M. Guy Fischer. Voilà !
M. Charles Revet. C'est normal !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De façon complémentaire, les personnes actives, bénéficiant déjà de l'ancien système avant cette échéance, seraient toutes concernées par un processus d'harmonisation avec le code des pensions des pensions civiles et militaires de retraite. Ce processus serait conduit selon une modulation variant avec l'âge des assurés sociaux et leur ancienneté. Il va de soi que les jeunes cotisants feraient l'objet d'une harmonisation plus poussée que ceux qui sont sur le point de partir en retraite. C'est là le champ de la négociation collective à ouvrir. Parallèlement, les droits acquis des actuels retraités devront naturellement être respectés.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Clairement, c'est ce schéma qui a notre préférence.
M. Guy Fischer. Celui de la droite revancharde !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a déjà prévalu pour la chambre de commerce et d'industrie de Paris en 2005, pour France Télécom en 1997 et, dès 1981, pour l'ancienne SEITA.
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. À titre personnel, j'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens pour l'ensemble des régimes spéciaux, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2006.
Au lieu de procéder au changement brutal ou à la remise en question des situations acquises, évoqués de façon caricaturale par certains observateurs, ce mode opératoire consisterait simplement, pour prendre une image, à « fermer le robinet » des régimes spéciaux, et à le faire vite, car la pratique montre, je le rappelle, qu'il faut soixante ans pour mettre totalement en extinction un régime de retraite.
Parmi les différentes solutions techniques envisageables, celle-ci me semble, et de loin, la meilleure. D'abord, parce qu'elle présente le mérite d'être simple et crédible. Ensuite, parce qu'elle donne l'assurance de réaliser des économies substantielles et progressives pour les finances sociales et les finances publiques. Certes, on peut objecter que le basculement sur le régime général, ainsi que sur l'AGIRC et l'ARRCO, se traduirait aussi par l'intégration des primes dans l'assiette de cotisation, mais ce surcoût ponctuel sera marginal eu égard à l'économie réalisée par rapport aux règles des pensions qui régissent les trois fonctions publiques.
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'avez compris, notre commission a la volonté d'agir en tant que force de proposition dans le débat qui s'ouvre sur les régimes spéciaux. Bien que de nature réglementaire au regard de notre Constitution, ce sujet essentiel ne saurait être étranger aux préoccupations du Parlement ni réservé aux partenaires sociaux et aux directions des grandes entreprises nationales. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, d'avoir engagé cette concertation, et je souhaite que nous puissions refaire le point sur ce dossier avant que vous ne preniez les décrets. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà donc enfin venu le moment, pour notre pays, de mener à bien la réforme, jusqu'à présent toujours repoussée, des régimes spéciaux de retraite.
Cette décision du Président de la République a bien sûr une portée politique, économique et sociale majeure. Sur ce dossier en particulier, peut-être plus encore que sur les autres, il fallait marquer une rupture avec le passé. C'est désormais chose faite, et le statu quo va être remis en cause.
Cette réforme, nous l'attendions depuis longtemps, monsieur le ministre, et nous nous sommes attachés à la préparer tout au long de la précédente législature. La commission des affaires sociales la soutiendra donc avec détermination.
Il est encore trop tôt dans le déroulement du processus de réforme pour en connaître dès aujourd'hui les contours précis. Mais, comme Nicolas About, j'incline naturellement à préférer une harmonisation prenant pour référence les caisses de retraite du secteur privé, plutôt que le régime, toujours plus coûteux, des trois fonctions publiques. Il serait, je crois, naturel et juste, d'affilier les futurs employés de la SNCF, de la RATP et des industries électriques et gazières - pour ne parler que des plus importantes - au régime général, d'une part, et, bien évidemment, aux régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, d'autre part.
L'enjeu principal consiste toutefois à sortir de l'impasse actuelle et à faire en sorte que ces fameux régimes ne soient plus un monde à part, totalement immobile, au sein du paysage français des retraites. Il faut aller dans le sens d'un rapprochement des principaux paramètres de la retraite, par exemple celui de la durée de cotisation, pour aboutir à une sorte de socle minimum de solidarité. Si nous voulons conserver le système de répartition auquel nous tenons, nous sommes convaincus que la solidarité nationale ne s'exprimera que si nous adoptons des paramètres convergents, voire identiques, pour les bénéficiaires des différents régimes.
Je me rallierai donc, si tel devait être le choix définitif, à la solution consistant à harmoniser les régimes spéciaux avec ceux de la fonction publique.
M. Guy Fischer. Quand même !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Notre commission a d'ailleurs élaboré un certain nombre de propositions pour accompagner cette réforme.
L'objectif est non seulement de changer la situation actuelle, perçue comme inacceptable par nos compatriotes, mais surtout d'enrayer, au moyen de mesures énergiques, la dynamique de progression des dépenses.
En ma qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale, depuis 2001, d'une part, et de rapporteur de la commission des affaires sociales du projet de loi portant réforme des retraites en 2003, d'autre part, je vous suggère, monsieur le ministre, d'appliquer un ensemble de dispositions que je regrouperai en trois volets.
Tout d'abord, il s'agit d'« arrimer » solidement les grands régimes spéciaux à celui de la fonction publique. Cela suppose de prévoir que, sauf exception, les règles du code des pensions civiles et militaires de retraite ont désormais vocation à leur être appliquées. Il est aussi nécessaire de créer une caisse de retraite dans tous les petits régimes qui en sont aujourd'hui dépourvus.
Il faut aussi instituer pour chacun des régimes spéciaux, comme cela a été fait en 2004 dans la fonction publique, un système de retraite additionnel obligatoire par points, dont l'assiette sera constituée par une partie des primes des assurés sociaux.
Ensuite, c'est la deuxième priorité, il convient de redresser les comptes.
S'il n'est pas question de revenir sur la situation des retraités actuels, comme cela a déjà été souligné, ni de faire reposer les efforts demandés sur les actifs les plus âgés, il est, en revanche, légitime de mettre en oeuvre des mesures fortes pour les « nouveaux entrants ».
Il faudrait aussi compléter, par l'entrée en vigueur rapide du système de décote, l'augmentation prévue jusqu'à quarante ans de la durée de service nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je suggère, au passage, de synchroniser le calendrier de mise en oeuvre de la décote avec celui de la surcote, dont l'objet consiste inversement à encourager l'allongement de la durée d'activité. C'est une question de bon sens.
Enfin, je propose de supprimer les « clauses-couperets » prévoyant toujours, dans de nombreux régimes spéciaux, la mise à la retraite d'office des assurés sociaux à un âge précoce, souvent inférieur à soixante ans. Cela donnerait la possibilité à ceux qui le souhaitent de travailler jusqu'à soixante-deux ans, voire soixante-cinq ans.
Enfin, permettez-moi, monsieur le ministre, de faire une dernière suggestion : celle de ne pas exclure, par principe, les régimes spéciaux du champ d'application de la future réforme des retraites de 2008, quitte à prévoir une phase de transition destinée à y introduire les modifications qui seront apportées l'an prochain au code des pensions civiles et militaires de retraite. Il serait, en effet, fâcheux de rattraper le retard accumulé entre 1993 et 2008 par rapport aux autres caisses de retraite et, surtout, de ne pas prolonger au-delà cette démarche d'harmonisation.
M. Guy Fischer. M. le ministre s'est engagé à ne toucher à rien en 2008 !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Notre commission souhaite aussi profiter de ce débat pour vous faire part des inquiétudes que lui inspire le processus de concertation avec les organisations syndicales.
Au Sénat, nous sommes nombreux à être préoccupés par les contreparties qui pourraient être accordées par les directions des grandes entreprises nationales, dans le cas où elles aboutiraient à vider la réforme d'une partie de sa substance.
De ce point de vue, comme M. About l'a indiqué, la réforme du régime de retraite de la Banque de France, qui a été menée au début de l'année 2007, ne me semble pas être un exemple à suivre. (M. Guy Fischer s'exclame.)
Pourra-t-on éviter la création de nouveaux avantages qui se substitueraient à ceux qui auront été supprimés ou bien l'augmentation des salaires pour compenser la hausse des cotisations ?
Saura-t-on éviter la création de dispositifs de cessation progressive d'activité, coûteux pour la collectivité nationale et avantageux pour les ressortissants des régimes spéciaux ou bien la définition d'une conception extensive de la « catégorie active » autorisant des départs précoces ?
En se fondant notamment sur le rapport déjà oublié de la Cour des comptes d'avril 2003, on constate que le code des pensions constitue une référence juridique à la fois perfectible et coûteuse, surtout si on la compare au secteur privé. Je pense en particulier - mais cela a été dit et on le sait maintenant - aux diverses modalités de bonification des pensions ou aux nombreuses possibilités dérogatoires de départ avant soixante ans, qui concernent près des deux tiers des fonctionnaires, ceux qui n'ont pas été touchés par les autres mesures, notamment celle de l'allongement à quarante ans, prises, quoi qu'on en dise, lors des réformes de 2003. Toutes ces règles mériteraient, elles aussi, d'être remises à plat, à l'occasion du fameux rendez-vous de 2008 sur les retraites.
Cette réforme des régimes spéciaux de retraite me conduit à revenir sur le dossier des adossements aux caisses de retraite du secteur privé.
L'adossement est cette procédure comptable et financière très complexe qui, moyennant une soulte, a conduit à étendre la solidarité interprofessionnelle aux retraites des gaziers et des électriciens. Ce schéma a été utilisé pour les industries électriques et gazières, les IEG, en 2004 ; il pourrait, dit-on, être reconduit pour la RATP, voire la SNCF.
Au cours des dernières années, le Sénat a veillé à sécuriser au niveau législatif la mise en oeuvre de ces adossements. La commission des affaires sociales, en particulier, a obtenu que figurent dans le code de la sécurité sociale le principe de « stricte neutralité financière » des adossements pour les assurés sociaux du secteur privé, l'obligation d'information par les caisses de retraite tout au long des vingt-cinq années de l'adossement et le principe d'un contrôle accru du Parlement.
Or, il faut bien le dire, sur ce dernier point, la commission des affaires sociales constate qu'elle continue à n'avoir connaissance des opérations préparant les futurs adossements qu'au travers de la lecture de la presse - c'est toujours très intéressant - et elle demande donc le renforcement des garanties de neutralité de l'opération pour le régime général.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur la nécessité d'établir un lien entre ce dossier des adossements et la réforme des régimes spéciaux que le Gouvernement s'apprête à conduire.
Pour conclure, j'observe que, depuis 1995, le temps a passé et les mentalités de nos concitoyens ont beaucoup évolué. Notre pays est prêt ; il attend une réforme de grande ampleur des régimes spéciaux.
Le Parlement en général, le Sénat en particulier, doit prendre sa part dans cette réforme et exercer un suivi attentif des négociations dans les grandes entreprises nationales. La commission des affaires sociales s'y est préparée de longue date. Le débat d'aujourd'hui fournit aux parlementaires que nous sommes une première opportunité d'intervention.
Voici, monsieur le ministre, une note présentant la synthèse des positions de la commission des affaires sociales. (M. Dominique Leclerc, rapporteur, remet à M. le ministre la note de synthèse de la commission des affaires sociales. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Nicolas About et notre collègue Dominique Leclerc ont bien mis en exergue les travaux de la commission des affaires sociales sur la question, ô combien sensible, de l'avenir des régimes spéciaux. Je suis convaincu que nos propositions fourniront une contribution à la fois utile et originale dans le débat public que nous appelons de nos voeux.
Pour avancer sur les régimes spéciaux, le Gouvernement aura besoin de continuer à bénéficier non seulement du soutien du Parlement, mais également d'un fort soutien de l'opinion publique. Nous tenterons de nous y employer.
En ma qualité de président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, je me bornerai donc à compléter les propos de mes collègues sur trois points précis : premièrement, le coût de ces régimes pour les finances publiques et les finances sociales ; deuxièmement, la nécessité de profiter de la réforme annoncée par le président de la République pour mettre fin aux dérives des systèmes de compensation démographique ; troisièmement, l'urgence de promouvoir davantage de transparence dans le mode de financement de ces caisses de retraite.
À ce stade de mon propos, monsieur le ministre, j'ajouterai une remarque. Si, effectivement, toutes les mesures que vous allez prendre sont d'ordre purement réglementaire et n'appellent pas de dispositions législatives, vous savez quand même que leurs conséquences sur les lois de financement de la sécurité sociale ne seront pas nulles. Si le Parlement n'avait pas été consulté, associé à la réforme, il aurait toujours eu la possibilité, au moment de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, de ne pas voter les crédits sous le prétexte que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements. C'est aussi la solution dont dispose un conseil municipal face au maire : ce dernier peut bien prendre un certain nombre de mesures, mais si le conseil municipal ne vote pas, dans le budget, les crédits nécessaires à leur mise en oeuvre, le maire ne sera pas plus avancé !
Par conséquent, le Gouvernement a été bien inspiré et a eu raison d'associer en amont le Parlement à sa réflexion. Je ne doute pas un seul instant, d'ailleurs, que telle était sa volonté.
Il faut que nos concitoyens sachent que les réformes que vous engagerez sont le résultat d'un travail effectué en partenariat entre le Gouvernement et le Parlement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Faute d'informations statistiques, il est quasiment impossible de savoir combien coûte à la collectivité nationale le maintien des régimes spéciaux. Le débat d'aujourd'hui nous fournit l'occasion d'aborder cette question quelque peu dérangeante.
Les régimes spéciaux, dans leur quasi-majorité, sont avant tout caractérisés par leur insuffisance structurelle de financement et présentent tous des ratios démographiques très défavorables. Leur survie n'est donc possible que grâce à l'apport de ressources extérieures, à hauteur de 60 % aujourd'hui, et de plus encore d'ici à trente ans si l'on n'agit pas maintenant.
Selon le rapport de la Cour des comptes de septembre 2006 sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale, la masse des pensions versées par les régimes spéciaux peut être ventilée en trois composantes : premièrement, les pensions qui seraient versées si les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite étaient celles des régimes de droit commun, c'est-à-dire le régime général et les régimes complémentaires ; deuxièmement, les avantages spécifiques liés à leurs règles plus favorables ; enfin, troisièmement, le coût du déséquilibre démographique stricto sensu.
Il n'existe malheureusement encore aucune étude permettant d'évaluer avec précision l'importance relative de ces différents facteurs. Tout juste peut-on indiquer qu'à l'occasion des travaux préparatoires de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières le ministère des finances avait précisé à notre collègue Dominique Leclerc que le surcoût du « chapeau » du régime des IEG s'expliquait grosso modo, pour moitié, par la précocité des départs en retraite et, pour le reste, par le mode de calcul plus favorable des pensions.
La question controversée du coût des régimes spéciaux nécessiterait donc des investigations complémentaires importantes qui font aujourd'hui défaut de la part des statisticiens publics. Nous disposons toutefois de quelques informations absolument incontestables pour en approcher la réalité.
Pour les soixante prochaines années, les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux s'élèvent à environ 300 milliards d'euros, comme l'a dit tout à l'heure le président Nicolas About. Cette somme se décompose de la façon suivante : 105 milliards d'euros pour la SNCF, 90 milliards d'euros pour les IEG ; 27 milliards d'euros pour les marins, 25 milliards d'euros pour les mines - j'ai cru comprendre qu'on voulait avoir une démarche plutôt prudente vis-à-vis des marins et des mines... -, 23 milliards d'euros pour la RATP et 12 milliards d'euros pour la Banque de France. Vous conviendrez qu'il s'agit d'une somme considérable !
Le président Nicolas About l'a rappelé également, il existe une forte disproportion entre le faible nombre des cotisants - 471 000 pour 24,4 millions d'actifs, soit 1,9 % - et la part relative des retraités des régimes spéciaux - 1,1 million sur un total de 13,5 millions, soit 8,1 % - dans la population française. Par conséquent, nous sommes aujourd'hui dans la situation suivante : à l'inverse du régime général, il y a moins d'un actif pour deux retraités dans les régimes spéciaux. Vous comprendrez qu'une telle situation ne peut perdurer. Au fil du temps, le régime général connaîtra également une dégradation.
Le montant des retraites versées par les sept grands régimes va s'accroître : il était de 11,8 milliards d'euros en 2003 ; le conseil d'orientation des retraites l'estime à 13,7 milliards en 2020 et à 18,1 milliards en 2050.
Leur besoin de financement, qui était de 7 milliards d'euros en 2003, passerait à 10,3 milliards en 2020, 10,8 milliards en 2040, puis 12,8 milliards en 2050. À législation inchangée, le recours croissant à la solidarité nationale est donc massif et inévitable.
Au total, il est quasiment impossible de savoir combien « coûte » à la solidarité nationale le maintien de ces régimes. Pour ma part, j'estime intuitivement à 6 milliards d'euros, au minimum, par an, le surplus de prestations versées, par rapport à la situation théorique qui verrait ces assurés sociaux affiliés au régime général et à l'AGIRC - l'ARRCO. Pour vous donner un point de repère, ces 6 milliards d'euros représentent environ la moitié du budget de l'enseignement supérieur en 2006.
Il paraît utile - le bureau et la commission des finances pourraient y réfléchir, monsieur le président du Sénat - de renforcer les moyens budgétaires de la commission des affaires sociales et de la MECSS, afin que nous puissions pousser nos investigations et faire appel à des bureaux d'études, si nécessaire extérieurs, pour mener à bien notre travail et aider le Gouvernement dans la connaissance, aussi précise que possible, de ce que représente le coût des régimes spéciaux dans le budget de la sécurité sociale.
M. le président. Je compte sur vous pour déposer un amendement pendant la discussion budgétaire, afin d'augmenter la dotation du Sénat. Ainsi, vous aurez satisfaction !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je compte aussi sur vous pour me soutenir, monsieur le président, si l'amendement était déposé.
Je suis également convaincu, monsieur le ministre, que nous devons profiter de cette future réforme des régimes spéciaux pour apporter davantage de transparence et améliorer ainsi l'information de l'opinion publique, dont le soutien apparaît déterminant sur ce dossier.
Je propose d'introduire pour ces caisses de retraite l'obligation de publier, dans leurs rapports annuels, différentes données : le niveau des engagements de retraite à moyen et long terme, les principales caractéristiques de la population d'assurés sociaux, la répartition entre ressources propres et ressources extérieures du régime.
De la même manière, le Parlement trouverait utile de disposer de meilleurs indicateurs sur les régimes spéciaux dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, dans le projet de loi de finances, pour la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Ces éléments nous permettraient une comparaison entre les trois fonctions publiques et le régime général sur les âges de départ à la retraite - puisque la fonction publique est la référence -, notamment avant cinquante-cinq ans et soixante ans, sur la pension moyenne des retraités, sur la réalité du cumul emploi-retraite et sur l'espérance de vie des assurés au moment de leur départ en retraite...
Nos concitoyens veulent savoir, ce qui m'apparaît légitime et naturel, comment sont financés les avantages spécifiques des régimes spéciaux en matière de retraite. La réforme que nous sommes sur le point d'engager doit aussi résoudre ce problème.
J'ajouterai un dernier mot sur l'argument de la pénibilité que vous avez évoqué, monsieur le ministre, pour justifier le statu quo. Je ne conteste pas la difficulté du métier des conducteurs de train. Mais, heureusement, leurs conditions de travail n'ont rien à voir avec celles qui prévalaient voilà cent ans ! La pénibilité est une notion évolutive très difficile à prendre en compte objectivement.
M. David Assouline. On disait déjà cela il y a un siècle !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela nécessiterait des investigations suffisamment poussées pour que nous puissions avoir une opinion totalement objective sur ce sujet.
M. Guy Fischer. C'est comme la pénibilité du métier de paysan !
M. Alain Vasselle, rapporteur. La pénibilité a évolué ; elle n'est plus de même nature, monsieur Fischer !
Enfin, j'estime que la remise à plat des régimes spéciaux doit être l'occasion de refonder le système de compensation démographique entre toutes les caisses de retraite. Ce système redistribue chaque année 10 milliards d'euros, notamment en direction de la SNCF, des mineurs et des marins.
Au fil du temps, la complexité de ce mécanisme n'a fait que s'accroître, tandis que l'État en modifiait les règles à plusieurs reprises, en fonction de ses intérêts. Dans un rapport publié en décembre 2006, la MECSS, que je préside, avait proposé de mettre un terme à ces dérives. Nous avions appelé à la mise en extinction progressive, d'ici à 2012, de la « surcompensation », ce mécanisme de transferts entre les seuls régimes spéciaux par le biais du « pompage » des excédents de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, très chère à notre collègue Domeizel !
Nous avions aussi souhaité un moratoire sur le mode de fonctionnement actuel des mécanismes de la compensation démographique entre tous les régimes sociaux. Sur ce sujet, à nouveau, il serait légitime d'introduire l'obligation d'une information préalable des commissions parlementaires compétentes avant tout changement de règles.
Je serais même favorable à ce qu'une modification des règles de la compensation démographique ne puisse intervenir que dans la loi de financement de la sécurité sociale. Il faut tirer tous les enseignements des réformes constitutionnelles que nous avons engagées et donner à la loi de financement de la sécurité sociale le rôle souhaité par le constituant. Voilà, mes chers collègues, une dimension « collatérale » de la réforme des régimes spéciaux.
En 2003, on s'en souvient, notre majorité avait fait le choix politique de laisser de côté les régimes spéciaux. Cette décision s'expliquait par le traumatisme des grèves de 1995 et par le fait que notre priorité était alors d'assurer le succès du socle de la réforme des retraites. La loi du 21 août 2003 prévoit une clause de rendez-vous pour prendre les mesures d'ajustement qui s'imposent. Ce débat, prévu en 2008, aura été précédé par la réflexion que nous ouvrons ce matin sur les régimes spéciaux. Il appartiendra au Gouvernement de la mettre en oeuvre et au Parlement d'y contribuer.
Mes chers collègues, tels sont les éléments d'information que je souhaitais livrer à votre réflexion.
Monsieur le ministre, je tiens à vous assurer de notre soutien pour cette réforme ambitieuse, qui ne sera certainement pas facile à réaliser. Mais je suis persuadé que l'opinion publique est convaincue de sa nécessité. Bien entendu, certains continueront de s'y opposer, mais c'est l'intérêt général qui doit primer dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chaque groupe dispose d'un temps de parole de trente minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le Gouvernement d'avoir inscrit à l'ordre du jour de nos travaux ce débat sur les régimes spéciaux. L'occasion nous est aujourd'hui donnée d'affirmer avec force la nécessité du changement dans un domaine où les réformes sont plus que jamais nécessaires.
Le Gouvernement prouve ainsi sa volonté de résoudre les difficultés liées au financement de nos retraites dans un esprit de transparence et de concertation la plus large possible.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat a beaucoup travaillé, et ce depuis longtemps, sur la difficile question des retraites. Examinons ce qui a été fait.
Notre majorité peut être fière des décisions courageuses et parfois impopulaires, mais nécessaires, qu'elle a prises depuis l'apparition du problème. Dès 1993, nous avons voté la loi présentée par le gouvernement d'Édouard Balladur visant à réformer le régime général et les régimes dits « alignés ». Cette loi a permis de porter progressivement de 37,5 annuités à 40 annuités la durée des cotisations nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein.
Dix ans plus tard, notre majorité a également approuvé la loi présentée par François Fillon, alors ministre des affaires sociales. Grâce à ce texte, nous avons préservé la retraite par répartition et accompli un pas décisif vers l'égalité entre les salariés du privé et du public en harmonisant la durée de cotisation, fixée à quarante ans pour tous.
La loi portant réforme des retraites de 2003, fruit d'une ferme volonté politique partagée par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et notre majorité, est un motif de fierté pour cette dernière, qui a prouvé qu'elle voulait prendre à bras-le-corps les problèmes qui engagent l'avenir de la nation.
Ces réformes, qui étaient nécessaires, ont commencé à porter leurs fruits. Les Français savent que le financement de leur retraite est assuré et que le principe de la répartition est sauvé. Nous devons désormais garder le cap pour asseoir la pérennité de ce régime.
Les évolutions déjà engagées doivent donc être prolongées dans l'esprit volontariste de la loi de 2003, qui prévoyait une reprise de la concertation en 2008, c'est-à-dire l'année prochaine.
Des actes forts sont indispensables, afin de poursuivre l'oeuvre de redressement entreprise et d'aboutir à une vraie égalité de condition entre tous les salariés français.
Oui, la réforme s'impose ! Ne rien faire nous exposerait à être les victimes des mutations démographiques qui s'annoncent. Si nous ne pouvons que nous réjouir de l'allongement de l'espérance de vie moyenne des Français, qui traduit le haut niveau de développement de notre pays, une telle évolution a pour conséquence, en l'état actuel de la fécondité, le vieillissement de la population française : la proportion de personnes âgées de plus de soixante ans devrait passer de 21 % de la population totale, en 2005, à 27,3 %, en 2020, et celle des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans de 16,6 % à 21 %.
En 2050, suivant le scénario de base de l'INSEE, plus d'un tiers de la population aura plus de soixante ans. Le poids des actifs au sein de la population totale est appelé à décroître.
L'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, dans notre pays, l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés. Dans le même ordre d'idées, le taux d'activité des personnes âgées de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans atteint, en 2006, 37,6% dans notre pays, contre 45,3 % dans l'Union européenne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela ne se compare pas !
M. Alain Gournac. J'ai encore la possibilité de le faire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des statistiques ! Il faut notamment prendre en compte la part des femmes qui travaillent ! Vous enfilez des perles !
M. Alain Gournac. D'une part, ce taux est très éloigné de l'objectif de 50 % fixé à l'horizon 2010 dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. D'autre part, et surtout, ces chiffres prouvent que notre système actuel décourage le travail des quinquagénaires et des sexagénaires.
M. Jean-Luc Mélenchon. On les met dehors !
M. Alain Gournac. C'est un vrai scandale, que le Président de la République n'a d'ailleurs pas manqué de dénoncer avec force dans le discours qu'il a prononcé dans les locaux de notre assemblée le 18 septembre dernier, devant l'Association des journalistes de l'information sociale.
Si aucune mesure nouvelle n'est prise, la proportion des actifs au sein de la population française aura tellement diminué que la charge financière qui pèsera sur eux deviendra insupportable.
M. Guy Fischer. Les bénéfices des entreprises qui sont cotées au CAC 40 continuent d'exploser !
M. Alain Gournac. Seule une politique volontariste peut prévenir la dégradation qui s'annonce. C'est pourquoi il est de notre devoir de favoriser l'augmentation du taux d'emploi pour assurer la viabilité de notre système de protection sociale, auquel, nous le savons, les Français sont très attachés.
La préservation de nos grands équilibres sociaux et économiques passe nécessairement par l'allongement de la durée de cotisation, y compris pour les actifs qui relèvent actuellement des régimes spéciaux.
Oui, il est urgent d'agir ! En effet, la Cour des comptes, dont personne ne pourra contester l'objectivité, recommandait, dès septembre 2006, la réforme de ces régimes, en mettant en oeuvre les principes inscrits dans la loi de 2003.
L'âge de la retraite est précoce dans les régimes spéciaux en raison des bonifications d'annuités. À la SNCF, l'âge de départ à la retraite est fixé à cinquante-cinq ans. Mais, grâce aux bonifications d'annuités liquidables, accordées en raison de la nature des emplois occupés, le départ à la retraite peut être anticipé de cinq ans.
De plus, ces régimes ont conservé la règle des 37,5 annuités nécessaires pour liquider la retraite à taux plein. Quelle que soit la durée de la carrière validée, le taux d'annuité est garanti - 2 % -, alors que, dans le régime général, la durée de cotisation est de 40 annuités.
Il résulte de cette situation un déséquilibre financier. Certains des déficits engendrés, comme celui de la SNCF, qui atteint 3 milliards d'euros, sont compensés en partie par l'État. Mais qui les finance ? Ce sont les salariés du régime général ! Il s'agit non pas de stigmatiser telle ou telle profession, telle ou telle entreprise, ...
M. Guy Fischer. Non, à peine !
M. Alain Gournac. ... mais de chercher l'équité entre salariés.
Mes chers collègues, vous le savez, le Président de la République a réaffirmé de façon ferme et précise son engagement à traiter la question des régimes spéciaux. Nous devons agir pour permettre le respect de cet engagement. C'est une question de cohérence politique et de justice. Le vote des Français nous oblige.
Bien sûr, une phase de concertation est un préalable à cette réforme, et il n'a jamais été question de la refuser. Nous savons que la solidarité nationale doit être fondée sur la transparence. Vous l'avez d'ailleurs prouvé, monsieur le ministre, puisque c'est sous votre autorité qu'un dialogue de fond a été engagé, dès le 19 septembre dernier, avec les partenaires sociaux. Vous n'avez d'ailleurs pas manqué de rappeler que certains métiers, tel celui de marin pêcheur, dont la pénibilité est toujours aussi forte, ne seraient pas concernés par la réforme. Ce n'est que justice !
J'en suis sûr, mes chers collègues, notre majorité est déterminée à agir, tant pour parvenir à l'égalité entre tous les salariés que pour permettre à tous les futurs retraités de bénéficier d'une retraite à taux plein.
Nous devons prendre nos responsabilités et compenser le basculement démographique annoncé en augmentant l'activité pour tous les salariés, et tout particulièrement en favorisant l'emploi des personnes âgées de cinquante-cinq ans et plus.
Des mesures ont été prises dans le cadre de la réforme des retraites engagée en 2003 et du plan national d'action concerté pour l'emploi des séniors élaboré en 2006. Elles devront évidemment être poursuivies et amplifiées.
D'ores et déjà, le Gouvernement a inscrit des dispositions dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 afin d'encourager le travail et la prolongation d'activité des séniors et d'inverser la logique infernale qui incite les employeurs à se débarrasser de ces salariés et décourage les intéressés à reprendre un travail.
Monsieur le ministre, nous soutiendrons le Gouvernement dans sa volonté de réforme parce que nous sommes conscients de notre responsabilité devant les Français et convaincus qu'il est urgent d'agir.
Le groupe de l'UMP aidera le Gouvernement dans ses choix responsables et volontaires pour tenir les engagements pris par le Président de la République devant les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)