite « Dublin II » et le recours devant la Commission des recours des réfugiés ne sont pas concernés par le dispositif gouvernemental.
Pourtant, une telle exigence découle de nombreux textes.
Ainsi, dans son dernier rapport relatif aux conditions du droit d'asile en France, la Commission nationale consultative des droits de l'homme affirmait ceci : « Tout refus d'entrée sur le territoire entraînant une mesure de refoulement du demandeur d'asile doit être susceptible de recours suspensif devant la juridiction administrative dans un délai raisonnable. »
En outre, dans une recommandation du 18 septembre 1998, le comité des ministres du Conseil de l'Europe déclarait ceci : « Tout demandeur d'asile s'étant vu refuser le statut de réfugié et faisant l'objet d'une expulsion vers un pays concernant lequel il fait valoir un grief défendable prétendant qu'il serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants doit pouvoir exercer un recours effectif devant une instance nationale. »
Voilà pourquoi cet amendement vise à instituer un recours suspensif pour tous les cas de refus d'asile à la frontière autres que celui qui est prévu par le dispositif gouvernemental.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. S'agissant des pays d'origine sûrs, la Convention européenne des droits de l'homme ne prévoit pas l'obligation du caractère suspensif.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Le dispositif suggéré par Mme Boumediene-Thiery créerait un risque d'engorgement tant pour l'OFPRA que pour la Commission des recours des réfugiés, la CRR.
Par ailleurs, je le rappelle, la décision de reconduite à la frontière d'un débouté en procédure prioritaire est déjà soumise à recours suspensif devant le juge administratif.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.