SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° I-1, présenté par M. Marini, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin du 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts, les
mots : "cinq années suivantes" sont remplacés par les mots : "dix années
suivantes".
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I
ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d'une taxe
additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des
impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission des finances a adopté quatre
amendements dans le domaine de la fiscalité de l'épargne.
Avec votre autorisation, monsieur le président, ces mesures ayant une
cohérence interne, je les défendrai globalement.
M. le président.
J'appelle donc également l'amendement n° I-2, qui est en discussion commune
avec l'amendement n° I-140, et les amendements n°s I-3 et I-4.
L'amendement n° I-2, présenté par M. Marini, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin du premier alinéa de l'article 150-0 A du code général des
impôts, le montant : "7 650 EUR" est remplacé par le montant : "15 000 EUR".
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I
ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d'une taxe
additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des
impôts. »
L'amendement n° I-140, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa du 1 du I de l'article 150-0 A du code général des
impôts, le montant : "7 650 EUR" est remplacé par le montant : "5 000 EUR".
»
L'amendement n° I-3, présenté par M. Marini, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le dernier alinéa du 6° du 3. de l'article 158 du code général des
impôts est supprimé.
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I
ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d'une taxe
additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des
impôts. »
L'amendement n° I-4, présenté par M. Marini, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 1er de la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992 relative au
plan d'épargne en actions, il est inséré un article 1er
bis
ainsi rédigé
:
«
Art. 1er
bis. - A titre exceptionnel, tout titulaire d'un plan peut
effectuer, du 1er janvier 2003 au 30 juin 2003, un versement dans la limite
d'un montant égal à la différence positive, si elle existe, entre le plafond de
120 000 euros et la valeur liquidative ou la valeur de rachat du plan appréciée
au 1er janvier 2003. Les dispositions du 1 de l'article 4 ne s'appliquent pas
au présent article. »
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I
ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d'une taxe
additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des
impôts. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le souci de la commission est de délivrer un message
à l'actionnariat individuel. La situation des marchés financiers est
particulièrement difficile et de nombreux épargnants, petits et moyens, ont
accusé des moins-values très importantes au sein de leur portefeuille. Il est
équitable, nous semble-t-il, de tenir compte de ces situations, sans pour
autant fausser l'organisation des marchés.
Nous voudrions délivrer un message de confiance, et ce grâce à quelques
mesures d'ordre technique.
La première vise à répartir les pertes constatées sur une période de temps
suffisante. A l'heure actuelle, des moins-values boursières peuvent être
compensées par des plus-values futures de même nature pendant une durée de cinq
ans. Nous souhaitons que ce délai soit porté à dix ans.
Ainsi, un « lissage » interviendrait. L'épargnant serait encouragé à constater
sa moins-value, à redéployer ses actifs, tout en restant en bourse puisque les
pertes ainsi dégagées viendraient s'imputer sur les plus-values futures à
escompter pendant une période de dix ans.
Comprenons bien que la moins-value n'offre un bénéfice fiscal que si
l'épargnant réinvestit sur les marchés d'action et que s'il réalise ensuite, en
fonction de l'évolution desdits marchés, des plus-values. C'est un dispositif
optimiste, propre à inciter les épargnants à repartir de l'avant.
Tel est l'objet de l'amendement n° I-1.
L'amendement n° I-2 vise à restituer le seuil de cession de valeurs mobilières
au-delà duquel s'applique la taxation des plus-values au niveau qui était
encore récemment le sien, c'est-à-dire 15 000 euros ou 100 000 francs, sachant
que la réduction à 50 000 francs a été réalisée par une ordonnance du 19
septembre 2000.
Bien entendu, il est possible de débattre sur le point de savoir si le bon
seuil doit être exprimé en valeur de cessions ou en plus-values.
Dans la situation actuelle des marchés, par souci de réalisme, ne modifions
pas les notions qui existent, doublons le seuil de cession. Ainsi, nous pouvons
espérer que ce signal supplémentaire jouera son rôle pour la reprise des
placements, ira dans le sens de la dynamique du marché, et sera perçu comme un
élément favorable par l'actionnariat individuel.
L'amendement n° I-3, mes chers collègues, vise à revenir sur un dispositif de
nature véritablement discriminatoire de la loi de finances pour 2001, adopté
bien sûr contre l'avis du Sénat. Ce dispositif exclut certains contribuables,
en raison de leurs revenus, du bénéfice de l'abattement annuel sur les
dividendes, qui est de 1 220 euros pour les célibataires et de 2 440 euros pour
les personnes mariées.
Nous considérons que cet abattement - en fait, sur certains revenus mobiliers
- a vocation à accompagner les opérations dont il s'agit et que l'on ne doit
pas établir « une double progressivité » de l'impôt. L'échelle progressive de
l'impôt sur le revenu est, pour certains contribuables, une pénalisation
supplémentaire. Ce dispositif, je le répète, nous a toujours semblé
discriminatoire et inéquitable.
Dans l'intérêt des marchés d'action, dès lors que les investisseurs ont des
incertitudes - on peut le comprendre -, un tel dispositif apparaît encore plus
critiquable. Il est vraiment peu propice au retour des actionnaires individuels
sur les marchés.
N'oublions pas que le paramètre des dividendes d'un placement en actions est
d'autant plus important que la volatilité des cours est grande. Juste
rémunération d'un placement à risques, le dividende mérite un traitement fiscal
neutre, quel que soit le niveau de revenu du détenteur de l'action.
L'amendement n° I-4 est relatif au régime fiscal du plan d'épargne en
actions.
Comme vous le savez, il s'agit d'un dispositif attractif, puisque, au-delà de
cinq ans, aucune fiscalité sur les plus-values et les dividendes ne s'applique
aux gains réalisés. Investir dans un PEA, c'est un signe de confiance qui
témoigne de l'espérance de gains futurs qui se trouveront ainsi
défiscalisés.
En période de crise, on peut considérer que le PEA se retourne, jusqu'à un
certain point, contre les intérêts de l'investisseur. Il ne bénéficie d'aucun
avantage fiscal, en raison de l'absence de plus-values et de la probabilité de
moins-values. En outre, il lui faut tenir jusqu'à ce que la situation du marché
s'améliore.
Un effet pervers est observé, monsieur le ministre, pour les détenteurs de PEA
ayant atteint le plafond de versement, qui est actuellement de 120 000 euros.
Ils sont dans une situation paradoxale : ils peuvent avoir subi des
moins-values de grande ampleur, mais ne peuvent pas compléter leur plan jusqu'à
la limite légale de 120 000 euros, puisqu'ils sont réputés avoir déjà saturé la
capacité fiscale du plan.
L'amendement que la commission des finances a conçu vise donc à permettre
d'opérer de nouveaux versements sous le régime fiscal favorable du PEA afin de
reconstituer l'encaisse de 120 000 euros.
Il s'agirait d'un versement exceptionnel, lié à la situation actuelle des
marchés, susceptible d'être fait dans le courant du premier semestre 2003. Il
serait plafonné, comme je l'indiquais, à un montant égal à la différence entre
le plafond de 120 000 euros et l'évaluation, valeur liquidative ou valeur de
rachat, du plan apprécié au 1er janvier 2003.
Ces quelques dispositions nous ont semblé de nature à améliorer, de façon
marginale mais psychologiquement significative, notre fiscalité de l'épargne et
donc à délivrer un signal d'optimisme et de confiance à ces actionnaires
individuels dont nous aurons, mes chers collègues, toujours besoin.
Reprendre des opérations de privatisation lorsque la situation des marchés le
permettra, inciter, comme le voudrait notre collègue Bernard Joly, à la
constitution de régimes surcomplémentaires par capitalisation ou tout
simplement - et Jean Chérioux, par exemple, y sera sensible - faire de nouveau
appel à l'actionnariat des salariés au sein des entreprises, tout cela suppose
que l'esprit de l'actionnariat ne souffre pas trop de la crise et puisse se
réveiller dès que les augures des marchés financiers seront plus favorables.
M. le président.
La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° I-140.
M. Thierry Foucaud.
L'amendement n° I-140 a trait à la question fondamentale de l'évolution de
l'impôt sur le revenu dans les années à venir.
Contrairement à M. le rapporteur général - mais est-ce bien surprenant ? -,
nous proposons de réduire le plafond d'exonération des plus-values de cession
d'actifs.
Cet amendement me permet de dénoncer une fois de plus l'injustice de
propositions fiscales d'inspiration purement idéologique.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Libérale !
M. Thierry Foucaud.
Ce plafond est, de surcroît, associé à un taux de prélèvement libératoire fort
différent du taux marginal moyen d'imposition sur le revenu et il constitue
donc un élément essentiel de la dépense fiscale liée à la mise en oeuvre de
l'impôt sur le revenu.
Nous sommes donc partisans d'une réduction de ce plafond et nous proposons que
la première étape de ce processus nous conduise, dès 2003, à définir un plafond
d'exonération de 5 000 euros, tout en se plaçant dans la perspective de sa
disparition pure et simple.
Plusieurs motivations nous animent. La moindre n'est pas d'étendre, autant que
faire se peut, l'assiette de l'impôt sur le revenu, car c'est la condition
impérative de toute réforme digne de ce nom.
Notre deuxième motivation est de placer cette disparition progressive du
plafond dans le cadre plus général d'une réduction des taux d'imposition, afin
de rendre moins pertinent le recours aux dispositifs dérogatoires, dont
l'article 150-0 A du code général des impôts est l'un des exemples les plus
connus.
Troisième motivation, nous ne croyons pas aux vertus de la valorisation des
investissements financiers par le développement de l'incitation fiscale pour
compenser une éventuelle crise de rentabilité de ces mêmes investissements.
Pour l'ensemble de ces motifs, nous vous invitons à adopter l'amendement n°
I-140, mes chers collègues.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° I-140 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission ne peut être favorable à l'amendement
n° I-140 puisqu'il va dans le sens exactement inverse de son amendement n°
I-2.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
L'auteur du rapport sénatorial qui avait pour titre
De l'importance de l'épargne et du danger de la mal aimer
a écouté vos
paroles, monsieur le rapporteur général, avec beaucoup d'intérêt.
Vous avez raison, la situation actuelle des marchés nous invite à délivrer aux
épargnants un message d'encouragement et de confiance. Leur donner de la
visibilité, c'est sans doute contribuer à rendre les marchés moins volatiles,
et donc à accroître la sécurité de tous.
Le Gouvernement est donc tout à fait favorable à l'esprit de vos amendements,
sous réserve de quelques modifications.
L'amendement n° I-1 permettrait aux épargnants qui subissent des moins-values
d'imputer celles-ci sur une période de dix ans, au lieu de cinq actuellement,
ce qui irait dans le sens de la visibilité dont je parlais il y a un
instant.
S'il n'y a pas de désaccord de principe entre nous, il me semble que la
rédaction de votre amendement mériterait d'être modifiée pour préciser la date
d'entrée en vigueur.
En effet, prolonger de cinq ans le bénéfice des dispositions du 11 de
l'article 150-0 D du code général des impôts à des moins-values réalisées dans
le passé nous éloignerait de notre objectif, qui est de donner de la lisibilité
à l'investisseur d'aujourd'hui. Par conséquent, si vous acceptiez de reformuler
votre amendement afin que seules les moins-values subies à compter du 1er
janvier 2002 soient visées, je serais prêt à l'accepter.
L'amendement n° I-2, qui vise à augmenter le seuil d'imposition des cessions
des valeurs mobilières, permettrait de simplifier les obligations
administratives des nombreux contribuables qui ne dépasseront pas le nouveau
seuil puisqu'ils ne seront, par conséquent, plus soumis à déclaration.
Il s'agit donc d'une mesure forte, à laquelle je souscris et que je vous
remercie d'avoir proposée, car elle s'inscrit dans la démarche du
Gouvernement.
Permettez-moi toutefois d'attirer cette fois encore votre attention sur les
conditions de l'entrée en vigueur de cette mesure. Vous proposez en effet
d'appliquer déjà le relèvement du seuil aux revenus de 2002, ce qui pose deux
problèmes : un problème d'ordre budgétaire d'abord, puisque la mesure aurait un
coût de 30 millions d'euros ; un problème d'ordre pratique ensuite, puisque les
épargnants qui disposent d'un portefeuille de moyenne importance ne pourraient
pas constater utilement leurs moins-values dans la mesure où ils ne
dépasseraient plus, au cours de l'année 2002, le nouveau seuil de cession.
Le Gouvernement n'est donc pas défavorable par principe, bien au contraire, à
votre proposition, mais, pour l'accepter, il vous demande de revoir les
modalités de son entrée en vigueur de façon à éviter les inconvénients que je
viens de décrire.
L'amendement n° I-3 est relatif à la suppression de la condition de revenus
pour l'abattement prévu au 3 de l'article 158 du code général des impôts. Le
Gouvernement partage votre point de vue, monsieur le rapporteur général.
Cependant, une telle suppression induirait un coût immédiat important - 78
millions d'euros -, et nous ne pouvons donc pas, dans le contexte budgétaire
actuel, supporter une suppression brutale.
Aussi, puis-je vous suggérer de réfléchir à des modalités qui prendraient en
compte l'ensemble des paramètres et vous inviter à rectifier votre amendement,
que je pourrais peut-être alors accepter ?
L'amendement n° I-4 vise à permettre aux titulaires de PEA de réinvestir sans
pénalité fiscale pour effacer les pertes qu'ils ont subies.
La mesure concernerait les seuls investisseurs ayant saturé le plafond de
versement sur leur PEA, alors même que tous les détenteurs de PEA ont subi les
effets de la baisse du cours des actions. Elle pose donc un problème d'équité,
voire un problème d'ordre constitutionnel au regard de l'égalité devant
l'impôt.
Le dispositif a en outre vocation à n'être que temporaire, et il risque d'être
d'une complexité considérable, notamment pour les PEA dans lesquels figurent
des titres non cotés. Il pourrait également entraîner d'importantes lourdeurs
de gestion et pour les établissements financiers et pour l'administration qui
les contrôle, c'est-à-dire la nôtre.
Je crains donc que sa grande complexité, notamment lorsqu'il s'agira d'évaluer
la valeur du PEA, ne rende dans certains cas la mesure que vous proposez
inopérante.
Enfin, la mesure ne permet pas, de par son mécanisme, de prendre en compte
d'éventuels retournements favorables ultérieurs des marchés. La baisse de
valeur du PEA peut en effet résulter de simples pertes latentes et non pas des
pertes réalisées.
Sur ce point aussi, je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté entre nous,
monsieur le rapporteur général. Les signaux que vous voulez délivrer ont tout à
fait la faveur du Gouvernement. Je suis donc favorable à l'orientation que vous
souhaitez donner en proposant une mesure en faveur des titulaires de PEA et je
serais prêt à accepter une mesure en ce sens, sous réserve que nous trouvions
ensemble un mécanisme plus simple pour répondre à votre objectif.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° I-140, je veux éviter à M. Foucaud
d'aboutir, si le Sénat le suivait, à un résultat tout à fait contraire à son
souhait, car abaisser à 5 000 euros le seuil d'exonération prévu au 1 du I de
l'article 150-0 A du code général des impôts n'aurait d'autre effet que de
rendre imposables les petits porteurs qui ne se livrent qu'occasionnellement à
des cessions de valeurs mobilières pour des montants modérés.
Je le mets donc en garde et je l'invite à retirer son amendement. A défaut,
l'avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président.
Mes chers collègues, il me paraît plus sage que le Sénat interrompe ses
travaux quelques instants pour permettre à M. le rapporteur général d'examiner
les propositions de rectification de M. le ministre délégué.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures
trente-cinq.)