SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 181 rectifié, présenté par M. Bret, est ainsi libellé :
« Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 72 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... Les communes de Paris, Marseille et Lyon ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Les statuts de Paris, Marseille et Lyon sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Je vous prie de bien vouloir m'excuser d'ouvrir une parenthèse de quelques minutes dans notre débat sur l'outre-mer avec cet amendement visant à introduire un article additionnel, mais c'est le seul endroit où je pouvais le rattacher.
Les lois de décentralisation comportaient un volet concernant l'organisation administrative des villes de Paris, Marseille et Lyon. Les dispositions en question, dont personne aujourd'hui ne propose la suppression, ont été intégrées dans la partie législative du code général des collectivités territoriales.
Une loi a notamment organisé le découpage de ces trois grandes villes en secteurs ou arrondissements. Chacun des secteurs ou arrondissements est doté d'un maire et d'un conseil d'arrondissement élus au suffrage universel direct, dont le fonctionnement est comparable à celui de la mairie centrale dont ils dépendent mais dont les moyens financiers et humains sont beaucoup plus limités.
Instance de proximité par excellence, inscrite au coeur des réalités et des préoccupations des habitants, la mairie d'arrondissement est le lieu qui répond le plus rapidement et le plus spontanément aux appels des citoyens.
Ainsi, la mairie de secteur des xiiie et xive arrondissements de Marseille, dont je suis l'élu, recouvre une zone géographique très vaste et très peuplée - 136 000 habitants - sur laquelle se trouvent 178 équipements transférés : centres sociaux, maisons de quartier, stades, courts de tennis, boulodromes, gymnases, espaces verts de moins d'un hectare, et même un centre culturel qui jouit sur Marseille d'une certaine réputation.
La loi relative à la démocratie de proximité, promulguée le 27 février 2002, a permis une évolution législative, notamment avec l'article 2511-16 du code général des collectivités territoriales, qui définit la nature des équipements de proximité susceptibles d'être inscrits à l'inventaire des mairies d'arrondissement. Il s'agit des « équipements à vocation éducative, sociale, culturelle, sportive et d'information de la vie locale qui ne concernent par l'ensemble des habitants de la commune ou les habitants de plusieurs arrondissements ou qui n'ont pas une vocation nationale ».
En vertu de ces nouvelles dispositions, M. Bertrand Delanoë, maire de Paris, a ainsi fait voter par le conseil de Paris, le 29 octobre dernier, le transfert de la mairie centrale vers les vingt mairies d'arrondissement de plus d'un millier d'équipements supplémentaires : écoles maternelles et élémentaires, bibliothèques généralistes, conservatoires, jardins d'enfants, antennes « jeunes information », maisons des associations ou locaux associatifs.
Il a, dans le même temps, décidé d'augmenter les budgets des arrondissements, qui vont passer de 22 millions à 82 millions d'euros.
J'ai lu dans le quotidien Les Echos du 30 octobre dernier que M. Claude Goasguen souhaitait proposer au Gouvernement de confier aux arrondissements du personnel détaché de la mairie centrale et d'organiser une décentralisation financière des ressources avec une péréquation.
En vingt ans - avec des expériences très inégales, il faut le reconnaître -, les mairies d'arrondissement ont montré combien elles étaient utiles.
Elles le sont encore plus dans les structures intercommunales, qui contribuent à éloigner les citoyens des centres de décision et des élus locaux.
J'entends des constitutionnalistes m'opposer des arguments de droit : peut-on parler de collectivité territoriale quand on parle d'une mairie d'arrondissement, peut-on créer une nouvelle catégorie de collectivité pour seulement trois villes particulières ?
A la première question, je réponds oui. La jurisprudence constitutionnelle détermine quatre conditions pour que l'on puisse parler de collectivité territoriale.
Premièrement, il faut posséder la personnalité juridique. C'est bien évidemment le cas ! Le maire d'arrondissement est juridiquement responsable de ses actes dans les domaines qui lui sont conférés par la loi.
Deuxièmement, il faut avoir des affaires propres. Là aussi, c'est le cas ! Au-delà des affaires traitées par l'arrondissement en vertu des pouvoirs délégués par le conseil municipal, le conseil d'arrondissement possède des pouvoirs qui lui sont propres et qui lui sont conférés par la loi. Il suffit pour s'en convaincre de relire ensemble la partie du code général des collectivités territoriales relative à Paris, Marseille et Lyon !
Troisièmement, il faut avoir une certaine indépendance à l'égard du pouvoir central. C'est bien évidemment, là encore, le cas !
Quatrièmement, enfin, il faut posséder un pouvoir de décision. C'est le cas ! Le code général des collectivités territoriales reconnaît à la mairie d'arrondissement le pouvoir d'édicter des actes pour ses compétences clairement définies, actes qui produisent des effets à l'encontre des populations.
Pour ce qui est de la seconde question, certains éléments constitutifs forment un noyau dur commun à toutes les collectivités d'une même catégorie. Le principe de l'unité catégorielle permet soit une transformation du noyau pour toutes les collectivités de la catégorie, soit de sortir une ou plusieurs collectivités d'une catégorie pour les ériger elles-mêmes en une catégorie nouvelle.
C'est précisément ce que prévoit la Constitution en érigeant les territoires d'outre-mer en une catégorie distincte : l'article 74 prévoit que les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière dont les statuts sont fixés par des lois organiques.
C'est une démarche similaire que je vous propose pour Paris, Marseille et Lyon.
Ces trois villes, les trois plus grandes de notre République, sont des communes définies comme collectivités territoriales par l'article 72 de notre Constitution.
Ainsi, je propose d'insérer un article 72-4 ainsi rédigé : « Les communes de Paris, Marseille et Lyon ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Les statuts de Paris, Marseille et Lyon sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres. »
Mes chers collègues, au-delà du sort que vous allez lui réserver, vous l'avez compris, cet amendement a pour objet, dans le cadre d'une nouvelle avancée du processus de décentralisation, de reconnaître pleinement et durablement le rôle des mairies d'arrondissement en les faisant figurer dans notre Constitution.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Le Sénat ayant déjà consacré dans la Constitution l'existence des collectivités à statut particulier, cet amendement est inutile. De plus, la rédaction proposée assimile, en pratique, les communes de Paris, Lyon et Marseille à des collectivités d'outre-mer. N'y a-t-il pas là un problème de distance ?
J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Hélène Luc. C'est incroyable ! C'est vraiment dommage !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. M. Bret voudrait que la Constitution consacre la notion d'arrondissement. Or la Constitution est faite non pour préciser des modalités d'organisation aussi subalternes que la constitution d'arrondissements, mais pour énoncer des grands principes.
En second lieu, M. Bret emploie une formule propre aux collectivités d'outre-mer en visant leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Il voudrait ainsi mettre dans la même catégorie les mairies de Paris, Lyon et Marseille et les collectivités d'outre-mer, ce qui paraît un peu surprenant.
Comme l'a dit tout à l'heure très justement M. Garrec, nous avons décidé hier l'institution de collectivités à caractère particulier. Cela vise notamment les villes de Paris, Lyon et Marseille ! Si la commune absorbe le département comme à Paris, ce sera naturellement une collectivité à caractère particulier !
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, contre l'amendement.
M. Jean Chérioux. La commission et le Gouvernement ont utilisé d'excellents arguments pour s'opposer à l'amendement de M. Bret.
En tant qu'ancien élu de Paris, je suis stupéfait de ce que nos collègues nous proposent. L'analyse juridique de M. Bret est complétement fausse ! Faire entrer dans la Constitution la notion d'arrondissement n'a aucun sens puisqu'il ne s'agit pas d'une collectivité et qu'un arrondissement n'a aucune existence juridique. Le maire a une existence juridique, il a un rôle, mais l'arrondissement en tant que tel n'existe pas : il n'est qu'un démantèlement de la communauté parisienne, marseillaise ou lyonnaise ; en outre, il ne possède pas d'autonomie budgétaire.
Je ne comprends pas que l'on puisse se permettre de faire des propositions de ce genre ! Je suis absolument contre cet amendement, parce qu'il est consternant.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Je crois que vous n'avez pas prêté une oreille très attentive aux arguments que j'ai développés. Tout d'abord, j'ai évoqué non pas la question des arrondissements, mais celle des mairies d'arrondissement.
M. Jean Chérioux. C'est pareil !
M. Robert Bret. Non, ce n'est pas pareil. Quand on parle de décentralisation et de proximité pour mieux répondre aux besoins des populations, il faut faire preuve d'imagination et d'audace ! Or les mairies d'arrondissement dans des villes de deux millions ou de huit cent mille habitants - et mon expérience, en tant qu'élu local de Marseille, me permet de l'affirmer - sont un atout extraordinaire. Ensuite, la loi dite PML a reconnu les mairies d'arrondissement à Paris, Marseille et Lyon.
Quoi qu'il en soit, il me paraissait utile de soulever ces questions qui me semblent intéressantes : bien des questions, écartées un jour d'un revers de la main, resurgissent ensuite avec force.
Cela étant, compte tenu du déroulement du débat et devant le peu de réponses apportées aux questions de fond que j'ai soulevées, je préfère retirer mon amendement. (Protestations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. L'amendement n° 181 rectifié est retiré.
Nous allons maintenant examiner l'article 9 pour lequel la priorité a été ordonnée.
M. Claude Estier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Claude Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, je voudrais insister pour que l'on maintienne la discussion des articles dans l'ordre, parce que M. Claude Lise, comme il l'a expliqué tout à l'heure, doit assister à une réunion de la commission des finances.
Si l'on examine l'article 9 avant l'article 8, mon collègue ne pourra pas défendre ses amendements. Je vous demande donc, monsieur le président, de passer maintenant à la discussion de l'article 8.
M. le président. Malgré tout le plaisir qui serait le mien de vous donner satisfaction, monsieur Estier, je ne peux pas le faire puisque la priorité de l'article 9 a été ordonnée en raison du départ de M. Flosse.

Article 9 (priorité)