SEANCE DU 17 DECEMBRE 2002
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi portant relance de la
négociation collective en matière de licenciements économiques.
J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître
qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle
présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte
paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion sur le projet de loi portant relance de la négociation collective en
matière de licenciements économiques, actuellement en cour d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce
projet de loi, le Gouvernement avance un peu plus dans son entreprise de
remodelage profond de la société française.
Il prétend fixer le cadre du débat en expliquant qu'il y aurait, d'un côté,
les partisans de l'interventionnisme, d'un protectionnisme, du tout-Etat, et,
d'un autre côté, les modernes libéraux.
Non, monsieur le ministre, il y a, d'un côté, le gouvernement d'une droite
revancharde, qui veut tout faire pour faciliter, voire encourager ce qui se
passe en ce moment concernant la marchandisation du monde - dont des millions
de citoyens commencent à percevoir la démence - et, de l'autre côté, ceux qui,
comme nous, cherchent des voies nouvelles en s'opposant aux effets
catastrophiques, sur les plans économique, social, humain et écologique, de la
folie de la compétitivité sous pression financière.
Quoi qu'il en soit il est faux de laisser entendre que l'Etat et le
législateur n'auraient plus de rôle à jouer. La question est de savoir
lequel.
Vous nous dites : « Le Gouvernement est pour le dialogue social. Il va donc
laisser les partenaires sociaux s'entendre sur ce qu'ils veulent voir figurer
dans la loi en matière de licenciements. » Permettez-moi d'exprimer quelques
doutes, sur la forme comme sur le fond.
En effet, depuis son installation, en juillet dernier, le Gouvernement ne nous
a pas habitués à une telle sollicitude, mais plutôt, dans les faits, à un
dirigisme sans faille.
Les exemples ne manquent malheureusement pas. Le cas du Crédit Lyonnais est
assez représentatif. Alors que les organisations syndicales réclamaient depuis
un certain temps, sans l'obtenir, un rendez-vous avec le ministre des finances,
ce dernier annonce publiquement que l'Etat procède à la vente aux enchères de
cet organisme bancaire. N'est-ce pas mettre tout le monde, notamment les
organisations syndicales, devant le fait accompli ?
On peut faire le même constat sur les 35 heures, les emplois-jeunes, le SMIC,
l'élaboration du budget pour 2003, les projets de privatisation de grands
services publics, entre autres.
Et que dire du refus, quasi officiel, de procéder à un référendum, malgré les
promesses faites en avril, sur un sujet aussi important que l'inscription dans
la Constitution de la décentralisation ?
Les médias parlent de « détricotage » des lois votées par la gauche. J'aurais,
personnellement, envie de parler de dynamitage des droits et des acquis.
Quand on voit que c'est au congrès du MEDEF de l'hôtellerie que le secrétaire
d'Etat au tourisme, mandaté par vous-même, monsieur le ministre, vient annoncer
qu'il remettait en cause l'accord sur les 35 heures de la branche, accord
majoritaire conclu après deux ans et demi de négociations, on ne peut que dire
: bonjour le dialogue social !
Force est de constater un écart permanent entre l'affichage sur le dialogue
social et les actes de ce gouvernement. En matière de dialogue social, c'est la
politique du fait accompli !
Au lieu de permettre à l'Etat d'assumer ses responsabilités en faisant
prévaloir l'intérêt général et en répondant aux besoins avec un souci d'équité,
la politique gouvernementale vise à réduire l'Etat à la portion congrue. En
fait de pragmatisme, ce n'est rien moins qu'une démission consciente et
organisée du politique au profit du marché et de la loi du plus fort.
Avec votre projet de loi, il s'agit de laisser tranquilles les chefs
d'entreprise dans leur course folle aux profits, d'asseoir le règne des
actionnaires. Et tant pis pour les salariés !
Pourtant, le patronat est aussi contraint de s'interroger : un PDG comme M.
Louis Schweitzer dénonçait, dans une interview récente au
Figaro
, les
gestions fondées uniquement sur le court terme et sur les cours de la bourse.
Voici sa vision de la marche d'une entreprise : « Gérer une entreprise à trop
court terme peut provoquer de graves désillusions. » Il ajoutait que « la
recherche d'une maximisation à tout instant du cours de la bourse pose problème
».
De la même manière, un économiste comme M. Jacques Généreux, professeur à
Sciences Po, donne cette appréciation juste et fine : « Qu'il faille mieux
contrôler les patrons ne fait pas de doute, mais la question est : qui doit le
faire ? ... En fait, le système capitaliste a été bouleversé par le
déchaînement d'une politique de compétition généralisée, la dérégulation des
marchés, l'ouverture à la concurrence des services publics, le recul des normes
sociales. Par ailleurs, la libre circulation mondiale des capitaux a nourri
l'obsession du taux de profit immédiat... Nous sommes désormais dans un
contexte de guerre économique mondiale impitoyable et où le seul critère
d'évaluation du
management
est la valeur de l'action et le rendement du
capital au cours du dernier trimestre. C'est ce contexte qui est à la fois un
pousse-au-crime pour les dirigeants malveillants et un "pousse-à-l'imprudence"
pour les autres. »
Monsieur le ministre, vous n'ignorez rien du contexte dans lequel nous sommes.
Vous avez pu noter, comme tout le monde, que la déferlante des plans sociaux se
poursuit : Alcatel, Vivendi Universal, Thalès, la Snecma, Matra Auto, Gemplus,
Hewlett Packard, Casino, les Mines de potasse d'Alsace... La liste est longue,
et ce sont plus de 200 000 licenciements économiques qui ont été annoncés rien
qu'au premier semestre 2002 !
Toutes les régions de France sont touchées. Dans notre région, 50 000
licenciements économiques sont recensés, et la vôtre, monsieur le ministre,
n'est pas à l'abri, avec plus de 5 000 licenciements économiques prévus dans
les Pays de la Loire.
Vous dites défendre une société de travail. Vous défendez, en fait, une
société des actionnaires.
Monsieur le ministre, il est un peu trop facile d'incriminer la gauche et les
quelques avancées qu'avait introduites la loi de modernisation sociale en
matière de droits nouveaux des salariés. Ce n'est pas cela qui est en cause, ce
sont la guerre économique mondiale et la compétition maximale qui entraînent de
tels dégâts économiques et sociaux. Or vous ne faites rien pour vous y opposer,
alors que, contrairement à ce que vous avez affirmé, notre groupe, lui, prend
en compte cette réalité.
Vous nous dites que la loi de modernisation sociale était une loi de
circonstance, élaborée sous le coup de l'émotion à l'annonce des licenciements,
notamment chez LU et chez Marks & Spencer. Mais que ne faites-vous autant, ou
mieux, à l'annonce de tous ces plans sociaux que vous considérez comme fatals
?
On sait que 80 % des licenciements concernent les PME. La situation devrait
vous inciter à vous en préoccuper. Or vous n'en faites rien. Tous ces
licenciements sont souvent consécutifs à des décisions des grands groupes
donneurs d'ordres, prises au détriment des sous-traitants, généralement des
PME-PMI.
De la même manière, vous n'évoquez jamais l'urgence d'un volet formation, dont
tous les acteurs sociaux et économiques s'accordent à souligner l'importance
cruciale.
Vous jouez sur les mots en parlant de « suspension » des articles qui vous
gênent. Vous ne trompez que ceux qui veulent bien se laisser tromper ! Chacun
peut mesurer, dans votre style de gouvernance, la répartition des rôles entre
le Gouvernement et le MEDEF : l'un prononce publiquement ses exigences, l'autre
donne l'image d'un modérateur soucieux des équilibres. La suspension pendant
dix-huit, voire trente mois n'est en fait qu'un trompe-l'oeil. Il n'y aura pas
de retour à la case départ, ni,
a fortiori
, d'avancées. D'ailleurs notre
collègue Alain Gournac vient de déclarer que votre projet réformait en
profondeur le droit de licenciement : le ton est donné !
Je suspens, dites-vous. Mais soyons sérieux ! Il s'agit bel et bien d'une
suppression puisqu'il est question, à l'issue du délai, non de rétablir le
texte, mais d'adopter une nouvelle réglementation à partir d'un hypothétique
accord interprofessionnel, dont la signature pourra d'ailleurs être
minoritaire.
En fait, il s'agit de supprimer les quelques garanties que les salariés
avaient obtenues grâce à leurs luttes et d'assurer le retour au pouvoir absolu
des employeurs.
A cet égard, la suppression de l'article 109 de la loi de modernisation
sociale est particulièrement révélatrice. Cette disposition introduisait un peu
de justice en matière de licenciements par la suppression des critères liés aux
qualités professionnelles. Avec la disparition de cette mesure, les employeurs
pourront de nouveau peser sur le choix des salariés à licencier en jouant sur
les critères liés aux qualités professionnelles, ce qui aggravera
considérablement la situation des salariés les plus fragilisés.
D'ores et déjà, les organisations syndicales ont exprimé leur désaccord total
à l'égard de votre projet, en faisant valoir, notamment pour les syndicats de
salariés, que la négociation envisagée fera porter aux organisations syndicales
la responsabilité de rendre les licenciements plus faciles - pour FO et la CGT
-, que la loi ne joue plus son rôle de filet de sécurité - pour la CFTC -, que
les accords d'entreprise peuvent remettre en cause le droit du travail - pour
la CGC. Il est vrai que ce projet de loi touche à des questions très sensibles
pour les salariés : celle de leur droit à l'emploi, celle de leurs garanties et
de leur protection en cas de licenciements ainsi que celle de la responsabilité
des chefs d'entreprise face à l'emploi.
Ces dernières années, le recours massif aux licenciements pour motif
économique a plongé des millions de nos concitoyens dans le chômage, provoquant
ainsi une situation d'insécurité sociale pour une part grandissante des
salariés et de leurs familles.
Dans le même temps, les entreprises ont usé et abusé, pour des centaines de
milliers de salariés, des CDD, des contrats d'intérim et du temps partiel comme
variables d'ajustement.
Ainsi, c'est toute la société qui se trouve fragilisée par le nombre de
sans-emploi et de personnes en situation précaire. Outre les conséquences
désastreuses sur le plan humain, psychologique et financier désastreuses du
chômage et de la précarité pour des millions d'individus, cette politique
provoque également la dégradation des conditions de travail. Elle dynamite les
comptes sociaux, notamment ceux de la sécurité sociale, ainsi que le régime des
retraites.
Dans un tel contexte, il est impossible, pour nous en tout cas, de se résigner
à voir se succéder licenciements économiques et plans sociaux.
La loi de modernisation sociale n'est certes pas allée aussi loin que les
parlementaires communistes le souhaitaient. Néanmoins, elle apportait des
améliorations importantes.
Votre projet fait table rase de tout cela ! Il n'apporte aucun élément
d'appréciation, aucun bilan sérieux à l'appui de cette révision. Il s'agit d'un
texte purement idéologique et dogmatique, d'une nouvelle concession au MEDEF.
Et quand on entend M. Guillaume Sarkozy, président d'un des dix « groupes de
propositions et d'actions » du MEDEF, celui et dont l'objet est d'explorer des
voies - cela ne s'invente pas ! - « pour une protection sociale plus efficace
et moins coûteuse pour l'entreprise », dire sa « fierté » de délocaliser, on a
vraiment de quoi s'inquiéter et se révolter ! Or nous ne vous avons pas entendu
le faire, monsieur le ministre.
La droite en a rajouté par le dépôt de nouveaux amendements qui remettent en
cause des acquis obtenus par la lutte des salariés, consacrés par la
jurisprudence bien avant la loi de modernisation sociale. L'amendement «
Michelin », qui obligeait l'employeur à négocier les 35 heures avant tout plan
de licenciement, est supprimé, comme les dispositions dites « Marks & Spencer
».
Pour votre gouvernement, la cause du chômage tiendrait à des salaires trop
élevés, à un droit du travail trop contraignant, à une législation trop
dirigiste, bref, au carcan de textes qui entraverait les entreprises !
Vous avez même osé nous dire en commission que la loi de modernisation sociale
aurait entraîné la fermeture et la faillite d'entreprises, et fait reculer
l'investissement étranger. Cependant, à aucun moment, vous n'avancez la moindre
démonstration, à l'appui de votre thèse ; vous n'en donnez même pas la moindre
illustration. Et pour cause : les décrets d'application des mesures importantes
de la loi de modernisation sociale ne sont pas encore parus ! Dès votre arrivée
au pouvoir, vous vous êtes empressé de tout stopper.
Le projet de loi n'est accompagné d'aucune évaluation de ses conséquences
sociales. Vous vous êtes d'ailleurs bien gardé de solliciter l'avis du Conseil
économique et social. Pourtant, ses conséquences sont redoutables au regard des
droits des salariés, de l'égalité devant le droit à l'emploi, de la sécurité
juridique des relations de travail.
En effet, ce texte supprime toutes les dispositions qui permettaient aux
salariés et à leurs représentants de contester un tant soit peu le bien-fondé
des décisions conduisant aux licenciements ou à la cessation d'activité.
Les rares mesures, d'origine jurisprudentielle, imposant la consultation des
comités d'entreprise, en amont du plan social, disparaissaient, tout comme la
possibilité de formuler à ce stade des propositions alternatives.
Le maintien dans le texte de la référence à des propositions alternatives est
illusoire : le plan social est alors déjà en cours, et le recours suspensif au
médiateur pour les licenciements de plus de 100 salariés disparaît.
L'absence de réponse motivée n'est nullement sanctionnée.
L'accord d'entreprise peut s'affranchir de toutes les garanties liées au
respect de la procédure.
Le texte déresponsabilise les entreprises en matière d'emploi en dispensant
les organes de direction de se prononcer sur le projet de cessation d'activité
et en supprimant l'étude d'impact social et territorial des projets
stratégiques de l'entreprise.
Enfin, il réduit les pouvoirs de contrôle et de propositions de l'inspection
du travail.
Avec ce texte, monsieur le ministre, vous avez travaillé à l'affaiblissement
des salariés face aux licenciements et au retour du pouvoir absolu et sans
limite des employeurs puisque même les quelques protections légales introduites
par le Parlement après la suppression de l'autorisation administrative de
licenciement pourront, elles aussi, être balayées par les accords conclus par
l'entreprise, dans les conditions de pression et de chantage que l'on
connaît.
Vous avez travaillé à détourner le sens même de la négociation collective. Au
lieu d'être un droit des salariés, vous en faites un instrument de régression
sociale, en supprimant les droits et les garanties que la négociation
collective leur conférait jusqu'alors.
Allez-vous nous faire croire que vous ignorez la pression que subissent les
négociateurs syndicaux dans le cadre des plans de restructuration et de
licenciement ?
Vous donnez à la négociation le rôle de déroger aux garanties légales, dans un
sens obligatoirement défavorable aux salariés.
Pour la première fois, les patrons et les syndicats seraient autorisés à
revoir à la baisse les droits des comités d'entreprise, et décideraient des
procédures et des modalités de licenciement.
Cette nouvelle atteinte, extrêmement grave, à l'ordre public social et à la
hiérarchie des normes porte fondamentalement en elle la mort annoncée de pans
entiers du code du travail. Que reste-t-il comme garantie si le droit de
licenciement n'est plus fondé sur le socle du droit et est renvoyé à la
négociation d'entreprise, sans même être encadré par la négociation
interprofessionnelle ou de branche ?
D'ores et déjà, les salariés sont doublement lésés.
Ils le sont une première fois quant à leurs droits individuels : jusqu'ici,
quels que soient les accords négociés et conclus lors des procédures de
licenciement, les garanties légales conféraient aux salariés,
individuellement,la possibilité de contester la légalité du licenciement
économique. Désormais, l'accord se substitue à la loi, privant les salariés du
socle minimum de garanties prévu par celle-ci.
Ils le sont une seconde fois quant aux droits de leurs représentants : les
droits des comités d'entreprise pourront être définis - et limités - par les
accords qui fixeront les conditions et les modalités d'information, de saisie
et la procédure de consultation desdits comités.
Pour donner un semblant de légitimité à une négociation dont la seule vocation
est de déréglementer, ce texte introduit la notion d'accord majoritaire.
En fait, le recours à l'accord majoritaire vient à l'appui d'une conception de
la négociation qui va à l'encontre du droit des salariés à l'amélioration des
garanties légales.
En revanche, le Gouvernement se garde bien de mettre en place l'accord
majoritaire pour les négociations interprofessionnelles qui doivent servir à
l'élaboration de la nouvelle législation en la matière. C'est donc la
possibilité pour la minorité de faire la loi.
Plutôt que supprimer ce qui a été péniblement acquis par la voie législative
hier, nous pensons qu'il faut, au contraire, améliorer la législation.
Déjà, l'an dernier, sous le gouvernement précédent, nous avions déposé des
amendements allant plus loin que ceux de l'Assemblée nationale et visant à
redéfinir le licenciement économique, à favoriser l'intervention des salariés
en amont des procédures, à renforcer les pouvoirs des comités d'entreprise, à
étendre les garanties en matière de licenciement à tous les salariés.
Nous proposerons une série d'amendements visant tout d'abord à nous opposer à
la suppression des différents articles de la loi de modernisation sociale. Nous
attacherons ensuite une attention toute particulière aux deux dispositions
introduites à l'Assemblée nationale sur le harcèlement moral au travail. Enfin,
nous ferons un certain nombre de propositions ciblées, concernant la définition
du licenciement économique, la réintégration des salariés, la sous-traitance,
sans oublier l'encadrement nécessaire des accords de méthode.
A propos de la négociation, nous restons plus que jamais convaincus que le
respect de l'ordre public social et la hiérarchie des normes, dont la loi
représente le socle minimum, sont - et doivent rester - les bases fondamentales
sur lesquelles doit s'exercer le droit des salariés à la négociation
collective, droit dont le principe majoritaire doit s'imposer à tous les
niveaux et pour tout accord. Il convient en outre, sur des sujets aussi
importants, de consulter l'ensemble des salariés. C'est une règle élémentaire
de démocratie.
Enfin, il y a un an, notre collègue Alain Gournac regrettait en commission
mixte paritaire que le débat fructueux qui s'est instauré contre le harcèlement
moral n'ait pu se reproduire sur d'autres sujets ». Je suis en conséquence pour
le moins surpris de l'amendement adopté à l'Assemblée nationale avec l'accord
du Gouvernement et de l'absence de prise de position de la commission des
affaires sociales, qui remettent en cause le travail parlementaire concernant
le harcèlement moral. En chargeant désormais la victime, et non l'employeur,
d'établir la preuve et en lui interdisant le recours à une personne extérieure
libre de toute pression de l'entreprise, vous rendez impossible de fait la
quasi-totalité des recours formulés par les salariés. Vous revenez à la
situation qui prévalait avant la loi de modernisation sociale.
Je ne peux terminer mon propos sans citer M. André Solé, sociologue et
professeur à HEC, qui, dans un article paru dans
Le Figaro
, en avril
dernier, et intitulé « Pour le droit de dire non à l'actionnaire », écrivait :
« Lorsque des intérêts particuliers menacent l'intérêt général, l'Etat doit
intervenir pour défendre ce dernier. C'est sa mission, sa raison d'être. Exiger
"moins d'Etat", n'est-ce pas préférer un monde se référant à un intérêt général
réduit ?... Tout se passe comme si l'appétit de l'actionnaire n'avait pas de
limites, comme si l'intérêt d'une catégorie de citoyens était supérieur à
l'intérêt général... L'incapacité de l'Etat à protéger l'intérêt général finit
par apparaître pour ce qu'elle est : une décision. »
Face à la voracité des intérêts particuliers, nous sommes résolument du côté
de l'intérêt général, du côté des salariés pour obtenir de nouveaux droits.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC
défendra des propositions d'avancées sociales et votera contre ce projet qui
préfigure un recul grave des droits des salariés.
(Applaudissements sur les
travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet.
Roland Muzeau ne m'en voudra pas, je l'espère, d'afficher quelques divergences
avec les propos qu'il vient de tenir.
(M. le rapporteur rit.)
M. Guy Fischer.
Cela ne nous étonnera pas !
M. Louis Souvet.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai dit en
commission ce que je pensais de ce projet de loi. Si je me répète ce soir à la
tribune, c'est avant tout pour replacer les choses dans un contexte que je
voudrais raisonnable et donc apaisé, contrastant avec ce que nous avons vécu en
fin d'après-midi dans cet hémicycle.
Permettez-moi donc avant toute chose d'adresser mes félicitations à Alain
Gournac, notre rapporteur, et aux fonctionnaires du Sénat qui l'ont accompagné
dans sa démarche. Ils ont accompli un travail de qualité dont je veux les
remercier.
Mais c'est en priorité à vous, monsieur le ministre, que je veux m'adresser ce
soir. Vous êtes la cible de ceux qui s'opposent - par conviction ou par
principe - à votre projet. Il est donc naturel que vous trouviez aussi quelques
appuis.
Je voudrais d'abord dire à tous ceux qui ne l'auraient pas encore compris que
nous sommes tous ici, sans exception, opposés au licenciement.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Louis Souvet.
Un licenciement, c'est toujours un drame, et ce à plusieurs niveaux.
C'est un drame que vivent le licencié et sa famille. Cette dernière sera
privée de ressources convenables, tandis que le licencié n'aura, souvent, pas
d'autre horizon que l'inaction ou la reconversion.
C'est un drame pour l'entreprise, pour qui licencier traduit une série
d'échecs : l'échec de son produit, de sa gestion financière, de sa politique de
gestion, de ses ressources humaines, etc.
C'est un drame pour l'employeur, qui a souvent investi tout ce qu'il possédait
dans une idée à laquelle il croyait et qui voit ses espoirs ruinés. Toutes les
entreprises ne sont pas des multinationales ! Vous le savez bien, mes chers
collègues.
C'est un drame pour l'équipe dirigeante, qui avait conçu un projet, un produit
et que boude sa clientèle.
Ces choses étant entendues, vous avez adopté, monsieur le ministre, une
démarche qui j'approuve pour différentes raisons.
D'abord, vous avez choisi de geler, pendant dix-huit mois, les effets sur le
travail de la loi de modernisation sociale. Ce temps sera mis à profit pour
observer. Il eût été plus simple, convenez-en, plus confortable, mais peut-être
moins courageux et moins objectif, de choisir l'abrogation. Le texte aurait
alors été résumé en trois lignes !
M. Alain Gournac.
rapporteur.
C'était fini !
M. Louis Souvet.
Le gel de dix-huit mois - et c'est mon second motif de satisfaction - porte à
la réflexion. Vous voulez, si je vous ai bien compris, instaurer un autre état
d'esprit, tisser d'autres liens, dont celui, qui nous fait tant défaut, de la
confiance. Je voudrais vous en féliciter. C'est un objectif ambitieux. Mais
attention, monsieur le ministre, la route est longue ! Elle sera sans aucun
doute hérissée de nombreuses difficultés. La réussite n'est pas obligatoire.
Car toute la différence est là. L'erreur de nos prédécesseurs - selon moi - a
été de croire que la loi pouvait tout régler.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Absolument !
M. Louis Souvet.
Bien évidemment, vous avez compris que ce n'est pas possible. Il faut se
connaître, se comprendre, prendre le temps de s'observer, de se jauger,
d'échanger, voire de fixer des objectifs communs afin d'instaurer un vrai
dialogue social. Il faut que les uns comprennent que rien ne peut se faire sans
les autres, le patron a besoin de son personnel, le personnel ne peut vivre
sans les entrepreneurs, ceux qui entreprennent et créent des emplois. La lutte
des classes me semble appartenir au passé, et c'est heureux pour tous.
Mais le dialogue n'est pas une fin en soi. Le dialogue social n'a de raison
d'être que s'il est conduit avec sagesse, dans un souci d'équilibre. Il doit
apporter au texte ce que la loi ne peut lui donner. Il en est le complément
naturel, l'habillage charnel.
Le président de la commission des affaires sociales nous disait, sur le ton de
la plaisanterie, en brocardant la belle profession qui est la sienne, qu'il y a
deux types de maladies : celles qui se guérissent seules et celles devant
lesquelles le médecin est impuissant. Cela m'a beaucoup marqué. Il ne faut
surtout pas que le dialogue social que vous voulez instaurer, monsieur le
ministre, puisse s'identifier à cette image. Il devra donc être parfaitement
maîtrisé de manière qu'il aboutisse, dans un souci, je le répète,
d'équilibre.
Nous savons, M. le rapporteur l'a précisé, que tous les partenaires sociaux
sont ouverts à la négociation. J'en suis personnellement heureux. Mais je vous
demande, monsieur le ministre, d'être attentif à la manière dont certaines
entreprises étrangères en particulier qui ont investi dans l'Hexagone se
comportent. Il y a des licenciements « arrangés » qui devraient attirer
l'attention de vos services de l'emploi en région !
Le droit en matière de licenciement n'est pas seulement complexe du fait du
code du travail qui le régit. Il doit intégrer une autre dimension qui est
celle du coeur et qui n'a rien à voir avec la froideur de la loi. Il nous
appartiendra d'accompagner les mesures dictées par la loi pour qu'elles soient
efficaces et empreintes d'un maximum d'humanité.
On peut regretter que, au fil des lois, au fil des ans, le droit de
licenciement n'ait réservé qu'une place très étroite, trop étroite au dialogue
social. C'est à cela, monsieur le ministre, que vous avez décidé de porter
remède. Je m'en réjouis, même si je sais, comme vous, qu'il faudra être
patient. On ne change pas les habitudes, les mentalités en un tournemain.
Il y a, en effet, bien des cas de licenciement. Nous aurions tort de les
classer tous au même niveau.
Il y a l'entreprise qui licencie parce qu'elle est en réelle difficulté
financière : son carnet de commandes s'effrite, elle ne vend plus ce qu'elle
produit.
Il y a celles qui ne se sont pas réorganisées. Victimes d'un encadrement
vieillissant, elles n'ont pas su prévoir la suite. Elles affichent un réel
déclin. Mais tout n'est pas perdu. Il faut accepter de perdre un peu pour
sauver et repartir.
Il y a celles, aussi, souvent dénoncées et servant de modèles - et d'excuses
ou de justification à ceux qui combattent l'initiative privée. Celles-là sont
en bonne santé. Elles construisent des produits qui se vendent bien. Elles
investissent à l'étranger des capitaux souvent gagnés sur notre sol. Elles
obéissent à la loi du « toujours plus », et « restructurent » - comme on dit
pudiquement - leurs systèmes de production. Il n'est pas moral de leur venir en
aide. Et, sans vouloir revenir sur le débat de cet après-midi, je dis, à
l'échelon départemental, c'est-à-dire au niveau de proximité, les services de
l'Etat doivent contrôler sans faiblesse si les engagements qui ont été pris en
échange d'aides publiques sont tenus.
A votre méthode, que j'approuve, vous ajoutez un volet sur l'expérimentation.
S'il y a un domaine où celle-ci doit trouver sa place, c'est bien celui-là.
Toutes les parties engagées ont, chacune, une connaissance des problèmes. Elles
ont donc leur place dans la recherche de solutions. Mais l'expérimentation ne
peut être le dérèglement sans limites. Elle ne signifie pas faire n'importe
quoi. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je vous demande
d'être très attentif aux expériences qui vous seront proposées. Pour utiliser
une image empruntée à la conduite automobile,...
M. Guy Fischer.
Vous êtes un expert !
M. Louis Souvet.
... je dirai qu'il faudra s'appliquer à réaliser des dérapages contrôlés.
Voltaire a écrit que, sous l'Ancien Régime, quant on traversait la France, on
changeait plus souvent de loi que de cheval. Il ne s'agit pas de tomber à
nouveau dans ce travers, même si, comme l'a précisé M. le rapporteur,
l'expérimentation offre une foule d'opportunités.
On a dit, concernant le projet de loi de modernisation sociale, qu'il avait
laissé la part belle à l'imagination débridée ou au souci de revanche - je
m'interroge - des députés. Je citerai, à l'appui de cette thèse, le fait que le
projet du précédent gouvernement comportait six articles lors de son dépôt à
l'Assemblée nationale, et trente à l'issue de la discussion. Bien évidemment,
il n'est pas difficile, dans ces conditions, d'imaginer que les partenaires
sociaux n'ont pas été consultés.
Pour se convaincre de l'imagination débridée des députés, il suffit de lire
l'article 96 de la loi de modernisation sociale, qui oblige l'employeur en
difficulté - s'il ne l'a pas déjà fait - à conclure un accord sur la réduction
du temps de travail avant d'être autorisé à présenter un plan social. Dieu que
ce terme « plan social » me déplaît quand il s'agit de licencier ! On aurait pu
trouver autre chose... La langue française me semble suffisamment riche.
Convenez en tout cas avec moi qu'il faut avoir une méconnaissance incroyable de
la vie de l'entreprise pour faire de telles propositions ! Et l'on connaît le
dur labeur qu'il a fallu fournir pour arriver à des accords sur les 35 heures,
accords qui sont, pour une large part, à l'origine de nombreux problèmes
touchant à la survie de nos entreprises et de nos hôpitaux ! L'article 100 de
la loi de modernisation sociale n'est d'ailleurs pas meilleur...
Mais, à observer les plans sociaux qui succèdent aux licenciements déguisés, à
déplorer les privations d'emplois, souvent opérées, d'ailleurs - à la
satisfaction des employés - et avec la complicité des organisations syndicales
sous la forme de départs en préretraite, de cessation d'activité des salariés
âgés et autres mesures largement aux frais de la collectivité nationale, on
explique bien, - même si on ne l'excuse pas, l'attitude des députés de
l'Assemblée nationale il y a moins d'un an.
Vous avez affirmé devant notre commission votre volonté de rendre les départs
avant soixante ans plus coûteux, dans un pays qui reste le champion des
retraités jeunes et qui, par ailleurs, manque de compétences dans son économie.
Nous ne pourrons que vous suivre dans cette voie.
Pour terminer, monsieur le ministre, vous aurez compris que je voterai votre
projet de loi, parce qu'il vise à associer l'ensemble des forces de
l'entreprise et parce qu'il fixe des objectifs humains auxquels j'adhère
pleinement. Il tend à mobiliser toutes les forces de nos territoires et appelle
au partage des responsabilités, à la mise en commun des idées et ne se
satisfait pas de la chape de la loi. Il oblige à porter le regard plus loin,
afin de construire la société dont nous avons besoin pour affronter en commun
l'avenir. C'est une finalité gaullienne qui ne m'a pas échappé et à laquelle,
vous l'avez compris, j'adhère.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto.
Monsieur le ministre, vous étiez attendu avec impatience par la majorité
d'entre nous, car il nous a fallu peu de temps pour mesurer tous les effets
négatifs de la loi du 17 janvier 2002, loi que certains, avec un cynisme
incroyable, ont qualifiée de « modernisation sociale » !
En effet, il est vraiment temps de mettre un terme à la lourdeur de la
procédure de licenciement, et il est temps également de redynamiser la
négociation interprofessionnelle pour la placer au coeur des relations entre
les salariés et le patronat. Aussi, lorsque vous nous proposez, dans votre
projet de loi, de suspendre plusieurs dispositions de la loi de modernisation
sociale et de relancer une négociation interprofessionnelle à l'échelon
national pour trouver un accord sur les règles à mettre en place en matière de
licenciements, nous ne pouvons qu'être d'accord.
Cette fameuse loi du 17 janvier 2002 - on a rappelé tout à l'heure les
circonstances dans lesquelles elle a été élaborée - a été fortement et à juste
titre critiquée, notamment parce qu'elle alourdit excessivement la mise en
oeuvre d'un licenciement économique ou d'une restructuration d'entreprise.
En formalisant les procédures, le dispositif place les entreprises dans un
contexte d'insécurité juridique qui les met perpétuellement à la merci d'une
sanction judiciaire pour non-respect des formes. Un certain nombre
d'entreprises, et pas seulement des multinationales, ont déjà fait les frais de
cette judiciarisation de la procédure. J'en connais une, installée dans l'ouest
de la France, qui est en train de déménager pour s'installer en Espagne, à
cause précisément des contraintes liées à la judiciarisation qu'elle a subie
ces dernières semaines lorsqu'elle a dû réaliser un ajustement d'effectif. Ce
ne sont pas de simples vues de l'esprit, ce sont des difficultés réelles que
nous rencontrons en permanence.
Par ailleurs, le dispositif qui a été mis en place semble avoir un effet
totalement inverse de celui qui était souhaité par le précédent gouvernement.
En effet, en multipliant les consultations formelles des salariés, la loi
envenime les relations et exacerbe les tensions au lieu de développer un climat
de confiance entre les deux parties. Monsieur le ministre, devant la commission
des affaires sociales, vous n'avez pas craint de qualifier cette loi
d'antiéconomique et d'antisociale, et vous avez bien fait, même si les termes
sont un peu forts.
En premier lieu, la loi est antiéconomique, parce que l'allongement des
procédures conduit à la disparition d'entreprises. J'en donnais un exemple tout
à l'heure. Et cela ne se passe pas que dans les grandes entreprises ! C'est
aussi le cas dans toutes les PME, mais nous parlons beaucoup des
délocalisations lorsqu'il s'agit de multinationales, et pas du tout quand c'est
le fait de PME.
La plupart du temps, sauf dans un cas qui a été rappelé tout à l'heure, les
chefs d'entreprise n'en parlent pas non plus. On s'aperçoit seulement qu'ils
passent de plus en plus de temps dans les pays du Maghreb, de l'Europe de l'Est
et de l'Asie. S'ils s'y rendent tous les mois ou tous les quinze jours, ce
n'est pas pour faire du tourisme !
En second lieu, la loi est antisociale, car l'allongement des procédures a
conduit non seulement à la disparition de ces entreprises, mais aussi - il faut
le savoir - au développement de pratiques détestables. C'est ainsi que l'on
voit ressurgir des procédures de licenciement pour faute personnelle ou pour
faute grave qui sont, le plus souvent, sujettes à caution.
En 2001, le rapport fait au Premier ministre sur l'attractivité du territoire
français par MM. Charzat, Hanotaux et Wendling, soulignait qu'à côté des
reproches traditionnellement formulés sur la fiscalité française
l'environnement juridique et social, perçu comme complexe et opaque,
constituait la principale faiblesse de la France. Loin de nous l'idée d'avancer
qu'il ne faut pas de législation en matière sociale et que celle-ci ne doit pas
évoluer, bien au contraire ! Mais, lorsque cette législation est complexe,
lorsqu'elle change tout le temps et qu'elle est opaque, les investisseurs
fuient.
Lorsqu'on interroge les dirigeants de filiales étrangères sur ce qui, selon
eux, constitue l'écueil majeur à l'investissement en France, ils citent à 85 %
les rigidités sociales, à 84 % les 35 heures, à 63 % la législation sur la
gestion des effectifs et à 62 % les lourdeurs administratives. Cela explique
que les entreprises, au moment de monter un projet d'investissement,
c'est-à-dire au moment où elles ont besoin de stabilité et de prévisibilité,
quittent notre pays.
Je sais, c'est dur à entendre, mais c'est la réalité : une législation
mouvante, des procédures longues, l'intervention toujours possible du pouvoir
judiciaire dont on ne sait jamais - c'est normal, c'est sa nature - comment il
va réagir rendent très difficiles les investissements dans notre pays. C'est
pourquoi j'approuve sans hésitation votre logique de rupture avec le dispositif
de la loi de « modernisation sociale » le mot m'a échappé... pardon !
C'est à bon escient que vous proposez la suspension d'un certain nombre de
procédures, comme la non-concomitance dans le temps des procédures de
consultation, l'extension des interventions de l'inspection du travail ou
encore la procédure adoptée par les députés dire « amendement Michelin ».
Toutefois, monsieur le ministre, à l'instar d'un certain nombre de mes
collègues de l'Assemblée nationale, je regrette que cette réforme ne soit pas
plus ambitieuse...
M. Roland Muzeau.
Cela viendra, rassurez-vous !
M. François Zocchetto.
... au sens où elle aurait pu abroger purement et simplement les dispositions
critiquées.
M. Guy Fischer.
C'est le premier pas. Ah, le centriste !
M. François Zocchetto.
Comme M. le rapporteur, vous avez, monsieur le ministre, exprimé votre
opposition à cette abrogation. L'un comme l'autre, vous avancez l'idée qu'elle
n'aurait pas permis un dialogue susceptible d'aboutir à des propositions
constructives. La solution retenue est donc la suspension des articles
concernés.
Nous regrettons ce choix, car, à l'inverse, l'abrogation permettrait, selon
nous, de fonder des négociations sur une base juridiquement stable. En effet,
le dispositif actuel de la loi ne convient pas, tout le monde s'accorde à le
dire, y compris les syndicats représentants les salariés. L'abrogation aurait
donc permis de placer les partenaires sociaux devant leurs responsabilités, en
les obligeant à trouver un accord.
Nous sommes cependant un peu inquiets, car le risque existe que certains ne
bloquent les négociations, que ce soit les représentants des employeurs ou ceux
des salariés. Peut-être certains seront-ils tentés, en effet, d'agir pour que,
à l'expiration de la période de dix-huit mois, aucun accord ne soit trouvé et
que des voies plus consensuelles ne puissent être empruntées.
Le risque existe également que les uns négocient sur la base des anciennes
dispositions, sans chercher à trouver un accord se fondant sur les procédures
nouvelles. On risque alors de se trouver dans le cas de figure qu'a connu le
précédent gouvernement.
Votre projet de loi vise également à relancer le dialogue social. Sur cet
objectif, nous sommes, évidemment, totalement d'accord avec vous. Pendant la
durée de la suspension, des négociations interprofessionnelles seront lancées
au niveau national, nous assurez-vous, afin qu'un accord soit trouvé sur les
règles à appliquer en cas de licenciement économique.
Il est impératif aujourd'hui de renouer avec le dialogue social. Il faut
incontestablement placer les personnes concernées face à leurs responsabilités,
en les obligeant à trouver des solutions qui soient à la fois équilibrées et
réalistes, car si la théorie est belle en matière de législation sociale, la
réalité existe, et elle s'impose, surtout dans le contexte de mondialisation
que nous connaissons.
Il est également prévu dans votre projet de loi - cela est très intéressant -
que, pendant la période transitoire, des accords de méthode pourront être
conclus afin de fixer des règles d'information et de consultation du comité
d'entreprise. Ces accords, qui ont un caractère expérimental, serviront
d'exemple pour les négociations organisées à l'échelon national.
Il s'agit maintenant de privilégier une attitude participative des partenaires
sociaux, de ne plus emprunter le chemin que certains avant vous ont cru bon
d'ouvrir et qui a donné lieu à des attitudes attentistes, dont les effets sont
si mauvais.
Le groupe de l'Union centriste ne peut que souscrire à cette méthode qui, de
surcroît, est conforme au droit européen. En effet, la directive du 20 juillet
1998 sur les licenciements collectifs prévoit que, « lorsqu'un employeur
envisage d'effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder à
des consultations de représentants des travailleurs en vue d'aboutir à un
accord ».
Ce principe de consultation et de négociation, auquel vous tenez tant,
optimise les chances de succès des restructurations d'entreprise. Car, cela a
été très bien dit par mes collègues, ce n'est jamais de gaieté de coeur que
l'on restructure une entreprise. C'est toujours contraint et forcé. L'employeur
vit donc cette restructuration aussi durement que les salariés concernés.
M. Roland Muzeau.
Bien sûr !
M. Guy Fischer.
C'est pour faire plaisir à la bourse !
M. François Zocchetto.
Je tiens, en outre, à souligner mon attachement à la protection des salariés
touchés par des licenciements économiques. Suspendre les dispositions de la loi
de modernisation sociale est une exigence aujourd'hui, mais cela ne doit pas se
faire au détriment des salariés. Notre objectif est de renouer avec un lien
social dynamique et productif au sein de l'entreprise. Nous devons trouver
l'équilibre entre les intérêts de l'entreprise et ceux des salariés.
Il faut également condamner les licenciements - vous allez être satisfait ! -
qui visent uniquement à améliorer les résultats financiers et boursiers.
M. Roland Muzeau.
Comment ?
M. François Zocchetto.
Nous savons aussi que la plupart des groupes qui sont cotés au CAC 40 ont un
actionnariat majoritairement étranger et sont détenus par des fonds de pension
américains et britanniques. Nous sommes lucides et nous savons qu'il faut
veiller à limiter ces pratiques condamnables, car la situation des salariés
français ne doit pas dépendre des résultats de la bourse de New York ou de San
Francisco.
M. Roland Muzeau.
Il fallait déposer des amendements ! Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. François Zocchetto.
Enfin, nous approuvons les articles 4 et 5 introduits par les députés
concernant le harcèlement moral. En effet, le renversement de la charge de la
preuve nous semble justifié, car il vise à limiter les cas de dénonciation
abusive, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques, sans nuire aux
intérêts des salariés.
Tels sont, monsieur le ministre, les éléments que je tenais à apporter au
débat au nom du groupe de l'Union centriste, qui, exceptée la réserve que j'ai
émise, approuve dans son ensemble le dispositif que vous nous proposez ce soir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je
voudrais brièvement répondre aux orateurs, et surtout remercier le rapporteur,
M. Alain Gournac, du travail tout à fait considérable qu'il a réalisé et qui
illustre bien les graves défauts de la loi de modernisation sociale qu'il a mis
en lumière.
Au-delà des positions convenues, il a évoqué la capacité des partenaires
sociaux à s'asseoir à la table de négociation pour faire, comme ils l'avaient
déjà fait dans le passé, évoluer le droit du licenciement dans le sens d'une
meilleure protection des salariés et de l'entreprise, les deux ayant des
intérêts qui sont liés.
Je le remercie également d'avoir replacé ce projet de loi dans un ensemble de
textes que le Gouvernement vous a présentés, ou va vous présenter, et qui a sa
cohérence, laquelle a d'ailleurs été soulignée aussi par les orateurs du groupe
communiste républicain et citoyen. Ces textes visent, d'une part, à libérer, à
assouplir, à rendre moins lourdes les réglementations qui pèsent sur notre
économie, car nous devons être compétitifs, et, d'autre part, à rendre le
dialogue social plus vivant, plus équilibré, et surtout moins crispé qu'il ne
l'est, de tradition, donc depuis longtemps, dans notre pays !
M. Alain Gournac a eu raison, notamment, d'élargir son analyse en comparant la
situation de notre pays à celle de nos voisins européens. Il me permet ainsi,
en le citant, de répondre à plusieurs orateurs qui se sont exprimés pour ou
contre cette idée que le droit social français ne serait finalement pas, par
rapport aux autres pays européens, si pesant pour les uns ou trop pesant pour
les autres.
De telles comparaisons nous amènent - et vous ont amenés - à une critique
radicale de la loi de modernisation sociale. Sont en cause, dans cette affaire,
non seulement la longueur des procédures, qui se retourne contre les salariés
eux-mêmes, mais également l'insécurité juridique - M. François Zocchetto vient
d'y insister - engendrée par la complexité, l'ambiguïté et la pénalisation des
procédures.
Ce qui nous distingue réellement de nos voisins européens, c'est la faiblesse
de notre culture en matière de dialogue social. La directive 98-59 de la
Communauté européenne souligne pourtant son importance, en particulier dans les
circonstances difficiles qui précèdent un licenciement.
Les quelques expériences d'accords de méthode que j'ai détaillées devant votre
commission montrent que ce sont des accords « gagnant-gagnant ». Je souhaite
que nous donnions toutes leurs chances à de tels accords, à l'expérience qu'ils
représentent et, ensuite, à la négociation entre les partenaires sociaux.
Enfin, M. le rapporteur ne m'en voudra pas de lui dire que, tout comme M.
Louis Souvet, j'ai senti dans son discours une fibre gaulliste qui ne pouvait
pas manquer de m'émouvoir.
Avec beaucoup de nuances, M. Chabroux a présenté le projet du Gouvernement
comme étant la nouvelle étape d'une entreprise de démolition. Mais que serait
notre démocratie si, alors que les Français viennent de nous donner la
majorité, nous continuions à vivre avec les textes que vous avez votés, que
nous avons combattus et dont nous pensons qu'ils sont mauvais pour notre
économie ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
C'est fou ! On devrait ne rien changer, selon eux !
M. François Fillon,
ministre.
Pourrions-nous continuer à parler à nos électeurs si nous
appliquions sans discuter les réformes que vous avez votées, que nous avons
combattues et que nous estimons mauvaises ? J'ai envie de dire que, si nous le
faisions, nous serions condamnables vis-à-vis de la démocratie et de son
fonctionnement, car notre rôle est bien de réduire le plus possible - certains
dans la majorité trouvent que nous ne le faisons pas assez - les effets
négatifs des textes que vous avez votés. Et il est vrai que vous en avez voté
beaucoup de textes - 35 heures, loi de modernisation sociale... - qui non
seulement alourdissent l'économie, mais aussi, on le voit chaque jour, pèsent
un peu plus sur les comptes du pays et rendent de plus en plus difficile sa
modernisation.
Nous, nous libérons, nous assouplissons. C'est évidemment une philosophie qui
est assez éloignée de votre culture, ce qui vous fait dire que nous n'avons pas
de projet politique ! Pour vous, un projet politique c'est en effet un texte de
loi composé d'articles suffisamment nombreux pour bien encadrer toutes les
situations, au point que ne subsiste pas l'ombre d'une hésitation dans la
conduite de l'entreprise ! Notre projet politique à nous consiste, au
contraire, à donner la liberté, à assouplir et à retirer des textes plutôt qu'à
en faire voter de nouveaux.
Sans poursuivre trop longtemps ce débat polémique avec M. Chabroux, je
souhaite répondre à quelques questions qu'il a évoquées pour essayer de le
rassurer.
Tout d'abord, cette loi ne donne naissance à aucun imbroglio juridique.
(M. Gilbert Chabroux s'exclame.)
J'ai bien compris que vous faisiez
référence à des propos tenus à l'Assemblée nationale, mais j'y ai répondu.
D'ailleurs, ces propos n'ont pas été repris par François Zocchetto, qui est un
avocat beaucoup trop fin pour ne pas savoir que ce texte ne s'appliquera pas
qu'aux plans sociaux et aux licenciements qui seront décidés après sa
publication : à l'évidence, les plans sociaux et les licenciements qui auront
été lancés avant la promulgation de ce projet de loi seront du ressort de la
loi de modernisation sociale.
Ensuite, s'agissant du harcèlement moral, vous essayez de faire croire aux
Français que cette majorité irresponsable voudrait priver les salariés de la
possibilité que vous leur avez offerte de faire référence au harcèlement moral
et de se défendre. Or vous savez bien, vous qui êtes également un fin juriste,
monsieur le sénateur, que tout cela n'a aucun sens, car le texte qui avait été
voté était complètement déséquilibré : toute la charge de la preuve reposait
sur le responsable de l'entreprise, c'est-à-dire sur celui qui était accusé de
harcèlement moral. Nous avons simplement voulu rétablir un peu l'équilibre en
revenant aux traditions du droit français : c'est le salarié qui s'estime
victime d'un harcèlement moral qui enclenche la procédure, et c'est l'accusé
qui doit se défendre et apporter la preuve de son innocence. Il s'agit d'une
procédure équilibrée.
Quant à la modification du système de médiation, à l'évidence, imposer un
médiateur à l'une des parties, comme c'était le cas dans la loi était une
conception un peu particulière de la médiation. Dans mon esprit, le médiateur
est une personne acceptée par les deux parties pour essayer d'aboutir à un
accord. En cas de désaccord sur le choix du médiateur, le recours à ce dernier
est impossible et l'affaire est portée devant le juge. Or, en l'occurrence, le
texte prévoyait que le salarié pouvait imposer un médiateur au chef
d'entreprise. Nous avons simplement voulu rétablir l'équilibre : soit le
médiateur est accepté par les deux parties, soit la médiation est impossible
et, à ce moment-là, il y a lieu d'intenter un procès.
J'ajoute que nous avons retiré du texte une scorie à la suite d'une
proposition formulée, je le reconnais, par un parlementaire socialiste, afin
d'éviter le recours à la médiation en cas de harcèlement sexuel, ce qui ne nous
paraissait pas très logique.
M. Chabroux a également évoqué, comme M. Muzeau, les délocalisations et
l'attractivité du territoire, pour nous expliquer qu'au fond tout va
extrêmement bien dans notre pays...
M. Gilbert Chabroux.
Tout allait bien !
M. François Fillon,
ministre.
... en tout cas jusqu'à ce que nous arrivions, bien sûr !
La France était un pays très attractif. D'ailleurs, M. Chabroux l'a souligné,
les défaillances d'entreprises ont beaucoup baissé à partir de 1997.
Il n'a échappé à personne que notre pays a connu une période de croissance
entre 1997 et 1999...
M. Gilbert Chabroux.
Grâce à qui ?
M. François Fillon,
ministre.
... et que, dès lors, les défaillances d'entreprises ont été
moins nombreuses.
Monsieur Chabroux, il faut regarder les choses en face ! L'accélération des
délocalisations industrielles en France ne me réjouit pas. Elle représente un
véritable risque, qui était d'ailleurs mentionné dans le rapport Charzat, d'une
désindustrialisation de notre pays.
Aujourd'hui, nous connaissons encore une situation de création d'emplois. Tout
à l'heure, M. Muzeau a cité des chiffres relatifs aux plans sociaux, et ces
chiffres sont exacts, y compris pour ma région. Il a simplement oublié
d'ajouter qu'à côté il existe des entreprises qui créent des emplois.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Cela, c'est positif !
M. François Fillon,
ministre.
Par conséquent, pour le moment, alors que le contexte
économique n'est pas très favorable, notre pays continue de créer des emplois
dans les services et dans le bâtiment, mais il en détruit dans l'industrie. Il
y a donc un vrai risque de désindustrialisation de la France dans les années à
venir si nous ne sommes pas capables de prendre des mesures
(M. Roland
Muzeau s'exclame)
pour nous mettre au niveau non pas des pays à très bas
salaires, sans charges sociales ni droit social, mais simplement des autres
pays de l'Union européenne, qui sont nos concurrents directs sur tous les
marchés.
Ne pas voir qu'il y a aujourd'hui une accélération des délocalisations, ne pas
reconnaître qu'il existe un problème d'attractivité de notre pays dans le
domaine industriel, c'est évidemment se voiler la face.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
C'est être aveugle !
M. François Fillon,
ministre.
Je ne citerai qu'un chiffre : le montant total des
investissements en France des cent premières entreprises françaises
représentait, en 2001, 10 % du montant total desdits investissements,
c'est-à-dire que 90 % de ceux-ci étaient réalisées hors de notre pays. C'est un
véritable danger, et nous avons tous intérêt, même si nous n'avons pas
exactement la même lecture de la situation, à essayer de faire preuve d'une
plus grande objectivité pour y faire face.
Bernard Seillier a, lui aussi, souligné le fait que la suspension était non
pas synonyme de prudence, mais un témoignage de respect à l'égard des
partenaires sociaux et de leur libre arbitre.
Nous partageons, avec Bernard Seillier, la même philosophie du dialogue social
: ce doit être non pas uniquement un exercice obligé, mais le levier d'une
société plus participative, une société où la responsabilité est au coeur du
contrat social. C'est bien une nouvelle façon d'orchestrer et d'enrichir la
démocratie sociale qui est en jeu.
A cet égard, dire que les partenaires sociaux ne peuvent pas se mettre
d'accord sur une réforme du droit du licenciement parce que c'est difficile,
c'est nier leur capacité à prendre leurs responsabilités, mais c'est aussi nier
l'attente des Français à l'égard des partenaires sociaux : les Français
souhaitent que les partenaires sociaux soient responsables.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Bien sûr !
M. François Fillon,
ministre.
Et lorsque ceux-ci prennent leurs responsabilités, le mouvement
syndical en général ne s'en trouve que renforcé.
Ce n'est pas en laissant tel ou tel syndicat minoritaire ou tel ou tel pouvoir
prendre les décisions difficiles pour ne conserver que les revendications les
plus positives que les organisations syndicales augmenteront leur audience dans
notre pays. Si nous voulons que, demain, s'engage un vrai dialogue social, il
faut que les organisations syndicales soient proches, constructives,
responsables, et se respectent les unes les autres.
Si nous n'améliorons pas le dialogue social, les réformes que nous élaborons
peuvent, certes, corriger pour un temps la situation, mais elles ne résoudront
pas - j'en suis convaincu - les problèmes fondamentaux de l'économie française,
il nous faut moins de conflits, davantage de contrats et une plus grande
stabilité juridique, notamment à l'égard de l'extérieur. La meilleure façon
d'obtenir cette stabilité juridique, c'est de donner plus de responsabilités
aux partenaires sociaux, car lorsqu'ils les exercent en général, ils agissent
en respectant à la fois l'intérêt des entreprises et celui des salariés.
Nombre de textes qui ont été votés ces dernières années n'auraient pas pu
l'être si les partenaires sociaux avaient eu plus de responsabilités. J'ai sous
les yeux l'ensemble des déclarations qui avaient été faites par les partenaires
sociaux lors du vote de la loi de modernisation sociale, ainsi que le florilège
de toutes celles qui avaient été faites par des membres de l'actuelle
opposition - je vous en épargnerai la lecture : elles montrent à quel point les
partenaires sociaux avaient été mis devant le fait accompli.
M. Muzeau a évoqué l'accord qui est intervenu en ce qui concerne l'hôtellerie,
les cafés et la restauration. Je ne vais pas chercher à le convaincre : ce
serait difficile, car il a ses convictions et il les défend. Je me bornerai à
lui donner quelques indications.
Il a accusé le Gouvernement d'avoir remis en cause cet accord, au mépris du
dialogue social. Je lui rappelle que cet accord continue de s'appliquer : ce
qui a été remis en cause, c'est l'une de ses clauses.
Je livre cette clause aux membres de la Haute Assemblée : le gouvernement
précédent avait prévu que la décroissance des horaires dans cette profession
qui supporte des niveaux d'horaires très élevés - la décroissance n'était donc
pas la même que dans les autres professions - était obtenue en échange d'un
dispositif d'allégement de charges supplémentaire par rapport à celui de droit
commun qui avait été instauré par les lois Aubry.
Pour notre part, nous considérons que cette promesse faite par le gouvernement
précédent d'un allégement de charges supplémentaire, qui va au-delà des lois
Aubry - lois qu'en général vous combattez, d'ailleurs, avec la plus grande
énergie - n'est ni raisonnable ni possible à tenir compte tenu des conditions
économiques actuelles. Or, l'accord prévoyait que si cet allègement de charges
supplémentaire n'était pas effectué, la clause de l'accord sur la décroissance
ne s'appliquait plus.
M. Muzeau a également regretté que nous ne mettions pas en place l'accord
majoritaire pour les accords interprofessionnels, alors que nous l'avions
introduit pour l'expérimentation dans les entreprises s'agissant des accords de
méthode.
Je ne reprendrai pas le débat que nous avons déjà eu ici lors de l'examen de
la loi sur les 35 heures, au cours duquel j'avais démontré qu'il n'y a jamais
eu d'accord majoritaire lorsqu'il s'agit d'accords interprofessionnels. En
effet, aujourd'hui, aucun moyen fiable ne permet de mesurer ce qu'est une
organisation majoritaire dans une branche. C'est possible dans une entreprise.
On peut considérer que c'est également possible sur le plan national, car
quelques tests existent, comme les élections prud'homales. Mais c'est
impossible dans les branches.
Pour autant, ce n'est pas parce qu'un accord interprofessionnel sur la réforme
de la loi de modernisation sociale pourrait être conclu par un syndicat
minoritaire qu'une minorité va imposer sa loi à la majorité : c'est oublier que
cet accord doit être étendu. Du reste, s'agissant du texte qui nous occupe
aujourd'hui, l'accord devra conduire le Gouvernement à réécrire un projet de
loi, qui sera débattu par l'Assemblée nationale et par le Sénat. C'est dire si
le risque qu'une minorité impose sa loi n'est pas, aujourd'hui, un risque réel
!
Je voudrais rendre hommage, monsieur Souvet, à votre alliance subtile
d'humanisme et de pragmatisme : humanisme, car vous nous avez tous renvoyés au
devoir de solidarité envers les salariés qui se trouvent confrontés au drame du
licenciement ; pragmatisme, car vous avez bien saisi les mécanismes du projet
dont nous espérons le succès, et aussi parce que vous avez dénoncé les dangers
du « dérapage contrôlé ». Permettez-moi, à mon tour, de me référer à mon
expérience d'ancien président du circuit des 24 heures du Mans pour vous dire
que je sais de quoi je parle. Mais je sais que ce sujet n'est pas très «
politiquement correct » en ce moment.
(Sourires.)
Monsieur Souvet, vous avez évoqué les licenciements arrangés. Vous me donnez
ainsi l'occasion de dire une nouvelle fois que la loi de modernisation sociale
a eu notamment pour conséquence la multiplication de tels licenciements
arrangés.
Vous me permettrez de citer une organisation syndicale, la CFDT, qui
déclarait, le 13 janvier 2002 : « Cette nouvelle définition aurait même conduit
les entreprises à contourner le dispositif au moyen de licenciements
individuels et aurait privé les salariés de plans sociaux qui leur offrent des
garanties de formation ou de reclassement. »
La multiplication des licenciements arrangés est destinée à tourner les
conséquences de la loi de modernisation sociale, ce qui nous renforce dans le
sentiment que nous faisons oeuvre à la fois d'efficacité économique et
d'efficacité sociale.
Pour conclure, je souhaite convaincre M. Zocchetto que la suspension était la
seule voie possible pour conduire à la négociation. En effet, si nous avions
abrogé les dispositions que nous nous apprêtons à suspendre, je ne vois pas qui
aurait eu intérêt à négocier. Le patronat avait fait savoir assez bruyamment
qu'il n'avait pas l'intention de négocier, et les organisations syndicales
répétaient à l'envi que le sujet était beaucoup trop complexe pour qu'elles
s'assoient autour d'une table de négociation. Nous serions donc revenus au
droit antérieur, c'est-à-dire à celui de 1986, qui finalement ne satisfait
personne. L'incitation à négocier aurait donc été extrêmement faible.
La suspension, c'est le moyen que le Gouvernement a choisi pour faire un peu
pression, il faut bien le dire, un peu pression sur les partenaires sociaux
afin qu'ils négocient. En effet, dans dix-huit mois, il faudra rédiger un
nouveau texte. Les organisations syndicales ont donc intérêt à négocier si
elles veulent que leurs idées soient prises en compte dans ce texte. Et le
patronat a intérêt à ouvrir cette négociation s'il ne souhaite pas que le texte
que le Gouvernement proposera soit simplement la reconduction de la situation
de 1986.
Dans un contexte social différent, avec des partenaires sociaux qui auraient
eu plus d'appétit pour la négociation, l'abrogation aurait peut-être été une
bonne formule. En l'occurrence, la suspension est la meilleure méthode pour
conduire à l'engagement de cette négociation.
Je veux d'ailleurs dire à tous ceux qui ont manifesté un grand scepticisme
qu'ils se trompent, puisque certains partenaires sociaux ont déjà fait savoir
très clairement qu'ilx étaient décidés à négocier. Réussiront-ils ? C'est une
question à laquelle nous répondrons dans dix-huit mois.
Ma conviction est qu'ils peuvent réussir. Dans le cas contraire, les
négociations qu'ils conduiront seront, de toute façon, un indicateur
extrêmement intéressant pour préparer le texte que nous viendrons vous
présenter à l'échéance de ce délai de suspension.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable