SEANCE DU 19 DECEMBRE 2002
NÉGOCIATION COLLECTIVE EN MATIÈRE
DE LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES
Adoption des conclusions du rapport
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission mixte
paritaire sur le projet de loi portant relance de la négociation collective en
matière de licenciements économiques. [Rapport n° 105 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte
paritaire sur le projet de loi portant relance de la négociation collective en
matière de licenciements économiques s'est réunie hier à l'Assemblée nationale
pour examiner les trois articles qui restaient en discussion. Elle a adopté
sans modification la rédaction du Sénat.
Mes chers collègues, je rappelle que notre assemblée avait, en première
lecture, adopté sans modification les six articles du texte transmis par
l'Assemblée nationale, suivant en cela la position de votre commission.
Il est vrai que l'équilibre de ce texte sur les licenciements est
satisfaisant. Je rappelle, en effet, qu'il ne tend pas à réformer au fond notre
droit du licenciement, mais se borne à suspendre, de manière transitoire,
l'application de certaines dispositions de la loi du 17 janvier 2002. En cela,
il renvoie donc au dialogue social le soin de faire évoluer les règles
applicables et à une future loi la tâche d'apporter, sur le fond et au vu des
résultats de la négociation interprofessionnelle, les nécessaires modifications
d'ordre législatif.
Je considère, en effet, que le champ des articles de la loi du 17 janvier
2002, dont l'application est suspendue, est défini au mieux, de manière à
permettre à la future négociation interprofessionnelle de se dérouler dans les
meilleures conditions et d'aboutir, je l'espère, à un accord.
J'estime également que les débats parlementaires ont permis de préciser, de
façon claire, la portée des accords expérimentaux qui sont prévus à l'article
2. Je souhaite, ici, apaiser certaines craintes. Ils n'ont bien sûr pas
vocation à déroger aux dispositions d'ordre public des livres III et IV du code
du travail. Ils visent seulement à permettre l'aménagement des modalités de
mise en oeuvre de ces dispositions, dans le respect des prérogatives du comité
d'entreprise.
Quant aux nouvelles dispositions relatives au harcèlement moral qui ont été
introduites par l'Assemblée nationale, elles nous ont paru très raisonnables.
il est vrai qu'elles reprenaient la position défendue par le Sénat l'an passé
sur ce sujet, tant sur le régime de la charge de la preuve que sur la procédure
de médiation.
S'agissant de l'article 6, le Sénat a fait part de sa grande réserve quant à
l'intervention du FSV, le fonds de solidarité vieillesse, dans le champ de la
protection sociale complémentaire. Il a néanmoins jugé possible d'accepter, à
titre transitoire, une telle extension des missions du FSV, compte tenu des
engagements pris par le Gouvernement pour une rapide mise en ordre des circuits
financiers de la sécurité sociale.
Le Sénat a toutefois souhaité, en première lecture, introduire trois nouveaux
articles qui, sans être dénués de tout lien avec le texte, n'abordent pas
directement la question centrale des licenciements. Ces apports ont été retenus
par la commission mixte paritaire.
L'article 7 ouvre explicitement un nouveau cas de recours au CDD, le contrat à
durée déterminée : le remplacement temporaire d'un chef d'exploitation
agricole, de son conjoint collaborateur ou d'un collaborateur non salarié. Il
s'agit, ici, pour une large part, de sécuriser une pratique dont le fondement
juridique apparaît fragile. Mais il sera sans doute nécessaire ultérieurement
d'introduire dans le code du travail une disposition générale autorisant le
remplacement de tous les non-salariés par un salarié en CDD, plutôt que
d'insérer progressivement une succession de dispositions visant chaque
profession non salariée.
L'article 8 vise à favoriser l'accès des salariés en CDD à la formation
professionnelle. C'est un véritable impératif, car c'est trop souvent le manque
de qualification des salariés en CDD qui ne permet pas leur embauche en CDI, en
contrat à durée indéterminée, ou qui ne leur permet pas de trouver un autre
travail.
Le dispositif revient en partie sur l'article 125 de la loi du 17 janvier
2002. Cet article avait relevé le montant de « l'indemnité de précarité » en
fin de CDD de 6 % à 10 % de la rémunération perçue. L'article 8 autorise un
accord de branche étendu à maintenir cette indemnité au taux de 6 %, à la
condition que cet accord organise le développement de la formation
professionnelle et l'accès au bilan de compétences - vous vous en souvenez,
nous en avions beaucoup parlé - des salariés en CDD dans le cadre du plan de
formation de l'entreprise.
A ce propos, je rappellerai qu'une telle solution avait déjà été évoquée par
le gouvernement précédent et la majorité de l''époque lors des débats sur la
loi dite de modernisation, avant d'être curieusement écartée.
Enfin, l'article 9 est une mesure de validation législative des actes pris
après avis de la commission supérieure du personnel et des affaires sociales du
service public des postes et télécommunications pris entre 1991 et 1995. Ces
actes apparaissaient, en effet, juridiquement fragiles, compte tenu d'une
irrégularité dans la composition de cette commission. Il importait donc
d'apporter une réponse aux quelque 300 000 fonctionnaires dont le statut
pourrait être remis en cause par une éventuelle décision de justice.
Au total, votre commission considère que ce projet de loi tel qu'il est issu
de nos travaux constituera une étape importante dans la modernisation de nos
relations du travail. Il prépare, en effet, la nécessaire réforme de notre
droit du licenciement économique et permet de renouer avec la tradition du
dialogue social en matière d'emploi, tradition singulièrement mise à mal ces
dernières années.
Votre commission vous propose donc d'adopter ce projet de loi tel qu'il
résulte des travaux de la commission mixte paritaire.
(Applaudissements sur
plusieurs travées de l'UMP.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, la
commission mixte paritaire a adopté la version du projet de loi réformant le
volet anti-licenciement de la loi de modernisation sociale issue des travaux du
Sénat.
Votre texte suspend, pour ne pas dire abroge, certains des articles de la loi
de modernisation sociale qui renforçaient les pouvoirs d'intervention des
salariés face aux licenciements.
C'est un texte structurant, qui pose les bases de la réforme du droit du
licenciement économique : la loi deviendrait subsidiaire et la liberté
contractuelle quasiment sans limite.
Nous avons tenu, lors de la discussion de ce projet de loi en première
lecture, à exprimer fortement nos divergences de fond quant aux choix risqués
faits par le Gouvernement en matière de licenciements économiques, mais aussi,
plus globalement, en ce qui concerne votre politique économique et sociale.
Votre démarche n'est ni opportune ni pragmatique ; elle est bel et bien dictée
par des considérations étroitement idéologiques.
Vous ne répondez en rien à l'insécurité économique et sociale dont sont
victimes les salariés. En revanche, vous adressez des signaux forts au
patronat, qui demande toujours moins de contraintes et toujours plus
d'allégements de charges sociales.
Vous ouvrez des brèches énormes dans notre droit du travail, en faisant fi de
l'ordre public social, du principe de faveur.
Contre les accords de méthode auxquels vous donnez la priorité, nous avons
objecté un certain nombre d'arguments. La seule réponse que vous avez bien
voulu nous faire renforce notre conviction que ces accords permettront de
déroger largement aux principes fondamentaux du code du travail. Et nous
craignons que votre texte ne réduise à rien les garanties dont les salariés
peuvent bénéficier.
Toutes les observations formulées hier, qui justifiaient notre opposition au
texte, demeurent. Je ne les développerai pas de nouveau. Toutefois, je tiens à
insister sur le fait qu'il est plus que dommageable que sur un sujet aussi
crucial, les licenciements économiques, le débat concernant des milliers de
salariés, si l'on peut le qualifier ainsi, ait été aussi vite expédié.
Monsieur le ministre, je profite de votre présence ce soir au Sénat pour
évoquer une question précise d'actualité qui, certes, n'a pas de lien direct
avec ce projet de loi, mais dont l'importance appelle une clarification.
Le 14 décembre dernier, a été publié au
Journal officiel
un arrêté daté
du 12 décembre, que vous avez signé, monsieur le ministre, nommant au conseil
d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA,
un représentant du MEDEF et un représentant de la Confédération générale des
petites et moyennes entreprises, la CGPME. Or ce même 12 décembre, le Conseil
constitutionnel a rendu sa décision n° 2002-463 concernant la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2003. Notamment saisi sur la
constitutionnalité de l'article 56 de ce texte, le Conseil constitutionnel a
déclaré que les dispositions qu'il contient « n'ont pour effet ni d'affecter
directement l'équilibre financier du régime général, ni d'améliorer le contrôle
du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale
», et que « par suite, elles ne peuvent figurer dans une telle loi et doivent
être déclarées non conformes à la Constitution ». L'article 1er de la décision
du Conseil constitutionnel stipule donc que « sont déclarés contraires à la
Constitution [...] les I, II et III de l'article 56 de la loi de financement de
la sécurité sociale pour 2003 ».
Certes, monsieur le ministre, s'il est vrai que cet article 56 n'est pas
déclaré contraire à la Constitution pour des raisons de fond, en l'occurrence
le retour du MEDEF dans la commission Accidents du travail-maladies
professionnelles, il l'est pour des raisons de forme, puisque c'est le fait
qu'il soit un « cavalier » qui motive la décision des juges
constitutionnels.
Pour autant, cet article n'en est pas moins jugé contraire à la Constitution,
et donc inapplicable.
Cela signifie que le retour des représentants patronaux dans la commission
Accidents du travail - maladies professionnelles est irrecevable sous cette
forme et que l'arrêté de nomination de leurs représentants au conseil
d'administration du FIVA n'est donc pas légal.
En effet, le 2° du chapitre Ier de l'article 1er du décret 2001-963 du 23
octobre 2001 relatif au FIVA dispose que « le conseil d'administration du FIVA
comprend, outre le président, huit représentants des organisations siégeant à
la commission Accidents du travail - maladies professionnelles prévue à
l'article L. 221-4 du code de la sécurité sociale », avant d'énumérer les
partenaires visés : le MEDEF, la CGPME, l'UPA - l'Union professionnelle
artisanale - puis les syndicats de salariés, etc.
Monsieur le ministre, l'arrêté que vous avez signé le 12 décembre dernier ne
peut être considéré comme légal et donc applicable, puisque la participation au
conseil d'administration du FIVA est clairement conditionnée par la
participation à la commission Accident du travail - maladies professionnelles,
à laquelle le MEDEF et la CGPME ne peuvent accéder au vu de la décision rendue
par le Conseil constitutionnel le 12 décembre.
Des organisations syndicales et des associations de victimes de l'amiante
siégeant au conseil d'administration du FIVA ont déposé ou déposeront dans le
heures qui viennent des recours devant le Conseil d'Etat visant, dans un
premier temps, à suspendre l'application de l'arrêté du 12 décembre, puis à
faire annuler ce texte, sinon l'application de celui-ci résulterait de la mise
en oeuvre d'une mesure contraire à la Constitution.
Si j'interviens sur ce point ce soir, monsieur le ministre, c'est parce qu'il
s'agit avant tout d'une question politique, et non d'une simple question de
droit ou de forme et de procédure. En effet, cet arrêté intervient, par le plus
grand des hasards, au moment où le Gouvernement a reporté du 16 au 20 décembre,
c'est-à-dire demain, le conseil d'administration du FIVA au cours duquel
devaient être votés les montants des indemnisations proposées aux victimes de
l'amiante et à leurs ayants droit. Il s'agit bien évidemment, pour le MEDEF, de
siéger au conseil d'administration du FIVA pour peser en faveur de montants
d'indemnisations les plus bas possibles. Face à la catastrophe de l'amiante et
au nombre prévisible de ses victimes, les représentants patronaux ont bien
compris qu'ils allaient devoir assumer les conséquences de leur responsabilité
dans la catastrophe de l'amiante, se traduisant par une lourde charge
financière en matière de réparation. Leur introduction dans le conseil
d'administration du FIVA a pour objet de leur permettre de peser pour échapper
à cette responsabilité.
Dans une réponse à une question d'actualité sur le FIVA posée hier à
l'Assemblée nationale par mon collègue M. Christian Paul, Mme la ministre
déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle a répondu que, dans ce
cadre, « le Gouvernement n'a rien à se reprocher, bien au contraire », et qu'il
souhaite que « le barème médical soit adopté par le conseil d'administration du
FIVA qui doit se réunir le 20 décembre, de manière que les indemnités
commencent à être versées dès le début de l'année 2003 ». Les victimes et leurs
représentants ne demandent pas mieux, monsieur le ministre ! Ils attendent la
mise en place et le fonctionnement effectif du FIVA depuis sa création en 2001,
et ne peuvent que regretter que le premier conseil d'administration du FIVA
n'ait eu lieu qu'en juin 2002 ! Ils exigent cette indemnisation, mais pas
n'importe comment, pas avec des montants dérisoires, insultants pour les
victimes, pas par le biais d'une réparation bradée !
Monsieur le ministre, vous vous grandiriez en annulant votre arrêté, dont le
caractère illégal est évident, et qui fait encore perdre du temps aux victimes,
puisque le conseil d'administration prévu demain ne pourra pas se réunir et
sera donc repoussé de quelques semaines encore, ou bien, s'il se tient, ses
travaux et décisions seront déclarés illégaux par le Conseil d'Etat. Monsieur
le ministre, les victimes ne peuvent indéfiniment voir le calcul et le
versement de leurs indemnisations repoussés : c'est pourtant l'effet que
produit cet arrêté du 12 décembre.
(M. Gilbert Chabroux applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'y avait
pas de surprise à attendre de la commission mixte paritaire qui s'est réunie
hier.
M. Nicolas About,
président de la commission.
On ne sait jamais !
(Sourires.)
M. Gilbert Chabroux.
Le scénario était parfaitement réglé entre les députés et les sénateurs de la
majorité. La manière dont le débat a été escamoté ici, au Sénat,...
M. Nicolas About,
président de la commission.
On n'est pas chez les Verts !
M. Gilbert Chabroux.
... laissait présager le fait que la CMP serait vite expédiée. Il s'agissait
d'en finir le plus vite possible avec le volet anti-licenciements de la loi de
modernisation sociale.
Ainsi, la loi du 17 janvier 2002 n'aura même pas eu le temps de s'appliquer.
Mais il faut croire qu'elle vous inquiétait beaucoup, comme elle inquiétait le
MEDEF qui réclamait son abrogation.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Vous aviez mis tellement de temps à la
faire...
M. Gilbert Chabroux.
Vous avez choisi de la suspendre, mais nous savons bien que, de fait, il
s'agit d'une abrogation. Personne n'imagine sérieusement qu'au terme d'un délai
de dix-huit mois les articles de la loi de modernisation sociale relatifs aux
licenciements reprendront vie.
M. Nicolas About,
président de la commission.
On ne sait jamais !
M. Gilbert Chabroux.
Il s'agit d'une abrogation déguisée, car vous nourrissez l'espoir que les
partenaires sociaux fourniront au Gouvernement un projet de loi clefs en main.
C'est là que réside l'astuce du dispositif inédit que vous nous proposez !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
« L'astuce ! »
M. Gilbert Chabroux.
J'exprime mon admiration devant l'astuce, mais pas devant le fond !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Je partage votre admiration non pas pour «
l'astuce », mais pour la valeur du texte !
M. Gilbert Chabroux.
Nous sommes en désaccord avec cette manière de procéder. Que le Gouvernement
souhaite modifier une loi existante est tout à fait légitime ; mais point n'est
besoin de la suspendre avant d'en proposer une autre, revenant ainsi à un texte
antérieur. On a rarement vu cela. Ce n'est pas de bonne méthode !
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez
reproché à l'opposition de ne pas avancer de propositions qui auraient alimenté
le débat. Mais nos propositions, et nous l'avons sans cesse rappelé, sont
contenues tout entières dans la loi de modernisation sociale, qu'il fallait
laisser vivre pour pouvoir en juger les résultats. Vous n'avez pas voulu de ce
débat, dont nous nous sentons frustrés, et nous nous interrogeons.
Pourquoi, par exemple, la commission n'a-t-elle pas procédé comme en juin
2001, avant la deuxième lecture, en organisant toute une série d'auditions des
partenaires sociaux et de professeurs de droit du travail ? Pourquoi
n'avez-vous pas repris la même méthode ? Sans doute saviez-vous par avance ce
que les partenaires avaient à dire !
(M. le rapporteur proteste.)
M. Nicolas About,
président de la commission.
Oui, puisque c'était déjà fait !
M. Gilbert Chabroux.
Ou encore, pourquoi fallait-il, s'il s'agissait seulement de suspendre les
articles relatifs au licenciement, revenir sur le harcèlement moral au travail
et remettre en cause les dispositions de la loi de modernisation sociale
relatives à la charge de la preuve ?
M. Nicolas About,
président de la commission.
Elles n'étaient pas conformes à la directive
européenne !
M. Gilbert Chabroux.
Le régime instauré par la loi de modernisation sociale, contrairement à ce que
vous dites, était parfaitement équilibré et, de surcroît, conforme à la
jurisprudence établie par la Cour de cassation. Le régime retenu dans la
proposition de loi de lutte contre les discriminations, notamment en matière
d'accès à l'emploi, est d'ailleurs identique ; au demeurant une partie de la
droite l'avait votée. Voilà qui montre bien que cette définition est
raisonnable et qu'elle ne doit pas être modifiée. Elle laisse aux juges une
totale liberté d'enquête et d'appréciation.
J'ai rappelé que, selon l'INSEE, sept millions de Français sont concernés par
la violence au travail. Le harcèlement moral au travail est, hélas ! un
phénomène très répandu. Or les dispositions que vous avez acceptées vont rendre
pratiquement impossible tout recours de la part des salariés. Comment
pourront-ils plaider devant les tribunaux alors qu'il leur faudra engager une
procédure contre la direction de leur entreprise, avec tout ce que cela
implique, notamment en termes de coût financier ? En pratique, ce droit ne
pourra plus jamais être appliqué. Ce sera la loi du plus fort.
Le Sénat aurait été bien inspiré, compte tenu du travail qu'il avait effectué
sur ce sujet - travail qu'avait en partie mené M. Alain Gournac, et que je
salue -, de mettre en garde le Gouvernement. Il aurait également pu se
dispenser d'adopter l'amendement qui vise à réduire de 10 % à 6 % le montant de
la prime de précarité versée en fin de mission aux personnes employées en
contrat à durée déterminée : même s'il est légitime de vouloir améliorer la
formation professionnelle, on peut y parvenir autrement qu'en mettant à
contribution ceux de nos concitoyens qui sont en situation de précarité.
Tout cela est révélateur de vos intentions : ce sont les salariés et les
chômeurs qui, dans tous les cas, constituent la variable d'ajustement, et nous
le constaterons encore à propos de l'UNEDIC et de l'assurance chômage. Pendant
ce temps, vous développez votre politique d'allégement des cotisations sociales
patronales. Il y a deux poids et deux mesures : il y a bien la France d'en haut
et la France d'en bas.
Il nous reste maintenant, hélas ! à mesurer les effets désastreux de votre
politique sur la vie économique et sociale de notre pays. Dans quelques mois,
nous serons pleinement éclairés. Les Français prendront alors conscience de la
situation dans laquelle vous les aurez conduits ; vous devrez leur présenter un
bilan, et ils sauront l'analyser.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le groupe
socialiste vote contre le texte qui nous est présenté !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis tout d'abord que
la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur le texte tel que le
Sénat l'avait voté.
Je ne m'étonne pas que les représentants de l'opposition soient un peu
frustrés devant la cohérence de la majorité. Il est vrai qu'ils n'ont pas
l'habitude d'une telle unité : si j'en juge par les conditions dans lesquelles
a été élaborée la loi de modernisation sociale, le moins que l'on puisse dire
est que le combat fut plus rude entre les différentes tendances de la majorité
précédente qu'il ne l'est dans notre majorité !
(M. Gilbert Chabroux
s'exclame.)
Le texte que vous avez adopté était nécessaire pour mettre un
terme à l'application de dispositions nocives pour l'économie française et
dangereuses pour les salariés. La loi de modernisation sociale n'a en rien
enrayé les plans sociaux, qui ont connu une augmentation de 40 % depuis le
début de l'année 2001,...
M. Gilbert Chabroux.
Elle ne s'appliquait pas !
M. François Fillon,
ministre.
... alors que j'ai démontré que la plupart de ses dispositions
s'appliquaient déjà.
Surtout, cette loi, tant par sa complexité que par l'insécurité juridique
qu'elle faisait peser sur les procédures de licenciement et sur les plans
sociaux, représentait une véritable menace pour l'attractivité du territoire
français, et nous sommes nombreux ici à nous inquiéter du risque de
désindustrialisation de la France.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Tout à fait !
M. François Fillon,
ministre.
Ce risque est réel. Il ne s'agit pas, en l'évoquant, de nier
que notre pays a des atouts et que certains secteurs de son économie sont des
secteurs dynamiques et en pleine croissance ; il s'agit simplement de montrer
que des pans entiers de l'industrie française sont en train de disparaître en
raison de la complexité de notre législation et du trop grand écart qui, en
matière de droit social et de charges patronales, sépare la France de ses
voisins européens. Et je ne compare notre pays qu'aux pays européens, sans
évoquer des pays plus lointains, plus exotiques et plus libres en termes
d'organisation économique !
Nous avons choisi de suspendre l'application des articles de la loi de
modernisation sociale, et c'est comme un compliment que j'entends les critiques
que M. Chabroux a formulées sur le caractère exceptionnel d'un tel procédé. Il
est vrai que la suspension n'est pas très courante dans notre droit, mais je
considère qu'elle est la clef de l'engagement des négociations entre les
partenaires sociaux. C'est elle qui, en donnant la possibilité de revenir, au
plus tard dans dix-huit mois, aux dispositions actuelles ou à des textes que le
Gouvernement aura été amené à présenter aux partenaires sociaux, poussera
ceux-ci, bien que pour des raisons différentes, à négocier : le patronat ne
souhaite bien sûr aucunement retrouver les dispositions de la loi de
modernisation sociale ni même celles qui s'appliqueront pendant leur
suspension, parce qu'elles ne sont pas satisfaisantes ; quant aux organisations
syndicales, elles ne peuvent pas prendre le risque, en refusant de participer à
la négociation, de ne pas peser sur l'élaboration des dispositions que le
Gouvernement vous présentera à l'issue de cette période.
La méthode que nous avons choisie est donc une bonne méthode ; surtout, après
la loi sur les 35 heures et avant la réforme de la démocratie sociale, elle
renoue enfin avec le dialogue social. Or c'est bien ce qui nous a tellement
manqué ces dernières années !
En réalité, après l'échec, programmé sans doute, de la conférence tripartite
du 10 octobre 1997 sur la réduction du temps de travail, la majorité qui nous a
précédés a été conduite à imposer autoritairement la réduction du temps de
travail. Après l'entrée en vigueur d'une première loi, le dialogue social a
repris, et de nombreux accords de branche visant à aménager le dispositif ont
été conclus. Or le Gouvernement et la majorité précédente n'en ont pas respecté
le contenu et ont fait adopter une deuxième loi qui les rendait pour la plupart
inopérants. Il a même fallu que le Conseil constitutionnel rappelle à la gauche
et au Gouvernement, dans sa décision de janvier 2000, le principe de la liberté
conventionnelle !
C'est justement ce principe que nous voulons mettre en avant : à chaque
occasion, le Gouvernement renverra au dialogue social.
La procédure ne sera pas aisée, parce qu'il est difficile d'amener les
partenaires sociaux à négocier sur des sujets aussi douloureux que celui du
licenciement. C'est pourtant la seule façon de changer, progressivement mais en
profondeur, la nature des relations sociales dans notre pays. Nous entendons
donc continuer dans cette voie, et le vote que le Sénat va émettre sur ce texte
constituera une étape importante dans cette modification profonde de la
structuration de nos relations sociales.
Monsieur Chabroux, au moment de conclure, je ne peux m'empêcher de revenir un
instant sur les accusations éhontées que vous portez contre les décisions du
Sénat et de l'Assemblée nationale relatives au harcèlement moral.
M. Gilbert Chabroux.
Oh !
M. François Fillon,
ministre
Vous essayez de présenter la position de la majorité d'une
manière caricaturale qui ne correspond ni à votre honnêteté ni à votre grande
rigueur intellectuelles.
Nous n'avons pas choisi de renverser la charge de la preuve ; en revanche,
nous considérons que le texte qui avait été voté par le Parlement était
contraire aux principes généraux du droit français. Dans quel autre domaine, en
effet, accepte-t-on que l'accusé soit seul amené à fournir les preuves de son
innocence ? Il n'y en a pas !
(M. Gilbert Chabroux proteste.)
D'une certaine manière, le discours qui vient d'être tenu au nom du parti
communiste sur la question du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,
le FIVA, procède du même état d'esprit, et j'y reviendrai.
Les représentants des entreprises, les patrons, les chefs d'entreprise sont
coupables par avance et, quand ils sont accusés, ils n'ont même pas la
possibilité de se défendre !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Allons, monsieur le ministre, cela n'a rien à voir !
M. François Fillon,
ministre.
Le paritarisme tel que vous le concevez, madame, est un
paritarisme dont sont absents les représentants des entreprises.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ce sont eux qui sont partis ! Ils ont demandé à se retirer de la sécurité
sociale !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Vous avez tout de même envie de les voir
revenir !
M. François Fillon,
ministre.
Vous devriez vous réjouir qu'ils reviennent !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, mais dans des conditions normales !
M. François Fillon,
ministre.
J'en viens à votre question, madame Beaudeau. Je soulignerai
que le conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes de
l'amiante est constitué de plein droit de représentants de toutes les
organisations ayant un siège à la commission des accidents du travail. Or, au
nombre de celles-ci figurent la Confédération générale des petites et moyennes
entreprises ainsi que le MEDEF !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
A condition qu'ils siègent ! A la commission des accidents du travail, ils ne
sont pas là !
M. François Fillon,
ministre.
Même s'il est vrai qu'elles ont choisi de ne pas occuper leurs
sièges dans cette commission, elles pouvaient à tout moment demander de siéger,
ce qu'elles ont fait ; et l'arrêté que vous avez cité ne fait que tirer les
conséquences du droit en vigueur.
La décision du Conseil constitutionnel que vous avez invoquée n'a rien à voir
avec ce sujet.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Si !
M. François Fillon,
ministre.
Elle a seulement sanctionné la nomination directe des élus de
la Caisse nationale d'assurance maladie et ne peut en rien venir au secours de
la thèse que vous avez à l'instant défendue.
Permettez-moi, à cette occasion, de souligner combien il me paraît souhaitable
que le barème d'indemnisation du FIVA soit adopté au plus tôt. L'enjeu est
important pour les victimes, et je voudrais que les partenaires mesurent la
qualité des propositions que l'administration a faites.
Pour ma part, chaque fois que ce sera nécessaire, je défendrai le paritarisme,
qui a été tellement affaibli dans notre pays, ces dernières années,...
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Oh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Là n'est pas la question !
M. François Fillon,
ministre.
... et qu'il nous faut aujourd'hui faire renaître, réinventer,
moderniser. Le paritarisme, c'est l'UNEDIC ; le paritarisme, je l'espère, ce
sera demain la CNAM ; le paritarisme, c'est le FIVA.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le paritarisme, ce n'est pas comme on veut quand on veut !
M. François Fillon,
ministre.
Le FIVA n'aura de sens et ne pourra fonctionner que si
l'ensemble de ceux qui doivent y siéger y siègent.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Tout à fait !
M. François Fillon,
ministre.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs,
j'espère que le Sénat, ce soir, donnera la touche finale à ce texte dont les
entreprises attendent l'application et qui permettra aux partenaires sociaux,
dès le début de l'année prochaine, de se réunir autour de la table des
négociations sur la question de la formation professionnelle, sur la question
du droit des licenciements, avant de s'atteler à deux autres sujets encore plus
ardus : celui de la démocratie sociale et celui de l'avenir de nos retraites
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement,
lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la
commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur
l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :