4

Application de la loi d'orientation agricole

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 21 de M. Gérard César sur l'application de la loi d'orientation agricole.

Cette question est ainsi libellée :

M. Gérard César demande à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche de dresser le bilan de l'application de la loi n° 2006 - 11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, texte très attendu par le monde agricole et qu'il avait lui-même rapporté pour la commission des affaires économiques, dont 41 des 105 articles promulgués requéraient l'adoption de 72 textes complémentaires. Il souhaiterait connaître la liste des mesures d'application prises à ce jour, ainsi que celles qui restent à prendre, étant précisés leur état d'avancement et leur calendrier prévisionnel de publication.

La parole est à M. Gérard César, auteur de la question.

M. Gérard César. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd'hui n'est pas seulement formelle : l'état d'avancement des mesures d'application d'un texte aussi important que la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006, que j'ai eu l'honneur de rapporter au nom de la commission des affaires économiques, est en effet aussi crucial que le contenu du texte lui-même.

Je ne fais là que rappeler l'esprit de la communication faite le 26 juillet dernier par le Premier ministre en Conseil des ministres : la priorité du Gouvernement doit désormais être de faire en sorte que les mesures déjà votées par le Parlement produisent tous leurs effets, ce qui implique de publier décrets, arrêtés et circulaires d'application, mais aussi de prendre parfois des décisions budgétaires.

D'une façon générale, je dois dire que vos services et vous-même, monsieur le ministre, avez particulièrement bien entendu le message. Je ne peux que le confirmer en tant que rapporteur de la commission, puisque, à plusieurs reprises, j'ai été associé à la rédaction des décrets. Presque dix mois, jour pour jour, après la publication de la loi, son taux d'application est en effet supérieur à 40 %.

Il est vrai que, comme vous nous l'aviez annoncé, de nombreuses mesures d'application ont commencé à être élaborées par votre ministère, en concertation avec les acteurs intéressés, concomitamment à l'examen du texte. Il s'agit là d'une excellente méthode, qui tend à se généraliser et dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Parmi les premières mesures d'application prises figurent certaines des plus attendues, qui concernent par exemple la procédure de cession du bail rural, la simplification du contrôle des structures, les exonérations ou réductions de cotisations patronales, l'organisation économique dans le secteur des fruits et légumes, la création du Conseil de modération et de prévention, l'évaluation des produits phytopharmaceutiques par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, ou encore le crédit d'impôt bio.

Le bilan est donc bon à ce jour, et nous vous savons gré, monsieur le ministre, d'avoir veillé à ce que vos services ne relâchent pas leurs efforts, alors que de nombreuses mesures d'application concernent des articles de la loi issus d'amendements parlementaires, qui n'avaient donc pu faire l'objet d'une préparation en amont.

Toutefois, plusieurs points restent à éclaircir.

Tout d'abord, quel calendrier envisagez-vous et quelles sont vos priorités parmi les vingt-sept mesures d'application qui restent à prendre aujourd'hui ?

Certaines d'entre elles touchent à des sujets sociaux sensibles : statut du conjoint collaborateur, protection sociale des salariés et non salariés agricoles, octroi du « 1 % logement ».

D'autres ont une dimension environnementale importante : interdiction de lubrifiants non écolabellisés dans les zones écologiquement sensibles, interdiction de distribuer aux consommateurs des sacs de caisse à usage unique en plastique non biodégradable - la presse s'était à l'époque fait largement l'écho de cette mesure, alors que nous aurions préféré qu'elle s'attache plus au texte lui-même -, possibilité pour les agriculteurs d'utiliser à titre dérogatoire des huiles végétales pures comme carburant, régime des baux environnementaux.

Enfin, certaines mesures d'application conditionnent la structuration et la compétitivité de la filière : maîtrise des aléas, refonte du dispositif national de valorisation des produits agricoles, organisation et fonctionnement des organisations de producteurs, des interprofessions et des coopératives agricoles Sur ce dernier point, si l'ordonnance prévue à l'article 59 de la loi d'orientation agricole a bien été publiée, pouvez-vous nous donner, monsieur le ministre, des précisions sur le support et le calendrier de sa ratification législative, très attendue par le milieu coopératif ?

À deux exceptions près, les bases de données fournies par vos services prévoient que ces mesures seront transmises au Conseil d'État ou feront l'objet d'une signature durant le quatrième trimestre 2006. La fin de l'année approche, monsieur le ministre... Pouvez-vous nous confirmer que ce calendrier sera respecté, et nous en préciser les modalités ?

Comme vous l'aviez fait remarquer à l'Assemblée nationale le 7 juin dernier, le rythme de publication des diverses mesures d'application, aussi rapide soit-il, est affecté par la nécessité de recueillir l'avis de douze ministères, quatre collectivités territoriales et pas moins de quatorze institutions différentes, notamment la Commission européenne. Y a-t-il eu pour ce texte, comme cela a été le cas avec la récente loi relative aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins, consultation de ces différents organismes en amont du processus législatif ?

Si le souci de concertation est louable en soi, ne pensez-vous pas que sa généralisation peut-être excessive va à l'encontre du souci d'efficacité et de vélocité dans la mise en application effective des textes législatifs ? La circulaire du 1er juillet 2004 et le guide de légistique du secrétariat général du gouvernement posent que le calendrier prévisionnel ne doit pas comporter, en principe, d'échéance d'adoption des décrets supérieure à six mois.

Il est vrai que plusieurs initiatives ont été prises par le Gouvernement afin de réduire les délais de publication des mesures règlementaires. Le système d'organisation en ligne des opérations normatives, le SOLON, en constitue l'instrument le plus récent. Ce procédé permettra la consultation à tout moment de l'état d'avancement des mesures d'application, dans leurs versions successives, ainsi que l'établissement de tableaux de bord et de comptes rendus de réunions interministérielles. Il constituera non seulement un médium capable de réduire les délais de consultations interministérielles, mais également une source d'information considérable.

Si le ministère de l'écologie et du développement durable a été choisi comme ministère pilote de ce projet, est-il prévu, monsieur le ministre, que votre ministère collabore à sa mise en oeuvre, en l'espèce dans le cadre de la loi d'orientation agricole ?

En conclusion, j'évoquerai l'article 67 de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004, qui prévoit le dépôt d'un rapport sur la mise en application des lois six mois après leur promulgation. Parmi les vingt-deux rapports déposés à ce jour figure celui qui concerne la loi relative au développement des territoires ruraux, remis le 24 juillet dernier. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur le rapport ayant trait à la loi d'orientation agricole, qui s'inscrit dans la continuité de la loi relative au développement des territoires ruraux ?

Tels sont, monsieur le ministre, les éléments sur lesquels je souhaitais vous interroger à l'occasion de ce débat. Beaucoup a déjà été fait pour transcrire les dispositions de la loi d'orientation agricole en mesures règlementaires. Nous comptons sur vous et sur vos services pour poursuivre cette dynamique et permettre à ce texte très attendu dans le monde rural d'être très rapidement applicable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour parler de la loi d'orientation agricole adoptée par le Sénat le 22 décembre 2005 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006.

Adoptée dans un contexte de transitions et de défis, cette loi a pour ambition d'offrir à notre agriculture de nouvelles perspectives et de nouveaux outils pour accompagner son adaptation à un environnement en évolution constante et lui permettre de pérenniser, après 2013, sa position de première agriculture européenne.

Fruit d'une nécessité et d'une volonté politique forte, la loi d'orientation agricole donne une impulsion nouvelle au secteur agricole et agroalimentaire pour les vingt prochaines années.

Au travers de cent cinq articles, dont une grande partie a été introduite par le Sénat, cette loi fournit les instruments nécessaires à la modernisation de notre agriculture. Sur ces cent cinq articles, soixante-quatre sont d'application immédiate.

Pour la mise en oeuvre des autres articles, soixante-douze textes complémentaires, dont dix ordonnances, dix-huit décrets en Conseil d'État, vingt-huit décrets simples et seize instructions fiscales étaient attendus. À ce jour, vingt décrets simples et sept décrets en Conseil d'État sont toujours en attente de publication, et deux ordonnances devraient être ratifiées prochainement par le Parlement.

Ce vaste chantier n'est donc pas terminé. C'est l'objet même du débat d'aujourd'hui qui a été initié par notre collègue Gérard César, qui avait été rapporteur de cette loi au nom de la commission des affaires économiques, et dont nous saluons l'initiative.

Nous savons, monsieur le ministre, que l'élaboration des textes d'application suppose la consultation obligatoire de nombreux ministères - en l'occurrence, douze sont concernées par la LOA - ainsi que celle de quatre collectivités territoriales et quatorze organismes divers, dont la Commission européenne. C'est la raison pour laquelle l'élaboration des textes d'application demande un certain temps, je dirai même un temps certain.

Il est clair que la concertation dans l'élaboration des textes d'application ne doit remettre en cause ni les intentions du législateur ni les équilibres auxquels nous étions parvenus lors du vote de la loi, le 22 décembre dernier. Mais nous souhaitons aujourd'hui, monsieur le ministre, que vous puissiez nous dresser un état des lieux de la mise en oeuvre de la loi d'orientation agricole et nous faire part de l'état d'avancement de certaines dispositions emblématiques de la loi du 5 janvier 2006.

Je me permettrai de revenir plus particulièrement sur le texte de l'ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006 relative au statut du fermage et modifiant le code rural, adoptée sur le fondement de l'article 8 de la LOA.

Cette ordonnance a simplifié et clarifié la rédaction de certaines dispositions du code rural, supprimé d'autres mesures devenues sans objet et adapté les règles et procédures applicables en cas de résiliation ou de non-renouvellement des baux et en cas de contestation de l'autorisation d'exploiter.

Elle a simplifié l'articulation du contentieux administratif et judiciaire en cas de contestation, par le preneur, du droit de reprise exercé par le bailleur sur le bien loué.

Le sursis à statuer qui s'imposait aux juridictions judiciaires en cas de recours devant le juge administratif est devenu facultatif, ce qui permet d'éviter les saisines dilatoires du juge.

Enfin, cette ordonnance a clarifié certaines dispositions particulières relatives aux baux à long terme.

Un projet de ratification de ladite ordonnance doit être prochainement présenté au Sénat. Monsieur le ministre, si le contenu de cette ordonnance correspond tout à fait à la volonté que vous avez exprimée lors de la présentation du projet de loi devant notre Haute Assemblée, deux points semblent générer quelques inquiétudes parmi les exploitants agricoles.

Le premier concerne l'article 9 du projet d'ordonnance. En effet, cet article, qui revient sur la rédaction de l'article L. 416-3 du code rural relatif aux baux de vingt-cinq ans, écarte l'interprétation telle qu'elle ressortait d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 juin 2003. Le bail d'au moins vingt-cinq ans sans clause de tacite reconduction est un bail à long terme et doit donc se renouveler conformément à l'article L. 416-1 du code rural, interprétation reprise par la Cour de cassation.

Estimer que le bail en question prend fin au terme stipulé sans qu'il soit nécessaire de donner congé peut constituer une source d'insécurité pour le fermier. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je souhaite savoir si vous avez l'intention de revenir sur cette rédaction de l'article 9, qui pourrait avoir des conséquences dommageables pour les fermiers ; ces derniers réclament, en effet, une plus grande sécurité juridique. Je vous remercie des précisions que vous voudrez bien nous apporter.

Le second point de cette ordonnance qui semble inquiéter les exploitants agricoles concerne les conditions que doit remplir le bénéficiaire d'une reprise. Le code rural lui imposait toute une série de conditions cumulatives. Il devait notamment travailler effectivement sur l'exploitation, habiter sur les lieux ou à proximité, justifier d'une autorisation d'exploiter et d'une capacité professionnelle. Si le bénéficiaire ne remplissait pas l'une de ces conditions, la reprise était impossible. Désormais, le bénéficiaire qui ne remplirait pas la condition de compétence professionnelle pourrait invoquer une autorisation d'exploiter.

Alors que l'ordonnance visait à améliorer la rédaction ou la coordination de certains articles, elle modifierait la portée des conditions mises à la reprise du bailleur. Cet allégement s'accompagnerait d'un remaniement en profondeur du régime du contrôle des structures.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous confirmer ces mesures ? Les exploitants agricoles souhaitent le maintien des dispositions actuelles du statut du fermage relatives aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle à remplir par le bénéficiaire du droit de reprise. Ils demandent également que soit conservé un contrôle des structures préalable à la reprise afin de ne pas précariser la situation des fermiers et des métayers.

Je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous voudrez bien nous apporter à cet égard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 avait pour objectif de dessiner l'agriculture « pour les prochaines décennies » ; cet objectif était ambitieux, monsieur le ministre. Vous avez voulu mettre en place de nouveaux outils pour l'agriculture de demain ; je mentionnerai en particulier la création du fonds agricole.

Le monde agricole s'interroge : les propos tenus avec force à l'époque sont-ils rentrés dans les faits par la mise en application de cette loi près de onze mois après son vote ?

Des mesures réglementaires ont été prises, un nombre quasi équivalent est en attente de l'être ; je retiens que vous avez jugé indispensable, car juste, que tous les citoyens puissent bénéficier de conditions d'existence comparables avec la prise en charge d'une partie des dépenses engagées lors d'un remplacement pour congé.

Je suis surpris que vous ayez pris des décrets qui n'étaient pas obligatoires. Au nombre de sept, ils couvrent tous les domaines, du fonds agricole au contrat emploi-formation agricole, à l'indemnisation des membres et du président du conseil permanent de l'INAO, aux obligations déclaratives attachées à la réduction d'impôt pour dépenses de travaux forestiers, en passant par la sanction des infractions à la réglementation des produits laitiers.

En revanche, vous tardez à réglementer dans d'autres domaines. Je souhaite attirer votre attention sur deux sujets qui me tiennent particulièrement à coeur et qui relèvent d'un fort souci environnemental.

Pourquoi avoir retardé la mise en oeuvre du décret relatif à l'interdiction des sacs plastiques non biodégradables ou la parution des deux décrets concernant l'utilisation, comme carburant agricole, d'huile végétale pure ? Pourquoi ce retard concernant les modalités de sa production, de sa commercialisation et de son utilisation ? Sont-ce des raisons techniques ou d'opportunité ?

Il me paraît essentiel que vous marquiez fortement votre soutien à de telles mesures emblématiques, porteuses d'avenir, utiles à tous et compréhensibles par tous.

Monsieur le ministre, nous avons accompli notre part du travail en amendant et en votant ce texte après des débats constructifs. Nous vous demandons d'achever la vôtre en prenant les mesures réglementaires nécessaires à la mise en application de cette loi d'orientation agricole. Vous honorerez ainsi la confiance que nous vous portons.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le ministre, vous avez eu l'amabilité de présenter, courant juin 2006, l'état d'avancement de l'application de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. Cette question orale, sur l'initiative du rapporteur de la loi, M. Gérard César, devrait permettre à la représentation nationale d'apprécier la mise en oeuvre de cette loi s'agissant des décrets et ordonnances qui en précisent le contenu.

S'il faut relativiser la loi d'orientation agricole au regard du poids de la PAC et de celui des négociations de l'OMC, qui se poursuivent malgré l'échec de Doha, il ne faut surtout pas en minimiser le contenu et la portée, dont notre groupe ne partageait pas l'orientation libérale : une orientation d'adaptation permanente, de course-poursuite avec la PAC et l'OMC, elles-mêmes d'inspiration libérale et parfois ultralibérale.

Ce type de comportement politique a affecté également tous les secteurs économiques, sociaux et environnementaux de notre pays, au travers de multiples lois qui ont marqué cette législature finissante.

Avant d'aborder les principales dispositions du texte de la LOA, et les remarques et questionnements qu'elles suscitent, je m'autoriserai à faire une remarque de pure forme sur le déroulement de nos débats.

Il aurait été de bon goût, monsieur le ministre, de nous communiquer un rapport complet sur l'état de la loi quelques jours avant cette question orale, afin de faciliter la tâche des parlementaires et d'améliorer la qualité de nos échanges. Vous ne m'en voudrez donc pas d'avoir construit cette intervention à partir de l'état du mois de juin et des projections en cours.

Mon honnêteté politique m'amène toutefois à vous féliciter, monsieur le ministre, ainsi que vos services, pour la qualité pédagogique et la clarté du document que vous nous avez adressé courant janvier 2006 dans le cadre, si je puis dire, du service après vente de la loi. J'ai eu l'occasion de transmettre ce document à de nombreux agriculteurs de mon département qui ont ainsi pu prendre connaissance des principales dispositions de la loi.

À propos du fonds agricole, qui consacre une vue entrepreneuriale de l'exploitation et ouvre grand la porte à des agricultures qui échappent progressivement aux véritables acteurs du terroir que sont les paysans, le laboureur d'autrefois est devenu paysan, ensuite cultivateur, puis agriculteur, avant d'être exploitant agricole et, enfin, entrepreneur agricole. Mais, quelle que soit la terminologie employée, les tendances à la concentration et la financiarisation de l'agriculture ne connaissent pas de répit ; les crises demeurent cycliques, voire permanentes pour certaines productions.

Le fonds agricole participe de cette démarche. Il y a fort à parier qu'à l'instar des grands vignobles ou de l'intégration des élevages avicoles hors sols des pans entiers, les plus rentables en tout cas, passent sous la coupe de capitaux en quête de rentabilité, capitaux souvent apatrides et « délocalisateurs » ou capitaux stratégiques qui, dans le cadre de la guerre alimentaire, pourraient provoquer des dommages irréversibles à notre agriculture nationale.

Il serait néanmoins intéressant, et ce sera ma première question monsieur le ministre, de connaître le nombre et la nature des exploitants ayant déjà opté pour le fonds agricole. Mais le temps de retour étant relativement court, répondre à cette question risque d'être quelque peu compliqué !

Au sujet du bail cessible, qui est le pendant du fonds agricole, le propriétaire, bien que bénéficiaire d'un « droit d'opposition pour motifs légitimes », se trouve engagé dans une aventure à moyen terme, voire définitive, qui contribue également à la concentration des exploitations.

Le document « service après vente » que vous nous avez adressé au mois de janvier précise : « Cette option ouverte aux parties pour un bail cessible devrait faciliter les installations en fermage sur des unités économiques opérationnelles et viables », ce que je traduis par des unités toujours plus grandes pour tenter d'obtenir une rentabilité qui, en réalité, trouve ses faiblesses non pas dans les surfaces cultivées, mais dans une politique des prix désastreuse à tout point de vue.

Le décret du 23 mars dernier permet de signer ces baux cessibles. Là encore, il serait intéressant de savoir si cette disposition connaît un certain engouement ou, au contraire, le désintérêt le plus total ; ce sera donc ma deuxième question, monsieur le ministre.

Le contrôle des structures, assoupli à l'article 14 par le relèvement du seuil de surface au-delà duquel les reprises de terres agricoles sont soumises à autorisation d'exploiter, avait donné lieu à de vifs débats dans cet hémicycle. Cet assouplissement permet désormais au plus influent ou au plus offrant d'accaparer des terres qui auraient pu être précieuses pour renforcer des exploitations de petite ou moyenne taille. Quel seuil a été définitivement adopté ? Je vous remercie de me répondre également sur ce point.

En ce qui concerne les mesures sociales, il serait intéressant de suivre l'évolution du statut du conjoint en qualité de collaborateur, de salarié ou d'exploitant.

Environ 119 000 conjointes étaient concernées par cette mesure en 2003. Aujourd'hui, près d'une femme sur deux - 47 % exactement - ne travaille pas ou ne travaille plus sur l'exploitation, tandis que 37 % sont agricultrices à titre principal, 12 % se partageant entre une activité agricole et une activité extérieure.

Si ces chiffres peuvent être parfois le résultat d'un choix délibéré, ils expriment souvent l'incapacité de vivre à deux sur l'exploitation au regard des prix pratiqués et des revenus.

Le revenu agricole a reculé de 3 % en 2005, certes avec de fortes disparités selon les productions. En Bretagne, le revenu moyen s'établissait en 2003 à 12 500 euros par unité de travail humain familiale, soit 6 500 euros de moins que le revenu de référence des autres catégories socioprofessionnelles, qui se situe lui-même en deçà des moyennes nationales.

La situation des conjoints, et tout particulièrement celle des conjointes, se trouverait rapidement confortée par une vraie politique de prix rémunérateurs.

Le volet social de la loi d'orientation agricole, bien qu'insuffisant, va dans le bon sens, tant il est vrai que tout progrès, même minime, est bon à prendre.

Quelle est la situation des 160 000 personnes concernées par la demi-surface minimum d'installation, monsieur le ministre ? Disposez-vous des chiffres concernant le crédit d'impôt de remplacement ?

Toujours s'agissant du revenu, la loi d'orientation agricole préconisait de conforter celui-ci par le développement des biocarburants et des bioproduits, le renforcement de l'organisation économique et la maîtrise des risques et aléas.

Le sujet énergétique étant d'actualité, je reviendrai plus particulièrement sur la question des biocarburants.

Après la très médiatique communication de M. le ministre de l'économie sur l'E85, il convient de remettre les pendules à l'heure. Je me suis laissé dire que la pompe était tombée en panne dès le lendemain et avait été recouverte d'une bâche le surlendemain. Cette pompe distribuait-elle même réellement de l'E85 ? (Sourires.)

Aujourd'hui, rien ou presque n'est de nature à engager la profession dans la voie des biocarburants, car rien ne l'assure d'un réel complément de revenu. Une fiscalité incitative se fait attendre pour les biocarburants et leur usage non seulement par l'ensemble de la profession agricole, mais également par le monde de la pêche. Les grands groupes de l'énergie et les triturateurs ne vont-ils pas être les uniques bénéficiaires de la filière biocarburants ?

Une planification des surfaces à destination énergétique paraît également indispensable au regard de la première responsabilité de l'agriculture, qui est de nourrir les hommes.

Un autre danger plane sur l'avenir des biocarburants, à savoir l'abaissement de 54 % à 51 % des tarifs douaniers dans le cadre de l'OMC. Cette mesure pourrait avoir comme conséquence immédiate de rendre moins cher l'alcool de canne à sucre brésilien et de favoriser ainsi son utilisation à la place de nos biocarburants.

On se souvent encore que l'absence de toute taxe à l'importation sur le soja américain a empêché l'Union européenne de développer une filière protéinique végétale compétitive.

Tout doit cependant être mis en oeuvre pour produire un maximum d'énergie à partir des biocarburants et de la biomasse compte tenu de la flambée des prix que devraient connaître les énergies fossiles.

Enfin, je dirai quelques mots sur le monde coopératif, pour lequel les communistes éprouvent à la fois sympathie et inquiétude : sympathie eu égard à la garantie qu'offrent les coopératives pour l'activité et l'emploi local, par ce lien permanent établi entre les acteurs de terrain, les agriculteurs, et par la structure d'approvisionnement, de transformation et de commercialisation qu'elles représentent ; inquiétude compte tenu de l'évolution, que je qualifierai de libérale, de leurs critères de gestion et de management.

On peut d'ailleurs s'interroger, monsieur le ministre, sur le rôle exact que jouera le Haut conseil de la coopération agricole en matière d'orientation et d'agrément du monde coopératif. N'allez-vous pas transformer la coopération agricole en structures calquées sur la gestion privée et le profit maximum ?

Globalement, les décrets et ordonnances pris en application de la loi d'orientation agricole ne sont pas pour nous rassurer dans la mesure où ce texte a conforté partout où il le pouvait l'ouverture à la concurrence et les critères de gestion libéraux.

Quelle France agricole se prépare ? S'agit-il de celle que décrit Bertrand Hervieu, dans laquelle la production agricole serait assurée, d'une part, par une centaine de milliers d'exploitations qui, pratiquant une culture intensive et s'alignant sur les prix mondiaux, capteraient l'essentiel des aides et des subventions, d'autre part, par des exploitants dits « de proximité », voués aux circuits courts, à l'agrotourisme, à l'entretien des paysages et aux cultures biologiques, qui tenteraient de survivre ?

Ou bien s'agit-il d'une agriculture diversifiée, vivant de prix rémunérateurs sur des surfaces variables, d'une agriculture dont les relations commerciales avec les réseaux de la grande distribution seraient enfin normalisées au bénéfice des producteurs et des consommateurs, d'une agriculture dont les aides ne serviraient qu'à compenser les handicaps dans le cadre d'une réelle préférence communautaire et d'une vraie solidarité internationale, d'une agriculture qui ne confondrait pas production et productivisme, d'une agriculture en harmonie avec la ruralité dans sa globalité, d'une agriculture où la démocratie représentative serait enfin rétablie au sein des chambres, d'une agriculture, enfin, qui en reviendrait à sa mission originelle, à savoir fournir en quantité suffisante une alimentation de qualité et contribuer activement au défi énergétique national, dans la mesure de ses capacités ?

Monsieur le ministre, vous ne m'en voudrez pas si je préfère cette seconde version. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.

M. Jean-Marc Pastor. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques fait consciencieusement son travail quand, après la loi relative au développement des territoires ruraux, elle interroge le Gouvernement sur l'application de la loi d'orientation agricole.

Comme chaque année, la commission va publier un rapport dressant le bilan de l'application des lois qui sont de son ressort. Comme chaque année, elle ne manquera pas de remarquer que les indicateurs de suivi des textes sont inégalement appliqués par le Gouvernement, que les échéanciers fournis par les ministères laissent à désirer et que l'effet des mesures prises n'est pas visible.

En ce sens, force est de constater que, même si nombre des textes d'application sont aujourd'hui parus, la loi relative au développement des territoires ruraux attend encore la publication de vingt-cinq décrets, d'après le site du service public de l'accès au droit Legifrance, voire vingt-huit, d'après le Sénat, qui en a dressé l'état d'application. La loi d'orientation agricole, quant à elle, a été promulguée le 5 janvier 2006. Pour l'instant, elle est faiblement appliquée : dix de ses décrets ont été publiés, tandis que trente sont attendus. Je suppose que vous nous annoncerez quelques bonnes nouvelles aujourd'hui, monsieur le ministre.

Il était donc légitime que le Sénat vous montre sa vigilance dans un exercice, certes quelque peu convenu, mais utile. (Sourires.)

Toutefois, si l'on en est à devoir mesurer et vérifier l'application des lois, c'est que ces dernières deviennent instables et complexes, comme l'a regretté le Conseil d'État dans son rapport annuel. Son constat peut-être résumé par cette phrase : malgré la détermination politique affichée par les circulaires successives des Premiers ministres appelant, depuis trois décennies, à l'évaluation rigoureuse des réformes législatives et à un effort de sobriété, et malgré les observations sans cesse réitérées du Conseil d'État, les trente dernières années se caractérisent par une accélération du rythme normatif, sous le regard désabusé du citoyen.

S'appuyant sur une analyse rigoureuse, le Conseil d'État veut nous alerter sur les dérives de la loi et les conséquences sur le législateur, à la fois « contraint, submergé et contourné ». L'élimination des dérives telles que la gesticulation médiatique est donc un impératif, que les conseillers d'État qualifient d'obligation de résultat, sous peine de paralysie des institutions et de la société.

L'application des cent cinq articles de la loi d'orientation agricole est donc à considérer à l'aune de ce rapport.

Je continue de penser que, dans la période d'incertitude dans laquelle nous sommes plongés, l'orientation censée être donnée pour vingt ans est décevante, parce qu'elle ne trace pas de grandes perspectives. Néanmoins, la loi est la loi et elle doit être appliquée. Aussi, j'insisterai sur quatre points.

Premièrement, les droits à paiement unique, les DPU, sont considérés aujourd'hui par ceux qui les détiennent non plus comme un support de compensation économique, mais comme un élément patrimonial à monnayer. Cela pose le problème de la marchandisation des aides publiques, même si l'on nous présente comme une garantie absolue le fait que les prélèvements effectués sur les transferts de droits seront plus faibles lorsque ces droits seront cédés avec le foncier.

En outre, on peut être propriétaire du foncier sans l'être des DPU, ou être propriétaire des DPU sans l'être du foncier. C'est toute l'ambiguïté de l'agriculture de demain. La création du fonds agricole contribue à ces difficultés en puissance en permettant le découplage de la valeur de l'entreprise et celle du foncier.

Par ailleurs, les SAFER ne sont pas pleinement satisfaites par la loi d'orientation agricole dans la mesure où elles ne peuvent ni acquérir ni gérer directement les DPU.

La mise en place en 2006 des droits à paiement unique pose le problème du devenir du droit de préemption dont disposent aujourd'hui les SAFER sur les terres agricoles et les éléments d'exploitation qui leur sont attachés.

Lors des débats, nous vous avions alerté, monsieur le ministre, sur ce problème très particulier et nous avions pu faire adopter un amendement tendant à ce que le droit de préemption des SAFER ne soit pas contourné en cas de vente globale du foncier et des DPU. Mais cette disposition n'est pas entrée en vigueur faute de publication du décret prévu à l'article 38. Quand sera-t-il publié, monsieur le ministre ?

Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les circuits commerciaux courts et les niches locales.

La France ne peut pas nourrir le monde ! Dans un marché global où prévalent les principes libéraux les plus radicaux, la « ferme France » cherche à être hypercompétitive sur un marché soumis à une âpre concurrence.

Mais nos concitoyens s'en rendent compte chaque jour davantage, la recherche de productivité et la concurrence ont entraîné des pratiques qui nuisent à la qualité et qui peuvent porter atteinte à l'environnement. Il faut donc prendre garde à ne pas handicaper les productions de niches à grande valeur ajoutée, qui correspondent souvent à un terroir et à des savoir-faire ancestraux qui peuvent être remis au goût du jour avec ingéniosité. Il faut oeuvrer pour leur pérennité ou leur reconversion. Pour ce faire, l'aide de l'État est indispensable. Les groupements d'éleveurs, par exemple, sont aujourd'hui fortement menacés.

Le titre IV de la loi prévoit des dispositions en faveur de la qualité des produits, de l'environnement, de l'agriculture de montagne. Monsieur le ministre, où en est leur application et comment comptez-vous valoriser ces « niches » ?

Le troisième point que j'évoquerai est relatif à la démographie agricole.

Au terme de la période 2007-2013, notre pays comptera 50 % d'agriculteurs en moins. Le bail cessible n'est pas la réponse universelle à cette hémorragie, loin de là ! Comment limiter la spéculation foncière ? Comment préserver le foncier agricole ? Comment favoriser la pluriactivité et l'exploitation en société, améliorer les conditions de travail des conjoints et des salariés agricoles ? Comment inciter davantage à l'installation et comment, enfin, préserver le revenu agricole ?

Je prendrai l'exemple de la viticulture, qui, certes, représente une part importante de l'activité de mon département, mais occupe aussi une place non négligeable en France. Le Gouvernement propose l'arrachage de pieds de vigne. Comme la distillation de crise, cette mesure ponctuelle ne peut satisfaire la filière et il convient d'y recourir avec parcimonie. Comment comptez-vous l'appliquer, monsieur le ministre ?

Il faut un plan d'envergure pour assurer l'avenir du vignoble et pour répondre à la demande du marché. S'agissant de la promotion, des relations avec la grande distribution, ou encore de l'exportation, beaucoup de pistes restent à explorer. Mais l'aménagement du territoire aussi est en jeu : que vont devenir nos terroirs viticoles du pays gaillacois, du Languedoc et du Bordelais lorsque les ceps seront arrachés ?

Le quatrième point que je souhaite évoquer brièvement concerne l'application de la loi d'orientation agricole au regard de la mission d'expertise de la ruralité en Europe, qui a rendu son rapport voilà quelques jours.

Le lien entre l'agriculture et la ruralité demeure une réalité incontestable en Europe.

En Autriche, par exemple, les agriculteurs peuvent produire l'huile végétale nécessaire à la diversification énergétique, qui est en vente directe dans toutes les pompes à essence : l'agriculture est au service de la société.

En France, où en sommes-nous ? Nous ne pouvons pas continuer à nous positionner en observateurs de ce qui se passe ailleurs, notamment en matière d'énergies renouvelables. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) L'agriculture a, dans ce domaine, un rôle important à jouer. Parler de l'avenir, c'est aussi évoquer cette question !

Nous pouvons également nous inspirer de l'exemple de la coopérative rurale à vocation multiple espagnole, qui est beaucoup plus globale que notre coopération française.

Tout cela se retrouve dans ce rapport - dans votre rapport, monsieur le ministre ! - qui comporte une annexe importante et complémentaire à la loi d'orientation agricole. Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre ?

En tout état de cause, la ruralité, comme l'agriculture, c'est un choix politique avant tout,...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Absolument !

M. Jean-Marc Pastor.... car ce n'est ni une évidence ni une démarche naturelle s'il n'y a pas d'accompagnement d'un vrai projet de vie. La ruralité, comme l'agriculture, c'est d'abord une activité économique. La ruralité, comme l'agriculture, cela implique un espace qu'il faut gérer entre plusieurs utilisateurs. La ruralité, comme l'agriculture, c'est une politique financière et une péréquation. Enfin, la ruralité, comme l'agriculture, monsieur le ministre, cela ne peut passer que par plus de solidarité entre les hommes et les territoires.

L'agriculture peut prendre plusieurs formes : il faut distinguer celle qui participe à l'économie mondiale de celle qui est plus traditionnelle et qui doit pouvoir trouver sa place durablement. Le souhaitez-vous vraiment ? Au vu de la réalité que nous observons dans ce domaine, nous restons, monsieur le ministre, très perplexes et très inquiets. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi d'orientation agricole, adoptée par le Parlement voilà une dizaine de mois, a été l'objet de débats très intéressants et très constructifs pour le soutien et le développement de notre agriculture.

Je suis très heureux de pouvoir participer aujourd'hui à cette discussion, qui permettra non seulement de dresser un bilan d'étape sur l'avancement de l'application de cette loi, mais aussi, je l'espère, de relancer sa mise en oeuvre sur plusieurs points.

Je tiens donc à remercier vivement notre collègue Gérard César d'avoir posé cette question et M. le ministre de répondre à nos interrogations.

Monsieur le ministre, je suis conscient des combats que vous menez pour rendre applicable la loi d'orientation agricole et, bien sûr, pour défendre et promouvoir sans relâche notre agriculture.

J'aimerais attirer votre attention sur quelques points qui me tiennent à coeur et qui n'ont pour l'instant pas fait l'objet d'une mise en oeuvre évidente à la suite de l'adoption de la loi d'orientation agricole.

Tout d'abord, il est à noter qu'un certain nombre d'ordonnances prévues par cette loi n'ont pas été prises par le Gouvernement ou n'ont pas encore fait l'objet de ratification par le Parlement. Ainsi, sur les huit ordonnances que le Gouvernement a été autorisé à prendre, trois n'ont pas encore été mises en oeuvre, les cinq autres n'ayant pas été présentées au Parlement.

Or ces ordonnances traitent de sujets fondamentaux pour le monde agricole, qu'il s'agisse de modifications du statut du fermage, de l'amélioration des régimes d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles pour les salariés et les non-salariés agricoles, ou encore du renforcement de l'implication des adhérents de coopératives. Sur ce dernier point, l'ordonnance prise le 5 octobre dernier améliore le droit à l'information des adhérents de coopératives, ce qui représente une condition nécessaire à la bonne gouvernance de celles-ci. Il est important de pouvoir la faire ratifier rapidement.

Cette année, élections obligent, la session du Parlement risque d'être courte, et je crains que nous n'ayons pas le temps d'aller au bout de cette réforme. J'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous rassuriez. Pourriez-vous donc esquisser devant la Haute Assemblée un calendrier de mise en application de ces différentes mesures ?

Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention concerne les biocarburants. C'est un secteur primordial d'un point de vue économique et agricole, car il redonne confiance à la profession. Je tiens à soutenir pleinement son développement et à vous féliciter pour votre engagement personnel ainsi que pour les différentes mesures actuellement prises par le Gouvernement. C'est un point décisif pour l'avenir de notre agriculture.

L'article 48 de la loi d'orientation agricole fixe des objectifs ambitieux pour notre pays en matière d'utilisation des biocarburants, supérieurs à ceux qui sont prévus par l'Union européenne. Ainsi, la part des biocarburants et des carburants renouvelables devra atteindre, en teneur énergétique, 5,75 % du marché à la fin de l'année 2008, 7 % à la fin de l'année 2010 et 10 % à la fin de l'année 2015.

Pouvez-vous nous dire à combien s'élève cette part aujourd'hui, monsieur le ministre ? Il est en effet important de connaître les évolutions concrètes de ce nouveau débouché et de rassurer les agriculteurs sur l'avenir de la production française face à ses concurrentes - brésilienne par exemple -, donc de les tranquilliser sur leur propre avenir. Que peuvent représenter ces évolutions en termes de surface cultivée ?

Nous nous posons très régulièrement la question suivante : les agriculteurs peuvent-ils cultiver les terres en jachère à des fins de production de biocarburants ? Dans l'affirmative, ces terres seront-elles encore éligibles à des primes ?

Pouvez-vous également, monsieur le ministre, nous faire part de vos projets, hormis l'outil de défiscalisation figurant dans le projet de loi de finances pour 2007, afin de favoriser la production et l'incorporation de biocarburants dans les carburants ?

Dans le même secteur liant énergie et agriculture, je souhaite vous interroger de nouveau sur le cas des huiles végétales pures. Je tiens à préciser qu'à mes yeux les huiles végétales pures ne sont pas un substitut aux biocarburants : elles représentent une alternative, limitée mais intéressante, aux carburants fossiles classiques.

L'utilisation de ces huiles végétales pures comme biocarburants a été abordée dans la loi d'orientation agricole. Or j'ai l'impression d'observer depuis un an une certaine cacophonie des pouvoirs publics dans ce domaine.

Dernier épisode : on a pu entendre, il y a quelques jours, le ministre des transports faire l'éloge des huiles végétales pures « pour leur utilisation dans les flottes captives, comme celles de la communauté de communes du Villeneuvois ».

Pourriez-vous, monsieur le ministre, clarifier cette situation et nous exposer vos projets dans ce domaine ? Je sais que vous travaillez sur cette question, et j'espère que nous pourrons obtenir des réponses concrètes.

L'utilisation des huiles végétales pures comme carburant me semble très avantageuse. Il est urgent de prendre des mesures en matière d'expérimentation ainsi que sur le plan de l'organisation. Il faut permettre aux organismes stockeurs de presser cette huile à la sortie des silos. C'est le seul moyen d'obtenir des huiles de qualité, ainsi que des sous-produits homogènes qui peuvent être valorisés dans les meilleures conditions.

La création d'une telle filière courte peut s'avérer très intéressante non seulement pour les agriculteurs, mais aussi, sur le plan du développement économique, pour certaines régions telles que le Sud-Ouest, que je connais bien. Quel est votre avis sur ce sujet, monsieur le ministre ? Quelles décisions comptez-vous prendre ?

J'aimerais enfin aborder un thème que j'avais personnellement défendu lors de l'examen de la loi d'orientation agricole, celui de la gestion des crises, particulièrement dans le secteur des fruits et légumes. La situation de cette filière a été au coeur de nos débats sur ce texte.

La loi permet aujourd'hui que les organisations de producteurs soient le socle de base de toute action collective et des soutiens des pouvoirs publics, que les centrales de ventes puissent être reconnues en tant qu'associations d'OP et que les associations d'OP reconnues comités économiques puissent mettre en oeuvre un fonds de mutualisation.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes fortement engagé sur ce dossier, au niveau national mais aussi et tout particulièrement à Bruxelles, et que le projet de règlement « fruits et légumes » prévu par la Commission européenne a été repoussé. Mais il reste à l'étude et j'espère qu'il pourra intervenir d'ici à la fin de l'année, en tout cas au tout début de l'année prochaine.

J'aimerais attirer votre attention sur deux points, que je regrette : d'une part, les décisions financières en matière de crédits d'investissement pour les serres et de rénovation des vergers, qui sont de très bonnes mesures, ne privilégient pas les producteurs organisés en OP ; d'autre part, les effets de la baisse des crédits pour les offices se feront fatalement sentir en matière d'investissement et de promotion des produits agricoles.

Ensuite, concernant les fonds de mutualisation, il est primordial que leur gestion soit pleinement confiée à l'organisation économique représentée par les comités économiques et que ceux-ci participent à parité à leur financement. L'objectif reste de pouvoir rendre incitatif un mécanisme de prévention et de gestion de crise au travers des OP et des associations d'OP.

Il n'est pas possible, dans ce secteur, de s'appuyer sur l'interprofession, les différents partenaires représentant des intérêts divergents, voire diamétralement opposés entre l'amont et l'aval. Ainsi, nous avons pu constater que, chaque fois qu'il y a conflit, l'interprofession est paralysée.

Pouvez-vous nous donner votre position sur l'évolution de ce dossier tant en France qu'au niveau de l'Union européenne ?

J'espère, monsieur le ministre, que le débat sur cette question orale de notre collègue Gérard César vous permettra d'apporter des réponses satisfaisantes à ces différentes interrogations. Je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord remercier notre collègue Gérard César d'avoir eu cette heureuse initiative de vous interroger sur le bilan d'application de la loi d'orientation agricole, qu'il avait rapportée. Cette séance tombe à point nommé, puisque tout récemment est intervenue une revalorisation généralisée des retraites agricoles sur 2007. C'est l'occasion de vous dire, mais vous le savez, combien ces mesures étaient attendues dans le monde rural.

Même si cette loi d'orientation n'irait pas assez loin, selon un certain nombre d'organisations professionnelles agricoles, elle a le mérite de traiter de nombreuses évolutions indispensables à l'agriculture française pour s'adapter aux enjeux de demain : la sécurité alimentaire, la qualité des produits - tout en préservant nos traditions -, la démarche d'entreprise, l'amélioration des débouchés des productions agricoles et forestières, la maîtrise des aléas climatiques, la simplification administrative et institutionnelle.

Sur ce dernier point en particulier, monsieur le ministre, la réglementation tatillonne d'origine française et communautaire et les contrôles multiples ont transformé le travail de la terre en une gestion quotidienne de paperasserie administrative. Vous l'aviez souligné à l'occasion de la discussion du texte au sein de cette assemblée, simplifier c'est non pas déréglementer, mais permettre aux exploitants de concentrer leur temps à produire et à développer leur exploitation, plutôt qu'à remplir des dossiers.

Or, à ce jour, cette simplification a du mal à émerger. Parfois, au contraire, certaines administrations continuent à faire du zèle. Je vous remercie, monsieur le ministre, de leur donner un signe...

De façon plus précise, j'attirerai votre attention sur quelques points, sur lesquels les textes d'application de la loi ne sont pas encore parus, créant certaines difficultés concrètes pour les professionnels.

S'agissant de l'article 8 de la loi d'orientation agricole concernant la modernisation du fermage, l'ordonnance complète l'article L. 416-3 du code rural concernant la reconduction des baux à long terme d'au moins vingt-cinq ans ; elle prévoit qu'en l'absence d'une clause de tacite reconduction le bail prend fin au terme stipulé sans que le bailleur soit tenu de délivrer un congé et sans qu'il y ait un renouvellement possible.

Or, monsieur le ministre, cette interprétation semble contraire à l'article L. 416-1 du code rural selon lequel le bail à long terme est conclu pour une période d'au moins dix-huit ans et renouvelable par période de neuf ans. Cette position avait d'ailleurs été reprise par la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 12 juin 2003. Je vous remercie de me répondre sur ce point.

Pour ce qui est du bail cessible, la loi précise que la majoration de ce dernier - 50 % au maximum - s'applique aux maxima prévus par l'article L. 411-11 du code rural. Cet article dispose que le prix du bail est fonction de la durée de celui-ci. Il n'y a donc aucune ambiguïté dans la loi. Si un bail cessible est conclu pour vingt-cinq ans, il suffit de prendre le maximum fixé par l'arrêté préfectoral pour une durée de vingt-cinq ans et d'appliquer la majoration de 50 % pour connaître le montant maximum du fermage, les parties du contrat étant libres de convenir d'un montant moins élevé.

Pour autant, dans une réponse ministérielle publiée au Journal officiel du Sénat le 1er juin 2006, sous le numéro 22 691, vous précisez, monsieur le ministre, que la majoration de 50 % s'appliquerait au prix du bail de neuf ans, et non pas du bail de vingt-cinq ans, ce qui paraît contraire à la loi. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point et me dire si vous envisagez de publier un décret conforme à l'esprit de la loi ?

Par ailleurs, s'agissant du contrôle des structures visé à l'article 14 de la loi, il semble que le décret d'application ne soit toujours pas paru à ce jour. Avec la circulaire, la libéralisation du contrôle crée des difficultés pour ceux qui s'installent ou qui veulent s'agrandir, car ils ne savent pas s'ils doivent demander une autorisation ou se contenter d'une simple déclaration.

Ces règles peuvent aussi engendrer des inégalités, et surtout des conflits, sachant que la première installation d'un jeune agriculteur et la réinstallation d'un propriétaire ou d'un fermier, exproprié ou évincé, constituent des priorités.

Par ailleurs, une personne détenant déjà 2 % du capital d'une société peut-elle reprendre les 98 % restants sans demander une autorisation d'exploiter ?

Par circulaire en date du 8 août 2006, la direction générale de la forêt et des affaires rurales précise aux directions départementales de l'agriculture qu'en matière de société un contrôle de la « double participation » continue d'être opéré. Cette disposition vise le cas de l'augmentation de parts de sociétés par une personne ayant déjà la qualité d'exploitant agricole dans une autre structure, même si cette dernière a déjà été autorisée à exploiter ses terres. Il semble que cette interprétation soit contraire à la loi. Pouvez-vous, monsieur le ministre, m'apporter des éclaircissements sur ce point ?

Enfin, qu'en est-il de la liberté de choix d'un propriétaire qui a plusieurs candidats à l'installation ?

La question du loyer de la maison d'habitation d'une exploitation agricole a été abordée lors de la discussion de la loi d'orientation agricole et traitée dans le cadre de la loi portant engagement national pour le logement, publiée le 13 juillet dernier. De nombreux propriétaires et fermiers attendent avec impatience le décret correspondant.

Pour ce qui est des clauses de gestion environnementale, là encore, les décrets d'application sont attendus. À ce jour, une seule réunion aurait eu lieu.

S'agissant du crédit d'impôt « remplacement », prévu à l'article 25 de la loi, ce texte apparaît d'une portée trop restrictive, puisqu'il ne bénéficie qu'aux exploitations sur lesquelles la présence quotidienne est requise tout au long de l'année. Or c'est une appréciation très factuelle. Peut-on en effet considérer qu'un agriculteur dans le secteur végétal n'a pas à assumer des contraintes de présence, alors même que son calendrier de travail ne lui permet pas de partir en congé pendant les périodes scolaires ? Cet article introduit donc des inégalités entre les agriculteurs.

Quant à l'exonération de cotisations sociales pour les travailleurs occasionnels - il s'agit de l'article 27 de la loi -, si les décrets d'application sont bien parus, il existe néanmoins un problème d'interprétation de la part de votre ministère : l'exonération pour les travailleurs occasionnels passe de 100 à 119 jours et, selon vos services, le texte s'applique à la condition que la période des 100 premiers jours ne soit pas achevée à la date de publication du décret ; si cette condition n'est pas remplie, l'exonération ne s'applique pas aux contrats en cours, qui restent soumis à une exonération de 100 jours. Or il serait utile que l'extension de cette exonération s'applique à tous les contrats de travail en cours.

Sur le point concernant les calamités agricoles et l'assurance récolte, une participation efficace de l'État est nécessaire pour mettre en oeuvre une vraie réforme du fonds national des calamités et permettre ainsi le déblocage du système actuel d'assurance récole. Il importe, en effet, d'assouplir ce dernier et de l'étendre rapidement à tout le territoire, ainsi qu'à l'ensemble des productions.

Cette assurance doit prendre en compte plutôt la parcelle, et non la culture, et se fonder sur la seule estimation de la perte de rendement, à l'exclusion de tout autre type de reconnaissance, nationale ou départementale, qu'il s'agisse d'arrêtés de catastrophe naturelle ou de la validation par Météo France.

J'en viens, enfin, à l'évolution des textes réglementaires sur la génétique des animaux d'élevage. Qu'en est-il des arrêtés relatifs aux établissements départementaux de l'élevage et aux contrôles de performance, qui devraient être publiés dans le courant du premier semestre de 2007 ?

Le mouvement de restructuration à entreprendre pour les EDE-Chambres d'agriculture est important. Il prend du temps, afin de permettre la concertation avec les organismes de contrôle des performances. C'est pourquoi vos services ont été saisis par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture d'une demande de report au 1er janvier 2009 de la date d'application des textes relatifs aux EDE et aux contrôles de performance. Un tel report permettrait également aux départements concernés par la restructuration d'être plus sereins à quelques semaines des élections des chambres d'agriculture.

Telles sont, monsieur le ministre, les nombreuses questions, légitimes, qui se posent sur le terrain. Elles ne remettent naturellement pas en cause le bien-fondé de cette loi d'orientation, à laquelle nous avons pu intégrer de nombreux amendements grâce à votre ouverture d'esprit. Je vous remercie à l'avance des réponses que vous pourrez m'apporter.

Je tiens également à vous remercier très sincèrement, ainsi que vos collaborateurs, de la réactivité dont vous avez fait preuve, ce qui n'est pas le cas de tous les ministères, en répondant avec clarté et rapidité aux nombreuses questions écrites que je vous ai posées depuis la publication de cette loi d'orientation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je me félicite de cette initiative qui nous réunit aujourd'hui et qui concerne l'application réelle d'un texte qui a publié le 5 janvier 2006. Je souhaiterais qu'elle soit généralisée à l'ensemble des textes qui sont votés, tant il est vrai que la publication des décrets est la condition d'une réelle application d'un texte et nous assure que la loi est non pas le fruit d'une pression médiatique ou d'un effet d'annonce, mais traduit une véritable volonté politique de changer les choses.

S'il est exact que la non-publication de certains décrets pourrait être interprétée comme une véritable autocensure - je pense au CV anonyme, par exemple -, il convient qu'un décret d'application d'un texte soit élaboré de manière intelligente et concrète. On le voit bien, lorsque le décret est lié à un texte concernant uniquement le ministère de l'agriculture, il est publié plus rapidement. Mais dès lors qu'il concerne plusieurs ministères, il devient difficile de faire avancer les choses, tant chaque ministère redoute que l'on empiète sur son pouvoir.

Je souhaite que les ministères se montrent un peu plus coopératifs à cet égard, sauf à favoriser un rejet du politique par nos concitoyens, rejet que nous constatons, nous parlementaires, surtout lorsque nous devons dire que tel ou tel texte que nous avons voté n'est pas applicable, car il est toujours « dans les ministères » ! Cette situation conduit parfois à des formes de populisme détestables, révélant des aspirations à une démocratie punitive plutôt que participative. (Sourires.)

Mon rêve, aujourd'hui, serait donc qu'un groupe de parlementaires puisse suivre les projets d'élaboration des décrets d'application, comme le font d'ailleurs les syndicats professionnels et les associations nationales diverses concernés par un projet de décret. En effet, en tant que parlementaire, je ne suis jamais consulté sur l'élaboration des projets de décret, alors que le vice-président que je suis de la Fédération des parcs naturels régionaux de France et de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies reçoit les avant-projets et suit leur élaboration pas à pas avec les ministères. Autrement dit, une fois que la loi est votée, les parlementaires sont moins bien informés que les responsables des fédérations.

Or, on le sait très bien, le décret a parfois plus de valeur que la loi elle-même ! Il y a donc une réflexion à mener sur les évolutions nécessaires dans ce domaine, sans nier pour autant l'intérêt de la consultation des associations, fédérations ou autres organismes.

Permettez-moi de formuler à présent deux questions, monsieur le ministre.

Tout d'abord, le monde professionnel agricole s'inquiète quant à l'estimation financière du fonds agricole, craignant qu'elle ne conduise à une augmentation du coût des transmissions des exploitations. La généralisation mal maîtrisée d'une sorte de pas-de-porte risque de se révéler dangereuse pour l'avenir de l'agriculture. Pourriez-vous nous livrer vos réflexions sur ce sujet, afin de rassurer en particulier les jeunes agriculteurs qui ont un projet d'installation ?

Ensuite, bien qu'un peu hors sujet, ma seconde question, qui me concerne directement, reste liée à la capacité d'interpréter et d'appliquer les textes, surtout lorsqu'ils sont nationaux et européens.

Je souhaite attirer votre attention sur la situation de l'élevage dans le nord de la France, en particulier dans le département du Nord, à la suite de la détection de foyers de fièvre catarrhale. La gestion de cette affaire est pleine d'enseignements sur notre capacité ou notre difficulté à appliquer les textes.

L'apparition d'un moucheron piqueur, le Culicoïdes Imicola, qui est adapté au climat européen et touche les bovins, provoquant de la fièvre, la congestion des muqueuses, une cyanose de la langue, vous a conduit, monsieur le ministre, à prendre des mesures sanitaires parfaitement justifiées.

Malheureusement, ces dispositions paralysent le commerce des animaux, qui ne peuvent plus sortir des zones concernées. Autrement dit, les éleveurs ne peuvent plus vendre leurs veaux de huit jours aux départements et aux régions d'embouche et ils connaissent une baisse des prix catastrophique : ceux-ci sont passés de 160 euros en moyenne à 45 euros.

Ces mêmes éleveurs sont aujourd'hui contraints d'élever leurs animaux, alors même qu'ils ne disposent pas toujours des locaux ni des aliments nécessaires, risquant même parfois de perdre des primes auxquelles ils auraient droit.

Quant aux engraisseurs, ils ne peuvent plus exporter ou tout simplement abattre dans les abattoirs agréés parce que ces derniers se situent dans les régions indemnes.

Paradoxalement, les abattoirs non livrés en bêtes doivent mettre leur personnel au chômage technique, en particulier en Bretagne. Faute d'approvisionnement, plus de vingt abattoirs en zones indemnes ont dû annuler 20 % de leur activité, ce qui représente un jour d'abattage par semaine.

L'objet de ma demande, monsieur le ministre, est de permettre l'abattage des bovins et ovins des quinze départements réglementés dans tous les abattoirs du territoire national qui le souhaitent, comme c'est déjà le cas - et j'insiste fortement sur ce point - dans les États membres de l'Union européenne concernés, à savoir en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Je souhaite donc que vous preniez les décisions nécessaires, sans prendre de risques, bien sûr, en veillant à leur mise en application avec la plus grande rigueur. Ces décisions sont très attendues par les éleveurs qui subissent de lourdes pertes financières.

Pour en revenir à la loi d'orientation agricole, ma demande rejoint le problème de la mise en oeuvre de textes, certes importants et contraignants, en les adaptant aux situations telles qu'elles sont vécues par les agriculteurs.

Tel est le voeu que je tenais à vous exprimer ce soir, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier notre ami Gérard César de son heureuse initiative. Je rejoins la réflexion de notre collègue Paul Raoult sur au moins un point : ce serait une bonne chose si, pour les décrets d'application de nombreux textes de loi, nous pouvions exercer notre deuxième compétence, à savoir le contrôle.

Je saluerai également M. le ministre pour la célérité dont il a fait preuve, puisque aujourd'hui les deux tiers environ des décrets d'application de la loi d'orientation agricole ont été publiés. Il faut espérer que, d'ici à la fin de l'année, cette proportion atteindra 80 % ou 90 % ; vous nous rassurerez dans quelques instants sur ce point, monsieur le ministre.

En tout cas, cette publication rapide ne peut que constituer un exemple pour vos collègues du Gouvernement, qui seraient bien inspirés de vous imiter pour bien d'autres lois. Les membres de la commission des affaires sociales regrettent assez souvent que, pour certains textes, de 20 % à 40 % seulement des décrets d'application aient été pris.

Je suggérerai à ce propos une mesure, monsieur le ministre, suggestion qui ne vous est pas personnellement destinée. Ce n'est pas la première fois que je le dis, et je le répéterai jusqu'à ce que je réussisse à me faire entendre : il faudrait que les ministres prennent l'habitude d'accompagner les projets de loi des projets de décret.

Interpellé sur ce point, M. Philippe Bas m'a objecté qu'au regard de tel article de la Constitution un tel dispositif serait impossible à mettre en oeuvre compte tenu des amendements parlementaires. Cependant, il va de soi que le parlement, lorsqu'il adopte un amendement impliquant la modification d'un décret d'application, ne saurait faire grief au Gouvernement du retard induit ! Si la mise en annexe des projets de décret aux projets de loi assurait une application plus rapide des textes une fois votés, nous gagnerions du temps, et chacun serait bénéficiaire dans cette opération.

Une seconde mesure - certes, elle n'est pas de votre ressort direct ! - serait également souhaitable : il faudrait que les projets de loi soient accompagnés d'une étude d'impact financier. En effet, la loi d'orientation agricole, comme bien d'autres textes adoptés durant la session, prévoit des exonérations de charges, dites « exonérations ciblées », qui ne sont pas compensées, et ce aux dépens des financements de la sécurité sociale. Étant rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux de la loi de financement de la sécurité sociale, je suis particulièrement sensible à cet aspect, que j'ai évoqué hier devant MM. François Copé et Philippe Bas et dont je parlerai également à M. Xavier Bertrand : au total, ce ne sont pas moins de 3 milliards d'euros non compensés qui sont aujourd'hui prévus dans différentes lois ordinaires.

Je voudrais maintenant revenir sur quelques points intéressant particulièrement les agriculteurs.

L'utilisation des huiles végétales pures comme carburant agricole n'a pas encore fait l'objet d'un décret d'application ; mais je pense, monsieur le ministre, que vous allez nous rassurer tout à l'heure.

Je vous avais interpellé sur les modalités d'application de cette disposition. En effet, il ne faut pas que nous en restions au stade de l'affichage. D'un autre côté, il ne faut pas non plus créer l'illusion auprès des producteurs, il ne faut pas laisser les agriculteurs croire que, demain, ils pourront transformer, par exemple, leur colza en huile, la stocker chez eux et la mettre dans leur tracteur. Ce n'est pas vrai ! En effet, si les moteurs de l'ancienne génération peuvent éventuellement le supporter, les nouveaux tracteurs mis aujourd'hui sur le marché ne le permettent pas.

Où en est-on, monsieur le ministre ? Avez-vous avancé dans les discussions que vous menez avec les constructeurs de machines agricoles ? Il faudrait qu'assez rapidement les producteurs puissent effectivement utiliser l'huile végétale sur leur exploitation et, une fois cela acquis, qu'ils puissent également la commercialiser au profit de celles et de ceux qui souhaiteraient l'utiliser.

Par ailleurs, l'obligation d'introduire progressivement les biocarburants a été prévue dans la loi. Ainsi, en 2010, l'essence contiendrait jusqu'à 10 % d'éthanol et le gasoil la même proportion de diester. Il semble cependant que ce dernier pose lui aussi des problèmes d'adaptation des moteurs. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Pouvez-vous également nous préciser, point qui a peu été abordé au moment de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, si le Gouvernement prévoit des dispositions réglementaires visant à obliger l'ensemble du réseau français - Total, Shell, Elf, etc. - à installer des pompes parfaitement identifiées, de façon que le consommateur sache que le produit distribué contient un pourcentage d'éthanol ou de diester ? Peut-être allez-vous me répondre que, de toute façon, l'information au consommateur comporte déjà obligatoirement ces éléments. Cependant, il serait bon, au titre de la traçabilité des produits et de l'information de nos concitoyens, qu'ils apparaissent à la pompe, de façon à savoir, lorsqu'on utilise de l'essence ou du gasoil, qu'ils contiennent une part de diester ou d'éthanol.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale, lorsqu'un point a été fait sur la parution des décrets, que vous étiez favorable à une expérimentation par les collectivités locales de l'utilisation de ces produits. Avez-vous avancé sur cette question, qui correspond à une demande assez forte ? Je puis vous indiquer que, dans mon département, la chambre d'agriculture m'a demandé à être reçue par le conseil d'administration de l'association des maires, que je préside, et a l'intention d'organiser une journée thématique à laquelle elle invitera l'ensemble des élus pour les sensibiliser à l'intérêt que présenterait pour les collectivités locales la diversification des formes d'énergie utilisées. Il serait bon de pouvoir booster un peu cette initiative.

Pour terminer, j'évoquerai rapidement trois points.

J'aimerais, monsieur le ministre, que l'on ne joue pas trop l'inertie dans le dossier de l'utilisation des sacs en plastique. Un décret doit être publié en décembre. Est-il possible d'aller un peu plus vite ? C'est là un nouveau débouché pour la production végétale ; cela présente un intérêt écologique certain et, en même temps, un intérêt économique pour l'ensemble de la profession.

Lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, j'étais déjà intervenu à propos de l'article 76 pour regretter que le pouvoir d'inclure dans les baux des clauses concernant les pratiques culturales et s'imposant au preneur soit donné aux seuls bailleurs personnes morales, la possibilité en étant refusée aux personnes physiques. Votre réflexion sur le sujet a-t-elle avancé, monsieur le ministre ? J'aimerais que nous progressions sur ce point, car il y a là, à mon sens, une véritable inégalité de traitement entre les propriétaires personnes morales et les propriétaires personnes physiques.

Enfin, je rejoindrai notre collègue Paul Raoult sur un tout autre sujet : le problème que pose la fameuse maladie « de la langue bleue ». Pourriez-vous, monsieur le ministre, saisir l'occasion de ce débat pour nous donner des informations ? Quelques bribes nous sont parvenues par le canal des directions départementales de l'agriculture ; il est question d'indemnité pour les bovins mâles et les ovins... Qu'en est-il exactement ? Les éleveurs sont particulièrement inquiets. Déjà, un effet est sensible sur la valeur commerciale de leurs produits ; des coûts alimentaires et sanitaires supplémentaires vont peser sur les exploitations. Il y a également le problème de la commercialisation des reproducteurs. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi un élevage référencé, indemne, suivi par les services vétérinaires, ne posant aucun problème sanitaire, ne pourrait pas commercialiser normalement ses animaux. J'aimerais que vous puissiez nous apporter quelques éclaircissements sur ce point.

J'aurais pu vous interroger sur la PAC et sur l'OMC ; mais j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de vous interpeller sur ces questions, et je vous en ferai donc grâce. Je pourrai ainsi satisfaire à la demande de Gérard César, qui souhaitait que je sois le plus bref possible ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'aborderai pas l'économie générale de la loi d'orientation agricole et me limiterai à me faire le porte-parole des représentants du monde agricole en Savoie, qui attendent la publication d'un certain nombre de décrets.

Ainsi, les dispositions de l'article L. 716-2 du code rural instaurant pour les employeurs occupant au moins 50 salariés agricoles une cotisation destinée à contribuer au financement du logement des salariés par le biais d'aides ou de prêts semblent être restées lettre morte pour le moment. Alors que nos concitoyens connaissent des difficultés accrues pour se loger, phénomène auquel n'échappent pas les salariés agricoles, cette initiative peut créer un levier supplémentaire pour faciliter à ceux-ci l'accès au logement. C'était l'objet de nos discussions lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.

Une autre disposition de la loi concerne les plus précarisés des exploitants, ceux qui sont contraints de cesser leur activité et d'envisager leur reconversion. À la détresse morale s'ajoute évidemment la détresse financière. Même si elle ne concerne qu'un nombre restreint de bénéficiaires, la mise en oeuvre du décret permettant de fixer le versement du revenu d'accompagnement au chef d'exploitation en congé de formation semble n'être toujours pas effective, alors qu'elle représente une chance supplémentaire dans un parcours qu'il est nécessaire de sécuriser.

S'agissant de mesures dont les effets sur l'environnement sont marqués, là encore, force est de constater que le rythme d'avancement des décisions réglementaires est plus lent que nous ne le souhaiterions, et ce malgré les engagements qui avaient été pris durant le débat parlementaire.

Il en va ainsi de l'article 44, portant sur l'obligation d'utiliser dans les zones naturelles sensibles des lubrifiants biodégradables pour des usages donnés. Certes, l'entrée en vigueur de cette mesure est fixée au 1er janvier 2008, mais il avait été indiqué, en réponse à une interrogation du rapporteur du projet de loi, qu'une application anticipée serait encouragée.

Une autre mesure a une haute portée symbolique et est considérée comme un message fort à destination de l'opinion publique et des professionnels concernés : c'est bien évidemment l'interdiction de distribuer au consommateur final des sacs et emballages en plastique non biodégradable, même si les sacs de caisse ne représentent que 0,26 % du poids total des ordures ménagères.

De nombreuses initiatives émanant des collectivités locales et associant la grande distribution ont anticipé ce processus et sont en cours de concrétisation, à l'image de ce qui se passe en Corse et en Savoie, départements précurseurs. Afin que cette évolution, notamment en termes de recherche sur la biodégradabilité et sur l'adaptation des processus de production, soit anticipée, en particulier pour les entreprises de ce secteur, il convient que soit rapidement publié le décret sur l'incorporation des matières d'origine végétale précisant les taux d'incorporation imposés.

L'enjeu est de taille : certes, 0,8 % seulement du tonnage des emballages en plastique est biodégradable, mais il y va de la crédibilité de la démarche ; il s'agit aussi de développer un débouché pour la production de notre agriculture.

Dans le même domaine, la possibilité pour les agriculteurs d'utiliser comme carburant les huiles végétales pures issues de plantes qu'ils produisent n'a pas fait l'objet de mesures d'application, alors que la portée de cette disposition est très limitée et reste en deçà de ce que nous aurions souhaité, en particulier dans la mesure où elle n'est pas étendue à tous les exploitants et ne comporte pas la fixation de normes pour les moteurs et les émissions. Alors que le rapporteur du projet de loi indiquait que ce système était simple et immédiatement applicable pendant une période d'essai d'un an, avant qu'il n'en soit dressé un premier bilan et que des évolutions ne soient éventuellement décidées, l'expérimentation, en l'absence de décret d'application, n'a visiblement pas encore commencé. Quant aux initiatives prises par les collectivités locales dans ce domaine, notamment dans le cadre des transports en commun, elles se heurtent toujours à une application drastique de la réglementation.

Je souhaite également saisir l'occasion que me fournit cette question orale avec débat pour évoquer l'inquiétude, largement relayée par la presse, des nombreux jardiniers, agriculteurs et distributeurs quant à la mise en oeuvre de l'article 70.

Ce texte, qui a pour objet de protéger les consommateurs, est tout à fait louable dans son principe, mais sa mise en oeuvre aboutit à des résultats différents des objectifs visés. Ainsi, la nécessité d'obtenir une autorisation de mise sur le marché, une AMM, ou une autorisation de distribution pour expérimentation, du fait de leur coût et du délai d'attente, est tout à fait rédhibitoire pour de nombreux producteurs.

De même, l'interdiction de toute publicité commerciale pour des produits ne bénéficiant pas d'une autorisation de mise sur le marché fait que de nombreux jardiniers et agriculteurs utilisant et faisant la promotion de pesticides naturels comme le purin d'orties se retrouvent dans l'illégalité. Le paradoxe de cette législation est qu'elle conduit aujourd'hui à remettre en cause des productions dont le caractère sans danger pour le milieu naturel est établi.

Si cet article renforce dans son premier alinéa la garantie sanitaire en confiant à l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'évaluation des risques liés aux fertilisants et aux produits phytosanitaires, la décision d'exiger une autorisation de mise sur le marché est perçue par les associations de développement de l'agriculture biologique comme un outil de soutien aux industries phytopharmaceutiques.

Monsieur le ministre, s'agissant de produits d'origine naturelle issus souvent de savoir-faire traditionnels, une procédure d'homologation spécifique, plus souple et respectant bien évidemment les conditions de sécurité alimentaire des consommateurs, peut-elle être envisagée ?

J'évoquerai enfin un dernier point, qui me concerne directement en tant qu'élu de la montagne et qui intéresse également les agriculteurs de montagne.

L'article 93, paragraphe V, de la loi d'orientation agricole prévoit que le Gouvernement doit prendre les dispositions nécessaires pour la mise en place du service universel afin de préserver la possibilité pour tout producteur d'obtenir des inséminations artificielles de haute qualité, quel que soit son lieu de résidence, et à des prix comparables.

L'enjeu est la prise en compte de la spécificité des races à faible effectif implantées dans des zones à contraintes fortes, comme la montagne, où les coûts de mise en place sont encore plus élevés, notamment en raison de la distance.

Chacun connaît le rôle que jouent, par exemple, les races Tarentaise ou Abondance en matière d'entretien de l'espace dans les zones alpines, au-delà du fait qu'elles sont à l'origine de produits à haute valorisation.

Le service universel doit également s'appliquer au schéma de sélection des races à faible effectif, dont le coût est estimé au double des autres races. Il s'agit de préserver la diversité génétique à laquelle concourent des races comme l'Abondance et la Tarentaise ou la Thônes et Marthod.

Monsieur le ministre, étant à l'origine de la disposition législative adoptée - j'avais en effet déposé un amendement visant les races de montagne que vous m'avez demandé de modifier pour viser les races à faible effectif -, je suis très soucieux de la rédaction de ce décret d'application, souhaitant qu'il n'exclue en définitive aucune race de montagne ; le seuil à partir duquel vous fixerez la définition des races à faible effectif fera que l'Abondance et la Tarine seront ou non concernées par ce service universel.

Je souhaite que le Gouvernement, dans le cadre de l'arrêté en cours de préparation relatif au service universel de distribution et de mise en place de la semence des ruminants, prenne en compte cette double dimension des contraintes liées au territoire et de la diversité génétique, les deux éléments étant profondément liés.

Votre réponse sera bien évidemment examinée de très près par les chambres d'agriculture des différents massifs de notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, pour être bref et pour répondre à la demande de M. Gérard César, j'entrerai d'emblée dans le vif du sujet qui me préoccupe, à savoir la montagne.

Lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, vous avez pris en compte un certain nombre de questions, parmi lesquelles figure l'agriculture de montagne, qui fait d'ailleurs l'objet du chapitre III du titre IV, intitulé « Garantir les conditions d'une agriculture de montagne durable ».

Vous avez déclaré le 27 octobre 2006 à Ax-les-Thermes, lors du XXIIe congrès de l'Association nationale des élus de la montagne, que la loi d'orientation agricole a donné une force opérationnelle aux différentes actions pour l'agriculture en montagne.

Mais qu'il me soit permis de vous interroger sur quelques points précis.

L'article 79 de la loi d'orientation agricole, premier article du chapitre III consacré à l'agriculture de montagne, prévoit que « les dispositions législatives et réglementaires relatives au domaine de la montagne sont regroupées dans un code de la montagne ».

Monsieur le ministre, compte tenu des réticences des services à élaborer un tel code, nous avons besoin de votre volonté politique pour faire avancer ce dossier.

Il ne faudrait d'ailleurs pas que, dans ce code, le périmètre de la montagne soit le plus limité possible. Le code de la montagne doit être pilote et non « suiveur » d'autres codes, comme le code de l'urbanisme, le code de l'environnement ou le code général des collectivités territoriales, quel que soit leur intérêt.

Il conviendrait également de s'assurer que les zones de montagne qui sont délimitées de façon précise, avec des critères européens, par leur altitude, leur climat ou leurs pentes, répondent à cette classification spécifique.

Ce serait une erreur, quel que soit l'intérêt des politiques de massifs, d'assimiler montagnes et massifs. Il y a une politique propre de la montagne dans les massifs.

Monsieur le ministre, l'article 80 prévoit la prise en compte des handicaps naturels de l'agriculture de montagne par des mesures particulières visant notamment à compenser financièrement les surcoûts qu'ils génèrent.

Je ne vais pas dresser la liste de ces mesures, mais peut-être serait-il intéressant de saisir l'opportunité de ce débat pour faire rapidement le point sur la revalorisation de l'indemnité compensatoire de handicap naturel, l'ICHN, question sur laquelle vous avez fait des déclarations positives, sur le problème de la prime herbagère agrienvironnementale, sur les plans de modernisation des bâtiments d'élevage ou sur l'aide à la mécanisation. Je connais votre volonté, mais il est important que nos agriculteurs de montagne, se référant à vos réponses, gardent confiance.

Avec les articles 83 et 85, le Sénat, répondant aux souhaits du groupe d'études sur le développement économique de montagne que je préside et qui rassemble des sénateurs issus de tous les groupes de la Haute Assemblée, a prévu l'obligation, pour « les sections ou commissions consacrées aux produits portant la dénomination ?montagne? des organisations interprofessionnlles » de se réunir « au moins une fois par an pour établir un bilan de l'attribution de cette dénomination aux produits pour lesquels elles sont compétentes », ainsi que la désignation de commissions spécialisées consacrées aux produits de montagne au sein des comités de massifs. Il s'agit de faire en sorte que le label « montagne » soit synonyme de qualité, et nous avons toujours été très vigilants sur ce point.

De nombreux débats ont eu lieu, mais j'aimerais savoir si ces commissions sont désormais opérationnelles.

Je souhaite également appeler votre attention sur l'article 62, qui est relatif à la maîtrise des aléas.

Il s'agit de la prise en compte de la « fragilité accrue au regard des aléas de certains territoires, notamment ceux de montagne et des départements d'outre-mer, en particulier pour ce qui concerne la définition des dommages assurables », afin qu'une approche moins restrictive à l'égard des calamités agricoles soit adoptée. C'est en effet un sujet qui a entraîné de nombreux problèmes d'assurance.

Un décret doit préciser les modalités d'application de l'article 62, complétant l'article L. 361-20 du code rural. Dans quels délais ce décret doit-il être publié ? Il semble qu'il y ait de nombreuses difficultés à cet égard.

Enfin, le Gouvernement a entrepris une action très importante afin que cette approche de la montagne soit prise en compte au niveau européen. Les choses avancent un peu, me semble-t-il, mais il est essentiel que l'Europe prenne conscience de la nécessité de maintenir une agriculture en montagne, d'abord parce que cette dernière donne des produits de très grande qualité - ces productions font appel à des techniques agrienvironnementales - qui doivent être reconnus et valorisés comme tels, ensuite parce qu'elle assure le maintien de nos espèces et de nos paysages. N'oublions pas que c'est l'Europe qui a inventé en 1972 la « prime à la vache tondeuse ».

M. Alain Vasselle. La prime est restée !

M. Jacques Blanc. Cette prime, qui visait à maintenir les sols, a permis aujourd'hui, certes après transformation, de maintenir l'agriculture en montagne.

Mes chers collègues, que seraient nos montagnes s'il n'y avait pas eu cette politique agricole européenne ? Il est tout de même bon de lui rendre hommage de temps en temps ; mais encore faut-il qu'elle persiste. Nous devons nous battre pour les prochaines années, et nous mobiliser tous pour que l'Europe n'oublie pas cette réalité.

M. Paul Raoult. Vive l'intervention publique !

M. Jacques Blanc. Pour terminer, j'évoquerai la viticulture, étant moi-même à l'origine d'un amendement, qui a été adopté, visant à ce que « la dénomination ?vins de pays?, suivie d'une zone de production ou d'un département », soit reconnue comme « mention valorisante ».

Cette mention est importante pour des producteurs de vins de pays qui ont consenti d'énormes efforts et qui souffrent - Gérard César ne me démentira pas. L'ancien président de la région Languedoc-Roussillon que je suis connaît non seulement les efforts faits par nos viticulteurs, mais aussi leurs angoisses et la situation redoutable que vivent actuellement un certain nombre d'entre eux. Et il sait que l'appellation « vins du pays d'Oc » constitue une démarche formidable dans la région Languedoc-Roussillon.

Monsieur le ministre, j'aimerais savoir où en est cette mesure nouvelle visant à permettre la reconnaissance de ces signes de qualité, associant cépage et terroir ou département, afin de répondre à l'attente, parfois un peu angoissée, de nos viticulteurs.

Enfin, je voudrais souligner que vous vous êtes battu contre d'autres ministères, notamment avec le ministère des finances - mais c'est le lot permanent des ministres de l'agriculture, et je sais que, même si ce n'est pas toujours facile, vous le faites avec une grande conviction -, pour défendre l'agriculture.

L'agriculture constitue une chance pour la France et pour l'Europe ! Ne laissons pas courir le bruit que la politique agricole commune ruinerait l'Europe, alors que c'est la seule politique commune européenne !

En effet, les financements apportés par l'Europe à la politique agricole ne sont pas comparables à ce qui peut se faire dans d'autres secteurs où l'Europe, certes, intervient, mais où elle le fait dans le seul cadre d'une volonté partagée pour aller au-delà de l'action menée par les États.

Ne comparons pas la politique agricole commune et les mesures financières relatives au développement de la recherche et des technologies. Dans ce domaine, nous pouvons être fiers de ce qui se fait dans notre pays. J'étais hier avec M. le ministre délégué à l'enseignement et à la recherche à Agropolis, le grand pôle de recherches agronomiques de Montpellier, mondialement connu ; j'étais fier du savoir-faire de la France dans ce domaine, et fier également de l'avoir un peu accompagné.

Monsieur le ministre, je vous remercie de l'action que vous menez ; nous allons vous aider pour que les autres ministères, Bercy notamment, ne bloquent pas certains projets. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner, après d'autres orateurs, que la demande de M. Gérard César de dresser le bilan de l'application de la loi d'orientation agricole adoptée le 5 janvier 2006 me semble très pertinente, en particulier en ce moment, même si je ne partage pas pour autant l'enthousiasme de notre collègue sur l'appréciation de ce premier bilan.

Le débat sur les questions agricoles est en effet opportun à l'heure où les collectivités négocient avec l'État les futurs contrats de projets, qui voient les lignes spécifiques aux questions agricoles réduites parfois de 35 %, sans parler des anciens contrats de plan qui n'ont pas tous tenu leurs engagements financiers du fait de gels budgétaires.

Ce débat est opportun aussi à l'heure où la partie régionale des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, est encore en discussion, à l'heure où les agriculteurs français découvrent les premières notifications de leurs DPU, les droits à paiement unique, avec les inégalités et les conséquences que nous connaissons, à l'heure enfin où chacun a présent à l'esprit les prochaines élections au sein des chambres d'agriculture.

Il est temps, en effet, de faire le point sur la loi d'orientation agricole, qui avait fait naître des espoirs certains dans un monde agricole déstabilisé par le manque de perspectives sur les plans mondial, européen et national.

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même ne partageons pas la vision libérale de ce texte - nous l'avions dit à l'époque, nous le répétons aujourd'hui - qui tend à installer, voire à abandonner, l'agriculture dans la seule logique du marché. Face à votre souhait de transformer les exploitations agricoles en entreprises industrielles, il convient de réaffirmer que la France agricole et rurale est riche de sa diversité et que toutes les formes d'agriculture à dimension humaine, compétitive, diversifiée et respectueuse de l'environnement sont à préserver au sein de nos territoires ruraux, si différents dans leur géographie, leur histoire et parfois même dans leurs ambitions.

Lorsque l'on fait le recensement des textes d'application pris par le gouvernement actuel, on peut en avoir une vision soit très optimiste, comme c'est le cas de certains d'entre vous, soit, au contraire, plus critique, comme les membres du groupe socialiste.

Parmi les mesures réglementaires déjà prises par le Gouvernement, figure un décret relatif aux modalités de déclaration du fonds agricole, publié en août 2006, qui n'était pas prévu par la loi.

Monsieur le ministre, lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, nous vous avions alerté sur le besoin de clarifier les rôles dans les opérations de transfert de bail. Nous vous avions alors dit que la précipitation n'était jamais bonne conseillère.

Ce décret répond-il aux questions que nous vous posions à l'époque ? Comment ce fonds sera-t-il construit, géré et défini ? Quelle sera la place du candidat à la reprise ? Aura-t-il son mot à dire ou devra-t-il, au final, nécessairement suivre l'avis du bailleur de crainte de voir le bail se terminer ? J'espère que la date de publication du décret au Journal officiel, le 4 août, est de bon augure dans ce domaine.

Par ailleurs, les DPU seront-ils intégrés dans la valorisation d'un fonds agricole et, dans l'affirmative, jusqu'à quand ?

Permettez-moi de m'arrêter un instant, comme l'a fait M. Repentin tout à l'heure, sur la question que pose le décret, paru au début du mois de juillet, relatif à l'évaluation par l'AFSSA des produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports de culture.

Ce décret prévoit que seront désormais interdites toute publicité commerciale et toute recommandation pour les produits phytopharmaceutiques contenant une ou plusieurs substances actives destinées au traitement de végétaux si ces produits ne bénéficient pas d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation de distribution pour expérimentation.

Ces dispositions posent un réel problème pour des produits naturels traditionnels et des pratiques qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme particulièrement respectueuses de l'environnement.

Monsieur le ministre, vous avez dû, je présume, recevoir un très grand nombre de courriers d'alerte de la part de nombreux parlementaires, tant l'émoi suscité par ces décrets a été grand non seulement dans le petit monde du jardinage écologique, mais également dans le milieu agricole et rural soucieux des bonnes pratiques environnementales.

Nous sommes bien loin, là, d'une vision écologique et économe du travail de la terre. Comment peut-on à la fois prôner la limitation de l'utilisation de produits fongicides et d'engrais pour lutter contre la pollution des sols et des eaux et interdire la promotion des produits naturels et quasiment gratuits ? Mais n'est-ce pas précisément là le noeud du problème ?

On peut comprendre l'importance de ne pas tout laisser faire et, surtout, de ne pas laisser faire n'importe comment, mais reconnaissez que nous sommes dans une situation singulière, dans laquelle le contrevenant est passible de deux ans de prison et de 75 000 euros d'amende ! Y avait-il réellement urgence à publier ce décret en l'état ?

Monsieur le ministre, il convient de légiférer rapidement sur les biocarburants, qu'il s'agisse de l'utilisation, comme carburant agricole, d'huile végétale pure ou des modalités de production, de commercialisation et d'utilisation de l'huile végétale.

Il y a en effet urgence tant la question des énergies est devenue, pour les agriculteurs, une donnée nouvelle, intéressante pour l'avenir, mais aussi pleine d'incertitudes. Il convient néanmoins de s'interroger sur le fond et de se demander si l'agriculteur peut réellement y trouver son compte.

Certains voient dans les biocarburants un avenir réel pour l'agriculture française. Comme nous l'avions indiqué lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, il y aura toujours ailleurs, je le crains, des modèles et des pratiques culturales à moindre coût, donc plus rentables. Ne laissons pas croire aux agriculteurs que l'avenir réside uniquement dans les carburants verts. Ne retombons pas dans les travers du passé. L'énergie fait partie intégrante des questions économiques concernant les exploitations et l'agriculture en général.

Si nous pouvons dire « oui » à des filières courtes afin de promouvoir l'autonomie énergétique des exploitations - déjà, aujourd'hui, des projets locaux existent, des récoltes ont été faites et des presses à huile ont commencé à tourner -, nous devons cependant rester prudents et dire « non » à des contrats sans garantie entre les agriculteurs et des multinationales qui prôneraient des pratiques culturales dont le bilan écologique positif n'a toujours pas été démontré et qui favoriseraient une intégration dissimulée.

Il faut donc légiférer pour encadrer les modalités de production, de commercialisation et d'utilisation des huiles végétales. C'est devenu d'autant plus urgent que certains pôles d'excellence ruraux labellisés ont déjà préparé des projets dans ce sens et attendent de pouvoir les mettre en oeuvre.

Enfin, et ce sera mon dernier point, je tiens à évoquer l'article 38 de la loi d'orientation agricole, qui a complété le premier alinéa de L. 143-1 du code rural relatif au droit de préemption des SAFER.

La mise en place du cadre juridique de la réforme de la PAC risque de mettre à mal la politique d'amélioration des structures et le rôle des SAFER, dont la mission de service public a été prévue par le code rural depuis 1960. Il est donc urgent de préciser leur rôle, qui est indispensable pour la politique d'installation des jeunes et pour la modernisation des exploitations.

Comme on peut le constater depuis quelque temps, si les SAFER ne peuvent préempter les DPU avec les terres qu'elles acquièrent, elles ne pourront plus réaliser les restructurations de terres qui leur permettent soit d'aider à l'installation de nouveaux agriculteurs, soit de conforter les exploitations. Elles ne pourront pas non plus à l'avenir compenser les pertes de terrains avec DPU dans le cadre d'acquisitions pour des réalisations liées à des politiques publiques.

Par ailleurs, monsieur le ministre, envisagez-vous d'effectuer des prélèvements à chaque changement d'exploitant pendant les phases de stockage temporaire, au risque de casser la logique d'aménagement des structures ?

En outre, la question complexe de perte de DPU des terres en stock de 2000 à 2002 au profit de la réserve départementale a semble-t-il amené certaines SAFER à engager des poursuites juridiques.

Pourquoi pénaliser cet opérateur foncier différent des autres, qui a su montrer, dans l'exercice de sa mission de service public, son rôle structurant, au moment même où la loi relative au développement des territoires ruraux et la loi d'orientation agricole ont prévu d'étendre leurs interventions auprès des territoires et des collectivités ?

Reconnues comme « exploitantes » aux termes de la définition européenne de l'exploitant agricole, les SAFER méritent non seulement qu'on leur donne les moyens d'appliquer les politiques d'installation de nouveaux agriculteurs et de modernisation des exploitations, mais aussi que l'on mette tout en oeuvre pour que leurs activités ne se déroulent pas, à l'avenir, d'une manière trop complexe ou avec moins d'efficacité, moins de qualité auprès d'attributaires prioritaires. Cela aurait pour effet de permettre à certains de leurs détracteurs d'être encore plus critiques.

Nous avions déposé nombre d'amendements sur ce sujet lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole. Seul l'un d'entre eux a été adopté. Il tendait à éviter que la conclusion de baux cessibles ne donne lieu à la signature de baux de complaisance n'ayant pour objectif que de contourner le droit de préemption des SAFER.

Je crains que, avec le système des DPU, ces risques de contournement du droit de préemption ne dépassent largement, hélas ! la seule signature de baux cessibles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)