SEANCE DU 12 NOVEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 10. - L'article L. 122-2 du code de l'urbanisme est abrogé. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par M. Coquelle et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 49 est présenté par MM. Dauge, Mano et les membres du groupe
socialiste, apparenté et rattachée.
L'amendement n° 53 rectifié est présenté par MM. Goulet, de Montesquiou, Türk
et Demilly.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Alduy, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi cet article :
« A la fin du dernier alinéa de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme, les
mots : "à compter du 1er juillet 2002", sont remplacés par les mots : "à
compter du 1er juillet 2004". »
La parole est à M. Yves Coquelle, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Yves Coquelle.
Après de longs débats portant sur l'ensemble des problèmes soulevés par le
développement urbain, en particulier dans les zones de notre pays où il est
relativement récent, l'adoption de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme,
lors de l'examen du projet de loi SRU, avait permis de définir de nouvelles
règles législatives.
Les principes de cet article visaient notamment, à ce que le développement
futur des agglomérations soit en quelque sorte pensé plus collectivement, non
seulement en fonction de la volonté politique de tel ou tel élu local, mais
également en fonction de la cohérence entre développement des lieux
d'habitation, activité économique et infrastructures.
C'est au terme de la discussion que s'était trouvée déterminée cette règle des
quinze kilomètres, qui paraît aujourd'hui si contraignante et inadaptée.
Que les choses soient claires : poser de nouvelles règles au développement des
agglomérations futures est la moindre des choses si l'on ne souhaite pas voir
s'accentuer dans les années à venir, certains des travers dont nous avons
hérité avec les ZUP des années soixante.
La pression foncière tend en effet à se renforcer de manière significative
dans les espaces péri-urbains, et singulièrement dans des zones de plus en plus
éloignées des centres d'agglomération. Il est à craindre que certaines des
contraintes déjà observées dans le passé pour les grands ensembles de logement
collectif ne commencent à apparaître, y compris dans ces secteurs.
Quant à l'article 10, dont l'adoption rendrait en fait inopérante la procédure
du schéma de cohérence territoriale, il ne fait que porter en germe les
conditions d'un développement urbain déséquilibré dont les habitants feront les
frais dans les années à venir.
Que voulez-vous, monsieur le rapporteur ! Nous ne sommes pas plus partisans
des cités HLM dortoirs, sans activités économiques ou commerciales dignes de ce
nom, que des lotissements pavillonnaires à architecture répétitive, sans plus
de services de proximité disponibles que dans les premières ; c'est pourtant
cela que vous voulez permettre en demandant la suppression de l'article L.
122-2 du code de l'urbanisme.
Vous comprendrez donc que nous proposions, là encore, la suppression pure et
simple de l'article 10 de la proposition de loi.
M. le président.
La parole est à M. Yves Dauge, pour défendre l'amendement n° 49.
M. Yves Dauge.
L'article 10 tend à supprimer un élément central de la loi SRU dont la
disparition porterait un coup fatal à toute la politique de planification que
les schémas de cohérence territoriale visaient à relancer.
Il faut bien comprendre l'articulation entre ce dispositif et les SCOT.
Si nous avions, à l'époque, arrêté le chiffre de quinze kilomètres, c'était
pour des raisons qui tenaient aux zones de chalandise des équipements
commerciaux. Nous étions alors un certain nombre sur ces travées à être
soucieux d'éviter que les équipements commerciaux ou les complexes de cinémas
ne continuent de s'implanter - comme on constate qu'ils ont actuellement
tendance à le faire -, dans une deuxième couronne, sortant des agglomérations,
vidant celles-ci de leur substance commerciale et les privant des mètres carrés
dont nous avons besoin, monsieur le ministre, pour faire revivre les
quartiers.
On ne peut pas jouer deux cartes contraires en même temps !
Vous l'avez dit très justement, monsieur le ministre, nous voulons engager le
renouvellement urbain, et vous affirmez être désireux d'accentuer cette
politique. Comment y parviendrons-nous ? Grâce au logement, certes, mais aussi
grâce aux activités et au commerce. Si vous laissez le commerce s'implanter en
pleine zone rurale, là où il n'y a pas de taxe professionnelle, quitte à
consommer encore un peu plus d'espace agricole, très bien ! Continuons les
errements du passé, laissons ce dispositif se mettre en place, et nous en
verrons les conséquences sur la périphérie des villes que nous voulons
reconstruire ! Nous sommes sur le point de « faire de la ville » à partir d'une
urbanisation qui n'avait pas encore pris en compte ces éléments d'animation :
c'est dans ces quartiers-là qu'il nous faut les centres commerciaux !
J'entends beaucoup de sénateurs défendre les petites communes rurales. Je veux
bien ! Je comprends que nombre de maires ruraux soient ravis de voir arriver
sur leur territoire des équipements commerciaux qui vont se situer entre la
ville secondaire et l'agglomération ! Mais ils feront perdre à l'une et à
l'autre leurs chances de devenir des villes équilibrées, cohérentes ; et, ce
faisant, on aura détruit l'espace rural. Nous avons vécu suffisamment de ces
scénarios incohérents !
Je pense très sincèrement que ce que je suis en train de dire là relève du
simple bon sens. Ce n'est pas de l'idéologie, comme certains voudraient nous le
faire croire !
M. Hilaire Flandre.
C'est naturel, l'idéologie !
M. Yves Dauge.
C'est du bon sens, c'est de l'observation, et je vous alerte très
sérieusement, chers amis, sur cette gravissime question. Je suis tout de même
surpris devant l'irresponsabilité d'une commission des affaires économiques qui
nous invite à balayer l'existant d'un coup, dans la précipitation, et, je le
répète, d'une manière irresponsable, monsieur le rapporteur. Vous nous
rétorquez que vous avez écrit aux maires, que les maires vous ont dit... Vous
pouvez interroger beaucoup de maires, j'en suis un, moi aussi, et, après tout,
je vaux autant que d'autres. Eh bien, moi, je ne suis pas du tout d'accord avec
cette attitude !
Les maires de France ne veulent pas que nous adoptions de lois qui, c'est
vrai, apportent quelques contraintes. Mais la loi, je le répète, est justement
faite pour apporter un certain nombre de contraintes ! Et cette loi,
précisément, est nécessaire, pour des questions fondamentales d'équilibre du
territoire.
En tant que législateurs, nous n'avons pas à nous retrancher derrière les
enquêtes que nous avons pu faire, ni derrière les maires qui veulent ceci ou
cela. Tel n'est pas le rôle du Parlement ! Le rôle du Parlement, tel que je le
conçois, consiste à prendre en compte l'intérêt général, à faire une analyse
objective, à prendre un peu de recul, quitte à se mettre en désaccord avec
certains élus locaux. C'est ce qui m'arrive dans mon département, où je tiens
le même discours !
Mais nombreux sont aussi les maires qui me soutiennent, y compris des maires
de centres-bourgs importants qui, sans que la population de leur commune
atteigne 15 000 habitants, s'inquiètent vivement de la déstructuration des
villes qu'entraînera la disparition des éléments qui auraient dû nous permettre
de reconstituer la vie urbaine, de tenir la ville dans ce qu'elle a
d'essentiel, plutôt que de la voir continuer à se détruire.
Je connais bien la politique des promoteurs : ils se placent en terrain rural
aux portes des échangeurs autoroutiers. Je peux vous donner le nom des communes
d'Indre-et-Loire - j'ai le cas dans ma propre commune - où l'on prépare
actuellement les acquisitions foncières à proximité des échangeurs, parfois
d'ailleurs payées par le département - il croit que c'est ainsi que nous allons
développer notre territoire -, et où les grands centres de services et les
supermarché vont venir s'installer.
Le dispositif des quinze kilomètres figurant dans la loi SRU a bloqué ces
tentatives. Les schémas de cohérence territoriale sont en train de se mettre en
place. C'est très net.
Bien que je sois maire d'une commune de 10 000 habitants et non de 15 000
habitants, j'essaie actuellement d'élaborer un schéma de cohérence territoriale
qui va jouxter l'agglomération tourangelle pour qu'il y ait une continuité
entre les deux communes, et nous tenterons de gérer cette question grave des
opérations pirates que j'évoquais à l'instant et qui nous portent grand
tort.
Certes, quelques maires ruraux ne seraient pas mécontents de récupérer des
équipements parce que cela leur apporterait de la taxe professionnelle. Mais,
pour ma part, je ne suis pas d'accord avec cette consommation excessive de
l'espace rural. Soyons économes dans notre consommation de l'espace ! Nous
avons assez consommé comme cela !
(M. Hilaire Flandre s'exclame.)
Vous dites que nous voulons densifier. C'est faux ! Le problème n'est pas là.
Il s'agit d'un problème d'équilibre, d'harmonie entre les territoires et de
cohérence.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Monsieur Dauge, vous souvenez-vous des
conditions dans lesquelles le texte concernant la règle des quinze kilomètres
est arrivé ? Je voudrais que vous en ayez un souvenir précis.
C'est le 9 mars 2000, quand le secrétaire d'Etat s'est aperçu que l'ensemble
du territoire était couvert par des schémas de cohérence territoriale qui
paralysaient tout, que cette règle a été inventée.
M. Pierre Hérisson.
Exactement !
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Vous parlez de nos études. Y a-t-il eu des
études à l'origine de l'amendement de M. Rimbert, rapporteur ? Il y a eu le
constat que l'on était arrivé à la quintessence de l'aberration dans ce texte
en matière d'urbanisme.
M. Bruno Sido.
Voilà !
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Et, arrivant dans la quintessence de
l'aberration, on s'est demandé comment sortir de la paralysie totale. Sur un
coin de table, on a donc élaboré la règle des quinze kilomètres.
M. Yves Dauge.
Mais non !
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Je cite M. Besson : « J'ai déjà eu l'occasion
d'indiquer qu'il n'était pas dans notre intention de couvrir l'ensemble du
territoire national de schémas de cohérence territoriale. Il est en effet sage
de ne pas soumettre à une règle contraignante des communes éloignées des
agglomérations ou de leur imposer de participer à un schéma de cohérence
territoriale. » Voilà quelles étaient les conditions de l'élaboration de ce
qu'on nous présente comme l'alpha et l'omega !
Moi qui suis un élu et qui ai élaboré depuis longtemps - bien avant tous ces
textes - des schémas d'urbanisme dans le sud du département des Yvelines, j'y
suis favorable. J'avais d'ailleurs présenté une proposition et fait quelques
rapports sur ce sujet. Mais je crois qu'il ne faut pas faire l'alpha et l'omega
de cette règle - je rappelle le débat : est-ce circulaire, annulaire ? - et des
discussions de mars 2000.
Nous savons que le Gouvernement prépare un texte, et nous souhaitons aller
plus loin et envoyer un signal. C'est en effet aussi le rôle du Parlement. Le
rôle du Parlement n'est pas seulement de repousser de janvier à juillet, puis
de juillet à janvier l'application des dispositions qui présentent des
difficultés. Voilà pourquoi nous avons choisi de supprimer l'article L. 122-2
du code de l'urbanisme, car nous constatons que ce n'est pas un bon texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - M. Pierre Hérisson applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Daniel Goulet, pour présenter l'amendement n° 53
rectifié.
M. Daniel Goulet.
Je voudrais dire d'entrée de jeu à M. le président Larcher, à M. le rapporteur
et aux membres de la commission que l'objet de cet amendement n'a rien à voir
avec l'objet des deux amendements identiques qui viennent de nous être
présentés. En effet, nous sommes parfaitement solidaires des dispositions
présentées par le rapporteur, car nous ne sommes pas, nous non plus, favorables
au maintien de la règle des quinze kilomètres, qui peut contribuer, nous le
savons, à geler dans certains cas les constructions.
Mais nous avons voulu attirer l'attention du Gouvernement, comme l'avait fait
fort pertinemment tout à l'heure notre collègue M. Alduy, en évoquant la
possibilité de prévoir une période de transition en cas de modifications dans
les dispositions d'urbanisme ou autres. Ce serait particulièrement nécessaire
quand certaines communes sont englobées malgré elles dans le périmètre.
Que vont devenir ces dernières qui n'ont pas attendu, comme d'autres, que les
dispositions au-delà du 31 décembre de l'année en cours tombent dans le domaine
public, si je puis dire ?
Monsieur le ministre, les propos que j'ai tenus cet après-midi peuvent-ils
constituer un élément de réflexion...
M. Gilles de Robien,
ministre.
Bien sûr !
M. Daniel Goulet.
... pour que, en décembre, lorsque vous présenterez votre projet de loi, vous
puissiez, après y avoir réfléchi, nous dire ce que vous pensez faire ?
En effet, c'est là, je crois, que nous serons utiles.
Le fait d'avoir évoqué ce sujet-là n'est pas du tout en contradiction avec ce
que les parlementaires, en contact avec le terrain, doivent vous apporter comme
élément de réflexion. Votre réponse sera ce qu'elle sera, monsieur le ministre.
Mais, d'entrée de jeu, je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 53 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Paul Alduy, pour présenter l'amendement n° 7.
M. Jean-Paul Alduy.
Parce qu'elle est brutale et systématique, la règle des quinze kilomètres
pose, à l'évidence, sur le terrain, de nombreux problèmes d'application.
Que faut-il en faire, alors ? La supprimer sans rien mettre à la place ?
L'adapter ? Personnellement, comme pour l'amendement précédent, je suis plutôt
favorable au fait de se donner du temps. Et se donner du temps, c'est tout
simplement prolonger encore de deux années l'entrée en vigueur de l'article L.
122-2 du code de l'urbanisme. Je vous signale, d'ailleurs, monsieur le
ministre, mes chers collègues, que l'entrée en vigueur de cet article a déjà
été repoussée de six mois au 1er juillet 2002.
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Jean-Paul Alduy.
Je propose donc, par cet amendement, de la repousser jusqu'au 1er juillet
2004. On se donnerait ainsi le temps de bien réfléchir à ce qui remplacera la
règle des quinze kilomètres.
Cela permettrait également aux syndicats intercommunaux, qui sont déjà mis en
place pour étudier les SCOT, de commencer à se forger une doctrine et, à partir
de là, d'être capables d'accorder des dérogations. En effet, les dérogations
sont délivrées non plus par les préfets, mais par les syndicats d'élaboration
des SCOT, dès lors qu'ils existent.
Par conséquent, au bout de deux ans de réflexion, ces syndicats se seront «
fabriqué » une doctrine. Ils auront la capacité d'octroyer des dérogations et
donc de permettre d'adapter cette règle de la constructibilité limitée.
Mon amendement vise donc à prolonger ce délai de deux ans. La suppression
brutale de la règle des quinze kilomètres risquerait d'être interprétée comme
un assouplissement de l'obligation d'élaborer des schémas de cohérence
territoriale, comme le signe que l'on peut attendre que la planification
spatiale en France reprenne ses droits à un moment où l'on parle de
développement durable, où la gestion économe et intelligente de l'espace
devient une question essentielle qui suppose un travail de planification à long
terme sur de vastes périmètres autour des villes-centres.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Je ne reviendrai pas sur les excellents arguments qu'a
développés M. le président de la commission.
Monsieur Dauge, nous ne sommes pas opposés à la planification. Nous pensons au
contraire qu'elle est indispensable. Nous ne souhaitons pas laisser chaque
maire agir dans son coin, parfois aux dépens des communes voisines. Toutefois,
force est de constater que l'application uniforme de la règle des quinze
kilomètres sur tout le territoire n'est pas du tout adaptée.
En 2003, M. le ministre l'a confirmé, une réflexion globale sera engagée sur
l'ensemble de ces textes. Cette réflexion sera difficile.
La commission souhaite que cette réflexion se déroule sans aucune pression.
Or, si nous imposons une échéance trop proche, nous ne supprimerons pas
l'omniprésence des préfets qui poussent les maires des petites communes à
franchir le pas alors que ces derniers ne le veulent pas. Nous éloignerons le
pistolet, mais le pistolet restera chargé et toujours braqué sur les maires des
petites communes. Or, nous savons comment réagissent ces maires. Il faut donc
se donner le temps de la réflexion ; mais, pour avoir une réflexion vraiment
sereine et constructive, il faut qu'aucun élu ne soit sous pression, notamment
sous celle des préfets ; sinon, ces derniers diront aux maires : « Si vous ne
vous dépêchez pas, dans un an, vous serez contraints d'y passer ! »
Quand notre collègue Yves Dauge dit qu'il faut inciter, c'est non pas de
l'incitation, mais plutôt de la contrainte. Peut-être faudra-t-il un jour
contraindre, mais il faudra alors le faire dans de meilleures conditions, ne
pas traiter Cahors et Mazamet de la même façon que Paris, Lyon et Marseille, et
peut-être faudra-t-il - en avons-nous la capacité ? - trouver un système
intelligent qui corresponde à une bonne planification sur notre territoire.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, la commission souhaite non pas un report
de l'application de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme, mais une
suppression de ce dernier, étant entendu que cette suppression n'est sûrement
pas, dans notre esprit, une suppression de la planification.
Nous souhaitons cette suppression pour réfléchir sans contrainte, mais je
garantis, au nom de la commission - nous en avons discuté -, qu'il faudra
remettre l'ouvrage sur le métier de façon à trouver un bon système qui s'adapte
sur l'ensemble du territoire français et qui ne soit pas, comme l'a rappelé M.
le président de la commission, un gosplan urbanistique tel qu'il avait été
prévu au départ et dont on a essayé de sortir par la règle des quinze
kilomètres élaborée sur le coin d'une table.
La commission émet un avis défavorable sur les amendements n°s 21, 49 et 7.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gilles de Robien,
ministre.
Le Gouvernement est évidemment tout à fait conscient des
problèmes que pose la règle des quinze kilomètres, problèmes qui ont été fort
bien rappelés pendant le débat. C'est une règle qui conduit à geler des
terrains : on est en manque de terrains, on ne peut pas construire ; c'est une
règle qui oppose inutilement le rural et l'urbain ; enfin, c'est une règle qui
s'applique de façon uniforme à des situations fort différentes.
Le Gouvernement estime indispensable - je l'ai dit dans mon propos liminaire
et je le répète - d'apporter rapidement une solution à ces problèmes. Elle a
donc choisi de traiter ce sujet dans le projet de loi examiné par le Conseil
d'Etat.
Avant de présenter les dispositions que le Gouvernement soumettra à votre
examen d'ici à quelques semaines, mesdames, messieurs les sénateurs, je
souhaite dire clairement que les problèmes posés par la règle des quinze
kilomètres ont été aussi décuplés par une application trop rigide sur le
terrain.
Indépendamment du projet de loi qui sera probablement finalement adopté par le
Parlement, le Gouvernement entend donner des instructions claires pour une
application raisonnable et conforme en cela à la volonté du législateur. Sans
anticiper sur le débat - nous aurons l'occasion, lors de l'examen du texte du
Gouvernement, d'en débattre longuement - je souhaite vous en présenter les
grandes lignes « en primeur », si je puis dire, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur.
La règle des quinze kilomètres, vous le savez, concerne les communes qui sont
dotées d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme. Dans ces
communes, le POS définit trois types de terrains : les zones urbaines, les
zones d'urbanisation future et les zones naturelles et agricoles. Dans sa
rédaction actuelle, la règle des quinze kilomètres limite la possibilité pour
les communes de modifier ou de réviser leur POS pour rendre constructibles les
zones d'urbanisation futures ou les zones naturelles et agricoles.
Le projet du Gouvernement lève, justement, cette contrainte pour les zones
d'urbanisation future délimitées par le POS avant l'entrée en vigueur de la
mesure du 1er juillet 2002. L'Etat, en effet, en acceptant ce POS, avait, de
fait, accepté une urbanisation future de ces terrains. Il n'y a donc pas lieu
de l'empêcher. En d'autres termes, tous les terrains dont les élus avaient
prévu l'urbanisation dans leur POS, même à moyen terme, échapperont à la règle
des quinze kilomètres.
Seuls y resteraient soumis, et cela paraît normal, les terrains agricoles et
naturels, ainsi que les équipements commerciaux, qui sont soumis à la
commission départementale d'équipement commercial, la CDEC.
Cette évolution permet aux communes de poursuivre le développement planifié.
Elle laisse le temps de définir localement les solutions les plus
raisonnables.
Telles sont les grandes lignes du projet gouvernemental que nous aurons
bientôt l'occasion d'examiner ensemble.
Quant à l'abrogation complète de la règle des quinze kilomètres, elle ne peut
qu'être écartée par le Gouvernement. Une telle mesure présenterait le risque de
bloquer les démarches d'élaboration du SCOT en cours, en fragilisant les
difficiles consensus locaux. Les deux tiers des agglomérations de plus de 50
000 habitants ont engagé la réalisation d'un SCOT. Il ne faut pas leur
compliquer la tâche aujourd'hui. Cela irait à l'encontre de la volonté de
concertation affichée par le Gouvernement en amont de la mise en cohérence des
lois Chevènement, Voynet et SRU.
Dès mardi prochain, avec Nicolas Sarkozy, Jean-Paul Delevoye et Patrick
Devedjian, nous recevrons les principales associations d'élus. Bien sûr, rien
n'exclut
a priori
que, dans ce cadre, une réforme plus approfondie soit
étudiée.
Enfin, le Gouvernement pense qu'il ne serait pas raisonnable de supprimer la
règle des quinze kilomètres sans prévoir de dispositions transitoires
incitatives. Sinon, il y aurait, dans une certaine mesure, un vide
juridique.
Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut qu'être favorable aux amendements
de suppression de l'article 10, qu'il a d'ailleurs eu la surprise de découvrir.
J'espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces précisions sont de nature
à vous rassurer sur la volonté du Gouvernement, qui a, en tout cas, bien
entendu votre message.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Je fais confiance au Gouvernement, mais je ne
suis pas rassuré pour autant. Si l'on accorde au Parlement un aussi large
pouvoir d'initiative qu'on ne l'a fait au cours de cette soirée, cela augure
mal, me semble-t-il, de l'évolution sensible que nous souhaitons pour une règle
qui, je le rappelle, a été inventée pour sortir d'un schéma de paralysie
totale. Tel est le premier point que je souhaitais évoquer clairement. Vous
nous avez réservé la primeur des grandes lignes de votre texte, monsieur le
ministre, je vous donne la primeur de ma réaction qui, naturellement, n'est que
personnelle à cet instant.
J'en arrive au second point. Vous me permettrez, à cet égard, de rappeler
quelques faits.
En 1995, j'ai eu l'honneur de rapporter ici un texte sur l'aménagement et le
développement du territoire. Les services du ministère m'avaient assuré que les
directives territoriales d'aménagement seraient prises avant trois ans ou cinq
ans au maximum. Or pas une n'a vu le jour, excepté un texte sans importance sur
Nice qui était préparé à l'avance. Imaginons qu'on ait limité les possibilités
de constructibilité concernant, pour reprendre une observation de M. Dauge, les
schémas de sortie d'autoroute. Cela faisait bien partie des réflexions sur les
directives territoriales d'aménagement, les DTA ! Mais voilà aujourd'hui sept
ans que les services de votre ministère, monsieur le ministre, ont été
incapables de diffuser une directive territoriale d'aménagement.
Il nous faut donc envoyer un signal fort pour que, au travers de votre projet
de loi, dont nous ne pouvons que nous réjouir mais qui nécessitera, nous le
sentons bien, un profond travail d'amendement - je le dis franchement - nos
collègues réfléchissent pour savoir, sur un sujet aussi essentiel, quelle devra
être la nature du nouveau dispositif. J'ai le souvenir de 1995. Je fais
confiance au Gouvernement mais, en même temps, je pense qu'il est du rôle de
notre Haute Assemblée d'envoyer ce signal.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote sur les amendements
identiques n°s 21 et 49.
M. Charles Revet.
Monsieur le ministre, même si le Parlement décidait de suspendre certaines
dispositions, rien n'interdirait, me semble-t-il, à des collectivités de
s'organiser volontairement.
Je voudrais dire à notre collègue Yves Dauge que j'ai participé, ces quinze
derniers jours, à deux réunions importantes, dont l'une, l'assemblée des
maires, se tenait dans mon département. M. Charasse y a participé, à
l'invitation du président de l'association des maires, et je peux vous assurer
qu'il a été applaudi par tous les participants lorsqu'il est intervenu sur le
sujet. Je peux comprendre, monsieur Dauge, que vous ne soyez pas nécessairement
en phase avec notre collègue Michel Charasse, mais je peux vous assurer qu'il a
lui-même reconnu, comme l'ensemble des maires, que ce dispositif était beaucoup
trop lourd.
J'ai aussi entendu, avec 1 500 conseillers généraux, le message extrêmement
clair qui nous a été adressé par le chef du Gouvernement à Strasbourg, que ce
soit au sujet des CRADT ou des PLU.
Monsieur le ministre, pour illustrer mon propos, j'évoquerai la situation qui
est celle que connaît mon secteur actuellement.
Un certain nombre de communes de mon canton et des cantons voisins ont voulu
modifier leur plan d'occupation des sols. Il se trouve que nous sommes situés
dans un rayon de quinze kilomètres de Fécamp, dans une ville de plus de 20 000
habitants, donc avec une obligation de SCOT. Le préfet nous ayant dit que nous
ne pouvions pas engager la procédure de modification de notre document
d'urbanisme sans qu'un SCOT ait été élaboré, nous avons donc décidé de nous
réunir pour faire le SCOT. Or la communauté de communes de Fécamp, pour avoir
une dotation plus importante, a pris la compétence de l'urbanisme. « Si l'on se
met ensemble pour faire le SCOT, nous a-t-elle dit, je suis obligée de vous
redonner ma compétence et je vais perdre une partie de ma dotation. Je ne suis
donc pas d'accord. Alors, confiez-moi, à moi, communauté de communes, le soin
d'élaborer le SCOT pour l'ensemble du pays des Hautes Falaises », puisque c'est
de ce pays qu'il s'agit.
Voilà deux ans, monsieur le ministre, que la situation est bloquée. Rien n'est
fait et nous ne pouvons pas modifier nos documents d'urbanisme, alors que la
demande existe, que la pression est extrêmement forte sur le foncier. Des
familles qui veulent construire ne trouvent pas de terrain car plus aucun n'est
disponible, ou alors à des prix dissuasifs. Il me paraît donc tout à fait
indispensable de jouer la carte de l'ouverture.
Je crois que les dispositions qui sont préconisées et qui, je l'espère, vont
être adoptées devraient permettre de donner un peu de souplesse aux
collectivités.
J'ajoute, et vous me pardonnerez de ne pas être tout à fait d'accord avec
vous, monsieur le ministre - une fois n'est pas coutume - que les terrains
disponibles pour une urbanisation future sont en nombre restreint puisque,
depuis déjà de longues années, les directives adressées tendent à limiter les
emprises foncières dans le cadre des documents d'urbanisme. L'ouverture qui
pourrait être donnée serait, de fait, extrêmement limitée.
Je terminerai par une anecdote. Le chef-lieu du canton dont je suis l'élu
avait commencé la révision de son plan d'occupation des sols avant le lancement
des SCOT. On a eu beaucoup de difficultés à le faire aboutir. Les services de
l'Etat obligeaient le maire à diminuer les emprises foncières en le menaçant de
ne pas adopter le document d'urbanisme, c'est-à-dire le plan d'occupation des
sols de l'époque, s'il s'y refusait.
Monsieur le ministre, des messages forts ont été adressés : je les rappellerai
dans un instant en défendant l'amendement de notre collègue M. Jean
François-Poncet. Il nous faut répondre à cette attente, car nous sommes face à
un enjeu extrêmement important en termes d'aménagement du territoire.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Jarlier, pour explication de vote.
M. Pierre Jarlier.
J'ai eu l'impression, pendant un moment, de me retrouver deux ans en arrière,
alors même que les débats ont été très longs sur cette question.
En effet, il faut savoir que le Sénat avait proposé une alternative à ce
dispositif des quinze kilomètres qui était fondée, non pas sur des mesures
coercitives, mais sur des mesures volontaristes ; nous pensions qu'il était
important de consulter les communes périphériques, de les associer à
l'élaboration des schémas de cohérence territoriale afin de maîtriser ce qui se
fait dans lesdites communes périphériques sans toutefois, bien sûr, en bloquer
le développement. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus alors. Or je
crois que le système qui a été mis en place entraîne de nombreux blocages, de
nombreux conflits - on en a parlé tout à l'heure - et est également susceptible
de créer dans bien des cas des situations contentieuses.
Quelle est la bonne solution ? Faut-il prévoir quinze, dix-huit, vingt
kilomètres ? De toute façon, dès lors que l'on trace un trait au compas, on
sait que la situation ne sera pas satisfaisante. Il faut donc envisager autre
chose.
Quelquefois, en particulier dans certains secteurs ruraux, nous sommes dans
des situations extrêmement difficiles, qui peuvent poser de nombreux problèmes
aux communes. Il faut évidemment trouver une solution qui permette la cohérence
territoriale d'aménagement. Si nous avons défini ce nouveau document
d'urbanisme qu'est le schéma de cohérence territoriale, c'est justement pour
assurer un développement harmonieux sur un territoire, mais également pour
éviter des micro-concurrences avec des territoires riverains. On sait les
conséquences difficiles qu'elles peuvent entraîner, surtout en matière
d'équipement commercial, comme on l'a vu trop souvent sur des communes
périphériques.
Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à trouver une solution dans un
avenir proche. Mais je rejoins quand même la position du président de la
commission des affaires économiques lorsqu'il nous dit qu'il faut un signal
parce que, aujourd'hui, la situation est bloquée. En votant dans le sens
souhaité par la commission des affaires économiques, nous adresserons un signal
fort qui sera peut-être assimilé à une suspension plus qu'à une suppression,
car, dans quelques jours, nous aurons à rediscuter avec vous de ce
dispositif.
C'est la raison pour laquelle, ayant entendu vos propositions, qui me semblent
intéressantes, nous pouvons envoyer dans l'immédiat ce message fort en votant
le texte tel que la commission des affaires économiques nous le propose.
M. le président.
La parole est à M. Philippe Arnaud, pour explication de vote.
M. Philippe Arnaud.
Je suis à la fois perplexe et ennuyé, comme un certain nombre d'entre vous
peut-être, mes chers collègues. Comme vous, j'ai bien mesuré le problème que
pose, sur le terrain, l'application de la règle des quinze kilomètres :
blocages, contentieux, conflits en tous genres, paralysie de certains
projets.
Cela dit, entre la rigidité du texte, voire la stupidité des quinze kilomètres
arbitraires, et l'absence totale de règle, j'ai quelques hésitations.
J'ai entendu M. le président de la commission des affaires économiques plaider
pour l'envoi d'un signal fort. Je considère pour ma part que la nature des
débats, la vigueur des interventions constituent un signal fort qui a été
envoyé au Gouvernement.
Puisque, monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à modifier ce dispositif,
à en corriger les effets pervers à travers un texte gouvernemental, je
considère que ce signal fort a été envoyé. Je fais, moi, confiance au
Gouvernement et je suivrai son avis.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 21 et 49.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe des
Républicains et Indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Majorité absolue des suffrages | 161 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 205 |
Je mets aux voix l'amendement n° 7.
M. Jean-Paul Alduy. Je le retire, car il n'a plus de signification dès lors que l'on a supprimé la règle de la constructibilité limitée.
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.
Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10