compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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dépôt d'un rapport DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les projets de programmes de qualité et d'efficience relatifs aux dépenses et aux recettes de chaque branche de la sécurité sociale, en application de l'article 23 de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Les programmes de qualité et d'efficience constituent un nouvel élément de la mise en oeuvre de la réforme des lois de financement de la sécurité sociale. Ils seront à l'avenir annexés à chaque projet de loi de financement.
En votre nom, je me félicite de constater que la culture de l'évaluation puisse ainsi progresser en matière de finances sociales.
Acte est donc donné du dépôt de ces documents.
Ils sont transmis, pour avis, à la commission des affaires sociales, comme le prévoit la loi organique.
Ces documents sont disponibles auprès de la commission.
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désignation d'une MISSION D'INFORMATION commune
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen d'une demande des présidents des commissions des finances, des affaires économiques et des affaires sociales, tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information commune sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'y attachent en termes d'attractivité du territoire national.
Je vais consulter sur cette demande.
Il n'y a pas d'opposition ?...
En conséquence, en application de l'article 21 du règlement, cette mission d'information commune est autorisée.
Conformément aux propositions de désignations présentées par les commissions permanentes, les sénateurs membres de cette mission sont : MM. Denis Badré, Paul Blanc, Mme Nicole Bricq, MM. Gérard César, Gérard Cornu, Serge Dassault, Mmes Isabelle Debré, Michelle Demessine, MM. Bernard Dussaut, Christian Gaudin, Francis Grignon, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Alain Lambert, Mme Elisabeth Lamure MM. François Marc, Philippe Marini, Jean-Pierre Michel, Aymeri de Montesquiou, Roland Muzeau, Michel Teston et Pierre-Yvon Trémel.
4
politique énergétique de la France
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique énergétique de la France.
La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le Premier ministre s'y est engagé, nous voici aujourd'hui réunis pour un débat sur l'un des enjeux essentiels pour la France et pour l'Europe : notre politique de l'énergie.
Face à la croissance des besoins en énergie, le caractère limité de nos ressources apparaît avec force : la fin de l'ère du tout pétrole est une réalité, les approvisionnements en gaz naturel deviennent un enjeu géostratégique essentiel et une politique ambitieuse d'investissements dans des installations de production électrique est nécessaire pour accompagner l'augmentation de la consommation.
Notre débat d'aujourd'hui est un moment décisif. Je le dis avec calme, avec sérénité, mais aussi avec une véritable solennité. Après nos échanges d'aujourd'hui, chacun devra, en conscience, prendre ses responsabilités. Ce mot de « responsabilité » sur le sujet de l'énergie est moins que jamais un mot en l'air.
La France, dans les cinquante dernières années, n'a manqué aucun des grands rendez-vous, même les plus difficiles politiquement, dans le domaine de l'énergie. Qu'il s'agisse de l'hydraulique ou du nucléaire, pour ne citer que deux secteurs principaux de l'énergie, les dirigeants d'hier ont su déployer un immense effort de pédagogie et de conviction, ils ont su prendre des décisions courageuses et visionnaires. Grâce à eux, la France dispose aujourd'hui d'atouts substantiels dont chacun se félicite au quotidien.
Nous sommes aujourd'hui face à des questions aussi décisives. Du fait de la crise de l'énergie, le statu quo est moins que jamais une option. En fonction des décisions qui seront prises à l'issue de nos discussions, nous nous serons donnés, ou non, la possibilité de prendre en main l'avenir de Gaz de France, de peser davantage sur les rapports de force industriels et commerciaux en Europe et dans le monde et de mieux maîtriser notre futur.
Chacun devra pondérer ce qui est réellement décisif et stratégique pour notre pays, pour l'entreprise Gaz de France, ses salariés et ses consommateurs, de ce qui l'est moins.
Chacun devra juger sur pièces la réalité des défis et des menaces, la qualité des réponses que les entreprises proposent d'y apporter et le sérieux des garanties dont le Gouvernement a décidé d'entourer ce grand projet.
Je sais que chacune et chacun ici est conscient de ces enjeux et, surtout, apprécie pleinement le poids de notre responsabilité sur ce dossier.
Les évolutions géostratégiques et économiques dans le domaine de l'énergie sont très profondes et se sont encore accélérées depuis 2004.
Depuis 2000, et encore plus depuis 2004, le monde de l'énergie a profondément changé. Le monde a pris conscience de la réalité de l'épuisement désormais prévisible des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité géostratégique des zones de production ne cessait de croître.
Nous venons de prendre conscience que, face à la quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures, qui a conduit à une forte hausse du prix du pétrole, de 28 dollars à 73 dollars le baril, face au renforcement des enjeux liés à la sécurité d'approvisionnement en gaz de l'Europe et au mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l'énergie, notre monde avait changé.
Au-delà de cette donnée, le caractère stratégique de la ressource gazière ou pétrolière en fait, de manière de plus en plus visible, une arme dans les rapports de force internationaux : c'était une évidence ancienne pour le pétrole ; cela l'est devenu également pour le gaz naturel.
C'est pourquoi à cette « dureté » croissante du rapport de force économique dans le secteur de l'énergie, répond une puissante vague de consolidation et de concentration dans les pays consommateurs.
C'est aujourd'hui, n'en doutons pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que se constituent les acteurs majeurs de l'énergie de demain. Les décisions importantes ne peuvent attendre si nous voulons conforter notre indépendance énergétique. Notre politique énergétique n'a pleinement son sens que si elle peut s'appuyer sur des entreprises puissantes, d'une taille suffisante pour affronter les enjeux de ce nouveau monde. C'est évidemment le cas pour EDF. La question est plus délicate pour Gaz de France.
Désormais, les énergéticiens européens cherchent tous à disposer d'une taille critique afin d'investir et de renforcer leur pouvoir de négociation avec les principaux pays producteurs. Ils cherchent aussi à présenter une offre duale, gaz et électricité, pour répondre aux demandes de leurs clients.
Les acteurs de l'énergie sont donc engagés dans une course à la taille afin de disposer de la capacité d'investissement en amont qui leur est indispensable pour assurer l'approvisionnement ou la production. Les montants en jeu se chiffrent en milliards, voire en centaines de milliards d'euros. Selon les experts, d'ici à 2030, ce sont plus de 700 milliards de dollars qu'il faudra investir dans les secteurs énergétiques simplement pour satisfaire la croissance de la demande mondiale puisque, dans vingt-cinq ans, la population de la planète aura augmenté de 25 %.
Les acteurs de l'énergie sont donc engagés dans une course à la taille pour s'assurer l'indispensable capacité d'investissement en amont. Car, pour pouvoir satisfaire les besoins, il faudra investir massivement en amont. Il faudra donc avoir des entreprises qui ont la capacité et les bilans pour le faire. Les montants en jeux sont considérables. Cette course, il faut avoir le courage de le dire, se déroule aujourd'hui et personne ne peut dire comment elle se terminera.
Pour répondre aux enjeux stratégiques de l'énergie, nous menons de longue date une politique ambitieuse et volontaire. Nous avons conduit avec le Gouvernement, en particulier avec François Loos, des actions très vigoureuses pour répondre aux défis des prix du pétrole, pour favoriser les investissements dans les outils de production d'électricité, pour répondre aux enjeux des hydrocarbures chers - notamment en encourageant les sources d'énergie alternatives -, pour développer des filières complémentaires, en particulier le bioester ou le bioéthanol qui ont été vigoureusement activés au cours des dernières semaines, mais aussi pour développer des programmes ambitieux en ce qui concerne la maîtrise de la consommation d'énergie.
L'action des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin dans le domaine énergétique a, depuis quatre ans, été ambitieuse et exemplaire. Elle s'est concrétisée par deux lois essentielles déjà adoptées par le Sénat.
La loi du 9 août 2004 a permis à EDF et Gaz de France d'être en mesure de saisir les opportunités stratégiques liées à l'évolution des marchés de l'Europe de l'énergie, en les dotant d'un statut qui leur permet de faire face aux défis du monde nouveau.
La loi du 13 juillet 2005 a établi la feuille de route de notre politique énergétique, centrée sur la maîtrise de l'énergie et sur le développement de capacités de production d'énergie nouvelles renouvelables, mais aussi d'énergie nucléaire avec la décision de construire en France une centrale nucléaire de troisième génération, l'EPR.
Enfin, la loi relative à la transparence et la sécurité en matière nucléaire, qui est en cours de promulgation, ainsi que le projet de loi sur les déchets radioactifs, qui est discuté cette semaine en deuxième lecture, permettront de renforcer et de compléter ce cadre réglementaire.
Nous conduisons, comme je viens de le rappeler, une action volontariste à grande échelle. J'insiste sur le fait que je mène ce combat avec détermination, au nom de la France, au sein des institutions internationales dans lesquelles j'ai l'honneur de représenter le Gouvernement français, que ce soit l'Eurogroupe, l'ECOFIN ou le G7, afin d'établir des relations beaucoup plus étroites avec les pays producteurs et, ainsi, de mieux anticiper et évaluer l'offre et la demande.
J'évoquerai maintenant l'entreprise Gaz de France.
Certes, Gaz de France détient un potentiel formidable de 11 millions de clients.
Certes, Gaz de France dispose, avec ses 30 000 salariés, auxquels je tiens à rendre hommage, d'une capacité humaine et de savoir-faire unanimement reconnus.
Certes, Gaz de France bénéficie de contrats d'approvisionnement à long terme qui ont été négociés avant la hausse récente du prix du pétrole et qui lui assurent, pour le moment, une sécurité d'approvisionnement.
Certes, Gaz de France dispose d'un réseau de transport, d'un savoir-faire reconnu auprès des collectivités locales françaises et d'une image forte auprès des Français.
Certes, Gaz de France a tout cela, mais il faut, mesdames, messieurs les sénateurs, voir la réalité.
Gaz de France n'est un acteur dans le gaz qu'en France et ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe. À l'échelle européenne, quelles que soient ses qualités intrinsèques sur le territoire national, l'entreprise ne sera qu'un acteur de petite taille.
Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'elle achète. Son activité de production est très faible. Elle sera soumise, comme les autres distributeurs, à une forte pression lors de la renégociation de ses contrats. Sa taille moyenne ne lui permettra pas d'être en position de force lors des négociations très difficiles qu'il conviendra de mener pour assurer, tout simplement, ses missions premières, à savoir la sécurisation des approvisionnements énergétiques et la distribution à un meilleur coût auprès de ses clients.
M. Ladislas Poniatowski. C'est exact !
M. Thierry Breton, ministre. Gaz de France n'est pratiquement pas présent dans l'électricité. Or un marché de l'énergie qui se consolide doit développer, à l'évidence, sa capacité à présenter une offre mixte.
J'entends certains préconiser un mariage entre Gaz de France et EDF.
M. Yves Coquelle. Absolument !
M. Thierry Breton, ministre. Voilà quelques mois, le Portugal a souhaité s'engager dans cette voie. Et cela lui a été refusé !
M. Ladislas Poniatowski. Eh oui !
M. Thierry Breton, ministre. On peut regarder dans un rétroviseur, en espérant que le monde soit différent de ce qu'il est. La réalité, c'est que, dans le monde actuel, un tel rapprochement est tout simplement impossible, car il s'agirait d'une union en France de deux acteurs dominants destinée à engendrer un acteur encore plus important.
M. Philippe Marini. C'est impossible !
Mme Marie-France Beaufils. C'est pour cela qu'il faut refuser l'Europe !
M. Thierry Breton, ministre. Je rappelle que, en 2004, cette question a été posée à M. Marcel Roulet, président de la commission chargée d'examiner le projet financier et industriel d'EDF, en vue de l'ouverture du capital de cette entreprise. Sa réponse a été tout à fait claire. Je tiens à votre disposition son rapport, dans lequel sont précisées les raisons pour lesquelles cette solution est impossible.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Impossible n'est pas français !
M. Philippe Marini. C'est impensable !
M. Thierry Breton, ministre. On peut le regretter, mais c'est ainsi !
Face à ce constat, Gaz de France doit donc pouvoir s'adapter, en trouvant les alliances qui seront les meilleures pour l'entreprise. Elles ne seront possibles que si GDF dispose d'une liberté suffisante sur son capital.
Ce constat, Gaz de France l'a partagé à l'automne dernier avec le groupe Suez, qui parvenait aux mêmes conclusions pour sa propre situation.
Conscients de ces défis stratégiques, Gaz de France et Suez ont amorcé, dès l'automne 2005, en vue d'une coopération industrielle des discussions qui ont déjà débouché sur un premier accord relatif à la production électrique dans le sud de la France.
Il est rapidement apparu qu'un rapprochement plus étroit avec Suez permettrait à Gaz de France de compenser ses faiblesses stratégiques, tout en conservant la maîtrise de son développement par un mariage entre égaux. Du point de vue de Gaz de France, l'alliance avec Suez est la meilleure perspective stratégique en raison d'une complémentarité géographique et technique parfaite et sans destruction d'emplois, au contraire.
En devenant le premier fournisseur de gaz en Europe, le nouveau groupe deviendrait incontournable pour les producteurs, ce qui lui offrirait les meilleures perspectives pour acheter du gaz dans les conditions les plus compétitives et, ainsi, mieux servir ses clients. Il serait également en mesure de mener une politique d'investissement encore plus volontariste dans l'amont gazier. Il aurait enfin une capacité équilibrée en électricité et en gaz, ce qui constitue un atout considérable pour ses clients.
Suez et Gaz de France se connaissent bien, depuis longtemps, ont des cultures d'entreprise proches et partagent déjà un grand nombre de valeurs, notamment celles de service public, qui sont fondées sur une activité reposant largement sur des délégations de service public. À ce titre, je le dis solennellement, toutes les missions de service public de Gaz de France dans le domaine de l'énergie et de Suez dans le domaine de l'eau seraient naturellement maintenues.
Ces deux entreprises, compte tenu des complémentarités exceptionnelles qu'elles présentent, ont rapidement été convaincues que leur fusion était le meilleur projet possible.
Certes, nous aurions pu procéder autrement, en commençant, par exemple, par des participations croisées. J'ai d'ailleurs étudié une telle possibilité. Finalement, considérant la force d'un tel projet, Gaz de France et Suez ont préféré proposer une fusion globale. Cette option ayant été retenue, nous sommes désormais engagés dans cette voie. (Mme Nicole Bricq proteste.)
À ce stade, toute participation croisée de structures différentes nécessiterait de donner à Gaz de France la liberté de nouer, au sein de son capital, des alliances, y compris par le biais de participations importantes susceptibles de renforcer l'entreprise. Mais nous nous posons la même question : devons-nous donner à Gaz de France, comme à toute entreprise normale, la possibilité de procéder à ces alliances, y compris par le biais d'augmentations de capital ?
Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement n'a-t-il pas d'idée ?
M. Thierry Breton, ministre. Même si je comprends la contrainte des 70 % qui avait été retenue, surtout pour EDF d'ailleurs, comme cela a été rappelé hier à l'Assemblée nationale par ceux qui avaient défendu, à l'époque, le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, il faut avoir l'honnêteté de dire que la question se pose aujourd'hui. Il est donc de mon devoir de vous la poser, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en proposant des solutions pour que l'État puisse maintenir un contrôle suffisant, afin d'éviter l'apparition d'un certain nombre de problèmes, et en prévoyant une minorité de blocage qui offrirait une garantie contre toute décision non conforme aux intérêts de l'État actionnaire et permettrait ainsi la mise en oeuvre d'actions spécifiques.
Compte tenu de ces éléments, vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, la démarche du Gouvernement a été dictée par un esprit de responsabilité. Notre objectif est de préparer le meilleur avenir industriel possible pour Gaz de France, afin qu'il continue à contribuer à notre sécurité énergétique.
Nous avons dressé un premier constat. Il est vital pour Gaz de France de disposer d'une certaine flexibilité sur son capital, afin de se renforcer par le biais d'alliances ou de fusions.
Lorsque M. Gérard Longuet était ministre de l'industrie, j'ai moi-même usé de la possibilité offerte aux entreprises qui devaient croître d'avoir un capital qui leur permette de passer des alliances stratégiques. C'est très important, y compris lorsqu'il y a progressivement changement de statut.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vital !
M. Thierry Breton, ministre. C'est une force que d'utiliser son capital. D'ailleurs, après que Gérard Longuet a initié un tel dispositif, la gauche a prévu, pour d'autres entreprises, des ouvertures de capital par le biais de partenariats industriels.
La question se pose désormais à nous, dans le domaine de l'énergie, pour Gaz de France. Je connais bien cette situation puisque j'ai moi-même été l'acteur d'une telle stratégie, qui a bien fonctionné, à l'époque où M. Strauss-Kahn était ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce dernier m'avait d'ailleurs incité à agir ainsi. Dans les années quatre-vingt-dix, avant le passage à l'an 2000, il s'agissait du domaine des technologies de l'information. Maintenant, il s'agit du domaine de l'énergie.
Je vous mets en garde, mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce qui se passe aujourd'hui. Nous avons connu une flambée des prix, une bulle technologique dans le domaine des télécommunications durant les années deux mille ; le même phénomène pourrait se produire dans le domaine de l'énergie, au cours de la décennie à venir.
Restons donc vigilants et préparons-nous dans ces secteurs à des mouvements de concentration, qui se feront sans doute dans les mois qui viennent. Préparons donc GDF à faire face à cette situation, en saisissant les opportunités, afin que cette entreprise ne devienne pas un laissé-pour-compte de cette course qui s'est déjà engagée.
Enfin, un projet industriel de rapprochement avec Suez nous a été proposé par Gaz de France avec le soutien de Suez. À l'origine, je n'avais pas d'idée préconçue. Après avoir fait expertiser ce projet pendant trois mois, je dois vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il a un véritable sens industriel : il est concret, cohérent, préserve l'intérêt des entreprises en accroissant leurs capacités. En outre, il vise à développer de façon très significative l'intérêt des personnels. À mes yeux, c'est sans doute l'un des projets les plus complets.
Après avoir annoncé que le Gouvernement soutenait ce projet de fusion, le Premier ministre m'a demandé d'engager une concertation, qui s'est déroulée en plusieurs étapes.
Tout d'abord, j'ai souhaité mener une très large concertation d'un point de vue social.
Mme Marie-France Beaufils. Ah bon !
M. Thierry Breton, ministre. Je sais par expérience que ces sujets doivent toujours être discutés au fond avec les salariés et les organisations syndicales. Ces dernières nous ont assuré - je tiens d'ailleurs à leur rendre hommage ici, devant la Haute Assemblée - que la concertation que nous avons menée avec François Loos a été exemplaire.
Mme Marie-France Beaufils. Ah bon !
M. Thierry Breton, ministre. En trois mois, durant des centaines d'heures, nous avons organisé plus de trente-sept réunions avec toutes les organisations syndicales. Ainsi, nous avons apporté des réponses à soixante et onze questions, tout à fait légitimes. Nous les tenons à votre disposition.
À l'issue de cette concertation, je puis vous dire que le comité d'entreprise du groupe Suez est favorable à ce projet de fusion. Une partie des organisations syndicales de Gaz de France le sont. Je respecte par principe l'opinion de celles qui ne le sont pas. Telle était ma conviction avant que je sois ministre ; elle n'a pas changé.
Au demeurant, il est vrai que cette concertation nous a permis de réaliser de réels progrès. Certes, elle a duré longtemps, mais elle était indispensable pour pouvoir partager ensemble les réalités d'un tel projet.
La concertation a également été menée d'un point de vue juridique, puisque nous avons saisi le Conseil d'État, qui a confirmé que la privatisation de Gaz de France était possible, et n'aurait aucune conséquence sur le périmètre des activités actuelles de l'entreprise.
La concertation s'est aussi faite d'un point de vue sectoriel. Le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz a été saisi d'une concertation sur l'adaptation nécessaire du marché de l'énergie en France à nos engagements européens. Au terme d'un travail d'un grand sérieux, que je tiens à souligner, mené par le député M. Jean-Claude Lenoir avec la contribution active d'un certain nombre de sénateurs, à qui je tiens à rendre hommage également, il a pu orienter clairement nos travaux afin de préserver les intérêts des consommateurs ; j'y reviendrai tout à l'heure.
Avec les parlementaires, nous avons voulu ce débat dans le temps de la concertation pour permettre à chacun de peser l'ensemble des enjeux liés à ce projet et au secteur de l'énergie, et à François Loos et à moi-même de vous apporter les réponses aux questions que vous vous posez aujourd'hui.
Viendra ensuite le deuxième temps, celui du débat législatif, si vous partagez l'opinion du Gouvernement sur la nécessité de donner à Gaz de France la souplesse nécessaire à la réalisation de ses projets et alliances industrielles, pour faire face aux nouveaux défis de l'énergie tout en sécurisant les aspects stratégiques pour la nation et les consommateurs.
D'ores et déjà, nous avons entendu les questions qui émergeaient, ici et là, de votre part ainsi que de la part des partenaires sociaux et de l'ensemble des acteurs, et que je vais résumer.
Tout d'abord, quel est le niveau adéquat de contrôle du capital Gaz de France par l'État ?
Il faut trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire pour que Gaz de France puisse nouer des alliances et le contrôle d'une part suffisante du capital de l'entreprise par l'État afin de préserver les intérêts stratégiques de l'État actionnaire.
Comprenons-nous bien : il ne s'agit en aucun cas de vendre des actions par le biais d'un tel projet. Nous réfléchissons tout simplement au moyen de donner à Gaz de France, par le biais de fusions par exemple, la possibilité de les réaliser avec des échanges capitalistiques sans que l'État cède une action. Nous ne sommes donc pas en train de discuter sur le fait de savoir s'il faut passer en dessous de la barre 50 % pour que l'État et le Trésor public puissent céder ces actions. Il s'agit uniquement d'utiliser la liberté du capital, comme toute entreprise et tout acteur, pour éventuellement pouvoir procéder à des mouvements de fusion afin de renforcer le périmètre de l'entreprise.
Pour cela, il est souhaitable de ramener l'obligation de détention du capital de Gaz de France par l'État à un tiers. Le tiers donne précisément à l'actionnaire qui le possède, et le contrôle, les pouvoirs de la minorité de blocage. Avec cela, l'État conserve des pouvoirs d'actionnaire très significatifs. Par cette fameuse minorité de blocage, il a la possibilité de s'opposer à toute décision qu'il jugerait contraire à ses intérêts d'actionnaire. Il conserve aussi tous les pouvoirs de régulation qu'il a déjà aujourd'hui et qui n'ont rien à voir avec la détention du capital dans Gaz de France ou un autre acteur. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Pour compléter ces pouvoirs d'actionnaire, il nous paraît indispensable que le projet de loi prévoie les mesures permettant d'assurer le contrôle public sur le nouveau groupe, afin que les intérêts nationaux, notamment dans les terminaux gaziers et pour les activités de réseaux, soient protégés, en particulier en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement.
C'est à cette fin que la mise en place d'une action spécifique sera proposée. Elle permettra à l'État de s'opposer à toute décision de l'entreprise qui remettrait en cause les intérêts nationaux, dans le respect, bien évidemment, de nos engagements européens. Enfin, des commissaires du Gouvernement seront placés dans les filiales régulées du nouveau groupe.
Quelle sera la prochaine étape et le nouveau groupe sera-t-il « OPéAble » ?
Avec plus d'un tiers du capital détenu par l'État, les évolutions industrielles ou capitalistiques futures du groupe supposeront nécessairement le soutien de l'État, qui aura donc son mot à dire. Les intérêts de l'État actionnaire seront donc intégralement protégés.
Autre question qui est revenue souvent : y a-t-il un impact sur les missions de service public et sur les tarifs ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux le dire de la façon la plus claire, il n'y a aucun lien entre la détention du capital et les tarifs ou la définition des missions de service public. L'un comme l'autre sont, et resteront, définis par l'État sous le contrôle de la Commission de régulation de l'énergie.
J'ajoute que tous les engagements envers les partenaires sociaux seront respectés : le statut du personnel des industries électriques et gazières sera maintenu, l'existence d'un service commun entre EDF et Gaz de France pour la distribution sera réaffirmée dans la loi.
Comment assurer la protection du consommateur sur le marché de l'énergie ? Cette question est essentielle et je veux m'y arrêter un instant.
La protection du consommateur est une préoccupation première du Gouvernement, même si elle se pose de toute façon indépendamment du capital de Gaz de France. Nous devons faire des choix importants pour l'organisation du marché de l'électricité et du gaz en France.
Je veux tout d'abord faire le point précisément sur la fourniture de gaz et d'électricité aux particuliers.
Nous devons éviter une situation de vide juridique au 1er juillet 2007 ; ce point est très important. Des mesures législatives sont nécessaires pour transposer les directives européennes sur le marché de l'énergie dans des conditions permettant la protection des consommateurs.
Les directives européennes de 2003 prévoient l'ouverture complète à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz. Ces directives sont d'application directe sur certains points. Ainsi, même sans transposition législative, nous devons en être tous conscients, les consommateurs pourraient se faire démarcher dès le 1er juillet 2007 par des concurrents d'EDF et de Gaz de France, qu'ils soient français ou étrangers.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Thierry Breton, ministre. Pis, c'est tout notre édifice juridique définissant les tarifs réglementés qui risquerait de devenir obsolète dès le 2 juillet 2007.
Notre responsabilité collective est donc de proposer un cadre cohérent afin de protéger les consommateurs et nous y préparer.
M. Philippe Marini. C'est évident !
M. Thierry Breton, ministre. Ou nous nous y préparons, et nous pouvons alors intervenir et protéger ceux que l'on souhaite protéger, ou nous ne nous y préparons pas et c'est la directive pure qui s'applique, que nous le voulions ou non.
La date du ler juillet 2007 doit se traduire par des possibilités supplémentaires pour les consommateurs et non par la fin des tarifs réglementés qui constituent une légitime protection. Je le dis clairement, il convient pour cela de transposer la directive tout en fixant des règles prémunissant les consommateurs contre toute dérive et en dotant l'existence de ces tarifs d'une base juridique adaptée.
Dans mon esprit, il serait inenvisageable de traiter le projet Suez - Gaz de France sans répondre simultanément aux nombreuses questions sur l'évolution du secteur de l'énergie, en particulier les questions de coexistence entre prix et tarifs.
Comme je l'évoquais tout à l'heure, nous avons saisi sur ces sujets le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, qui nous a remis un rapport que je vais vous faire parvenir. Je remercie MM. Henri Revol et Gérard César qui ont participé aux travaux sur ces sujets.
Les très nombreuses auditions ont permis de dégager un certain nombre de points de consensus qui seront repris dans le projet de texte de loi sur lequel nous travaillons. Je tiens à les rappeler. La France a su mettre en oeuvre les directives européennes. Le développement des investissements associé à une politique de maîtrise de l'énergie constitue des fondamentaux indispensables. Le maintien de l'existence de tarifs réglementés est souhaité.
Nous privilégierons donc une approche favorisant systématiquement la protection des consommateurs.
Dans cet esprit, le Gouvernement propose à tous les consommateurs particuliers qui le souhaitent de pouvoir rester au tarif réglementé. Mais, pour cela, une loi est nécessaire. Dans les propositions que nous pourrions vous faire, nous veillerions par exemple à ce qu'à chaque déménagement une personne puisse à nouveau avoir accès à ce tarif si elle le souhaite.
Enfin, nous proposerons la mise en place d'un tarif social pour le gaz, similaire à celui qui existe pour l'électricité. Là encore, une loi est nécessaire. Les personnes en situation de précarité pourront ainsi avoir accès à une certaine quantité de gaz naturel dans des conditions préférentielles.
En second lieu, je souhaite aborder la question sensible des prix de marché pour les entreprises, notamment les PME et PMI.
L'évolution récente des prix de l'électricité fournie aux entreprises sur le marché concurrentiel est une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Mais, là aussi, il faut être clair : ce sujet est totalement indépendant de celui des tarifs du gaz ou de l'électricité, comme il est indépendant de la question de détention du capital de Gaz de France par les uns ou par les autres.
Confrontée à la forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l'Europe voit les prix de l'électricité augmenter de façon importante et continue depuis 2004. Ce n'est pas le cas en France, où les consommateurs français sont protégés, l'engagement ayant été pris de ne pas augmenter les tarifs d'électricité plus que l'inflation, laquelle, en moyenne annualisée, est de 1,5 % à 2 %. Nous sommes le seul pays à pouvoir offrir une telle protection à l'ensemble des consommateurs particuliers.
Cela dit, s'agissant de certaines PME, j'entends bien le mécontentement de certains industriels. Je le dis de la façon la plus claire, je le partage, car il est compréhensible. Il appelle une réponse forte.
Nous apporterons d'abord une réponse structurelle permettant d'assurer une capacité de production suffisante à long terme. C'est tout le sens de l'action gouvernementale en matière d'investissement en France et en Europe. Il ne faut jamais oublier ce point.
Nous apporterons ensuite une réponse coordonnée avec d'autres pays européens. Avec quatre d'entre eux, notamment l'Allemagne, nous avons mis en place un groupe de travail, coordonné par François Loos, pour proposer des actions visant à limiter l'impact excessif du marché du CO2 sur la formation des prix de l'électricité.
Nous apporterons enfin des réponses directes à court terme.
D'abord pour les entreprises électrointensives, un dispositif de consortium a permis à ces industriels de se regrouper pour investir indirectement, à travers les producteurs d'électricité, dans des moyens de production, et de bénéficier en contrepartie, sur de longues périodes, de prix stables fondés le plus possible sur les coûts de production. C'est environ 20 % du marché qui profite désormais de cette possibilité avec des contrats de dix ou vingt ans, soit une très longue période.
Ensuite, pour les PME et les PMI, les entreprises concernées par une hausse brutale des prix de l'électricité sur le marché dérégulé auquel j'ai fait allusion sont en nombre modéré aujourd'hui ; nous nous en préoccupons d'ailleurs vigoureusement.
M. Philippe Marini. Il faut trouver des solutions !
M. Jean Arthuis. C'est indispensable !
M. Thierry Breton, ministre. Dans cet esprit, François Loos a organisé une table ronde le 15 mai dernier avec les producteurs d'électricité. Elle a permis d'obtenir plusieurs engagements concrets de modération des prix en faveur des entreprises.
Les producteurs se sont engagés sur des offres commerciales non indexées à la hausse sur les prix de marché et permettant aux clients de bénéficier de baisses significatives ; ils se sont également engagés à proposer des contrats de plus long terme pour apporter une meilleure visibilité aux clients ; ils ont enfin accepté également de renégocier certains contrats.
Je mesure pleinement, je le dis très clairement, l'importance de ce sujet. Vous êtes nombreux à vous inquiéter, à juste titre, de la compétitivité de nos industries dans ce nouveau contexte.
Nous allons suivre la mise en oeuvre des engagements des opérateurs. Si ces actions semblaient sans effet suffisant, je tiens à dire à la Haute Assemblée que nous serions prêts à envisager avec vous les dispositions législatives, dans le respect des règles communautaires, pour répondre à cet enjeu essentiel : la compétitivité de notre industrie.
M. Ladislas Poniatowski. Nous sommes prêts également !
M. Thierry Breton, ministre. Mais encore faut-il, pour en débattre, avoir un texte de loi !
En conclusion, au terme d'un processus approfondi de préparation, nous entrons désormais dans une phase au cours de laquelle chacun devra se déterminer sur ce projet. Il s'agit d'un grand projet industriel, qu'on a instruit avec soin, en prenant le temps de la concertation avec les consommateurs, les salariés et, bien évidemment, les parlementaires, qui auront à décider si nous devons ou non aller de l'avant. C'est peut-être l'une des premières fois que nous prenons autant de temps, mais c'est nécessaire.
Nous devons réfléchir à l'avenir de nos entreprises importantes. Nous mesurons pleinement l'enjeu de ce grand projet, qui est à la mesure des défis lancés à notre pays et à nos entreprises en matière d'évolution de la politique mondiale dans le secteur de l'énergie.
La France se doit de défendre son excellence industrielle dans ce domaine. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, l'action du Gouvernement nous prépare à l'ère du pétrole cher sur la scène nationale, européenne et internationale. Cette action doit pouvoir s'appuyer sur des groupes industriels puissants, de taille mondiale. Avec EDF, elle a le premier électricien nucléaire mondial ; avec AREVA, elle a le numéro un mondial du nucléaire ; avec Total, elle a l'un des premiers groupes pétroliers au monde.
Je le répète, soyons lucides sur la situation actuelle de Gaz de France. Même si cette entreprise a des qualités et des mérites propres sur le territoire national, elle ne se situe pas dans la même catégorie qu'EDF, AREVA ou Total. C'est pourquoi il est vital pour Gaz de France d'avoir la capacité de nouer des alliances stratégiques.
Aujourd'hui, nous pouvons créer un quatrième leader mondial de l'énergie, situé en France et en Belgique. Devons-nous saisir cette chance ? Gaz de France a-t-il un autre partenaire potentiel ? La question nous est posée ici et maintenant. Ce qui est possible maintenant ne le sera plus forcément dans quelques mois, et encore moins dans quelques années.
Alors ne nous trompons pas de débat. Compte tenu des changements majeurs que j'ai rappelés tout à l'heure, nous aurions pu les uns ou les autres souhaiter un autre calendrier pour faire évoluer la loi de 2004. Mais la réalité du monde économique qui nous entoure en a décidé autrement. C'est un fait. La consolidation du secteur de l'énergie est déjà en route en Europe et dans le monde, sans aucune considération pour les différentes échéances électorales.
Nous aurions pu souhaiter une étape intermédiaire avant la fusion. Fort de mon expérience, j'ai moi-même examiné très sérieusement cette option. Toutefois, je rappelle que telle n'était pas la proposition des deux entreprises concernées. Face aux défis qui sont les leurs, celles-ci ont estimé qu'il était de leur devoir de proposer immédiatement une fusion totale. Faisons abstraction de ces éventuels regrets, car le débat ne doit porter que sur quatre vraies questions.
Tout d'abord, faut-il ou non autoriser Gaz de France à faire évoluer la structure de son capital pour préserver son avenir, afin de pouvoir jouer son rôle à armes égales dans la consolidation européenne ?
J'entends ici ou là certains prétendre que l'on pourrait peut-être envisager d'autres alliances, d'autres partenariats, mais je les mets en garde contre de telles idées. Laissons aux entreprises la responsabilité de proposer à leurs actionnaires leur propre stratégie, car ces derniers valident ou invalident, au sein des conseils d'administration, les décisions qui leur sont soumises. À charge pour le Gouvernement et le Parlement de définir le cadre dans lequel cette opération doit se dérouler. Telle est tout simplement la première question que je vous pose, mesdames, messieurs les sénateurs. Estimons-nous que Gaz de France aura, avec l'obligation de détenir 70 % du capital, une marge suffisante pour pouvoir nouer des grandes alliances industrielles ?
M. Roland Courteau. Qui s'est engagé il y a deux ans ?
Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas à nous qu'il faut poser la question !
M. Roland Courteau. Il faut demander à Sarkozy !
M. Thierry Breton, ministre. Si votre réponse est affirmative, alors il ne faut rien changer et attendre de voir ce qui va se passer ! Dans le cas contraire - et il y va de notre responsabilité, de votre responsabilité de parlementaire -, ...
M. Michel Sergent. Qui s'est engagé ?
M. Thierry Breton, ministre. ... il faut donner à l'entreprise, et ce par voie législative, la possibilité d'accroître cette capacité, tout simplement pour qu'elle puisse nouer telle ou telle alliance.
M. Ladislas Poniatowski. C'est très clair !
M. Roland Courteau. Qui a fait ces promesses ?
M. Thierry Breton, ministre. En l'espèce, nous avons un projet de partenariat avec Suez proposé par Gaz de France. Je rappelle que cette question s'est toujours posée dans les mêmes termes à la droite ou à la gauche. D'ailleurs, la gauche a souvent décidé de faire évoluer le capital des entreprises pour leur donner une certaine souplesse, après avoir affirmé le contraire. Je ne lui jetterai pas la pierre, car le monde évolue et, je le répète, c'est une donnée dont il faut tenir compte.
M. Roland Courteau. Il ne fallait pas prendre des engagements !
M. Thierry Breton, ministre. Les exemples sont multiples en la matière. Je sais de quoi je parle, car j'ai moi-même été un acteur direct de ces actions. Je le répète, il fallait le faire ! C'était une attitude responsable ! La question qui nous est aujourd'hui à nouveau posée est donc la même.
M. Yves Coquelle. Quand allons-nous pouvoir nous exprimer ?
M. Thierry Breton, ministre. Après avoir répondu à la première question, la deuxième est de savoir si le projet présenté par Gaz de France et soutenu par Suez est le meilleur qui puisse être envisagé pour Gaz de France.
Dans cette hypothèse, l'État conservera-t-il tous les moyens de garantir un véritable contrôle sur les missions de service public que doit jouer Gaz de France et sur ses actifs stratégiques ? Enfin, les intérêts des consommateurs seront-ils protégés dans le cadre des évolutions à venir des marchés de l'énergie ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec une certaine humilité que je répondrai à ces quatre questions décisives, car elles sont compliquées. Il faut que les uns et les autres prennent position, et chacun a sa part de vérité, que je respecte. Il faut également que nous assumions nos responsabilités.
Pour ce qui me concerne, j'assume les miennes, après avoir analysé ce projet sans a priori, et de manière très approfondie. Vous l'avez compris, ce n'est pas moi qui ai élaboré ce projet de partenariat, ni moi qui suis à son origine, il est de ma responsabilité de ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'instruire, et je l'ai fait dans le cadre d'une concertation que j'ai souhaitée exemplaire, et qui a d'ailleurs été reconnue comme telle par tous ceux qui y ont été associés, qu'il s'agisse des partenaires sociaux ou encore des associations de consommateurs. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est à vous qu'il appartient désormais de prendre la décision.
Pour ma part, la réponse est claire : oui, je le dis nettement, Gaz de France a aujourd'hui besoin de pouvoir faire évoluer son capital, afin de nouer une ou des alliances décisives dans le cadre d'un projet industriel stratégique.
Oui, avec ce projet de fusion, nous sommes en situation de créer un groupe leader européen et mondial de l'énergie supplémentaire, qui sera enraciné en France et sera tout spécialement fort dans le domaine du gaz, dans lequel nous sommes vulnérables compte tenu de la petitesse de la taille de Gaz de France.
Oui, nous conserverons plus de 33 % du capital du futur groupe. Avec des actions spécifiques sur tous les actifs importants de Gaz de France, nous assurerons la protection des enjeux essentiels pour notre pays. Par ailleurs, nous continuerons d'exercer une véritable régulation publique, et les missions de service public de Gaz de France seront évidemment maintenues.
Oui enfin, si jamais nous nous donnons les moyens d'examiner un projet de loi sur ce sujet, les modalités d'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie pour les particuliers seront particulièrement protectrices des intérêts des consommateurs.
Nous le savons, notre monde est en profonde mutation, qu'il s'agisse des équilibres économiques internationaux, des tensions qui pèsent sur les matières premières ou de la compétition croissante à l'égard de l'accès à l'énergie. C'est pourquoi notre devoir à tous est de prévoir, dans le dialogue, la concertation et le respect des uns et des autres, toutes les adaptations utiles pour préserver l'intérêt et la sécurité de nos concitoyens. Or je sais que vous tous, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, partagez ces valeurs et nourrissez cette ambition pour notre pays. J'espère que nous saurons trouver la voie pour répondre, en toute responsabilité, à ce défi majeur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur l'énergie qui nous réunit aujourd'hui concerne de nombreux sujets qui sont à même de stimuler nos réflexions prospectives : le caractère stratégique essentiel de notre industrie nucléaire dans un contexte d'énergie chère, les conséquences du développement économique de pays « continents » tels que la Chine et l'Inde sur le marché des énergies fossiles, la perspective rapprochée du fameux « peak oil », à partir duquel la production mondiale de pétrole décroîtra, l'intérêt d'une politique volontariste d'économie d'énergie, les perspectives offertes par les recherches en matière de fusion nucléaire.
Cependant, je n'aborderai aucun de ces sujets qui intéressent pourtant en premier chef la commission des affaires économiques que j'ai l'honneur de présider. Je consacrerai mon intervention à une question politique qui se pose aujourd'hui avec une acuité marquée, à savoir le projet de fusion de deux de nos grands groupes énergétiques, Suez et Gaz de France.
L'appréciation de la valeur de ce projet impose, en premier lieu, de répondre à plusieurs interrogations cruciales. Ce projet présente-t-il un intérêt pour notre pays ? Est-il porteur de sens pour notre économie ? Préserve-t-il les droits sociaux des employés de ces entreprises ? Ces éventuelles modalités de mise en oeuvre ont-elles fait l'objet d'une concertation suffisante avec les partenaires sociaux ? Permet-il de garantir le maintien des obligations de service public auquel est actuellement assujetti Gaz de France ? Prend-il correctement en compte les intérêts des consommateurs ?
Des réponses positives me paraissent pouvoir être apportées à chacune de ces interrogations. Pour s'en convaincre, il suffit d'énoncer les faits et de formuler les conditions pouvant être réunies pour réaliser ce projet.
Tout d'abord, il faut le rappeler d'emblée, il s'agit d'un projet industriel commun à Suez et à Gaz de France, qui est porté par les présidents des deux entreprises. De plus, il est riche de perspectives prometteuses. Ainsi, le groupe qui serait constitué atteindrait la taille critique qui semble aujourd'hui indispensable dans un contexte européen et mondial en plein bouleversement. Il offrirait toute la gamme de services énergétiques et contribuerait à la sécurité des approvisionnements nationaux.
Premier producteur mondial de gaz liquéfié, le nouveau groupe contribuerait puissamment à réduire la dépendance énergétique de notre pays sur le plan gazier. Il offrirait ainsi à la France des marges de liberté supplémentaires au regard de ces importations par gazoducs, dont nous avons pu récemment constater, à l'occasion de la crise ukrainienne, les vulnérabilités politiques et économiques.
Ensuite, ce projet de rapprochement éviterait également l'éclatement du groupe Suez, qui résulterait inéluctablement de la réussite de l'OPA envisagée par ENEL. Le groupe italien a essentiellement pour objectif la filiale belge Electrabel de Suez. Il n'a pas fait mystère, dans un premier temps, de sa volonté de vendre le reste du groupe, par blocs, aux plus offrants.
Pourrions-nous donc, sans hésitation, envisager que les activités de Suez en matière de gestion de l'eau, si importantes pour nombre de collectivités locales, soient vendues à l'encan ? J'en doute !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Pourrions-nous aussi rester sourds aux appels des salariés de Suez qui nous demandent de les protéger d'un tel démantèlement ? Leurs représentants ont écrit à chacun d'entre nous ; pour ma part, je les ai rencontrés hier. Toutes tendances syndicales confondues, ils nous demandent de leur éviter les affres de l'éclatement. J'estime que leur appel lucide se doit d'être entendu dans cet hémicycle. Il nous faut aussi entendre la voix des gaziers de Gaz de France. Le rapprochement de leur belle entreprise avec un groupe plus important est-il envisagé sur un mode suffisamment égalitaire ? La réponse est à l'évidence : oui.
Sur le plan financier, c'est Gaz de France qui absorberait Suez. Les présidents des deux entreprises qui ont été auditionnés par la commission des affaires économiques ont très clairement assuré qu'ils se proposaient d'organiser une « fusion d'égaux ». Je crois qu'il faut publiquement être clair sur ce point. Ils ont aussi confirmé que la fusion n'entraînerait aucune suppression d'emplois.
M. Roland Courteau. Ce n'est pas sûr !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Bien entendu, dans le cadre d'une fusion, les droits sociaux des personnels de GDF se doivent d'être maintenus ; c'est une condition impérative. Mais toutes informations que j'ai recueillies me confortent dans l'idée qu'il n'est nullement question d'y déroger.
Bien plus, les éléments qui m'ont été communiqués me laissent même supposer que le statut des industries électriques et gazières serait étendu à des catégories de salariés qui n'en bénéficient pas aujourd'hui ; je pense en particulier aux commercialisateurs. M. le ministre pourra sans doute nous apporter plus de précisions sur ce point.
Par ailleurs, les modalités législatives requises pour mettre en oeuvre ce projet industriel d'envergure ont d'ores et déjà fait l'objet d'une concertation que je qualifierai d' « exemplaire » avec les partenaires sociaux. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, près de quarante réunions ont en effet été organisées dans les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, pour répondre à toutes les questions qui se posaient.
Quatrièmement, les obligations de service public assurées par GDF doivent, bien entendu, être pérennisées. C'est, à mon sens, une autre condition impérative d'acceptation du projet. Là encore, il semble assuré que l'État continuera de les garantir, mais par d'autres mécanismes que la détention majoritaire du capital de GDF.
En premier lieu, l'État pourrait se réserver dans la nouvelle entité une golden share - une action prioritaire - répondant aux conditions fixées par la Cour de justice des Communautés européennes. Cela lui garantirait les moyens de s'opposer à toute évolution structurelle de nature à porter atteinte au bon accomplissement des missions de service public du gaz.
En second lieu, il ne faut pas oublier que l'État conserverait, en tout état de cause, une minorité de blocage au sein du capital du nouveau groupe.
Cinquièmement, la protection des consommateurs et des garanties d'évolution raisonnable des prix sont un autre impératif à respecter. Mais il apparaît tout à fait possible que, dans le cadre de la transposition parallèle des directives européennes sur la libéralisation du marché de l'énergie, l'État conserve tous les moyens de contrôle concernant les tarifs et la sécurité de la distribution.
Parallèlement, le consommateur ne pourrait-il pas se voir offrir le choix entre le tarif réglementé et les prix du marché à chaque changement de domicile ?
Enfin, comme d'autres, j'estime important que soit institué un service social à tarif préférentiel pour le gaz. Ce tarif social serait assis sur une obligation de péréquation des opérateurs et financé par un fonds ad hoc.
Au vu de ces éléments, et sous réserve du respect de ces conditions, le projet de rapprochement entre Suez et Gaz de France répond clairement aux exigences économiques, sociales et, disons-le, d'intérêt national qui s'imposent sur un tel sujet.
Dès lors, quelles sont les objections qui peuvent être formulées ? On va en entendre, ce matin. Pour ma part, j'en vois deux.
La première résulte du fait que la loi d'août 2004 a posé comme règle que l'État devait détenir au moins 70 % du capital de GDF.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Or, pour permettre la réalisation de la fusion, cette participation devrait passer au tiers environ du capital du nouvel ensemble, en deçà du seuil fixé en 2004. Pourrait-on donc revenir deux ans après sur un engagement de cette nature ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Je comprends que la réponse à une telle question fasse hésiter. Cependant, dans un monde en mutation rapide, on ne saurait considérer comme intangibles des principes fixés à un moment donné et qui, compte tenu de l'évolution des choses, tendent à apparaître comme un handicap à la réalisation d'un grand projet.
C'est pourquoi j'incline à penser qu'on peut modifier une telle règle dès lors que ce changement sert un objectif ambitieux et conforme aux préoccupations qui ont inspiré cette règle.
M. Roland Courteau. Tant pis pour les engagements !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Seconde objection : Gaz de France, entreprise publique, se fonderait, en cas de fusion, dans un groupe privé dont l'État ne posséderait plus qu'un tiers du capital.
Certains font de ce changement de régime de propriété un élément symbolique qu'ils considèrent comme inacceptable. Si l'avenir de Gaz de France passe par son intégration à un groupe privé où l'État conserverait un droit de veto sur toute évolution pouvant perturber les missions de service public du gaz, devons-nous lui refuser les clés de cet avenir. C'est la première question.
La seconde - si nous considérons que ce projet vaut la peine d'être mis en oeuvre - est la suivante : quel sera le calendrier d'examen parlementaire de la loi l'y autorisant ?
J'incline à penser, eu égard aux échéances de réalisation, qu'il conviendrait de ne point trop tarder dès lors que les décisions auront été prises. Cela étant, M. le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques est prête à examiner un tel projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous savons tous ici que ce débat sur la politique énergétique est surtout consacré à la restructuration du secteur énergétique avec, au centre des préoccupations de tous, la fusion ou plutôt l'absorption par Suez de Gaz de France, et donc la privatisation de GDF.
En clair, messieurs les ministres, vous voulez nous sonder avant de monter au front. Autant vous le dire d'emblée, notre groupe s'oppose à ce projet de privatisation, car nous ne sommes d'accord ni sur le fond ni sur la forme.
Jusqu'à présent, les déclarations du Gouvernement, toutes plus contradictoires les unes que les autres, ont créé une véritable confusion. Sur une question aussi cruciale, engageant des choix de société aussi fondamentaux que l'avenir de notre secteur énergétique, force est de constater que ce fut l'opacité la plus totale qui régna pendant un certain temps sur les réelles intentions du Gouvernement et sur l'exacte teneur de ce projet de loi.
On nous a d'abord annoncé qu'il s'agissait d'intervenir au nom du « patriotisme économique », de contrer l'OPA d'ENEL et non - je tiens à le souligner - de renforcer l'implication de l'État dans la détermination de la stratégie industrielle des entreprises, dans la gouvernance et la régulation.
Puis l'on nous a expliqué qu'en réalité le projet de fusion entre Gaz de France et Suez était à l'étude depuis longtemps ! Ce faisant, on admettait ainsi que le Gouvernement avait l'intention, depuis plusieurs mois, d'engager la privatisation de Gaz de France, contrairement aux engagements pris dans la loi d'août 2004.
Deux argumentations successives et différentes en deux jours, convenons que cela fait beaucoup !
À cela s'ajoutent encore les hésitations du Gouvernement à déposer un projet de loi, dans une conjoncture marquée par les difficultés, de plus en plus évidentes, qu'il rencontre au sein même de sa majorité.
Même un ministre de ce gouvernement a douté que le caractère « vital » de cette fusion soit tel qu'il puisse justifier que le Parlement et le Gouvernement renoncent à tenir leur parole de maintenir la part de l'État à plus de 70 % dans le capital de Gaz de France !
Je ne m'étendrai pas sur les différentes prises de position et réactions de parlementaires de la majorité, évoquant le « ras-le-bol » ou « le refus d'assumer des réformes non préparées et imposées par le Gouvernement ». (M. le ministre s'étonne.)
Je n'insisterai pas davantage sur les critiques multiples issues des rangs de la majorité concernant le calendrier et la méthode.
Les députés de la majorité se sont déclarés majoritairement hostiles au projet de loi privatisant Gaz de France ; c'est aussi le cas de plusieurs syndicats, et ce en dépit de vos propos que vous voulez rassurants, monsieur le ministre.
Ici même, M. de Rohan, président du groupe UMP, a indiqué qu'il ne voulait pas jouer les supplétifs sur ce que vous appelez un « très bon projet ».
Manifestement, il n'y a pas unanimité sur cette formule d'alliance entre Suez et Gaz de France. Il semble même qu'il y ait de « l'eau dans le gaz » dans les rangs d'une majorité qui renâcle ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Cela correspond à la situation !
Indépendamment de la cacophonie qui règne actuellement, inscrire à l'ordre du jour du Parlement, après le 21 juin, selon certaines informations dont j'ignore ce qu'elles valent, un projet de loi portant principalement sur la privatisation de Gaz de France ne nous paraît pas sérieux.
D'ailleurs, nos concitoyens sont fatigués de ces méthodes qui consistent à faire adopter l'été, par le Parlement, des projets de loi aussi fondamentaux que ceux concernant les retraites, la transformation d'EDF et de Gaz de France en sociétés anonymes ou la privatisation de GDF.
Nous souhaiterions connaître la position de M. Sarkozy. Va-t-il accepter de renier publiquement sa parole ? Dans cette période de déconsidération de la vie publique, certains politiques ne devraient-ils pas tenir, plus encore, leurs engagements ?
M. Michel Sergent. Très bien !
M. Roland Courteau. Ballotté par sa majorité, laquelle est de plus en plus divisée sur des questions pourtant fondamentales pour l'avenir de notre société, ce gouvernement donne parfois l'impression, après la crise du CPE et l'affaire Clearstream, de ne plus être en capacité de gouverner, mais de vouloir passer en force.
La volonté du Premier ministre de faire adopter cet été, à la sauvette, au cours d'une session extraordinaire, un projet de loi de privatisation de Gaz de France, de surcroît contre une majorité de parlementaires, en témoigne. Une telle attitude rend compte, en fait, de l'absence de politique industrielle et de politique de régulation dans le domaine de l'énergie, et donc de l'absence de vision à long terme.
Le laisser-faire et la libéralisation sans régulation s'accommodent mal avec les intérêts stratégiques d'un tel secteur et les besoins des populations.
Ainsi, l'article 24 de la loi d'août 2004 obligeant l'État à détenir au moins 70 % du capital de Gaz de France, et traduisant les très forts engagements de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, de ne pas privatiser cette entreprise, est aujourd'hui, soit à peine deux ans après son adoption, totalement remis en cause.
Nicolas Sarkozy ne soulignait-il pas, lors de l'examen en première lecture de ce projet de loi modifiant le statut d'EDF et de Gaz de France : « Le projet de loi préserve le caractère intégré de chacune des entreprises. »
C'est à cela aussi, messieurs les ministres, que se jugent la cohérence et la continuité de la politique du Gouvernement. En la matière, de reniements en renoncements, c'est l'instabilité qui domine et la crédibilité de l'action du Gouvernement qui est largement atteinte.
Enfin, ce sont nos institutions mêmes qui sont visées. Le Parlement a adopté cette loi en maintenant la participation de l'État au capital d'EDF et de Gaz de France à 70 % au minimum. Or, deux ans après seulement, et même si le monde va vite, paraît-il, le projet de fusion pourrait faire descendre le capital de l'État à un tiers, à savoir le seuil de la minorité de blocage.
Dans tous les cas, et même dans l'hypothèse où l'absorption de Gaz de France par Suez échouerait, un projet de loi entérinerait la privatisation de GDF et risquerait à terme, par le biais d'autres opérations de fusion-acquisition, d'aboutir à la totale disparition de l'actionnariat public.
Ainsi, cette opération boursière par échange de titres se réaliserait en dépit non seulement des très forts engagements de M. Sarkozy, mais encore en contradiction avec le préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
De reniements en reniements, ce sera bientôt le tour d'EDF. En effet, en raison des liens qui unissent les deux entreprises, compte tenu de leurs services communs, ce projet de fusion-absorption la touche directement.
La modification de l'article 24 de la loi d'août 2004 ne sera donc pas sans conséquence sur cette entreprise. D'autant que la privatisation de Gaz de France, par absorption par Suez, donnera naissance à un groupe concurrent frontal d'EDF.
Par ailleurs, Suez ne cache pas ses intentions de devenir un opérateur nucléaire en France.
M. Roland Courteau. À peine venons-nous d'examiner le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité en matière nucléaire et le projet de loi de programme sur la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, que de telles évolutions se produisent. Elles sont inquiétantes, alors que le Gouvernement a refusé notre proposition visant à sécuriser les fonds destinés au financement de la gestion à long terme des déchets radioactifs.
Faut-il encore rappeler les propos de MM. Devedjian et Sarkozy, lors de l'examen du projet de loi modifiant le statut d'EDF et de Gaz de France, selon lesquels « il n'y aura pas de privatisation d'EDF, non pour des raisons idéologiques, mais pour un motif simple : une centrale nucléaire n'est pas un central téléphonique » ? (Sourires.)
Faire émerger un opérateur nucléaire privé et concurrent d'EDF semble évidemment contradictoire sur le fond avec les propos susmentionnés, puisque l'on fait entrer le loup dans la bergerie.
La volonté de Suez de se recentrer sur des activités énergétiques semble d'autant plus probable qu'il aurait également l'intention de se séparer de ses entités concernant l'environnement et l'eau.
Mes chers collègues, n'avons-nous pas besoin, à l'échelle européenne, non seulement d'un groupe intégré capable de faire jouer toutes les synergies sur le plan industriel, mais aussi de services publics susceptibles de dynamiser et d'harmoniser les territoires ? Ce qu'il nous faut, c'est une politique de régulation visant à préserver les services publics, destinée à l'ensemble de la population, notamment les consommateurs.
D'autres options sont possibles. Elles méritent d'être étudiées, compte tenu du contexte géopolitique qui a fortement évolué depuis la fin de l'année 2004.
Vous avez écarté, semble-t-il, la solution qui consistait à créer un pôle public de l'énergie autour du rapprochement entre EDF et Gaz de France. C'était pourtant, à nos yeux, le meilleur choix, et ça le reste.
Vos propos, monsieur le ministre, ne m'ont pas convaincu, et nous comptons étudier sérieusement une telle possibilité. Cela dit, il est évident qu'il ne faut pas laisser Suez face à l'appétit des marchés financiers.
Pourquoi ne pas faire monter la participation de la Caisse des dépôts et consignations dans de tels groupes...
M. Roland Courteau. ... et mettre en place un pôle financier public visant à renforcer le rôle de l'État dans la détermination de la stratégie des entreprises ?
Par ailleurs, depuis la contre-attaque lancée par le Gouvernement, les choses ont beaucoup évolué. Le groupe Suez a fait jouer les mécanismes internes susceptibles de le protéger contre une OPA offensive. Le président de Suez ne m'a pas dit totalement le contraire, hier, en commission.
Des solutions différentes de l'échange de titres aboutissant inexorablement à la privatisation de GDF sont donc envisageables. Il n'y a aucune raison d'agir dans la précipitation, pour, au final, déstabiliser l'ensemble du secteur énergétique, à la veille de l'ouverture à la concurrence du marché pour l'ensemble des particuliers.
En matière de service public, il est utile de rappeler que l'article 1er de la loi de 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz confie à Gaz de France et à EDF des missions de service public.
Cet article précise que les objectifs et modalités de mise en oeuvre des missions de service public font l'objet de contrats entre l'État et les entreprises EDF et Gaz de France. Je n'énumère pas ces différentes missions, faute de temps, mais chacun ici les connaît. En cas de fusion entre GDF et Suez, que deviennent de tels contrats ? Je dois avouer que la réponse du président de GDF, hier, ne m'a pas particulièrement rassuré.
Autre question : les nouveaux opérateurs comme Suez seront-ils soumis à des obligations de service public ? Quel sort sera réservé à l'article 1er de cette loi ?
Le maintien des tarifs régulés du gaz est du ressort du Gouvernement ; nous aimerions l'entendre sur cette question. Ces tarifs seront-ils préservés en cas de privatisation de Gaz de France ? Et surtout, pour combien de temps ?
La disparition des tarifs régulés, progressive ou non, risque d'être particulièrement préjudiciable aux consommateurs résidant dans nos territoires ruraux, et partout où la rentabilité sera jugée insuffisante par les opérateurs privés, soucieux avant tout de servir les intérêts de leurs actionnaires.
Qu'il s'agisse de l'emploi ou du statut du personnel, d'importantes zones d'ombre apparaissent. Quant à la recherche classique des réductions de charges, sous la pression des actionnaires, elle risque d'être fatale à la qualité du service.
Mais, puisque nous sommes aujourd'hui dans un débat de politique énergétique, il est tout à fait opportun de se livrer à une sorte de bilan relatif à l'évolution des prix dans le secteur énergétique, qu'il s'agisse du gaz, de l'électricité, et même des carburants. Daniel Raoul, je crois, y reviendra.
Force est de constater que l'ouverture à la concurrence n'a pas eu les effets escomptés. Non seulement les prix ont augmenté dans des proportions importantes, mais leur formation est des plus opaques. Ainsi, les prix du marché ont-ils tiré vers le haut les prix réglementés, avec des demandes récurrentes de la part des directions d'EDF et GDF de les augmenter.
Dès lors, avec l'ouverture du marché en 2007, toute libéralisation sans régulation pèsera sur les PME et PMI et, à terme, sur le pouvoir d'achat des ménages. Toute perte de maîtrise de la politique tarifaire aura de graves conséquences sur la croissance, l'emploi et la qualité du service public. A cet égard, nous souhaitons, nous, qu'un nouveau débat européen ait lieu avant toute mise en concurrence pour les particuliers.
Mais, mes chers collègues, j'en viens à un autre sujet : les hausses des produits pétroliers. Nous venons de déposer deux propositions de loi visant à défendre le pouvoir d'achat des ménages, notamment des plus modestes.
La première vise à rétablir le mécanisme de la TIPP flottante, mis en place par le gouvernement Jospin en 2001 et supprimé par le gouvernement Raffarin en 2002.
L'objectif est d'assurer un lissage des effets des hausses de prix qui soit favorable à l'ensemble des consommateurs. Il convient de remarquer que, entre 2002 et 2006, le cours du baril de pétrole est passé de 25 dollars à un prix systématiquement supérieur à 60 dollars. Ainsi, en quatre ans, la hausse des prix à la pompe a-t-elle pu atteindre des sommets.
Il va sans dire que de telles augmentations sont lourdes de conséquences pour le pouvoir d'achat des ménages et pour les entreprises.
Nous proposons donc - c'est l'objet de la seconde proposition de loi - que l'effort soit partagé entre l'État et les compagnies pétrolières. Cela me semble légitime et conforme à l'intérêt national.
Force est, en effet, de constater que les compagnies pétrolières, en période de forte hausse du pétrole, améliorent mécaniquement leurs résultats. Ainsi, la principale compagnie française - Total - a réalisé 9 milliards d'euros de bénéfices en 2004 et 12 milliards d'euros en 2005. Pour 2006, on estime leur montant à environ 15 milliards d'euros.
Cette proposition de loi vise donc à majorer l'impôt sur les sociétés dû, en cas de progression forte du bénéfice des sociétés pétrolières d'une année sur l'autre.
Il convient de noter qu'un tel prélèvement avait été institué par le gouvernement Jospin en 2001, à l'époque où le baril était monté à 35 dollars. Il faut aussi souligner que le Royaume-Uni vient d'adopter une telle taxation, tandis que les États-unis s'apprêtent à emprunter le même chemin.
Le produit de cette taxe permettrait d'investir dans le développement des transports collectifs et ferroviaires, ainsi que dans la recherche publique en faveur des énergies alternatives au pétrole et des énergies renouvelables.
En effet, les mesures de protection du pouvoir d'achat et de défense de l'environnement ne doivent pas être opposées. C'est pourquoi nous proposons la mise en place de « titres de transports » sur le modèle de la « carte orange » en Île-de-France, qui pourraient être financés en partie par les employeurs afin d'inciter les salariés à utiliser les transports en commun. La promotion des transports collectifs et des modes alternatifs de déplacement doit devenir la priorité des pouvoirs publics.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Roland Courteau. En conclusion, je reviendrai sur le projet de fusion-absorption de GDF par Suez, pour demander au Gouvernement de ne pas déposer de projet de loi dans ce sens devant le Parlement. Comme l'a dit l'un de mes collègues, l'urgence n'est pas de jouer au monopoly avec nos entreprises publiques de l'énergie.
Je crois m'être suffisamment expliqué sur les raisons pour lesquelles le groupe socialiste refuse avec détermination la privatisation de GDF. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je souhaiterais tout d'abord vous remercier, monsieur le ministre, et, à travers vous, remercier le Gouvernement d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat aujourd'hui.
Certes, nous avons déjà longuement débattu des grands axes de notre politique énergétique en 2004 et 2005, à l'occasion de la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Je ne m'attarderai donc pas sur les positions que j'avais défendues à l'époque, comme bon nombre de mes collègues, notamment Philippe Marini, Gérard Longuet, Xavier Pintat et Henri Revol, qui était le rapporteur en 2005 tandis que je l'étais en 2004.
Nous avions en particulier insisté sur la nécessité de maintenir ouverte l'option nucléaire, de conforter notre indépendance énergétique et d'accroître, dans la mesure du possible, le recours aux énergies renouvelables. Ces priorités sont désormais inscrites dans la loi du 13 juillet 2005, ce qui est une bonne chose.
Qu'il me soit néanmoins permis d'insister sur un point intimement lié à la question, plus récente, de la hausse des prix des énergies dans le monde.
Depuis désormais plus d'un an, nos économies sont frappées par une grave crise énergétique, qui se traduit pas une véritable envolée des prix du baril de pétrole, tirant mécaniquement les prix du gaz à la hausse.
Les prix de l'électricité ont, eux aussi, augmenté, non pas à cause de l'ouverture des marchés à la concurrence -j'insiste sur ce point -, mais plutôt par manque d'investissements de production entraînant une insuffisante hausse de l'offre face à l'évolution régulière de la demande.
L'Europe doit donc sans délai développer son parc de production électrique. Il faut en effet savoir qu'il sera nécessaire de construire en Europe, au cours des vingt-cinq prochaines années, l'équivalent, en puissance, de cinq parcs nucléaires français, soit environ 600 gigawatts.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, tout à l'heure, vous avez évoqué, à juste titre, le chiffre de plusieurs centaines de milliers de dollars.
Dans ces conditions, je ne peux que me réjouir de la récente décision du conseil d'administration d'EDF de lancer officiellement les démarches devant conduire à la construction d'un premier modèle de réacteur nucléaire de nouvelle génération.
Ces éléments importants étant rappelés, il n'en reste pas moins que les grands débats relatifs aux orientations de la politique énergétique ont été tranchés l'an dernier. Je centrerai donc essentiellement mon propos d'aujourd'hui sur la question du moment : le projet de rapprochement entre les entreprises Suez et Gaz de France, en préparation depuis de nombreux mois et mis à jour en février dernier.
Mes chers collègues, il s'agit, à mon sens, d'un projet extrêmement important pour la politique industrielle et économique de notre pays, puisqu'il est directement lié à l'indépendance énergétique de la France, ainsi qu'à sa sécurité d'approvisionnement.
Depuis deux ans, le secteur industriel de l'énergie en Europe a poursuivi un mouvement profond de réorganisation. Dans le cadre de l'approfondissement de la concurrence sur les marchés de l'électricité et du gaz, nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère industrielle. La France doit prendre toute sa part à ce mouvement.
Cette nouvelle ère se caractérise, tout d'abord, par l'émergence de grands acteurs industriels présentant une taille critique sur ces marchés, tant par les capacités de production que par les portefeuilles de clientèle dont ils disposent. L'importance des capacités financières requises pour procéder aux investissements de production en matière énergétique exclut, de facto, les opérateurs de taille moyenne, vous nous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Pour répondre à la demande de leurs clients, notamment professionnels, les opérateurs se doivent également de proposer des offres « multi-énergie » - gaz et électricité en particulier - assorties de services énergétiques.
Dans un tel contexte, la France ne saurait observer ces évolutions sans réaction, les bras croisés, au risque d'être marginalisée dans un domaine où elle a pourtant su créer les conditions propices au développement d'entreprises « leader ».
Je vous rappelle que la France peut se prévaloir d'être, avec Total, l'un des premiers pétroliers au monde, avec EDF, le premier électricien, avec Gaz de France, le premier gazier en Europe, ou encore, avec AREVA, l'un des premiers constructeurs de centrales nucléaires dans le monde.
À l'heure du regroupement entre grands électriciens et gaziers européens - je pense notamment au rachat possible d'ENDESA par EON -, il nous revient de prendre les devants dès maintenant.
Monsieur le ministre, vous nous l'avez dit, le projet de fusion entre Gaz de France et Suez procède avant tout d'un travail de rapprochement progressif entre les deux entreprises, envisagé de longue date.
Après les explications qui nous ont été fournies au cours des dernières semaines - et encore hier, comme le rappelait le président de la commission, Jean-Paul Emorine -, et compte tenu des détails qui ont été donnés sur les modalités de réalisation de l'opération, le constat est clair à mes yeux : il s'agit d'un excellent projet, qui présente, à de nombreux égards, des avantages industriels considérables.
Premier élément positif : en raison des complémentarités entre les différents métiers exercés par les deux entreprises, cette fusion permettra de constituer un opérateur de taille mondiale, qui sera une entreprise leader en Europe.
Deuxième élément, très prometteur : la nouvelle entité sera le numéro un mondial sur le marché du gaz naturel liquéfié. Il s'agit là d'un point déterminant, de nature à réduire notre dépendance en matière d'approvisionnements gaziers, notamment - et vous en êtes tous conscients à la suite des événements intervenus voilà quelques mois -, au regard de la Russie.
Je vous rappelle au passage que les pays qui ont été récemment menacés en termes d'approvisionnements énergétiques se tournent, tous sans exception, vers le gaz naturel liquéfié. C'est le cas du Chili qui a été privé du gaz argentin, du Brésil menacé d'être privé du gaz bolivien, de l'Ukraine et de la Biélorussie menacées d'être privées du gaz russe de Gazprom.
Enfin, la fusion rendra possibles un grand nombre de synergies, la première d'entre elles étant de permettre à la nouvelle entité, grâce au pouvoir de négociation dont elle disposera, de résister à des hausses du coût de l'approvisionnement gazier imposées par les producteurs. M. le ministre, ainsi que M. le président de la commission, ont beaucoup insisté sur cet élément.
A ce stade de mon propos, je veux rappeler les raisons pour lesquelles c'est ce projet qui a été retenu, et non pas celui d'une fusion entre EDF et GDF. Il semblerait que cette idée, pourtant repoussée à plusieurs reprises, trouve toujours des partisans nostalgiques.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. Pourquoi seraient-ils « nostalgiques » ?
M. Ladislas Poniatowski. Nous l'avons dit et répété lors du débat en 2004, l'idée d'un rapprochement entre notre électricien et notre gazier national vient dix ans trop tard.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Vous l'avez cassée !
M. Ladislas Poniatowski. Oui ! Elle vient dix ans trop tard !
M. Ladislas Poniatowski. Je reconnais qu'il aurait peut-être fallu que nous soyons plus lucides il y a douze ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela, c'est sûr !
M. Ladislas Poniatowski. Mais attendez ! Ne vous comportez pas comme ceux qui refusaient l'électricité au début du siècle. Nous sommes en 2006 : la situation n'est plus la même qu'en 1996 ou en 1994 !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une lapalissade !
Mme Marie-France Beaufils. Effectivement !
M. Aymeri de Montesquiou. C'est la réalité !
M. Ladislas Poniatowski. Donc, soyez lucides sur ce qui se passe aujourd'hui.
M. Gérard Longuet. Les faits sont têtus, disait Marx !
M. Ladislas Poniatowski. Mais oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, les faits sont têtus !
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, vous avez fait allusion tout à l'heure aux travaux de la commission Roulet.
Un mariage entre EDF, représentant 95 % du marché français de l'électricité, et Gaz de France, détenant 95 % du marché du gaz en France, ferait courir, nous le savons tous, des risques graves aux deux entreprises et, surtout, à leurs salariés.
En effet, en raison du caractère potentiellement dominant du nouvel opérateur que serait, ou qu'aurait pu être, EDF- Gaz de France, les autorités européennes de la concurrence exigeront, comme elles l'ont fait récemment au Portugal, que les deux entreprises procèdent à des cessions d'actifs.
On a évoqué, pour EDF, des cessions de l'ordre de 25% à 30 % de son parc nucléaire, pour Gaz de France, l'obligation d'abandon de certaines capacités de stockage, ce qui serait dramatique, et même, pour les deux entreprises, le dessaisissement de parts de marché.
A l'évidence, un tel scénario déstabiliserait nos deux fleurons nationaux...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La démonstration par l'absurde !
M. Ladislas Poniatowski. ...et réduirait de facto le poids de nos énergéticiens sur les marchés européens.
Outre le grave préjudice qu'elle causerait à l'emploi, à notre sécurité d'approvisionnement énergétique et à la richesse dans notre pays, une telle solution serait, selon moi, politiquement irresponsable.
Quant aux raisons industrielles du projet de fusion Suez- Gaz de France, il est bien évidemment impossible de ne pas évoquer les risques d'une OPA de ENEL sur Suez.
M. Gérard Longuet. Ou de GAZPROM sur GDF !
M. Ladislas Poniatowski. Pour le moment, c'est ENEL qui a mis 50 milliards d'euros de côté !
M. Gérard Longuet. Oui !
M. Ladislas Poniatowski. Permettez-moi d'abord de tordre le cou à une idée : la fusion entre les deux opérateurs ne répond pas prioritairement à un souci de patriotisme économique ou de protection d'une entreprise nationale.
Mme Nicole Bricq. Arrêtez !
M. Ladislas Poniatowski. Elle y répond, mais partiellement seulement !
Le marché européen de l'énergie est libre, et les entreprises peuvent s'établir et se structurer comme elles l'entendent. Au demeurant, je ne vois pas à quel titre on pourrait parler, dans le cas d'espèce, d'un projet national : Suez est, je le rappelle, un opérateur franco-belge.
Il n'en reste pas moins que, à mon sens, les intentions industrielles d'ENEL paraissent beaucoup moins solides et ambitieuses.
Mes chers collègues, la menace de cette OPA est plus que jamais réelle. Cette entreprise dispose, d'ores et déjà, des financements nécessaires pour mener à bien ses desseins, puisqu'elle a déjà mobilisé, je le répète, 50 milliards d'euros pour procéder à ce rachat.
Au surplus, alors qu'elle se situe parmi les premiers énergéticiens sur le plan mondial, ENEL est, paradoxalement, très faible en Europe. Ce qui l'intéresse dans cette opération, comme vous le savez tous, c'est essentiellement d'obtenir des débouchés sur l'Europe du Nord dans son métier d'électricien.
Ce projet porte en lui les germes du démantèlement de Suez, puisqu'il vise, parmi ses objectifs, à découper l'entreprise en fonction de ses différents métiers et à revendre chaque partie au plus offrant.
Ces craintes ont été étayées par les récentes déclarations de l'état-major de General Electric, qui s'est déclaré intéressé, en cas d'OPA lancée par ENEL, par le rachat du département « eau » de Suez.
Mes chers collègues, les élus nationaux que nous sommes ne peuvent accepter que les collectivités locales ayant confié la distribution de l'eau à Suez se retrouvent entre les mains d'un opérateur américain, du jour au lendemain, sans même avoir été consultées.
M. Ladislas Poniatowski. J'imagine que notre collègue Xavier Pintat nous en dira quelques mots tout à l'heure.
M. Daniel Raoul. Michel Sergent aussi !
M. Ladislas Poniatowski. Ma position est donc sans ambiguïté sur ce sujet : dans de telles conditions, j'apporte tout mon soutien au projet du Gouvernement...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle division au sein de l'UMP !
M. Ladislas Poniatowski. ... et je m'oppose formellement à tout autre solution qui pourrait conduire au « dépeçage » de Suez, ce qui se traduirait par l'affaiblissement de nos positions sur les marchés énergétiques européens et mettrait en danger l'avenir des 160 000 salariés de Suez.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Ces risques gravissimes me conduisent à évoquer les critiques qui sont adressées au Gouvernement et à la majorité parlementaire quant au projet de fusion avec Gaz de France.
Vous nous dites, et vous venez de le rappeler voilà quelques instants, chers collègues de l'opposition, que cette initiative remet en cause les engagements que l'État avait pris en 2004 sur la part qu'il devait détenir dans le capital des entreprises EDF et Gaz de France. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Pour ce qui est de Gaz de France, c'est vrai....
M. Yves Coquelle. Ah !
M. Daniel Raoul. Merci !
M. Ladislas Poniatowski. Attendez ! Disons les choses comme elles sont !
Je vous rappelle, en effet, que la situation en 2006 n'est plus du tout la même que celle qui se présentait à nous en 2004. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Ladislas Poniatowski. Vous n'êtes pas plus bêtes, dans l'opposition, que nous, dans la majorité ! Vous pouvez constater qu'en deux ans les choses ont changé !
M. Roland Courteau. L'argument est faible !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la suite de la lapalissade !
M. Ladislas Poniatowski. Et je vous pose la question : que vaut-il mieux ? Rester sans réagir et attendre que trois ou quatre entreprises se partagent un des fleurons de notre industrie, laissant ainsi dans l'incertitude les salariés de Suez ?
M. Josselin de Rohan. Non !
M. Ladislas Poniatowski. Ou bien convient-il de prendre les mesures qui s'imposent dans ces conditions et favoriser un projet industriel créateur de richesses ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes dépassés !
M. Ladislas Poniatowski. Face à une telle alternative, il n'y a, en ce qui me concerne, aucun doute possible.
Et je le dis d'autant plus volontiers que ce projet a vocation à assurer un contrôle de la puissance publique sur le nouvel opérateur et à conforter le service public de l'énergie.
M. Roland Courteau. Parlons-en !
M. Ladislas Poniatowski. Je tiens à rappeler que, bien évidemment, les évolutions législatives qui nous seront proposées ne concerneront en rien le seuil de détention capitalistique de l'État au sein d'EDF. En effet, la gestion du plus grand parc de centrales nucléaires au monde nécessite que la maîtrise publique de cette entreprise soit pleinement conservée.
D'ailleurs, majorité comme opposition, nous avions mis l'accent, dès 2004, sur la nécessaire dissociation entre les situations respectives d'EDF et de Gaz de France. M. Patrick Devedjian, alors ministre délégué à l'industrie, défendant en 2004 le texte relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, en convenait lui-même : EDF et Gaz de France ne sont pas dans la même situation.
Et nous étions nombreux dans cet hémicycle à partager ce constat, moi le premier, en tant que rapporteur, ainsi que notre collègue Philippe Marini et les membres du groupe de l'Union centriste, qui avaient déposé un amendement identique allant dans ce sens.
M. Philippe Marini. Tout à fait ! Il aurait mieux valu qu'il fût voté !
M. Ladislas Poniatowski. De même, un grand nombre de sénateurs de l'UMP avaient exprimé ce constat très clairement.
M. Philippe Marini. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski. Mais nous n'avons pas toujours été les seuls à tenir ce discours, mes chers collègues. En d'autres temps, des membres éminents de l'opposition actuelle défendaient cette position, qu'il s'agisse de Laurent Fabius, qui avait tenté, sans succès, d'ouvrir le capital de Gaz de France dès 2001...
M. Aymeri de Montesquiou. Il beaucoup changé !
M. Ladislas Poniatowski. ... ou de Christian Pierret, alors ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, qui avait commencé à constituer un tour de table qui dépassait très largement les 30 % dans le capital de Gaz de France.
M. Gérard Longuet. Ils avaient raison !
M. Roland Courteau. Eux c'est eux, nous c'est nous !
M. Ladislas Poniatowski. Et permettez-moi de citer les propos que tenait M. Fabius à cette époque : « La réforme de Gaz de France et l'ouverture de son capital sont une nécessité et il en va de l'intérêt de ses salariés et des usagers. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Il est très bien ! Rappelez-moi son nom...
M. Ladislas Poniatowski. Je constate, mes chers collègues, qu'aujourd'hui on tient un tout autre discours. Il est vrai que nous approchons de certaines échéances électorales...
Mais je ne vous reproche pas d'avoir changé de discours !
Mme Nicole Bricq. Nous n'avons pas changé de position !
M. Ladislas Poniatowski. La preuve, c'est que nous-mêmes avons changé de position entre 2004 et 2006, mais nous le faisons pour des raisons non seulement techniques, mais aussi économiques et énergétiques.
Je constate que vous, vos changements de position sont dus à des éléments purement politiques. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Politiciens !
M. Roland Courteau. Politiques, oui, mais pas politiciens !
M. Gérard Longuet. Ce sont des raisons internes au parti socialiste !
Mme Nicole Bricq. Nous, nous n'avons pas changé de position !
M. Ladislas Poniatowski. Autre élément, le Gouvernement n'entend pas abandonner tout contrôle au sein de la nouvelle entité Suez-Gaz de France, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
M. Ladislas Poniatowski. L'État ne cédera pas les parts qu'il détient dans le capital de Gaz de France et conservera, en tout état de cause, une minorité de blocage fixée à 34 %.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte ! La situation a changé !
M. Ladislas Poniatowski. En outre, l'État conservera une sorte de golden share lui conférant des pouvoirs étendus en ce qui concerne les décisions les plus stratégiques de l'entreprise, c'est-à-dire celles qui ont trait à la continuité et à la sécurité d'approvisionnement, s'agissant notamment de la distribution et du stockage du gaz, ou encore d'un certain nombre de postes méthaniers.
Ces points ont été évoqués lors des négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne, qui n'a pas fait d'objection.
J'en viens à la question importante des salariés des deux entreprises. Je tiens à saluer au passage, monsieur le ministre, la concertation très large et extrêmement complète que vous avez menée avec les syndicats, tant nationaux que propres à chacune des deux entités.
Les salariés de Suez soutiennent pleinement le projet, comme l'a indiqué le président Emorine à la suite de l'audition, hier, des membres du comité d'entreprise par la commission des affaires économiques. J'en veux également pour preuve la lettre du comité d'entreprise, que vous avez tous reçue, mes chers collègues, faisant état de la position très claire de ses membres en faveur du projet de fusion.
M. Daniel Raoul. Et pour cause !
M. Ladislas Poniatowski. La fusion n'affectera en rien la condition des personnels travaillant dans le secteur énergétique.
M. Roland Courteau. Ce n'est pas sûr !
M. Ladislas Poniatowski. Leur statut, les avantages sociaux dont ils disposent seront, bien entendu, maintenus.
Certains représentants syndicaux ne s'y trompent pas d'ailleurs, puisque la CFDT, je vous le rappelle, ne s'associera pas au mouvement social prévu le 20 juin prochain. Et François Chérèque, lui-même, s'est clairement déclaré fermement opposé à tout démantèlement de Suez.
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Ladislas Poniatowski. S'agissant des obligations de service public et du prix de l'énergie, qui sont des questions intimement liées, l'ouverture totale des marchés à la concurrence, à compter du 1er juillet 2007, nous oblige à repenser l'organisation du secteur énergétique. Alors que, dans le cadre de marchés fermés à la concurrence et approvisionnés par un opérateur en situation de monopole, le service public se confond avec cet unique opérateur, la situation est totalement différente dans un marché libre.
Toutefois, nous l'avons toujours dit, la concurrence et les obligations de service public ne sont pas contradictoires. À ce titre, la loi doit imposer de nouvelles obligations à tous les acteurs du marché, qu'ils soient publics ou privés. Je me réjouis, à ce sujet, que le Gouvernement projette de créer un tarif social dans le domaine du gaz, dont pourront bénéficier les ménages les plus démunis. Il s'agit d'un élément essentiel pour garantir la solidarité nationale.
Ces derniers éléments, mes chers collègues, m'amènent à évoquer l'autre volet du projet de loi qui, je l'espère, nous sera présenté. Nous sommes en effet dans l'obligation d'achever la transposition des directives européennes sur deux points.
D'une part, nos obligations européennes rendent indispensable la filialisation des entreprises chargées de la distribution. Pour autant, cette exigence n'est pas contradictoire avec le maintien d'une structure commune entre EDF et GDF. Je rappelle qu'il s'agit là d'un élément extrêmement important, puisqu'il concerne le devenir de près de 60 000 salariés, dont 10 000 ont vocation à changer de métier.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Ladislas Poniatowski. Le recours à la loi est nécessaire pour préserver les services communs et permettre la consolidation de l'activité de ces filiales dans les comptes d'EDF et de GDF, afin que l'une comme l'autre conservent leur caractère d'entreprise intégrée.
D'autre part, le maintien des tarifs après le 1er juillet 2007 réclame, là encore, l'adoption de dispositions législatives. Dans un contexte de renchérissement des prix de l'électricité sur les marchés libres, quelle meilleure protection pour le consommateur que l'existence de tarifs réglementés ?
Cela est d'autant plus important qu'à compter de l'an prochain tous nos concitoyens seront concernés par cette dernière phase de libéralisation. Il est donc impératif, encore une fois, que nous adoptions le plus rapidement possible ces évolutions législatives.
L'une des voies que nous pourrions explorer en la matière pourrait d'ailleurs s'appuyer sur une évolution des pouvoirs du régulateur, à l'image de ce qui existe en Belgique, où, comme vous le savez, tous les producteurs de gaz et d'électricité sont privés et où le régulateur a la possibilité de demander aux fournisseurs toutes les informations sur les prix pratiqués, comme chez nous, et de recommander des aménagements des tarifs. Ce système fonctionne bien, puisque les prix belges sont parmi les plus faibles d'Europe, et la France pourrait utilement s'en inspirer.
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conclusion de tout cela est claire : le projet de fusion envisagé par le Gouvernement est une excellente nouvelle pour notre politique énergétique et pour notre industrie. Il favorisera l'émergence d'un deuxième groupe énergéticien français de taille mondiale, capable d'être un acteur de premier plan. A contrario, s'il ne se réalise pas, c'est la cinquième entreprise française qui est menacée de disparition, et tous ceux qui, aujourd'hui, préfèrent le statu quo et l'immobilisme risquent de se réveiller trop tard pour venir au secours de Suez, comme l'an dernier pour Danone.
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. Philippe Marini. Il faut avoir le sens des responsabilités !
M. Ladislas Poniatowski. Je suis tout à fait d'accord avec vous !
M. Gérard Longuet. On a déjà liquidé Péchiney, on peut continuer !
M. Ladislas Poniatowski. Tout à fait, monsieur Longuet !
C'est pourquoi, à notre sens, il convient que le Parlement soit saisi dans les plus brefs délais des modifications législatives autorisant la réalisation de ce projet industriel d'envergure.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Mais, messieurs les ministres, le Parlement doit être saisi dans sa totalité : le scénario proposé par certains selon lequel le Sénat examinerait le texte en juillet et l'Assemblée nationale en octobre, c'est-à-dire peut-être jamais, est difficilement acceptable.
M. Jean Arthuis. Il n'est pas acceptable !
M. Ladislas Poniatowski. Ce serait, de mon point de vue, un message de faiblesse malheureux dans une conjoncture difficile.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Jean-Paul Émorine, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Nous savons bien que, sur ce sujet, l'opposition s'apprête à entreprendre un combat d'obstruction...
M. Henri de Raincourt. ... et d'arrière-garde !
M. Josselin de Rohan. Ils ne savent faire que cela !
M. Ladislas Poniatowski. ... en déposant des milliers d'amendements pour empêcher le projet de fusion de se réaliser. Mais, pour notre part, nous sommes prêts à assumer nos responsabilités et à faire face aux défis énergétiques qui se présentent à notre pays.
M. Philippe Marini. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le 49-3 !
M. Ladislas Poniatowski. Le message, messieurs les ministres, me paraît clair ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis quelques mois, on constate une grande agitation chez les responsables politiques européens, provoquée par les problèmes de l'énergie : ils comprennent enfin que, cent ans, c'est beaucoup plus que la durée estimée des réserves de pétrole, compte tenu du rythme actuel de consommation. Le prix du baril a franchi le seuil des 70 dollars en août 2005, et l'on évoque désormais des niveaux supérieurs à 100 dollars. Il devient dès lors impératif de diversifier nos sources d'énergie et d'élaborer nos choix énergétiques dans un cadre européen.
On assiste à une évolution rapide de l'état d'esprit de nos concitoyens, due au coût de l'énergie et aux interrogations sur la sécurisation des ressources. S'y ajoute une très forte préoccupation liée au changement climatique.
Un problème qui a une telle incidence sur la qualité et le niveau de vie nous invite à multiplier les réponses. Il serait irresponsable de s'appuyer sur une seule option. L'ampleur du problème est proportionnelle à la quantité d'énergie consommée : une première action consiste donc à la diminuer.
M. Aymeri de Montesquiou. Messieurs les ministres, la tarification actuelle de l'électricité et du gaz pousse à consommer. Il faut inverser le principe. Ainsi, plus on consomme d'électricité, plus celle-ci doit être chère. Cela inciterait bien sûr à moins consommer, mais, de plus, cette disposition comporterait un aspect social : les ménages les plus modestes consommant le moins paieraient moins cher l'unité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mesdames, messieurs les riches, séparez-vous de vos voitures et de vos appareils électriques !
M. Aymeri de Montesquiou. Des trois secteurs consommateurs d'énergie, l'industrie est celui où la performance énergétique est la meilleure, les entreprises ayant parfaitement conscience que leurs coûts de production sont liés à celui de l'énergie.
La consommation d'énergie du secteur des transports, qui représente 31 % de la consommation totale et qui augmente constamment, doit voir son volume baisser. Les constructeurs automobiles cherchent et trouvent des solutions,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les sénateurs à vélo !
M. Yves Coquelle. Tout le monde à vélo !
M. Aymeri de Montesquiou. ... mais les automobilistes peuvent être mieux ciblés par une communication plus intense. Au-delà de la limitation de vitesse à des fins de sécurité, la solidarité illustrée par la lutte contre l'effet de serre pourrait être davantage mise en avant. Ainsi, les 4x4, dont la production de CO2 est sans commune mesure avec le seul objectif de transport, doivent être taxés.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. L'élimination des voitures anciennes ne satisfaisant pas aux normes de pollution doit être automatique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que tous ceux d'entre nous qui circulent à vélo et s'éclairent à la bougie se lèvent !
M. Aymeri de Montesquiou. Pour ce qui est des bâtiments, leur renouvellement représente 1 % du parc. Certes, l'obligation de mentionner la performance énergétique des locaux est une excellente avancée, mais il faut qu'elle se double de normes thermiques auxquelles devront souscrire les promoteurs et les constructeurs.
La communication est la forme légère de la prévention ; celle-ci est infiniment moins onéreuse que les conséquences, parfois irréversibles, de la mauvaise performance énergétique. Messieurs les ministres, quel sera le budget consacré à la communication destinée à faire encore mieux prendre conscience à nos concitoyens que l'énergie sera de plus en plus chère, d'une part, et que nous ne pouvons pas admettre d'avoir saccagé la planète que nous léguerons à nos enfants, d'autre part ?
Toutes les mesures prises par le Gouvernement vont dans le bon sens. Beaucoup de temps s'est écoulé depuis les premiers chocs pétroliers, et beaucoup de temps a été perdu. Le sentiment que la fin du pétrole n'était pas pour demain, que le confort était une priorité, a anesthésié notre capacité de réaction.
Malgré une prise de conscience tardive, augmentation du coût, épuisement des ressources, effet de serre, tous ces facteurs conduisent à une indispensable diversification des sources d'énergie. Messieurs les ministres, votre gouvernement a déjà mis en chantier la promotion des énergies propres : solaire, éolien, géothermique, biogaz et, surtout, biocarburants. C'était nécessaire.
Je souhaite insister sur la priorité que représentent les biocarburants, ou carburants verts. Il faut encourager leur utilisation en obligeant les compagnies pétrolières à prévoir une pompe verte dans les stations-service, en particulier sur les autoroutes. La chimie verte fait des progrès, et les lignocelluloses à culture pérenne pourront être utilisées pour les biocarburants, notamment dans les jachères ou des surfaces équivalentes, pour mettre en place à moyen terme des cultures spécifiques dont la capacité énergétique est très supérieure à celle des plantes à vocation alimentaire telles que le colza, le tournesol ou la betterave.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hors sujet !
M. Aymeri de Montesquiou. Au contraire, madame !
M. Yves Coquelle. Non !
M. Aymeri de Montesquiou. Il n'est pas normal que l'Allemagne, pays peu ensoleillé, ait construit plus de maisons photovoltaïques que la France ; il n'est pas normal que ce pays, dont la vocation agricole est moins affirmée que la nôtre, produise plus de biocarburants que nous : 1,1 million de tonnes par an, contre 400 000 chez nous.
La France ayant fait le choix quasiment du « tout nucléaire » électrique dans les années soixante-dix, d'autres pays constatent qu'elle bénéficie d'un degré d'indépendance supérieur au leur. L'option nucléaire apparaît à beaucoup comme incontournable, car elle est un atout dans la lutte contre les changements climatiques amorcée à Kyoto. Notre modèle énergétique fait donc des émules chez nos voisins européens : la Finlande a choisi cette énergie, et l'Allemagne, la Pologne, la Suède, l'Italie, l'Espagne reconsidèrent leurs choix. Avec l'EPR, réacteur de nouvelle génération, en construction à Flamanville et le projet européen ITER à Cadarache, la France prouve avec AREVA qu'elle est à la pointe de la technologie nucléaire.
Une véritable réflexion de fond sur la politique énergétique française doit s'insérer dans une approche européenne. Le conseil européen de mars dernier a souligné l'importance d'une politique européenne de l'énergie, jusqu'ici très insuffisante, voire inexistante. La France, accusée à tort, compte tenu du contexte, de patriotisme économique lors de l'annonce de la fusion de Suez et Gaz de France, n'a pas d'autre choix, sauf idéologique, que de privatiser cette entreprise : je le répète, l'absence de politique énergétique de l'Union européenne en est une des causes.
La crise gazière entre la Russie et l'Ukraine a mis en évidence la vulnérabilité des voies d'approvisionnement. Le Moyen-Orient et la Russie sont les principaux fournisseurs de l'Union européenne, mais des risques géopolitiques pourraient compromettre cet approvisionnement. Les politiques étrangères et de défense européennes sont vitales pour contrôler et protéger les ressources au niveau des diplomaties européennes.
Tendons la main à la Russie, renforçons la présence française et européenne en Asie centrale, menons une politique européenne dans le golfe Persique et avec l'Iran pour donner à ce pays une alternative, et non pas l'acculer à l'isolement.
Dans un monde boulimique d'énergie, où la diplomatie énergétique est une véritable stratégie, notamment pour les États-Unis, la Russie et la Chine, l'Union européenne ne fait qu'additionner des politiques nationales. Il est vital de mener une véritable politique européenne de l'énergie, et l'on ne peut être que stupéfait d'une prise de conscience aussi tardive. Notre pays peut et doit être à l'origine de cette politique, laquelle ne saurait être dissociée d'une politique étrangère et de défense.
Si nous ne mettons pas ces politiques en place, nous le paierons très cher, car ni l'Union européenne ni les pays qui la composent n'existeront plus sur l'échiquier international. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle.
M. Yves Coquelle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voilà donc réunis une nouvelle fois dans cet hémicycle pour débattre de l'avenir énergétique de la France.
Une nouvelle fois, car, en un an, c'est aujourd'hui la quatrième fois que nous débattons de ces questions. Nous en avons discuté une première fois lors du vote de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, puis, voilà quelques semaines, lors de l'examen des projets de loi relatifs l'un à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, l'autre à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs. En 2004, nous avions également adopté un texte permettant le changement de statut des entreprises publiques du secteur énergétique.
Soyons clairs : l'organisation de ce débat a pour unique objectif de tester les parlementaires, essentiellement ceux de la majorité, sur la possible fusion entre GDF et Suez, et ce alors même que nous ne savons toujours pas si le projet de loi sera inscrit à l'ordre du jour d'une éventuelle session extraordinaire ni quel en sera le contenu précis. Je dois d'ailleurs observer que ce texte, paraît-il, circule un peu partout, sauf parmi les parlementaires ; en outre, il n'a toujours pas été examiné en conseil des ministres.
Au surplus, nous ignorons quelles seront les contreparties imposées par la Commission européenne, qui n'a pas encore donné son avis sur le projet de fusion.
Une nouvelle fois, vous manifestez donc votre mépris profond du Parlement, que vous considérez comme une simple chambre d'enregistrement des travaux du Gouvernement.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yves Coquelle. Nous ne pouvons le tolérer et nous exigeons a minima d'avoir des informations fiables sur le calendrier de cette opération.
Nous sommes aussi particulièrement inquiets de votre volonté de faire passer ce texte en première lecture au Sénat, pour contourner l'opposition des députés de la majorité. Ce procédé est inacceptable.
Je profite également de ce débat pour vous rappeler que, depuis 2002, vous avez organisé chaque année des sessions extraordinaires pour faire passer des textes dont l'importance aurait pourtant exigé des conditions de discussion plus favorables.
M. Philippe Marini. On débat très bien en session extraordinaire !
M. Yves Coquelle. En effet, après la réforme des retraites, la réforme de l'assurance maladie, vous souhaitez profiter des vacances de cette année pour entériner en catimini la privatisation de GDF. C'est scandaleux !
M. Philippe Marini. On peut travailler pendant les vacances !
M. Yves Coquelle. Ce n'est pas à nous qu'il faut dire cela !
M. Philippe Marini. Alors, si vous êtes prêts à travailler, travaillons !
M. Yves Coquelle. Ce texte, s'il voit le jour, mériterait un travail parlementaire approfondi, notamment en commission, comme le demandent certains membres de votre majorité d'ailleurs.
M. Roland Courteau. Les mauvais coups, c'est toujours l'été !
M. Ladislas Poniatowski. Il n'y a jamais eu de session extraordinaire sous les gouvernements de gauche ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes contre !
M. Yves Coquelle. Un vaste débat citoyen sur l'avenir énergétique de la France devrait également être engagé. Si vous maintenez votre volonté de privatiser GDF, un référendum devrait même être organisé afin de l'autoriser.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Philippe Marini. Un référendum sur quoi ?
M. Yves Coquelle. A l'inverse, vous utilisez la dernière manoeuvre possible pour contourner l'opinion publique, à savoir la convocation du Parlement en session extraordinaire pour voter ce texte en urgence. C'est inacceptable et nous ferons tout pour vous faire échouer !
Par ailleurs, après la victoire du « non » au référendum sur le projet de Constitution européenne, mais également après la crise du CPE, votre gouvernement n'a plus la légitimité pour mener ses politiques de libéralisation à tout crin des services publics et de privatisation des entreprises publiques.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Yves Coquelle. En effet, le peuple a exprimé majoritairement son refus de la soumission de l'ensemble des activités humaines à la loi du marché.
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
M. Yves Coquelle. Vous devez maintenant entendre ce message sorti des urnes et arrêter le jeu de massacre du modèle social français.
Pourtant, avec ce texte, votre gouvernement continue de mettre en oeuvre, dans le secteur de l'énergie, des politiques d'ouverture à la concurrence, de désengagement de l'État et de démantèlement des entreprises publiques.
Ces orientations sont largement inspirées par les directives européennes, qui organisent la création d'un marché unique de l'énergie. Dans ce sens, le texte que vous souhaitez nous soumettre devrait également permettre de transposer une partie de ces directives en entérinant l'ouverture à la concurrence pour les particuliers au 1er juillet 2007.
L'asservissement des secteurs de l'électricité et du gaz au libre-échange et à la rentabilité à court terme met pourtant les pouvoirs publics dans l'incapacité de rechercher des solutions énergétiques pour la France, l'Europe et la planète.
Malgré ces lacunes évidentes, le Gouvernement français applique avec un zèle tout particulier les directives européennes. Il a, en effet, entériné non seulement l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché, mais également l'ouverture du capital des entreprises publiques EDF et GDF lors du vote de la loi d'août 2004.
Vous souhaitez aujourd'hui aller plus loin en revenant sur les promesses faites par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, plus particulièrement par Nicolas Sarkozy, sur le maintien du capital public à hauteur de 70 %. En effet, ce seuil serait abaissé à 34 %. Comme le dit M. Poniatowski, les choses ont évolué, elles évolueront encore et, dans deux ans, on nous dira qu'il faut encore réduire la part de l'État à moins de 34% !
Tout montre aujourd'hui que les promesses d'hier s'apparentaient à des manipulations, notamment à l'égard des syndicats.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà pourquoi il faut un référendum !
M. Yves Coquelle. Selon les dogmes libéraux, l'instauration de la libre concurrence dans ce secteur devait permettre, par l'arrivée de nouveaux entrants, de baisser les prix pour les particuliers et les industriels. Qu'en est-il ?
La réalité est tout autre, car l'entrée d'investisseurs privés dans le capital des entreprises historiques appelle nécessairement une rentabilité des capitaux investis. Qui investira dans une entreprise s'il ne peut percevoir un bénéfice ?
M. Roland Courteau. Évidemment !
M. Yves Coquelle. Or, cette meilleure rentabilité se fait essentiellement par une hausse du tarif de la prestation pour augmenter les marges bénéficiaires.
Par exemple, en Grande-Bretagne où la libéralisation est extrêmement développée, les clients industriels ont supporté des hausses de tarifs de 24 %.
En France, ces politiques ont abouti à une augmentation notable de la facture des usagers, particuliers ou entreprises. Ainsi, depuis le début de la déréglementation du secteur en 1999, les tarifs de GDF ont augmenté de 52 %, sans compter une nouvelle hausse de 5,8 % autorisée par le Gouvernement.
Les prix pratiqués par EDF ont également augmenté pour les particuliers de 7,5 % en trois ans, alors qu'ils baissaient régulièrement depuis dix ans.
Sur le marché déjà ouvert à la concurrence, les tarifs ont augmenté en une année de 48 %, y compris pour les entreprises nationales chargées de missions de service public, comme la SNCF, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. EDF et GDF sont détenues actuellement à 70 % par l'État. Ce n'est donc pas une garantie !
M. Yves Coquelle. Les avantages historiques dont bénéficiaient les industriels grâce aux choix nationaux de nos politiques énergétiques disparaissent donc au profit d'un nivellement par le haut des prix de l'électricité. La hausse des prix de l'énergie entraîne, par conséquent, des risques considérables pour l'industrie en France.
Dès lors, force est de constater la contradiction flagrante avec l'objectif d'amélioration de la compétitivité des entreprises, que doit permettre, selon ses partisans, l'ouverture à la concurrence libre et non faussée.
Cette hausse des tarifs, qui se fait « sur le dos » des usagers et des industriels, permet de rémunérer le capital privé. En effet, les bénéfices de GDF et d'EDF explosent. Le résultat net de GDF est en augmentation de 13,1 %. Les dividendes versés aux actionnaires sont, quant à eux, en augmentation de 60 % !
M. Philippe Marini. Monsieur Coquelle, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Roland Courteau. On n'interrompt pas l'orateur !
M. Yves Coquelle. Non, je n'interromps pas les autres quand ils parlent. Je désire poursuivre mon propos.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il interviendra après !
M. Yves Coquelle. M. Marini est inscrit dans le débat, il interviendra tout à l'heure !
M. Philippe Marini. Ce serait plus vivant, plus interactif !
M. Yves Coquelle. Cette nouvelle politique d'entreprise est conforme au contrat de service public de GDF pour 2005-2007, qui prévoit un doublement des dividendes sur le période grâce à l'alignement des tarifs de l'entreprise sur ceux de ses concurrents européens.
Je rappellerai à cette occasion les bénéfices record de Total, qui atteignent 26 milliards d'euros. Autant d'argent qui ne servira ni au projet industriel ni à améliorer les conditions de travail des salariés du secteur ! A cet égard, je vous précise que la Commission européenne a chiffré à 30 % la perte d'emplois dans le secteur énergétique depuis le début de la libéralisation.
Par ailleurs, près de 100 milliards d'euros ont été dépensés ces dernières années par les géants européens de l'énergie en opération dispendieuses de restructurations et d'acquisitions, alors que peu d'investissements de production ont été engagés.
Ces politiques libérales sont donc purement idéologiques et ne répondent absolument pas à l'intérêt général. Qu'en sera-t-il alors quand les tarifs ne seront plus régulés et que l'ensemble du secteur sera ouvert à la concurrence ? D'ailleurs, des parlementaires de la majorité s'inquiètent fortement de l'absence de contrôle par l'État des tarifs dans le cadre de cette nouvelle loi.
Vous qui nous exhortez sans cesse au pragmatisme, il serait peut-être temps d'en faire preuve en réalisant un bilan sur la déréglementation des services publics. MM. Chirac et Jospin l'avaient demandé lors du sommet de Barcelone ; il faudrait que cette question soit une nouvelle fois abordée, lors du Conseil européen de ces prochains jours.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Yves Coquelle. Deuxième conséquence de la libéralisation : le risque devient une dimension naturelle rendue nécessaire par la recherche de l'abaissement des coûts de production. En effet, le changement de statut et la présence de capitaux privés dans les entreprises énergétiques appellent une rationalisation maximale des coûts.
Ainsi, on peut remarquer, notamment dans le domaine nucléaire, que cette déréglementation s'est traduite par une dégradation effective du niveau de sûreté. Elle tire son origine d'une gestion et d'un management tournés essentiellement vers la recherche de gains financiers.
Cela se traduit par une place grandissante de la sous-traitance et la dégradation des conditions de travail et sociales des salariés. Ainsi, depuis septembre 2005, de source syndicale, quatre plans d'urgence internes ont été déclenchés à la suite d'incidents importants dans des centrales nucléaires françaises. Personne ne l'a su, mais cela s'est produit.
Dans une société où le premier objectif des entreprises énergétiques est la réalisation de bénéfices, il est évident que la sécurité des installations, des personnels et des usagers n'est plus garantie.
M. Yves Coquelle. Pourtant, les autorités veulent aller plus loin par la création d'une autorité de sûreté nucléaire sous la forme d'une autorité administrative indépendante, chargée à la fois de la réglementation et du contrôle des activités nucléaires.
Cette nouvelle autorité omnipotente serait pourtant irresponsable, n'étant pas dotée de la personnalité juridique.
Étonnante coïncidence, cette nouvelle autorité de régulation verra le jour au moment même de la création du géant européen Gaz de Suez, qui va faire voler en éclat le monopole public d'exploitation des centrales nucléaires productrices d'électricité.
En permettant à Suez d'exploiter des centrales nucléaires en France, vous prenez des risques inconsidérés avec la sécurité.
Troisième conséquence de la déréglementation : la rupture de la continuité du service public. Nous avons, dans ce domaine, de nombreux exemples de pays qui nous ont précédés sur la voie de la libéralisation de l'énergie. Par exemple, tout le monde se souvient des ruptures d'approvisionnement qui avaient frappé l'État de Californie, mais également, plus près de nous, l'Italie.
En effet, la gestion à flux tendu ne peut aboutir qu'à des ruptures d'approvisionnement. Pourtant, cette situation est extrêmement préjudiciable pour les industries comme pour les particuliers.
La déréglementation du secteur promet également une rupture de la continuité territoriale. En effet, la fin du principe de péréquation implique de juger de la rentabilité de chaque prestation, pour chaque particulier, pour chaque entreprise, dans le cadre du principe de la « vérité des prix ».
Ainsi, les populations et les industriels des territoires enclavés verront leur facture augmenter inévitablement, puisqu'il sera plus contraignant pour l'entreprise énergétique de leur distribuer de l'électricité.
C'est pourtant bien le fait qu'EDF et GDF soient des entreprises publiques qui a permis ce maillage du territoire afin de garantir à tous une égalité de l'accès à l'énergie. Cette absence de politique publique va donc se traduire par une remise en cause de l'aménagement équilibré des territoires.
Je voudrais maintenant aborder la question environnementale dans le cadre des politiques énergétiques.
Si l'impératif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, affirmé dans le protocole de Kyoto, est une nécessité absolue, le discours tenu dans ce domaine par les pouvoirs publics est très culpabilisant et il me semble extrêmement réducteur.
En effet, la consommation mondiale d'énergie ne cesse de croître, ce qui est dû également au développement des pays du Sud. Ainsi, si l'on souhaite que chaque pays se développe, que les relations Nord-Sud s'équilibrent, la question devrait être celle de la diversification des ressources énergétiques, plutôt que de la réduction de la consommation.
Or, cette diversification du bouquet énergétique et la transition à une société post-pétrolière ne pourront se faire que par des investissements massifs en faveur de la recherche. Comment veut-on que des entreprises privées, dont l'unique souci est de faire de l'argent, investissent un centime pour le développement d'autres énergies, sans une incitation forte des pouvoirs publics ?
Nous l'avons déjà dit, le marché ne peut penser le long terme. Pour simple exemple, le budget recherche d'EDF a été amputé de 30 %
Dans ce sens, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen affirment le besoin d'une maîtrise publique de la politique énergétique. Il s'agit également de la seule manière de remplir les engagements français de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris lors du protocole de Kyoto.
Je rappellerai à cette occasion que notre groupe intervient régulièrement sur l'importance des politiques de transport et de logement pour la réduction de l'émission de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, une politique ambitieuse de fret ferroviaire est une nécessité, le transport routier étant responsable de 84 % de cette émission. Pourtant, depuis 2002, la subvention à ce type de transport a été divisée par trois.
Pour finir, nous soutenons que seules des entreprises publiques peuvent répondre aux missions de service public d'aménagement du territoire, d'égal accès, de sécurité et d'innovation.
Les choix du Conseil national de la Résistance restent donc d'une grande actualité. Le Conseil d'État, dans son avis sur ce projet de loi, reconnaît lui aussi clairement un rôle de service public national à GDF ; un tel statut implique nécessairement que GDF reste propriété de l'État.
M. Nicolas Sarkozy reconnaissait lui-même que « ces entreprises sont des grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées ». Il est vrai que les choses ont changé depuis !
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent la création d'un grand service de l'énergie au niveau européen, fondé non sur la concurrence des énergies, qui permet l'enrichissement de quelques-uns et une augmentation des tarifs pour tous, mais sur la mutualisation par des coopérations de services publics nationaux, seuls capables de réaliser les investissements nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques à venir.
La politique énergétique à mettre en oeuvre doit permettre, à la fois, de répondre à la demande croissante d'énergie, mais également de garantir effectivement le droit d'accès à l'énergie pour tous, reconnu dans le préambule de la Constitution. Telles sont les conditions d'un progrès de société indispensable pour le xxie siècle.
Ainsi, la seule question qui se pose est de savoir si l'énergie est une marchandise comme les autres ou s'il s'agit d'un bien commun de l'humanité. De la réponse à cette question découlent le régime de propriété et le régime d'exploitation de ces services, mais également leur reconnaissance comme service public.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen continuent de penser que l'énergie est un bien commun dont l'État doit garantir l'accessibilité à tous.
L'argument que vous employez pour légitimer le rapprochement de GDF et de Suez est complètement fallacieux. En effet, vous invoquez la nécessité de faire naître un géant de l'énergie dans un contexte de concentration croissante des entreprises du secteur, alors que vous aviez précisément justifié la séparation de GDF et d'EDF par la volonté d'éviter toute concentration, censée nuire à la libre concurrence.
Sur ce point, nous sommes pourtant d'accord avec vous : seule une entreprise intégrée, proposant une offre complète et disposant d'une envergure importante permettra de garantir la mise en oeuvre d'un service public de qualité. Dans ce cadre, nous vous demandons effectivement la fusion d'EDF et de GDF, même si l'Europe la refuse. Nous avons toujours le droit de nous battre pour défendre nos arguments !
Par ailleurs, seule la création d'un pôle public de l'énergie serait en mesure d'organiser les synergies nécessaires, en reconnaissant la complémentarité des énergies. Ce pôle devrait notamment regrouper EDF, GDF, AREVA et Total.
En effet, le passage de monopoles publics à des oligopoles privés signifie non pas un progrès pour notre pays, mais plutôt un recul, en privant encore un peu plus le pouvoir politique de moyens de contrainte sur l'économie.
Nous constatons, d'ailleurs, bien souvent, que seule la maîtrise publique permet de réaliser les investissements nécessaires. Il n'est pas rare non plus que le secteur public vole au secours du privé lorsque les conditions du marché l'exigent. Nous disposons ainsi de quelques exemples où l'État a nationalisé de nouveau un secteur en faisant le constat de l'impossibilité pour le privé de garantir les droits fondamentaux des citoyens.
À l'inverse, quand un secteur devient particulièrement rentable, il faudrait alors nécessairement le céder au privé, comme ce fut le cas récemment concernant les concessions d'autoroutes. Ce n'est pas ce que nous appelons le patriotisme économique !
Vous l'aurez compris, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen restent fermement opposés à la privatisation de GDF et à sa fusion avec Suez, qui permettraient de livrer, au nom du patriotisme économique, le patrimoine commun des Français aux intérêts du grand capital. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais concentrer mon propos sur les pratiques tarifaires dangereuses qu'inflige EDF aux PME françaises. Vous avez compris, mes chers collègues, que je souhaite parler de croissance et d'emploi.
Jusqu'en 2000, la fourniture d'électricité en France était un monopole d'EDF et des régies locales. Les clients, particuliers comme professionnels, étaient facturés en fonction de tarifs publics variant suivant leurs modes de consommation. Ces tarifs publics étaient parmi les plus compétitifs d'Europe, en raison de coûts de production eux-mêmes relativement faibles, du fait du choix opéré par notre pays en faveur du nucléaire. C'est, en effet, en 1974 que la France, avec le plan Messmer, a lancé un vaste programme électronucléaire qui prévoyait la construction de trois réacteurs par an.
Ainsi, nous disposons aujourd'hui de 58 réacteurs en fonctionnement, répartis sur vingt sites, qui génèrent 80 % de notre production d'électricité. Reconnaissons que ce choix politique, pour clair qu'il fût, n'avait pas fait l'unanimité à l'époque et reste encore controversé aujourd'hui, comme l'ont prouvé nos récents débats lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
De plus, l'industrie nucléaire produit des déchets, dont certains ont une durée de vie infinie et qu'il faut traiter. Je ne reviendrai pas sur ce point, dont nous avons déjà largement discuté lors de l'examen du projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs. Convenons que la recherche en ce domaine reste un impératif absolu.
Le choix politique ainsi fait dans les années soixante-dix était un acte de courage, eu égard aux risques assumés. Il était donc légitime que nous en retirions des contreparties, dont la principale a été, sans conteste, pendant plus d'un quart de siècle, la modération du coût de l'électricité. Nos PME ont bénéficié d'un avantage compétitif par rapport à leurs concurrentes européennes, implantées dans des pays où l'électricité était, et est encore, majoritairement produite à partir d'hydrocarbures. Je pense, par exemple, à l'Allemagne et à l'Italie.
Or, comme le montrent les conclusions de l'étude annuelle de NUS Consulting sur le prix de l'électricité pour les entreprises, cet avantage a fait long feu. Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75,6 % sur le marché dérégulé, contre seulement 10,57 % pour les tarifs régulés. Ceux-ci sont désormais inférieurs de 66 % aux prix pratiqués sur le marché dérégulé. Un tel différentiel peut représenter une part importante de la marge d'une petite PME.
Seules les entreprises ayant exercé leur éligibilité, espérant, à juste titre, qu'un marché concurrentiel était un gage de tarifs plus compétitifs, supportent ces hausses de prix. De plus, nouvelle injustice pour les PME, certains acteurs industriels, que l'on qualifie d'électro-intensifs, ont exercé leur éligibilité et se sont organisés en consortium, avec l'aval de l'État, pour obtenir de meilleures conditions de fourniture de l'électricité, à charge pour eux de financer une partie de l'EPR. Nous nous souvenons tous de ce débat très intéressant, parfaitement clair et transparent sur un amendement à la loi de finances rectificative.
M. Philippe Marini. Un débat modèle !
M. Jean Arthuis. Une telle situation est d'autant plus dommageable pour les entreprises concernées - je parle des PME - qu'elles ne peuvent pas, contrairement à ce qui est pratiqué dans d'autres pays européens, revenir aux tarifs réglementés.
Les prix de marché sont fixés à partir d'un coût marginal de production de l'électricité, lui-même fonction du coût d'approvisionnement en gaz ou en charbon, et ne tiennent aucun compte de la production d'origine nucléaire. C'est une aberration ! Si EDF devait rester sourd à cet appel, nous serions obligés de nous interroger sur les choix que nous venons de faire.
Pourquoi, dans de telles conditions, développer un nouveau programme nucléaire, l'EPR, dont la construction représente un investissement total de près de 3,3 milliards d'euros ?
M. Philippe Marini. Bonne question !
M. Jean Arthuis. Pourquoi poursuivre dans la voie du nucléaire, si les inconvénients ne sont plus compensés par des avantages tarifaires sur le prix de l'électricité ?
M. Philippe Marini. Bonne question !
M. Jean Arthuis. Dans la guerre économique que suscite la mondialisation, nos PME ont besoin d'être armées pour créer des emplois et donner de la consistance à la croissance.
Il est indispensable, messieurs les ministres, de permettre rapidement au marché libre de fonctionner de façon transparente et véritablement concurrentielle.
M. Philippe Marini. Très rapidement !
M. Jean Arthuis. Il faut également mieux protéger les entreprises en encadrant les pratiques commerciales de leurs fournisseurs. Pour l'instant, ceux-ci ne proposent pas de contrats de plus de trois ans, sauf en intégrant des clauses de sortie supprimant toute sécurité pour le client.
Enfin, il est indispensable que les tarifs pratiqués sur le marché libre reflètent les coûts de production d'EDF et prennent donc en compte la part dominante du nucléaire dans notre pays.
J'attends, messieurs les ministres, qu'EDF sorte très vite d'une attitude qui confine à l'autisme. Soyons bien conscients que l'avantage compétitif que constituait jusqu'à maintenant le prix de l'énergie électrique était, pour nombre de PME, l'ultime argument pour résister encore à la tentation de délocaliser leur activité et leurs emplois.
M. Daniel Raoul. C'est vrai !
M. Jean Arthuis. J'ai bien noté, monsieur le ministre de l'économie, que vous étiez prêt à agir. Croyez bien que nous attendons une réponse immédiate. S'il faut légiférer, nous le ferons sans hésiter !
J'aurais pu évoquer également la nécessité de revoir les règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Nous ne pouvons pas, messieurs les ministres, continuer à infliger des contraintes fortes aux entreprises qui opèrent chez nous et accepter que le commerce soit totalement libéré et que viennent sur notre territoire des produits issus d'entreprises qui ne respectent en aucune façon les règles que nous nous imposons.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean Arthuis. L'OMC devient une instance dangereuse si nous n'y mettons pas bon ordre, si nous n'intégrons pas le poids des contraintes que nous faisons peser sur nos entreprises. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule d'évoquer l'atmosphère dans laquelle se déroule ce débat, qui se voulait être un débat sur la politique énergétique et qui consiste, en fait, à prendre la température du malade, à savoir la majorité !
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Philippe Marini. Nous nous portons très bien !
M. Daniel Raoul. Monsieur le ministre, vous auriez pu élargir l'horizon de votre déclaration et ne pas vous limiter au projet industriel de fusion entre Suez et Gaz de France. D'autres sujets sont tout aussi importants, qui intéressent davantage nos concitoyens.
Ainsi, notre collègue Jean Arthuis vient d'évoquer la dérive des tarifs d'EDF : elle concerne les PME aujourd'hui, et concernera nos concitoyens demain, en juillet 2007. Il aurait été aussi intéressant d'évoquer cet aspect.
Mme Nicole Bricq. Il faut en parler !
M. Daniel Raoul. À l'heure actuelle, les perspectives tracées par le Gouvernement pour l'avenir énergétique de la France se focalisent sur un projet de fusion, qui est au coeur de l'actualité. Aujourd'hui, comme hier à l'Assemblée nationale, le débat se limite à ce projet, avec pour résultat de semer le doute, y compris dans votre majorité !
De ce point de vue, le succès est total ! Effectivement, tout le monde, les observateurs les plus critiques, mais aussi la presse, la grande majorité des parlementaires et surtout les Français - c'est ce qui nous importe le plus -, chacun souligne le caractère précipité de votre proposition.
Monsieur le ministre, vous avez d'abord essayé de nous la vendre comme un projet mûri depuis plusieurs mois. Ensuite, le Premier ministre est monté au créneau en considérant que c'était une question de patriotisme économique ! Lequel de vous deux faut-il croire ?
Pour ma part, je souhaiterais simplement insister sur les points qui me paraissent essentiels pour nos concitoyens : la question des tarifs, comme l'a souligné notre collègue Arthuis, mais aussi celle de l'approvisionnement en énergie et celle de la création d'un véritable pôle public pour fournir les services d'intérêt général.
Enfin, je ne peux oublier qu'une véritable politique énergétique doit s'inscrire dans un périmètre européen et je souhaiterais, monsieur le ministre, que le problème de la taille critique que vous évoquiez concernant les entreprises soit pris en compte dans les réflexions de vos conseillers, afin que l'acheteur européen soit positionné au niveau mondial.
Concernant les tarifs, l'article 1er de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières précise que, dans le cadre de ses activités, en particulier de gestionnaire des réseaux, GDF « contribue à la cohésion sociale, notamment au travers de [...] l'harmonisation de ces tarifs pour le gaz et de la péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution ». S'il en de même pour les tarifs d'électricité pratiqués par EDF, je me pose, comme de nombreux Français, un certain nombre de questions.
En cas de fusion ou d'absorption de Gaz de France par Suez, que deviendront de tels contrats, dont le dernier a été signé pour la période 2005-2007 ? Les probables nouveaux opérateurs, comme Suez, seront-ils soumis à des obligations de service public, et quel sort sera alors réservé à l'article 1er de la loi d'août 2004 ?
Par ailleurs, le maintien des tarifs régulés du gaz est du ressort du Gouvernement. Nous aimerions donc entendre celui-ci sur cette question. Ces tarifs seront-ils préservés en cas de privatisation de Gaz de France, et si oui pour combien de temps ? Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que ce qui était vrai en 2004 ne l'était plus en 2006 ; je ne sais donc quelle valeur accorder aux engagements que vous prenez aujourd'hui...
La disparition des tarifs régulés que nous craignons risque d'être particulièrement préjudiciable aux consommateurs résidant dans les zones rurales et partout où la rentabilité sera jugée insuffisante par les opérateurs privés, soucieux avant tout de servir les intérêts de leurs actionnaires.
Sur ce point, en matière d'évolution des prix de l'énergie, quelques rappels méritent d'être faits.
Puisqu'il s'agit ici d'un débat relatif à la politique énergétique, il me semble tout à fait opportun de dresser aujourd'hui une espèce de bilan de l'évolution des prix dans le secteur énergétique, s'agissant tout particulièrement de l'électricité.
Notre indépendance énergétique, acquise grâce au nucléaire, n'a véritablement de sens que si nous sommes capables de maîtriser la formation de nos prix, sans être dépendants de fluctuations instables, déconnectées des coûts de production, fixés sur les marchés mondiaux. Cela vaut aussi à l'échelle européenne. Les entreprises du secteur - faut-il le rappeler ?- ont par ailleurs elles aussi besoin d'une certaine stabilité des coûts.
En décembre 2004, devant la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale, Pierre Gadonneix, président d'EDF, déclarait qu'il comptait notamment, pour financer le développement de son entreprise, « sur une évolution des tarifs au rythme de l'inflation et des prix. Les tarifs et les prix se rapprocheront ainsi, les prix du marché pouvant se stabiliser aux environs de 35 euros par mégawattheure. »
Qu'en est-il aujourd'hui, quand les prix du marché ont atteint 60 euros par mégawattheure, sans qu'une telle augmentation soit proportionnée à la hausse des coûts ? Autrement dit, l'envolée des prix n'a rien à voir avec les fondamentaux de notre économie. Les hausses de prix subies par les entreprises ont été comprises entre 48 % et 60 % : une telle évolution se justifie-t-elle, et à qui profite-t-elle ?
À cet égard, les résultats financiers d'EDF marquent une nette progression en 2005. En particulier, le résultat net a doublé, pour atteindre 3,2 milliards d'euros. De tels chiffres ne justifient en rien les hausses de tarifs constatées.
Notons, au passage, qu'EDF versera, au titre de l'année 2005, 1,4 milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires, soit près de la moitié du résultat net réalisé cette même année.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Et vous nous parlez de la nécessité de procéder à de très lourds investissements, monsieur le ministre !
Cette hausse est en tout cas préjudiciable à l'ensemble de nos entreprises, notamment à celles qui sont fortement consommatrices d'électricité, qu'elles soient grandes ou petites. Elles sont de plus en plus pénalisées par des factures exorbitantes. Je citerai l'exemple du centre hospitalier et universitaire d'Angers, qui ne relève pourtant pas du secteur des industries électro-intensives mais qui a vu le montant de sa facture d'électricité augmenter de plus de 30 % en deux ans.
En définitive, ne faudrait-il pas mettre en place une véritable régulation tarifaire pouvant profiter à l'ensemble des consommateurs, qu'ils soient petits ou gros, délocalisables ou non ? En effet, la pratique de l'éligibilité est également pénalisante pour nos hôpitaux et pour nos collectivités territoriales. Notre collègue Michel Sergent en parlera sans doute tout à l'heure, en évoquant les autorités concédantes.
Enfin, comment ne pas constater que les prix du marché ont tendance à tirer vers le haut les prix réglementés, ce qui s'accompagne de demandes récurrentes, de la part des directions d'entreprises comme EDF et GDF, de relèvement de ces derniers ? Une telle libéralisation, sans régulation ni réelle gouvernance, ne sert pas l'intérêt général. Elle pèsera à terme sur la croissance, et, avec l'ouverture du marché en 2007, sur le pouvoir d'achat des ménages, ce qui accentuera encore la faiblesse de notre croissance.
Puisque vous avez évoqué, monsieur le ministre, les engagements pris par des gouvernements antérieurs, je voudrais rappeler qu'il est parfaitement inadmissible d'ouvrir totalement le marché alors que le préalable posé à Barcelone par Lionel Jospin, à savoir l'adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt général, n'est toujours pas satisfait.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. Daniel Raoul. Cet acquis majeur du sommet de Barcelone, vous omettez systématiquement de le rappeler et, surtout, vous n'avez nullement essayé de le faire respecter par la Commission européenne. Les avantages considérables, énoncés dans les préambules des deux directives adoptées en 2003, qui peuvent découler du marché intérieur en termes de gains d'efficacité, de baisse de prix, d'amélioration de la qualité du service et d'accroissement de la compétitivité n'étant pas à ce jour démontrés, il est à nos yeux pleinement justifié d'exiger l'abandon du rendez-vous de 2007.
Cependant, le 25 novembre 2002, lors du Conseil européen des ministres de l'énergie, le gouvernement de M. Raffarin a entériné, avec zèle, la libéralisation intégrale des marchés du gaz et de l'électricité pour les ménages,...
Mme Nicole Bricq et M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. ... et la fin du monopole d'EDF à compter du 1er juillet 2007, alors que les conditions posées à Barcelone n'étaient pas remplies.
Mme Nicole Bricq. Il fallait le rappeler !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Daniel Raoul. Au Parlement européen, d'ailleurs, les députés issus de l'UMP et de l'UDF ont confirmé ce choix de la libéralisation.
Il est indispensable, avant le rendez-vous du 1er juillet 2007, que la représentation nationale soit informée sur les conditions de formation des prix sur le marché de l'électricité -je sais que vous avez pris un engagement dans ce sens, concernant les contacts avec EDF et les autres fournisseurs, monsieur le ministre -, sur leurs conséquences et sur les mécanismes de régulation à mettre en place.
C'est pour ces raisons, et parce que vous ne voulez pas demander à la Commission européenne la réalisation d'une étude d'impact, que nous solliciterons la création d'une commission d'enquête, comme l'a fait hier, à l'Assemblée nationale, notre collègue François Brottes.
Enfin, la Commission européenne ne peut se contenter d'adresser une mise en demeure à dix-sept États membres, au prétexte que leurs tarifs intérieurs constitueraient des obstacles à la concurrence et à la création du marché unique. Le rendez-vous de 2007 ne doit pas être une échéance incontournable : demandons la réalisation de l'étude d'impact, et dotons avant toute chose l'Union européenne de solides compétences en matière énergétique.
J'insiste à nouveau, en cet instant, sur la nécessité de constituer un pôle énergétique européen. Le marché unique de l'énergie ne peut être fondé seulement sur des principes de concurrence, il doit répondre à d'autres objectifs concernant la qualité du service, les prix et la sécurité d'approvisionnement. À terme, il repose sur une régulation à l'échelle du marché européen.
Le Préambule de la Constitution de 1946, qui précise que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », s'applique, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2004, qui ajoute « qu'en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Électricité de France et Gaz de France [...], le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux ; qu'il a garanti, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la participation majoritaire de l'État » - je ne rappellerai pas ici l'engagement pris par le Gouvernement sur la détention de 70 % du capital de GDF - « ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public dans le capital de ces sociétés. »
Respectons au moins cette décision ! Une fois de plus, vous allez brader une entreprise publique,...
M. Daniel Raoul. ... bafouer les missions de service public, mais aussi trahir les principes mêmes de notre loi fondamentale.
Pour toutes ces raisons, et même si je peux comprendre quels sont les objectifs et les enjeux, nationaux ou internationaux, liés à la nécessité d'avoir des entreprises puissantes, en mesure de peser suffisamment sur le marché mondial, et de leur offrir un cadre concurrentiel, nous ne pourrons jamais adhérer à votre projet de fusion entre GDF et Suez, monsieur le ministre. Vous rencontrez déjà des difficultés avec votre majorité, alors imaginez celles que suscitera l'opposition !
M. Philippe Marini. Il ne faut jamais dire « jamais » ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Il est vrai que vous avez tellement changé d'opinion en deux ans...
M. Philippe Marini. Vous aussi !
M. Daniel Raoul. Monsieur Marini, je ne vous interromps pas quand vous intervenez !
M. Gérard Longuet. Ce n'est pas nous qui avons changé, c'est le prix du baril !
M. le président. Ne vous laissez pas troubler, monsieur Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, je constate que, à chaque fois, on nous prive d'une partie de notre temps de parole. Si M. Marini veut intervenir, qu'il le fasse !
Quoi qu'il en soit, je relève l'empressement du Gouvernement à prendre en considération un seul schéma, alors que d'autres solutions existent, en particulier celle de la constitution d'un pôle public de l'énergie,...
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Daniel Raoul. ... que l'on ne peut ignorer. Je souhaite vivement, monsieur le ministre, que la réaction que vous constatez au sein de votre majorité puisse vous conduire à être raisonnable et à réfléchir à la constitution de ce pôle public, même s'il est difficile, comme l'ont rappelé certains d'entre nous, notamment M. Marini, de convaincre Bruxelles. Je suis persuadé qu'il existe d'autres solutions que la fusion ; je vous demande de les envisager. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est avec régularité et assiduité que nous débattons et légiférons sur un sujet stratégique d'une importance majeure au regard de l'avenir de notre société, de son développement, de sa croissance économique, de ses emplois et de la compétitivité de ses entreprises, à savoir l'énergie.
Je rappellerai ici, pour mémoire, le déroulement de la démarche de notre majorité, sa cohérence et la concertation qui l'a accompagnée et qui a toujours été un préalable à chaque nouvelle étape.
À l'automne 2002, s'est tenue la discussion parlementaire en vue de la transposition de la directive de 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, à laquelle, que l'on me permette de le rappeler, le gouvernement de M. Jospin avait renoncé, malgré les engagements internationaux pris par notre pays. Cette discussion a débouché sur le vote de la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie.
Au cours de l'année 2003 a été organisé le débat national sur l'énergie, qui a connu un grand succès, grâce notamment à des milliers de réunions décentralisées.
En avril 2004, au Sénat, le Gouvernement a fait une déclaration, suivie d'un débat, sur l'énergie. En juillet de la même année est intervenu le vote de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
En 2005, a été débattue et votée la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, qui, comme son intitulé l'indique, fixe le cadre général de nos choix en matière énergétique, toutes énergies confondues, afin notamment de garantir notre indépendance à cet égard.
Enfin, en 2006, nous venons d'adopter deux lois historiques relatives au domaine nucléaire, portant l'une sur la transparence et la sécurité, l'autre sur les déchets.
M. Henri Revol. Depuis 2003, nous avons ainsi doté notre pays d'une législation propice à la bonne marche d'un secteur économique et industriel majeur concernant un bien de première nécessité et dont l'activité est largement déterminée par le contexte européen et international.
Ce socle législatif, pour fondamental qu'il soit, s'agissant notamment des principes devant régir notre stratégie énergétique à long terme, ainsi que les conditions de diversification de notre panier énergétique, n'est pas, pour autant, gravé dans le marbre pour toujours.
En effet, les entreprises du secteur de l'énergie interviennent sur un marché européen et mondial et sont, de ce fait, tributaires de la constante évolution de ce dernier. Cela signifie, concrètement, que l'ouverture des marchés entraîne un changement de dimension qui implique des recompositions, des restructurations et de nouvelles alliances.
Ainsi, dans la mesure où nous nous sommes engagés, à l'échelon européen, sur la voie de l'ouverture, et ce quels que soient les gouvernements en place, de droite comme de gauche, la France a tout intérêt à donner la possibilité à ses entreprises de devenir grandes et puissantes.
C'est d'ailleurs pour leur permettre de préparer leur avenir et de maintenir leur compétitivité sur un marché de plus en plus international que nous avons inscrit dans la loi de 2003 la transformation d'EDF et de GDF en sociétés anonymes et la baisse du niveau de la participation de l'État dans leur capital, tout en maintenant, je tiens à le rappeler, le statut des agents, ainsi que leurs acquis sociaux, et en confortant les valeurs du service public.
Or, de quoi sont faites aujourd'hui l'actualité et la réalité ? Le secteur de l'énergie, par nature stratégique, l'est devenu encore plus à la suite de la crise russo-ukrainienne du début de l'année et de l'envolée du prix du pétrole.
Nous assistons ainsi, depuis plusieurs mois, à une accélération de la concentration des grandes entreprises du secteur, que ce soit aux États-Unis, en Espagne ou en Russie.
M. Henri Revol. Cela étant, l'épisode qui a le plus retenu notre attention a été, bien entendu, le possible rapprochement entre GDF et Suez et la perspective d'une OPA d'ENEL visant Suez.
Aujourd'hui, nous devons tirer toutes les conséquences de notre engagement sur la voie de l'ouverture des marchés électriques et gaziers, en accord avec nos partenaires européens, notamment par la constitution de groupes industriels cohérents de dimension européenne. C'est en effet le seul moyen de garantir nos emplois, notre compétitivité et notre sécurité. C'est résolument dans ce cadre que devra s'inscrire tout rapprochement d'entreprises dans le secteur énergétique.
Cela revêt deux implications majeures. D'une part, quel avenir préparons-nous pour GDF ? D'autre part, comment poursuivrons-nous l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz à la concurrence, telle qu'elle est prévue par la réglementation européenne ? La directive prévoit, comme vous le savez, l'ouverture de ces marchés à l'ensemble des clients au 1er juillet 2007. C'est une date importante, croyez-le bien !
M. Daniel Raoul. Mais pas impérative !
M. Henri Revol. Sur le point précis du marché du gaz et de l'avenir de GDF, mon collègue Ladislas Poniatowski nous a présenté la situation dans tous ses détails et nous partageons largement son analyse.
M. Henri Revol. Si nous voulons que GDF demeure une entreprise compétitive dans son domaine, il faut lui permettre de s'engager dans des partenariats industriels.
Il me semble, d'ailleurs, que cette idée n'est pas inconcevable pour nos collègues de l'opposition, puisque certains d'entre eux proposaient, à une époque différente, le rapprochement avec Total-Fina...
M. Philippe Marini. C'est surprenant !
M. Henri Revol. ...et que d'autres se prononçaient en faveur de l'ouverture du capital de GDF, ainsi que cela a été rappelé par plusieurs collègues.
M. Philippe Marini. C'est incroyable !
M. Henri Revol. Quant à l'ouverture des marchés, elle doit se poursuivre dans le respect des étapes fixées au niveau européen. Certes, nous sommes tous conscients que, après une première période de baisse, les prix de l'électricité ont fortement augmenté sur le court terme. Selon l'explication généralement partagée, les prix au niveau européen convergent vers le haut en raison de trois facteurs : un sous-investissement en moyens de production ; les choix stratégiques de certains de nos voisins, dont l'énergie électrique provient du charbon ; l'intégration récente du coût du CO2, la France perdant ainsi le bénéfice de sa production nucléaire relativement bon marché. C'est un constat.
Toutefois, une telle situation ne saurait se prolonger durablement sans avoir de graves incidences sur de nombreux secteurs d'activité ; le président Arthuis l'a fort bien rappelé dans son intervention. C'est pourquoi nous ne pouvons que saluer les récentes initiatives du Gouvernement en faveur des consommateurs électro-intensifs et des autres consommateurs professionnels, comme les PMI et les PME, ainsi que la demande de modification de la directive sur les quotas d'émission.
Nous souhaitons que ces initiatives aboutissent rapidement et que le prix de l'électricité puisse se rapprocher du niveau de son coût de production en France. Néanmoins, il ne me semble pas justifié d'arrêter l'ouverture des marchés de l'énergie, mais nous devons veiller à ce qu'elle se fasse dans les meilleurs conditions possibles, c'est-à-dire en maintenant les dispositifs sociaux, en assurant la continuité du service public, ...
M. Roland Courteau. On peut rêver !
M. Henri Revol. ...en informant nos concitoyens-consommateurs sur le fonctionnement futur des marchés, en préservant le rôle des collectivités locales - notre collègue Xavier Pintat va nous en parler - et en opérant la séparation juridique de l'activité de distribution pour les distributeurs de plus de 100 000 clients, telle qu'elle est prévue par les directives européennes.
En ce qui concerne les tarifs réglementés, ils devront être prolongés pour une période sans doute provisoire, car il semble très peu probable que la Commission européenne et nos partenaires puissent les accepter à plus long terme. Il faudra prévoir des garde-fous solides si nous ne voulons pas que les particuliers voient leur facture d'électricité augmenter de manière vertigineuse après le 1er juillet 2007, comme l'ont subi les entreprises qui ont quitté leurs fournisseurs historiques.
M. Roland Courteau. Et oui !
M. Henri Revol. Il s'agit d'un point très important pour protéger les consommateurs et éviter des variations de prix trop importantes qui pénaliseraient gravement nos concitoyens, notamment les plus modestes.
M. Daniel Raoul. Bienvenue au club !
M. Henri Revol. Pour conclure, je pense que l'occasion nous est donnée aujourd'hui de contribuer à la naissance d'un nouveau champion de l'énergie en permettant le rapprochement entre GDF et Suez.
Par dogmatisme, mes chers collègues, prendriez-vous la responsabilité de ne pas saisir cette opportunité et de laisser les marchés financiers arbitrer, au détriment d'une réelle cohérence industrielle ?
Vous avez mené, monsieur le ministre, une large concertation qui a permis à chacun de faire valoir ses positions et ses attentes par rapport aux évolutions actuelles. Le débat organisé hier à l'Assemblée nationale et celui d'aujourd'hui au Sénat en sont d'ailleurs une étape importante. Le temps de l'action, c'est-à-dire de l'intervention législative, est maintenant venu. Je suis sûr qu'un bon compromis peut être trouvé. Ne laissons pas passer une opportunité historique ! Ne prenons pas le risque de voir notre société nationale GDF assister en spectateur impuissant à des regroupements concurrents destructeurs.
Il nous paraît souhaitable que le futur projet de loi puisse contenir deux volets. D'une part, la modification de la composition du capital de GDF, en abaissant le niveau de participation de l'État et en mettant en place une minorité de blocage. Sur ce point, monsieur le ministre, vous avez été très clair. D'autre part, la poursuite de la transposition des directives européennes sur l'ouverture des marchés de l'énergie, en cherchant à atteindre au plus vite un marché véritablement transparent et concurrentiel.
Mme Nicole Bricq. C'est un voeu pieux !
M. Henri Revol. Dans ce domaine, la France, me semble-t-il, a été, jusqu'à présent, tout à fait exemplaire, ce qui est loin d'être le cas d'un certain nombre d'autres pays européens à qui il faudrait sans doute rappeler leurs obligations.
Le débat parlementaire nous donnera la possibilité d'inscrire dans la loi toutes les précisions utiles qui nous permettrons d'aboutir sur un dossier où la préservation de nos emplois et de la compétitivité de nos entreprises doit primer avant tout. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'évoquerai ici un sujet beaucoup plus grave que la fin du pétrole : la nécessité absolue de préparer immédiatement la transition énergétique. En effet, le dérèglement climatique, puisqu'on ne parle plus de réchauffement, « coûte » d'ores et déjà 1 % du PIB mondial, dont plus de 200 milliards de dollars par an actuellement pour les États-Unis.
Ce chiffre va décupler d'ici peu. Une étude, qui s'appuie sur une hypothèse basse du Groupe d'experts international sur l'évolution du climat, alors qu'on se réfère aujourd'hui à l'hypothèse haute, prévoit que, dans les années 2050, le coût pour les seuls États-Unis sera de 2 000 milliards de dollars par an. Dans les années 2030, 3 % du PIB mondial seront consacrés à essayer de réparer les conséquences des catastrophes climatiques !
Si l'on y ajoute le coût de l'augmentation du prix du pétrole, qui est de l'ordre de 1 % à 1,5 % du PIB mondial, les pays industrialisés auront l'équivalent de 4,5 % du PIB mondial en moins pour leurs investissements, soit un taux plus important que celui de la croissance européenne. Les puissances occidentales, en tout cas celles qui ne produisent pas de pétrole, seront donc confrontées à un problème financier grave : il n'y aura plus d'argent pour investir dans les filières économes en énergie, pour capter et séquestrer le CO2 et pour amorcer la transition énergétique.
Par conséquent, il faut agir tout de suite. Dans dix ans, il sera trop tard, comme l'a écrit le grand savant australien Tim Flannery dans un ouvrage qui est désormais le livre de chevet de Tony Blair et d'Al Gore.
En France, le « plan climat » prévoit une transition énergétique, qui est indispensable et urgente. Je rappelle qu'il s'agit de diviser par quatre les émissions de CO2.
Nos filières électronucléaire et hydroélectrique nous permettent de l'envisager, alors que beaucoup d'autres pays ne le peuvent pas. La France, qui dispose de tous les outils nécessaires, peut devenir un modèle en matière d'économies d'énergie, de captation et de séquestration du CO2 à la source pour les centrales et industries lourdes, de biocarburants, de stockage d'électricité en batteries, d'énergie photovoltaïque ou provenant des éoliennes, d'oxycombustion, d'usage des TIC pour l'aménagement du territoire, de diminution du « tout automobile », de développement du ferroutage, de l'augmentation du nombre de bâtiments zéro énergie, ou d'isolation, grâce à Saint-Gobain. La France peut et doit servir de modèle au monde, comme au siècle des Lumières.
L'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, présidé par notre collègue Henri Revol, va présenter, le 29 juin au Sénat, un rapport pour lequel nous avons procédé à plus de 300 auditions à travers le monde, notamment en France, en Allemagne, aux États-Unis, en Chine et au Japon. Un des sous-titres est « Alerte rouge, une action urgente ! », car nous allons dans le mur !
Cela me paraît beaucoup plus crucial que la nécessité pour la France d'avoir des champions. C'est certes important et nous sommes heureux de les avoir dans les domaines nucléaire, pétrolier, ou gazier. Mais, en même temps, une mobilisation nationale devrait nous permettre de devenir aussi le champion de la transition énergétique. Si nous ne commençons pas par être les meilleurs dans ce domaine, personne ne nous écoutera lorsque nous dirons aux autres de faire comme nous. Nous devons, par exemple, être aussi bons que les Allemands dans les domaines du photovoltaïque et de l'isolation des bâtiments. C'est possible !
Le rapport de l'Office comprend de nombreuses suggestions, comme accroître l'effort de recherche dans les domaines liés à la transition énergétique. Pour les financer, nous proposons d'augmenter régulièrement la TIPP de 1 % par an. Il faudra expliquer que l'énergie ne peut être bon marché et se préparer à ce qu'elle soit de plus en plus chère. Une partie de ces recettes supplémentaires doit aussi pouvoir être utilisée pour aider les plus démunis.
Nous suggérons la création d'une « vignette carbone », dont les bénéfices seraient de l'ordre de deux milliards d'euros par an, l'augmentation de la TIPP rapportant à peu près le même montant. Ces ressources financeraient, pour l'essentiel, l'organisation de la recherche et les incitations fiscales, de façon à faciliter la transition énergétique, ce qui permettra de diminuer la charge de l'augmentation inéluctable du coût de l'énergie pour tous et créera des emplois.
En même temps, nous proposerons une structure interministérielle nouvelle et des actions internationales fortes, notamment vis-à-vis de l'OMC. Le commerce mondial est devenu inéquitable, c'est anormal ! Les pays qui dépensent de l'argent pour appliquer le protocole de Kyoto, et qui, pour certains, vont même plus loin que les objectifs fixés, sont en concurrence avec d'autres qui ne l'appliquent pas et qui ont, par conséquent, des coûts de production diminués, tout de profitant des efforts des autres. Cette situation est injuste et intolérable.
Ce point me paraît important pour que la France et l'Europe adoptent de concert une organisation nouvelle. Nous savons que la plupart des pays en voie de développement seront d'accord avec nous, car ils sont parmi les plus exposés aux désastres du changement climatique.
Ce travail, comme tous les travaux de l'Office, repose sur des données sérieuses, avec une stratégie à vingt ans, pour résoudre le difficile enjeu consistant à sortir d'une situation où 80 % de l'énergie consommée dans le monde est d'origine fossile, nous conduisant, dans moins d'une vingtaine d'années, à une impasse financière et à une catastrophe humaine.
Au-delà de l'incidence financière, en effet, les conséquences seraient dramatiques pour près de la moitié de l'humanité, qui vivra dans des régions à climat désertique, ou bien qui sera soumise à des inondations, à des typhons de plus en plus fréquents, ou encore qui sera confrontée à des problèmes insurmontables de migrations humaines concernant plus de un milliard d'individus.
La lutte contre le changement climatique est une nécessité. Il est essentiel, à l'occasion des débats sur la politique énergétique, de montrer que les temps changent, que nous avons su adopter longtemps à l'avance une position de transition énergétique favorable, afin de devenir un modèle pour le monde en ce domaine ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2004, le ministre de l'économie de l'époque nous indiquait qu'il n'y aurait pas de privatisation d'EDF ou de GDF et que la participation minimale de l'État au capital de ces entreprises resterait de 70 %. L'engagement était alors solennel...
Les règles semblent avoir changé puisque, en février dernier, le Gouvernement français a annoncé à la hâte le projet d'une fusion entre Suez et GDF, ce qui n'est possible que si le Parlement autorise l'État à abaisser sa participation au capital de l'entreprise gazière en dessous de 70%.
Avant d'examiner un tel projet, plusieurs questions se posent, notamment celle-ci : pourquoi cette précipitation ? Dans un courrier adressé aux parlementaires, le 7 juin dernier, les présidents de GDF et de Suez nous écrivent : « La reforme de la loi de 2004 apparaît comme une impérieuse nécessité ». « Cherchez l'erreur ! », ai-je envie de répondre.
Pourquoi ce qui était vrai en 2004 est-il subitement devenu faux en 2006 ? Qu'est-ce qui a changé et qui n'avait pas été anticipé, au point d'amener le Gouvernement à adopter une position différente de celle qu'il avait prise deux ans plus tôt ?
M. Yves Détraigne. Comment se fait-il que l'on ait brusquement besoin de créer un « champion de l'énergie » en fusionnant le gazier GDF et l'électricien Suez, alors que cette hypothèse était exclue voilà deux ans ?
M. Yves Détraigne. S'agit-il de constituer un groupe qui, par son poids, sera en mesure de peser sur les prix de l'énergie ? Alors, il convient d'expliquer pourquoi EDF, qui est lui aussi un mastodonte dans le domaine de l'énergie électrique, n'est pas parvenu à peser sur les prix de l'électricité en France.
Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit excellemment Jean Arthuis ; je soulignerai simplement que nous avons vu flamber les prix de l'électricité alors que l'essentiel de l'énergie électrique produite en France est d'origine nucléaire. Ce constat pourrait même remettre en question l'intérêt de la relance du programme nucléaire !
Si EDF, qui maîtrise la production de l'électricité qu'elle distribue, n'a pas su influer sur l'évolution de ses prix, je vois d'autant moins comment le nouvel ensemble GDF-Suez, qui ne maîtrise pas ses sources de production de gaz, pourrait peser sur les prix ou sécuriser les approvisionnements en gaz de notre pays. On sait bien que le prix du gaz évolue d'abord en fonction du prix du pétrole. Comme celui-ci est promis à devenir rare et cher, j'avoue ne guère comprendre comment cette fusion, d'une part, garantirait mieux les approvisionnements que ne peut le faire GDF seul et, d'autre part, protégerait mieux le consommateur contre la hausse des prix du gaz...
On peut craindre, au contraire, que les arbitrages internes au nouveau groupe - sur les décisions duquel l'État ne sera plus en mesure de peser aussi efficacement - ne se fassent d'abord, et ce serait compréhensible, dans l'intérêt du groupe et que l'intérêt du consommateur passe au second plan. Celui-ci peut donc légitimement nourrir plus de craintes que d'espoirs à l'égard de cette fusion.
Qu'adviendra-t-il des activités de Suez qui ne relèvent pas du domaine de l'énergie ? Je pense notamment à celles qui sont liées à l'eau, à l'assainissement, à la propreté et au chauffage urbain, dont Suez est l'un des leaders mondiaux ; on peut craindre que leur développement ne soit plus la priorité du nouveau groupe. Nous aimerions, messieurs les ministres, être éclairés sur ce point.
Derrière tout cela, l'éternelle question de la gouvernance des grandes entreprises dans notre pays revient au premier plan.
Il est tout de même frappant de constater que c'est le Premier ministre lui-même qui a annoncé, en février dernier, la fusion des deux entreprises. On a beau nous expliquer que celles-ci étaient en pourparlers depuis trois ans, cette précipitation soudaine et cette mise en scène - les acteurs économiques donnent l'impression d'être aux ordres du politique - nous font beaucoup plus penser à une réaction d'amour-propre national face à l'éventualité d'une OPA d'une entreprise étrangère sur une entreprise française qu'à une véritable nécessité d'ordre industriel.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Yves Détraigne. On ne peut, en effet, s'empêcher de rapprocher cette annonce de la réaction qu'avait déjà eue le Gouvernement, l'été dernier, face aux rumeurs d'OPA de PepsiCo sur Danone ou au feuilleton Arcelor-Mittal, dans lequel il semblerait que, pour contrer l'OPA du groupe de droit hollandais Mittal, on fusionne le luxembourgeois Arcelor avec un groupe russe...
Peut-être est-ce moi qui ne comprends rien à la gestion des entreprises et au « patriotisme économique », c'est possible,...
Mme Nicole Bricq. Si, vous comprenez très bien !
M. Yves Détraigne. ...mais, franchement, par sa soudaineté, cette façon de faire ressemble plus à une décision purement politique qu'à la mise en oeuvre d'une stratégie industrielle de long terme, ou alors celle-ci a bien changé en deux ans !
M. Daniel Raoul. Ça, c'est sûr !
M. Yves Détraigne. A-t-on pensé aux conséquences de ce type de décision sur la crédibilité de notre pays à l'étranger ? La position de M. Romano Prodi - qui s'y connaît, me semble-t-il, en termes d'affaires européennes - rappelant, mardi dernier, « la nécessité d'avoir des règles de marchés équilibrées, symétriques et ouvertes », me parait devoir être méditée.
Mme Nicole Bricq. Et comment !
M. Philippe Marini. Il soutient ses entreprises !
M. Yves Détraigne. Notre pays, qui a été l'un des pionniers de la construction européenne et qui s'affiche toujours, à ma connaissance, pro-européen, pourra-t-il longtemps continuer à crier victoire lorsqu'une entreprise française s'empare d'une entreprise d'un autre pays européen et à s'offusquer lorsque c'est l'inverse qui se produit ? Ou bien on laisse fonctionner les mécanismes économiques, ou bien l'on considère que c'est l'État qui décide de ce qui est bon ou pas pour les entreprises françaises, mais alors il faut le dire.
J'en reviens à la question que je posais au début de mon intervention : pourquoi affiche-t-on aujourd'hui une position différente de celle que l'on professait deux ans auparavant sur la part de l'État dans le capital de GDF ? Sauf erreur de ma part, Suez était déjà opéable à cette date, et la question d'une fusion éventuelle entre Gaz de France et Suez pouvait déjà, tout aussi légitimement qu'aujourd'hui, se poser.
Si cela signifie que nous avons manqué de clairvoyance en 2004, messieurs les ministres, qu'est-ce qui nous garantit que nous sommes plus perspicaces aujourd'hui et que nous ne faisons pas une nouvelle erreur ?
Telles sont, messieurs les ministres, les questions qui me semblent devoir obtenir des réponses avant que nous puissions nous déterminer sur le bien-fondé - ou non - d'une éventuelle fusion GDF-Suez. Le groupe de l'UC-UDF aborde ce débat sans a priori, mais il veut comprendre.
Vous me permettrez, en tant que Marnais, de terminer mon propos par une brève digression sur les biocarburants. Je me félicite, bien évidemment, que le Gouvernement - le mérite vous en revient, messieurs les ministres - prenne enfin toute la mesure du défi que constitue la promotion des biocarburants dans notre pays :...
M. Yves Détraigne. ...défi en matière d'indépendance énergétique, d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement.
J'en veux pour preuve les objectifs fixés récemment par le Premier ministre dans le domaine des biocarburants - ils sont désormais plus ambitieux et plus volontaristes que ceux de la directive européenne de 2003 - et l'accompagnement de l'expérimentation du plan Flex Fuel que vous venez d'engager dans la Marne, monsieur le ministre.
Il reste à maintenir la pression pour que les constructeurs automobiles et les pétroliers français, qui sont eux aussi, dans leur domaine, des champions mondiaux, comprennent l'intérêt du défi à relever et prennent toute leur part dans le développement des biocarburants.
Je rappellerai toutefois que, pour atteindre la meilleure efficacité industrielle en ce domaine, il serait utile de ne pas « saupoudrer » l'attribution des agréments de production d'éthanol, mais, au contraire, de les concentrer sur les entreprises les plus avancées, afin de leur permettre d'atteindre rapidement la productivité nécessaire pour résister aux importations en provenance de l'étranger, notamment du Brésil, et pour limiter dans le temps la politique de défiscalisation dont ce secteur a besoin pour se lancer.
Voilà, messieurs les ministres, les questions et les remarques que je voulais formuler à l'occasion de ce débat. Vous avez commencé à y répondre, et je vous en remercie. J'espère que vos réponses ne seront pas de circonstance, mais qu'elles s'inscriront, contrairement à celles de 2004, dans une stratégie de long terme pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Sergent.
M. Michel Sergent. Messieurs les ministres, pour compléter les interventions de mes amis Roland Courteau et Daniel Raoul, que j'approuve pleinement, et avant que Nicole Bricq ne prenne le parole, je vous poserai quelques questions concernant notamment les collectivités locales.
L'ouverture à la concurrence est prévue au 1er juillet 2007. Nous savons qu'une loi sera nécessaire. Néanmoins, concernant le maintien des tarifs, l'État a reçu de la Commission européenne, le 4 avril dernier, une lettre de mise en demeure à laquelle il devait répondre, semble-t-il, pour le 10 juin.
Quelle a été votre réponse sur le maintien, par tous les énergéticiens, des tarifs administrés et sur leur suppression éventuelle : lesquels, pour qui et quand ?
Si, comme je le souhaite, les tarifs sont maintenus, concerneront-ils les seuls particuliers ? Les collectivités publiques pourront-elles en bénéficier, comme ce fut le cas en juillet 2004, année où les collectivités devenues éligibles, comme l'ensemble des professionnels, ont pu, grâce à la loi d'août 2004, après avis du Conseil d'État du 8 juillet, ne pas quitter le tarif réglementé ?
Compte tenu de leur rôle d'utilité publique et sociale, il serait bon qu'il en soit ainsi, d'autant qu'elles pourraient difficilement assumer des augmentations de 30 % à 40 % - Jean Arthuis évoquait 60 % - de leur poste énergétique, au moment où le Gouvernement envisage de baisser la dotation du contrat de croissance et de solidarité.
La fixation d'un tarif de dernier recours était prévue par la directive ELEC de juin 2003. Ce tarif s'imposera-t-il à tous les fournisseurs ? Quel sera le rôle des collectivités locales en ce domaine concernant la qualité ?
On observe, en Europe, que les régulateurs cherchent à abaisser au maximum les coûts d'accès au réseau par l'allongement de la durée des amortissements de trente à cinquante ans, par la baisse des investissements. Quelle régulation est envisagée pour imposer des politiques qui soient concentrées non pas sur les coûts, mais sur la qualité des réseaux, facteur indispensable du développement économique des territoires ?
Il ne faudrait pas, en effet, que les investissements se concentrent sur la production, sur le transport, au détriment de l'urbain et surtout du rural. D'ailleurs, personne ne croit que les investissements ne pâtiront pas de la rémunération des actionnaires de plus en plus nombreux et de plus en plus exigeants.
Les communes sont propriétaires des réseaux et exercent un pouvoir concédant. N'ont-elles pas à craindre, dans l'avenir, une mise en concurrence des concessions ? N'oublions pas qu'elles ont, dans leurs missions, le contrôle de la qualité des fournitures et des réseaux de distribution.
S'agissant des services, hier, bon nombre d'entre eux étaient gratuits ou leur coût était raisonnable. Aujourd'hui, tous sont payants, et ceux qui l'étaient déjà auparavant sont désormais beaucoup plus chers. On assiste même à la mise en place de services payants pour un dépannage dans les deux heures, contrairement à ce qu'EDF assurait lors d'une récente campagne publicitaire !
Ne va-t-on pas, dans ce cas, vers un service public à deux vitesses ?
Telles sont, monsieur le ministre, chers collègues, les quelques remarques que je voulais faire. Je ne doute pas que nous aurons à revenir sur tous ces points dans les mois à venir.
Quoi qu'il en soit, sachez que, plus que jamais, nous tenons au service public, au grand service public de l'électricité et du gaz ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Messieurs les ministres, mes chers collègues, à ce stade du débat, l'attention du Sénat me semble pouvoir se concentrer sur trois points.
En premier lieu, sur le progrès que représenterait la constitution de l'ensemble Gaz de France-Suez en termes de concurrence et de bon fonctionnement des marchés.
En deuxième lieu, sur les dysfonctionnements du marché libre de l'électricité et sur les correctifs que cette situation appelle.
En troisième lieu, sur l'opportunité de disposer en France d'un régulateur fort et crédible, c'est-à-dire sur la nécessité de faire évoluer la Commission de régulation de l'énergie.
En ce qui concerne le premier point, je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été excellemment dit, tant par le président de la commission, M. Émorine, que par Ladislas Poniatowski ou Henri Revol.
S'agissant de la nécessité où nous nous trouvons de réagir à une situation de marché révélatrice de certaines de nos faiblesses, il est clair que la mise en cause de l'indépendance du groupe Suez et que le processus de démantèlement qui ne manquerait pas d'être enclenché par une prise de contrôle hostile ne laisseraient pas indemnes notre pays, le corps social de Suez, les collectivités territoriales et les usagers de services publics aussi essentiels que l'eau ou les déchets !
Nous devons assumer cette réalité, et ceux qui ne le font pas, ici ou ailleurs, prendraient une lourde responsabilité pour le cas où l'enchaînement des circonstances irait dans ce sens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini. Je tiens à le dire très fermement, messieurs les ministres : le débat qui nous occupe ce matin permet d'acter une situation, d'envisager des scenarii.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne sert à rien ce débat !
M. Philippe Marini. Il nous faut nous adresser à ceux, ici ou ailleurs, qui estimeraient que l'inaction est possible, ...
M. Philippe Marini. ... que la non-réponse est concevable.
M. Robert Bret. Absolument !
M. Philippe Marini. L'économie ne fonctionne pas ainsi.
M. Daniel Raoul. Faites un congrès à l'UMP !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, réunissez l'UMP !
M. Philippe Marini. Lorsqu'un problème se pose, il faut prendre ses responsabilités. En l'espèce, mes chers collègues, c'est ici et maintenant que nous pouvons tenir des propos allant dans le sens de cette prise de responsabilité.
À la vérité, du point de vue du patrimoine public, le projet de fusion ne change rien - j'ose le dire ! -, car il se borne à échanger un actif pour un autre actif de même valeur.
Du point de vue de la commission des finances, qui est directement concernée par cet aspect des choses, le principe même de l'opération est que 34 % d'un vaste ensemble représentent la même valeur, le même intérêt économique pour l'État que 70 % d'un plus petit ensemble ! (M. Daniel Raoul s'esclaffe.)
Rien ne se perd, rien ne se crée, ce n'est qu'un redéploiement d'actifs.
Mes chers collègues, si certains sont choqués à l'idée que la participation de l'État dans Gaz de France puisse descendre en deçà de 70 %, il en est d'autres qui sont tout autant choqués à l'idée que l'État entre à hauteur de 34 % dans les intérêts de ce qui est actuellement Suez !
Du point de vue de l'État, il s'agit de mieux répartir ses actifs pour exercer une influence plus réelle.
Bien entendu, dans cette affaire, nous devrons être tout particulièrement attentifs au respect des parités et ne pas oublier que les décisions, si ce projet de fusion se poursuit, seront en définitive celles des assemblées générales des actionnaires, qui devront donc approuver le rapport de parité entre les deux entreprises.
M. Philippe Marini. Deux choses me semblent devoir être redites.
D'abord, l'opération ne menace le statut d'aucun salarié des industries électrique et gazière. En effet, c'est un statut de branche et non d'entreprise. Il serait totalement préservé.
Ensuite, mes chers collègues, seul risque d'être remis en cause, je le répète, le statut des 30 000 salariés pouvant être directement concernés au sein du groupe Suez. Le statut de ces personnels, en cas d'évolution des contours de leur entreprise à la suite d'une opération hostile, serait tout à fait vulnérable.
Il y a donc, d'un côté, la protection et, de l'autre, la vulnérabilité.
J'en arrive au deuxième point : il me semble important de distinguer de façon totalement rigoureuse et étanche, d'un côté, le débat sur la structure capitalistique et, de l'autre, le débat sur les mécanismes de prix.
Je veux lutter contre les confusions qui sont faites sur ce sujet, et si j'ai souhaité tout à l'heure interrompre notre collègue M. Raoul, c'était simplement pour lui faire remarquer que le dysfonctionnement du système de prix en matière d'électricité se produit alors qu'EDF est une entreprise d'État à plus de 70 % !
Les critiques qu'il a formulées s'adressent donc à la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui EDF et dont GDF sortirait si l'opération de fusion avait lieu !
M. Daniel Raoul. Elles s'adressent à l'actionnaire surtout !
M. Philippe Marini. Ces critiques ne me semblent donc pas fondées, à ceci près qu'il arrive aux dirigeants d'entreprise d'être maladroits.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Zut alors !
M. Philippe Marini. J'estime, pour ma part, que le président de Gaz de France récemment, en assemblée générale, a été très maladroit, laissant entendre qu'il y avait une espèce de collusion entre les actionnaires qui représentent le marché et la hausse des tarifs, et en faisant pression sur l'État.
Ce comportement me semble non fondé et, je le répète, maladroit. Il doit être commenté comme tel, car il est un facteur de confusion !
M. Philippe Marini. En ce qui concerne maintenant les dysfonctionnements du marché libre de l'électricité, rappelons que le bilan de l'expérience conduite depuis 2001 n'est pas bon.
Plusieurs collègues l'ont dit, Jean Arthuis tout particulièrement. Se pose là un vrai problème de compétitivité en raison de la forte hausse des prix pour les clients ayant fait jouer leur éligibilité.
M. Daniel Raoul. Oui !
M. Philippe Marini. Le noeud du problème réside non dans le statut des uns et des autres, mais dans la procédure de mise en vente de son électricité par EDF qui se fait principalement au moyen d'enchères trimestrielles.
Une telle procédure aboutit à aligner, de fait, les prix de l'électricité cédée par EDF aux distributeurs concurrents sur les prix du marché de gros européen. (Approbation sur les travées du groupe socialiste.)
De la sorte - et, sur ce point, je suis totalement d'accord avec ce qu'ont dit plusieurs orateurs avant moi -, certaines catégories d'usagers professionnels se voient privées du bénéfice collectif que notre pays escompte retirer, à juste titre, de son choix de l'électronucléaire.
M. Michel Sergent. Effectivement !
M. Philippe Marini. Un pays qui a consenti de tels efforts, depuis des lustres, pour se doter d'une forte structure industrielle, un pays qui peut espérer s'exonérer d'une partie des aléas liés au système d'approvisionnement à l'étranger, un pays dont 80 % de l'électricité est fournie au meilleur prix de revient possible par la filière nucléaire est un pays qui doit tenir à cet avantage de compétitivité comme à la prunelle de ses yeux !
Or c'est bien là que le bât blesse, car l'alignement en bourse sur le prix de l'électricité d'origine thermique se traduit tout simplement, pour EDF, par une rente injustifiée.
Ce phénomène, qui risque de priver certaines de nos entreprises des fruits de l'effort électronucléaire, joue au détriment des fournisseurs alternatifs - c'est-à-dire de ceux qui pourraient faire vivre la concurrence sur le marché - mais aussi des clients.
Ce sont bien les consommateurs qui ont choisi l'éligibilité qui ont subi de plein fouet la hausse de 48 % du prix de leur électricité, entre avril 2005 et avril 2006.
Certes, on peut dire qu'ils ont fait jouer l'éligibilité et qu'ils étaient libres de leur décision, mais le contexte économique a changé ! N'existe-t-il pas une forte distorsion de concurrence entre deux entreprises de la même branche d'activité présentant les mêmes caractéristiques économiques, l'une avec un poste d'énergie qui a augmenté de moitié en un an, et l'autre qui continue à bénéficier des tarifs réglementés ?
Monsieur le ministre, sur ce sujet, la solution trouvée pour les industriels électro-intensifs est certes utile, mais elle n'empêche pas le problème global de la compétitivité de demeurer, car les électro-intensifs ne représentent que 10 % du marché de gros en France.
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Philippe Marini. Il faut donc trouver une solution structurelle avant la libéralisation générale du marché de l'électricité, mais - pardonnez-moi d'y insister - dans le cadre de la loi, laquelle, je l'espère, interviendra rapidement. Il est essentiel de lever les incertitudes et de dissiper le climat anxiogène lié à la question des tarifs de l'électricité.
M. Michel Sergent. Oui !
M. Philippe Marini. C'est une nécessité économique et politique, en particulier dans la situation actuelle.
M. Henri Revol. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Nous devons donc nous montrer imaginatifs afin de respecter à la fois le droit communautaire et l'intérêt légitime des entreprises. Et des solutions existent, j'en suis persuadé ! Ainsi, il me semble envisageable que des entreprises renoncent à l'option d'éligibilité et reviennent à un tarif régulé.
M. Michel Sergent. Ce n'est pas gagné !
M. Philippe Marini. Certes, mais les seuls combats perdus d'avance sont ceux que l'on ne mène pas !
J'y insiste, mes chers collègues, c'est une question de crédibilité de la France en Europe.
M. Michel Sergent. Nous sommes d'accord !
M. Philippe Marini. La question est trop fondamentale pour ne pas chercher à tout mettre en oeuvre afin de sortir de la situation contradictoire dans laquelle nous nous trouvons.
M. Michel Sergent. Vous avez perdu plusieurs combats !
M. Philippe Marini. Enfin - c'est le troisième point - je souhaite vivement, vous le savez, monsieur le ministre, que le statut de la commission de régulation de l'énergie évolue. Celle-ci doit être dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière.
Nous avons besoin d'un régulateur fort et sans complaisance vis-à-vis de l'exécutif, mais surtout à l'égard des grandes entreprises du secteur et des opérateurs historiques. Le secteur des télécommunications ou celui des marchés financiers montre que la présence d'un régulateur fort et réellement indépendant est une sécurité pour l'État ainsi qu'un facteur de transparence et de crédibilité pour l'opinion publique.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le présent débat ait lieu. Toutefois, mieux vaudrait examiner un texte de loi, car, après la discussion générale, nous en viendrions aux articles.
M. Philippe Marini. Je formule à nouveau le souhait que les structures évoluent le plus rapidement possible. Le temps économique risque en effet de ne pas être compatible avec le temps politique !
En outre, je souhaite vivement qu'un texte portant sur la question tarifaire puisse être examiné en vue de mettre fin aux contradictions et aux insuffisances que je me suis efforcé de souligner dans mon propos. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF - M. Michel Sergent applaudit également.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mon rappel au règlement touche à l'organisation de nos travaux.
Je regrette la mauvaise gestion du temps qui nous a été imparti. Je regrette surtout que M. le ministre soit conduit à répondre aux intervenants cet après-midi, car les sénateurs qui étaient présents ce matin ne pourront pas forcément être alors en séance.
M. Ladislas Poniatowski. Chacun assume ses responsabilités !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il serait donc souhaitable que chacun respecte son temps de parole.
M. le président. Madame la sénatrice, acte vous est donné de ce rappel au règlement. Toutefois, je vous rappelle que c'est la conférence des présidents qui a décidé de la durée du débat.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.