SEANCE DU 2 DECEMBRE 2002
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
les services financiers.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Bernard Angels,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le budget des services financiers, qui
constituent le « coeur de métier » du ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie devrait s'établir pour 2003 à 10,8 milliards d'euros, en hausse
de 1,5 % en valeur.
Les dépenses restent stables en volume et se caractérisent par une diminution
nette des dépenses d'intervention. Au sein des dépenses du titre III,
l'évolution des crédits de personnel serait maîtrisée au profit des autres
dépenses de fonctionnement. Les crédits de paiement dédiés aux investissements
connaîtraient en 2003 une forte croissance, mais les autorisations de programme
seraient diminuées.
Un élément marquant dans ce projet de budget : en 2003, sera enregistrée une
diminution nette des effectifs de 1 350 unités. Cette diminution, qui
s'applique quasi intégralement aux services financiers, représente environ un
tiers des départs à la retraite des agents de Bercy en 2003 et 0,75 % des
effectifs. J'observe que cette diminution, supérieure aux efforts consentis par
les autres ministères, est en grande partie autorisée par les gains de
productivité réalisés au cours des dernières années.
Reconnaissons-le, monsieur le ministre, la présentation budgétaire des crédits
du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie s'est
considérablement améliorée au cours des dernières années et le périmètre du
ministère, après un ample mouvement de rebudgétisation qu'il convient de
saluer, est aujourd'hui stabilisé. Les chiffres soulignent l'ampleur de ces
rebudgétisations : entre 1999 et 2001, les crédits inscrits au budget du
ministère sont passés de 9,2 milliards à 14,1 milliards d'euros. Il reste peu
d'efforts à accomplir, hormis la réforme de la rémunération des conservateurs
des hypothèques, véritable serpent de mer de l'universalité budgétaire. Ni les
emplois ni les rémunérations, je le remarque, ne sont inscrits au « bleu »
2003.
Toujours en ce qui concerne la présentation de ce budget, je me félicite,
monsieur le ministre, du transfert des dépenses de gros équipement informatique
de la section de fonctionnement, où elles n'avaient rien à faire, à la section
d'investissement, comme je l'avais demandé dans mon rapport spécial en 2001.
Cet effort doit maintenant inspirer les autres ministères : une doctrine
commune en matière d'investissements, en particulier informatiques, doit
s'appliquer.
Je regrette, en revanche, la permanence de l'agrégat 31 « administration
générale et dotations communes », le plus important du « bleu », qui regroupe
des crédits de diverses directions, sans grande cohérence. La mise en oeuvre
progressive de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances en
soulignera la nécessaire réforme.
Venons-en à la gestion proprement dite du ministère. Convenons que la réforme
de Bercy doit être au centre de votre action, monsieur le ministre. Vous
bénéficiez tout d'abord des acquis engrangés au cours des dernières années, au
nombre desquels il faut ranger surtout la mise en place d'un interlocuteur
fiscal unique - illustré, par exemple, par le lancement au 1er janvier 2002 de
la direction des grandes entreprises - et une action marquante en faveur des
nouvelles technologies et des téléservices.
Après une année 2002 blanche pour la réforme en raison de la période
électorale, des annonces viennent d'être faites en comité technique paritaire.
La plupart de ces mesures prolongent la « réforme-modernisation » menée
précédemment : approfondissement de l'interlocuteur fiscal unique ;
décentralisation des interventions auprès des entreprises ; réforme, assez
timide néanmoins, du pôle PME ; meilleure répartition territoriale des services
; simplification de certaines procédures.
Deux mesures marquent, en revanche, une rupture d'inspiration avec la
politique menée précédemment.
Tout d'abord, le souhait formulé par le ministre de prendre en compte dans les
rémunérations et la carrière des personnels le mérite individuel suscite un
certain scepticisme quant aux modalités de mise en oeuvre. Ne pensez-vous pas,
monsieur le ministre, qu'après la refonte des primes des agents des ministères
- résultat de trois années de négociation - cette annonce constitue pour les
syndicats un noeud de conflit suffisamment important pour remettre en cause
l'ensemble de la réforme de Bercy, autrement plus ambitieuse dans ses objectifs
?
La seconde rupture, plus inquiétante selon moi, concerne l'abandon brusque de
la retenue à la source pour l'imposition sur le revenu.
La France, faut-il le rappeler, est le seul pays développé à ne pas prélever à
la source l'impôt sur le revenu. Il convient aussi de préciser qu'il s'agissait
d'une promesse électorale de l'actuel Président de la République.
Votre proposition, monsieur le ministre, en lieu et place de cette réforme, de
faire progresser le nombre de contribuables mensualisés et de faire avancer la
déclaration préremplie ne me paraît pas à la hauteur des enjeux liés à une
meilleure acceptation de l'impôt par les Français et à une meilleure gestion du
service public de l'impôt. Certes, pour la retenue à la source, il faut un
identifiant fiscal unique. Mais la déclaration préremplie exige aussi, monsieur
le ministre, cet identifiant fiscal unique.
Vous savez également combien la déclaration préremplie mobilise peu les
contribuables. Dans un récent rapport du Conseil des impôts, les résultats d'un
sondage indiquent que, selon un quart des personnes interrogées, ce projet
n'est « pas du tout intéressant ». Le conseil des impôts analyse cette
situation ainsi : « L'adhésion somme toute mesurée à la déclaration préremplie
peut s'expliquer par le fait que les obligations déclaratives n'entraînent,
pour une forte majorité de contribuables, qu'une charge de travail modérée,
dont la suppression n'entraînerait qu'un avantage relativement marginal. » Le
même sondage nous apprend que deux tiers des personnes interrogées ont déclaré
avoir entendu parler du projet de retenue à la source. Ce résultat me paraît
témoigner d'un degré d'information satisfaisant des contribuables sur les
projets de réforme des modalités pratiques de l'imposition sur le revenu.
Quel est l'avantage de la retenue à la source pour les contribuables ? Il me
semble que le calcul de l'impôt sur les revenus de l'année en cours et non plus
sur ceux de l'année précédente favorise une plus grande lisibilité et une
meilleure compréhension de l'impôt. Ainsi, le Conseil des impôts, qui réitère,
cette année encore, son soutien à la retenue à la source, considère que la
suppression du décalage d'un an entre la perception des revenus et leur
imposition constituerait un premier pas vers un système de retenue à la
source.
Cette formule, déjà utilisée pour la perception de l'impôt sur les sociétés,
impliquerait une régularisation en fin d'année ou au début de l'année
suivante.
Au-delà de la retenue à la source, quels doivent être les objectifs de la
réforme de Bercy ? Il s'agit simplement de réduire le taux d'intervention des
administrations fiscales, c'est-à-dire le rapport entre le coût net du
recouvrement de l'impôt et son rendement net. La France enregistre en la
matière de mauvaises performances, dont la cause est à trouver dans la
pluralité des administrations fiscales et le cloisonnement entre celles-ci,
ainsi que je le répète depuis plusieurs années.
La marge de manoeuvre existe : le nombre de départs à la retraite, qui va
aller croissant jusqu'en 2010, ouvre des possibilités de redéploiement
d'effectifs et de remise à plat des organigrammes. De telles démarches, alliées
à une politique de formation des agents, pourraient constituer les bases d'une
réforme ambitieuse.
La méthode consiste sans doute aussi à généraliser les contrats «
objectifs-moyens », dont seulement deux ont déjà été signés à la direction des
relations économiques extérieures et à la direction générale des impôts.
Monsieur le ministre, vous disposez de cinq années pour mener à bien la
réforme de Bercy. Les contribuables et les personnels des administrations
fiscales souhaitent, tout autant que moi je pense, que vous puissiez, dans la
concertation, vous acquitter de cette tâche.
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Odette Terrade,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan,
pour la consommation et la concurrence.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le ralentissement de la croissance a rendu plus
éclatante encore cette évidence : la consommation est un élément vital de
l'activité économique, et sans doute le plus solide. Seul le maintien de la
consommation des ménages à un niveau élevé a pu éviter à l'économie nationale,
dans une conjoncture qui voit s'affaisser l'investissement, d'échapper à la
récession.
Or ce pilier de la croissance est aujourd'hui ébranlé : le recul de 1,2 % de
la consommation des ménages au mois de septembre est inquiétant. C'est dans ce
contexte préoccupant que notre Haute Assemblée doit examiner les crédits de la
consommation et de la concurrence.
Je ferai quelques remarques sur les crédits.
Les crédits de la consommation et de la concurrence recouvrent un vaste champ
de politiques publiques importantes pour la vie quotidienne de nos concitoyens.
Il s'agit des crédits de la direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, ainsi que des
subventions à l'Institut national de la consommation, l'INC, à l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et aux organismes de
défense des consommateurs.
Le budget de la concurrence et de la consommation pour 2003 s'élève à 196,18
millions d'euros, contre 191,88 millions d'euros en 2002, soit une augmentation
de 2,2 %, comparable à celle de l'an passé. Toutefois, une analyse plus fine de
cette évolution révèle des éléments préoccupants, en particulier en ce qui
concerne les investissements : les crédits de paiement sont en chute de près de
60 % ! De plus, trente emplois sont supprimés à la DGCCRF, alors que les tâches
de cette direction ne cessent de s'alourdir.
On peut comprendre les lourdes contraintes qui pèsent actuellement sur les
finances de l'Etat, mais l'investissement et l'emploi ne peuvent être des
variables d'ajustement de court terme, sous peine de voir s'étioler les
politiques de la consommation et de la concurrence.
Concernant les subventions, les années passées, j'ai souvent attiré
l'attention de la Haute Assemblée sur la situation de l'INC et sur la nécessité
de sortir cet institut d'une longue crise qui a commencé en 1994 et s'était
manifestée par un déficit en 2000.
La réforme de l'INC commence à porter ses fruits. Il ne faudrait pas briser
cet effort en mesurant le soutien de l'Etat à l'institut. Pourtant, l'INC ne
bénéficiera pour 2003 que d'une subvention de fonctionnement de 3,81 millions
d'euros. En 2002, cette subvention avait été abondée d'une contribution
exceptionnelle de 300 000 euros. Le retour à la seule subvention représentera
donc une diminution de 7,3 % du soutien de l'Etat à l'INC, ce qui n'encouragera
pas son rétablissement.
Au-delà des aspects budgétaires, j'aimerais développer deux points : le
nécessaire soutien au mouvement consumériste, d'une part, et les évolutions du
contrôle des concentrations qui se dessinent au niveau communautaire, d'autre
part.
Concernant le soutien au mouvement consumériste, le secrétaire d'Etat à la
consommation, M. Renaud Dutreil, a fait valoir la nécessité pour la France
d'avoir un mouvement consumériste fort. Je me réjouis que nos vues convergent
sur ce point. Cependant, je déplore l'essoufflement du soutien apporté par
l'Etat à ces associations, dont la subvention, stable depuis plusieurs années,
ne représente que les trois quarts de son niveau de 1990, alors même que l'Etat
leur demande d'être de plus en plus présentes dans de multiples instances.
Vous trouverez en annexe de mon rapport, mes chers collègues, la liste
impressionnante, dressée par l'INC, des organismes consultatifs ou délibératifs
dans lesquels les associations de consommateurs sont appelées à siéger, à
quelque échelon que ce soit : national, régional ou départemental.
Est-ce ici que l'Etat doit tenter de faire des économies, qui seront en tout
état de cause marginales ? Au contraire, ce réseau d'associations nombreuses,
animées essentiellement par des bénévoles, peut démultiplier les efforts des
pouvoirs publics pour la protection et l'éducation du consommateur.
Concernant les évolutions du contrôle des concentrations d'entreprises, en
quelques semaines, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé
trois interdictions de concentrations prononcées par la Commission européenne.
Or ces interdictions avaient remis en cause l'ensemble de la stratégie des
entreprises concernées ; pensez seulement aux relations actuelles entre
Schneider et Legrand ! Il est donc essentiel que le contrôle de la concurrence
ne se fasse pas au détriment de l'intérêt économique élémentaire des
entreprises concernées. Mais, surtout, la politique de la concurrence ne doit
jamais perdre de vue l'intérêt du consommateur, qui est le fondement de sa
légitimité.
Lors de l'examen de ce budget en commission, j'ai émis des réserves sur le
montant des crédits alloués pour 2003 à la consommation et à la concurrence,
insistant notamment sur l'insuffisance du soutien à l'INC et sur la suppression
de trente emplois à la DGCCRF. C'est ce qui me conduira, à titre personnel, à
voter contre l'adoption de ces crédits.
Cependant, en dépit de mes réserves, la commission des affaires économiques a
émis un avis favorable sur l'adoption des crédits de la consommation et de la
concurrence pour 2003.
M. le président.
J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à cinq minutes le
temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget
des services financiers, qui représente près des trois quarts de celui du
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, est à 98 %, comme nous
l'indiquait à l'instant M. le rapporteur spécial, un budget de fonctionnement,
et il est avant tout dédié aux services déconcentrés. Autrement dit, c'est le
budget de l'administration fiscale, dans ses directions nationales et dans ses
implantations territoriales, qui intéresse le citoyen contribuable, mais aussi
les représentants des collectivités locales que nous sommes.
C'est un budget sensible, ne nous y trompons pas. Chacun se souvient de la
réforme Sautter retirée en catastrophe. Pourtant nécessaire, elle avait
cristallisé la mobilisation des agents et des élus locaux dans un même refus.
M. Laurent Fabius lança alors les chantiers de la réforme-modernisation visant
à rationaliser les moyens et à créer l'interlocuteur unique pour l'entreprise
tout en préservant le maillage territorial.
Vous-même, monsieur le ministre, au début du mois d'octobre, avez indiqué que
vous souhaitiez poursuivre la modernisation d'une administration qui est l'un
des rouages essentiels du fonctionnement de l'Etat. « Bercy en mouvement »,
avez-vous dit. Mais j'ai du mal à percevoir de la cohérence ou même de la
détermination dans votre politique. Le seul signal sensible, d'affichage
libéral, c'est la suppression de 1 350 emplois.
Vous avez, en quelques phrases, brutalement abandonné l'objectif de la retenue
à la source de l'impôt sur le revenu sans que l'on sache vraiment la raison de
ce choix. Est-ce à cause de l'hostilité des personnels ? Dans ce cas, nous
devons nous en expliquer avec eux.
Il y a tant à faire en matière de lutte contre la fraude, contre le
blanchiment d'argent sale, comme en matière de coopération internationale ou
d'aide aux communes qui, souvent, ne peuvent s'offrir les prestations d'experts
!
Est-ce alors à cause de l'hostilité des entreprises ? Pourtant, dans la
plupart des pays d'Europe, c'est ce système qui est utilisé.
S'agissant du maillage territorial, Laurent Fabius avait donné un coup d'arrêt
à la fermeture des recettes des impôts et des perceptions.
L'accueil au public avait été sensiblement renforcé : horaires élargis,
disponibilité plus grande des personnels. L'appui aux collectivités locales
avait été érigé en objectif prioritaire. Où en êtes-vous aujourd'hui, monsieur
le ministre ?
Si j'en juge par la situation de mon département, que dis-je, de ma commune,
je constate que l'on reprend, et vous en avez la responsabilité, la vieille
politique de fermeture du service public, mais de façon subreptice, à
l'occasion du départ à la retraite d'un agent de catégorie A ou B, ou en
tentant de profiter de l'éventuelle faiblesse d'une municipalité. Là où il
faudrait tenir compte de critères précis, telles l'évolution démographique, la
distance, les conditions géographiques, les facilités d'accès, là où il
faudrait surtout rouvrir une concertation avec les élus, une réflexion
collective pour redessiner la carte des implantations, vos représentants, à la
tête des services déconcentrés, reviennent à leur vieille pratique de la
décision arbitraire prise de loin, dans le secret d'un bureau. Le résultat ne
se fera pas attendre. Ce sera la révolte des maires et des populations menacées
d'être privées d'un service public dont la proximité permet d'accroître le
rendement de l'impôt, en assure l'équité, et qui a aussi pour fonction, on
oublie de le dire, l'intégration des citoyens à la communauté nationale par la
contribution fiscale.
Monsieur le ministre, nous avons besoin d'éclaircissements sur vos intentions
et surtout de directives précises avant que, de nouveau, le terrain ne
s'enflamme.
En conclusion, j'évoquerai le sort de la Banque de France et de ses personnels
qui, très légitimement, s'inquiètent.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ils ont raison !
M. Gérard Delfau.
A présent que l'euro est devenu la monnaie unique de l'Union européenne et que
la Banque centrale européenne a assuré son emprise sur les institutions
financières des pays membres, comment voyez-vous, monsieur le ministre,
l'avenir de la Banque de France ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très mal !
M. Gérard Delfau.
Quelle est votre position sur la fabrication et sur le recyclage des billets ?
Comment lui permettre de poursuivre sa mission de collecte des résultats sur le
tissu économique, et comment lui donner les moyens d'être un appui auprès des
petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas s'offrir les prestations
d'un expert ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
Enfin, comment lui permettre d'assurer intégralement l'ingrate et nécessaire
mission dévolue aux commissions de désendettement ? Monsieur le ministre, nous
avons besoin que vous nous éclairiez sur ce sujet parce que les personnels et
les élus directement concernés s'inquiètent de l'évolution actuelle.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques questions que je souhaitais
vous poser sur le budget des services financiers qui nous semble manquer de
perspectives et nous rappelle de fâcheux précédents.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le
débat que nous menons depuis une bonne dizaine de jours sur le budget de la
nation, la discussion des crédits des services financiers est, finalement,
relativement exemplaire.
Nous ne reviendrons pas sur l'utilité de ces services, qu'il s'agisse de
l'instruction des dossiers des contribuables, du recouvrement des produits
fiscaux, mais aussi de l'indispensable apport des directions du ministère dans
la connaissance des grands équilibres sociaux et économiques et la perception
de leurs évolutions.
Le réseau dense des administrations financières et leur irrigation de
l'ensemble du territoire national nous permet de connaître de manière précise
les réalités économiques auxquelles nous sommes confrontés, et de disposer
également d'outils de prévision sur le moyen et sur le long terme quant à
l'évolution de la croissance ou des facteurs de production.
Ce n'est pas pour rien que le Conseil des impôts vient de consacrer son
dernier rapport aux relations entre les citoyens et l'administration fiscale.
Ce rapport, s'il fait état de certains blocages, met également en évidence le
fait que les relations existent et que nos administrations financières sont
proches du terrain et du public.
Le maintien de l'essaimage du réseau de ces administrations est donc essentiel
pour les années à venir, comme est essentiel le renforcement de leurs missions
de service public, pour mettre à disposition l'information économique dont,
nous, législateurs, avons en particulier besoin pour décider en toute
conscience des choix budgétaires les plus pertinents.
Ce projet de budget pour 2003 permet-il d'atteindre ces objectifs ?
Arguant une fois de plus des gains de productivité réalisés par les
administrations financières, le Gouvernement procèdera, en 2003, à une
réduction sensible des effectifs des différentes directions du ministère des
finances, touchant tant la DGI que la comptabilité publique ou encore la
DGCCRF.
Cette politique de réduction des effectifs n'est pas nouvelle : cela fait, au
bas mot, quinze ans que, budget après budget, l'on réduit ainsi la « voilure »
de nos administrations fiscales.
On peut toujours nous rétorquer que la suppression de nombre de taxes et
impôts de faible rendement ou que le recours à la télédéclaration et au
télépaiement sont autant de vecteurs d'économies et de simplication des
missions de service public.
En fait, au motif que les outils technologiques seraient de plus en plus
performants, on pourrait sans trop de douleur procéder à ces suppressions de
postes qui seraient sans effets sur les missions de service public.
On peut également constater que la loi de finances rectificative va encore
plus loin dans ce sens en visant à confier de plus en plus de missions de
recouvrement aux centres des impôts, au détriment, si l'on peut dire, de la
direction de la comptabilité publique, ce qui nous conduit à nous
interroger.
Jusqu'où ira-t-on dans le sens de la réduction des effectifs, notamment dans
les années à venir, qui seront marquées par le départ en retraite de plus de 40
% des agents actuellement en poste ?
Que cherche-t-on à promouvoir ? Une direction générale des impôts devenue, à
effectifs réduits, une forme de guichet unique pour l'assiette et le
recouvrement des impôts tandis qu'une direction de la comptabilité publique
pour le moins rabougrie serait recentrée sur quelques missions en direction des
collectivités locales ?
Toujours est-il que l'impression que nous laisse ce projet de budget est celle
d'un lieu d'expérimentation de la gestion des effectifs de la fonction publique
telle que certains la rêvent : non-remplacement des départs en retraite,
renforcement de la productivité apparente et autosatisfaction largement
répandue en termes de « résultats » associés aux objectifs et aux moyens
confiés.
Je ne suis pas certaine que les agents de nos administrations financières
goûtent tout à fait cette évolution, qui fait d'ailleurs bon poids de la
réalité des missions de service public qu'ils sont censés assumer et assument,
d'ailleurs, de manière générale, avec un professionnalisme reconnu, d'autant
que la question de la fraude fiscale, malgré la publication régulière des
résultats des activités de contrôle, demeure toujours posée, dans des termes
d'ailleurs renouvelés, compte tenu, vous le savez bien, de la sophistication
croissante des outils de fraude et de dissimulation d'opérations, de revenus,
de produits ou de patrimoine.
Plutôt donc que de réduire les effectifs budgétaires, le ministère des
finances devrait mettre en oeuvre des programmes plus ambitieux de formation de
ses fonctionnaires et de renforcement des équipes intervenant sur ces dossiers
délicats.
Telles sont les raisons, rapidement évoquées, pour lesquelles nous rejetterons
sans hésitation les crédits des services financiers pour 2003.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert
ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, soucieux de poursuivre la
modernisation de la discussion budgétaire à laquelle j'ai tant attaché
d'importance dans mes précédentes fonctions, je m'efforcerai de prolonger les
propos du rapporteur spécial et du rapporteur pour avis, dont je veux saluer la
qualité de travail, en évitant toute redondance, m'appliquant à répondre à
leurs questions, chacun étant supposé, si je me souviens bien de la règle du
jeu, avoir lu les rapports et entendu les rapporteurs.
Dans son rapport spécial, M. Angels a beaucoup insisté sur la retenue à la
source. Il a été décidé qu'elle ne serait pas mise en oeuvre pendant la
législature, sans que l'on puisse d'ailleurs préjuger l'avenir.
Vous parlez, monsieur Angels, d'une réforme cruciale, dont vous regrettez
l'abandon. Le Conseil des impôts en rappelle le principal intérêt dans son
dernier rapport, à savoir prendre comme assiette le revenu de l'année courante
et non celui de l'année précédente, ce décalage d'un an étant l'inconvénient
majeur du système actuel.
Mais le Conseil des impôts a lui-même précisé qu'il s'agissait d'une modalité
technique parmi d'autres pour atteindre cet objectif. Il rappelle que la
retenue à la source ne suscite qu'un intérêt mitigé de la part des
contribuables et qu'elle recueille l'opposition des entreprises et des
banques.
Dans la plupart des pays européens comparables, l'introduction de la retenue à
la source est très ancienne - elle date de 1920 pour l'Allemagne et de 1944
pour la Grande-Bretagne - et s'est souvent accompagnée d'une importante
simplification du système fiscal. On ne peut pas dire que ce soit le propre du
nôtre. Elle demeure d'une gestion complexe et ne dispense pas les contribuables
de la déclaration, ce que vous avez bien voulu reconnaître.
Donc, la retenue à la source, en tout cas à ce stade, ne permet pas une
simplification de l'impôt sur le revenu. Elle ne dispense pas les salariés de
la déclaration. Pour les non-salariés, en l'état actuel des choses, elle est
inapplicable. S'agissant des entreprises, en particulier les petites et
moyennes entreprises, ce transfert de charges leur paraît lourd, et elles
protestent déjà.
La retenue à la source ne se traduit pas non plus par une économie d'emplois à
Bercy. Le non-remplacement des départs à la retraite, ce qui a d'ailleurs été
regretté dans d'autres interventions, à un niveau significatif dans les
prochaines années, ainsi que la mise en place, en 2005, de la déclaration
préremplie et la généralisation de la mensualisation et des prélèvements à
échéance représenteront une économie d'environ 2 000 emplois.
En tout état de cause, la retenue à la source n'est pas techniquement
réalisable aujourd'hui, pour la raison que vous avez vous-même indiquée,
c'est-à-dire l'absence d'identifiant fiscal sécurisé, qui ne peut être le
numéro INSEE. Il nous faut donc recourir à un identifiant fiscal spécifique, ce
qui demande encore deux années de travaux de certification.
Notre objectif est de disposer en 2004 de cet identifiant fiscal et de mettre
en place en 2005 la déclaration préremplie, couplée à la généralisation de la
mensualisation et du prélèvement à échéance, dont le Conseil des impôts
recommande lui-même de faire le mode de paiement de droit commun.
Nous souhaitons également traiter le problème du décalage entre la perception
des revenus et l'imposition. L'amélioration de la performance du système de
mensualisation devrait permettre, dans un premier temps, de traiter certaines
situations de baisse de revenus d'une année sur l'autre. Un examen attentif de
la faisabilité du passage à l'imposition des revenus courants sera d'ailleurs
prescrit dans le cadre du système actuel de recouvrement de l'impôt.
En tout état de cause, avant la fin de la législature - horizon que nous nous
sommes fixé -, il n'était pas réaliste d'envisager la mise en oeuvre de la
retenue à la source. En revanche, vous pouvez compter sur le Gouvernement, dans
le cadre de la déclaration préremplie et de la mensualisation, pour atteindre
les objectifs que vous visez. Je sais que ce sujet vous tient à coeur, et je
reste à votre disposition pour soutenir votre réflexion.
Vous avez bien voulu évoquer la réforme du ministère, que nous avons dénommée
« Bercy en mouvement ». Il s'agit en effet d'aller plus loin que la «
réforme-modernisation » qui l'a précédée et dont ce projet reprend plusieurs
volets, ainsi que vous l'avez fort justement relevé dans votre rapport. Je ne
suis pas de ceux qui considèrent que rien n'a été fait avant et il ne s'agit
pas de passer sous silence les projets qui ont été lancés par les précédents
gouvernements.
Néanmoins, la « mission 2003 », sur laquelle vous aviez d'ailleurs formulé
vous-même quelques mises en garde, a connu l'échec. La démarche de
modernisation s'était, me semble-t-il, bornée sur bien des points à des
expérimentations.
Aussi était-il temps de prendre plus nettement position, de s'interroger, sans
a priori,
sur l'adaptation des structures et, plus généralement, de
faire entrer le ministère dans une démarche de recherche constante d'efficacité
et de performance.
Comme celle de tout gouvernement, notre volonté est d'améliorer le service
rendu aux contribuables, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises.
Plusieurs mesures sont prises à cet effet : la mise en place de l'«
interlocuteur unique », dont vous avez parlé ; le transfert du recouvrement de
l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur les salaires à la DGI ; la décision
d'accroître de moitié, d'ici à 2005, le nombre d'entreprises qui relèvent de la
direction des grandes entreprises.
Je voudrais insister sur l'ambition que nous nourrissons de passer d'une
culture de procédure au sein du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie à une culture de résultat. Cela peut se faire en mettant à plat des
procédures qui sont critiquées pour leur lourdeur, afin de répondre au mieux
aux attentes des usagers et, d'ailleurs, aux attentes des agents eux-mêmes.
Pour reprendre votre expression, monsieur Angels, l'objectif de diminution des
coûts n'a pas été abandonné en chemin. Bercy est engagé dans une démarche qui
débouchera sur des économies. A titre d'illustration, en administration
centrale, l'élimination des doublons éventuels, la rationalisation des
fonctions de support, une maîtrise des actions immobilières et de la politique
d'achats nous portent à croire que des économies seront obtenues.
S'agissant des agents du ministère, vous vous êtes préoccupé de la
rémunération « au mérite ». Nous sommes parfaitement conscients qu'il n'est pas
possible d'envisager une telle réforme sans le faire avec les agents du
ministère qui ont droit, en effet, à une juste reconnaissance professionnelle.
La réforme passe par des mesures générales, comme les plans de promotion, mais
aussi par la prise en compte de leurs performances individuelles selon des
modalités qui devront être naturellement définies avec eux, et faire l'objet
d'une concertation très approfondie. A titre personnel, un système de
rémunération indifférenciée ne me paraît ni juste ni motivant pour les
agents.
Madame Terrade, s'agissant du financement de l'INC, la subvention est
reconduite au même niveau qu'en 2002, soit 3,81 millions d'euros. Cette
stabilisation des crédits suppose un renforcement dans la rigueur de la gestion
de l'INC, notamment en ce qui concerne les coûts liés aux ventes de sa revue «
60 millions de consommateurs ».
S'agissant des personnels, est inscrite au projet de loi de finances la
suppression de trente emplois, ce qui représente 0,8 % des effectifs
budgétaires. Cet effort nous semble surmontable. Il traduit la nécessité d'une
meilleure offre de services, plus rationnelle et plus efficace. La suppression
des antennes infradépartementales qui a été annoncée par M. Francis Mer
traduit cette nécessité. Des services trop éclatés, trop petits ne sont pas en
mesure, selon nous, d'apporter un service optimal aux consommateurs et aux
entreprises.
M. Gérard Delfau puis Mme Marie-Claude Beaudeau ont attiré notre attention sur
la réduction des effectifs. je veux leur dire que l'adaptation des métiers et
des techniques, les réformes d'organisation interne, ainsi que les
simplifications administratives permettent de ne pas remplacer systématiquement
toutes les personnes qui partent à la retraite.
Le niveau de la productivité des services est assez homogène et les réductions
d'effectifs sont réparties de façon proportionnelle entre les grandes
directions à deux exceptions près : les douanes, où les équipes de surveillance
n'étant pas affectées dès lors qu'elles participent à la mission prioritaire de
sécurité et, d'autre part, l'administration centrale, où, à l'inverse, l'effort
de rationalisation doit être plus rapide.
Mme Marie-Claude Beaudeau s'est préoccupée des relations entre les
contribuables et l'administration fiscale. Je voudrais lui dire que des actions
ont été inscrites dans le programme que nous avons appelé « Pour vous faciliter
l'impôt ». En particulier, une série d'engagements de qualité à l'égard du
contribuable, établis d'ici à mai 2003 pour une mise en oeuvre en 2004, seront
pris en termes d'accueil physique, d'accueil téléphonique, de réponses par
courrier. Précis, mesurables, applicables à tous les services sur l'ensemble du
territoire, ces engagements couvriront les domaines dans lesquels le
contribuable est au contact de nos administrations.
Telles sont, monsieur le président, les principales questions qui ont été
évoquées par l'ensemble des intervenants. J'espère ne pas avoir abusé de mon
temps de parole, et avoir également, parce que tel était l'objet de ma
préoccupation, répondu à leurs questions.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Je rappelle au Sénat que les crédits concernant l'économie, les finances et
l'industrie seront mis aux voix aujourd'hui même à la fin de l'examen des
crédits affectés au commerce extérieur.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 23 186 385 euros. »