SEANCE DU 9 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 74. - Il est inséré, après l'article 5 de la loi n° 2002-1138 du 9
septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, un article 6
ainsi rédigé :
«
Art. 6.
- A compter de 2004, le Gouvernement déposera chaque année
sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat, à l'ouverture de
la session ordinaire, un rapport ayant pour objet, d'une part, de retracer
l'exécution de la présente loi et, d'autre part, d'évaluer les résultats
obtenus au regard des objectifs fixés dans son rapport annexé et des moyens
affectés à la réalisation de ces objectifs. Ce rapport sera préparé par une
instance extérieure aux services concernés.
« Cette évaluation portera notamment sur :
« - l'instauration de la juridiction de proximité ;
« - la réduction des délais de traitement et la résorption du stock des
affaires civiles et pénales, des affaires relevant du contentieux prud'homal,
du contentieux administratif et du contentieux général de la sécurité sociale
;
« - les conséquences sur les services de justice de l'évolution de l'activité
des forces de sécurité intérieure ;
« - l'efficacité de la réponse pénale à la délinquance et en particulier celle
des mineurs ;
« - l'effectivité de la mise à exécution des décisions de justice ;
« - le développement de l'aide aux victimes ;
« - l'amélioration du fonctionnement et de la sécurité des établissements
pénitentiaires. »
La parole est à Mme Nicole Borvo, sur l'article.
Mme Nicole Borvo.
On a beaucoup parlé de courage ce matin ; j'espère que, en vertu de ce
courage, l'on ne verra plus des parlementaires défendre, aux côtés de la
population de leur circonscription, le maintien d'un service public dont ils
auront voté des deux mains la suppression !
En cet instant, je voudrais soulever quelques questions relatives à la justice
de proximité.
Si tout le monde souhaite une justice plus proche, personne n'a demandé la
création de juges de proximité. Ainsi, de nombreux magistrats se prononcent
contre cette mesure, et les critiques émises aujourd'hui sont les mêmes que
celles que l'on entendait avant l'examen du projet de loi organique, car ce
dernier n'a en rien rassuré les magistrats, en particulier les juges
d'instance. Bien au contraire !
On peut comprendre l'inquiétude des juges d'instance, car ils sont déjà des
juges de proximité, facilement accessibles et chargés de traiter les litiges de
la vie quotidienne. Ils craignent donc une remise en cause de leurs
compétences.
Par ailleurs, les tribunaux d'instance sont bien implantés sur le territoire
et rendent une justice peu coûteuse, puisque la présence d'un avocat n'est pas
obligatoire.
Enfin, cette justice est relativement rapide, puisque les affaires sont
traitées dans un délai de cinq mois en moyenne.
Par conséquent, avec la mise en place d'une nouvelle juridiction de proximité,
on risque de voir se créer un troisième ordre de juridiction. Une telle
création serait source de confusion et de difficultés d'articulation avec les
tribunaux d'instance.
Quoi qu'il en soit, les juges d'instance ne sont pas les seuls à se sentir
remis en cause. En effet, les juges de proximité empiéteront également très
largement sur les compétences des conciliateurs de justice, qui, bénévoles,
rendent pourtant une justice de qualité et gratuite. Leur fonction risque de
s'en trouver affaiblie, voire de disparaître, ce qui représenterait un retour
en arrière : cela reviendrait à « rejudiciariser » certains conflits qui se
règlent aujourd'hui par un autre biais, tel que la médiation ou la
conciliation.
Quant au statut des juges de proximité, il n'apporte aucune garantie
d'indépendance et d'impartialité. En effet, cette justice de proximité nous
ramène à la justice de paix, qui était vite devenue, après sa création, une
justice de notables.
D'ailleurs, le fait que le recrutement s'effectue presque exclusivement au
sein des professions juridiques, qui plus est dans le ressort du tribunal de
grande instance, peut faire craindre une proximité douteuse avec certaines
parties au procès.
Enfin, il s'agit d'une véritable « déprofessionnalisation », qui soulève de
graves problèmes, puisque la formation dispensée aux juges de proximité sera
minimale. Ils passeront quelques mois seulement à l'Ecole nationale de la
magistrature, alors qu'ils seront saisis pour des litiges dont l'enjeu pourra
atteindre jusqu'à 3 800 euros. Aujourd'hui, je le rappelle, les juges des
tribunaux d'instance suivent une formation de trente et un mois à l'ENM. Je
constate, en outre, que le projet de budget ne prévoit aucun crédit pour la
formation des juges de proximité.
En conclusion, monsieur le ministre, les crédits affectés à l'instauration de
la justice de proximité seraient plus utilement alloués aux tribunaux
d'instance : rendre la justice proche des citoyens et accessible, ce n'est pas
démanteler une justice de proximité existante pour essayer de créer autre
chose. En tout état de cause, le courage que j'ai évoqué tout à l'heure nous
sera nécessaire pour procéder à des évaluations, mais, d'ores et déjà, la
justice de proximité pose de nombreux problèmes, avant même d'avoir été mise en
place. Cela étant, je suis favorable à l'évaluation.
M. le président.
Je mets aux voix l'article 74.
(L'article 74 est adopté)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant le ministère de la justice.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize
heures cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)