SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
le travail, la santé et la solidarité : I. - Travail.
J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a
opté pour la formule expérimentale fondée sur le principe d'une réponse
immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs
des groupes.
Ainsi, M. le ministre répondra immédiatement et successivement au rapporteur
spécial, puis aux deux rapporteurs pour avis et, enfin, à chaque orateur des
groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de
discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq
minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur ; ce
dernier disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
J'invite chaque intervenant à respecter l'esprit de la procédure, qui repose
sur des questions précises et en nombre limité, et les temps de parole
impartis.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, les crédits du ministère du travail s'élèvent,
dans le projet de loi de finances pour 2003, à 15,7 milliards d'euros, alors
qu'ils s'établissaient à 16,7 milliards d'euros en 2002 ; cette diminution de 6
% ne rend évidemment pas compte de l'évolution des moyens destinés au soutien
de l'emploi, j'y reviendrai dans quelques instants.
Ces crédits sont consacrés aux moyens de fonctionnement à hauteur de 12 %, et
aux dépenses d'intervention à hauteur de 88 %.
Je souhaite vous faire part des cinq observations que m'inspirent les
dotations allouées au travail pour 2003.
Première observation : le chômage est reparti à la hausse. De l'été 1997 au
printemps 2001, le chômage était passé du taux record de 12,7 % à un plancher
de 8,7 %. Hélas ! depuis le mois de mai 2001, la situation de l'emploi se
détériore à nouveau.
On remarque que le nombre de demandeurs d'emploi a crû moins rapidement au
premier semestre de 2002 qu'au second semestre de 2001. Cette progression
contenue du taux de chômage, qui s'établit finalement à 9 %, est en partie
attribuée à une moindre augmentation de la population active.
Cependant, cette baisse pourrait ne pas suffire à contrecarrer les effets sur
l'emploi d'une nouvelle dégradation de la conjoncture.
Par ailleurs, la progression du chômage observée en France est, en valeur
relative, d'un niveau comparable à celle qui a pu être observée dans l'ensemble
de l'Union européenne.
Précisons aussi que le retournement observé au printemps 2001 affecte
davantage les jeunes, les hommes, les plus diplômés et les plus qualifiés.
Deuxième observation : le projet de budget pour 2003 s'inscrit dans le cadre
d'une réforme structurelle du marché du travail.
La baisse du chômage en France se heurte en effet au niveau élevé du chômage
structurel, couramment évalué à 8 % de la population active. Qu'envisage le
Gouvernement pour le faire baisser ?
Il propose tout d'abord de diminuer le coût du travail dans le secteur
marchand, en relançant la politique d'exonération générale sur les bas
salaires, sans référence à la durée du travail.
Le projet de loi Fillon vise à instaurer un dispositif unifié de réduction de
cotisations patronales. Cette mesure a été élaborée dans le contexte de la
nécessaire convergence des SMIC, programmée pour le 1er juillet 2005, et dans
le souci de tenir compte d'un double impératif économique.
En effet, la restauration d'un SMIC horaire unique ne doit pas occasionner de
perte pour les salariés qui sont déjà passés aux 35 heures, et la
revalorisation substantielle du pouvoir d'achat des minima salariaux
qu'implique cette convergence ne doit pas porter préjudice à la compétitivité
des entreprises.
Par ailleurs, la réorientation des politiques ciblées vers le secteur marchand
participera à la baisse du coût du travail.
Il s'agit de privilégier, dans toute la mesure du possible, l'accès à un
emploi dans le secteur marchand et de recentrer les dispositifs d'insertion du
secteur non marchand vers les publics les plus éloignés de l'emploi.
Ainsi, le contrat jeune en entreprise devra permettre de prendre en charge 74
000 contrats en 2003 et devrait profiter à terme à environ 300 000 jeunes. Les
sorties du dispositif des emplois-jeunes sont, quant à elles, estimées à 65 000
en 2003.
A propos de l'emploi des jeunes, je souhaiterais que M. le ministe nous donne
des éclaircissements sur le futur CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie
sociale. Sera-t-il, comme les emplois-jeunes, réservé au secteur non marchand ?
A-t-on une idée de son coût en année pleine ?
Toujours en vue d'accorder la primauté au secteur marchand, la préférence est
donnée aux contrats initiative emploi et à l'insertion économique par les
contrats emploi solidarité et les contrats emplois consolidés.
Enfin, la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, qui
échappe évidemment au budget de l'emploi, vise à diminuer le coût du
travail.
Le deuxième axe de lutte contre le chômage structurel concerne l'amélioration
de l'offre de travail. Il comprend, d'une part, une amélioration qualitative,
avec le maintien de l'effort en direction de la formation professionnelle en
alternance, la mise en place du dispositif de validation de l'expérience et la
gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et, d'autre part, une
amélioration quantitative, avec la diminution des crédits de préretraite et le
renforcement de la prime pour l'emploi.
Le troisième axe de lutte contre le chômage structurel vise les rigidités qui
pénalisent l'emploi, avec la reconduction des moyens dévolus à la création
d'entreprise, la réforme du régime des heures supplémentaires et
l'assouplissement de la loi de modernisation sociale.
Troisième observation : la baisse des crédits est peu significative, mais la
modération budgétaire est réelle.
En 2000, la création du fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales de sécurité sociale, le FOREC, s'est traduite par une
débudgétisation massive, ce dernier recevant la plupart des crédits destinés à
compenser les exonérations de cotisations sociales. Cette orientation est
confirmée, car le FOREC est appelé à prendre en charge le dispositif unifié de
compensation des exonérations de charges sociales programmé par le projet de
loi Fillon.
Ainsi, le coût des allégements de charges financés par le FOREC en 2003
s'élèvera à 16,56 milliards d'euros, soit un montant supérieur, pour la
première fois, à celui qui est prévu pour le budget du travail, soit 15,72
milliards d'euros.
Si l'on additionne les crédits de l'emploi et les dépenses du FOREC, il en
ressort une quasi-stagnation - moins 0,11 % - des moyens mis au service de la
politique de l'emploi.
Cette stagnation recouvre un double mouvement : une augmentation générale des
moyens mis au service des dispositifs d'exonération de charges sociales et, en
contrepartie, une diminution des moyens consacrés aux autres dispositifs de
l'emploi, essentiellement imputable à la baisse des moyens affectés aux
dispositifs destinés aux publics prioritaires relevant du secteur non
marchand.
Entre autres inconvénients, le FOREC rend la politique de l'emploi peu
lisible. Je voudrais que M. le ministre nous confirme l'intention du
Gouvernement de supprimer le FOREC pour 2004 et nous indique si elle se
traduira par une réintégration du coût des exonérations dans le budget du
travail.
Par ailleurs, malgré une modération budgétaire qui ne mérite que des éloges,
il m'a semblé qu'une économie supplémentaire pourrait résulter d'une révision
des crédits consacrés aux bourses d'accès à l'emploi, qui paraissent
surévalués, s'agissant d'un dispositif en extinction. Cette économie modeste,
rapportée à votre budget, s'élèverait à 5 millions d'euros. Le président de la
commission, le rapporteur général et moi-même avons déposé un amendement en ce
sens.
Quatrième observation : des incertitudes pèsent sur le calibrage des
crédits.
La surdotation traditionnelle des emplois-jeunes a fait place à une
sous-dotation affichée des contrats emploi solidarité : 160 000 entrées sont
prévues en CES dans le présent projet de loi de finances, alors que 80 000 sont
budgétisées. Au surplus, ce doublement est une hypothèse basse, les dernières
déclarations gouvernementales faisant état d'un triplement. Or il est
officiellement envisagé de reporter sur 2003 une partie des crédits disponibles
en 2002 pour financer ce surcoût.
D'une façon générale, l'importance des reports relativise considérablement la
portée de l'autorisation budgétaire. Du reste, la loi organique relative aux
lois de finances du 1er août 2001 en limitera le volume à 3 % au sein d'un même
programme. Ce taux est à rapprocher de celui du volume des reports pratiqués
sur les crédits d'intervention du travail, qui s'est établi à 7,8 % sur
l'exercice 2001 et à 9,4 % sur l'exercice 2002.
Il conviendra de suivre avec attention la pratique du ministère du travail en
matière d'utilisation des reports et de faire, s'il y a lieu, la part de
l'imprévisible et celle de l'imprévision. Si le volume des reports existants
n'est pas imputable au gouvernement actuel, je ne peux que préconiser, pour
l'avenir, l'annulation des reports qui se trouveraient libres d'emploi.
Cinquième observation : la perspective de la pleine application de la loi
organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 est encore peu
tangible.
Certes, la poursuite de la démarche de globalisation des crédits avec la
région Centre, qui s'étend désormais à certains crédits d'intervention avec la
mise en oeuvre du programme d'accès à l'emploi, est de bon augure.
Pourtant, les indicateurs de résultats mis en place au niveau des agrégats
recouvrent très insuffisamment le champ de la politique de l'emploi. Ces trop
rares indicateurs semblent être en revanche assez bien conçus, à la hauteur de
certains enjeux. Toutefois, ils sont insuffisamment renseignés, si bien qu'il
est rare qu'à un objectif corresponde un résultat et qu'un résultat puisse être
confronté à un objectif.
Je souhaiterais surtout que M. le ministre nous fasse part de l'essentiel de
la réflexion, sans doute avancée, de son ministère sur la mise en place des
programmes requis par la loi organique.
Je conclurai par une constatation d'ensemble. Aujourd'hui, la complexité, le
foisonnement et le coût de nos dispositifs en matière d'emploi sont inversement
proportionnels aux résultats obtenus par la France en matière de lutte contre
le chômage. A ce titre, l'engagement d'une politique de lutte contre le chômage
structurel et une modération budgétaire d'ensemble sont porteurs d'espoir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Monsieur
le rapporteur spécial, après la présentation de votre rapport et à la suite des
questions que vous venez de poser, je commencerai par apporter quelques
précisions concernant les chiffres du chômage au mois d'octobre, puisque vous
les avez évoqués.
Le nombre de chômeurs a, en effet, diminué de 2 800 unités en octobre, soit
une légère diminution de 0,1 %, après une stabilité quasi totale au mois de
septembre. Le chômage des femmes diminue de 0,6 %, celui des jeunes de 0,8
%.
En revanche, le chômage de longue durée a repris, après un mois stable, sa
croissance, enregistrant une progression de 1,7 %.
Depuis six mois que le nouveau gouvernement est installé, je cite les chiffres
pour ce qu'ils sont, sans faire de commentaires. J'estime, en effet, que le
chômage et l'emploi sont d'abord liés à l'activité économique et à celle des
entreprises. J'ai d'ailleurs toujours trouvé parfaitement choquant que le
ministre du travail s'attribue les résultats des chiffres du chômage mois après
mois, comme s'il en était directement responsable.
Monsieur le rapporteur spécial, vous avez posé trois grandes séries de
questions.
La première concerne le CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie sociale, que
nous sommes en train de préparer et qui fera l'objet, comme je l'ai déjà
indiqué à plusieurs reprises, d'un débat devant le Parlement au début de
l'année prochaine.
Le CIVIS est destiné à aider les jeunes qui ont des difficultés d'insertion et
à soutenir ceux qui ont des projets. Il vise à rompre avec les logiques
d'assistance et à tirer les enseignements des défauts du dispositif
emplois-jeunes.
Le défaut principal de ce dispositif tenait en particulier au fait qu'il
n'était pas réellement destiné aux jeunes qui en avaient le plus besoin. On
peut même considérer que, dans un certain nombre de cas, notamment au cours des
années de croissance forte et alors que les besoins en jeunes qualifiés étaient
importants, il a détourné de l'activité de production, à laquelle ils auraient
pourtant été bien utiles, des jeunes qui avaient les qualifications et les
diplômes nécessaires pour être recrutés.
Le CIVIS sera donc d'abord fondé sur une évaluation effectuée au niveau local
- je pense aux missions locales - du jeune, de ses difficultés d'insertion et
de la nature de son projet.
A partir de cette évaluation, un contrat sera signé. Complètement
personnalisé, ce contrat pourra revêtir plusieurs aspects. Il pourra prévoir
soit un soutien à l'insertion en prenant appui sur l'actuel dispositif TRACE,
le trajet d'accès à l'emploi, en l'amplifiant ; soit un soutien à la création
d'une activité sous la forme d'une aide à la création d'activité et d'emploi ;
soit un soutien à la mise en place d'une activité à caractère humanitaire ou à
l'engagement dans une telle activité en reprenant les dispositifs qui existent
aujourd'hui ; soit enfin, et c'est la l'innovation principale de ce contrat, un
soutien sous la forme d'un salaire pour aider les jeunes à participer au
fonctionnement d'associations à caractère social, culturel ou sportif.
Le CIVIS sera obligatoirement accompagné d'une formation. Ce sera un des
éléments déterminants du contrat, et nous souhaitons engager, avec les régions
notamment, une discussion sur la formation.
S'agissant maintenant du FOREC, le fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale - qui porte bien mal son nom
puisqu'il n'y a pas eu de réforme des cotisations patronales -, je rappelle
qu'il visait à compenser, par le moyen de recettes fiscales et non par la voie
des dépenses budgétaires, les exonérations de cotisations sociales.
Compte tenu des masses financières en jeu - 16,6 milliards d'euros - et du
temps que nous avions pour préparer le budget 2003, il m'est apparu difficile
de le supprimer purement et simplement et de réintégrer les exonérations de
charges dans le budget du travail. En effet, une telle opération aurait pour
principal inconvénient de « gonfler » les dépenses budgétaires de 16,6
milliards d'euros et de réaffecter au budget de l'Etat la majeure partie des
droits de consommation sur les tabacs et la totalité des droits sur les
alcools, ce qui apparaîtrait peu logique.
Je reconnais que ce serait pourtant l'orthodoxie budgétaire. Je suis
d'ailleurs moi-même contraint de vous expliquer constamment que le budget de la
politique de l'emploi augmente plus qu'il n'y paraît, puisqu'il faut prendre en
compte le milliard d'euros d'exonérations supplémentaires - comme vous l'avez
d'ailleurs fait - financé par le FOREC en 2003 pour les allégements de
charges.
Le FOREC n'est finalement qu'un outil comptable. Le fait d'isoler, dans un
compte particulier, le financement des allégements de charges n'est pas
choquant en soi. C'est la « pratique » du FOREC au cours de la législature
précédente qui a été condamnable, puisque des recettes autrefois dévolues à la
sécurité sociale lui ont été affectées.
Nous devons trouver le moyen de donner une meilleure lisibilité à la politique
de l'emploi, tout en assurant à la sécurité sociale la compensation de ses
pertes de recettes.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité
sociale, le Gouvernement, par la voix de Jean-François Mattei, s'est engagé à
créer un groupe de travail, constitué autour des rapporteurs de la loi de
financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale et au Sénat. La
mission de ce groupe de travail portera sur la clarification des relations
financières entre l'Etat et la sécurité sociale.
Le « noyau dur » de cette clarification passe bien par une simplification,
voire par une suppression du FOREC, si une telle suppression paraît
possible.
Dans cet esprit, M. Alain Vasselle, rapporteur de la loi de financement de la
sécurité sociale au Sénat, a déjà fait part d'un scénario qui me semble digne
d'intérêt.
La première idée est de réduire le nombre de recettes affectées au FOREC. Il y
en a huit aujourd'hui, et plus personne ne s'y retouve.
La seconde idée est de « geler » les recettes fiscales affectées au FOREC, une
forme de subvention d'équilibre venant équilibrer le fonds. Cette contribution
budgétaire, qui est d'ores et déjà prévue par la loi, serait ainsi adoptée en
loi de finances, ce qui permettrait d'améliorer la lisibilité budgétaire de la
politique de l'emploi.
Le débat est donc lancé, monsieur le rapporteur spécial. Au vu, notamment, des
résultats du groupe de travail, le Gouvernement arrêtera sa position pour le
projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2004.
Enfin, vous avez évoqué la mise en oeuvre de la loi organique sur les lois de
finances. Je suis pleinement conscient des enjeux. Dans cette perspective, les
deux ministères concernés, celui du travail et celui de la santé et de la
solidarité, se sont dotés d'une stratégie, d'une organisation et d'une
structure de programmes.
Pour le secteur du travail, cinq programmes ont été retenus : l'accès à
l'emploi, c'est-à-dire les aides à l'emploi marchand et non marchand ; les
adaptations économiques, c'est-à-dire la promotion de l'emploi et
l'accompagnement des restructurations ; les droits des salariés et le dialogue
social ; la formation tout au long de la vie ; enfin, la gestion et
l'évaluation des politiques du travail.
Certes, les indicateurs de résultats qui sont au coeur de la loi organique
n'existent pas encore ou ne donnent pas entière satisfaction. Nous en sommes
conscients, et leur préparation constitue bien notre mission principale dans la
perspective de la mise en oeuvre de la loi.
Pour le secteur du travail, un groupe de travail impliquant l'ensemble des
directions du ministère et particulièrement la direction de l'animation de la
recherche, des études et des statistiques, la DARES, chargée de l'évaluation
des politiques, est en cours de constitution. Il aura pour mission de
formaliser des objectifs quantifiables associés aux programmes et de proposer
une liste d'indicateurs pertinents.
L'objectif consiste à anticiper l'échéance du projet de loi de finances pour
2006 sur la base de notre structure de programmes. Ainsi, la présentation par
agrégats dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004 préfigurera les
futurs projets de performance, grâce à un lien beaucoup plus étroit entre la
présentation des crédits et les objectifs fixés.
Par ailleurs, la mise en place d'expérimentations dans les services
déconcentrés doit nous permettre de tester la validité de notre structure de
programmes pour mettre en oeuvre de nouvelles modalités de gestion publique. Je
pense notamment, et vous l'avez évoquée, à l'expérimentation en région Centre,
fondée sur la mise à disposition des gestionnaires d'enveloppes fongibles
regroupant plusieurs dotations, conformément à la logique de la loi
organique.
Bien entendu, ce travail sera effectué dans le cadre d'un dialogue constructif
avec le Parlement pour la mise en oeuvre de la loi d'ici à 2006.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Louis Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour le travail et
l'emploi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, les crédits du travail pour 2003 devraient - on l'a dit - baisser de
6,2 %.
Cette diminution ne marque pourtant pas un dégagement de l'Etat. Elle
correspond en réalité à une réorientation forte de la politique de l'emploi
vers la création d'emplois dans le secteur marchand, réorientation que la
commission des affaires sociales appelait d'ailleurs de ses voeux depuis
plusieurs années.
Mais l'orientation d'une politique de l'emploi et du budget qui lui est
consacrée doit avant tout s'évaluer au regard du contexte dans lequel elle
s'inscrit. Or le contexte est aujourd'hui très préoccupant.
Vous le savez, mes chers collègues, le chômage est reparti à la hausse depuis
un an et demi, après plusieurs années de baisse et de conjoncture favorable,
même s'il est, il faut le remarquer, stable depuis deux ou trois mois.
La détérioration du marché du travail apparaît largement liée au retournement
de la conjoncture. Deux indicateurs me paraissent à cet égard significatifs.
D'une part, les licenciements économiques augmentent vivement. Dans les neuf
premiers mois de l'année, leur nombre a progressé de 20 %.
D'autre part, notre économie ne crée plus d'emplois depuis le début de
l'année.
Ces évolutions ne sont pas propres à la France, mais elles sont d'autant plus
inquiétantes que le taux de chômage dans notre pays continue de se situer à un
niveau comparativement élevé. Le taux de chômage français demeure en effet
supérieur de 1,5 point à la moyenne européenne.
Dans ce contexte difficile, je crois devoir ici insister sur la forte
dégradation de la situation financière de notre régime d'assurance chômage, qui
reste très sensible aux fluctuations conjoncturelles.
L'UNEDIC vient de rendre publiques ses nouvelles prévisions financières. Elles
sont alarmantes. Le déficit d'exploitation du régime devrait atteindre 3,7
milliards d'euros en 2002, soit une situation pire encore que celle qu'a pu
connaître le régime en ses heures les plus noires de 1992 et 1993. D'ores et
déjà, l'UNEDIC a dû se résoudre à recourir à l'emprunt pour faire face à ses
échéances et pour rétablir sa trésorerie.
Certes, le 19 juin dernier, les partenaires sociaux gestionnaires du régime
ont adopté une première série de mesures de sauvegarde, notamment une hausse de
0,2 point des cotisations, ce qui permettra d'améliorer le résultat net du
régime de 800 millions d'euros en 2002. Hélas ! les effets de ces mesures sont
déjà totalement absorbés.
Aussi les partenaires sociaux ont-ils prévu d'engager d'ici à quelques
semaines une nouvelle négociation - qui promet d'être difficile ! - afin de
rétablir l'équilibre financier du régime.
Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement n'est pas indifférent aux
difficultés que rencontre le régime d'assurance chômage. Le Gouvernement a
d'ailleurs déjà accepté, en juin dernier, de reporter de 2002 à 2003 le
versement de 1,2 milliard d'euros de l'UNEDIC à l'Etat prévu par la loi du 17
juillet 2001, afin de prendre en compte « les grandes difficultés observées en
2002 et les efforts consentis par les partenaires sociaux ».
Je souhaiterais cependant savoir - c'est ma première question - comment l'Etat
compte accompagner l'effort, nécessairement collectif, de rétablissement des
comptes de l'UNEDIC. Envisage-t-il notamment de renoncer, le cas échéant, au
versement par l'UNEDIC de 1,2 milliard d'euros prévu dans le projet de loi de
finances ?
L'efficacité de la nouvelle politique de l'emploi que traduit le présent
projet de budget du travail repose également sur la mobilisation du service
public de l'emploi.
La modernisation a déjà été largement engagée, notamment au travers des
contrats de progrès successifs entre l'Etat et l'ANPE et des conventions
d'application de la nouvelle convention d'assurance chômage.
La commission des affaires sociales considère que ce mouvement doit se
poursuivre et s'accentuer. Le contrat de progrès, qui sera conclu dans les
prochaines semaines, doit en être l'instrument.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer - et c'est là ma deuxième
question - les intentions de l'Etat pour ce nouveau contrat de progrès ? Quels
sont les objectifs que vous recherchez en la matière ? Quelles pourraient être
les grandes lignes de ce contrat de progrès ? Où en sont les négociations ?
Au-delà de ces éléments contextuels, la réorientation de la politique de
l'emploi que j'évoquais tout à l'heure a une traduction budgétaire immédiate :
la réallocation des moyens pour les actions de l'Etat en faveur des publics
prioritaires.
De fait, la progression des dispositifs de soutien à l'emploi dans le secteur
marchand a pour contrepartie un ralentissement des contrats aidés dans le
secteur non marchand.
C'est tout particulièrement le cas pour l'emploi des jeunes. La montée en
charge du programme jeunes en entreprises permettra ainsi de compenser, au
moins en nombre de bénéficiaires, la fin des nouvelles entrées dans le
programme emplois-jeunes.
J'observe d'ailleurs que le Gouvernement, à l'inverse de son prédécesseur,
prévoit effectivement des mesures d'aide à la pérennisation des emplois créés
par les associations dont l'utilité sociale serait avérée, mais dont le
financement ne serait pas totalement assuré.
A cet égard, la commission des affaires sociales considère qu'au-delà des
aides aux employeurs il serait souhaitable de favoriser dès à présent la sortie
du dispositif des jeunes quand les perspectives de pérennisation de leur poste
sont faibles. Elle avait d'ailleurs déjà formulé des propositions en ce sens en
faveur de ces jeunes, qui risquent d'être les premières victimes de ce
dispositif conçu à la hâte.
Certes, un nouveau contrat, le CIVIS, est annoncé, mais pourriez-vous nous
préciser, monsieur le ministre, et ce sera ma troisième question, comment le
Gouvernement entend faciliter l'insertion durable et réelle de ces jeunes,
hélas ! trop souvent bloqués sur des voies de garage ?
Toujours dans cette perspective de réorientation de la politique de l'emploi,
le projet de budget prévoit un meilleur ciblage des contrats aidés, notamment
des contrats emploi-solidarité.
Ce recentrage, nécessairement restrictif, a, vous le savez, suscité une
certaine émotion, notamment parmi les professionnels de l'insertion. Il est
vrai que ces contrats peuvent constituer une réponse adaptée pour prévenir le
chômage prolongé des publics les plus en difficulté, qui sont souvent les
premières victimes du retournement de la conjoncture.
Aussi la commission ne peut-elle que se féliciter de ce que le Gouvernement
ait décidé d'assouplir quelque peu sa position sur ce point.
Pour autant, je crois souhaitable d'engager une réflexion d'ensemble sur la
modernisation de nos dispositifs d'insertion, qui ne peut, à l'évidence, porter
sur la seule dimension de la régulation budgétaire de ces derniers.
Le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé envisager la fusion des contrats
emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés. Cette initiative va dans
le bon sens, mais j'estime, pour ma part, que la réflexion devrait être plus
globale et intégrer l'ensemble des contrats aidés. Tous ces instruments ont
leurs mérites, mais aussi leurs faiblesses. Leur articulation est loin d'être
toujours claire et les résultats qu'ils permettent d'obtenir en matière
d'insertion durable sur le marché du travail sont contrastés. Aussi tous ces
dispositifs me semblent-ils devoir être réexaminés afin de renforcer leur
dimension professionnalisante et leur adéquation avec les besoins du marché du
travail.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser vos intentions en la
matière ? C'est là ma quatrième question.
Au-delà de la priorité marquée en faveur des aides à l'emploi dans le secteur
marchand, l'autre ligne de force du présent projet de budget concerne ce qu'il
est convenu d'appeler l'accompagnement des adaptations économiques. Les crédits
correspondants, qui représentent près de 20 % du total, augmentent de près de
10 %.
L'évolution de la situation de l'emploi en 2003 reste très difficile à prévoir
tant elle dépendra de l'évolution de la conjoncture économique. Il aurait
cependant été irresponsable de ne pas anticiper une éventuelle aggravation du
chômage au moment où notre économie ne crée plus d'emplois.
A l'évidence, le présent projet de budget s'inscrit dans la voie de la
responsabilité, avec un ajustement des crédits en conséquence. A ce titre, il
prévoit notamment une augmentation de 50 % des dotations destinées à financer
le chômage partiel et une hausse de 16 % des dépenses d'indemnisation du
chômage à la charge de l'Etat, liée notamment à la montée en charge du
dispositif de l'allocation « équivalent retraite » institué par la loi de
finances de 2002.
Mais, en la matière, le projet de budget traduit aussi un volontarisme certain
du Gouvernement.
Celui-ci souhaite, en effet, comme d'ailleurs ses prédécesseurs, limiter le
recours aux mesures d'âge par les entreprises. En conséquence, et conformément
aux engagements européens pris par la France, le projet de budget prévoit une
diminution sensible des crédits consacrés aux retraits anticipés d'activité des
salariés les plus âgés.
En effet, monsieur le ministre, vous avez annoncé votre intention d'augmenter
le coût des préretraites pour les entreprises. Ainsi, la participation des
entreprises au financement des préretraites du régime de l'ASFNE - l'allocation
spéciale du fonds national de l'emploi -, dans le cadre d'un plan social,
serait portée de 30 % à 50 % du coût total. De même, la participation des
entreprises au financement des préretraites progressives serait majorée.
La commission partage bien évidemment cette orientation. Je ne pense pas, en
effet, que l'Etat ait vocation à subventionner l'éviction du marché du travail
des salariés les plus âgés, alors même que leur taux d'emploi, dans notre pays,
est déjà l'un des plus faibles d'Europe. Je crois au contraire qu'il faut
résolument privilégier les reclassements internes, voire externes, par rapport
aux mesures d'âge, car il n'est pas raisonnable que notre économie se prive de
l'expérience et des compétences des salariés les plus âgés, alors même que
subsistent, en dépit de la hausse du chômage, d'importantes difficultés de
recrutement dans de nombreux secteurs.
La commission considère toutefois qu'il est nécessaire d'aller plus avant dans
la voie de la réforme des dispositifs de retrait d'activité.
Le renforcement de la participation des entreprises au financement des
préretraites ne permettra pas, à lui seul, d'améliorer durablement le taux
d'emploi des travailleurs âgés. Il risque plutôt de conduire à un accroissement
de leur taux de chômage.
Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle convention d'assurance chômage, on
observe d'ailleurs une augmentation sensible du nombre des chômeurs de plus de
cinquante-cinq ans indemnisés par le régime d'assurance chômage. L'alternative
aux préretraites est donc moins, pour l'instant, l'emploi que le chômage.
Cette situation n'est, à l'évidence, pas saine, et ne fait, en outre, que
déséquilibrer plus encore les relations financières, déjà passablement
embrouillées, entre l'Etat et l'UNEDIC.
Aussi - ce sera ma dernière question, monsieur le ministre -
souhaiterions-nous savoir si le Gouvernement envisage de réexaminer plus en
profondeur nos dispositifs de préretraite et leurs modalités de financement.
Au-delà, comment comptez-vous améliorer le taux d'emploi des salariés âgés ? En
outre, ne jugez-vous pas souhaitable de mieux évaluer la pertinence de la «
contribution Delalande », voire de la reformater, celle-ci semblant constituer
un obstacle non négligeable à l'embauche des salariés âgés ?
Au total, la commission considère que ce projet de budget concrétise une
première réorientation de la politique de l'emploi vers la création d'emplois
dans le secteur marchand.
Cette réorientation intervient certes dans un contexte difficile, mais je
crois qu'elle est structurellement de nature à favoriser la création d'emplois
durables et à prévenir ainsi une nouvelle progression du chômage. Je crois
aussi qu'elle ne peut être, à terme, que bien plus efficace qu'une simple et
stérile politique de traitement social du chômage.
Aussi la commission des affaires sociales a-t-elle émis un avis favorable à
l'adoption des crédits du travail pour 2003.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
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