PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. L'amendement n° 80, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
I. Après le premier alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Est considérée comme une privation de liberté toute forme de détention ou d'emprisonnement ou le placement dans un établissement public ou privé de surveillance dont la personne n'est pas autorisée à sortir de son gré, ordonné par une autorité judiciaire ou administrative ou toute autre autorité publique.
Toute privation de liberté est considérée comme illégale si le lieu dans lequel elle se déroule n'a pas fait l'objet d'une déclaration préalable auprès du contrôleur général.
II. En conséquence, rédiger ainsi le début du deuxième alinéa de cet article :
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce...
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Si, comme je l'ai dit ce matin, nous sommes satisfaits que le contrôle ne porte plus uniquement sur les prisons - comme nous y oblige de toute façon le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants -, nous souhaiterions néanmoins être sûrs que le contrôleur général pourra contrôler tous les lieux de privation de liberté, sans exception.
Nous aurions pu dresser la liste de ces lieux, mais je vous en fais grâce, mes chers collègues, supposant que vous la connaissez aussi bien que moi.
Quoi qu'il en soit, une telle liste serait tout à fait susceptible d'évoluer et aurait l'inconvénient, comme toutes les listes, de ne pas être forcément exhaustive.
C'est pourquoi nous avons fait le choix de définir ce qu'est une privation de liberté, en reprenant les termes du protocole précité, afin de permettre au contrôleur général de visiter tous les lieux correspondant à cette définition.
Ainsi, sa liberté serait totale, quelle que soit l'évolution des lieux privatifs de liberté : si d'autres structures de cette nature sont créées, elles entreront automatiquement dans le champ du contrôle.
Par ailleurs, tous les lieux de privation de liberté devront être systématiquement déclarés au contrôleur général, afin qu'aucun ne puisse échapper à son action. Je pense notamment au cas des locaux de rétention administrative, dont le nombre et la localisation fluctuent en fonction des besoins du moment.
Nous proposons donc de soumettre la légalité d'une mesure de privation de liberté à la condition de déclaration préalable auprès du contrôleur général du lieu où elle est exécutée.
Notre amendement vise, ni plus ni moins, à renforcer les pouvoirs du contrôleur général.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 80 tend à définir la privation de liberté sur le modèle de la rédaction retenue par le protocole facultatif à la convention des Nations unies.
Il a en outre pour objet d'instaurer une déclaration préalable auprès du contrôleur général de l'ouverture de tout nouveau lieu de privation de liberté, faute de quoi la détention serait illégale.
Si la sanction de l'absence de déclaration préalable apparaît inadaptée, il est souhaitable, en revanche, que le contrôleur général puisse être informé du nombre exact de lieux de privation de liberté. Le Gouvernement pourra peut-être nous donner des précisions sur ce point. Dans la mesure où je pense que nous obtiendrons des éclaircissements suffisants, je demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement comporte deux aspects.
Tout d'abord, il présente une définition de la privation de liberté, reprise du protocole facultatif à la convention des Nations unies.
Ensuite, il prévoit une déclaration préalable auprès du contrôleur général de tout lieu de privation de liberté, qu'il s'agisse de locaux de garde à vue, d'un centre de rétention ou d'un lieu d'emprisonnement.
Or si communiquer la liste des lieux de privation de liberté ne pose aucun problème, rendre illégale la mesure de détention, de rétention ou d'hospitalisation d'office en l'absence de déclaration préalable auprès du contrôleur général du lieu où elle est exécutée pourrait soulever des difficultés, sur le plan juridique et sur celui de la sécurité.
En particulier, une personne peut se voir notifier ses droits dans la rue, en vue de son placement en garde à vue, au moment même de l'interpellation. Elle se trouve dès cet instant privée de sa liberté, et l'on peut s'interroger sur le traitement d'un tel cas au regard de la disposition présentée par les auteurs de l'amendement. Comment jugera-t-on cette situation ?
Je le répète, transmettre au contrôleur général la liste des lieux de privation de liberté ne suscite aucun problème, mais il ne faudrait pas que l'absence de déclaration préalable du lieu d'exécution rende illégale la mesure de placement en détention ou en garde à vue, car ce lieu est forcément inconnu au moment où la mesure est prise. Par exemple, le placement d'un mineur en centre éducatif fermé par un juge des enfants pourrait être considéré illégal si le centre vient d'ouvrir et n'a pas fait l'objet d'une déclaration préalable auprès du contrôleur général.
Par conséquent, dans la mesure où cet amendement lie la légalité de la privation de liberté à la déclaration préalable du lieu où elle s'exerce, nous y sommes défavorables.
M. le président. Madame Assassi, l'amendement n° 80 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le président, je le maintiens.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté est nommé par décret pour une durée de six ans. Son mandat n'est pas renouvelable.
Il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l'expiration de son mandat qu'en cas de démission ou d'empêchement.
Les fonctions de contrôleur général des lieux de privation de liberté sont incompatibles avec toute autre activité professionnelle ou tout mandat électif.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Avec l'article 2, nous commençons à aborder le vif du sujet.
Sur toutes les travées de notre assemblée, on s'accorde à estimer que le contrôleur général des lieux de privation de liberté doit constituer une autorité vraiment indépendante, comme il est affirmé à l'article 1er. D'ailleurs, cette autorité viendra s'ajouter à d'autres institutions du même type, déjà qualifiées d'autorités indépendantes : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui est une instance collégiale.
Cependant, nous nous apercevons finalement que les moyens d'instaurer une autorité indépendante ne sont pas au rendez-vous. En effet, il n'est pas très satisfaisant que le contrôleur général des lieux de privation de liberté soit nommé par décret simple : cela banalise considérablement la fonction. Les autorités que j'ai citées à l'instant sont nommées par décret pris en conseil des ministres ou par décret du Président de la République.
Nous aurons l'occasion, tout au long de ce débat, de nous reporter à ce que la commission des lois et le Sénat, dans son ensemble, voulurent en 2001.
En effet, la commission des lois du Sénat était allée beaucoup plus loin, à l'époque, que ne le prévoit le texte qui nous est soumis. Aujourd'hui, elle propose que le contrôleur général soit nommé par décret du Président de la République - tout de même ! - pris après avis consultatif - quelle modestie, quelle frilosité ! - des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Nous voici donc transformés en assemblée consultative ! Ce n'est pas très glorieux pour les défenseurs des prérogatives parlementaires.
Cela étant, le Gouvernement propose donc, pour l'heure, que le contrôleur général soit nommé par décret simple, ce qui appelle deux observations.
En premier lieu, cela est en contradiction avec les préconisations de la mission Canivet, qui prévoyait au moins une nomination par décret du Président de la République, sur proposition de la Commission nationale consultative des droits de l'homme : toujours cette tendance, soit dit en passant, à s'adresser à des organismes, aussi vénérables et utiles soient-ils, plutôt qu'au Parlement ! Je le disais ce matin, on ne cesse de se méfier du Parlement. Cela est d'ailleurs également vrai, hélas ! lorsque la gauche est aux responsabilités.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est bien de le reconnaître !
M. Louis Mermaz. Eh oui, c'est la vérité ! Je suis historien, j'ai donc de la mémoire...
Par conséquent, on a toujours tendance à s'en remettre à d'autres institutions que le Parlement. C'est d'ailleurs une orientation constante sous la Ve République, qui ne fait que se préciser.
Quant à la proposition de loi Hyest-Cabanel, à laquelle nous ne cesserons de nous référer, elle prévoyait au moins une nomination par décret en conseil des ministres.
En second lieu, il faut tout de même se souvenir des promesses du candidat Nicolas Sarkozy, qui souhaitait faire avaliser par le Parlement les nominations des autorités indépendantes. Nous sommes vraiment là au centre du sujet !
Or Mme la garde des sceaux nous a dit qu'il fallait laisser travailler la commission Balladur et ne pas anticiper. Je ne vois pas du tout pourquoi nous serions soumis à une commission nommée. Nous sommes un Parlement élu, au suffrage universel direct pour l'Assemblée nationale, au suffrage universel indirect pour le Sénat.
Nous présenterons donc tout à l'heure une batterie d'amendements portant sur cet article. Nous souhaitons en particulier que le contrôleur général des lieux de privation de liberté soit nommé par décret du Président de la République, après un avis des commissions compétentes des deux assemblées liant ce dernier et pris - tenez-vous bien, mes chers collègues ! - à la majorité des trois cinquièmes de leurs membres. Nous instaurerions alors vraiment une autorité indépendante et digne des fonctions que nous voulons lui confier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, sur l'article.
M. Robert Badinter. Après M. Mermaz, je tiens à attirer l'attention de nos collègues sur l'importance de la procédure de nomination du contrôleur général et sur le choix de ce dernier. En effet, tant vaudra cette institution que vaudra le choix du contrôleur général, et particulièrement du premier titulaire de la fonction.
Dans mon intervention à la tribune, j'ai rappelé que, dans le protocole facultatif à la convention des Nations unies que nous devons ratifier, mention était faite des qualités que cette personne devait présenter : il devra s'agir d'une personnalité de haute moralité, ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l'administration de la justice, en particulier en matière de droit pénal et d'administration pénitentiaire ou policière ou dans les divers domaines ayant un rapport avec le traitement des personnes privées de liberté - on pense bien entendu au domaine psychiatrique.
Par conséquent, ce choix est essentiel. Une fois définies les qualités que le contrôleur général doit évidemment présenter, se pose la question des conditions de sa nomination.
Je laisse de côté le débat sur sa nomination par décret en conseil des ministres, qui pose un problème de constitutionnalité au regard de la loi organique.
Je m'en tiendrai à la réflexion suivante : il ne suffit pas de dire que la personnalité nommée présentera toutes les qualités parce qu'elle aura été choisie par l'exécutif ; son autorité sera d'autant plus grande si le Parlement - et plus particulièrement les commissions parlementaires en charge de ces questions - donne un avis favorable. La désignation d'un contrôleur dont la fonction est la défense des droits fondamentaux des personnes privées de liberté requiert le concours du Parlement ou, tout du moins, sa participation aux côtés du Gouvernement.
Nous allons plus loin : s'il s'agit d'un avis de la majorité donné à la majorité, l'autorité du contrôleur sera limitée. Il faut donc associer l'opposition à sa désignation afin que cette dernière fasse l'objet d'un consensus.
C'est la raison pour laquelle nous insistons sur ce point : non seulement les commissions compétentes du Parlement doivent être consultées, mais leur avis doit également être pris à la majorité des trois cinquièmes.
Ce point revêt une importance considérable, car, je le répète, tant vaudra le contrôleur que vaudront sa personnalité et les conditions de sa nomination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 61, présenté par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, après les mots :
par décret
insérer les mots :
du Président de la République, après avis des commissions compétentes de l'Assemblée Nationale et du Sénat pris à la majorité des 3/5 de leurs membres,
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. L'autorité que nous avons créée par l'article 1er ne sera reconnue que si elle est indépendante et incontestable. En conséquence, la mention d'une nomination par décret apparaît tout à fait insuffisante.
C'est pourquoi nous proposons que le contrôleur général des lieux de privation de liberté soit nommé par décret du président de la République, après avis des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat pris à la majorité des trois cinquièmes de leurs membres, comme l'avait annoncé le candidat à la présidence de la République.
M. le président. L'amendement n° 82, présenté par Mme Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, après les mots :
par décret
insérer les mots :
du Président de la République, après avis des commissions compétentes du Parlement,
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L'article 2 instaure un mode de nomination manifestement insatisfaisant : il ne semble pas de nature à garantir l'indépendance dont doit bénéficier l'institution que nous sommes en train de créer.
Le contrôleur général serait nommé par décret simple. Or il doit constituer une autorité, certes indépendante, mais aussi incontestable. La proposition de loi de 2001, telle qu'elle avait été déposée sur le bureau du Sénat, prévoyait déjà une nomination par décret du Président de la République.
Les associations, dans leur ensemble, souhaitent que le contrôleur soit nommé, directement ou indirectement, par le Parlement. Un tel dispositif existe d'ailleurs dans d'autres pays qui ont déjà mis en place un mécanisme national de prévention.
Nous aurions aussi pu imaginer que le contrôleur général soit choisi sur une liste préétablie par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Néanmoins, comme la nomination directe par le Parlement est, semble-t-il, impossible, nous avons fait le choix de prévoir que le contrôleur général soit nommé par décret du Président de la République - c'est un minimum ! -, mais pris après avis des commissions compétentes des deux assemblées parlementaires.
Ce choix me paraît être un compromis satisfaisant du point de vue à la fois de l'indépendance nécessaire du contrôleur et de ses compétences.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Hyest au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, après le mot :
décret
insérer les mots :
du Président de la République
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette précision est destinée à affirmer l'importance de la mission reconnue au contrôleur général ; elle figure d'ailleurs dans le statut de plusieurs autorités administratives indépendantes, comme la HALDE et le CSA.
J'indique à M. Mermaz que nous avions bien pensé à un décret en conseil des ministres ; c'est ce que nous avions prévu dans la proposition de loi de 2001. Mais cela nécessiterait un renvoi à la loi organique : la loi organique détermine les nominations qui sont faites en conseil des ministres et renvoie à un décret pour la fixation de la liste. On ne peut donc pas prévoir dans le présent texte - et Robert Badinter ne me démentira pas - que le décret sera pris en conseil des ministres.
Je rappelle que la nomination sera contresignée par au moins cinq ministres.
C'est tout de même le Président de la république qui nomme à tous les emplois civils et militaires de l'État ! La mission du contrôleur général est tellement importante que celui-ci ne peut être nommé que par décret du Président de la République, et non par un décret simple.
M. le président. L'amendement n° 50, présenté par M. Détraigne et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, après le mot :
décret
insérer les mots :
en Conseil des ministres
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 50 et 51 rectifié.
Ces deux amendements ont pour objet de conforter le rôle, la place et le pouvoir du contrôleur général, car il est important - cela a été souligné à de nombreuses reprises - que le contrôleur général ait une autorité morale et une indépendance qui soient incontestables. Il est donc nécessaire que la procédure de nomination soit mieux encadrée que celle qui est prévue dans le projet de loi.
Avec l'amendement n° 50, je proposais que le contrôleur général soit nommé par décret en conseil des ministres. Mais j'ai bien entendu les propos de M. le rapporteur. Je retire donc cet amendement au profit de celui que M. Hyest vient de nous présenter. L'idée est que la nomination du contrôleur général fasse l'objet non pas d'un décret simple, mais d'un décret du Président de la République.
L'amendement n° 51 tend à prévoir que la nomination ait lieu après avis des commissions compétentes de chaque assemblée. Cette proposition s'inscrit dans la ligne de ce que souhaite le Président de la République et des réflexions engagées par la commission présidée par M. Balladur.
M. le président. L'amendement n° 50 est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission.
L'amendement n° 51 rectifié est présenté par M. Détraigne et les membres du groupe Union centriste - UDF.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, avant les mots :
pour une durée
insérer les mots :
, après avis de la commission compétente de chaque assemblée,
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement vise à associer le Parlement, sous la forme d'un avis consultatif des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, à la procédure de nomination du contrôleur général.
Cette disposition - qui est parfaitement conforme à la Constitution actuelle - s'inscrit dans l'esprit des positions défendues par le Président de la République. Il y a d'ailleurs des précédents : le président de la Commission de régulation de l'énergie est nommé après avis des commissions du Parlement compétentes en matière d'énergie.
Si, demain, compte tenu des engagements du président de la République, la Constitution évolue pour associer encore plus complètement le Parlement aux nominations les plus importantes, nous aurons tout loisir de modifier un certain nombre de textes concernant les nominations.
Toutefois, nous tenons, sans attendre, à donner notre avis sur la nomination de ce personnage très important dont l'autorité, la compétence et le magistère moral doivent faire l'objet d'un relatif consensus.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien, mais aux trois cinquièmes !
M. le président. La parole est à M. Détraigne, pour présenter l'amendement n° 51 rectifié ?
M. Yves Détraigne. Je le retire au profit de l'amendement de la commission, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 51 rectifié est retiré.
L'amendement n° 19, présenté par MM. Lecerf et Portelli, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article avant les mots :
pour une durée
insérer les mots :
parmi quatre candidats proposés pour deux d'entre eux par la commission des lois de l'Assemblée nationale et pour les deux autres par la commission des lois du Sénat
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Cet amendement a le même objet que ceux qui ont été déposés par mes collègues des groupes CRC, socialiste, de l'UC-UDF, et par la commission des lois : il s'agit d'associer le Parlement à la désignation du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
L'amendement tend à prévoir que la commission des lois du Sénat et celle de l'Assemblée nationale proposent chacune deux candidats - il est quelquefois plus facile d'en proposer deux plutôt qu'un seul, pour des raisons aisées à deviner - parmi lesquels le Président de la République effectuerait son choix.
Toutefois, pour montrer à Mme la garde des sceaux ma bonne volonté - dont elle ne doute d'ailleurs pas ! -, je suis tout à fait prêt à retirer cet amendement et à voter contre les autres, à la condition qu'elle accepte au moins l'un d'entre eux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 61 tend à compléter celui de la commission en prévoyant que l'avis des commissions sur la nomination du contrôleur général est rendu à la majorité des deux tiers. Il me paraît préférable de nous en tenir à la proposition de la commission, qui peut se prévaloir d'un précédent...
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n'ai pas à me justifier, monsieur Sueur ! Vous demandez toujours « pourquoi ? » !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est que je veux comprendre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous connaissez très bien la réponse !
Cette solution nous paraît préférable parce que demander l'avis des commissions, c'est déjà aller très loin. Je vous garantis que l'avis sera forcément consensuel, sinon nous nous trouverions dans une situation que nous ne souhaitons pas.
M. Jean-Pierre Sueur. Raison de plus pour adopter cet amendement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 82 est satisfait par les amendements nos 2 et 3 de la commission.
Quant à l'amendement n° 19, il ouvre une piste de réflexion intéressante sur la procédure de nomination du contrôleur général et constitue une alternative à la formule proposée par l'amendement n° 3 de la commission.
La solution retenue par la commission me paraît préférable, parce qu'elle peut se prévaloir d'un précédent et qu'elle s'inscrit dans le cadre constitutionnel actuel, sans préjuger des éventuelles évolutions qui seront retenues en matière de nomination, notamment dans le cadre de la commission présidée par M. Balladur. Je vous rappelle que ce sont les parlementaires qui réviseront la Constitution !
M. Alain Gournac. Aux trois cinquièmes !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il va de soi que si un dispositif encore plus favorable aux droits du Parlement devait être retenu en matière de nomination, il s'appliquerait au contrôleur général.
Je demande donc le retrait de cet amendement au profit de ceux de la commission.
Monsieur le président, afin de simplifier le débat, la commission demande le vote par priorité des amendements nos 2 et 3.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est ordonnée.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Sur l'amendement n° 61, le Gouvernement émet un avis défavorable pour la raison que M. le rapporteur a indiquée...
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'en a pas apporté, justement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vais vous la donner !
Le Président de la République a installé le 18 juillet la commission, présidée par M. Balladur, qui est en charge de faire des propositions sur la réforme de nos institutions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Il n'y a pas de sénateurs dans cette commission !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il s'agira notamment du pouvoir de nomination à de hautes fonctions. Ce pouvoir de nomination s'appliquera au contrôleur général lorsque nous aurons les conclusions de la commission Balladur.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos°61 et 82.
L'amendement n° 2 prévoit que le contrôleur général est nommé par décret du Président de la République, à l'instar des nominations des hautes autorités. Le Gouvernement émet un avis favorable.
En ce qui concerne l'amendement n° 3, je reprendrai la même argumentation : la commission présidée par Édouard Balladur doit formuler des propositions. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. Il n'y a pas de sénateur dans cette commission !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 19, pour les mêmes raisons que pour l'amendement n° 3, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. J'interviendrai sur les amendements nos 2 et 3, car je ne suis pas sûr que les autres amendements seront mis aux voix si ceux-ci sont adoptés.
En vérité, notre débat voit cohabiter deux personnages : M. Hyest « version 2001 » - on ne cesse de le lui rappeler - et M. Balladur qui, depuis qu'il ne s'est pas présenté aux dernières élections, a pris une importance qui doit l'étonner lui-même. (Rires.) Si je voulais faire un mauvais jeu de mots, je dirais que l'on nous balade avec M. Balladur. Mais je m'en garderai bien !
M. René Garrec. C'est facile !
M. Louis Mermaz. Nous avons des responsabilités à prendre et il n'est pas nécessaire de se demander, pendant des mois, ce que pense M. Balladur pour faire notre travail.
Pour ma part, je m'oppose à ces amendements et je voterai l'amendement présenté par M. Charles Gautier.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Mermaz, chacun n'a que l'importance qu'il se donne...
M. Louis Mermaz. Gardez votre bonne humeur !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous avez été extrêmement désagréable vis-à-vis de M. Edouard Balladur !
M. Simon Sutour. Au contraire !
Mme Éliane Assassi. Pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous nous dites que l'on est en deçà de la proposition de loi adoptée en 2001. Je vous ai expliqué pourquoi il ne me paraissait pas utile, s'agissant du décret, de préciser « en conseil des ministres ». C'est la seule différence par rapport au texte de 2001 ! Je préfère que le contrôleur général soit nommé par décret du Président de la République ; je pense que tout le monde peut être d'accord sur cette formule.
Mes chers collègues, dans le cadre constitutionnel actuel, et même si le Gouvernement y est défavorable, il est important que nous puissions donner notre avis sur la nomination de cette personnalité, qui doit remplir un certain nombre de conditions. Car le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de libertés sera adopté avant la révision de la Constitution.
D'ailleurs, la semaine dernière, la commission des lois avait adopté cet amendement à l'unanimité. Depuis, vos propositions vont plus loin. Pour ma part, je suggère d'être raisonnable et j'insiste pour que l'amendement n° 3 soit adopté.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, les amendements nos 2 et 3 constituent des avancées qui sont loin d'être négligeables. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Je tiens à le préciser parce que, d'une part, l'on passe d'un décret simple à un décret du Président de la République et, d'autre part, on prévoit de demander l'avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est important, j'y insiste !
Et puisque nous ne pouvons nous exprimer que sur ces deux amendements, car vous avez demandé leur vote par priorité, monsieur le rapporteur - peut-être auriez-vous pu d'ailleurs vous en dispenser - je dirai que nous regrettons beaucoup que vous ne preniez pas en compte cette idée des trois cinquièmes défendue par Louis Mermaz et Robert Badinter.
De deux choses l'une : ou bien il ne faut pas modifier notre législation en raison de l'existence de la commission Balladur, mais telle n'est pas votre position, monsieur le rapporteur, ou bien il faut progresser, nonobstant cette commission, laquelle vient à peine de commencer à travailler.
Par ailleurs, je tiens à vous dire, madame la ministre, vous qui êtes la gardienne du droit, que je trouve tout de même quelque peu singulier que vous puissiez invoquer devant nous le fait que le Parlement ne pourrait pas légiférer dans ce domaine en raison de l'existence d'une commission.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois vraiment pas sur quel fondement nous limiterions notre pouvoir de légiférer parce qu'il existerait une commission, quel que soit le caractère éminent des membres de celle-ci.
Monsieur le rapporteur, nous regrettons que vous n'acceptiez pas l'avancée que nous suggérons. En effet, comme l'a dit excellemment Robert Badinter, il est évident que nous pourrions prendre en compte dès maintenant une proposition qui avait été formulée par plusieurs candidats, et tout particulièrement par Nicolas Sarkozy, lors de la campagne présidentielle.
Pour que ces autorités très importantes soient reconnues de tous, il est fondamental de faire figurer dans notre droit un nécessaire accord de la majorité et de l'opposition. Mes chers collègues, cette avancée constituerait un gage de consensus et d'adhésion dans le pays.
Nous voterons les deux amendements de la commission, mais nous regrettons le rejet de cette avancée complémentaire, qui aurait constitué un véritable changement dans nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont, pour explication de vote.
M. Henri de Richemont. Je voterai, bien entendu, les amendements nos 2 et 3, mais je me demande à quoi sert notre vote, madame le garde des sceaux, car vous avez dit tout à l'heure que la révision de la Constitution intervenant après la commission Balladur s'appliquera à la nomination du contrôleur général.
Si la commission Balladur propose de nommer les membres des hautes autorités aux trois cinquièmes et que la révision de la Constitution s'applique aux trois cinquièmes, il faudra attendre la révision de la Constitution pour nommer le contrôleur général. Dès lors, à quoi sert de voter ce texte maintenant ?
M. le président. En conséquence, les amendements nos 61 et 82 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 19 n'a plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Hyest au nom de la commission.
L'amendement n° 83 rectifié est présenté par Mme Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions qu'il émet ou des actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement vise à renforcer la protection du contrôleur général par une disposition qui se retrouve dans le statut de plusieurs autorités administratives indépendantes et qui interdit toute action judiciaire à l'occasion d'opinions ou d'actes accomplis dans l'exercice de la mission. Cette précision nous semble indispensable.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour défendre l'amendement n° 83 rectifié.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous regrettons que cet amendement, qui est identique à celui de la commission, laquelle s'en est inspirée, soit appelé après l'amendement de la commission. Mais nous ne pouvons que nous féliciter qu'il ait été repris puisque c'est un amendement plus que nécessaire, qui repose sur l'immunité pénale du contrôleur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Les amendements nos 4 et 83 rectifié visent à renforcer la protection accordée au contrôleur général, à l'instar du statut des autorités indépendantes. Le Gouvernement émet donc un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 83 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par M. Yung est ainsi libellé :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il est choisi parmi des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l'administration de la justice, en particulier en matière de droit pénal et d'administration pénitentiaire ou policière, ou dans les divers domaines ayant un rapport avec le traitement des personnes privées de liberté.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Nous avons tous souligné l'importance du choix de la personnalité qui occupera la fonction de contrôleur général : celle-ci devra avoir de l'expérience dans le domaine du droit et de l'administration pénitentiaire ; elle devra aussi être une référence morale.
Vous m'objecterez que cela va de soi, que ce n'est pas la peine de l'inscrire dans la loi, que le Gouvernement nommera forcément une personnalité de cette envergure. Je n'en doute pas, mais il est important de le graver dans le marbre de la loi, en tout cas pour les premières nominations. Je pense, par exemple, que le contrôleur des prisons britanniques, prisons que Mme le garde des sceaux a visitées récemment, représente une telle autorité morale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est évident que les critères prévus par le protocole facultatif présideront au choix de la personnalité appelée à occuper ces fonctions.
Faut-il néanmoins les inscrire dans la loi ? Les statuts des autorités administratives indépendantes - le Médiateur de la République, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE - ne prévoient pas des éléments qualificatifs concernant les personnalités désignées au sein des autorités indépendantes, car ils sont considérés comme allant de soi.
Il serait donc singulier de le préciser pour le seul cas du contrôleur général. En outre, la procédure de nomination proposée par la commission dans son amendement permettra au Parlement de s'assurer que ces critères seront effectivement réunis.
Par conséquent, la commission demande le retrait de l'amendement n° 46. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, le caractère de haute moralité est implicite pour un tel poste, comme il l'est pour toutes les nominations à la discrétion du Gouvernement ou entrant dans le cadre de missions régaliennes.
Par ailleurs, vous limitez l'expérience requise au seul domaine de l'administration pénitentiaire et policière. Toutefois, la mission du contrôleur général dépasse ce cadre. Si je prends l'exemple de la Grande-Bretagne, l'inspectrice en chef des prisons, médecin de formation, était militante au sein d'une association des droits de l'homme. Or, bien que sa mission concerne d'autres domaines, je puis vous dire que, depuis 2001, elle effectue un travail formidable.
C'est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas limiter les domaines de compétences de la personnalité qui sera retenue pour remplir cette mission.
En conséquence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° 46 est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Oui, monsieur le président, je le maintiens, car les raisons qui ont été avancées tant par M. le rapporteur que par Mme le garde des sceaux ne me semblent pas convaincantes.
M. le rapporteur argue du fait que cette précision serait singulière. Mais, s'agissant d'une nomination de cette importance, pourquoi n'innoverions-nous pas ?
Par ailleurs, cet amendement ne tend pas à limiter l'expérience du contrôleur général à l'administration pénitentiaire puisqu'il vise l'ensemble des domaines ayant un rapport avec le traitement des personnes privées de liberté.
Enfin, m'opposer le fait que cette précision est inutile ne me convainc pas. La Haute Assemblée s'honorerait en intégrant cet alinéa, qui ne fait que préciser des points sur lesquels un consensus s'est dégagé.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Hyest au nom de la commission est ainsi libellé :
Après le mot :
incompatibles
rédiger ainsi la fin du troisième alinéa de cet article :
avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le projet de loi a entendu définir un régime d'incompatibilités très complet pour le contrôleur général.
Dans cet esprit, et afin de donner à cette personnalité la possibilité de se consacrer entièrement à sa mission, l'amendement tend à compléter ce régime en prévoyant également une incompatibilité avec « tout autre emploi public ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?