PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus locaux sont mécontents du projet de loi de finances pour 2004 et très inquiets pour l'avenir.
C'est justement parce que vous présentez ce projet de loi de finances comme un modèle d'avant-garde des relations entre l'Etat et les collectivités locales dans le contexte de la décentralisation qu'ils sont particulièrement inquiets. Nous venons de le vérifier lors du congrès de l'Association des maires de France, la semaine dernière.
Pour tout dire, ils ne sont rassurés ni par le projet de loi de finances, ni par le projet de loi organique sur l'autonomie financière, ni par le projet de loi sur les responsabilités locales.
Alors que les présidents de conseils généraux expérimentent les conséquences du transfert aux départements de l'allocation personnalisée d'autonomie, du RMI et du RMA, qui les conduit, pour la plupart, à augmenter les impôts locaux, alors que les régions s'attendent à l'augmentation des charges liées au transfert de personnels de l'Etat, que proposez-vous ?
Les inquiétudes concernent d'abord le transfert dans la précipitation du RMI aux départements dès le 1er janvier 2004, avec, pour le financer, l'attribution d'une fraction du produit de la TIPP, sans pour autant que les élus locaux disposent d'un quelconque pouvoir fiscal de détermination de cette taxe.
Les conseillers généraux devront-ils s'en remettre à l'évolution du marché du pétrole pour couvrir les nouveaux allocataires du RMI et du RMA, qui ne manqueront pas d'affluer avec l'augmentation des chômeurs en fin de droit, conséquence de votre réforme de l'allocation spécifique de solidarité ?
Où est l'autonomie fiscale ?
Par ailleurs, à vous entendre, monsieur le ministre, il faudrait se réjouir de la reconduction du contrat de croissance et de solidarité, que vous présentez comme une victoire. Mais où est la croissance, où est la solidarité ?
Vous conviendrez que ce pacte perd, pour les collectivités territoriales, une grande partie de son sens alors que la croissance s'est effondrée en 2003. Le taux d'indexation de croissance et de solidarité ne sera que de 1,67 % en 2004. Il sera donc le plus faible taux observé depuis la mise en oeuvre de ce contrat en 1999. Je rappellerai pour mémoire que ce taux d'augmentation était de 1,9 % en 2003, de 2,25 % en 2002 et de 2,32 % en 2001.
Que dire de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui connaîtra, en 2004, une baisse de 3,46 % ? Pour la deuxième année consécutive, cette baisse sera supportée par l'ensemble des communes, et non pas seulement par les plus riches d'entre elles.
Où est la solidarité ?
Monsieur le ministre, vous répétez un peu partout que la solidarité ne sera pas touchée puisque le principe de la péréquation est désormais inscrit dans la Constitution. Certes, mais, et vous le savez bien, la mise en oeuvre d'une véritable péréquation nécessite une vraie réforme de la dotation globale de fonctionnement.
Au lieu de cela, vous vous bornez à proposer de regrouper au sein de la DGF un grand nombre de dotations, notamment la dotation générale de décentralisation, les dotations du fonds national de péréquation et, pour la première fois, une dotation globale de fonctionnement des régions qui ne se traduira finalement que par une très faible augmentation des moyens réels dévolus aux régions.
Le Gouvernement n'annonce aucune véritable réforme de la fiscalité locale alors qu'il vise, au travers de la loi relative aux responsabilités locales, à se décharger une fois encore d'un grand nombre de charges qui, elles, évolueront, malheureusement.
A cet égard, je me dois à nouveau de rappeler l'inquiétude de l'ensemble des élus locaux sensibilisés au projet de loi organique sur l'autonomie financière.
Vous avez proposé que le niveau d'autonomie atteint en 2003 constitue, pour chaque catégorie de collectivités locales, un seuil de base. Voilà ce qu'il fallait donc entendre par « part déterminante des ressources propres » dans la loi constitutionnelle !
Mais la situation actuelle ne garantit pas l'autonomie financière. Depuis des années, la part de l'Etat dans la fiscalité des quatre taxes directes ne cesse d'augmenter au travers de compensations et de dotations diverses qui, à terme, réduisent l'autonomie fiscale des collectivités. Voilà la réalité !
Décidément, où que l'on regarde, on ne peut qu'être inquiet face à ce qui apparaît de plus en plus, de la part de l'Etat, comme une politique de « sauve qui peut » destinée, en catastrophe et par tous les moyens, en diminuant les charges, à réduire le déficit public pour se mettre en conformité avec les exigences de l'Union européenne.
Alors que les collectivités locales apparaissent de plus en plus comme le dernier rempart de notre modèle de service public, aujourd'hui menacé par la mondialisation libérale et financière, le projet de loi de finances pour 2004 n'est pas à la hauteur des enjeux. Le discours sur la République de proximité ne suffira pas tant que l'écart entre la demande de service public des citoyens et les marges de manoeuvre laissées aux collectivités locales restera aussi large.
Pour sa part, le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera fermement à cette fuite en avant. Monsieur le ministre, c'est au regard de ce souci fondamental que nous jugerons votre projet de loi de finances, en ce qui concerne notamment les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat vient d'adopter en première lecture le projet de loi relatif à la décentralisation. Ce texte autorise le transfert désordonné, peut-être même incohérent, d'une partie substantielle des compétences de l'Etat aux départements et aux régions sans que soient inscrits, parallèlement, les mécanismes de compensation financière.
La Haute Assemblée a dû se contenter d'un engagement verbal du Gouvernement. A supposer que l'évaluation des coûts, au moment du transfert, se fasse en toute objectivité - on peut en douter sans faire injure au Gouvernement - nul mécanisme d'ajustement n'est prévu en cas d'emballement des dépenses dans un secteur donné au cours des années qui suivront.
Prenons un exemple, souvent évoqué depuis quelques jours à cette tribune : le transfert aux départements du RMI-RMA pèsera plus lourdement, au fil du temps, sur le budget des départements dont le taux de chômage et la croissance démographique sont supérieurs à la moyenne nationale, ce qui est le cas de l'Hérault. Mais il n'y aura pas de compensation : il faudra donc prélever plus d'impôts locaux.
Bref, ce gigantesque et dangereux transfert de compétences aurait dû s'accompagner d'un juste transfert des moyens financiers, comme l'exige désormais la Constitution. Il aurait dû, en outre, être l'occasion d'une politique volontariste de redistribution des ressources entre collectivités, pour corriger des inégalités criantes, les plus fortes d'Europe sans doute : cela s'appelle la péréquation.
Lors de ce débat, le Gouvernement nous a sans cesse renvoyés à la discussion de la loi de finances pour 2004 - nous y sommes - ainsi qu'à un projet de loi de réforme de la DGF qu'il compte présenter avant juin prochain. C'est bien aujourd'hui, dans le cadre de l'examen des articles de la première partie de la loi de finances, que se met en place la nouvelle architecture des dotations de l'Etat aux collectivités. Il est donc légitime et même nécessaire de se demander quelle est la place dévolue au souci de péréquation.
Si l'on s'en tient aux mots, nous sommes comblés : la DGF, si complexe qu'elle en est devenue incompréhensible pour les non-initiés, serait réorganisée en une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation.
Du point de vue du discours, un pas considérable est fait : les trois niveaux de collectivités - communes et intercommunalités, départements et, désormais, régions - se verraient pourvus d'une allocation de base, à laquelle s'ajouterait une allocation de solidarité regroupant les anciens fonds de péréquation.
Le principe de redistribution semble donc confirmé grâce à la nouvelle architecture, heureusement simplifiée, et au vocabulaire. Mais, monsieur le ministre, il est aussitôt démenti dans les faits, comme nous le prouvera la discussion des articles 30 à 40 de la loi de finances.
D'ores et déjà, il faut faire la lumière sur la réalité des arbitrages que révèlent les articles concernés. La péréquation n'est qu'un trompe-l'oeil, un leurre destiné à faire accepter une politique qui accentue les rentes de situation au sein des collectivités et qui permet à l'Etat de puiser à son profit une partie des fonds qui étaient destinés à cet objectif de solidarité.
En effet, si l'on considère les chiffres et les mécanismes de répartition, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de nouvel effort de redistribution. Pis, entre 2003 et 2004, la péréquation n'est même pas réduite aux acquêts. Elle est amputée en volume puisque deux sources importantes qui l'alimentaient, par le canal du fonds national de péréquation, sont au passage détournées par l'Etat au profit du budget général : le produit de la fiscalité locale de La Poste, soit environ 16 millions d'euros, et celui des établissements situés sur le territoire de collectivités à faible taux de taxe professionnelle, Neuilly par exemple, soit quelque 350 millions d'euros.
C'est autant d'argent soustrait à nos collectivités les plus démunies ! A partir de là, il ne faudra pas s'étonner si les élus locaux deviennent progressivement hostiles à la décentralisation. Il est urgent de changer d'orientation.
Or les idées novatrices en la matière ne manquent pas. Un groupe de travail réuni autour de nos collègues Jean François-Poncet et Claude Belot, éminents spécialistes, a fait des propositions, un peu trop timides à notre avis, pour le département. J'ai eu l'honneur de présenter, en juillet dernier, au nom du groupe du RDSE, un rapport sur le thème suivant : « Rééquilibrer les territoires par une péréquation décentralisée. »
J'y préconisais une mesure à fort effet de redistribution et couvrant toutes les strates de collectivités. Il s'agit d'affecter à la DGF, par dixième, une fraction des 10 milliards d'euros relevant de la part salariale de la taxe professionnelle supprimée en 1999 et compensée depuis par l'Etat.
Prélever chaque année un milliard d'euros pour amorcer un fonds de péréquation géré au niveau régional, c'est se donner les moyens de mettre en place une vraie solidarité sans bouleverser l'équilibre budgétaire des collectivités les plus riches.
Au lieu de cela, vous avez préféré affecter ces 10 milliards d'euros en bloc à la dotation forfaitaire de chaque collectivité, au prorata de ce qu'elle touchait auparavant. Vous avez choisi une compensation intégrale, y compris pour les plus riches, au moment où vous écorniez les maigres ressources de péréquation affectées aux plus pauvres. Au fond, vous faites exactement l'inverse de ce qu'annonce votre discours !
Vous rétorquerez peut-être que vous ne vous interdisez pas tout effort de péréquation dans la nouvelle architecture de la DGF. Et il est vrai que vous autorisez le comité des finances locales à répartir une fraction de l'évolution annuelle de la DGF entre les diverses strates de collectivités.
Mais cette répartition se fera à la marge, en fonction du niveau de croissance et selon des arbitrages que les élus du comité des finances locales auront beaucoup de mal à rendre.
La proposition que je faisais, au nom du groupe du RDSE, partait d'un stock de 1 milliard d'euros par an ; c'était net et conséquent, alors que vous, vous tablez sur des flux qui, en cette période de morosité économique, risquent de réduire à néant cette prétendue largesse.
La preuve en est fournie dans ce projet de loi de finances pour 2004 : l'augmentation de la DGF en volume est inférieure à la hausse des prix et, dans le même temps, vous décidez d'amputer les fonds de péréquation au profit de l'Etat.
Au final, les collectivités seront perdantes, tout particulièrement les communes, qui voient les concours de péréquation fondre, quand il en reste, au profit des intercommunalités, selon une tendance inaugurée par le précédent gouvernement. L'avenir est sombre pour nombre de conseils municipaux à partir de 2004.
Il faut dire un mot des départements.
Vous proposez d'intégrer à la future dotation forfaitaire des départements la dotation « impôts-ménages ». Il est vrai que cette composante de l'actuelle dotation de péréquation des départements est moins péréquatrice que l'autre, la dotation « potentiel fiscal ». Mais elle profitait pourtant à une trentaine de départements considérés comme pauvres, c'est-à-dire dont le rapport potentiel fiscal-habitant est inférieur à la moyenne nationale. Parmi eux, il y a le Lot-et-Garonne, l'Hérault, l'Aisne, bref, une série de départements qui ont bien besoin d'une aide.
Pourquoi ne pas en intégrer le montant, non à la future dotation forfaitaire, mais à l'actuelle dotation « potentiel fiscal », en pondérant l'ensemble par l'effort fiscal ? Cette dernière notion tient compte, en effet, du montant des bases d'imposition sur les ménages dans la mesure du degré de sollicitation du contribuable local.
Faute d'une péréquation significative, beaucoup de départements, déjà fragilisés par l'APA, exposés aux conséquences financières de transferts de compétences par la nouvelle loi sur les responsabilités locales et pratiquant souvent contre leur gré une fiscalité élevée, connaîtront des jours difficiles. Cela se traduira par une baisse importante des investissements, laquelle pèsera à son tour sur la croissance et fera augmenter le chômage, tandis que les impôts locaux flamberont. C'est le contraire de ce que vous souhaitez, du moins d'après ce que laissent entendre vos propos, monsieur le ministre.
Je n'ai pas parlé des régions, qui auraient à elles seules mérité d'être le sujet d'une intervention spécifique, tant leur sort est encore incertain dans cet acte II de la décentralisation que nous promet le Premier ministre. J'y reviendrai au cours de l'examen des articles.
Même si j'ai dû simplifier à l'extrême des matières affreusement abstraites et complexes, il me semble que j'ai exposé, au nom du groupe du RDSE, nos craintes devant le cours que vous donnez à l'action de l'Etat sur les finances locales.
Déséquilibres territoriaux accrus, augmentation des charges prélevées par les collectivités de proximité et, bientôt, fragilisation des équipes élues au suffrage universel : tels sont, à notre avis, les risques que font peser vos orientations.
On voudrait être sûr que les experts qui travaillent à Bercy et, dit-on, à Matignon sur la réforme de la DGF...
M. Alain Lambert, ministre délégué. Et au Sénat !
M. Gérard Delfau ... ont bien conscience de l'énorme attente de nos concitoyens en la matière, et plus particulièrement de celles des élus locaux, quelle que soit leur tendance. Sachez, en tout cas, monsieur le ministre, que nous restons vigilants ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Le congrès annuel des maires qui vient de se tenir à Paris a révélé qu'un vent de profonde inquiétude souffle chez les élus locaux.
Préoccupés par la santé financière de leurs collectivités, ils notent que la stagnation de l'économie bride la progression naturelle des recettes fiscales et des dotations de l'Etat. Ils constatent surtout, avec une certaine amertume d'ailleurs, que, depuis 2002, le Gouvernement cherche à tirer un parti médiatique de la baisse de l'impôt sur le revenu, alors que, dans le même temps, les collectivités sont, elles, contraintes d'augmenter la fiscalité locale.
Ainsi, en 2003, le taux et le produit des impôts locaux ont respectivement progressé de 2,2 % et de 4 %. Concrètement, les Français ont dû acquitter 2 milliards d'euros de plus que l'année précédente.
Chacun se souvient ici que, lors de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, votre collègue ministre de l'intérieur nous a présenté la révision de la Constitution comme une garantie absolue. Toutefois, en pratique, l'article 72-2 voté au mois de mars dernier ne vous a pas empêché de réduire la durée de versement de l'ASS sans indemniser les départements de la charge qui résultera ainsi de l'explosion du nombre de RMIstes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous allons en parler, mon cher collègue !
M. François Marc. Monsieur le rapporteur général, si vous souhaitez vous exprimer, faites-le lorsque la parole vous est donnée. Je constate depuis ce matin que les opinions émises qui ne sont pas conformes aux vôtres vous indisposent.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je m'efforce de compléter votre information, c'est tout !
M. François Marc. Nous vous écoutons lorsque vous vous exprimez. Nous accordons crédit à vos paroles. Je crois que toutes les opinions, même diverses, peuvent s'exprimer ici.
M. Louis Souvet. Vous ne vous privez pas d'interrompre les autres !
M. François Marc. Justement monsieur le rapporteur général, dans votre commentaire de l'article 40 du projet de loi de finances, vous dénoncez cette situation, tout comme l'absence de compensation de la création du RMA ou encore l'absence de transfert du personnel des DDASS, mais, à la différence du groupe socialiste, vous ne proposez aucun amendement susceptible d'y remédier. C'est fort regrettable !
D'autre part, contrairement à ce qui nous est affirmé, la Constitution autorise de fait le Gouvernement à réduire l'autonomie fiscale des départements. M. le président de la commission des finances nous a déclaré : « En l'absence de possibilité de moduler le taux de la TIPP, il n'y a pas de contribution significative au développement de l'autonomie fiscale des départements. » Quel euphémisme !
Pour sa part, le président du Sénat a été sensiblement plus critique. Il est vrai qu'il ne craint pas, lui, d'être suspecté de déloyauté !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. François Marc. Selon lui, en effet, « transférer le produit d'un impôt, sans qu'il soit possible d'en moduler le taux, équivaudrait à l'octroi d'une dotation ». Mes chers collègues, on ne peut que le rejoindre dans cette analyse accablante de l'article 40 du projet de loi de finances.
M. le ministre de l'économie a déclaré qu'il allait vendre « de la liberté aux collectivités locales ». Force est de constater qu'il le fait ! Et à quel prix !
Dans le projet de loi de finances pour 2004, presque tous les crédits relatifs aux compétences qui seront transférées en 2005 diminuent. Par exemple, le Gouvernement réduit de 55 millions d'euros les aides sociales aux collégiens et aux lycéens, de 59,5 millions d'euros les crédits de la dotation de financement des transports collectifs en Ile-de-France et de 18 millions d'euros les crédits d'infrastructures. La ligne PALULOS perd, quant à elle, 147 millions d'euros. Et je pourrais multiplier les exemples.
Progressivement la décentralisation de M. Raffarin se révèle être une vaste opération de délestage.
M. Jean-Pierre Bel. C'est le libéralisme !
M. François Marc. Le projet de budget pour 2004 instaure l'austérité pour les collectivités locales. Comme l'a clairement démontré Jean-Pierre Sueur, l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités locales diminuera en volume en 2004.
En outre, les subventions des budgets ministériels et des comptes spéciaux du Trésor reculent de 12 %, passant de 2,3 milliards d'euros en 2003 à 2 milliards d'euros en 2004.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bonne nouvelle !
M. François Marc. Illustration de cette politique de désengagement de l'Etat : le Gouvernement supprime les subventions aux transports en commun en site propre et aux plans de déplacements urbains dont bénéficiaient les communes et les EPCI.
Le contrat de croissance et de solidarité est reconduit en 2004, mais il n'est pas amélioré.
En 1999, le gouvernement Jospin avait créé un mécanisme permettant de faire participer les collectivités territoriales aux fruits de la croissance, ce que ne faisait pas le funeste pacte de stabilité d'Alain Juppé. En 2000 et en 2001, le même gouvernement l'avait amélioré en faisant passer à 25 %, puis à 33 % la part de la croissance économique retenue pour l'indexation de l'enveloppe normée.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Non !
M. François Marc. Malheureusement, cette logique vertueuse a maintenant été délaissée et il n'y a pas d'engagement pluriannuel ni de réelle lisibilité pour les collectivités.
Le projet de loi de finances met en place une réforme des dotations de l'Etat en intégrant nombre d'entre elles au sein de la DGF. Mais force est de constater que l'objectif de simplification annoncé n'est pas atteint puisque toutes les dotations intégrées sont pérennisées en l'état. Dès lors, le maquis des dotations de l'Etat n'est nullement élagué.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Faites une proposition !
M. François Marc. Tout au plus peut-on dire qu'il est camouflé au sein de la DGF. En outre, les dotations intégrées conservent leurs propres modes de répartition, souvent abscons et inefficaces.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous vous en êtes contenté, jusque-là !
M. François Marc. Cette mesurette ne saurait répondre à l'exigence de réforme des finances locales. Celle-ci aurait dû être un préalable à tout nouveau transfert de compétences.
Je vous ai entendu tout à l'heure nous expliquer qu'on commençait par bâtir les colonnes,...
M. Alain Lambert, ministre délégué. C'était beau ! (Sourires.)
M. François Marc. ... puis le fronton et la toiture, avant de remplir l'édifice. Nous avons plutôt le sentiment qu'on a mis la charrue avant les boeufs !
Ce qui est nécessaire à notre pays, et depuis longtemps, c'est une réforme des finances locales. Tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune sont d'ailleurs intervenus en ce sens. Je crois que c'est effectivement un préalable indispensable.
En outre, le renforcement tant promis de la péréquation n'est pas au rendez-vous. Si l'on peut noter une ébauche de progrès pour les départements et les régions, la péréquation reste, à ces deux niveaux, très insuffisante et il n'y a rien concernant les communes.
En 2004, la péréquation communale diminuera en volume puisqu'elle progressera de seulement 0,96 %, alors que l'inflation est de 1,5 %. Et encore le taux de 0,96 % ne pourra-t-il être atteint que si le comité des finances locales indexe la dotation forfaitaire sur 45 % de la progression de l'ensemble de la DGF, ce qui n'est absolument pas garanti en raison d'un amendement adopté sur ce point par les députés.
Le recul de la péréquation communale en 2004 est d'autant plus inacceptable que, depuis 2003, la progression de l'intercommunalité ralentit fortement, dégageant ainsi de manière mécanique des moyens financiers substantiels pour la péréquation, comme Jean-Pierre Sueur l'a démontré. En effet, la dotation de l'intercommunalité a progressé de 22 % en 2002 et elle augmentera de 8 % seulement en 2004.
Dès lors, la baisse de la péréquation ne peut s'expliquer que par le désengagement de l'Etat : ses abondements à la DSU et à la DSR, en passant de 145 millions d'euros - excusez du peu ! - en 2002 à seulement 36 millions d'euros en 2004, chutent de 75 % !
En outre, la majoration de la dotation nationale de péréquation, soit 23 millions d'euros, est supprimée, entraînant une chute de 4 % des ressources de cette dotation.
Monsieur le ministre, vous présentez le remplacement du fonds national de péréquation par la dotation nationale de péréquation comme un progrès, alors que, dans la réalité, cette opération cache une régression des moyens financiers.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je n'ai toujours pas entendu de proposition !
M. François Marc. Le Premier ministre ne cesse de louer la libre administration des collectivités locales, mais quelle est la liberté d'un élu quand le potentiel fiscal par habitant de sa collectivité est inférieur de 30 %, 40 %, voire 50 % à la moyenne ? Cette liberté, reconnaissez-le, est purement virtuelle !
Enfin, comme en 2003, le Gouvernement détourne la régularisation de la DGF des communes, en violation des dispositions du code général des collectivités territoriales.
L'absence d'ambition du Gouvernement pour la péréquation est la marque de sa volonté d'instaurer une décentralisation libérale.
C'est ainsi que, petit à petit, se mettent en place les conditions d'une concurrence agressive entre les territoires. Malheureusement, les Français seront les premières victimes des fortes inégalités devant les services publics que votre politique génère.
Le Gouvernement promet beaucoup mais, lorsqu'on se penche sur des chiffres concrets, comme à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, on constate aisément qu'il tient peu. Compte tenu de la montagne de promesses faites à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, que ce soit par le Premier ministre lui-même ou par MM. Sarkozy et Devedjian, les inquiétudes des élus locaux seront loin d'être apaisées par cette discussion budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Je vous rassure tout de suite, monsieur le ministre, mon propos n'a pas pour but de demander des modifications de votre budget concernant les recettes des collectivités locales - pour cela, je fais confiance à la vigilante attention de notre excellent rapporteur général - ni de vous demander que l'Etat fasse encore plus en faveur des collectivités locales. Tout le monde sait que celui-ci ne le peut pas. Chacun est conscient des efforts qu'il doit accomplir pour ne pas vivre au-dessus des moyens des contribuables.
Même si les collectivités locales peuvent estimer qu'elles devraient recevoir plus, elles ne sont pas exemptes, à mon sens, de l'obligation de faire les mêmes efforts que ceux que l'on attend de l'Etat. Nombre d'entre elles ont d'ailleurs un train de vie excessif au regard des capacités contributives des citoyens dont elles ont la charge.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Très bien !
M. Gérard Delfau. Il faut venir chez moi, mon cher collègue, vous verrez !
M. André Lardeux. Je profite néanmoins de l'occasion qui m'est donnée, monsieur le ministre, pour attirer votre attention sur quelques problèmes concrets concernant, notamment, les finances des départements.
En vingt ans de décentralisation, l'Etat leur a imposé des charges non compensées, dont les plus notables sont le RMI, en 1988, l'APA, plus récemment, ou le financement des SDIS.
Pour ce qui est en principe compensé, on a trop souvent remis en cause les ressources correspondantes. L'exemple le plus connu est la suppression de la vignette automobile, qui était pourtant l'une des taxes locales les moins injustes.
La première question que je souhaite aborder est celle de la DGF et de son évolution.
Le projet de loi de finances prévoit d'intégrer dans la DGF la compensation de la suppression de la part « salaire » de la taxe professionnelle, une partie de la DGD et la plus grande partie des dotations versées par le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et le Fonds national de compensation.
On ne peut que saluer et approuver l'effort de clarification et de simplification que cela représente, et je tiens à en féliciter le Gouvernement.
Cependant, cela n'est pas sans susciter quelques interrogations. En effet, hélas ! les charges qui ont été transférées ont un caractère plus dynamique que les recettes affectées, l'exemple le plus spectaculaire étant celui de la dotation d'équipement des collèges, qui ne couvre en général que 10 % des dépenses d'investissement consacrées par les départements aux collèges publics.
Même si le système proposé par le Gouvernement constitue une amélioration certaine, il n'en demeure pas moins que la DGF des départements a un mode d'évolution moins favorable que la DGD, par exemple, le mode d'évolution de celle-ci étant encore moins favorable que celui des compensations fiscales, lesquelles évoluaient de façon moins dynamique que les impôts en partie supprimés.
En revanche, on peut être certain que le rythme des dépenses ne se comportera pas de façon identique. Aussi, cela posera rapidement la question de la liberté des choix politiques des départements.
La deuxième question que je souhaite vous poser, monsieur le ministre, est annexe au projet de loi de finances. Il s'agit de la vignette et des problèmes que pose sa perception. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de mon département, le Maine-et-Loire, mais d'autres départements sont certainement logés à la même enseigne.
La trésorerie générale de Maine-et-Loire vient de me faire savoir qu'elle cessait tout versement au titre de la vignette automobile, estimant que le montant prévisible pour 2003 était atteint. Cela représente une baisse de 10 % par rapport à 2002. Or, jusqu'à plus ample informé, le nombre d'assujettis n'a pas diminué, ce qui démontre que les sociétés soumises à cet impôt font preuve d'un manque de civisme accentué et qu'il n'y a peut-être pas, de la part des services compétents, une diligence suffisante pour les faire payer. J'ose espérer que cette situation n'est que passagère ; sinon, il faudra envisager de supprimer complètement cet impôt et d'apporter une forme de compensation nouvelle.
J'espère que nous ne constaterons pas les mêmes dérives en ce qui concerne le RMI et son transfert. J'indique d'ores et déjà que j'estime raisonnable d'en reporter l'application, considérant que les services départementaux ne sont pas prêts, pas plus, d'ailleurs, que les servies déconcentrés de l'Etat. Cela éviterait problablement quelques dysfonctionnements dans sa mise en place.
La dernière question sur laquelle je souhaite vous alertez, monsieur le ministre, a trait aux relations entre les trésoreries et les départements. Le ministère des finances s'efforce de rationnaliser le fonctionnement des trésoreries, d'en diminuer le coût, ce qui est hautement souhaitable. Cependant, il ne faudrait pas en transférer la charge aux collectivités. J'illustrerai mon propos à l'aide de deux exemples.
On constate une pression - amicale, certes, mais croissante - pour que les départements créent de nouvelles régies de recettes. Je me pose la question de leur pertinence quand le seul argument est de diminuer le personnel des trésoreries.
Par ailleurs, il existe également une pression pour augmenter le montant à partir duquel on doit tenter de recouvrer une recette. Une telle démarche me paraît peu civique, car c'est une incitation à ne pas payer ce que l'on doit. Certains plafonds évoqués pourraient aboutir, dans mon département, par exemple, à ce que l'on ne puisse poursuivre ceux qui ne paieraient pas leur quote-part de transport scolaire.
Si je comprends le souci de rendre la gestion publique moins coûteuse et plus efficace, il ne faut pas oublier les vertus civiques de la perception effective de ce qui est dû par l'usager.
Nonobstant les remarques qui précèdent, monsieur le ministre, j'apporte mon entier soutien au Gouvernement dans sa volonté de moderniser la gestion publique, en souhaitant que cela débouche sur un équilibre satisfaisant des finances publiques, nationales et locales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Le Sénat, monsieur le président, mérite bien son titre de Grand conseil des... « collectivités territoriales » de France - pardon d'avoir modifié la formule consacrée ! - puisque, une nouvelle fois, s'est tenu en son sein un débat particulièrement riche et nourri au sujet de leurs recettes.
Je vais m'efforcer de répondre aux principales questions qui m'ont été adressées, étant entendu que certaines d'entre elles seront à nouveau abordées à l'occasion de l'examen des amendements.
L'an dernier, je vous avais indiqué que le Gouvernement engagerait une réforme des finances locales comportant trois éléments : l'autonomie financière ; la réforme des concours financiers et la pérennisation des dispositifs de péréquation entre collectivités ; la mise en place des nouveaux modes de compensation des transferts de compétences.
Ces trois grands sujets, le Gouvernement les a traités en posant des principes durables et en apportant, pour 2004, les réponses que lui permettait le contexte budgétaire délicat que nous connaissons.
Le premier point concerne l'autonomie financière des collectivités territoriales. Notre objectif en la matière est clair : il faut en finir avec la « recentralisation financière rampante » - je cite vos termes, monsieur le rapporteur général - constatée sous le précédent gouvernement, puisque près de 15 milliards d'euros de fiscalité locale avaient été supprimés et transformés en dotation. Comme vous le disiez, monsieur le rapporteur général, le bilan de la précédente législature est lourd. M. André Lardeux vient de le souligner également très opportunément.
C'est pourquoi nous avons inscrit dans la Constitution le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales. Ce principe constitutionnel sera décliné dans un projet de loi organique qui a déjà été examiné en conseil des ministres. Ce texte fixe un niveau plancher, celui de 2003, au-dessous duquel la part des ressources propres des collectivités ne pourra descendre. Ce niveau plancher sera apprécié par catégorie de collectivités. Nous entendons ainsi mettre un terme aux évolutions des dernières années, qui avaient conduit à la suppression de pans entiers de la fiscalité locale.
Cette autonomie financière sera renforcée par le présent mouvement de décentralisation, puisque la compensation financière s'effectuera à titre principal par l'affectation aux collectivités d'impositions de toute nature.
Sur ce sujet, j'ai conscience du regret d'un certain nombre d'intervenants, parmi lesquels le président de la commission des finances, M. Arthuis, de ne pouvoir moduler la fraction de TIPP dont bénéficieront les départements. Mais vous en connaissez tous les raisons : premièrement, une telle modulation serait trop complexe à gérer et la Commission européenne n'accepterait pas un tel émiettement de la TIPP ; deuxièmement, à l'échelon départemental, les différences de tarifs pourraient nourrir des détournements de trafics, donc des pertes d'assiette. Les risques sont plus limités dans des collectivités plus vastes comme les régions, sauf dans les zones limitrophes. Mais nous n'avons pas perdu de vue l'objectif de modularité des ressources financières transférées.
Pour l'année 2005, afin de compenser les transferts à venir, nous examinerons la constitution du panier des nouveaux impôts qui pourront être transférés. D'ores et déjà, nous avons prévu d'attribuer aux départements le produit de la taxe sur les conventions d'assurance afférentes aux véhicules à moteur, taxe dont ils pourront moduler le taux. Nous étudierons également la possibilité de décentraliser aux départements la taxe sur les véhicules de société dans un souci de diversification, selon les souhaits qui ont été exprimés par M. Philippe Adnot.
Notre objectif final est que près de la moitié des compensations financières attribuées aux départements soit constituée par des ressources financières modulables.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder a trait à la réforme des concours et à la pérennisation des dispositifs de péréquation entre collectivités. Je tiens à souligner, comme vous, monsieur le rapporteur général, l'importance de la réforme des concours. Comme l'a dit M. Fourcade, président du comité des finances locales, c'est le premier acte de la réforme des finances locales. Là encore, le Gouvernement s'est fondé sur l'article 72-2 de la Constitution, qui dispose que : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »
Le Gouvernement vous propose une démarche en deux temps : la première étape est constituée par la réforme de l'architecture des concours de l'Etat aux collectivités, dans le sens qui a été recommandé avec constance par M. le président Arthuis tout à l'heure. A cet égard, ce dernier a insisté sur la nécessité pour la commission des finances de disposer de moyens d'information et sur l'importance de prévoir une « clause de revoyure ». Je reviendrai sur ce dernier point.
A cette occasion, je précise que la DGF sera élargie et s'élèvera à 36,5 milliards d'euros.
M. Fourcade a rappelé qu'il en surveillait la répartition au niveau du comité des finances locales. Cette répartition sera faite entre les communes, les départements et, pour la première fois, les régions, selon une même structure, c'est-à-dire avec une dotation de base et une dotation de péréquation.
Grâce à cette réforme, nous avons constitué un mécanisme qui préserve - j'y insiste - de manière pérenne et endogène les dotations de péréquation. Celles-ci ont d'ailleurs été évoquées par M. Jean-Pierre Sueur, qui a marqué une certaine impatience, mais nous avons toujours dit qu'elles se traduiraient en 2005 s'agissant des communes.
Pour les régions et les départements, ce mécanisme sera perceptible dès 2004. Selon les choix effectués par le comité des finances locales, les dotations de péréquation des départements devraient croître entre 6 % et 11 %, - ce qui va dans le sens de la préoccupation exprimée par M. Claude Biwer - et celles des régions entre 8 % et 20 %. Je réponds ainsi à M. Jean-Pierre Sueur qui a choisi un autre mode de calcul dans la présentation qu'il a faite tout à l'heure.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela ne représente que 1,76 % du montant !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Pour les communes, ce mécanisme jouera pleinement à partir de 2005, je le répète à nouveau à l'intention de M. Jean-Pierre Sueur.
M. Gérard Delfau. C'est loin !
M. Alain Lambert, ministre délégué. C'est possible, mais reconnaissez que je vous ai toujours indiqué cet horizon.
En 2004, une partie importante de la progression de la DGF sera absorbée par la dotation d'intercommunalité. N'oublions pas que l'intercommunalité est le premier niveau de redistribution entre les communes et qu'elle bénéficiera en 2004 d'une augmentation de la DGF d'environ 150 millions d'euros, ce qui représente 8 % de croissance.
Cette situation nous a conduits, en 2004, à mettre en oeuvre un abondement exceptionnel de 96 millions d'euros en faveur des dotations d'aménagement, qui fera progresser la dotation de solidarité urbaine ainsi que la dotation de solidarité rurale de 1,5 %.
J'ajouterai un mot sur la dotation nationale de péréquation, qui se substitue au fonds national de péréquation. Il est vrai que nous n'avons pas consolidé l'abondement exceptionnel de 23 millions d'euros que le Sénat avait voté l'an dernier. Nous en reparlerons d'ailleurs à l'occasion de l'examen des amendements qui ont été déposés.
Mais, en budgétisant le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et le fonds national de péréquation, nous avons protégé les collectivités contre les aléas qui menaçaient les ressources de ces deux fonds. C'était notamment le cas pour la cotisation nationale de péréquation, en raison de l'achèvement de la suppression de la part salaires.
Rappelons-le, la budgétisation de ces deux fonds ne sera pas neutre pour l'Etat en 2004, puisqu'elle aura un coût de 75 millions d'euros.
Enfin, vous avez beaucoup parlé de péréquation et j'ai bien entendu les propos qu'a tenus M. Gérard Delfau tout à l'heure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de péréquation, le génie du Parlement sera utile au Gouvernement. En effet, c'est bien connu, la péréquation, c'est prendre aux supposés riches pour donner aux pauvres. Les riches se plaignent d'être trop prélevés et les pauvres de ne pas recevoir assez. Gageons que la sagesse sénatoriale saura offrir des idées consensuelles et fécondes en la matière.
J'en viens à la seconde étape de la démarche du Gouvernement, à savoir la réforme des critères de répartition. Comme le disait M. Jean-Pierre Fourcade, il faudra tirer les leçons de l'histoire, et nous nous y emploierons.
M. le rapporteur général a fait à cette occasion un véritable exposé d'architecture, évoquant la construction des murs, des piliers, du fronton ; et soulignant la nécessité de passer désormais à l'architecture intérieure. C'est effectivement ce que nous voulons faire.
Les critères de répartition interne de la DGF doivent naturellement évoluer. Avec le temps, nous avons assisté à leur stratification, ce qui rend difficilement lisible le contenu de la DGF.
Mon collègue Patrick Devedjian prépare dans ce domaine un projet de loi, qui sera soumis au Parlement au cours de l'année prochaine. Il s'agira de passer des questions d'architecture d'ensemble aux modalités précises de répartition des dotations, collectivité par collectivité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je peux vous assurer que vous serez largement associés à cette réforme, au même titre, naturellement, que le comité des finances locales. Nous pourrons d'ailleurs, à cette occasion, nous inspirer des rapports émanant de la Haute Assemblée, notamment du rapport d'information de MM. Jean François-Poncet et Claude Belot, qui a déjà été cité.
Enfin, le troisième point que je souhaite aborder concerne la compensation financière des transferts de compétences.
S'agissant de la loyauté et des modalités de la compensation financière du transfert du RMI aux départements, dont nous reparlerons naturellement à l'occasion de l'examen des amendements - en particulier celui de M. Michel Mercier -, je veux souligner que la compensation initialement proposée par le Gouvernement est conforme aux principes constitutionnels qui gouvernent désormais la décentralisation.
Le Gouvernement prévoit la compensation des charges transférées à hauteur des dépenses exposées par l'Etat à la date du transfert. A moyen terme, voire à court terme, j'ai la conviction que ce transfert, au-delà de l'intérêt qu'il présente pour la politique de l'emploi, ne peut être que favorable aux finances départementales.
Certaines inquiétudes qui, j'en conviens, sont loin d'être illégitimes, se sont exprimées au sujet de la réforme de l'ASS et de l'instauration du RMA. Nous prendrons des dispositions de manière que ce transfert puisse s'effectuer dans un climat de confiance, comme vous le constaterez dans un instant.
Le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, a insisté sur l'hypothèse d'une « clause de revoyure ». Je ne suis pas opposé à son principe si elle contribue à instaurer la confiance entre l'Etat et les départements, dès lors que ses modalités sont responsabilisantes pour les deux parties.
S'agissant de la fiscalité locale, il reste enfin un chantier gigantesque ; selon le terme employé par M. Arthuis, et que j'avais moi-même qualifié de complexe : il s'agit de la réforme de la fiscalité pour ne pas nous retrouver à nouveau dans la situation actuelle.
M. Fourcade a déclaré, à juste titre, qu'il fallait rétablir un système correct des valeurs locatives en simplifiant la superposition des taxes, sans aller pour autant jusqu'à la spécialisation.
Il faut rechercher de nouvelles bases localisables, a dit fort opportunément M. Fréville. C'est en effet très important.
Beaucoup d'entre nous ont rêvé dans le passé d'un grand soir de cette fiscalité imparfaite, qui a malgré tout le mérite d'exister. Ils ont néanmoins mesuré la difficulté d'un changement brutal, notamment en raison des transferts prévisibles de charges.
Le Gouvernement procédera avec pragmatisme et humilité car il n'est sûrement pas détenteur à lui seul du savoir sur un tel sujet. Dieu sait si ceux qui ont une pratique du domaine des finances locales et l'observent depuis plusieurs années pourront apporter une contribution décisive à l'édification d'un système meilleur ! Comme le Premier ministre l'a indiqué, nous serons à votre écoute sur ces questions, notamment au travers du comité des finances locales et du Parlement.
S'agissant des dégrèvements, dont M. Fréville est un spécialiste devant lequel je m'incline parce que les travaux qu'il mène sur ce sujet sont tout à fait remarquables, je me tiens à la disposition de la commission des finances pour étudier la question.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. M. le rapporteur général a prononcé la phrase suivante que j'aurais souhaité moi-même écrire en lettres d'or, : « La liberté comporte autant de devoirs que de droits ».
Dès à présent, les collectivités locales doivent s'habituer à assumer les conséquences de leurs choix fiscaux. Cela va dans le sens de la dignité, de la responsabilité et de l'autonomie des collectivités locales.
M. Fourcade a insisté sur la nécessité, indéniable en effet, de rétablir la liberté tarifaire. Cette dernière reste beaucoup trop encadrée et il faut là encore laisser les collectivités locales assumer leurs responsabilités.
Pour clore mon propos, je tiens à rappeler sans insistance, puisque M. Fourcade l'a déjà fait, ce qui caractérise l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités, ou plus exactement une répartition équilibrée des ressources : vous préférez cette expresssion, monsieur Fréville, et je vous promets d'éviter désormais de parler d'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités : le contrat de croissance et de solidarité a été reconduit cette année avec les mêmes index que par le passé, c'est-à-dire en faisant progresser l'enveloppe normée en fonction des prix et d'un tiers de la croissance en volume. Cette disposition répondra aux inquiétudes de M. François Marc.
Dans le contexte budgétaire que vous connaissez, ce choix est courageux, même si vous le critiquez, mesdames, messieurs les sénateurs, car, dans son ensemble, l'Etat a fait moins pour lui-même puisqu'il a choisi de stabiliser la progression de ses dépenses en volume, comme l'a souligné M. Yves Fréville.
En stabilisant la progression du contrat de croissance et de solidarité, l'Etat a voulu montrer, pour cette première année du mouvement de décentralisation, toute l'importance qu'il attache à l'action des collectivités territoriales.
Je n'oublie pas, monsieur Lardeux, votre préoccupation quant à la diminution du rendement de la vignette. J'ai d'ailleurs prévu dans le collectif budgétaire environ 50 millions d'euros sur ce sujet ; je pense que cela atténuera vos inquiétudes.
J'évoquerai également les dépenses : ce que vous avez dit à cet égard, monsieur Adnot ; me paraît très important. On ne doit pas contenir la dépense de l'Etat aux dépens des collectivités locales. Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, chaque ministre doit être pénétré du précepte selon lequel « qui commande paie ».
Je regrette l'accumulation des normes de toutes sortes qui alourdissent le coût de la gestion locale, sans amélioration à due concurrence de la sécurité et des conditions d'existence de nos compatriotes.
C'est un constat que je fais, au-delà des questions de transfert de compétences, à propos de compétences qui relevaient déjà de la responsabilité des collectivités territoriales et pour lesquelles, en effet, l'administration centrale continue à édicter un certain nombre de normes dont les élus locaux, sur le terrain, ne voient pas toujours une véritable traduction en valeur ajoutée, soit en sécurité, soit en confort de vie pour nos compatriotes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, je veux vous dire que j'ai voulu, à travers les réponses que je viens de vous donner, marquer la volonté du Gouvernement d'entretenir un dialogue de la plus exigeante sincérité avec le Parlement, et en particulier avec la Haute Assemblée, qui est si attentive aux questions concernant les collectivités territoriales.
Je voudrais nourrir la confiance si indispensable entre l'Etat et les collectivités locales. Et, dans « confiance », il y a le mot « foi ». Je voudrais donc nourrir la foi des collectivités locales dans les engagements qui sont pris par le Gouvernement, la foi dans la volonté respective des parties, c'est-à-dire des collectivités territoriales et de l'exécutif, de respecter les engagements, la foi dans la possibilité, grâce à la décentralisation, de mieux servir la France en répondant au plus près aux attentes, avec plus d'efficacité et de performance que nous ne pouvons le faire au niveau de l'Etat.
Et si, mesdames, messieurs les sénateurs, dans notre République, chaque collectivité fait bien ce pour quoi elle a été instituée alors la France sera mieux administrée et plus prospère, car elle sera plus apte à offrir à chacun de ses enfants un avenir plus prometteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je voudrais intervenir très brièvement sur deux points.
Le premier concerne l'organisation de nos débats. Nos collègues députés se sont fixé pour règle de traiter en seconde partie les amendements concernant la fiscalité locale et n'ayant pas d'incidence budgétaire pour l'Etat, c'est-à-dire sur le solde de l'année 2004. Cela paraît évident, mais il est vrai que, les années précédentes, nous n'avons pas toujours procédé ainsi avec une rigueur totale. Cette année, je vous suggérerai, mes chers collègues, de bien vouloir aligner vos pratiques sur la règle qui a été réaffirmée à juste titre par l'Assemblée nationale.
Le second point est une réflexion pour l'avenir, c'est-à-dire pour les futurs textes législatifs, au-delà des projets de loi de finances.
A plusieurs reprises, nous avons rappelé ici même qu'il était préférable que les dispositions de nature fiscale soient traitées en loi de finances et non pas de manière éparse dans différents textes sectoriels. Il faut avoir une vision globale de la politique fiscale, et cela vaut en particulier pour la fiscalité locale.
A cet égard, monsieur le ministre, je suis inquiet, car nous avons vu fleurir dans de nombreux textes déjà examinés ou annoncés des dispositifs d'exonération d'impôts locaux. Je citerai la loi de programme pour l'outre-mer, la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le projet de loi sur le développement des territoires ruraux. A chaque fois, la complexité du système est renforcée et l'on est tenté de mettre en place des dispositifs qui se traduisent par une lourde gestion administrative pour traiter de questions de « niches » ou de sujets très particuliers, cette complexité étant, en règle générale, sans rapport avec les enjeux financiers en cause.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'observe que certaines de ces exonérations, telles qu'elles sont prévues dans les textes particuliers, sont parfois obligatoires et compensées, ce qui est contraire aux orientations générales de la commission des finances telles que je viens de les rappeler et ce qui a pour effet de réduire l'autonomie fiscale dans des proportions certes minimes mais qui ne cessent de s'additionner.
Tout cela est de mauvaise politique - permettez-moi de porter ce jugement - et peu compatible avec les dispositions du nouvel article 72-2 de la Constitution. Je suppose que, si cela devait continuer, le Conseil constitutionnel nous ramènerait un jour à la réalité de la Constitution.
Enfin, je m'inquiète du fait que de telles exonérations concernent de plus en plus la taxe foncière sur les propriétés bâties. Or il s'agit du dernier impôt direct local dont l'assiette est restée relativement « pure » et dont, en conséquence, la part dans le produit fiscal perçu par les collectivités augmente chaque année.
Sur ces quelques considérations, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que nous allons pouvoir passer, après la suspension de séance, à l'examen des amendements.