SEANCE DU 9 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 58
septies.
- I. - A la fin de la dernière phrase du V de
l'article L. 5211-30 du code général des collectivités territoriales, les mots
: "pour atteindre 100 % en 2009" sont remplacés par les mots : "jusqu'en
2003".
« II. - Les dispositions du I s'appliquent à compter du 1er janvier 2004. »
La parole est à M. Yves Fréville, sur l'article.
M. Yves Fréville.
Mes chers collègues, cet article 58
septies
n'est pas anodin : il
touche à l'un des fondements du calcul de la dotation d'intercommunalité à
travers le coefficient d'intégration fiscale. Bien sûr, il ne gèle pas ce
coefficient d'intégration fiscale, qui pourra continuer à évoluer ; il gèle
simplement la part du coefficient d'intégration fiscale prise en compte dans
les formules de calcul et uniquement pour les communautés de communes qui ont
adopté la taxe professionnelle unique. C'est là un coup de semonce tout à fait
opportun face au dévoiement de la notion de coefficient d'intégration
fiscale.
La notion d'intégration fiscale était parfaitement justifiée dans son principe
: il convenait d'aider, de façon prioritaire, les communautés de communes qui
agissaient. Sur le fond, je suis totalement d'accord avec ce concept.
Simplement, il a été complètement détourné de son objet.
Tout d'abord, on a voulu en faire une sorte de coefficient d'intégration
budgétaire, c'est-à-dire qu'au lieu d'utiliser un mode de calcul simple on a eu
recours à un mode de calcul d'une effroyable complexité : plus personne n'est
capable d'expliquer à un président de communauté de communes comment est
réellement calculé ce coefficient d'intégration fiscale tant est difficile le
décryptage des différents transferts qui peuvent intervenir. D'ailleurs, les
préfets n'y suffisent pas : il faut transférer tous les dossiers à la direction
générale des collectivités locales, la DGCL, pour faire le travail.
Par conséquent, première critique : il faudrait simplifier le coefficient
d'intégration fiscale.
La deuxième critique est fondamentale : dans son état actuel, le coefficient
d'intégration fiscale est devenu totalement « contre-péréquateur ». En effet,
cela a été démontré à l'Assemblée nationale et je l'ai vérifié dans mon
département -, plus une communauté, que ce soit une communauté de communes ou
une communauté d'agglomération, est riche, plus son potentiel fiscal est élevé,
plus elle a un coefficient d'intégration fiscale fort. Inversement, plus elle
est pauvre, plus elle a un coefficient d'intégration fiscale faible, moins elle
va recevoir de dotations d'intercommunalité.
Je peux citer deux exemples : Morlaix, l'une des communautés d'agglomération
les plus pauvres, a un potentiel fiscal de 170, et un coefficient d'intégration
fiscale de 0,2 % ; à l'inverse, la communauté de l'étang de Berre, qui a un
potentiel fiscal très élevé de 870, a naturellement un coefficient
d'intégration fiscale également très élevé.
La raison en est très simple : on ne déduit pas l'allocation de compensation
en totalité et, naturellement, plus une communauté de communes a de TPU, plus
son numérateur augmente, et plus elle recevra de l'argent à ce titre.
J'en viens à la troisième et dernière critique : prendre en compte le
coefficient d'intégration fiscale est fortement inflationniste, car cela
favorise les communautés de communes qui développent leurs propres dépenses de
fonctionnement. Or, dans certains cas, il serait beaucoup plus opportun pour
elles de développer leurs dotations de solidarité, ce qui permettrait aux
communes importantes - et c'est le cas dans les régions de l'Ouest - d'assurer
elles-mêmes des activités qu'elles ne peuvent pas financer actuellement.
Monsieur le ministre, il me semble que l'Assemblée nationale a souhaité donner
un avertissement au Gouvernement. Je suis tout à fait d'accord avec ces
dispositions. Je suppose qu'il vous faudra réfléchir au devenir d'un
coefficient d'intégration fiscale rénové. C'est en ce sens que j'ai déposé un
amendement visant à demander au Gouvernement de présenter un rapport au
Parlement.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° II-124, présenté par MM. Miquel, Massion, Moreigne, Sergent,
Demerliat, Charasse, Lise, Haut, Marc, Angels, Auban et les membres du groupe
socialiste et rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° II-139, présenté par M. Fréville, est ainsi libellé :
« Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Le Gouvernement présentera au Parlement avant le 1er juillet 2003 un
rapport sur les voies et moyens d'une réforme du mode de calcul du coefficient
d'intégration fiscale et de sa prise en compte dans la détermination des
attributions de la dotation d'intercommunalité pour les diverses catégories
d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ce
rapport présentera notamment les mesures permettant de réduire les effets
contre-péréquateurs et l'incitation au développement des dépenses
communautaires de fonctionnement qu'engendre la législation actuelle. »
La parole est à M. Gérard Miquel, pour présenter l'amendement n° II-124.
M. Gérard Miquel.
Cet amendement a pour objet de supprimer l'article 58
septies
.
Je rappelle que les dispositions de cet article ont pour objet de geler la
part du coefficient d'intégration fiscale prise en compte pour la répartition,
à compter de 2004, de la dotation d'intercommunalité entre les établissements
publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique au niveau
atteint en 2003, soit 40 %.
Or cette part devait augmenter progressivement de 10 %, pour atteindre 100 %
en 2009.
Le gel du CIF irait à l'encontre du principe d'intercommunalité, à savoir
l'intégration des communes dans l'EPCI auquel elles appartiennent.
En outre, il est surprenant de constater que l'article 58
septies
vise,
selon ses auteurs, à lutter contre la course aux intégrations fictives, alors
qu'en réalité il aboutit exactement à l'effet inverse. En effet, le calcul du
CIF des EPCI à TPU tient compte des attributions de compensation et des
subventions de solidarité versées par l'EPCI à ses communes membres
puisqu'elles viennent minorer le CIF. Ainsi, l'EPCI à TPU qui perçoit un
montant élevé de taxe professionnelle mais qui en reverse la totalité à ses
communes est, à juste titre, pénalisé par un faible CIF.
Limiter la part du CIF prise en compte pour le calcul de la dotation
d'intercommunalité à 40 % revient à encourager la création d'EPCI qui ne
seraient que des coquilles vides. Ces EPCI détourneraient alors à leur profit,
et
in fine
à celui de leurs communes, les financements affectés aux
véritables EPCI, c'est-à-dire ceux qui jouent le jeu de l'intégration par
l'exercice réel de compétences. C'est la raison pour laquelle nous proposons
cet amendement.
M. le président.
La parole est à M. Yves Fréville, pour défendre l'amendement n° II-139.
M. Yves Fréville.
J'ai déjà défendu cet amendement dans mon intervention sur l'article, monsieur
le président.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s II-124 et II-139 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
L'article 58
septies
que le groupe socialiste
voudrait supprimer prévoit de geler la prise en compte du CIF à hauteur de 40 %
en 2003 pour une application à compter de l'année 2004. Cela ne signifie pas
que le CIF de chaque communauté de communes est gelé, car le gel ne porte que
sur le niveau de prise en compte du CIF dans le calcul de la dotation
d'intercommunalité.
Pour 2003 et pour les années suivantes, selon le texte qui est issu de
l'Assemblée nationale, le CIF sera donc pris en compte à hauteur de 40 % pour
le calcul des dotations de base et de péréquation des communautés de communes à
taxe professionnelle unique.
La disposition que nous examinons a été introduite par la commission des
finances de l'Assemblée nationale, dont le rapporteur général a estimé qu'il
fallait « faire une pause et examiner tranquillement les effets pervers » du
CIF, considérant que « le moment est venu d'établir un diagnostic, de porter un
regard critique sur le fonctionnement du CIF ».
Mes chers collègues, au regard de tous les débats qui ont eu lieu sur ce sujet
au cours des années passées, cette position nous semble raisonnable. Parfois,
la récompense de l'intégration des communautés de communes à taxe
professionnelle unique est telle que des groupements ont pu se lancer dans une
véritable course à l'intégration, motivée par des raisons strictement
budgétaires et sans que le projet d'intercommunalité et le souci d'apporter
véritablement un meilleur service aux contribuables aient été totalement
intégrés.
Dans ce contexte, faire une pause dans l'attente d'une révision approfondie
des modalités de calcul des concours financiers de l'Etat aux collectivités
locales ne paraît pas être une si mauvaise idée.
C'est en vertu de cette analyse, monsieur le ministre, que la commission a
émis un avis défavorable sur l'amendement n° II-124 et un avis favorable, bien
sûr, sur l'amendement n° II-139, qui tend à demander au Gouvernement de
présenter au Parlement, avant le 1er juillet 2003, un rapport sur les voies et
moyens d'une réforme du mode de calcul du CIF et de sa prise en compte dans la
détermination des attributions de la dotation d'intercommunalité pour les
différentes catégories d'établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité propre.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
A l'occasion de la discussion de ces mesures à
l'Assemblée nationale, le Gouvernement, par ma voix, s'est montré peu
enthousiaste à l'idée qui prévalait au sein de l'Assemblée nationale, dans sa
majorité. En effet, le mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale a
changé quasiment au cours de chacune de ces dernières années. Et c'est ce qui a
contribué à donner à l'intercommunalité une réputation de complexité, voire une
mauvaise réputation.
Certains avaient pensé qu'il fallait exclure du mode de calcul des
coefficients d'intégration fiscale ce que l'on appelait « les dépenses de
transfert ». Ensuite, on s'est rendu compte que certaines d'entre elles étaient
quand même vertueuses et que l'on avait commis une erreur. On les a donc
réintégrées dans le périmètre de calcul. Bref, on a assisté à des aller et
retour qui étaient incompréhensibles par nos collègues maires des quelque 37
000 communes de France.
Malgré cette constatation, nous disons que c'est assez peu nocif, puisque nous
ne faisons que geler un paramètre. Mais, en tout état de cause, nous continuons
à modifier le mode de calcul.
J'ai bien entendu l'argumentation d'Yves Fréville, que je respecte hautement
en raison de son expertise : certains groupements auraient fait de
l'optimisation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite attirer votre attention sur le
fait que nous légiférons non plus pour encourager les comportements plutôt
vertueux, mais exclusivement contre les abus. Or il y a quand même dans notre
pays des groupements qui souhaitent partager des compétences entre les
différentes communes qui les composent, parce que c'est plus logique et parce
que l'organisation des populations sur leur territoire le justifie : les
familles résident dans la première commune, travaillent dans la deuxième, font
leurs courses dans la troisième, ont leurs enfants scolarisés dans la quatrième
et fréquentent différentes associations dans la cinquième. Par conséquent,
elles doivent mettre en commun ce qui fait leur vie quotidienne. Pour certains
observateurs, cela apparaît comme de l'optimisation. Non, c'est le partage de
l'organisation de la vie au sein de l'intercommunalité !
Cela me conduit à penser qu'il faut absolument marquer une pause dans le
changement de périmètre du calcul du coefficient d'intégration fiscale. Au
fond, c'est ce que nos collègues de l'Assemblée nationale ont voulu dire et ils
l'ont traduit en gelant l'un des paramètres du calcul. C'est un nouveau
changement !
Je crains tout simplement que des intercommunalités de bonne foi - admettez
qu'il en existe quelques-unes en France ; il n'y a pas uniquement celles qui
font de l'optimisation - ne demandent à leur « receveur-percepteur », pour
reprendre une observation qui a été faite tout à l'heure à propos du réseau du
Trésor public, de procéder à des simulations et que, malgré toute la bonne
volonté du receveur-percepteur, celles-ci ne soient erronées, car nous auront
changé de mode de calcul au dernier moment.
Par conséquent, je reste très réservé sur ces dispositions. Je suis trop
respectueux de la représentation nationale pour vouloir combattre ses souhaits,
mais j'émettrai un avis de sagesse sur l'amendement n° II-124, après avoir émis
un avis défavorable à l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne l'amendement n° II-139 de M. Fréville, je ne vois que des
avantages à éclairer la représentation nationale par un rapport.
Si les deux amendements étaient adoptés, je trouverais cela parfait. Ainsi,
nous pourrions, d'un côté, ne pas modifier le mode de calcul du coefficient
d'intégration fiscale, et, de l'autre, nous doter d'un instrument qui nous
permettrait, dans un an, de travailler sur la base d'une analyse
approfondie.
Par conséquent, le Gouvernement ne peut également que s'en remettre à la
sagesse du Sénat sur cet amendement n° II-139.
Je ne vois pas de contradiction entre les deux amendements. Je pense même que
l'adoption des deux serait cohérente.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-124.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-139.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 58
septies,
modifié.
(L'article 58
septies
est adopté.)
Article 58 octies