M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le ministre, depuis 2002, votre majorité n'a eu de cesse de faire peser le soupçon sur les mariages mixtes, comme si, à vos yeux, s'unir à un étranger était tellement inconcevable qu'il ne pouvait s'agir que d'un détournement de procédure pour obtenir un titre de séjour. Pourtant, que d'amour, que de patience, que de persévérance faut-il à ces couples à chaque étape de leur vie de couple !
La loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages s'inscrivait déjà dans cette logique de suspicion et d'hostilité. Avec cette disposition, vous imposez un retour dans le pays d'origine du conjoint de Français en vue de demander un visa de long séjour.
Le cortège de mesures vexatoires que vous prévoyez ne saurait enrayer l'augmentation des mariages mixtes.
Aujourd'hui, nous assistons à deux phénomènes sociodémographiques.
Premier phénomène, les enfants d'immigrés, français, atteignent l'âge où, légitimement, ils aspirent à fonder une famille. Parmi eux, certains ont gardé des liens assez étroits avec le pays d'origine de leurs parents, et c'est ainsi qu'ils rencontrent leur conjoint.
Le second phénomène est la mobilité accrue des individus et la mondialisation, qui constitue aussi une ouverture au monde et aux autres cultures. On trouve de plus en plus son conjoint à l'occasion d'une expérience professionnelle ou estudiantine à l'étranger. C'est aussi une tendance forte de nos sociétés contemporaines sur une si petite planète.
Toutes vos dispositions législatives ne parviendront pas à enrayer ces processus. Ni la loi sur la validité des mariages, ni l'obligation d'un retour au pays pour obtenir un visa de long séjour, ni même l'obligation d'une formation linguistique n'empêcheront des hommes et des femmes de s'aimer, sans souci des frontières ou des langues.
Vous nous proposez une disposition supplémentaire qui précarise, dans tous les domaines - financier, affectif ou pratique - la vie des couples mixtes.
La fraude existe bien sûr, mais le dispositif que vous souhaitez adopter est disproportionné au regard d'une fraude qui est somme toute marginale.
En imposant au conjoint de Français un test de langue, assorti, si nécessaire, d'une formation, vous créez une entrave, un délai supplémentaire au droit de vivre une vie familiale. Vous créez surtout une disposition contre-productive, tant il est vrai que l'apprentissage de la langue est bien plus performant en situation d'immersion ; cela a été dit.
Les couples mixtes sont devenus une cible privilégiée. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à l'article 4 tel qu'il est présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, comme d'autres collègues l'ont dit, cet article institue une véritable inégalité entre Français, plus précisément entre celui qui épouse un Français et celui qui épouse une personne non française. Mais choisit-on de tomber amoureux de quelqu'un qui n'est pas français ?
Avec cet article 4, on entend maintenant supprimer un acquis de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, qui, je le rappelle, avait été obtenu par notre regretté collègue Jacques Pelletier. Il s'agissait pourtant d'une disposition qui, à l'époque, avait fait l'objet d'un consensus très large.
Il faut rappeler que la circulaire prise pour l'application de la disposition que vous voulez supprimer dans votre projet de loi ne date que du 19 mars 2007. C'est donc cinq mois après la clarification des règles applicables en la matière que le Gouvernement a décidé de supprimer cette disposition, sous le prétexte qu'elle ne serait pas efficace, nous a-t-on dit en commission. Mais comment une évaluation, un bilan de son inefficacité a-t-il pu être établi en cinq mois ? Je me pose la question ! En fait, M. Sarkozy reprend d'une main ce qu'il avait lui-même donné de l'autre voilà quelques mois.
Faut-il rappeler l'importance d'une telle disposition ? En fait, 52 % des titres accordés au nom de la vie privée familiale le sont à des conjoints de Français. Vous mesurez mieux l'importance de cette disposition !
Elle avait un triple avantage.
D'abord, elle permettait d'éviter, entre la personne concernée et le conjoint français, une séparation parfois longue qui était susceptible de troubler de manière injustifiée la vie familiale et la communauté de vie pourtant exigée par la loi.
Ensuite, elle permettait d'éviter des aller-retour dont le coût est important si l'on prend en compte le voyage et le visa, et qui peuvent grever le budget d'un jeune couple.
Enfin, elle permettait d'éviter de faire courir au conjoint étranger le risque de subir, parfois, des mauvais traitements dans son pays d'origine.
Monsieur le ministre, je vous rappelle que, dans certains pays, des femmes ne peuvent pas épouser un étranger. Ainsi, dans certains pays musulmans il leur est interdit d'épouser un non-musulman. Exiger que ces femmes repartent dans leur pays d'origine pour y chercher un visa revient à les exposer gravement puisque, étant alors dans l'illégalité totale, elles risquent leur vie ! Le savez-vous, monsieur le ministre ?
Ce projet de loi ôte toute possibilité au conjoint d'un Français de trouver enfin une vie régulière. De plus, vous lui imposez un grand risque. C'est tout à fait inacceptable. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande d'être attentif à notre souhait de supprimer l'obligation de retourner dans son pays afin d'y obtenir un visa.
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cet article 4, il faut bien faire la distinction entre les apparences et la réalité.
En apparence, cet article vise à soumettre le conjoint de Français à une formation linguistique pour préparer son intégration. Mais, en réalité, l'article vise à aligner le droit au séjour du conjoint de Français sur celui qui régit le regroupement de la famille d'un étranger résidant en France. Or, jusqu'à présent, monsieur le ministre, mes chers collègues, la différence entre ces deux droits est très importante et les règles sont différentes !
Par exemple, on ne peut pas, comme c'est le cas pour un étranger à l'occasion d'un regroupement familial, imposer à un Français des conditions de revenus ou de logement pour accueillir son conjoint ou sa conjointe étrangère en France.
J'insiste beaucoup sur ce point, monsieur le ministre : il existe entre le texte qui nous est soumis et la réalité de vos intentions une très grande distance, celle qui va des apparences au fond. Dans la réalité, le mariage entre un Français et un étranger ne constitue pas un regroupement familial et, jusqu'à maintenant, cela n'obéissait pas aux mêmes règles. Or, avec cet article, on s'arrange pour que la règle soit la même : cours de français, parcours d'intégration préliminaire. On réunit donc les deux phénomènes sous un même vocable, celui d'« immigration familiale » ; ainsi, l'immigration liée au mariage avec un Français entre dans la catégorie de l'immigration « subie », selon votre vocabulaire, alors qu'il s'agit d'une immigration de droit.
Je suis de l'avis de mes collègues, il s'agit d'une attitude totalement régressive sur le plan des principes et d'un point de vue pragmatique, car l'accroissement du nombre de mariages mixtes ne peut pas être enrayé du fait qu'il est lié à la mondialisation, à la circulation des personnes, au tourisme de masse, aux études faites à l'étranger, aux stages professionnels et à toute l'émigration de travail. Tout concourt à l'augmentation des mariages entre deux personnes de nationalité différente.
En France, l'accroissement du nombre de mariage avec des étrangers correspond aussi - et c'est cela qui est mis en avant dans le rapport - à une phase transitoire de l'intégration sociale des familles migrantes.
C'est cela qui vous gêne ! Le mariage d'un étranger avec un Français de même origine étrangère ou avec un Français dont la famille est française depuis plusieurs générations... (Murmures continus sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je vous en prie, poursuivez, madame Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je souhaiterais être écoutée, monsieur le président.
M. le président. Nous souhaiterions avancer plus vite ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert Bret. C'est pour aller écouter Sarkozy !
M. le président. Le débat aurait déjà pu être clos !
M. Josselin de Rohan. Vous nous donnez des idées ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Poursuivez, madame Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La cible de ce texte, c'est non pas le mariage d'un cadre français avec une étudiante américaine, mais celui d'un jeune Français ou d'une jeune Française dont la famille est d'origine étrangère avec une étrangère ou un étranger du pays d'origine de ses parents. En effet, nous sommes actuellement dans une phase transitoire de l'intégration sociale des familles migrantes.
Un bon nombre de mariages sont réellement mixtes, puisqu'il s'agit de jeunes Français d'origine étrangère avec des Français dont les ascendants sont français depuis deux ou trois générations.
Ces mariages, il faut bien le dire, n'ont pas toujours la préférence des familles, qui sont habituées à la tradition endogame et préfèrent les mariages arrangés. Les jeunes gens éduqués en France par des mères étrangères se figurent parfois que la jeune fille du village reproduira le modèle maternel de bonne maîtresse de maison, de bonne mère de famille et d'épouse soumise. Quant aux jeunes filles, elles s'illusionnent sur les sentiments et les capacités d'adaptation en France des fiancés présentés par la famille ou les proches du pays. Mais la sécurité et l'approbation familiale du mariage traditionnel arrangé séduit et ne débouche pas nécessairement sur des échecs, en tout cas pas plus souvent que pour les mariages franco-français.
Ce sont ces mariages de jeunes Français, dont les familles sont originaires de Turquie, du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne, que les lois successives tendent à rendre le plus difficile possible.
J'irai même plus loin,...
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Non !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. ...il est dangereux pour le Parlement de voter de telles dispositions, qui ne sont pas faites pour être appliquées. Elles sont en fait destinées à produire des blocages, des délais, une surcharge de travail administratif, des contentieux judiciaires, car il faut à tout prix décourager les candidats à ces mariages. J'ai d'ailleurs entendu un certain nombre de hauts fonctionnaires le dire.
Les dispositions de ce texte ne sont pas pragmatiques, parce que ces mariages auront de toute façon lieu. En outre, ces derniers amènent en France des travailleurs et des travailleuses, car l'immigration familiale est aussi une immigration de travail. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Les mesures prévues ne sont pas conformes au droit de vivre en famille. Il me paraît inacceptable que les délais puissent atteindre deux ou trois ans, comme cela découle de la loi relative au contrôle de la validité des mariages, y compris lorsque des enfants sont nés du couple. Je suis encore intervenue en faveur d'un couple avec deux enfants, dont l'épouse...
M. le président. Vous parlez depuis six minutes déjà !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Effectivement ! (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Or vous n'avez droit qu'à cinq ! Ayez un peu de délicatesse à l'égard de vos collègues de la majorité. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP) Concluez !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Pour conclure, nous ne cessons de modifier les lois, les avocats ne peuvent plus les appréhender et les magistrats ne peuvent plus les faire appliquer. Au total, l'État de droit ne règne plus, à cause de cette folie législative. C'est pour cette raison que je voterai contre l'article 4. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. Josselin de Rohan. Enfin ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On pensait que les étrangers qui épousent un Français n'étaient pas traités de la même façon que ceux qui viennent rejoindre un conjoint étranger installé en France. Or le Gouvernement veut désormais traiter tous les étrangers de la même façon. Mais surtout, nous l'avons bien compris, il ne veut pas traiter les étrangers comme les Français sur le territoire national.
M. Charles Revet. Comment croyez-vous que cela se passe à l'étranger ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela dit, je vous rappelle que, en 2006, les sénateurs représentant les Français établis hors de France appartenant à la majorité s'étaient émus de cette situation. Certains d'entre eux, en effet, sont mariés avec une ressortissante étrangère. Et il faut bien, par ailleurs, qu'ils assurent leur réélection !
À l'époque, chers collègues de la majorité, faisant preuve d'un peu de compassion, vous n'aviez pas souhaité que les étrangers retournent dans leur pays d'origine afin de pouvoir obtenir un visa.
C'était une attitude magnanime, puisque vous établissiez une distinction entre les étrangers qui rejoignaient un conjoint français et ceux qui rejoignaient un conjoint étranger.
Aujourd'hui, nous n'entendons plus les sénateurs représentant les Français établis hors de France.
M. Robert del Picchia. On va les entendre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je suppose donc qu'ils sont d'accord, hélas ! avec les dispositions prévues à l'article 4.
D'après vous, monsieur le ministre, le fait de demander aux étrangers qui veulent rejoindre leur conjoint en France de manifester une certaine bonne volonté en s'intéressant à la langue française et aux valeurs de la République constitue un minimum.
On peut néanmoins imaginer qu'un étranger qui épouse un Français a envie d'apprendre à parler le français, de s'intéresser à la France, à la culture française et aux valeurs de la République, sauf à considérer que c'est le Français qui parlera toujours la langue de son conjoint. L'amour et l'envie de s'intéresser à la nationalité de son conjoint, c'est tout de même humain, et cela ne vous est donc pas étranger.
Dès lors, pourquoi exiger un apprentissage linguistique avant sa venue en France ? On peut en effet penser qu'il a déjà appris, avec son conjoint, les rudiments de notre belle langue et qu'il va « s'accrocher » pour l'apprendre encore mieux quand il sera en France.
Franchement, cette mesure est vexatoire et complètement absurde !
Je souhaite maintenant évoquer...
M. Robert del Picchia. Non !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...la disposition aux termes de laquelle les étrangers qui épousent un Français se voient imposer de retourner dans leur pays pour obtenir un visa. Je serai brève, car je sais que vous êtes extrêmement pressés, mes chers collègues, d'aller à votre rendez-vous ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
L'année dernière, vous aviez refusé d'adopter une telle mesure. Ayez un peu de constance ! Sinon, l'opinion publique sera tourneboulée de constater que les parlementaires ne servent à rien et qu'ils font même preuve d'une inconstance terrible en défaisant ce qu'ils ont fait l'année précédente ! Je vous en prie, tenez-vous-en à la position que vous avez adoptée en 2006 et évitez un tel trajet aux étrangers conjoints d'un Français, ne serait-ce que pour économiser du kérosène ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Cette argumentation vaudra également pour l'amendement n° 92.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, j'espère qu'il est encore possible de s'exprimer dans cet hémicycle, conformément à ce qui est prévu dans le règlement.
M. Jacques Valade. Vous en faites la démonstration !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sujet est extrêmement important. Notre groupe n'est responsable ni de l'urgence qui a été déclarée sur ce texte ni des conditions de travail qui président à son examen. Vous le savez fort bien, monsieur le président, nous n'avons en effet pas la maîtrise de l'ordre du jour.
D'abord, je tiens tout particulièrement à remercier trois de nos collègues sénatrices qui sont particulièrement bien placées pour évoquer les mariages mixtes. Leur contribution au débat revêt, me semble-t-il, une grande importance.
Ensuite, ces dispositions me semblent revêtir un caractère quelque peu dérisoire, monsieur le ministre. En effet, une personne âgée de trente ans, quarante ans, cinquante ans, soixante ans ou plus, et mariée avec un conjoint français devra passer un test de connaissance de la langue et des valeurs de la République pour bénéficier du droit de vivre avec son conjoint. Vous-même, monsieur le président, avec votre bon sens du sud de la France, vous avez quelque mal à considérer que cela soit vraiment sérieux !
Lorsqu'il s'agit de véritables mariages, c'est-à-dire dans la plupart des cas - il faut bien sûr combattre les faux mariages -, il paraît quelque peu vexatoire de demander des tests pour évaluer la connaissance du français et des valeurs de la République. Cela n'a pas de sens et ne grandit pas notre pays.
Pour finir, je reviens sur la question de l'obligation qui serait faite aux conjoints de Français entrés en situation régulière de repartir dans leur pays d'origine pour obtenir un visa.
Au cours de ce débat, nous avons trop peu cité - Mme Boumediene-Thiery l'a fait - notre regretté collègue Jacques Pelletier.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Or il serait bon, me semble-t-il, de se référer aux propos qu'il a tenus avec beaucoup d'éloquence et de sagesse pour convaincre de nombreux sénateurs de toute opinion politique d'adopter, voilà quelques mois à peine, le texte qui est aujourd'hui la loi en vigueur.
Je vous en rappelle les termes : « Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française [...] la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour. » Cela évite ces déplacements inutiles ! Jacques Pelletier avait évoqué cette question avec beaucoup de bon sens.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. Je m'étonne, monsieur le ministre, que votre bon sens auvergnat vous ait conduit à proposer de supprimer cette disposition. Par hommage à la sagesse, dont vous conviendrez, de Jacques Pelletier, j'espère que vous accepterez la position du Sénat, qui décidera, je l'espère, d'en revenir aux dispositions qu'il a précédemment adoptées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite au préalable dénoncer la limitation apportée à notre droit d'amendement par l'invocation, en commission, de l'article 40 de la Constitution, empêchant ainsi un certain nombre d'amendements d'être débattus en séance plénière.
Cette application stricte de l'article 40 de la Constitution n'a d'autre objectif que de filtrer le débat parlementaire, transformant toujours plus nos deux assemblées en simples chambres d'enregistrement. Cela m'oblige aujourd'hui à recourir à l'intervention sur l'article.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous appliquons la Constitution !
M. Robert Bret. Non seulement le projet de loi impose un retour dans leur pays d'origine à tous les conjoints étrangers de Français installés en France, mais il les oblige également à se soumettre, dans leur pays d'origine, à un test de connaissance de la langue française et des valeurs de la République pour obtenir la délivrance d'un visa.
Le texte proposé précise que, si cette évaluation en établit le besoin, une formation est organisée à l'intention de l'intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, formation au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation. De plus, la délivrance du visa serait subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation.
Or si nous considérons que la maîtrise de la langue nationale de la société d'accueil est une nécessité fondamentale pour prendre sa place dans la vie professionnelle, sociale et culturelle de cette société, nous refusons que la délivrance d'un visa soit subordonnée à la connaissance de la langue française et des valeurs de la République.
Nous souhaitons que la législation française énonce un véritable droit de formation à la langue nationale de l'État d'accueil.
De plus, notre proposition de loi s'inscrit pleinement dans la Charte sociale européenne révisée de 1996, entrée en vigueur en 1999, et qui prévoit expressément, à l'article 19-11, que les parties s'engagent « à favoriser et à faciliter l'enseignement de la langue nationale de l'État d'accueil ou, s'il y en a plusieurs, de l'une d'entre elles aux travailleurs migrants et aux membres de leurs familles ».
La France a ratifié la Charte sociale européenne révisée le 7 mai 1999. Ses dispositions ont donc une valeur contraignante pour notre pays.
Par conséquent, c'est sur le fondement juridique de la Charte sociale européenne révisée, et afin de respecter cet engagement international, que nous proposons d'instaurer dans notre code du travail un droit à la formation linguistique pour les primo-arrivants, les étrangers résidant en France, les Français dont l'un des parents au moins ne maîtrise pas la langue française, les demandeurs d'asile et les membres de leur famille afin qu'ils puissent accéder à la maîtrise de la langue française.
Il s'agit aussi de préciser les conditions de mise en oeuvre du principe reconnu par la Charte. En particulier, il est nécessaire de prévoir une rémunération pour des stages linguistiques longs, lesquels ne sont pas accessibles en dehors du temps de travail, de façon à compenser la perte de salaire ou les frais engendrés par la garde d'enfants.
Monsieur le ministre, si votre souci était vraiment de revoir la question et de réussir l'intégration des migrants, vous feriez bien de vous inspirer de notre proposition de loi pour déposer un amendement ; vous en avez encore le temps !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de mon développement, vous comprendrez que mon groupe vote contre l'article 4.
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, dans le cadre d'une réflexion sur l'intégration, il est important de soulever la question de la connaissance de la langue française, car son apprentissage constitue un outil, sinon une garantie de l'intégration. Dès lors, cet apprentissage doit être encouragé, mais aussi organisé.
Il est vrai que, dans un certain nombre de cas, les conjoints qui rejoignent les Français mariés à l'étranger ne connaissent pas la langue française.
Le devoir de la République est d'offrir, à toute personne qui, par son mariage, vient d'obtenir l'autorisation de vivre en France avec son conjoint, la possibilité de s'intégrer dans notre pays dans les meilleurs délais, et cela commence par l'apprentissage de la langue française. Ne définissons-nous pas l'école comme un moyen d'émancipation, de promotion ?
L'apprentissage de la langue française est donc bien un élément d'intégration. Et c'est sans doute plus important pour des femmes originaires de pays où la culture ne prédispose pas à une grande liberté : cela leur permet de s'extraire du foyer familial et de vivre en particulier dans la société française. Leur émancipation passe par l'apprentissage de la langue française, comme j'ai eu l'occasion de le dire récemment au sein de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Monsieur le ministre, pourquoi ne vous préoccupez-vous pas de faire en sorte que cette question soit réglée dans les meilleures conditions, comme dans certains pays où, le jour de son arrivée sur leur sol, l'étranger se voit souhaiter la bienvenue et indiquer le service, l'association, la personne qui s'occupera régulièrement de lui pour lui apprendre le français ?
En l'occurrence, vous voulez assimiler ces conjoints aux étrangers venant en France dans le cadre du regroupement familial, alors que leur cas est différent.
L'article 4 soulève les mêmes problèmes que ceux qui ont été évoqués à l'article 1er, à savoir les difficultés, d'ordre matériel, culturel, ou autres, qui font obstacle, dans certains pays, à l'apprentissage de la langue française avant de pouvoir rejoindre son conjoint en France. Autrement dit, cet article est inutile !
En revanche, vous feriez oeuvre plus utile en organisant, à leur arrivée en France, l'intégration des conjoints qui ne parlent pas français, sans leur créer des difficultés.
Je n'entrerai pas dans d'autres détails, mais, compte tenu d'un certain nombre de témoignages, je m'interroge tout de même sur la manière dont nos consulats dans le monde évaluent la connaissance de la langue française. Il existe autant de méthodes que de consulats, et je suis parfois très inquiet de voir comment procèdent certaines personnes. Je ne leur en veux pas : tout le monde ne peut pas être professeur !
Mais vous n'avez pas non plus de réponse sur ce point, semble-t-il. Vous nous dites qu'un décret précisera les choses, ce qui signifie que vous doutez et que vous pensez que, de toute façon, le dispositif sera inapplicable.
M. le président. Nous passons à la discussion des amendements. (Enfin ! sur les travées de l'UMP.)
Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 92, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a été défendu.
L'amendement n° 191 rectifié, présenté par MM. del Picchia, Demuynck et Vasselle est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L'article L. 211-2-1 du même code est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Sous réserve des conventions internationales, pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite le visa, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, les autorités mentionnées au premier alinéa organisent à l'intention de l'intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, une formation dont la durée ne peut excéder quinze jours, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l'issue de la formation. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé.
« Lorsque la demande de visa émane d'un étranger, dont le conjoint de nationalité française établi hors de France souhaite établir sa résidence habituelle en France pour des raisons professionnelles, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables, sauf si le mariage a été célébré à l'étranger par une autorité étrangère et n'a pas fait l'objet d'une transcription. »
2° Dans le deuxième alinéa, les mots : « Le visa mentionné à l'article L. 311-7 » sont remplacés par les mots : « Outre le cas mentionné au deuxième alinéa, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ;
3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions. »
La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Je veux d'abord souligner, madame Borvo, qu'il y a des sénateurs représentant les Français de l'étranger qui prennent la parole.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'en étais sûre !
M. Robert del Picchia. Si l'article 1er n'avait pas été adopté, je n'aurai pas défendu cet amendement. Mais à partir du moment où il a été voté, il est nécessaire de prendre certaines mesures concernant les conjoints étrangers de Français. En effet, ces derniers ne peuvent être soumis aux mêmes dispositions que les étrangers souhaitant rejoindre leur conjoint étranger dans le cadre du regroupement familial.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui ! Les étrangers suspects !
M. Robert del Picchia. Ils ne doivent pas être pénalisés par leur situation, notamment devoir se rendre dans les préfectures, subir les files d'attente, etc.
Tout d'abord, il est nécessaire de prévoir explicitement que les conventions internationales pourront entièrement dispenser les conjoints du test et de la formation dans le pays où ils sollicitent le visa. En pareil cas, naturellement, ce test et cette formation se feront, si besoin est, à l'arrivée en France, dans le cadre des dispositifs actuellement en vigueur, contrat d'accueil et d'intégration.
Ensuite, il faut prendre en compte la situation particulière des couples binationaux qui, vivant à l'étranger, décident ou sont obligés de rentrer en France pour des raisons professionnelles. Je prends l'exemple d'un jeune cadre français envoyé à l'étranger, qui se marie avec une ressortissante locale. Selon notre législation, cette dernière ne peut devenir française avant un certain nombre d'années. Supposons que le cadre en question souhaite revenir en France peu de temps après son mariage pour des raisons professionnelles. Dans ce cas, son épouse et ses enfants éventuels se verraient appliquer les mêmes mesures qu'un étranger ou une étrangère.
C'est pourquoi il importe de prendre des mesures spécifiques pour cette catégorie de conjoints. Il est nécessaire de dispenser entièrement le conjoint étranger des formalités de test et de formation à l'étranger. Vous ne semblez pas être contre cette proposition, monsieur le ministre !
Cette dispense doit cependant être accompagnée d'une réserve : elle ne devrait pas être applicable lorsque le mariage célébré à l'étranger par une autorité étrangère n'a pas fait l'objet d'une transcription dans les conditions définies par la loi.
Cet amendement prévoit également que, dans les autres cas, la formation au français dans le pays d'origine ne pourra excéder quinze jours afin de ne pas allonger le délai séparant, dans les faits, la demande de visa et l'arrivée en France. Cette durée me paraît raisonnable.
Enfin, l'amendement prévoit une disposition qui répondra peut-être à l'une de vos demandes. En effet, dans un souci de simplification,...
M. David Assouline. Bien sûr !...
M. Robert del Picchia. Je voudrais terminer, monsieur Assouline ! Je ne vous ai pas interrompu !
Dans un souci de simplification, dis-je, il convient de prévoir que le visa de long séjour délivré au conjoint étranger d'un ressortissant français vaut, en lui même, titre de séjour et autorisation de travail pendant une durée d'un an. Le conjoint de Français n'aura donc pas à se présenter en préfecture lors de son arrivée en France pour obtenir une carte de séjour temporaire. C'est le minimum que nous pouvons faire.
Telles sont les propositions formulées dans cet amendement, que je vous demande d'adopter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Buffet au nom de la commission est ainsi libellé :
Supprimer les 1°, 2° et 2° bis du I de cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je dois à la vérité de dire que la commission a longuement débattu de l'opportunité d'appliquer aux conjoints de Français le même dispositif que celui qui est prévu à l'article 1er du projet de loi et elle a conclu que la situation de ces conjoints n'était pas exactement identique à celle d'un couple d'étrangers.
Mme Catherine Tasca. Certes !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a donc décidé de proposer un amendement visant à supprimer l'obligation pour les conjoints de Français résidant à l'étranger et souhaitant rejoindre leur conjoint français en France de passer un test de langue et de suivre, le cas échéant, une formation linguistique et civique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)