SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud, auteur de la question n° 49, adressée à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaiterais attirer votre attention sur une situation pour le moins étonnante, où l'on voit l'administration ignorer délibérément une décision, pourtant réitérée, des tribunaux qui remet en cause son interprétation des textes, et ne se conformer à cette décision qu'en cas de contestation par l'administré.
Une telle situation se rencontre lorsqu'il s'agit de calculer le montant d'une pension de réversion en cas de pluralité de régimes débiteurs et de cumul avec des avantages personnels.
En effet, sur le fondement des articles D. 355-1 et D. 171-1 du code de la sécurité sociale, qui déterminent les limites du cumul des droits personnels et des droits de réversion, il était jusqu'à présent d'usage, bien que les textes ne le prévoient pas expressément, de diviser la limite forfaitaire par le nombre de régimes débiteurs d'une pension de réversion.
Or, depuis 1999 - soit depuis cinq ans ! -, chaque fois qu'elle a eu à se prononcer sur cette question, la Cour de cassation a toujours considéré que seul le montant des droits personnels du conjoint survivant servant à la détermination de la limite forfaitaire devait être divisé par le nombre de régimes débiteurs. La pratique de la division de la limite forfaitaire est ainsi clairement condamnée.
Les conséquences de l'application de cette jurisprudence ne sont pas anodines pour le bénéficiaire, qui est bien entendu avantagé par le mode de calcul préconisé par la Cour de cassation. Ainsi, en Charente - mais des cas similaires se présentent dans d'autres départements -, des retraités ont pu se voir allouer une pension de réversion d'un montant révisé nettement supérieur à ce qu'il aurait été s'il avait été calculé selon les principes retenus par les caisses de retraite.
Par exemple, le montant d'une pension, initialement fixé à 427,30 euros, a été, après une simple réclamation, relevé à 900,51 euros, soit une augmentation de 473,21 euros, ou de 3 100 francs, ce qui revient à doubler la pension.
Par ailleurs, la caisse avait calculé qu'une pension de réversion s'élèverait à zéro euro, mais, après révision, la veuve concernée a pu toucher une pension de 493,60 euros !
Le problème - c'est là que le bât blesse - est que les caisses chargées de servir les pensions continuent à traiter les dossiers selon les règles jusqu'alors appliquées, c'est-à-dire en divisant la limite de cumul forfaitaire par le nombre de régimes débiteurs d'un droit de réversion. Ce n'est qu'en cas de réclamation, soumise à la commission de recours amiable, que le dossier sera révisé conformément à la jurisprudence. Une circulaire, dont j'ai ici copie, indique pourtant formellement aux caisses de retraite la conduite à tenir.
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que je m'étonne que l'administration se place ainsi délibérément en marge du « bon droit » édicté et rappelé par la Cour de cassation et qu'elle attende de ses administrés qu'ils contestent sa décision.
En outre, vous conviendrez que la grande majorité des retraités ne sont pas des juristes confirmés et que, dans l'ignorance où ils se trouvent de la jurisprudence, ils s'en tiennent à ce que leur propose leur caisse d'affiliation.
En conséquence, ne croyez-vous pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est grand temps de remédier à de tels errements et de respecter les règles de calcul rappelées par la Cour de cassation en matière de pensions de réversion ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Je voudrais tout d'abord vous demander, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l'absence de M. François Fillon, qui, se trouvant en déplacement, m'a chargé de le représenter ce matin.
Vous m'avez interrogé sur les conditions d'application de l'article D. 171-1 du code de la sécurité sociale. Sous réserve de conditions de ressources, les conjoints survivants se voient appliquer un plafond de cumul de leurs droits directs, c'est-à-dire leur pension personnelle de retraite, et de leurs droits dérivés, c'est-à-dire une pension de réversion.
Le mode de calcul pose effectivement un problème d'équité lorsque le conjoint décédé était polypensionné, c'est-à-dire lorsqu'il percevait plusieurs pensions de retraite. La Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés interprétait la réglementation de façon relativement obscure, c'est le moins que l'on puisse dire. Elle a décidé de fractionner le plafond dans certaines conditions, ce qui corrige partiellement l'inégalité née de la réglementation.
Dans le cas inverse, la situation des veuves et des veufs de polypensionnés aurait été beaucoup trop favorable par rapport à celle des veuves et des veufs de monopensionnés.
En pratique, deux retraités bénéficiant théoriquement chacun d'une pension personnelle et d'une pension de réversion de mêmes montants auraient disposé, en définitive, de retraites de montants totalement différents.
La Cour de cassation a dit le droit ; elle a condamné cette pratique, et nous devons donc en tirer les conséquences. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, le problème n'a pas été réglé depuis 1997, mais j'attire votre attention sur le fait que l'application de la réglementation telle que celle-ci est interprétée par la Cour de cassation accentuerait les différences de traitement entre les bénéficiaires de pensions de réversion multiples et les bénéficiaires d'une pension de réversion unique. Aucune considération d'équité ne saurait justifier de telles différences.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, afin d'éviter que n'apparaisse une nouvelle inégalité dans notre système de retraite, a décidé de modifier l'article D. 171-1 du code de la sécurité sociale pour donner un fondement juridique incontestable à la pratique de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés.
J'insiste, monsieur le sénateur, sur le fait que cette décision est prise à titre transitoire. En effet, dans le cadre de la réforme des retraites que le Gouvernement engagera au cours du premier semestre de 2003, la question de l'égalité de traitement entre monoreversés et polyreversés, et plus généralement la question de la situation des conjoints survivants, sera abordée.
M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je note que vous avez clairement identifié la difficulté qui se pose. Il est urgent de régler ce problème, qui est tout à fait incompréhensible pour nos concitoyens et pour les retraités. L'une des solutions consisterait, selon moi, à fixer un plafond, qui assurerait l'équité avec les monopensionnés.
J'espère que le grand débat sur les retraites ainsi que les mesures concernant les polypensionnés viendront rapidement résoudre ce problème qui, je le répète, est incompréhensible pour nos administrés et pour nous-mêmes.

SITUATION DES SALARIÉS LICENCIÉS
DE L'IMPRIMERIE SCIA