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Accords avec la République de Colombie et la république de Macédoine relatifs à la coopération en matière de sécurité intérieure
Adoption de deux projets de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 430, 2003-2004, n° 214) ;
- et du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Macédoine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n°s 21 rectifié, 199).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France a noué une coopération multiforme en matière de sécurité intérieure avec de nombreux pays.
Elle s'efforce depuis quelques années d'harmoniser et de rendre cohérente cette coopération en négociant des accords types dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transnationale.
Ces accords permettent, pour l'essentiel, de donner une base juridique à une coopération opérationnelle et technique, embryonnaire pour certains pays ou bien implantée pour d'autres, et contribuent à en accélérer le développement avec des pays considérés comme stratégiques pour la France.
Leur signature conduit à un resserrement des liens opérationnels ou de formation avec un Etat donné ainsi qu'en matière de sécurité intérieure.
C'est dans cette optique que s'inscrivent l'accord franco-colombien et l'accord franco-macédonien aujourd'hui soumis à votre approbation.
Participant au renforcement des relations diplomatiques entre la Colombie et la France, l'accord bilatéral s'inscrit dans la ligne directe de l'accord de coopération technique et scientifique signé le 18 septembre 1963 entre les deux gouvernements afin de fixer un cadre général au développement de notre coopération, ainsi que d'un accord complémentaire de coopération signé le 30 août 1993 entre les deux gouvernements.
Celui-ci prévoyait notamment en son article 2 de développer et d'élargir les relations de coopération concernant l'échange d'informations, de fourniture d'équipements, de formation technique dans des domaines relatifs à la prévention, au contrôle, au trafic et à la consommation de stupéfiants, au combat contre le fléau du terrorisme, ou encore au renforcement de la lutte contre le crime organisé.
Le gouvernement colombien s'est dit désireux d'étendre le champ d'action de notre coopération afin de la rendre encore plus efficace dans le domaine de la lutte contre la criminalité internationale, conscient que les organisations criminelles transnationales et leurs activités telles que le terrorisme, le trafic de stupéfiants, le trafic d'armes et le blanchiment d'actifs constituent de sérieuses menaces pour la paix et la stabilité mondiales.
C'est dans ce contexte qu'ont été engagées les négociations qui ont abouti à la signature, le 22 juillet 2003, à Bogota, de l'accord franco-colombien relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure. Cet accord reprend les dispositions habituelles en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et la criminalité organisée.
La Colombie demeure en effet le premier pays au monde producteur, transformateur et exportateur de cocaïne et l'un des premiers en Amérique latine en matière de production de marijuana
L'intérêt du présent accord est donc manifeste : il constitue un instrument plus contraignant, dont la mise en oeuvre repose sur la responsabilisation de chaque partie. Il devrait ainsi permettre à la police française de mieux lutter contre les réseaux organisés colombiens opérant sur le territoire national.
Entre la République de Macédoine et la France, l'accord bilatéral s'inscrit dans la ligne directe de l'accord de coopération culturelle, éducative, scientifique et technique du 29 janvier 1998. Il fixe trois objectifs principaux : la lutte contre la criminalité internationale, contre le trafic de drogue et contre le terrorisme.
L'accord de coopération en matière de sécurité intérieure va permettre d'améliorer et d'intensifier l'échange de renseignements avec la République de Macédoine, afin de renforcer la lutte contre les filières d'immigration clandestine et de trafic de stupéfiants qui transitent par cette région de l'Europe.
La position géographique de la République de Macédoine est à cet égard importante. Ce pays a, en effet, une frontière commune avec un État « Schengen », la Grèce, et une seconde frontière avec un futur membre de l'Union européenne, la Bulgarie.
Cet accord constitue également un signe tangible d'intérêt de la France pour la construction économique et sociale du nouvel Etat, indépendant depuis 1991, qui se veut un modèle de coexistence ethnique pacifique au sein des Balkans.
C'est dans ce contexte qu'ont été engagées les négociations qui ont abouti à la signature le 18 décembre 2003, à Skopje, de l'accord franco-macédonien relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure.
Il devrait ainsi permettre à la police française de mieux lutter contre les réseaux organisés opérant sur le territoire national.
Telles sont les principales dispositions de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Bogota le 22 juillet 2003, et de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Macédoine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Skopje le 18 décembre 2003, qui font l'objet des deux présents projets de loi.
M. le président. La parole est à M. Michel Guerry, rapporteur.
M. Michel Guerry, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a approuvé l'accord de coopération en matière de sécurité intérieure signé le 22 juillet 2003 entre la France et la Colombie.
Par son contenu, cet accord est très proche des textes déjà conclus par la France avec plus d'une vingtaine de pays pour donner une base juridique aux relations entre services de sécurité français et étrangers.
L'intérêt de ces accords est évident pour mieux faire face au développement de toutes les formes de criminalité transnationale ayant des retombées sur le territoire français. La Colombie constitue, de ce point de vue, un pays sensible, en raison notamment de sa place prééminente dans le trafic mondial de cocaïne.
La coopération et l'assistance technique en matière de sécurité ont également pour objectif d'aider les autorités colombiennes à renforcer l'efficacité de leurs services confrontés à une situation intérieure particulièrement difficile.
On le sait, la Colombie connaît, depuis des décennies, un conflit interne alimenté par des groupes armés contrôlant des régions entières du pays et une large part du trafic de drogue. Le niveau de violence demeure extrêmement élevé, même si le nombre de meurtres et d'enlèvements a diminué ces derniers mois.
Les différentes tentatives menées jusqu'à présent pour enclencher un processus de paix n'ont pas abouti.
La politique de fermeté engagée depuis 2002 par le président Uribe vise à rétablir l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national en préalable à la recherche d'une solution négociée du conflit. Elle s'appuie notamment sur un renforcement des moyens des forces de sécurité et bénéficie d'une aide très importante des Etats-Unis, dans le cadre du « plan Colombia », ensemble de mesures destinées à combattre le narcotrafic. L'accent est désormais mis essentiellement sur la lutte contre la guérilla.
L'action des pays européens n'est pas comparable à l'aide américaine, tant par son niveau, beaucoup plus modeste, que par sa nature. Elle vise à favoriser la restauration de l'état de droit et le développement social et économique.
En ce qui concerne la France, l'accord du 22 juillet 2003 permettra d'encadrer et de relancer une coopération mise en place voilà une quinzaine d'années
Il s'agit tout d'abord d'une coopération technique, à travers des actions de formation, particulièrement dans le domaine de la lutte contre la drogue, et une assistance pour la restructuration des institutions et services chargés de la sécurité. L'une des priorités actuelles est l'aide au développement d'une police rurale, sur un modèle proche de notre gendarmerie, destinée à se substituer aux unités actuellement déployées dans les zones reconquises sur les groupes armés et à y assurer la sécurité des personnes et des biens.
Notre coopération touche également au domaine opérationnel, par l'échange de renseignements et d'informations sur les différentes activités criminelles en lien avec notre pays. Elle s'appuie pour cela sur nos attachés de police et officiers de liaison en poste à Bogota. Elle intègre une dimension régionale, puisqu'elle s'effectue en étroite concertation avec nos implantations dans les pays voisins et l'ensemble de la zone caraïbe, mais également une dimension européenne, dans la mesure où des contacts réguliers sont établis avec les dispositifs de coopération de nos partenaires, en particulier l'Espagne et le Royaume-Uni.
L'accord du 22 juillet 2003 définit les principes généraux de cette coopération et de l'assistance mutuelle en matière de sécurité intérieure, et en détaille les diverses modalités. Il a été rédigé sur le modèle de la vingtaine de textes de même nature déjà conclus avec des pays étrangers.
Notre coopération policière avec la Colombie ne met pas en jeu des moyens humains et financiers considérables. Elle présente toutefois un intérêt certain, car elle répond à une attente de notre partenaire, confronté à un très haut degré d'insécurité, tout en nous permettant d'améliorer la lutte contre les trafics transnationaux en provenance de ce pays, et principalement le trafic de cocaïne.
Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères vous demande d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation de cet accord de coopération franco-colombien. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer, rapporteur.
M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République de Macédoine est un pays jeune et un Etat fragile. Elle a pris tardivement son indépendance, en 1991, qu'elle a négociée de manière pacifique avec Belgrade après avoir constaté l'irréversibilité de la désintégration de la fédération yougoslave.
Depuis son indépendance, la République de Macédoine met en place des réformes structurelles.
Le gouvernement macédonien a défini trois priorités d'actions, dont la deuxième, vitale pour l'avenir du pays, a pour objet de lutter contre la corruption et le crime organisé.
Il est indispensable d'aider ce pays à lutter contre la criminalité. L'activité criminelle, en effet, y reste très préoccupante. Un plan de réforme de la police se met en place, des projets de réforme de la justice s'organisent, mais la situation est très critique dans différents domaines criminels.
Le territoire macédonien est traversé par la « route des Balkans », utilisée pour les trafics de stupéfiants comme pour la traite des êtres humains.
Deux voies de pénétration sont utilisées pour les divers trafics, notamment ceux de la drogue, l'une par le sud - Turquie, Bulgarie, Macédoine, Grèce, ou Albanie, et Italie -, l'autre par le nord - Turquie, Bulgarie, Macédoine, Kosovo et Serbie.
Le recours à la route des Balkans a été favorisé par le différend opposant la République de Macédoine à la Grèce, laquelle n'a pas admis la reconnaissance de l'indépendance de ce territoire et a fermé leur frontière commune le 16 février 1994, provoquant une tension majeure entre les deux pays.
Dans un contexte diplomatique très dégradé, où la Grèce contestait à la Macédoine son nom et son drapeau, cette dernière n'a été admise à l'origine à l'ONU, en avril 1993, que sous le nom d'ex-République yougoslave de Macédoine ou FYROM, Former Yugoslav Republic of Macedonia.
Ces événements historiques forts, qui ont marqué la naissance de la jeune République macédonienne, contribuent largement à expliquer les problèmes de sécurité intérieure auxquels elle est confrontée aujourd'hui et qui confèrent une réelle importance à l'assistance que notre pays peut lui apporter.
En effet, la fermeture en 1994, par la Grèce, de toute la frontière gréco-macédonienne, avec, par voie de conséquence, la suppression, pour la République de Macédoine, de l'accès au port de Salonique, a bouleversé les voies commerciales macédoniennes. Pour éviter la paralysie des échanges commerciaux avec l'extérieur, devant l'impossibilité d'emprunter l'axe nord-sud, la République de Macédoine a dû se rabattre sur l'axe est-ouest, la « route des Balkans », usage qui a perduré malgré la réouverture de la frontière gréco-macédonienne en octobre 1995.
Le territoire macédonien est aujourd'hui un « territoire clé » des trafics criminels balkaniques, notamment dans les domaines de la drogue et de la traite des êtres humains.
En ce qui concerne le trafic de drogue, les plus récentes statistiques sont alarmantes. Durant les trois derniers mois de 2003, la police a saisi plus de 200 kilogrammes de drogue, dont 54 kilogrammes d'héroïne, 150 kilogrammes de haschisch et 1898 pilules d'ecstasy. Au cours des premiers mois de 2004, 57 kilogrammes d'héroïne, 250 kilogrammes de haschisch et 65 kilogrammes de cocaïne ont été saisis. De juin à septembre, cinq filières ont été démantelées et dix-neuf personnes ont été arrêtées. La majorité de l'héroïne saisie en 2005 vient de Turquie. En janvier, 40 kilogrammes ont été saisis en provenance d'Albanie.
En ce qui concerne la traite des êtres humains, les filières en provenance d'Ukraine, de Roumanie, de Moldavie et de Bulgarie sont activées en Macédoine. Peu d'opérations visant à la contrarier ont été réalisées par la police criminelle, laquelle est en pleine restructuration.
Dans le domaine de la prostitution, la Macédoine est devenue un réceptacle et un lieu de transit. Des jeunes femmes en provenance non seulement de Moldavie - aujourd'hui, le pays le plus pauvre d'Europe -, mais aussi d'Ukraine, de Bulgarie et de Roumanie, sont attirées par des réseaux mafieux en Macédoine et y restent bloquées pour être acheminées clandestinement et massivement en Europe occidentale.
En 2003, un rapport des Nations unies sur le bilan des droits de la personne relevait « l'utilisation de la Macédoine comme pays de transit et de destination, notamment pour la traite de femmes et d'enfants à des fins de prostitution ».
Dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine, le ministère de l'intérieur a intensifié la formation des policiers et la création d'une police aux frontières, mais ce problème demeure toutefois crucial. Les immigrants sont d'origine albanaise, moldave, roumaine, bulgare et turque.
Le développement de ces différentes formes de criminalité a justifié qu'un accord franco-macédonien en matière de sécurité intérieure ait été signé le 18 décembre 2003 à Skopje.
Les accords de coopération en matière de sécurité intérieure se présentent comme des « accords-cadres » fixant les principes généraux de la coopération policière. Ils marquent également la volonté politique des pays partenaires de coopérer en matière de sécurité intérieure et de faciliter l'assistance mutuelle.
Ils posent le principe d'une coopération opérationnelle et technique, ainsi que d'une assistance mutuelle entre les deux parties, dans toute une série de domaines touchant à des activités criminelles à dimension internationale.
Notre pays et les nations européennes ont un intérêt tout particulier à conclure des accords de coopération en matière de sécurité intérieure avec la Macédoine, compte tenu de sa position géographique, qui favorise tous les flux criminels. En effet, comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, elle a une frontière commune avec un Etat Schengen, la Grèce, et une autre avec un futur membre de l'Union européenne, la Bulgarie.
Les domaines de coopération bilatérale envisagés sont les suivants : la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants, le blanchiment de fonds, le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic d'armes et de matières nucléaires, le trafic d'objets d'art, les contrefaçons, l'immigration illégale, la sécurité des transports, la police technique et scientifique, le maintien de l'ordre et la formation des personnels.
La coopération en matière de lutte contre la drogue prévoit des échanges d'informations et d'échantillons.
S'agissant de la formation des personnels, un certain nombre d'actions de coopération sont programmées pour 2005.
Il s'agit, tout d'abord, de l'appui à la réforme de la police, que deux actions concrétisent : la création d'une unité des missions spéciales de type RAID - Recherche Assistance Intervention Dissuasion -, laquelle est opérationnelle, et la mise en place de formations cynotechniques faisant suite à la création d'un centre de formation en 2004.
Il s'agit, ensuite, de l'appui à l'académie de police. Quatre classes de soixante élèves suivront des cours de français durant les quatre années de la scolarité de l'Académie supérieure de police.
Il s'agit, enfin, de l'appui à la lutte contre la criminalité organisée, grâce à deux manifestations : le séminaire de lutte contre la fraude documentaire et le séminaire sur la sûreté aéroportuaire.
Pour conclure, je préciserai que la République de Macédoine a actuellement signé des accords de coopération en matière de sécurité intérieure avec la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Albanie et l'UNMIK - United Nations Interim Administration Mission in Kosovo - ; mais le seul accord de ce type avec un pays européen est celui qui a été signé avec la France le 18 décembre 2003.
Jusqu'alors, la coopération française avec la République de Macédoine n'était fondée sur aucun texte. Pour formaliser les échanges et placer cette coopération dans un cadre juridique clairement défini, il s'est donc avéré utile, pour chacune des parties, de signer cet accord de coopération en matière de sécurité intérieure, lequel organise notamment, entre la France et la République de Macédoine, les échanges d'informations et la communication de données nécessaires à la lutte contre la criminalité organisée, les filières de proxénétisme et les trafics de drogue. Cet accord favorisera non seulement les échanges réciproques de renseignements, mais aussi leur traitement dans un délai écourté.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre la France et la République de Macédoine. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux tout d'abord saluer la qualité du rapport que nous a présenté notre collègue Michel Guerry.
En effet, résumer la situation complexe de la Colombie n'est pas chose aisée : pays de violences depuis une cinquantaine d'années, en proie à la lutte armée entretenue par deux guérillas d'extrême gauche. La première est celle que mènent les forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, et l'armée de libération nationale, l'ELN, en lutte à l'origine, ne l'oublions pas, pour l'accès à la terre et la réduction des inégalités sociales. La seconde est conduite par les groupes paramilitaires, les autodéfenses unies de Colombie, les AUC, commencée quelque vingt ans plus tard, pour la défense, elle aussi, de cette même terre, mais au profit des grands propriétaires terriens. Tout cela se fait sur fond de narcotrafic lié à la culture de la coca.
Oui, pour lutter contre ce phénomène, la coopération est indispensable. Tous nos interlocuteurs colombiens parlent de la responsabilité des pays consommateurs, et ils ont raison ! Mais attention à la façon de traiter ce problème qui, à ma connaissance, à ce jour, est essentiellement l'affaire des Etats-Unis.
Le système des « fumigations » pour éliminer les plants de coca ne semble guère efficace, car des cultures réapparaissent à d'autres endroits. La quantité produite est pratiquement toujours la même.
En revanche, les conséquences de cette pratique sont dramatiques tant pour les agriculteurs, qui n'ont plus rien, qui fuient leurs terres et vont dans les grandes villes rejoindre les desplazados, que pour la nature, car il devient presque impossible de faire pousser des plantes de substitution.
Je pense que, dans ce pays, tout tourne autour de la possession et de l'utilisation de la terre. Il s'agit d'un problème économique et social que, depuis des années et encore aujourd'hui, on traite par les armes.
Je crois connaître assez bien la Colombie pour m'y être rendue à plusieurs reprises, dans des circonstances différentes, et aussi pour avoir des amis colombiens, aussi bien sur place qu'en France.
J'ai découvert ce pays grâce au groupe d'amitié France-Amérique du Sud du Sénat et à son président, Roland du Luart. Puis, voilà deux ans, le comité permanent des droits de l'homme de Colombie m'a invitée à son dixième forum. Enfin, il y a une quinzaine de jours, je suis rentrée d'une mission organisée dans le cadre de la campagne de Caritas Internationalis pour la paix en Colombie.
Nous étions dix parlementaires de neuf pays d'Europe, dont notre collègue Denis Badré, et nous avons pu nous faire, je le crois, une idée objective et très concrète de la situation, grâce à la diversité des interlocuteurs que nous avons rencontrés : les plus hautes autorités de l'Etat - le Président Uribe, le procureur de la nation, le défenseur du peuple - , des représentants des ONG, des élus, hommes et femmes, des membres de l'Eglise catholique, des représentants de l'Organisation des Nations unies et de la Commission européenne.
A la suite de tous ces entretiens, j'ai de sérieux doutes sur les chiffres qui sont avancés et quant à l'amélioration qui serait due à la politique de sécurité intérieure lancée par l'actuel gouvernement.
Les organisations ou personnalités que j'ai rencontrées demandent à avoir des indicateurs fiables pour fournir des statistiques valables. En tout cas, je veux donner d'autres chiffres qui témoignent de l'inacceptable, car c'est une véritable crise humanitaire que vit ce pays.
Sait-on que la Colombie est au troisième rang mondial pour le nombre de mines antipersonnel ? Qu'en moyenne plus de deux Colombiens sont assassinés chaque heure, que, toutes les six heures, une personne est enlevée ? On ne peut pas oublier ces chiffres, quand bien même ils seraient, selon ce que l'on nous dit, à la baisse !
Un chiffre qui ne baisse pas, c'est celui des assassinats d'élus. Entre 2002 et 2003, le nombre de maires assassinés en Colombie est passé de huit à quatorze, le nombre d'enseignants assassinés a augmenté de 40 %. Et il faut y ajouter des violences particulièrement importantes à l'encontre des populations indiennes, que nous avons rencontrées, ou envers les syndicalistes.
Je précise que quatre-vingt-trois organisations non gouvernementales colombiennes dénoncent la violation des droits de l'homme.
Malheureusement, la priorité est donnée aux dépenses militaires le contingent total est passé de 95 000 hommes à 374 000 hommes, dont environ 27 000 soldats paysans - et au remboursement de la dette extérieure.
Cela se répercute de manière très négative sur les droits économiques, sociaux, culturels et a accentué la pauvreté : les 10 % des Colombiens les plus pauvres ne reçoivent que 0,94 % du revenu national, contre 42 % pour les plus riches ; environ 7 % des enfants de moins de cinq ans souffrent de dénutrition chronique ; plus d'un million d'enfants ne vont pas à l'école ; sur 1 000 enfants, 25 meurent dans les premières années de leur vie.
La priorité aux dépenses militaires et au remboursement de la dette accroît aussi l'indigence : le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour est en forte augmentation, passant de 22 % à 26 % de la population en cinq ans.
Tels sont les chiffres dont je dispose. Permettez-moi maintenant de vous livrer mes impressions et mes réactions à l'issue de mon séjour en insistant sur deux aspects.
Je commencerai par les desplazados, ces populations civiles qui sont les premières victimes des affrontements.
Menacées par les combats, elles fuient leurs terres et se réfugient dans les villes. On estime à 3 millions le nombre des personnes qui, depuis quinze ans, ont dû quitter leur maison. Là aussi, les chiffres diffèrent : le gouvernement colombien évalue le nombre des « déplacés » à 1,3 million.
Il s'agit d'une vraie crise humanitaire. Ces hommes et ces femmes sont exclus de tout. Nous avons pu mesurer la réalité de leur vie sur place, en nous rendant dans le nord du pays, puis à la frontière avec le Venezuela. Ces personnes, déracinées de leur milieu naturel, sont en outre rejetées par les personnes défavorisées vivant déjà dans ces quartiers et qui, en conséquence, reçoivent moins d'aides de l'État. Elles ne s'intègrent donc pas dans leur nouveau milieu et, lorsqu'il s'agit de la communauté indienne, l'exclusion est encore plus marquée.
Les familles sont assez souvent séparées, comme me l'a expliqué l'un des hommes avec qui j'ai pu m'entretenir. Tous les droits humains sont bafoués : droit au logement, à la santé, à l'éducation.
Les aides de l'État ne parviennent pas toujours à leurs destinataires. Comme je le disais, la querelle des chiffres n'est pas neutre : si ces femmes et ces hommes ne sont pas « recensés », ils ne reçoivent pas d'aides de l'État.
J'ai également été très marquée par la situation des enfants. Dès l'âge de onze ans, ils sont souvent enrôlés dans des groupes de guérillas, d'extrême droite ou d'extrême gauche. Les plus nombreux ont entre quatorze et dix-sept ans. S'engager, c'est pour eux un moyen de reconnaissance sociale, à travers l'uniforme qu'ils portent. C'est aussi une façon d'échapper à des conditions de vie misérable puisque leur solde est supérieure au salaire minimum. C'est encore une façon de fuir le milieu familial, où ils sont souvent maltraités, de quitter l'école, qui n'est pas attractive, mais aussi d'étancher une soif d'aventure.
On estime leur nombre à 4 000 dans les FARC, à 2 000 dans l'ELN, à 1 000 dans les AUC et à 7 000 dans les milices urbaines.
Parmi eux, 8 % admettent avoir tué, 40 % avoir tiré, 28 % ont été blessés, 60 % ont vu tuer, 78 % ont vu des cadavres, 18 % ont vu torturer, 25 % ont séquestré des personnes.
Ces chiffres m'amènent à poser une question : que représentent la vie et l'être humain pour ces enfants ? Ce sont les adultes de demain. Quelle Colombie prépare-t-on avec cette « formation initiale » ?
L'UNICEF, qui fournit ces chiffres, dénonce avec force les violations des droits des enfants, mais aussi des droits des femmes, très souvent victimes de violences sexuelles.
Alors, je m'interroge : quelle coopération avoir sur la sécurité intérieure quand on sait que la violence et l'exclusion sont bien telles que je viens de les décrire, que les positions se sont radicalisées depuis deux ou trois ans, que, manifestement, la volonté de négocier n'existe pas, que le gouvernement mène une politique de désarmement des paramilitaires, mais que les organisations non gouvernementales, l'Eglise catholique et l'opposition au Parlement mettent en garde contre le risque d'impunité ?
Durant notre séjour, le leader de la communauté de paix de San José de Apartado et sa famille - huit personnes, dont trois enfants - ont été sauvagement assassinés. Je pense que la plupart des sénateurs ont été touchés par la campagne que mènent actuellement les brigades de paix internationales, les BPI. J'ai rencontré quelques-uns de leurs membres au lendemain de ce drame. Certains étaient profondément choqués.
Pendant ce même séjour, un syndicaliste et son garde du corps ont été grièvement blessés.
Alors, quelle garantie peut-on avoir du respect des droits humains ? Comment peut-on s'orienter vers une solution négociée du conflit ? Quelles pressions peut exercer la communauté internationale ? Quelles solutions existe-t-il pour les otages ?
Je souhaite précisément aborder cette question des otages avant de conclure mon intervention.
Ils sont 3 000 à ce jour. En France, la plus connue est Ingrid Betancourt. J'ai eu la chance de la rencontrer alors qu'elle était encore sénatrice. Elle a la double nationalité, française et colombienne. Sa famille s'est beaucoup battue pour qu'on ne l'oublie pas. Elle continue, et elle a raison.
J'ai rencontré pour la quatrième fois Yolanda Pulecio, la mère d'Ingrid, femme digne, combative, mais découragée, car sans nouvelles de sa fille depuis un an et demi.
Une véritable chaîne de solidarité s'est développée en France. C'est bien, mais il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres otages et, parmi eux, des militaires et des élus. Je connais d'autres familles qui vivent la même souffrance.
Je crois qu'il faut faire de la popularité d'Ingrid Betancourt et du symbole qu'elle est devenue un levier du combat pour la démocratie, pour la liberté et pour la paix. Il faut diriger le projecteur sur tous les otages afin que la communauté internationale intervienne en vue d'un accord et d'un échange humanitaire.
C'est aussi par le respect du droit international humanitaire que la protection de la population civile pourra s'exercer, car il s'agit bien d'un conflit armé et non de « terrorisme », comme l'affirme le gouvernement du président Uribe.
En conclusion, je dirai que je me suis engagée, à l'issue de cette mission, à témoigner, à alerter, en tout premier lieu, l'assemblée dans laquelle je siège, mais aussi le gouvernement de mon pays et les instances européennes.
Je sais le groupe socialiste du Sénat extrêmement attentif et vigilant sur cette question. Je témoigne avec passion parce que ce pays le mérite, parce que j'ai la chance de parler la langue de ces desplazados qui n'ont rien, ou plutôt qui ont tout perdu et qui gardent malgré tout espoir.
Quelle force la communauté internationale peut-elle déployer pour permettre à des négociations de s'engager, pour aller vers cet accord humanitaire indispensable ? De quels moyens dispose-t-elle pour éviter, comme l'a dit l'un de nos interlocuteurs, que « le crime soit une option de vie pour les Colombiens » ?
Monsieur le secrétaire d'État, quelles initiatives le Gouvernement envisage-t-il de proposer ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Madame la sénatrice, vous avez rappelé quelle était la situation de la Colombie.
Je crois bien connaître ce pays pour m'y être rendu à plusieurs reprises, notamment lors de la prise de fonction du président Uribe. Ce jour-là, le Parlement a été attaqué par un groupe appartenant aux FARC, attaque qui fit quatre victimes et une vingtaine de blessés. Les FARC sont connues en France pour avoir enlevé Mme Betancourt, mais il faut aussi savoir qu'il a attaqué le président Uribe et ce qu'il représente : un président élu démocratiquement, dans une élection non contestable et non contestée.
En Colombie, de nombreux groupes armés enlèvent, torturent, assassinent, déportent. On ne peut que s'émouvoir de la situation de ce pays, par ailleurs très attachant.
N'oublions pas qu'il y a, d'un côté, des actes de guerre, de guérilla, des enlèvements, des assassinats, et, de l'autre, la mise en place d'une démocratie indiscutable, qu'il convient de soutenir.
J'apporte, une nouvelle fois, au nom du gouvernement de la République, tout mon soutien au président Uribe et à son gouvernement. Les deux tiers des personnalités qui composent celui-ci ont eu un proche assassiné. C'est dire que faire de la politique en Colombie - vous avez d'ailleurs évoqué le sort des élus, madame Boyer -, ce n'est pas la même chose que de faire de la politique dans des pays où, au fil des siècles, la démocratie a pu s'affirmer comme une valeur de paix. C'est cette valeur de paix qui permet à tous nos concitoyens de vivre libres et de profiter de la croissance, quel que soit son niveau.
Pour la Colombie, le présent protocole représente un apport considérable, peut-être trop modeste, peut-être insuffisant au regard de la situation que vit ce pays, mais il doit tout de même permettre de faciliter la tâche d'un gouvernement qui, je le répète, a été légitimement et démocratiquement élu et doit faire face à des troubles internes dramatiques.
Nous devons aider ce gouvernement à lutter pour affirmer la démocratie, pour affirmer l'autorité de Bogotá et la volonté populaire. C'est incontestablement le seul moyen d'endiguer la culture du pavot, de la coca ou la production de toutes les substances dangereuses qui circulent à travers le monde.
C'est pourquoi le Gouvernement a demandé à l'ONF de réfléchir à des projets de reforestation. Nous avons élaboré de nombreux dispositifs, mais ils ne pourront être réellement mis en place que si une solution politique est trouvée au conflit qui déchire actuellement la Colombie.
S'agissant des enlèvements, le gouvernement français a d'emblée mis en avant sa préférence pour l'échange humanitaire. C'est d'ailleurs le choix qui a été fait par la famille de Mme Betancourt. Il n'est pas de réunion internationale ou bilatérale avec la Colombie où les Français ou les Américains n'interviennent auprès du président Uribe pour que le cas de ces personnes enlevées soit traité dans un échange humanitaire.
Un certain nombre de nos compatriotes sont retenus à travers le monde. Certains cas sont plus médiatisés que d'autres, mais il nous faut nous battre pour chacun d'entre eux. C'est ce que fait le ministère au quotidien, parfois avec beaucoup de discrétion ; mais nous souhaitons le faire avec la plus grande efficacité possible. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.