SEANCE DU 29 OCTOBRE 2002
ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE
Suite de la discussion
d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 24
rectifié 2002-2003) relatif à l'organisation décentralisée de la République.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe
Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République va nous permettre d'écrire dans notre pays, encore marqué par le
jacobinisme, une nouvelle et indispensable page de décentralisation. Ce projet
de loi est indispensable pour combattre notre vieux démon centralisateur. Il
est courageux, car il inscrit dans la Constitution les régions au même titre
que les communes et les départements.
Il engage l'Etat en inscrivant le transfert de ressources qui accompagnera le
transfert des compétences.
Cependant, l'objectif ne sera atteint que si quatre écueils majeurs sont
évités.
Le premier écueil concerne la nécessité absolue d'accompagner cette nouvelle
étape de décentralisation de la réforme de l'Etat. La réforme de l'Etat, c'est
l'Arlésienne ! Attendue depuis des années, elle doit fixer clairement le rôle
de l'Etat, le recentrer sur ses fonctions régaliennes, en un mot définir son
rôle de partenaire aux côtés des autres collectivités territoriales et faire en
sorte qu'il abandonne son rôle de contrôleur vétilleux de l'action publique.
Le deuxième écueil concerne le maintien de l'équilibre des trois piliers de la
décentralisation : la commune, le département et la région. Des domaines de
compétences clairs doivent leur être dévolus avec confiance, l'expérience
passée ayant démontré leur indéniable savoir-faire dans des domaines aussi
variés que l'action sociale, les établissements scolaires, les transports. Le
rôle de proximité essentiel joué par les communes et par les départements
assure le maintien de l'équilibre démocratique au plus près des citoyens. Il ne
doit pas être affaibli. Quant aux régions, si je me réjouis de leur
reconnaissance constitutionnelle, nous devrons veiller à ce qu'elles ne
s'affirment pas comme le maillon constitutif d'une future « Europe fédérale des
régions ».
Le transfert des ressources accompagnant celui des compétences devrait
permettre de faire disparaître la suspicion qui pèse régulièrement sur l'Etat
lorsqu'il délègue ses pouvoirs. Il est cependant légitime de connaître le
processus d'évaluation que vous comptez mettre en oeuvre, monsieur le ministre,
pour qu'il ne soit pas contesté. Seul ce transfert pourra éviter une flambée de
la fiscalité locale, qui annulerait l'effet bénéfique de cette
décentralisation.
Enfin, se pose en filigrane la question des empilements de structures, que les
dernières lois Chevènement et Voynet nous ont imposés. Les élus ne peuvent plus
perdre leur temps à « doublonner » les réunions entre les EPCI et les pays.
Quant aux citoyens, ils ne comprennent plus qui fait quoi.
Après l'avalanche des textes est arrivée celle des structures et des
parlotes.
Le projet de loi organique que vous nous soumettrez au printemps prochain
devra rendre lisible et efficace ce qui n'est aujourd'hui souvent que confusion
et parfois source de perte de temps.
Le troisième écueil touche à l'égalité des moyens apportés aux territoires. La
disparité entre les régions, les écarts considérables d'un département à
l'autre en ce qui concerne les dotations globales de fonctionnement ont créé
des situations impossibles pour les collectivités rurales. Si l'effort de
décentralisation ne s'accompagne pas d'une réduction des inégalités flagrantes
entre les territoires, nous échouerons et décevrons à jamais nos concitoyens.
Le monde rural, porteur d'un dynamisme économique considérable, générateur d'un
lien social sans équivalent, ne peut plus être traité comme le parent pauvre de
la République. Il attend de cette réforme des moyens supplémentaires justifiés,
il attend la sauvegarde totale des services publics, en un mot, il attend un
signe fort de l'Etat dans sa direction.
Le quatrième écueil concerne l'absence, dans ce texte, de référence à
l'intercommunalité. J'apporterai donc mon soutien à l'amendement de notre
excellent collègue Daniel Hoeffel visant à faire bénéficier « les groupements à
fiscalité intégrée des communes » des mêmes garanties relatives à la « libre
administration » et tout particulièrement à l'autonomie financière.
En effet, mes chers collègues, à l'approche de la prochaine réforme de la
fiscalité locale, quelle serait l'autonomie financière effective des communes
si les structures de coopération intercommunale ne pouvaient bénéficier, elles
aussi, de la même garantie constitutionnelle ? Car c'est bien en oubliant au
bord de la route constitutionnelle les 2 175 communautés de France que nous
laisserions indirectement à l'écart des chemins vicinaux les 36 000 communes de
France.
En conclusion, je suis convaincu que ce projet de loi constitutionnelle, en
dépit des quelques remarques que j'ai pu formuler, augmentera considérablement
les libertés d'action des collectivités territoriales et, comme l'a affirmé ce
matin à la tribune M. le Premier ministre, va libérer les énergies et les
initiatives des Français. C'est la raison pour laquelle j'y apporterai tout mon
soutien.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Claude Lise.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Claude Lise.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes
chers collègues, mon intervention portera sur les dispositions concernant les
départements d'outre-mer auxquels le projet de loi constitutionnelle qui est
soumis à notre examen fait une place relativement importante.
Si cela a pu surprendre quelques-uns de nos collègues, ceux qui observent ce
qui se passe dans ces départements et qui n'ignorent pas l'acuité qu'a pris le
débat institutionnel aux Antilles et en Guyane n'en ont certainement pas été
étonnés.
Comment pourrait-il en être autrement dans des départements aussi singuliers ?
Comment pourrait-il en être autrement, lorsque l'on sait à quel point
l'histoire y a fait peu de cas de la géographie, lorsque l'on voit jusqu'où le
jacobinisme y a poussé sa logique implacable, lorsque l'on évalue ce qui en
résulte en termes de mal-être des personnes et de mal-développement des
territoires ?
Il fallait, pour éviter que le débat institutionnel ne continue de
s'exacerber, avec toutes les conséquences que l'on devine aisément, que l'on
cesse d'agiter de mauvaises raisons de ne rien faire et que l'on se décide à
ouvrir le chantier institutionnel.
C'est tout à l'honneur de Lionel Jospin de l'avoir fait, en refusant de céder
à la tentation de trouver des solutions toutes faites, concoctées « d'en haut
».
Bien au contraire, dans la phase de préparation du volet institutionnel de la
loi d'orientation pour l'outre-mer, il a largement donné la parole aux gens «
d'en bas » et, en l'occurrence, au gens de là-bas !
Le même souci a prévalu dans la procédure d'évolution institutionnelle
inscrite à l'article 62 de la loi. Cette procédure consacre en effet, en la
matière, un pouvoir d'initiative locale confié aux élus départementaux et
régionaux réunis en congrès.
Elle ouvre également la possibilité, qui n'existait pas jusqu'alors, aux
seules populations concernées de se prononcer sur un projet d'évolution
statutaire, éventuellement proposé par le congrès.
Dans la logique de cette procédure, la réforme constitutionnelle devait se
situer après une telle consultation des populations de façon à tenir compte, le
mieux possible, de ce qu'elles souhaitent. Les évolutions pouvaient ainsi se
faire vraiment « à la carte ».
Ce qui nous est proposé dans le cadre du projet de loi constitutionnelle
s'inscrit, à l'évidence, dans une tout autre démarche.
Cette démarche garde cependant un point commun avec la précédente en ce qui
concerne une disposition importante qui avait fait l'objet, il faut le
rappeler, de nombreuses attaques de l'opposition de l'époque - elle avait même
été déférée au Conseil constitutionnel par au moins quatre-vingts de nos
collègues ici-même ! - je veux parler de la possibilité pour les seules
populations concernées d'être consultées sur tout projet d'évolution de leur
statut.
Cette possiblité est désormais inscrite dans la Constitution. Je ne peux
évidemment que m'en féliciter. C'est en effet aux citoyens que doit revenir, en
définitive, la possibilité d'opter ou non pour un changement de statut, sans
qu'il soit possible de le leur imposer en cas de vote négatif de leur part.
Il faut cependant noter que le projet de loi constitutionnelle ne prévoit pas,
à la différence de la procédure figurant dans la loi d'orientation pour
l'outre-mer, de consulter les populations sur un projet global.
Les citoyens sont ainsi dépossédés de la possibilité de s'exprimer sur un
point pourtant essentiel qui concerne la définition et l'étendue des pouvoirs
et des compétences dont pourraient être dotées les assemblées locales des
départements d'outre-mer. Les citoyens n'ont donc pas la maîtrise de la portée
de l'évolution institutionnelle sur laquelle ils seraient appelés à se
prononcer.
Mais au moment où l'on confie aux élus des assemblées locales, et à eux seuls,
la possibilité de réclamer des pouvoirs et des compétences nouvelles, on
semble, dans le même temps, ne plus vouloir leur reconnaître le pouvoir
d'initiative que la loi leur a attribué dans le cadre des congrès.
Il n'est d'ailleurs indiqué nulle part sur quelle base le Gouvernement et le
Président de la République prennent la décision de lancer une consultation de
la population ? Est-ce à partir d'une négociation avec des forces politiques ?
On devine les risque qu'elle pourrait comporter...
Madame la ministre de l'outre-mer, vous avez eu l'occasion d'affirmer à
plusieurs reprises qu'il serait tenu compte des travaux des congrès. Mais il
faudrait surtout reconnaître la légitimité des congrès, pour que les
représentants de ces derniers soient les interlocuteurs privilégiés du
Gouvernement dans la phase de concertation préalable à la consultation des
populations.
Comme vous le savez, c'était là l'objet d'une recommandation du
soixante-douzième congrès de l'assemblée des départements de France, l'ADF,
ainsi que de motions émanant des conseils généraux de Martinique et de
Guadeloupe.
En réalité, la réticence que l'on perçoit bien à l'égard des congrès
s'explique, selon moi, par la conception qui anime la réforme constitutionnelle
et qui s'accorde mal au choix fait, de façon très majoritaire, par les élus des
trois départements français d'Amérique, de réclamer la création de
collectivités à statut particulier.
Cette conception se retrouve tout entière exprimée dans le nouvel article
72-3.
Cet article somme les citoyens d'outre-mer de choisir de relever soit de
l'article 73, qui régit le principe d'identité législative, soit de l'article
74, qui régit le principe de la spécialité législative.
On est là dans le raisonnement disjonctif type, c'est-à-dire dans une pensée
simplificatrice et mutilante.
Quel sens ce choix peut-il avoir pour un Martiniquais, par exemple ? Celui-ci
n'a jamais exprimé le désir de bénéficier du statut qui lui est offert de
territoire d'outre-mer ; cela s'explique par son histoire et par un certain
nombre d'acquis résultant des batailles menées par ses aînés, notamment en
matière de législation sociale ou de droit du travail ; auxquels il tient très
légitimement - et il ne doit avoir aucun complexe à cet égard -, tout comme il
est attaché à ses liens actuels avec l'Union européenne.
On comprend que le choix de l'article 74 soit pour lui « une hypothèse d'école
», selon votre formule, madame la ministre.
Il ne reste alors pour celui qui est en fait devant une fausse alternative que
l'autre option, celle de l'article 73 !
Or, que lui réserve ce nouvel article 73 ?
Il donne aux élus la possiblité de disposer d'un pouvoir d'adaptation
réglementaire dans les domaines où ils exercent des compétences. Il leur offre
aussi la possibilité de disposer d'un certain pouvoir réglementaire.
Il s'agit là, à première vue, d'avancées très substantielles en matière de
responsabilité locale. Mais, quand on y regarde de plus près, il faut vite en
tempérer la portée.
Le système est, en effet, triplement verrouillé : le champ de délégation de
pouvoir d'adaptation et de pouvoir réglementaire est étroitement limité ; il
faut une habilitation du Parlement et, enfin, le champ du possible doit être
préalablement fixé par une loi organique.
L'article 73 contient deux autres dispositions importantes dans son dernier
alinéa.
En premier lieu, il prévoit la possibilité d'instituer une assemblée unique
administrant les affaires des deux collectivités qui restent en place. Cette
option signifie que l'on reste dans le système de région monodépartementale
avec une région et un département conservant chacun sa personnalité morale, ses
compétences, son patrimoine, etc.
On le voit, le changement est relativement limité ! J'ai le sentiment que
c'est celui qui nous est proposé.
En second lieu, l'article 73 permet de créer une collectivité se substituant
au département et à la région. C'est ce qui, à première vue, correspond à la
demande des trois congrès.
Mais, il faut bien dire que, sur ce point, les choses ne sont pas claires.
Cette collectivité peut-elle disposer de compétences allant au-delà de la somme
des compétences de la région et du département ? Peut-elle disposer d'une
organisation institutionnelle particulière ?
Par ailleurs, demeure-t-elle régie par l'article 73 ou passe-t-elle sous le
régime de l'article 74 ?
Les avis sont très partagés sur tous ces points, d'autant que l'on sait que
l'expression « collectivité à statut particulier », qui existait dans une
précédente mouture du projet de loi, a été remplacée par le terme de «
collectivité ».
Qui peut croire que cela est anodin ? N'est-ce pas, en fait, signifier que la
nouvelle collectivité ne peut exercer que des compétences de droit commun et ne
peut s'écarter d'une organisation de droit commun ?
Mais, dans ce cas, comment comprendre que l'article 72 permette, lui, la
création de collectivités à statut particulier ?
Tout cela n'est pas très clair, et même les spécialistes que j'ai pu entendre
le reconnaissent.
A vrai dire, le nouvel article 73 n'offre de nouvelles libertés locales que
très encadrées, libertés que l'on ne peut de surcroît obtenir qu'au prix de
procédures complexes à l'issue toujours incertaine.
Qui plus est, la rédaction de cet article prête à interprétation. Dans le
cadre de procédures comportant fréquemment la mise en oeuvre de lois
organiques, cela signifie que l'on prend le parti, dès le départ, de donner un
maximum de pouvoir au juge constitutionnel. Or, on sait l'interprétation
toujours restrictive qu'a donnée le Conseil constitutionnel à l'actuel article
73, article que le général de Gaulle considérait pourtant d'une très grande
portée pour ce qu'il appelait nos « franchises locales ».
En réalité, il est à craindre que le présent projet de loi constitutionnelle
ne limite trop le choix que les citoyens des départements d'outre-mer
pourraient être amenés à effectuer et qu'il les place devant une alternative
entre l'inacceptable et l'insatisfaisant.
L'inacceptable, c'est la transformation pure et simple en territoires
d'outre-mer ; l'insatisfaisant, ce sont les perspectives, limitées et
incertaines, offertes par le nouvel article 73 par rapport aux aspirations qui
s'expriment aux Antilles et en Guyane.
Ce statut est insatisfaisant aussi au regard des promesses qui avaient été
faites, par le Président de la République notamment.
On a encore en mémoire son discours de Madiana, en Martinique, le 11 mars
2000, discours au cours duquel il n'avait pas hésité à déclarer : «
L'institution départementale, fondée sur l'assimilation, et qui a longtemps été
synonyme de progrès et de dignité, a probablement atteint ses limites. » On est
loin de cette déclaration !
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis repose, en tout cas,
sur une vieille conception qui ne devrait plus avoir cours s'agissant des
départements d'outre-mer et qui vise à les acculer à un choix obligé entre
responsabilité et égalité.
Dans son état actuel, ce projet ne permet pas de prendre en compte la demande,
nécessairement complexe, des populations des départements d'outre-mer. Leur
demande n'est, en fait, que le résultat de la condition que l'histoire a faite
à ces populations et dont la responsabilité incombe à d'autres.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
au moment où le Parlement procède à l'examen du projet de loi constitutionnelle
qui nous est soumis, je veux vous dire que nombre de citoyens des départements
d'outre-mer sont partagés entre un espoir et une crainte.
L'espoir, c'est de voir enfin prendre véritablement en compte leur volonté
d'assumer pleinement leur appartenance aux ensembles français et européen et
leur légitime aspiration, que leur identité soit mieux affirmée ; c'est de voir
créer les conditions permettant de libérer les énergies locales pour favoriser
un véritable développement ; c'est aussi de voir que l'on répond à leur souhait
d'être mieux insérés dans leur environnement géographique naturel et, surtout,
de peser davantage sur leur propre avenir.
La crainte, c'est que cette réforme ne constitue qu'une nouvelle occasion
manquée d'apporter une réponse institutionnelle adaptée à la demande
particulière de chacun de ces départements.
C'est néanmoins parce que j'ai la conviction que la Haute Assemblée est
pleinement consciente de tous ces enjeux, que je défendrai, avec conviction et
espoir, au cours des débats, des amendements qu'il me paraît indispensable
d'apporter à ce texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Daniel Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
tout le monde ou à peu près en France est favorable à une décentralisation.
Mais chaque fois qu'un projet précis cherche à la faire progresser, les
oppositions, les réserves et les mises en garde surgissent, quelle que soit
d'ailleurs l'origine des textes présentés.
La discussion du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ne fait
pas exception à cette règle.
Je ne suis pas sûr, qu'à la base, nos concitoyens aient de la décentralisation
une vision précise.
M. Patrice Gélard,
vice-président de la commission.
Cela, c'est sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Si elle doit entraîner plus d'efficacité, plus de rapidité dans les décisions,
plus de lisibilité à propos de la question « qui fait quoi ? », et si tout cela
peut se faire à un moindre coût ils l'approuveront.
(Sourires.)
Si, en revanche, ils devaient avoir le sentiment que la décentralisation
engendre un surcoût et une plus grande complexité du paysage institutionnel,
ils en déduiront que c'est une affaire ne concernant que les élus et nous
risquerions alors le désenchantement.
C'est à partir de ce constat que nous devons analyser le projet de loi qui
nous est soumis aujourd'hui.
Affirmer que l'organisation de la France est décentralisée semble poser
problème pour certains.
L'important, à mon avis, c'est que la volonté décentralisatrice soit
clairement affichée. Vingt ans après les lois qui doivent être considérées
comme un acquis irréversible, dont je salue les auteurs...
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et dont le caractère positif doit être rappelé, un nouvel élan apparaît
nécessaire pour adapter la France à son temps et à l'évolution de l'Europe.
La France est mûre pour franchir cette étape, d'une part, parce que l'Etat
doit plus que jamais concentrer ses moyens sur ses fonctions essentielles s'il
veut les assumer avec plus d'efficacité et, d'autre part, parce que les
collectivités territoriales ont démontré depuis vingt ans leur aptitude à faire
face à des obligations nouvelles.
Dans ce contexte, quel doit être le paysage institutionnel de la France ?
A la base, la commune reste le socle, le fondement avec, comme prolongement
naturel, l'intercommunalité. L'une ne va pas sans l'autre. Voilà trente ans, la
France a renoncé aux fusions de communes afin d'opter pour l'intercommunalité
librement consentie. Loi après loi, cette orientation a été précisée, renforcée
et confortée. Deux tiers des communes et de la population font, aujourd'hui,
partie de communautés de communes, de communautés d'agglomération ou de
communautés urbaines. C'est une évolution nécessaire et irréversible qui doit
être confirmée sans ambiguïté. Elle allie proximité et efficacité.
Le département est le partenaire de proximité irremplaçable des communes et
des structures intercommunales et il a acquis un savoir-faire, notamment sur le
plan social, qui lui assure une place de choix. Les pays qui ne doivent, en
aucun cas, être érigés en collectivités locales
(M. Moinard et Mme Gourault
acquiescent),
et les agglomérations, structurées en communautés, peuvent
apparaître comme empiétant sur la sphère d'influence des départements. Des
clarifications s'imposeront à cet égard.
L'érection de la région en collectivité territoriale est une consécration d'un
état de fait qui est conforme à ce que nous trouvons ailleurs en Europe. La
vraie décentralisation passe par un échelon régional fort, seul en mesure de
concrétiser un aménagement du territoire au sens le plus large et de promouvoir
une coopération transfrontalière dans nos zones frontalières. Cette force
régionale est assurée non pas par la création de régions à dimension européenne
qui n'existent d'ailleurs nulle part chez nos voisins, mais par le sentiment
qu'a la population d'appartenir à une entité régionale, ayant une identité
propre, géographique, historique ou culturelle par exemple.
L'expérimentation constitue incontestablement une innovation introduite par le
texte qui nous est soumis.
Nous ne devons la considérer ni comme une solution miracle susceptible de
résoudre certains problèmes réputés insolubles ni comme une menace pesant sur
l'unité de la République, parce qu'accentuant les inégalités entre territoires.
Il ne me paraît pas contraire à une saine administration de notre pays
d'expérimenter certains transferts de compétences ou certaines simplifications
de l'administration territoriale, à condition qu'un cadre soit tracé et qu'une
direction soit donnée.
Dans le passé, certaines réformes auraient pu réussir si elles avaient été
préalablement expérimentées sur un territoire restreint et si l'on avait pu en
tirer des conséquences réalistes avant de les généraliser.
L'unité de la République ne signifie pas l'uniformité en toutes choses, et
certains exemples démontrent d'ailleurs que spécificité régionale et unité de
la République peuvent parfaitement évoluer de pair. Reconnaître une spécificité
culturelle régionale, par exemple, constitue un enrichissement du patrimoine
national et non une entorse à la cohérence de notre pays.
La participation accrue des citoyens à la vie locale est un principe consacré
par l'article 5 du projet de loi constitutionnelle. Il se traduit par un
renforcement du recours au référendum et au droit de pétition. Certes,
l'intention d'assurer une plus large assise aux décisions est en soi louable,
mais ne faisons rien qui puisse affaiblir l'autorité des élus locaux ou aboutir
à un blocage de leurs décisions, car ces dernières sont encadrées par des
procédures souvent longues, par des contrôles diversifiés, et les élus locaux
tiennent leurs pouvoirs et leurs responsabilités de la loi et du suffrage
universel, qui intervient tous les six ans. Ils ont besoin d'encouragements et
non de freins à l'action qu'ils mènent dans l'intérêt général.
Le transfert de compétences est le domaine dans lequel la clarification est le
plus urgente et où une meilleure lisibilité est le plus attendue. Depuis vingt
ans, nous avons pu constater que, dès lors qu'une compétence était transférée
en bloc à une collectivité, clarté et efficacité étaient assurées. Les cas des
collèges, des lycées, des transports scolaires et de la lecture publique
l'attestent. Mais il n'en allait pas toujours ainsi, soit parce que, dans le
secteur économique, par exemple, la loi reste ambiguë, soit parce que, dans
l'université, par exemple, l'Etat, formellement seul compétent, a fait appel
aux régions, aux départements et aux villes pour l'aider à assumer sa
compétence.
Le bloc de compétences doit rester l'objectif à atteindre. Toutefois,
lorsqu'une coopération entre plusieurs collectivités et entre des collectivités
et l'Etat se révèle inévitable, la notion de « chef de file » s'impose. Faut-il
la définir par la loi ? Ne vaut-il pas mieux, plutôt, laisser aux partenaires,
sur le terrain, le soin de définir les modalités de leur coopération ? La loi
devra tracer le cadre des compétences concernées et il appartiendra aux
collectivités de mettre au point les aspects pratiques de leur partenariat, au
cas par cas, en respectant ce cadre.
Les aspects financiers et fiscaux de la décentralisation constituent bien
entendu un volet essentiel, qui est traité dans le projet de loi
constititutionnelle selon trois points principaux.
Il s'agit d'abord de l'affirmation de l'autonomie fiscale des collectivités
territoriales.
La part des recettes ne provenant pas des dotations de l'Etat doit-elle être
prépondérante ou déterminante ? Ne serait-il pas plus clair de s'en tenir à la
proposition réaliste du Sénat, selon laquelle cette part devrait représenter la
moitié des recettes ? Lever les ambiguïtés au départ permettrait d'éviter bien
des déconvenues ultérieures. Sachons toutefois que toutes nos décisions ne
produiront que des effets limités tant qu'une réforme fiscale globale n'aura
pas été mise en oeuvre.
Il s'agit ensuite de l'accompagnement financier de la décentralisation,
c'est-à-dire du transfert de ressources correspondant au transfert de
compétences ; il peut, lui aussi, susciter des malentendus.
Pour les collèges et les lycées, les départements et les régions ont, nous le
savons, dépensé infiniment plus que l'Etat ne l'avait fait auparavant, parce
qu'ils ont bien assumé une charge que ce dernier avait mal assumée. Certains
jacobins, qui n'étaient pas toujours de bonne foi, n'ont pas manqué d'en
déduire que l'Etat était vertueux sur le plan fiscal et les collectivités
dépensières.
Il s'agit enfin de la péréquation.
La grande crainte qui apparaît est liée au sentiment qu'une décentralisation
plus poussée creuserait inévitablement le fossé entre les régions. Rappelons à
ce propos que l'écart s'est accentué au cours de la dernière décennie et qu'il
a été démontré que la centralisation n'était pas forcément le gage d'une plus
grande solidarité, bien au contraire. Décentralisation vigoureuse et
aménagement du territoire volontariste doivent aller de pair si l'on veut à la
fois réduire les inégalités sur le territoire national et bien insérer celui-ci
dans l'espace européen environnant.
Je rappellerai, à cet égard, les principes retenus sur proposition du Sénat
dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire
du 4 février 1995, fixant des règles précises pour une réduction en quinze ans
des écarts de ressources entre les collectivités territoriales en fonction des
disparités de richesses et de charges existant entre elles. Est-il utopique de
penser qu'il n'est pas trop tard pour relancer l'application d'une disposition
qui a été non pas abrogée, mais « mise en veilleuse » alors qu'il y a urgence
?
Le dernier volet concerne les hommes qui doivent façonner la mise en oeuvre de
la décentralisation. Comment ne pas rappeler, à cet instant, l'importance de la
fonction publique territoriale ?
Les statuts des fonctions publiques élaborés au lendemain des lois de
décentralisation de 1982 et 1983 étaient fondés sur le principe que la fonction
publique unique comportait un versant étatique et un versant territorial et
qu'une grande mobilité dans les deux sens devait en consacrer l'unité. Les
fruits n'ont pas été à la mesure des promesses. Une osmose entre les deux
versants et surtout une plus grande souplesse pour, par exemple, faciliter le
passage des fonctionnaires territoriaux de l'échelon communal à l'échelon
intercommunal sont indispensables. Trop de rigidités et de pesanteurs
constituent encore, à cet égard, des handicaps qui entravent l'élan que nous
devons donner à la décentralisation. Or le transfert des moyens humains est
aussi important, pour la réussite de la décentralisation, que le transfert des
moyens financiers.
Telles sont quelques-unes des observations qu'appelle le projet de loi
constitutionnelle qui nous est soumis. Elles ne sauraient en aucun cas,
monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le ministre délégué,
être interprétées comme une adhésion tiède à l'idée de décentralisation, que,
en tant que frontalier comparant quotidiennement les pratiques française,
allemande et suisse, j'approuve sans réserve. Même si notre histoire et notre
tradition ne sont pas comparables aux leurs, nous ne pouvons pas ne pas tenir
compte de ce qui se passe chez nos partenaires européens et de l'aspiration de
nos compatriotes à pouvoir identifier des centres de décision proches d'eux. La
démocratie de proximité, c'est cela.
Mais il convient également de rappeler que la décentralisation, aussi
audacieuse soit-elle, ne règle pas tout, loin s'en faut : cela a déjà été dit
ce matin. Elle ne saurait être, pour l'Etat, un prétexte pour renoncer à sa
propre réforme. Il ne peut faire l'économie de décisions douloureuses et de
remises en cause de certaines de ses structures : j'évoquerai par exemple ici
le système audiovisuel français, particulièrement marqué du sceau de la
centralisation.
Cette réforme de l'Etat, notamment sa déconcentration, ne peut être dissociée
de la décentralisation, car l'une est complémentaire de l'autre. La réforme
dont notre pays a besoin est globale. Déjà, en 1976, le rapport Guichard
l'affirmait : « C'est sur tous les mécanismes centralisateurs qu'il faut agir à
la fois, y compris ceux qui font mouvoir les mentalités. Institutionnelle,
financière, la réforme doit être aussi psychologique et sociale. » En l'an
2000, le rapport Mauroy indiquait que, « en l'absence de politique volontaire,
de poursuite du mouvement engagé, c'est presque nécessairement une logique
recentralisatrice qui l'emportera ».
Un quart de siècle sépare les deux rapports, mais aujourd'hui l'Europe et la
mondialisation ne permettent plus d'attendre. Il y a urgence. Puissions-nous
être aussi audacieux pour la réforme de l'Etat que pour la décentralisation, et
puisse celle-ci, au-delà de tous les clivages, prendre rapidement un nouvel
élan.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M.
Pierre Mauroy applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
l'histoire récente des départements d'outre-mer se caractérise par un double
mouvement qui affirme l'appartenance à la République en même temps qu'il
souligne les particularités des départements d'outre-mer, sinon les différences
entre ceux-ci et la métropole.
La loi de 1946, vecteur d'égalité, fut l'un des éléments clés de
l'enracinement de la Réunion dans la République. S'est exprimée, parallèlement,
la demande grandissante de responsabilité, de respect des identités locales, de
prise en compte des spécificités, qu'elles soient économiques, sociales,
culturelles ou géographiques.
La Constitution de 1958, par la combinaison de ses articles 72 et 73, tente de
conjuguer cette double aspiration.
Il s'agit, d'une part, pour les départements d'outre-mer, du principe de
l'assimilation législative, et, d'autre part, de la possibilité accordée au
législateur de prendre des mesures d'adaptation rendues nécessaires par leur
situation particulière.
Les articles consacrés à l'outre-mer dans le projet de réforme
constitutionnelle qui nous est soumis s'inscrivent dans la continuité de cette
histoire. La réécriture des articles 72 et 73 n'opère pas de révolution, tout
au plus autorise-t-elle des évolutions, dans le cadre de la République.
La nouvelle rédaction proposée pour l'article 73 est sans ambiguïté : « Dans
les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont
applicables de plein droit, sous réserve d'adaptations tenant à leurs
caractéristiques et contraintes particulières. » Il n'y a donc pas de rupture
avec la Constitution de 1958, et c'est bien le régime de l'assimilation
législative qui continuera à s'appliquer.
La nouveauté tient, d'une part, à la formulation, inspirée de l'article 299-2
du traité d'Amsterdam et n'autorisant plus seulement les adaptations rendues
nécessaires par la situation particulière des départements d'outre-mer, mais
donnant une dimension dynamique à ces adaptations, qui doivent prendre en
compte les caractéristiques et les contraintes particulières de ces
départements. Nous touchons là à une question cruciale. La nouvelle rédaction
de l'article 73 renforce l'argumentation en faveur de la consolidation de
l'article 299-2 du traité d'Amsterdam pour son maintien au plus haut niveau
dans l'ordre juridique communautaire. Préconiser l'application stricte du droit
commun national dans un texte constitutionnel alors que les sept régions
ultrapériphériques françaises, espagnoles et portugaises développent des
arguments contraires auprès des instances européennes, c'est affaiblir les
chances du maintien des dispositions de l'article 299-2, fruit de dizaines
d'années de lutte des départements d'outre-mer. Quels arguments développera le
mémorandum des trois Etats concernés et de leurs sept régions
ultrapériphériques au cas où serait entendu par le Sénat l'appel à
l'interdiction de toutes initiatives des assemblées locales réunionnaises ?
C'est pourquoi j'ai cosigné l'amendement de ma collègue Mme Lucette
Michaux-Chevry aux termes duquel « la République reconnaît les spécificités des
régions ultrapériphériques françaises telles que définies par les dispositions
de l'article 299-2 du traité signé le 2 octobre 1997 ».
D'autre part, dans l'esprit du mouvement général de décentralisation voulu
pour l'ensemble de la République, le texte permet aux départements et régions
d'outre-mer, s'ils y ont été habilités par le législateur, de fixer eux-mêmes
les adaptations sur leur territoire, y compris dans certaines matières qui
relèvent du domaine de la loi.
Depuis un demi-siècle, le monde a profondément changé et il est appelé à
connaître à court et à moyen terme des bouleversements qui changeront le visage
du pays et de nos territoires. Il nous faut nous y préparer dès à présent.
La réforme telle qu'elle nous est présentée vise à adapter la Constitution à
cette réalité nouvelle.
Comment valoriser le rôle éminent que peuvent jouer les collectivités
territoriales, et les régions en particulier, dans la modernisation du pays
mais aussi dans le contexte de la mondialisation ? C'est encore plus vrai pour
les départements d'outre-mer qui évoluent dans un contexte économique varié et
en pleine mutation.
En outre-mer, comment méconnaître encore plus longtemps la valeur ajoutée des
initiatives locales dans la recherche de solutions au défi du développement ?
En un mot, la Constitution ne doit-elle pas permettre d'agir à l'échelon le
plus pertinent pour répondre à la diversité des situations régionales ? Ce
principe de subsidiarité est une évidence pour l'outre-mer. Ces transferts de
compétence devront s'accompagner de moyens correspondants, mais, s'agissant de
l'outre-mer, ils devront également tenir compte du nécessaire rattrapage des
retards de nos collectivités à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne
les équipements publics, et des besoins découlant de la progression
démographique jusqu'en 2025.
Vous n'ignorez pas, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le
contexte réunionnais marqué par la peur, la « peur de l'abandon », du « largage
», comme on dit, parfois sincèrement ressentie, et quelquefois aussi savamment
entretenue.
Ce contexte incite à dire les choses sans passion et avec la plus grande
clarté. La réforme ne permet pas que la Réunion accède à l'indépendance, pas
plus que les autres régions ultrapériphériques. Par l'énumération des
départements d'outre-mer dans le texte de la Constitution, l'ancrage de l'île
dans la République se trouve, au contraire, consolidé.
Vous me direz, mes chers collègues, que ce débat n'a jamais été ouvert, qu'il
s'agit d'un faux débat. Je vous l'accorde volontiers : c'est un faux débat, une
vraie perte de temps et une grossière diversion.
En fait, l'innovation, cela a été dit, tient dans la possibilité pour les
régions d'outre-mer d'une évolution administrative ou statutaire à l'intérieur
de la République. Celle-ci est assortie du respect d'un certain nombre
d'obligations, dont celle qui consiste à obtenir le consentement des
populations. Leur volonté sera donc respectée, puisqu'elles seront consultées.
Peut-on aller plus loin dans l'exercice et le respect de la démocratie ?
Il eût été aberrant que certaines forces de l'inertie et de l'immobilisme
réunionnais, exigeant une rédaction du texte qui ferme définitivement la voie à
toute possibilité d'évolution à l'intérieur de la République, condamnent les
autres entités de l'outre-mer au
statu quo
, dont elles ne veulent
pas.
Je dis à mes compatriotes de la Réunion : il convient de n'insulter personne,
ni l'histoire ni l'avenir.
N'insultons pas l'histoire, et souvenons-nous de celles et de ceux qui, contre
la société dominante de l'époque, ont oeuvré pour que la Réunion accède au
statut de département. Qu'en serait-il aujourd'hui si les tenants du
statu
quo
avaient imposé alors dans la Constitution que jamais la Réunion ne
devrait connaître d'évolution et ne pourrait être érigée en département ?
N'insultons pas l'avenir, ayons le sens du temps et hissons-nous au niveau de
la mission politique de cette réforme constitutionnelle qui, par essence, nous
invite aussi à oeuvrer pour des décennies.
Ceux qui pensent que, malgré les évolutions enregistrées depuis cinquante ans,
il ne faut pas changer un seul mot de la Constitution quand il s'agit des
départements d'outre-mer font preuve d'un immobilisme étonnant. Une telle
attitude révèle un manque de confiance dans la capacité de leurs citoyens à
juger et à prendre leurs responsabilités.
Or, souvenons-nous que les départements et les régions d'outre-mer ont été
précurseurs dans la mise en oeuvre des lois de décentralisation de 1982 et de
1983 par l'expérimentation, trois ans avant la métropole, de la
régionalisation.
Le sens historique doit triompher sur l'opportunité. Et c'est bien ce sens
historique qui conduit à proposer pour l'outre-mer des modifications
constitutionnelles dans un climat apaisé, et non sous le poids de l'urgence et
de drames comme cela fut parfois le cas par le passé.
Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues,
cette étape nouvelle de la décentralisation constitue un défi pour la
République. En outre-mer, il nous appartient de le relever avec confiance en
nous-mêmes et dans l'avenir.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes et sur plusieurs
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Josselin de Rohan.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Josselin de Rohan.
« La politique est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde
», disait Paul Valéry. Ce sentiment est sans doute largement partagé. Le taux
d'abstention très élevé qu'ont connu des élections majeures en témoigne. Le
citoyen se sent bien souvent impuissant devant un pouvoir lointain, opaque et
confisqué.
La décentralisation donnera-t-elle à nos compatriotes l'impression qu'ils
bénéficieront de la proximité dans la gestion de leurs affaires grâce à plus de
rapidité dans la décision, plus d'efficacité dans la gestion, moins de charges
fiscales et davantage de participation ? C'est là le défi.
Beaucoup craignent que des administrations nouvelles ne se superposent aux
administrations de l'Etat, du département ou des communes, et n'ajoutent encore
au poids de la puissance publique et aux dépenses. D'autres pensent qu'il ne
s'agit que d'enjeux de pouvoir, entre notables qui cherchent à maintenir leurs
prérogatives en s'abritant derrière la défense des institutions. Nombreux sont
ceux qui pensent que l'Etat ne se dessaisira au fond jamais vraiment de ses
compétences, et est dans l'incapacité de se réformer.
Telles sont les interrogations que suscite la réforme. Tels sont les défis
qu'il faut relever si nous voulons que cette réforme soit un succès et
apparaisse crédible.
Avec le professeur Baguenard, on peut distinguer trois caractéristiques de la
décentralisation : une sphère de compétence spécifique au profit des
collectivités locales, des activités propres prises en charge par des autorités
locales indépendantes du pouvoir central est une gestion autonome des affaires
propres. Si on essaie de faire le bilan de ce qui a été réalisé depuis vingt
ans, période à laquelle les grandes lois décentralisatrices ont été adoptées
par le Parlement, on aboutit à des résultats assez mitigés.
D'abord, en ce qui concerne les compétences : en 1982 et en 1983, le
législateur a tenté de définir les compétences. La proximité, c'était la
commune ; la solidarité, c'était le département ; le développement économique,
c'était la région. Le problème, c'est que la frontière entre toutes ces
délimitations est très poreuse. Aujourd'hui, on assiste, dans la pratique, à un
enchevêtrement de compétences qui fait naître la confusion. Tout le monde fait
tout. On a même assisté, ces derniers temps, à des recentralisations
relativement importantes. A cet égard, je citerai simplement les conclusions du
rapport de M. Mercier ou le rapport de notre excellent collègue M. Pierre
Mauroy.
S'agissant des élus locaux, il faut reconnaître que les lois Defferre leur ont
assuré une indépendance réelle, car l'élection fonde la légitimité du pouvoir.
L'autorité locale, désignée par recours au procédé électif, a démontré son
indépendance à l'égard du pouvoir central et celui-ci a respecté les exécutifs
régionaux. On ne peut pas dire que, sur ce point, il y ait eu des tentatives du
pouvoir de reprendre ce qui avait été concédé. Le bilan est positif, ce qui ne
veut pas dire que l'on ne puisse pas faire mieux et aller plus loin.
Quant à l'autonomie de gestion, on peut la considérer du point de vue
juridique, financier ou technique.
Sur le plan juridique, une grande innovation a consisté à supprimer la tutelle
a priori
et à lui substituer le contrôle
a posteriori
des actes.
C'est vraiment là où réside l'innovation qui a été introduite par la loi
Defferre. Sur ce point, même si nous divergeons de temps à autre sur la manière
dont le contrôle s'opère
a posteriori
, nous devons reconnaître qu'il
s'est instauré un équilibre relativement satisfaisant.
Sur le plan financier, on a assisté à une véritable dérive, qui n'est pas
acceptable. En effet l'encadrement est devenu tel que toute latitude a été
profondément restreinte. J'en veux pour preuve la triste évolution des finances
des régions. En 1998, plus de 50 % de nos recettes provenaient de ressources
autonomes ; aujourd'hui, nous en sommes à moins de 35 %. En ce qui concerne la
fiscalité communale, les contraintes sont telles aujourd'hui qu'il n'y a
pratiquement plus de marge. Enfin, les concours de l'Etat se sont compliqués et
deviennent de moins en moins lisibles. Qu'il s'agisse de la DGF, de la DGE, de
la DGD, du FCTVA, de la DSR et de la DSU, il faut être un véritable expert pour
naviguer à travers la complexité de la législation. En tout cas, un élu local a
bien du mal à s'y retrouver, même s'il a des compétences.
M. Jacques Peyrat.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nous assistons au maintien de la dépendance enchevêtrée. Les relations entre
l'Etat et les collectivités locales deviennent de plus en plus compliquées et
confuses, et il est temps, en effet, qu'une nouvelle étape de la
décentralisation apporte plus de clarté, du moins doit-on l'espérer.
En ce qui concerne la tutelle technique, il faut bien reconnaître que la
plupart des petites communes qui sont dépourvues de services techniques
dépendent encore des services de l'Etat. Quelle commune de moins de cent
habitants ou de deux cents habitants peut-elle se passer des services de la
DDE, qui est à la fois conseil et arbitre du projet ? C'est une situation
malsaine à laquelle il faudra bien remédier.
Mon propos n'est pas de me livrer à une critique des lois Defferre. J'estime
en effet qu'elles ont constitué un tournant important dans la marche vers une
plus grande décentralisation et ouvert des espaces nouveaux et féconds.
Pour asseoir définitivement la décentralisation, il faut cependant procéder à
un nouvel approfondissement et à une plus grande clarification de ses
fondements. La pratique et l'expérience accumulées depuis vingt ans nous
éclairent sur les options à prendre. La Haute Assemblée, en tout cas, a
beaucoup réfléchi à ce sujet, et sa contribution au débat et à son
enrichissement a été majeure.
Cinq importants rapports, dont ceux de nos collègues Mercier et Delevoye,
Hoeffel et Bourdin, sont issus de nos travaux. Trois propositions de loi
constitutionnelle, dont deux signées du président du Sénat, ont pu certainement
servir de fondement à la réforme qui vous est présentée. Je tiens d'ailleurs à
rendre hommage à l'action conduite personnellement par le président du Sénat
dans toutes les régions de France à travers les états généraux, qui lui ont,
ainsi qu'à nous-mêmes, permis de prendre le pouls des élus locaux et de
ressentir à quel point il était important de changer nos structures.
M. le président.
Merci, mon cher collègue.
M. Josselin de Rohan.
Il est d'ailleurs heureux de noter que la décentralisation a été retenue par
le Président de la République et le Premier ministre comme le coeur de leur
action pour les cinq prochaines années.
Le projet de loi qui nous est soumis répond-il aux exigences d'une véritable
réforme de notre administration territoriale ? Certains le trouveront beaucoup
trop timide, et d'autres trop audacieux.
Ceux qui l'estiment trop timide avancent qu'il n'établit pas les fondements
d'une France fédérale ou qu'il ne crée pas suffisamment d'autonomie. Mais, à
l'inverse, il inquiète tous ceux qui siègent non pas forcément dans
l'administration, mais quelquefois dans des associations ou même des syndicats,
et pour qui, après tout, le centralisme démocratique a du bon.
(Mme Nicole
Borvo s'exclame.)
Pour la première fois, la Constitution reconnaît la décentralisation comme
l'un des fondements de la gouvernance républicaine, ce qui constitue un symbole
fort et un acte politique. Il en est de même de l'affirmation de la
subsidiarité. Ce sont non pas des mots, mais des principes qui, aujourd'hui,
sont très répandus en Europe et qui recouvrent une véritable réalité. Pour
notre part, nous pensons que l'inscription de ces principes dans la
Constitution est un véritable progrès.
La reconnaissance du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales
constitue, à mon avis, un autre acte fort. Autrefois, ce pouvoir n'était
reconnu qu'aux seul Premier ministre. Aujourd'hui, on admet qu'un pouvoir
réglementaire puisse exister pour les collectivités locales. C'est, je crois,
un progrès.
Mais ce projet de loi est surtout novateur et pragmatique. Il est nouveau dans
la mesure où il prévoit - et vous comprendrez qu'un président de conseil
régional s'en réjouisse - la reconnaissance de la région sur le plan
constitutionnel. Par ailleurs, la faculté de créer des collectivités locales à
statut particulier constitue un autre élément tout à fait nouveau et fort
intéressant, en permettant des évolutions dans la souplesse et en ne figeant
pas les statuts.
Une autre innovation très intéressante réside dans le droit à
l'expérimentation, notion tout à fait insolite dans la pratique française ;
mais les expérimentations qui ont pu être conduites dans divers domaines ont
montré leur pertinence et leur utilité.
Je m'étonne d'ailleurs d'entendre ceux qui avaient initié ces expérimentations
crier aujourd'hui au loup quand il s'agit, pour une collectivité locale, de
revendiquer une compétence nouvelle lorsqu'il apparaît que celle-ci peut
véritablement être intégrée dans son champ de compétences à l'issue d'une
expérience.
La désignation d'une collectivité chef de file me paraît une très heureuse
innovation parce qu'elle permettra de coordonner et, surtout, de conjuguer les
efforts en vue de faire avancer les projets.
Le projet de loi constitutionnelle est par ailleurs très clarificateur dans la
mesure où l'autonomie financière des collectivités locales sera garantie par la
fixation des taux des impôts et de l'assiette, parce qu'une part « déterminante
» ou « prépondérante » - cela reste à discuter - de leurs ressources seront
des ressources fiscales, enfin parce que la notion de péréquation est rappelée
comme l'un des fondements de l'égalité républicaine.
Le projet de loi est démocratique par la reconnaissance du droit de pétition
et l'extension du champ du référendum.
Je suis de ceux qui pensent que, à condition qu'elle soit convenablement
encadrée et qu'elle n'aboutisse pas au harcèlement permanent des autorités
locales, la pétition est une fenêtre ouverte vers les citoyens pour leur
permettre de s'exprimer. Après tout, faire des pétitions n'est pas imposer une
manière de voir. Les assemblées resteront libres de leurs décisions.
Enfin, il est heureux que le champ du référendum ait été étendu. Lorsqu'il
s'agit de se prononcer sur l'avenir ou la forme d'une collectivité, le plus
simple est tout de même de demander aux citoyens leur opinion sur la question,
sous réserve, bien entendu, que cette procédure reste relativement
exceptionnelle.
Que pouvons-nous attendre de cette réforme ?
Son succès dépendra tout d'abord de l'esprit dans lequel elle est appliquée.
La loi organique qui définira et attribuera aux collectivités décentralisées de
nouveaux domaines de compétences jouera, à mon avis, un rôle aussi déterminant
que la réforme constitutionnelle. Il faudra veiller à une définition claire des
compétences nouvelles accordées aux diverses collectivités afin d'éviter les
chevauchements. Si les participations croisées sont difficilement évitables -
ne nous faisons pas d'illusion ! - l'existence d'un chef de file doit
permettre, grâce à des conventions signées entre les diverses collectivités, de
désigner au moins un coordinateur.
Enfin, l'expérimentation doit être clairement encadrée pour éviter
l'ambiguïté, la confusion et la cacophonie. L'exigence d'un bilan avant tout
transfert d'une compétence expérimentée est un préalable pour que les
citoyens-contribuables puissent être dûment éclairés sur les résultats des
transferts, notamment sur leurs coûts.
Les élus locaux qui auront la responsabilité de gérer des domaines nouveaux de
compétences pour leur collectivité doivent se rendre compte combien il est
difficile pour nos compatriotes de s'y retrouver dans les différents niveaux
administratifs : commune, groupement de communes, région ou département. Si
chaque collectivité, retranchée dans son domaine, cherche à protéger son pré
carré et se livre à des querelles de bornage incompréhensibles pour les
citoyens ordinaires, la décentralisation aboutira à l'échec. Elle sera
synonyme, dans l'opinion publique, de luttes d'influence, de confusion et de
gabegie. Seules la collaboration loyale entre les partenaires et une recherche
constante de la simplification administrative seront comprises par tous.
Une deuxième condition du succès réside dans l'obligation pour l'Etat de
s'interdire toute interférence dans les domaines transférés, à l'exception du
contrôle de légalité. Il en résulte qu'il ne saurait subsister d'administration
parallèle de l'Etat pour doubler des activités qui auraient été concédées aux
collectivités locales. Il faut être extrêmement précis : si, par exemple,
l'activité sportive a été concédée à la région et les routes ont été
transférées au département, il ne doit plus subsister un directeur régional des
sports ou un directeur départemental de l'équipement pour constituer une
administration parallèle.
Troisième condition du succès : il faut garantir le caractère pérenne,
dynamique et autonome des ressources financières des collectivités. Il doit
être mis fin au recours forcé aux collectivités locales tel qu'il a été
pratiqué, par exemple, à l'occasion du plan de lutte contre les inondations, du
plan de relance à la consommation bovine ou des plans de développement du
téléphone.
Une quatrième condition du succès réside dans l'adaptation à la nouvelle
réalité des principes sur lesquels reposent la planification et l'aménagement
du territoire. Un terme doit être mis à la pratique actuelle des contrats de
plan qui a conduit l'Etat, ainsi que l'a constaté la Cour des comptes, à
utiliser la contractualisation pour faire financer une partie de ses
investissements en en tirant un avantage certain. Il faudra substituer le
véritable partenariat à l'allégeance, et la concertation à la carte forcée.
L'aménagement du territoire devra continuer à remédier aux écarts entre
régions riches et régions aux ressources limitées. Seul l'Etat peut pratiquer
une véritable péréquation et assurer la solidarité nationale ; mais force est
de reconnaître que les exigences de l'égalité risquent parfois de se heurter
aux conséquences d'une plus grande liberté. C'est un équilibre difficile à
réaliser, nous en convenons.
La démarche dans laquelle nous nous engageons ne porte atteinte ni à l'unité
ni à l'indivisibilité de la République. Le pacte qui, depuis plusieurs siècles,
unit entre eux les Français est suffisamment fort pour permettre une
administration moins éloignée des citoyens. La République des proximités n'est
pas une menace pour la République. L'approche souple et pragmatique voulue par
le Gouvernement n'est pas le prélude à la réédification complète de notre
administration territoriale rêvée par les faiseurs de système ou les
réformateurs en chambres. Elle ne bloque rien, ne ferme aucune porte et ménage
les transitions. Elle facilitera les indispensables évolutions sans heurter
délibérément les situations fondées sur l'histoire, l'organisation sociale ou
l'environnement géographique. Elle se situe dans la continuité de ce qui avait
été amorcé il y a vingt ans et qui est aujourd'hui, heureusement, complété.
C'est pourquoi nous avons bien des difficultés à comprendre les acrobaties de
ceux qui dénoncent avec force ce qu'ils préconisaient hier avec autant de
conviction ou qui feignent de croire à l'alourdissement d'une fiscalité
aggravée lorsqu'ils n'ont guère protesté devant l'affaiblissement continu de
l'autonomie des collectivités locales.
« Les grandes entreprises, disait un sage, rencontrent les oppositions de ceux
qui ont eu la même idée, de ceux qui pratiquent résolument des politiques
contraires, mais surtout celles de l'immense armée des individus qui ne veulent
rien changer ! »
Parce que nous voulons le changement, et non le bouleversement, la réforme
d'un Etat concentré sur ses missions régaliennes et non un Etat omnipotent et
impuissant, une République de la participation, de la proximité et de la
responsabilité citoyenne, nous voterons avec détermination et confiance le
projet de loi qui nous est soumis.
(Bravo ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la
décentralisation est une grande affaire dans laquelle le Sénat est engagé
depuis longtemps et qui a été relancée - avec quelle volonté ! - par le
président Poncelet voilà quelque temps. Nous avons tous étudié ce dossier et le
groupe auquel j'appartiens avait fait des propositions assez hardies sur la
taille des régions, leur mode de gestion et la décentralisation en général.
Plus modestement, j'avais ajouté une petite pierre à l'édifice. C'est l'un des
sujets sur lesquels la Haute Assemblée travaille avec le plus de scrupules et
le plus de volonté. Ce débat ne fait pas exception à cette règle.
Ce matin, nous avons noté l'enthousiasme du Premier ministre ainsi que la
volonté des ministres, et nous avons tous été frappés par la justesse du
rapport et des propositions du président-rapporteur de la commission des
lois.
Mais, monsieur le ministre, ayant l'habitude d'appeler un chat un chat, je
vous dirai qu'il ne faut pas se leurrer : comme le prouvent un certain nombre
d'observations formulées à cette tribune, il y a quand même un malaise autour
de ce débat, chez les élus locaux et quelquefois au sein de notre
population.
M. Robert Bret.
Pour le moins !
M. Paul Girod.
D'où vient-il ? Que nous appartient-il de clarifier ?
Il y a plusieurs causes. Notre collègue M. Alfonsi, ce matin, a évoqué le cas
particulier de la Corse : le moins que l'on puisse dire, c'est que la clarté
des discours n'est pas toujours ce qui frappe le plus à la lecture de la presse
; mais il y a d'autres causes - les finances,...
M. Robert Bret.
Eh oui !
M. Paul Girod.
... l'évolution des réglementations, l'aspect juridique - qui se sont
multipliées ces dernières années.
Prenons l'exemple des finances. Certes, les lois de décentralisation de 1982
et de 1983 sont l'oeuvre du gouvernement Mauroy ; mais juste avant, la loi
relative à la dotation globale de fonctionnement, entre autres, avait été une
vraie loi de décentralisation dans la mesure où les collectivités territoriales
se voyaient reconnaître un moyen libre d'emploi, qui est devenu maintenant un
moyen de récompense à la soumission à certaines politiques gouvernementales.
Personne ne peut le nier, cette évolution, au fil des ans, a abouti à une
lisibilité difficile et, par-dessus le marché, à un large encadrement et à une
évolution faible sur un certain nombre de points souhaités par les
collectivités territoriales.
La fiscalité locale n'a jamais été revue. Chacun sait que nos bases
d'imposition sont obsolètes et nos impôts déphasés par rapport à la réalité.
L'ennui, c'est que les réponses qui ont été apportées ces dernières années à
cette constatation vont exactement en sens inverse d'une décentralisation
quelle qu'elle soit, puisque l'Etat a réduit la marge de manoeuvre des
collectivités territoriales en supprimant toute une série d'impôts et en les
remplaçant par des dotations peu évolutatives et, surtout, figées.
Je pense à la partie salaire de la taxe professionnelle, qui ne suit plus
maintenant les implantations d'entreprises. Par conséquent, les collectivités
où s'installent de nouvelles sociétés se trouvent privées de références et ce
sont celles qui les ont perdues qui les gardent. C'est très bien au regard de
la solidarité, mais ce n'est pas très bon pour l'efficacité.
Toute une série de charges ont été imputées aux collectivités territoriales.
On a parlé de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, ainsi que des
SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, qui sont financés
par l'impôt local pour des risques de caractère national. Quand ce sont la
démographie, l'état de santé de la population qui sont concernés, ce n'est pas
l'impôt local qui doit être sollicité.
Quand des services départementaux d'incendie et de secours sont amenés à se
mobiliser pour assurer des tâches de protection générale de notre pays, ce
n'est pas forcément à l'échelon local que se trouve la solution.
Abordons l'aspect juridique du problème. C'est l'un des points essentiels qui
suscite la perplexité de nos collègues.
A cet égard, le discours doit être extrêmement clair et net. Nous ne voulons
plus revoir ce que nous avons connu avec la loi relative à la démocratie de
proximité et la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain.
Autant que je sache, la responsabilité en matière d'urbanisme et de
construction avait été transférée aux communes par la loi de 1983. Que
reste-t-il de la liberté d'appréciation des communes après la promulgation de
ces lois ? Rigoureusement rien. C'est le service de l'Etat qui commande, ce
sont les associations qui pèsent, et les élus exécutent. On ne peut pas
continuer dans cette voie.
Un autre aspect doit être souligné : nous sommes tous coupables, les
gouvernements qui se sont succédé, mais aussi le législateur, collectivement et
individuellement, car nous n'avons cessé d'introduire dans les lois, depuis
1958, toute une série de dispositions qui ressortissent au règlement, au titre
de l'article 34 de la Constitution. Or, du fait qu'elles sont contenues dans la
loi, ces dispositions réglementaires d'application générale ont du mal à être
mises à exécution, ce qui perturbe beaucoup les élus locaux.
Je me souviens d'un débat dans lequel il était question de fixer dans la loi
la distance qui devait être respectée par la plantation d'un mélèze au bord
d'un ruisseau. Est-ce vraiment du ressort de la loi d'imposer une telle norme
valable depuis la forêt des Ardennes jusqu'à Bonifacio ? Je ne le pense pas,
surtout si l'on veut ensuite l'étendre aux régions d'outre-mer.
Nous aurions dû collectivement mettre un frein à de tels procédés, que nous
n'avons pas toujours su limiter à de justes proportions.
Nous reprendrons ce débat lors de l'examen de l'article 4 relatif aux
dérogations législatives, mais nous devons en permanence avoir présent à
l'esprit l'affaire corse pour apprécier l'idée de dérogations législatives
ainsi que cette complication excessive de notre législation, que nous avons
tous fabriquée.
Malheureusement, chat échaudé craint l'eau froide, monsieur le ministre, et,
hélas, sont intervenus deux événements qui m'amènent à penser que le changement
de discours n'est pas immédiatement suivi d'effets.
Le premier s'est déroulé au sein du comité des finances locales. On a vu
arriver un décret aux termes duquel, pour mieux rémunérer les stagiaires de la
formation professionnelle, l'Etat confisquait tranquillement l'augmentation de
la dotation générale de décentralisation en disant : les régions se
débrouilleront pour le reste et l'Etat n'aura qu'à mettre un tout petit
complément pour solder l'affaire.
M. Fourcade a fait repousser le décret, mais le discours s'en trouve troublé
et cela perturbe les gens.
Puis, j'ai cru comprendre, ce matin, que, dans les Landes, la part affectée à
la protection de la forêt, qui dépasse largement les moyens d'un département,
posait aussi problème et dans les mêmes conditions.
Monsieur le ministre, si l'on veut que le malaise dont je parle se dissipe, il
faudra, sur les points de détail, être plus net qu'on ne l'a été jadis et, sur
les principes, plus entreprenant que dans le passé, le tout dans la clarté !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Serge Vinçon remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont.
Sans revenir sur ce qu'ont dit, et bien dit, nos excellents collègues ce
matin, vous-même, monsieur le rapporteur, expérimenté que vous êtes au double
titre de la présidence de la commission des lois et de celle de la région
Basse-Normandie, ainsi que M. le Premier ministre, qui a fait passer le souffle
de ses convictions sur ce débat - et quel souffle ! -, je commencerai mon
propos par un hommage aux milliers d'élus locaux français, en particulier aux
maires, qui oeuvrent sans compter pour nos concitoyens. Après tout, c'est un
peu d'eux qu'il s'agit aujourd'hui ; ils sont les acteurs essentiels de la vie
démocratique locale.
J'ai participé voilà peu à l'assemblée générale des maires de mon département.
Je connais bien, comme vous, l'attente des maires et, prosaïquement, c'est de
celle-ci que je souhaite vous parler, dépassant à dessein le strict cadre du
débat constitutionnel.
Par ailleurs, au-delà des stricts principes juridiques, la décentralisation
est également au coeur de l'aménagement de notre territoire sur lequel elle
n'est pas sans incidences concrètes ; j'en dirai donc quelques mots.
J'évoquerai ensuite rapidement les finances locales, tant il est vrai que
l'argent est tout autant le nerf de la guerre que celui de la réforme. Je
manifesterai ainsi notre satisfaction de voir, malgré un contexte difficile, la
prochaine loi de finances marquer une progression notable en faveur des
collectivités locales. La reconduite du contrat de croissance et de solidarité
nous satisfait également, de même que la déliaison des taux, heureuse
initiative qui confère à nouveau une certaine autonomie aux collectivités
locales.
Nul ici ne conteste que la relance de la décentralisation soit une nécessité.
Pour autant, il nous revient de prendre garde à ce qu'elle ne devienne pas le
creuset de nouvelles inégalités entre collectivités.
Pour cette raison, la péréquation, qui était déjà importante, devient
fondamentale. Or elle est insuffisamment assurée aujourd'hui entre les
différentes sortes de collectivités locales : les écarts de richesses fiscales
et de montants par habitant des dotations de l'Etat croissent dans des
proportions inquiétantes ; on note un écart de 1 à 5 entre la dotation moyenne
par habitant des communautés de communes et celle des communautés urbaines.
S'il n'est pas contestable, naturellement, que les moyens varient en fonction
des compétences dévolues à chaque catégorie de collectivité, l'amplitude de ces
écarts se justifie d'autant moins qu'à terme elle joue contre la ruralité et
l'aménagement équilibré du territoire en creusant davantage la fracture
territoriale.
Il nous faut trouver un nouvel équilibre reposant sur le triptyque suivant :
autonomie, fonds propres, dotation et péréquation au nom de la solidarité ;
solidarité entre l'Etat et les collectivités ; solidarité entre les
collectivités elles-mêmes.
Dans cette perspective, il nous faudra voir, par exemple, dans quelle mesure
cette péréquation, qui s'effectue déjà par les régions et les départements sous
la forme de subventions, pourrait être simplifiée, clarifiée afin d'éviter,
autant que possible, les financements croisés.
Cette question est essentielle car elle touche aussi à la vie de
l'intercommunalité, dont le succès est patent, notamment en milieu rural, et
qui est par ailleurs devenue le nouveau paysage de l'administration
territoriale française.
En réalité, cette question est tout aussi essentielle que celle de la vie de
nos communes, lesquelles sont, et doivent rester, le socle de la
décentralisation, des communes dont l'identité doit être préservée comme le
lieu d'exercice d'une administration de proximité ; M. le Premier ministre l'a
clairement réaffirmé ce matin.
Cela étant, et quel que soit l'échelon concerné, l'exercice de
l'administration locale nécessite des moyens importants. Or, ces dernières
années, de loi de finances en loi de finances, les réformes se sont multipliées
érodant le pouvoir fiscal des collectivités. Je n'énumérerai pas toutes les
suppressions de taxes effectuées par l'Etat, vous les connaissez.
Sous l'effet de ces différentes réformes, le poids des compensations versées
aux collectivités par l'Etat s'est accentué, ce qui a abouti à une véritable
recentralisation rampante, contraire à l'esprit même du principe de libre
administration des collectivités.
La décentralisation est également un contrat de confiance entre l'Etat et les
collectivtés locales, entre le Gouvernement et les exécutifs locaux. Qui dit
confiance dit transparence, et il ne saurait, me semble-t-il, y avoir de
transparence sans simplification des relations entre l'Etat et ses
collectivités, et ce à tous les échelons décisionnels.
Trop souvent, aujourd'hui, le citoyen ne sait plus qui fait quoi, qui paie
quoi, qui contrôle qui... J'ajouterai que même nous, les élus, avons parfois du
mal à nous y retrouver, notamment dans le foisonnement des réglementations
nationales et européennes, dans le maquis des financements croisés.
La réforme de l'Etat est donc le corollaire indispensable de la relance de la
décentralisation. En tous domaines, il nous faudra mettre de la clarté, de la
lisibilité et ne plus raisonner autrement qu'en termes de blocs de compétences,
fondés sur la vocation première de chaque collectivité. Lorsque ce ne sera ni
possible ni réaliste, l'idée du chef de file pourra être retenue.
On ne dira jamais assez à quel point les financements croisés et les
compétences partagées affaiblissent la décentralisation par les complications
qu'ils engendrent. La notion de blocs de compétences est donc tout à fait
essentielle ; il y va de la rapidité, de la clarté des décisions prises et de
leur bonne exécution.
En matière de patrimoine, par exemple, quel intérêt y aurait-il à partager
l'exercice des compétences entre le département et la région alors que le
département, en liaison avec l'Etat, a accumulé une grande expérience, alors
même qu'il apparaît comme l'échelon le plus propre à l'exercice d'une
compétence qui, par excellence, doit coller au plus près des réalités et des
spécificités locales ?
Je crois en la décentralisation si elle sait être une affaire de bon sens et
de pragmatisme.
D'une façon générale, les règles devront être clairement identifiées afin que
la collectivité qui exerce réellement une compétence dispose parallèlement de
tous les moyens nécessaires, étant exclu qu'il puisse y avoir tutelle d'une
collectivité sur une autre, mais étant entendu que tout transfert de
compétences sera subordonné au transfert préalable de ressources
équivalentes.
Le principe de subsidiarité, qui est au coeur du processus décentralisateur,
prendra alors tout son sens.
La réforme de l'Etat passe également par la clarification législative, ce qui
implique, pardonnez-moi, que l'on adopte des lois applicables ; j'entends par
là des lois qui ne se révèlent pas comme de véritables casse-tête sur le
terrain, ou trop coûteuses, pour les petites communes, notamment.
Il faut que de vraies études d'impact soient menées préalablement à l'adoption
des lois ; de façon générale, on ferait bien d'évaluer le poids de nombre de
décisions avant de les imposer aux finances locales.
Permettez-moi d'évoquer quelques exemples concrets. Un an et demi après le
vote de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU,
reconnaissons que le développement harmonieux de nos campagnes ne s'en trouve
pas favorisé et qu'il faut modifier la loi.
Les difficultés, nous ne le savons que trop, concernent, d'une part, la
réalisation des documents d'urbanisme et, d'autre part, le financement des
voies et réseaux nouveaux.
Or une affirmation véritable du principe de décentralisation de l'urbanisme en
faveur des collectivités locales et de leurs groupements devrait impliquer un
plus grand respect de leurs démarches volontaires, un allégement de dispositifs
que la loi dit « incitatifs » mais qui se révèlent être très souvent une
obligation de faire, enfin une vraie simplification des documents d'urbanisme,
ce qui d'ailleurs était l'une des attentes à l'égard de la loi.
Face au contenu encyclopédique de la loi SRU, qui ouvre un champ exceptionnel
à la contestation administrative ou juridique, quelle est la sécurité offerte
aux communes, dont la seule ambition est d'élaborer et de mener à bien un
projet de développement simple, pragmatique et répondant d'abord aux besoins de
ses habitants ?
La clarification de la gestion des fonds structurels européens constitue
également un chantier à ouvrir : en effet, ces grands fonds qui sont mis à
notre disposition - FEOGA, FEDER, LEADER - ne sont pas utilisés en raison de la
complexité des dossiers qu'il faut monter et des contraintes qui limitent leur
mobilisation à des fins collectives, sans prendre suffisamment en compte
l'initiative privée.
J'espère que la circulaire du 19 août 2002 sur la simplification de la gestion
de ces fonds trouvera son plein effet, même si je pense qu'il faudra aller plus
loin.
Autre exemple encore : la loi sur l'archéologie préventive du 17 janvier 2001.
Voilà un texte dont le principe - protéger le patrimoine archéologique - n'est
pas en soi contestable, mais qui induit des coûts financiers importants et des
contraintes administratives assez lourdes lors de l'aménagement de sites
d'activités. Il conviendra donc de revoir ce dispositif.
Je souhaite enfin évoquer brièvement la déconcentration, complément naturel de
la décentralisation, qui apparaît également comme une condition indispensable à
un dialogue efficace entre l'Etat et les collectivités locales.
En effet, quel que soit le dispositif institutionnel de la décentralisation
adopté et quelles que soient les responsabilités et les compétences dévolues
aux collectivités, l'Etat conserve sa mission de garantir et d'organiser les
solidarités entre les territoires, les villes et les populations.
Un partenariat est donc nécessaire entre l'Etat et les collectivités locales
pour organiser, à travers les services déconcentrés ou tout autre dispositif
institutionnel approprié, l'assistance technique dont les collectivités locales
ont besoin. L'expérimentation dans les domaines difficiles permettra, je
l'espère, d'éclaircir ces sujets.
A bien des égards, c'est un très grand chantier que nous ouvrons aujourd'hui.
Et si je vous remercie, monsieur le ministre, de l'avoir ouvert en premier lieu
devant notre assemblée, je vous redis une fois de plus que les attentes et les
espoirs sont grands chez les élus comme chez nos concitoyens. C'est, vous vous
en doutez, avec une grande attention que, au printemps prochain, nous
examinerons le projet de loi organique, qui « parlera » plus à tous et à
chacun.
Pour conclure, je dirai que nous sommes aujourd'hui confrontés à bien des
défis : du point de vue économique, c'est celui de la mondialisation ; du point
de vue politique, c'est celui de l'Europe, de son approfondissement et de son
élargissement, sans oublier celui de sa culture et de nos identités. Pour ne
pas se perdre dans ces mouvements croisés, notre Etat doit renforcer ses bases
et resserrer son maillage institutionnel.
Le présent projet de loi constitutionnelle constitue à cet égard le point de
départ nécessaire, car il ouvre le champ des possibles. Projet politique par
excellence, je suis sûr qu'il changera notre pratique quotidienne et, comme
vous le souhaitez, monsieur le ministre, libérera les énergies de notre pays.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos
concitoyens auraient sans doute beaucoup de difficultés à imaginer les
multiples contraintes administratives et financières subies par les
collectivités territoriales avant le vote des premières lois de
décentralisation.
Cela ne fait que vingt ans que, sur l'initiative de Pierre Mauroy et Gaston
Defferre, le Parlement a supprimé la tutelle du préfet omnipotent et que les
communes, les départements et les régions s'administrent librement à travers
des conseils élus. Ce principe de libre administration n'est plus contesté : la
décentralisation s'est imposée.
Quelle que soit leur appartenance politique, les élus ont pris en main la
gestion locale, sur les plans économique, social, culturel, et ils ont amélioré
le niveau du service public assuré à leur population. Que de chemin parcouru en
une génération ! Qui oserait aujourd'hui s'avouer hostile à l'épanouissement
des libertés locales, à la mise en mouvement des territoires dans le cadre de
la République ?
La question n'est plus, désormais, de savoir si l'on est favorable ou opposé à
la décentralisation : ce débat a eu lieu en 1981 ; il s'agit d'examiner de
quelle manière il est possible d'engager une nouvelle étape, de passer à une
vitesse supérieure, tout en restant fidèle aux principes fondamentaux de
liberté et d'égalité.
Ce projet de loi constitutionnelle, monsieur le garde des sceaux, ne me paraît
pas avoir tiré tous les enseignements des vingt années de décentralisation qui
viennent de s'écouler, notamment en ce qui concerne le financement.
Rien de plus banal et de plus communément admis que l'importance du transfert
de charges mis en oeuvre par l'Etat au moyen de la décentralisation. Si, à
l'origine, la décentralisation est synomyme de libertés nouvelles, son
approfondissement est aujourd'hui souvent craint comme un transfert de charges
potentiel sans prise en compte des inégalités qui demeurent entre collectivités
territoriales, en ce qui concerne tant les besoins sociaux auxquels elles sont
confrontées que les ressources dont elles disposent. Vous ne pouvez, monsieur
le garde des sceaux, ignorer cette inquiétude légitime.
Certes, vous proposez de constitutionnaliser le principe de compensation
contenu dans la loi de 1982 : « Tout transfert de compétence entre l'Etat et
les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources
équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. » Mais vingt ans
d'expérience ont démontré que le respect de ce principe ne suffisait pas à
éviter le transfert de charges, donc l'augmentation des impôts locaux.
J'illustrerai ce point par un seul exemple, qui a trait à une compétence que
le ministre de l'éducation nationale juge transférable, à savoir le logement
étudiant.
Le Monde
consacrait récemment, dans son édition datée du mardi 15
octobre, une page à la crise du logement étudiant : « Plus de 2 millions
d'étudiants, dont 40 % vivent chez leurs parents, pour 150 000 lits dans les
cités universitaires. »
A cette insuffisance quantitative s'ajoute l'état de l'existant : « Couloirs
sans fin au lino troué, murs fissurés, peintures écaillées, escaliers en béton
vieilli, sanitaires fatigués, système électrique défectueux, boîtes aux lettres
hors d'usage. »
M. Christian Demuynck.
A qui la faute ?
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
C'est la cité d'Antony !
M. Bernard Frimat.
Vous avez, bien sûr, monsieur le ministre délégué, reconnu la description de
la cité d'Antony, qui n'a fait l'objet, depuis sa création, en 1952, d'aucune
réhabilitation d'ensemble.
Si vous vous contentez, monsieur le garde des sceaux, de constitutionnaliser
le principe de compensation en ignorant à la fois l'état du patrimoine qui
serait décentralisé et le besoin social, qui est, par nature, différent selon
les territoires et le revenu des habitants, qui peut croire que la
décentralisation du logement étudiant puisse mettre fin sans effort
supplémentaire, donc sans augmentation d'impôts, à l'état de crise qu'il
connaît ?
De plus, le principe d'une compensation, même intégrale, ne verrouille-t-il
pas définitivement, dans ce cas, le concours de l'Etat à un niveau notoirement
reconnu comme insuffisant ?
M. Roland Courteau.
Très bien !
M. Bernard Frimat.
La crainte d'une augmentation forcée et importante des impôts locaux ne sera
levée que si les collectivités territoriales obtiennent, dans la Constitution,
la garantie qu'elles disposeront pour chaque compétence transférée des
ressources nécessaires à son exercice.
Les collectivités territoriales ne sont pas toutes confrontées, vous le savez,
en raison de leurs caractéristiques propres, à des problèmes identiques et de
même intensité. Elle connaissent des réalités sociales différenciées et les
besoins sociaux qu'elles doivent prendre en charge sont eux aussi divers.
Or les inégalités de ressources entre elles sont importantes. D'ailleurs, la
plupart du temps, il n'y a pas adéquation entre la richesse d'une collectivité
et les besoins auxquels elle a, de par ses compétences, l'obligation de faire
face.
Dans une République qui respecte les principes fondamentaux de la démocratie,
c'est le rôle de l'Etat que de garantir, au nom du principe d'égalité, des
chances égales à tous les territoires et de mettre en place les mécanismes de
la solidarité nationale.
Sous l'impulsion d'une administration centrale qui découvre dans la
décentralisation le moyen d'externaliser ses difficultés, notamment
budgétaires, et cela avec l'accord implicite - voire explicite - des
collectivités qui en auront les capacités financières, on peut craindre que ne
se développe une insupportable inégalité entre Français.
Par conséquent, il est nécessaire que le principe de solidarité nationale soit
inscrit dans la Constitution. Se limiter, comme vous le proposez, à la
possibilité de faire appel à la péréquation semble insuffisant. L'affirmation
d'un principe clair nous semble devoir être privilégiée par rapport à celle
d'un mécanisme technique imprécis.
Votre projet de loi constitutionnelle prétend garantir la libre administration
des collectivités territoriales et consacrer leur autonomie.
Il est certes indispensable que les collectivités territoriales, pour que soit
assurée pour assurer leur libre administration, bénéficient de ressources dont
elles puissent disposer librement. Mais l'autonomie de la dépense publique
locale suffit-elle à garantir la libre administration ?
Cette vision semble réductrice et ne doit pas être affirmée sous cette forme
dans la Constitution. La véritable garantie de la libre administration réside
dans la suppression de toutes les formes de tutelle : celle de l'Etat, bien sûr
- elle est supprimée depuis vingt ans - mais également celle d'une collectivité
territoriale sur une autre. Or votre projet de loi semble permettre ce type de
tutelle.
Au-delà du fait que, en contradiction avec le principe de subsidiarité, vous
envisagiez qu'une compétence puisse être exercée de manière optimale à
plusieurs niveaux, le pouvoir que vous proposez de donner à une collectivité de
fixer les modalités de l'action commune instaure une certaine forme de tutelle,
contraire au partenariat librement consenti tel qu'il existe aujourd'hui.
Dans le même esprit, et en supposant que le qualificatif « déterminant » ait
une signification juridique précise, inclure dans la part déterminante de
l'ensemble de leurs ressources « les dotations qu'elles reçoivent d'autres
collectivités territoriales » encourage la tutelle implicite de certaines
collectivités sur d'autres.
En effet, puisqu'il ne peut s'agir, en l'occurrence, de dotations pérennes,
comme le sont les dotations d'Etat libres à la décentralisation,...
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Elles ne sont pas pérennes !
M. Bernard Frimat.
... la ressource ne sera acquise que si la politique conduite par la
collectivité bénéficiaire est conforme et soumise à la volonté de la
collectivité qui subventionne.
Alors que cette part déterminante est censée incarner la part de ressources
que la collectivité territoriale maîtrise, l'une de ses trois composantes
échappe totalement au pouvoir de son assemblée délibérante et dépend
exclusivement du bon vouloir d'une autre collectivité, offrant ainsi à cette
dernière une réelle possibilité de domination, contraire au principe de la
libre administration.
En conséquence, il serait judicieux de constitutionnaliser le principe de
non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, tel qu'il figure
dans la loi de 1982. C'est, en outre, une raison supplémentaire de reconnaître
aux communautés à fiscalité propre le caractère de collectivité territoriale et
d'accentuer le caractère positif de la dynamique intercommunale, tout en
évitant leur tutelle sur les communes.
M. Louis Le Pensec.
Très bien !
M. Bernard Frimat.
Plutôt que de retenir des qualificatifs flous tels que « prépondérant », «
significatif » ou « déterminant », qui ouvriront inévitablement la porte à un
contentieux abondant devant le Conseil constitutionnel, et dans la perspective
d'une réforme fiscale rendue chaque jour plus nécessaire, il me semblerait
préférable d'affirmer le principe selon lequel, en cas de suppression d'une
recette fiscale dont les collectivités territoriales votent le taux, cette
recette est remplacée par une recette de même nature assurant un produit au
moins équivalent.
Le niveau actuel d'autonomie des collectivités territoriales, que le Conseil
constitutionnel a jugé acceptable, serait ainsi, au minimum, sauvegardé et il
n'existerait aucun obstacle juridique à ce qu'il soit amélioré demain par la
réforme fiscale.
Voilà, messieurs les ministres, les quelques réflexions que je souhaitais vous
présenter, au nom du groupe socialiste, sur le sujet si sensible des moyens
financiers liés au transfert de compétences et à la libre administration des
collectivités territoriales.
Nous présenterons des amendements sur les différents sujets que je viens
d'évoquer. L'accueil qui leur sera réservé nous permettra de juger de la
réalité de votre engagement décentralisateur.
Avancée décisive de la démocratie locale ou marché de dupes au détriment des
contribuables locaux ? La réponse vous appartient. Toutefois, quand la fièvre
décentralisatrice saisit Bercy et l'administration centrale, il est permis, mes
chers collègues, d'émettre quelques doutes et d'avouer quelques inquiétudes.
M. Louis Le Pensec.
Oui !
M. Bernard Frimat.
Décentraliser le déficit de l'Etat, ce n'est pas décentraliser.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
voilà quelques années, je demandais à Michel Debré, qui - vous le savez - avait
rédigé en grande partie la Constitution de 1958, comment les constituants de
l'époque avaient pu prévoir autant de circonstances imprévisibles.
Le Premier ministre du général de Gaulle m'avait alors répondu en substance :
mon cher Jean-Paul, lorsque vous rédigez une Constitution, il faut prévoir
l'imprévisible. Il faut savoir que cette Constitution pourra souvent être
utilisée par des gens imprudents. Alors, soyez prudent ! Munis de cette
recommandation, nous avons examiné les grands principes de ce chantier sur la
décentralisation présenté avec brio, ce matin, par M. le Premier ministre et M.
le garde des sceaux.
Nous qui sommes issus des départements d'outre-mer, nous partageons pleinement
les enjeux de ce chantier. Qui peut être opposé à la libération des énergies
dans les collectivités locales ? Qui peut être contre plus d'équité, plus de
souplesse, plus de clarification, plus de proximité pour mieux résoudre les
problèmes de la vie quotidienne de nos compatriotes ?
Il est vrai que nos départements sont jeunes ; 1946, c'était hier ! Nous avons
su avec patience, toujours, intelligence, parfois, inscrire notre histoire dans
celle de la France, dans les moments difficiles, comme dans les moments de
prospérité et, aujourd'hui, on peut dire que les départements d'outre-mer ont
enregistré en un demi-siècle des progrès considérables grâce au statut
départemental : égalité devant l'éducation, égalité devant la santé, égalité
devant le logement, égalité devant les équipements, égalité devant le droit au
développement économique.
Ce chemin parcouru a créé chez nous la culture de l'attachement aux valeurs de
la République, la culture d'aimer la France pour ce qu'elle a apporté dans nos
terres lointaines, la culture d'être attaché à la République parce qu'elle
représente l'égalité et la sécurité.
C'est dans ce contexte que nous avons franchi, au cours de ces cinquante ans,
de grandes étapes. En 1946, nos parlementaires ont voté avec clairvoyance la
loi de départementalisation alors qu'ils auraient pu choisir l'aventure de la
décolonisation avec l'océan de misères que nous connaissons, mais ils ont
préféré, à juste titre, la voie de l'intégration adaptée.
En 1958, la Constitution de la Ve République consacrait le principe de
l'intégration, mais adaptée aux réalités locales, et cela a enclenché la longue
marche vers l'égalité sociale.
Puis vint 1982, avec la grande loi de décentralisation de MM. Mauroy et
Defferre, mais aussi avec une loi sur l'assemblée unique sanctionnée par le
Conseil constitutionnel après un recours du président Alain Poher, de Louis
Virapoullé, de Daniel Hoeffel, ce qui a permis de tirer des conséquences très
importantes pour l'avenir de l'outre-mer.
C'est à partir de 1982 que la marche vers l'égalité est devenue
irréversible.
C'est à partir de 1982 que notre intégration à l'Europe s'est faite, grâce à
Maastricht, en 1991, grâce à Amsterdam, en 1997.
C'est à partir de 1982 que les départements d'outre-mer ont connu la paix
institutionnelle. Puis vint 2000, avec la LOOM, la loi d'orientation pour
l'outre-mer. Et voilà que réapparaît le démon du débat institutionnel !
Si, en métropole, vous aviez, tous les dix ans, des débats sur le point de
savoir si les départements sont bien des départements, s'ils sont français ou
s'ils ne le sont pas, je vous mettrai au défi de trouver cinq centimes pour y
investir !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est vrai !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Les capitaux partiraient ailleurs !
Les capitaux partent souvent ailleurs parce que les charges sont trop lourdes
et les textes trop compliqués. Ajoutez à cela des statuts flottants, et vous
verrez si vos régions et vos départements connaissent la prospérité ou la
désertification industrielle !
Dans ce contexte, à la Réunion, nous avons tiré les leçons de l'histoire et
nous nous sommes demandé, avec l'immense majorité de la population, pourquoi
changer un statut qui fonctionne.
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
M. Jean-Paul Virapoullé.
C'est tout simple : nous préférons une assurance tous risques à une assurance
tierce collision ! C'est la raison pour laquelle, à l'analyse du projet de loi,
nous avons estimé que deux articles concernaient les départements
d'outre-mer.
Le premier, c'est l'article 72-3, qui reconnaît, c'est vrai, un droit de
passage du statut de département à celui de territoire. Pendant un temps, nous
avons souhaité amender cet article. Mais nous avons travaillé avec le
Gouvernement et en commission, et, à l'examen, nous avons constaté qu'il y
avait dans cet article des verrous indéniables.
Premier verrou : ni le Président de la République ni le Premier ministre ne
peuvent plus proposer d'évolution statutaire si le peuple, qui a un droit de
veto, ne lève pas celui-ci.
Moi qui suis un démocrate, je dis à mes détracteurs que le veto entre les
mains du peuple est tout de même une garantie démocratique devant laquelle on
ne peut reculer. On ne peut pas avoir peur du vote populaire.
Nous avons confiance dans les Réunionnaises et les Réunionnais, et je suis
intimement convaincu que personne ne peut leur proposer - car ils ne
l'accepteraient pas - d'évolution statutaire.
Donc, monsieur le ministre, nous acceptons ce veto. Nous considérons qu'il
s'agit d'une bonne chose, et nous n'avons pas présenté d'amendements sur ce
point.
S'agissant de l'article 73, je précise que nous acceptons le principe de
l'assimilation adaptée. C'est l'assimilation adaptée qui a permis aux
départements d'outre-mer de connaître ce grand progrès vers l'égalité en tenant
compte des réalités locales.
Nous acceptons le fait que les collectivités locales aient, dans le domaine de
leurs compétences, comme c'est le cas en métropole, le pouvoir d'élaborer des
règlements pour adapter les lois. Mais aujourd'hui, nous ne souhaitons pas
introduire, comme dans les ordinateurs, un virus qui risque de détruire tout le
logiciel, le virus de l'autonomie.
C'est notre droit ! Nous sommes des démocrates et le Premier ministre lui-même
a dit ce matin qu'il s'agissait d'une grande oeuvre de démocratie et de respect
de la base. Je représente la France d'en bas, respectez mon point de vue et,
avec le mien, celui de tous les Réunionnais !
Pour notre part, nous ne voulons pas introduire le virus de la spécialité
législative. Il est une différence entre l'assimilation adaptée et la
spécialité législative. Pour nous qui tirons tous les bénéfices de
l'assimilation adaptée, nous ne voulons pas du beurre et de l'argent empoisonné
du beurre, nous préférons conserver le
statu quo
, nous préférons
l'article 73 avec des lois votées par le Parlement et adaptées aux réalités de
la Réunion par le Parlement, nous préférons l'expérimentation, comme en
métropole.
Soit le chantier de la décentralisation fonctionne pour 67 millions
d'habitants, dans tous les départements français avec efficacité, dans celui de
la Réunion également, soit ce chantier est mauvais, et il échoue pour vous et
pour nous.
Pour nous, il n'est pas question de « tripatouiller » les lois grâce à une loi
organique au niveau local !... Madame la ministre, nous pensons à votre emploi
du temps, nous ne voulons pas le surcharger. Et je prends rendez-vous dès
aujourd'hui devant la représentation nationale.
Ces lois organiques, il faudra les négocier avec chaque collectivité
d'outre-mer, marchander même : « Passe-moi l'éponge, je te passe la savonnette
; donne-moi le droit du travail, je te donne le droit syndical ; donne-moi la
fiscalité locale, je te donne le droit de propriété. »
Cela va créer des conflits tant sur le plan du droit interne que sur le plan
du droit communautaire.
Sans sécurité juridique, sans stabilité institutionnelle, il n'y a pas de
progrès économique ! C'est pourquoi, madame, messieurs les ministres, mes chers
collègues, je proposerai un amendement, qui ne concerne que la Réunion, tendant
à garantir l'intégration adaptée, mais excluant la spécialité législative
réservée jusqu'à présent aux territoires d'outre-mer.
En accordant votre confiance à cet amendement, vous donnerez un nouveau
souffle au développement de la Réunion et vous permettrez de comparer ceux qui
ont choisi la voie de la spécialité législative à ceux qui ont choisi la voie
de l'intégration adaptée. Je vous donne rendez-vous dans cinq ans pour mesurer
le chemin parcouru et les écarts entre ceux qui ont préféré la sécurité dans la
stabilité juridique et ceux qui ont préféré prendre des initiatives à leurs
risques et périls.
Cette réforme constitutionnelle n'est pas pour l'outre-mer la seule grande
oeuvre que nous allons entreprendre ensemble, madame la ministre, mes chers
collègues. Viendra ensuite en discussion le projet de loi auquel vous
travaillez, à la demande du Président de la République, pour donner un envol
sur le développement économique et sur l'égalité économique. Il y aura aussi le
chantier de l'intégration adaptée et irréversible des quatre départements
d'outre-mer à l'Europe.
Avec une réforme constitutionnelle qui respecte la volonté des populations
locales et notre volonté de créer un statut départemental, avec l'intégration
adaptée et l'expérimentation comme en métropole, avec ce projet de loi que vous
avez préparé et sur lequel nous travaillons avec vous, avec ce chantier
d'intégration des départements d'outre-mer à l'Europe, vous allez mettre autant
d'atouts entre nos mains pour réussir notre développement. C'est la raison pour
laquelle nous soutenons votre réforme et nous espérons que vous soutiendrez
notre amendement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Yves Autexier.
M. Jean-Yves Autexier.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, c'est d'abord du point
de vue de la France que ce projet de loi doit être jugé.
Beaucoup de bons esprits soulignent que les citoyens éprouvent un besoin de «
proximité » et aimeraient que les décisions qui les concernent soient prises
plus près de chez eux. C'est une aspiration légitime.
Mais où se trouve l'obstacle ? Réside-t-il dans l'organisation de l'Etat ou
dans une mondialisation essentiellement financière qui a transféré les lieux de
pouvoir hors des frontières le plus souvent, loin du contrôle des citoyens dans
tous les cas ?
Bien sûr, les Français ressentent confusément que la politique économique est
faite par les marchés, que la politique industrielle n'est plus qu'un souvenir.
Ils voient bien que la politique monétaire se fait à Francfort, la politique
commerciale à Genève - à l'OMC -, la politique de défense souvent à
Washington.
M. Alain Gournac.
Le disque est rayé !
M. Jean-Yves Autexier.
Prétendre rétablir la fameuse proximité quand on laisse partir loin les
centres de décision, c'est une contradiction. Le Premier ministre, dans une de
ses formules inimitables, nous a dit ce matin : « La République s'exprime dans
ses proximités. » Est-ce pour compenser le fait qu'elle est en tutelle à
Bruxelles, à Genève, à Francfort, à Washington qu'on l'invite à parler plus
fort à Limoges et à Besançon ?
(Sourires.)
Le projet de loi vise à organiser la concurrence des régions, alors même que
nous avons à forger la solidarité nécessaire pour relever les défis de la
mondialisation.
Il établit un étrange principe de subsidiarité, selon lequel les collectivités
locales ont toutes les compétences, sauf celles qu'elles ne peuvent exercer
seules. C'est une forme de négation du rôle propre de l'Etat qui n'avait, à ce
jour, jamais encore été envisagée. Or, l'Etat, c'est l'organisation dont la
nation s'est dotée pour assurer sa survie dans la durée. Les collectivités
locales en font partie. Il est malsain de dresser les collectivités locales
contre l'Etat, au moment même où il faudrait préparer de grands projets que
chacun servirait à sa place.
Des référendums régionaux sont envisagés, après que le peuple français aura
été segmenté en vingt-deux peuples distincts. La rupture juridique n'est pas
seulement une question de principe : on voit bien les rivalités que l'usage du
référendum régional - en Corse comme ailleurs - dresseraient entre la région
concernée et le reste du pays. C'est accepter d'effacer le bien public national
au profit de biens publics régionaux. C'est mettre à mal la notion d'unité du
peuple français. Bientôt, chacune de nos régions pourra négocier directement à
Bruxelles les crédits du Fonds européen de développement régional, trouvant à
la Commission des oreilles toujours bien disposées lorsqu'il s'agit de tenir
les Etats en lisière.
La centrifugeuse est en route.
Ce risque de balkanisation territoriale est pris au moment où la
mondialisation financière, la dérive libérale de la construction européenne
remettent en cause les nations et les Etats, pour mettre les territoires en
concurrence. De ce point de vue, la réforme est un mauvais service rendu à la
France.
Le principe d'égalité se trouvera malmené de la même manière. Dans la
compétition ouverte entre les régions, la concurrence sera inégale.
L'Ile-de-France ou la région Rhône-Alpes seront mieux outillées que le Limousin
ou la Franche-Comté pour pousser le lobbying à Bruxelles ; leurs habitants en
subiront les conséquences.
M. Roger Karoutchi.
C'est déjà le cas !
M. Jean-Yves Autexier.
Plus préoccupant encore est le projet d'expérimentation. La loi comme le
règlement pourront être écartés, dans telle ou telle région, à titre
expérimental. Durant l'expérience, ou les expériences, la loi cessera d'être la
même pour tous ; l'égalité des citoyens devant la loi deviendra lettre morte.
On imagine aussi la complexité de la chose : transfert « provisoire » de
compétences au profit de la région, transfert « provisoire » de personnels de
l'Etat, transfert « provisoire » de ressources financières. Qu'adviendra-t-il à
l'issue de l'expérience ? Le retour en arrière sera impossible. C'est dire que,
sauf généralisation, on traversera la France comme au temps de Voltaire, où «
on changeait plus souvent de loi que de cheval ». Et ce n'est pas la diversité
qui effraie le républicain ; c'est la fin de l'égalité ! Le risque est de
compter dans dix ans autant de lois que de régions.
Comment, dans le supermarché des compétences qui nous est proposé, fera-t-on
respecter le principe d'égalité ? Une étude européenne des inégalités
régionales avait pourtant montré que la France était le pays où elles étaient
le moins marquées. Ce n'est pas le fait du hasard ou du jacobinisme. C'est le
résultat de politiques volontaristes de péréquation, d'aménagement du
territoire et de politiques anticipatrices.
Enfin, cette réforme risque d'empêtrer un peu plus le pays dans la contrainte
financière imposée par le pacte de stabilité. L'Etat devra bien entendu, pour
ne pas accroître les prélèvements obligatoires, réduire les dépenses à hauteur
des ressources qu'il va transférer aux collectivités territoriales. Comment
pourra-t-il abandonner ces recettes et continuer à aider les régions pauvres ?
D'évidence, il ne pourra plus remplir correctement cette mission. C'est non pas
une décentralisation mais une régionalisation soumise au principe de
concurrence qui est mise en marche. Au nom de la proximité, les départements
troqueront le contrôle et l'aide de l'Etat contre la tutelle des régions, avec
tous les risques de rivalités politiques locales dont l'expérience montre
qu'elles sont un facteur de paralysie infiniment plus fort que le dialogue avec
les services de l'Etat. Sa conséquence, on l'a dit à plusieurs reprises, sera
une fiscalité locale en hausse, une péréquation nationale en baisse. Quand la
loi aura cessé d'être égale pour tous, on ne s'étonnera pas de voir le citoyen
regimber devant l'impôt !
A défaut de moderniser l'Etat, on le balkanise, on régionalise les problèmes
plutôt que les résoudre. Encore une fois, l'Europe est appelée à fournir le
remède à nos maux. La subsidiarité en cascade serait le lien d'une Europe des
régions. De la fameuse fédération des Etats-nations jusqu'à la plus petite
commune de notre pays, tout serait ordre, beauté, luxe et... subsidiarité !
Dans cette périlleuse aventure où les nations s'évanouissent, l'oublié est le
citoyen. Cette savante usine à gaz séduira les élus avant de semer entre eux la
discorde. Elle ne correspond pas aux attentes des Français, qui ont besoin d'un
Etat fort, garant de l'égalité et capable de relever les défis de la
mondialisation. Inspiré par un néolibéralisme suranné, mitonné dans la marmite
corse
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants),
où sont mêlés la violence, les lâchetés et l'opportunisme,
ce projet mal né ne répond pas aux exigences de la France dans la tourmente de
la mondialisation.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Louis de Broissia.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la
commission des lois, mes chers collègues, j'ai envie de dire pour commencer :
enfin, trois fois enfin !
Enfin commence ici, au Sénat, un débat sur la décentralisation, après cinq
années pendant lesquelles, hélas ! on nous a parlé de l'échelon de trop, on
nous a fait subir une cascade de lois en rafales, on a nommé - point positif -
une commission présidée par l'un des nôtres, l'ancien Premier ministre M.
Pierre Mauroy, on a évoqué le statut de la Corse...
Enfin devant nous est respectée la Constitution avec l'organisation
territoriale de la République : c'est la prérogative que nous donne la
Constitution.
Enfin est reconnu le rôle spécifique du Sénat, protecteur des libertés
locales.
Tournons une dernière fois la page de l'anomalie de la démocratie. C'est ici
même qu'il en fut question !
Aujourd'hui, le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République
et du Premier ministre, va donc construire une démocratie reposant sur des
bases juridiquement et, ajouterais-je, légitimement solides.
A notre avis, les esprits sont prêts. A l'heure où la nation française est
engagée dans la construction européenne, et plus largement dans une
construction mondiale qui se cherche encore, il est important d'affirmer, mes
chers collègues, que l'esprit national n'est plus en danger, et qu'un nouveau
Valmy ne se profile pas à l'horizon.
En revanche, un autre danger ronge la démocratie française. Il s'agit d'un
danger intérieur que beaucoup d'entre nous ont d'ailleurs dénoncé. Cela a été «
le mal français » ; cela a été également la suradministration et la
surassistance qui ont entraîné, au mieux, de grandes lourdeurs administratives,
dont les exemples les plus frappants sont le mécanisme inexplicable du
financement des 35 heures, qualifié de fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale - le FOREC -, et celui des schémas
de cohérence territoriale, les SCOT. Même les élus locaux ne se retrouvent plus
!
Ce « mal français » a aussi entraîné - c'est le pis ! - des
déresponsabilisations croissantes, voire des révoltes. A cet égard, mes chers
collègues, n'oublions pas l'enseignement tiré des résultats de l'élection
présidentielle du 21 avril dernier.
Le Gouvernement a raison de vouloir rebâtir une nouvelle démocratie, en
s'appuyant sur les 36 779 conseils municipaux, les 100 conseils généraux, les
25 conseils régionaux et les 19 000 conseils intercommunaux. Le Gouvernement a
raison de vouloir rebâtir la démocratie en s'appuyant sur la pratique locale et
sur ceux qui s'occupent des crèches, des routes, des transports scolaires, des
lycées, des écoles, des collèges, et de l'accompagnement du handicap de
l'accueil des personnes âgées, c'est-à-dire sur la démocratie locale.
Après un hommage rendu, comme nous l'avons fait les uns les autres, au génie
politique qui fut celui de Gaston Defferre, de François Mitterrand et de M.
Pierre Mauroy, je voudrais rendre un hommage appuyé à l'immense armée des élus
locaux qui ont stabilisé, voire - devrais-je le dire ici comme je l'ai fait
dans d'autres enceintes ? - sauvé la République. Je le ferai en trois temps :
j'expliquerai d'abord le sens de mon soutien, de notre soutien ; ensuite, je
ferai deux réserves ; enfin, j'évoquerai les prolongements de cette loi
fondamentale que nous posons ici.
Messieurs les ministres, le sens profond de notre soutien repose sur le fait
que le Gouvernement a raison, selon nous, sur trois points.
D'abord, il a voulu un texte pragmatique, concret, pratique, tournant le dos à
des idéologies qui furent coûteuses en temps, et permettant le possible : c'est
l'expérimentation, c'est la voie du concret.
Le Gouvernement a également raison de retenir le caractère universel. Il est
important de souligner ici qu'il s'agit non pas d'un acte II, mais d'un
engagement définitif dans la voie de la décentralisation, c'est-à-dire d'une
vraie rupture avec la législation antérieure : l'Etat ne sera plus uniquement à
Paris. Il sera incarné partout ailleurs.
Enfin, le Gouvernement a raison de choisir la voie du rassemblement. La
décentralisation n'est pas et ne doit jamais être le « Waterloo » de l'Etat ou
« l'Austerlitz » des régions, c'est-à-dire des régions consacrées et l'Etat
bafoué. La décentralisation, c'est, bien plus, le sacre du printemps de tous
les élus locaux
(Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.),
des
sans-grade de l'action municipale, intercommunale, départementale et régionale
que nous incarnons tous ici.
M. Roger Karoutchi.
Très bien !
M. Robert Bret.
Vous êtes maréchal d'Empire.
M. Louis de Broissia.
Si la volonté décentralisatrice du Gouvernement part de la construction
angulaire de la réforme constitutionnelle, elle devra, messieurs les ministres,
mes chers collègues, se décliner quotidiennement - et ce sera une obligation -
dans les communes, dans les associations, partout où des élus s'engagent au
service de tous. Comme l'ont dit certains de mes collègues, elle devra être
relayée par l'organisation administrative française, aujourd'hui encore trop
souvent centralisée, y compris dans les médias, puisque France 3 a son siège à
Paris et non dans les régions ! Il faudra donc veiller à ce que soient
décentralisés la Caisse nationale des allocations familiales, l'Agence
nationale pour l'emploi, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, le
Mouvement des entreprises de France et les syndicats. C'est cela la voie
ouverte à la décentralisation définitive !
J'en viens aux deux réserves que je souhaite évoquer, et je ne suis pas le
premier à le faire.
La première porte sur le droit de pétition. Je pense, comme M. Philippe Adnot,
et peut-être comme le rapporteur de la commission des lois - qui s'exprimera
sur ce point lors de l'examen de l'article 5 -, que ce droit est une prime
donnée aux minorités agissantes, un désaveu des majorités agissantes, voire -
je le dis devant le président de la commission des lois - une ignorance des
devoirs de l'opposition que celle-ci exerce déjà de droit. Dans un conseil
général, mes chers collègues, tous les voeux déposés sont inscrits de droit
dans la discussion.
M. Ambroise Dupont.
C'est exact !
M. Louis de Broissia.
Toutes les réunions d'un conseil général sont ponctuées par la discussion de
voeux émanant soit de l'opposition, soit de la majorité. Est-il besoin
d'inscrire le droit de pétition dans la Constitution ? Je suis réservé sur ce
point.
J'exprime également une réserve plus fondamentale sur la formulation de
l'article 6, car je pars du principe que « chat échaudé craint l'eau froide
».
Mes chers collègues de l'opposition, pour avoir vécu cette décentralisation
sur le terrain, je peux vous dire que, en Côte-d'Or, sur quinze euros que je
consacre aux collèges, pierre angulaire de la décentralisation de 1982, un euro
m'est remboursé. Sur un euro dépensé au titre de l'aménagement et la réduction
du temps de travail, aucun remboursement n'est prévu. Sur quatre euros engagés
au titre de la prestation d'autonomie, alors qu'on m'avait garanti un
remboursement de la moitié, seul un euro m'est remboursé ! Sur un euro dépensé
au titre du service départemental d'incendie et de secours, aucun remboursement
non plus. Et je pourrais continuer mon énumération !
J'ai également en mémoire, lorsque j'ai quitté l'Assemblée nationale pour le
Sénat, la suppression de la vignette. Je l'ai apprise par la presse, car le
ministre des finances de l'époque, n'ayant pas trouvé le temps de prévenir les
départements, avait préféré les avertir par cette voie !
Alors, mes chers collègues de l'opposition qui siégez ici et qui avez les
mêmes droits et les mêmes devoirs, permettez-moi de dire qu'il ne faut pas
dénoncer les turpitudes prévisibles de la fiscalité locale engendrées par des
réformes que vous avez votées et imposées sous le gouvernement précédent.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Enfin, les prolongements nécessaires de ce vote que nous émettrons sont
extrêmement importants à nos yeux, messieurs les ministres, vous l'avez compris
par nos interventions.
La réforme constitutionnelle est un début et nous l'approuvons, majorité
présidentielle et majorité des élus, mais nous supposons - le Premier ministre
y a fait allusion - qu'elle sera suivie de nombreuses autres : des lois
organiques pour organiser une fiscalité stable, durable, garantissant une
véritable autonomie ; des lois de mise à plat des textes relatifs à
l'aménagement du territoire - lois Chevènement, Voynet, Gayssot, Vaillant, pour
les appeler par les noms de leurs auteurs ; des lois concernant l'outre-mer,
dont vient de parler notre excellent collègue Jean-Paul Virapoullé, et nous
serons attentifs à ce que l'ensemble de l'outre-mer se retrouve dans ces
textes, avec ses spécificités, mais aussi son désir d'affirmer sa volonté
d'être Français ; des lois sur le statut de l'élu, qui nous paraît devoir être
posé de nouveau, car si l'on fonde une véritable démocratie locale, une immense
armée d'élus sera nécessaire. Enfin, il faudra obligatoirement opérer une pause
en ce qui concerne les normes, les règles, les circulaires qui font peser une
chape de plomb sur le fonctionnement des initiatives locales.
Mes chers collègues, l'élan décentralisateur qui a été donné à notre
République par le Gouvernement est un fleuve : on peut le canaliser, on peut le
temporiser, mais on ne peut jamais l'arrêter.
Ma conclusion sera brève. Nos collègues de l'opposition, parfois chaussés de
lunettes - qu'elles soient roses, vertes ou rouges, elles permettent non pas de
voir de loin, mais d'embellir la situation -, expriment une inquiétude et
dénoncent la précipitation, la caricature de la démocratie.
M. Robert Bret.
C'est le cas !
M. Louis de Broissia.
S'agit-il pour eux de se refaire une virginité électorale à peu de frais ?
C'est trop tôt et trop vite, me semble-t-il !
Nous, élus de la majorité, nous voyons dans ce texte une refondation de la
République par le bas, par le terrain, par les élus locaux et par le peuple et
vous aurez madame, messieurs les ministres, la confiance vigilante, mais
amicale, du Sénat. Les sceptiques vous diront : ne bougeons pas ! Pour notre
part, nous préférons la France en mouvement.
(Bravo ! et applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
c'est en vétéran des débats parlementaires sur la décentralisation et le rôle
des collectivités territoriales que j'aborde aujourd'hui la discussion de ce
projet de loi constitutionnelle. Instruit par l'expérience de quelque
vingt-cinq ans de mairie, aguerri par le baptême du feu que fut pour moi le
vote des lois Mauroy et Defferre en 1982 et 1983, éclairé, entre autres, par
les travaux de la commission spéciale qui eut pour tâche de préparer le débat
sur la loi Pasqua, je me refuse, d'entrée de jeu, à une position
circonstancielle. Je considère que, sur un texte de cette nature, l'attitude
négative de l'opposition en 1982 fut préjudiciable, et j'en tire les
conséquences. Je m'inscris donc pleinement dans le débat, mais j'y apporte mes
convictions d'homme de gauche et d'élu de terrain.
Cela me conduira à proposer au Sénat quelques amendements importants sur deux
thèmes : le rôle de l'Etat au travers de la péréquation nationale des richesses
et le renforcement de la démocratie locale.
Je ne discuterai pas l'opportunité d'ouvrir à nouveau le débat sur la
décentralisation. Il existe, bien sûr, un risque d'incompréhension des Français
devant un sujet dont la technicité est redoutable. A l'inverse, leur
désaffection pour les élections nationales et leur mobilisation lors de
l'échéance municipale plaide pour que notre pays fasse un pas de plus vers une
organisation décentralisée de la République.
Je ne suis donc pas effarouché par la modification de l'article 1er de la
Constitution ; j'y vois la reconnaissance d'un état de fait plus qu'une
innovation : le mouvement, amorcé à la fin du xixe avec l'autonomie des
communes, s'est accéléré à partir des années soixante-dix. La région est née et
nous allons, par ce texte de loi, en prendre complètement acte.
Progressivement, une intercommunalité, dotée de compétences étendues et d'une
fiscalité propre, se substitue - faut-il dire hélas ou heureusement ? - à
l'architecture des communes. Et chacun sent bien que, à terme, ces nouvelles
structures formeront un couple avec la région, face aux administrations
centrales de l'Etat.
Le « pouvoir local » est en marche. Le Parlement est donc dans son rôle quand
il examine cette nouvelle configuration pour en fixer les contours et les
limites.
Dans quel contexte le faisons-nous ? Toute Constitution exprime, au travers de
l'architecture de ses institutions politiques, un état d'esprit dominant, une
façon d'être, un « vouloir vivre ensemble ». Or la France s'est toujours
refusée à la formule de la « fédération de régions ou de cantons », adoptée par
l'Allemagne ou la Suisse. Elle s'est voulue « une », « centralisée », «
égalitaire ». Qu'il s'agisse des arbitrages sur les sujets d'intérêt général ou
des moyens d'assurer un minimum d'égalité des chances à chaque citoyen, la
France a fait confiance à l'échelon national. Par exemple, elle n'a pas cherché
à inventer des mécanismes puissants de péréquation, à la façon dont l'Allemagne
procède pour corriger les inégalités entre ses
Länder.
Peut-on changer brutalement de cap et affirmer que la décentralisation, en
soi, « contribue à une application plus effective et moins abstraite du
principe d'égalité » ? J'en doute !
Accepter sans contrepoids ni précaution que « l'organisation décentralisée »
de la République soit le fondement de la nation, c'est entériner une situation
d'inégalités criantes et choquantes entre collectivités territoriales,
celles-là mêmes que nous avons ici si souvent dénoncées tous ensemble. Pis
encore, c'est créer un mécanisme qui exacerbera ces disparités, tout en les
rendant légitimes en vertu du principe constitutionnel que nous
introduisons.
C'est pourquoi je vous proposerai d'ajouter, après le premier alinéa de
l'article 1er du projet de loi, le texte suivant : « L'Etat assure à chaque
citoyen l'égalité des chances sur tout le territoire, grâce à une répartition
équitable des ressources et à l'intervention des services publics. » Voilà pour
le principe !
S'agissant de la mise en oeuvre, je proposerai, à l'article 6, diverses
mesures, dont le recours à une « péréquation nationale » des richesses selon
des modalités conformes à notre tradition. Je n'ai pas eu à chercher loin pour
mettre ces divers amendements en forme : j'ai repris, mes chers collègues de la
majorité, l'essentiel de l'article 1er et de l'article 20 de la loi Pasqua, que
nous avions votée en 1995 et que deux gouvernements n'ont pas voulu
appliquer.
Modifier la Constitution dans le sens d'une extension des compétences des
collectivités territoriales sans réaffirmer dans un même mouvement le rôle de
l'Etat comme garant de la cohésion nationale, ce serait prendre un risque
majeur et aller à l'encontre de notre histoire.
Tout est affaire d'équilibre dans un texte de cette nature : oui à plus
d'autonomie, oui à l'initiative locale, oui, même, au droit à l'expérimentation
pourvu qu'elle soit encadrée et limitée dans le temps, mais à la condition que
la Constitution rappelle au Gouvernement et au Parlement qu'il leur revient de
tout mettre en oeuvre pour corriger sans cesse les inégalités qui se creusent
entre territoires et entre catégories sociales. Une couverture homogène du
territoire par des services publics de qualité y contribuera grandement.
La perspective de l'élargissement de l'Europe rend plus urgente encore la
réponse à cette préoccupation : comment faire accepter à nos concitoyens de
partager nos ressources avec des nations moins développées - et il faut le
faire ! - si, chez nous, la richesse insulte quotidiennement la pauvreté ?
Nous connaissons le Premier ministre. Qu'il entende donc nos arguments ! Qu'il
accepte que le projet de loi, en ses articles 1er et 6, soit rééquilibré. Là
est la frontière, là se situe le point de rupture.
Il est un deuxième sujet sur lequel je voudrais un infléchissement
significatif du texte : il s'agit de l'exercice de la démocratie locale. Le
Gouvernement a bien senti que le fait d'accroître les compétences des
collectivités territoriales exigeait le renforcement des mécanismes de
contre-pouvoir. Sinon, il y aurait risque de clientélisme, de dérives ou de
partialité. Il a choisi de le faire dans l'article 5, en recourant à deux
dispositifs de démocratie directe : le droit de pétition et le référendum
d'initiative locale ou nationale. C'est une position courageuse, et je la
soutiendrai.
Mais pourquoi faire l'impasse sur le premier des contre-pouvoirs, c'est-à-dire
sur la capacité d'expression des groupes d'élus minoritaires au sein des
assemblées ? Bien sûr, un certain nombre de lois récentes, sur l'initiative de
la gauche, d'ailleurs, ont cherché à mieux protéger le droit des minorités dans
le fonctionnement des municipalités. Mais ces textes sont-ils appliqués ? Ne
serait-il pas utile d'inscrire dans la Constitution ce principe fondamental de
la démocratie locale, au moment où l'on modifie profondément le titre XII, qui
est consacré aux collectivités territoriales ? D'autant que la réflexion du
législateur s'est, jusqu'à présent, portée presque uniquement sur les communes.
Mais, s'agissant de ces assemblées lointaines - les intercommunalités, le
conseil général, le conseil régional -, n'y a-t-il rien à dire au moment où
s'accroît spectaculairement leur pouvoir ?
Je prendrai un exemple : le projet de loi ouvre le droit à l'expérimentation
de nouvelles compétences - il s'agit d'une innovation importante - et nous
savons que nombre de présidents de conseils régionaux et généraux vont s'en
saisir. Ils le feront dans l'état actuel du texte, sans avoir à informer
préalablement la population, sans même avoir l'obligation d'instituer au sein
de leur assemblée un débat contradictoire et étalé dans le temps.
Déjà, le vote du budget d'une commune de 3 500 habitants est plus encadré que
celui d'un conseil général ou régional. Demain, ces mêmes institutions se
transformeront en petits parlements locaux et prendront des décisions
déterminantes pour leurs mandants, sans que l'opinion publique ait été éclairée
et les élus minoritaires mis en situation de faire valoir leurs arguments et
leurs contre-propositions. Et je ne parle pas du danger majeur : le
Gouvernement mesure-t-il bien, madame, messieurs les ministres, le risque que
le texte qu'il nous présente soit un jour appliqué par la majorité
d'extrême-droite d'un conseil régional ?
M. François Marc.
Bonne question !
M. Gérard Delfau.
Nous légiférons pour modifier la Constitution. Cela mérite réflexion.
Telles sont mes interrogations, forcément schématiques, sur ce projet de loi
d'une extrême importance. Il est décisif que le Gouvernement écoute les
objections, d'où qu'elles viennent. Il est important que la majorité du Sénat
conserve l'état d'esprit qui fut le sien tout au long de ces années et qui
s'est cristallisé, pour l'essentiel, dans la loi Pasqua.
Pour ce qui me concerne, j'aborde ce débat avec un esprit d'ouverture. D'ici à
sa conclusion, par la réunion du Parlement en Congrès, je l'espère, mille
occasions se présenteront de rapprocher les points de vue. Mais, on l'a
compris, sur la réaffirmation du rôle de l'Etat comme gardien de la cohésion
sociale et territoriale, sur la mise en place d'une péréquation nationale des
ressources qui ne soit pas une aumône, je ne transigerai pas. Quant au
renforcement de la démocratie locale, je serai vigilant.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ce débat général a trait à la réforme de la Constitution. Nous avons, les uns
et les autres, de par nos responsabilités, la passion des territoires -
communes, départements et régions - et nous aimerions, à l'occasion de ce
débat, traiter de ce qui va animer notre pays pendant cinq mois, et au moins
jusqu'à la discussion, par le Parlement, au printemps prochain, de la loi
organique annoncée par le Premier ministre.
Pourtant, en cet instant, il faut se concentrer sur l'essentiel, à savoir la
réforme constitutionnelle. Avec mon expérience, certes modeste, de président de
région, je puis vous dire, monsieur le garde des sceaux, que cette réforme est
roborative.
En apparence, reconnaissons-le, le dispositif de ce texte apporte des
inflexions modestes. C'est une réforme réfléchie. A la vérité, en raison de la
dynamique que vous avez adoptée, l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les
territoires ne pourra plus jamais être figée. Cette réforme constitutionnelle
insuffle donc un état d'esprit nouveau. Cette dynamique repose, naturellement,
sur des principes simples. Le Premier ministre les a rappelés ce matin, et nous
les partageons : la subsidiarité, la péréquation, l'expérimentation, l'appel
aux citoyens - on en parlait à l'instant - et, naturellement, l'autonomie
financière.
Pour autant, ce projet mérite beaucoup mieux que l'apparence d'une simple
modification de l'article 1er de la Constitution.
Il faut voir ce que veulent dire les mots « organisation territoriale
décentralisée ». Ils veulent dire que, au moment même où l'Europe se dote ou
s'efforce de se doter d'une Constitution, sur l'initiative et sous l'autorité
de M. Valéry Giscard d'Estaing, au moment où notre environnement européen est,
reconnaissons-le, fortement dominé par le fait fédéral, la France décide de
rester une république unitaire, de partager un projet commun qui, certes, se
renforce de la mobilisation des territoires et de leur autonomie, mais qui
écarte l'hypothèse fédérale, c'est-à-dire l'hypothèse d'une Europe des
territoires. De ce point de vue, ce qui n'est pas dit est sans doute peut-être
plus important que ce qui est dit.
Permettez-moi, d'ailleurs, de remarquer au passage que la Constitution ne
contient, à ce jour, strictement aucune référence à l'Europe, ce qui est tout à
fait étonnant lorsque l'on connaît l'importance de ce qui est désormais une
réalité.
Autre apparence prudente, qui est, en fait, un choix majeur : on nous propose
ici trois territoires, et trois seulement. On aurait pu imaginer un dispositif
à deux ou à quatre territoires. En effet, ceux qui gèrent un territoire ont
souvent tendance à penser que l'on pourrait supprimer l'un des deux autres
échelons territoriaux, à condition, bien sûr, que cela ne soit pas celui qu'ils
gèrent eux-mêmes !
(Sourires.)
Les observateurs extérieurs ont beau jeu de dauber sur la complexité de
l'administration territoriale, oubliant que leur propre vie ou celle des
entreprises, par exemple, est au moins aussi complexe.
Nous aurions pu retenir au contraire quatre niveaux de territoires : la
commune, le département, la région et l'intercommunalité. En faisant le choix
de n'en retenir que trois - je sais que de nombreux élus municipaux se sont
posé la question - le Gouvernement nous rappelle simplement que, au-delà du
devoir évident des collectivités locales, et particulièrement des 36 000
communes de France, de travailler ensemble, de constituer ensemble des réponses
collectives face à des besoins immédiats comme l'intercommunalité rurale, les
agglomérations et les communautés urbaines, il n'y a qu'une seule unité
territoriale qui permette la proximité pour le citoyen : la commune.
Enfin, le texte apparaît réfléchi, car il ne pose pas de rapports
hiérarchiques entre les différents niveaux de collectivités locales, pas plus
qu'entre les collectivités locales elles-mêmes, ce qui, en termes d'éthique,
est tout à fait juste. C'est un hommage rendu à l'indépendance des
collectivités locales.
On s'aperçoit cependant assez vite que cet hommage cède le pas, dans le
dispositif de cette réforme constitutionnelle, à une dynamique beaucoup plus
vertueuse qui engage inéluctablement une solidarité très forte entre les
niveaux de collectivités et, à l'intérieur de chaque niveau, entre les
collectivités qui ont pris l'habitude de travailler ensemble, en particulier
les communes.
En effet, au-delà de son apparente modestie, ce dispositif constitutionnel
répond à une logique de dynamique. La subsidiarité, c'est d'abord et avant tout
un principe dynamique, une dynamique qu'il est impossible de figer à un moment
donné et qui ouvre sur une logique permanente de remise en cause et
d'évolution.
Je relis le troisième alinéa de l'article 4 du projet de loi : « Les
collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences
qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à l'échelle de leur ressort ». Ce
n'est que bon sens, mais qui en sera juge ? Je n'en vois pas d'autre que la loi
et, partant, le législateur.
On pourrait imaginer que cette appréciation soit laissée à une autorité
administrative ou judiciaire. Pas du tout ! Le juge naturel de la qualité
opérationnelle des niveaux de territoires, c'est l'opinion publique, le citoyen
et, à travers ceux qu'ils représentent, les parlementaires.
Nous avons donc ici une dynamique ouverte, tant il apparaît évident que cette
répartition des responsabilités ne peut pas être figée. La subsidiarité nous
conduira nécessairement, loi après loi, à y revenir. Il y a, d'ailleurs, un
double antidote à un système trop rigide. C'est, en effet, l'expérimentation,
que vous avez inscrite dans ce dispositif, monsieur le ministre, soit
l'expérimentation voulue par le législateur, dans sa prudence - et nous n'en
manquons pas, notamment au Sénat - soit l'expérimentation voulue par les élus
locaux eux-mêmes qui demandent une responsabilité.
La subsidiarité est donc un principe vivant dont le facteur d'adaptation est
l'expérimentation décidée par le législateur ou voulue, dans un certain domaine
d'application, par la collectivité locale elle-même.
Il est une autre notion nouvelle extrêmement dynamique, celle de « chef de
file » au sein des collectivités locales. Si nous voulions entrer dans le
détail des textes, nous constaterions que le cinquième alinéa du texte proposé
pour l'article 72 par l'article 4 du présent texte est en contradiction avec le
troisième alinéa : « Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours
»... Diable ! Là encore, qui va décider que l'exercice d'une compétence «
nécessite le concours » ?
Il y a naturellement une logique fonctionnelle. Lorsque l'on organise, par
exemple, des transports collectifs, il est évident qu'il y a une nécessité
proprement fonctionnelle à ce que, le département, pour le transport
interurbain, la région, pour les transports express régionaux, travaillent
ensemble. Cette nécessité fonctionnelle est-elle cependant toujours aussi vraie
lorsque l'on traite, par exemple, d'urbanisme ?
Beaucoup d'agglomérations auront tendance à considérer que le regard de la
région ou du département sur l'urbanisme n'a strictement aucune importance.
D'autres prétendront, au contraire, qu'une politique d'aménagement du
territoire se doit de définir des grands espaces urbains et, que, par
conséquent, on ne peut pas écarter, pour l'élaboration de textes sur
l'urbanisme, d'autres collectivités sachant que celles qui, aujourd'hui, sont
mobilisées, sont essentiellement les communes.
Donc, cette notion de « chef de file » est une source d'interrogations
permanentes pour le futur législateur, lorsqu'il s'agira de savoir laquelle des
collectivités donnera le ton aux autres. L'exercice sera, je l'espère, rendu
d'autant plus facile que, dans sa sagesse, le projet de loi constitutionnelle
prévoit que les textes concernant les collectivités locales seront examinés en
premier lieu par le Sénat. Cela permettra de fournir une première réponse sur
la notion de « chef de file » et d'éclairer d'autant les travaux de l'Assemblée
nationale.
Avouons, cependant, que la notion est dynamique et qu'elle peut être parfois
même conflictuelle.
Vous avez introduit l'expression populaire avec le droit de pétition et le
référendum local. Je n'y reviendrai pas, si ce n'est pour rappeler que toute la
dignité des élus tient à ce qu'ils ne cèdent pas à l'émotion, à l'instantané,
au superficiel, et qu'il y a parfois beaucoup de courage à prendre des
décisions impopulaires. Or, l'appel au référendum après la pétition peut être
une façon d'esquiver des décisions dont on sent confusément qu'elles sont
nécessaires mais que personne ne veut assumer en particulier. Ainsi, avec la
logique du référendum, pourrions-nous encore établir des déviations ? Tout le
monde est pour la déviation, mais jamais dans son jardin !
(Sourires.)
L'exercice de la pétition spontanée a le mérite de compenser la dictature des
cortèges et des manifestations ; elle ne peut pas remplacer la démocratie
responsable fondée sur des élus qui, dans le cadre de leur exécutif respectif,
assurent leur mandat.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. Gérard Longuet.
Je vois un dernier facteur de dynamisme dans cette réforme. Sont ici visées
les collectivités locales, mais, si un des grands acteurs doit obligatoirement,
nécessairement s'adapter, c'est bien l'Etat, et l'article 6 en pose le
principe.
A partir du moment où l'autonomie financière des collectivités locales est
consacrée constitutionnellement, et si l'on en tire toute les conséquences, il
faudra bien que l'Etat cesse de transférer des responsabilités. Certes, il a
maintenu son taux de prélèvements publics à un niveau à peu près stable depuis
une dizaine d'années, mais parce qu'il a renoncé à financer des investissements
ou des actions sociales qu'il a transférées
ipso facto
aux collectivités
locales.
L'Etat ne peut s'endetter librement, et tant mieux ! Il ne peut accumuler les
déficits, et tant mieux ! En réalité, contraint qu'il est de respecter une
discipline fiscale, sous la pression de l'opinion et de la comparaison
internationale, l'Etat ne pourra plus transférer aux collectivités locales ; il
ne lui restera plus qu'à s'adapter, ce dont chacun ici ne pourra que se
réjouir, et d'ailleurs avec confiance, car, devant l'obstacle, l'Etat a
toujours su s'adapter.
Madame, messieurs les ministres, ce texte est réjouissant. Nous le
soutiendrons avec la certitude qu'aujourd'hui, dans une Europe qui se cherche,
la France a une réponse spécifique à apporter. La République est un projet, un
projet collectif, un projet partagé, un projet renforcé par la mobilisation des
territoires auxquels, désormais, la Constitution fait largement confiance.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
en mai 2002, nombreux sont les Français à avoir manifesté leur attachement aux
valeurs de la République. Aujourd'hui, une très large majorité d'entre eux
marquent leur intérêt pour les vertus de la décentralisation : pouvoir plus
proche du citoyen, meilleur lisibilité des politiques, contrôles facilités,
notamment.
Cependant, de même que la ferveur civique du 5 mai 2002 s'est très vite
dissipée dans les langueurs abstentionnistes du mois de juin, l'intérêt suscité
par la décentralisation pourrait vite s'étioler si les attentes de nos
concitoyens ne trouvaient pas dans les textes annoncés les réponses attendues,
notamment sur le terrain de la justice sociale et de l'égalité devant la
loi.
Au demeurant, on peut considérer que l'intérêt porté aujourd'hui à la
décentralisation est
a posteriori
un formidable hommage à l'action
conduite par le gouvernement Mauroy en 1982, ainsi qu'aux progrès considérables
rendus possibles par les lois sur l'intercommunalité.
Quelles sont, aujourd'hui, en France, les préoccupations auxquelles doit être
attentif le législateur ?
La réponse est nécessairement éclatée, mais il est néanmoins possible de
privilégier quatre exigences : celle du contribuable, qui attend une gestion
rigoureuse de l'argent public, une fiscalité plus juste et bien maîtrisée ;
celle de l'usager des services publics, qui souhaite un service de qualité à
coût modéré ; celle de l'habitant de nos territoires, qui voudrait voir
privilégié un aménagement équilibré, durable et profondément solidaire ; celle
enfin des décideurs locaux - les maires et les autres élus de terrain -, qui
aimeraient disposer de moyens financiers suffisants pour la mise en oeuvre
d'une politique locale réussie.
Chercher à répondre de façon optimale à ces attentes diversifiées impose
d'opérer des arbitrages politiques.
A cet égard, le texte qui nous est soumis aujourd'hui ne s'inscrit nullement
dans une quelconque neutralité idéologique.
Par les valeurs d'inégalités qu'elles tendent à favoriser, certaines des
réponses que vous préconisez en matière de décentralisation, monsieur le
ministre, sont en profonde contradiction avec la conception républicaine et
solidaire à laquelle les Français sont farouchement attachés.
Mon propos sera illustré essentiellement par les aspects financiers de
l'article 6 de votre projet de loi. Mes interrogations portent sur trois enjeux
financiers majeurs.
Premièrement, votre démarche, monsieur le ministre, trouve sa justification
première - le Sénat en a déjà maintes fois débattu - dans le souci de renforcer
l'autonomie financière des collectivités. Etes-vous bien sûr de ne pas vous
tromper de diagnostic en la matière ?
Deuxièmement, vous nous proposez une « décentralisation à la carte »
agrémentée d'une péréquation financière aux contours nébuleux. Etes-vous sûr
d'avoir les moyens de votre ambition ? La République ne prend-elle pas le
risque de favoriser des territoires gagnants et de plonger dans les ténèbres
les territoires les moins riches ?
Troisièmement, vous nous avez dit explicitement qu'il y aurait nécessairement
des transferts de fiscalité en accompagnement des transferts de charges. Les
impôts locaux vont donc augmenter
(M. le ministre délégué fait des signes de
dénégation)
et, surtout, ils vont être prélevés en fonction d'un système
fiscal local inadapté et injuste. Dans ces conditions, votre texte ne
porte-t-il pas en germe une montée accélérée de l'injustice fiscale dans notre
pays ?
D'évidence, ces trois questions appellent un regard attentif et vont me
permettre de démontrer que, avec ce texte constitutionnel, le Gouvernement ne
propose pas les moyens d'une décentralisation réussie.
L'autonomie financière, tout d'abord. L'idée a été largement répandue que les
collectivités françaises étaient en danger et que la perte progressive
d'autonomie fiscale les conduisait au désastre.
Au lieu de réfléchir à de nouvelles solutions pour la fiscalité locale, dont
les principes directeurs sont actuellement très discutés, on choisit d'agiter
l'épouvantail de l'autonomie financière dont il est envisagé d'inscrire le
principe dans la Constitution. Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de
constater que cette disposition compte parmi celles qui ont donné lieu à un
avis défavorable du Conseil d'Etat.
Fondamental à vos yeux, monsieur le ministre, le principe de l'autonomie
financière mérite-t-il d'être le thème central de la réflexion sur l'avenir de
la décentralisation ? Je n'en suis nullement convaincu, et je voudrais ici
alimenter encore le doute qui habite, à ce sujet, bon nombre de nos
collègues.
La part des ressources fiscales dans le budget de la collectivité
détermine-t-elle le degré de libre administration locale ? Cette façon de
raisonner ne permet pas de rendre compte du réel degré de libre gouvernance des
collectivités. Pour répondre à cette question, il importe, en effet, de prendre
en considération simultanément les déterminants de l'autonomie de gestion, de
l'autonomie fiscale et de l'autonomie budgétaire.
La comparaison que l'on peut faire, à cet égard, entre pays européens se
révèle des plus édifiantes au regard des deux critères objectifs qui permettent
de rendre compte de la véritable autonomie financière des collectivités
locales, à savoir, d'une part, la part du budget local financée par l'impôt et,
d'autre part, la capacité réelle à définir l'assiette de l'impôt.
Pour ce qui est de la part du budget local financée par l'impôt, la situation
est très variable dans les pays européens : 60 % en Europe du Nord, 45 % en
France, 30 % en Allemagne. Or, l'on constate dans des pays comme l'Allemagne,
qui ne dispose que d'une faible part de ressources fiscales, que l'autonomie de
gestion peut néanmoins être très élevée.
Le second paramètre concerne le pouvoir de définition de l'assiette de l'impôt
et des taux par les collectivités locales.
Au vu de ce second critère, on constate que les pays de structure fédérale,
qui ont la plus forte tradition décentralisatrice sont des pays où la capacité
des collectivités à voter leur niveau de ressources fiscales est la plus
faible. Tel est le cas de l'Allemagne et des pays nordiques, notamment.
Les ressources des collectivités locales s'apparentent plus ici à un
prélèvement sur les recettes fiscales de l'Etat qu'à une fiscalité directe
locale. A l'évidence, cela ne révèle pas un obstacle à l'autonomie de
gestion.
Les pays de stucture « régionale » fournissent, de leur côté, des exemples
d'autonomie fiscale reposant sur la libre détermination des impôts qui leur
sont propres, sans que leur autonomie de gestion soit grande.
Prenons le cas italien : l'Italie a connu une décentralisation accélérée
depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Ainsi les vingt régions
italiennes ont vu la part de leur budget financée par l'impôt passer de 10 % à
85 % en moins d'une décennie. Elles bénéficient donc d'une autonomie fiscale
quasi inégalée, mais aussi d'une autonomie budgétaire très forte, en théorie
seulement, car, dans la pratique, un abysse s'est creusé entre les régions «
riches » et les régions « pauvres ». Cette autonomisation fiscale des
collectivités régionales a finalement contraint l'Etat italien à renforcer ses
dispositifs de péréquation verticale afin de réduire le fossé entre les régions
et d'éviter un accroissement exponentiel des impôts locaux.
M. Louis Le Pensec.
C'est vrai !
M. François Marc.
L'exemple du
stop and go
italien montre les limites d'un modèle
d'autonomie fiscale « jusqu'au-boutiste ». Un grand journal économique titrait
d'ailleurs récemment : « En Italie, le fédéralisme fiscal est plombé par la
rigueur. »
On le voit bien, les miracles fiscaux n'existent pas, même en Italie.
A contrario,
la France, malgré le recul de la part de l'impôt dans les
budgets locaux, se situe parmi les pays où, en pratique, l'autonomie budgétaire
est la plus élevée.
L'idéologie gouvernementale véhiculée depuis plusieurs mois, qui vise à nous
faire croire que la France connaît un véritable dérapage en matière d'autonomie
locale, n'est donc pas vérifiée dans la comparaison internationale.
La conclusion qui peut être tirée de l'examen comparatif des finances des
gouvernements locaux européens est donc la suivante : il ne suffit pas que la
part du budget d'une collectivité financée par l'impôt soit importante pour que
celle-ci dispose d'une autonomie budgétaire élevée.
Incontestablement, le postulat sur lequel est bâti le projet gouvernemental
n'est pas réellement fondé.
Qu'en est-il, par ailleurs, de la solidarité financière ?
Chacun a ici en tête la position exprimée récemment par le ministre du budget,
Alain Lambert : « La décentralisation vise à échanger de la liberté contre de
l'argent ». Je ne suis pas du tout convaincu que cette approche corresponde
vraiment à l'attente qui est celle des maires aujourd'hui.
En effet, la liberté, les maires ont vraiment commencé à la détenir à la suite
des lois de décentralisation de 1982, qui les exonéraient de la tutelle
insupportable des préfets. Cette liberté, ils sont tout à fait désireux de la
préserver.
Tout désengagement de l'Etat au niveau des dotations aux collectivités serait
à cet égard une erreur politique très grave. Or, les données du projet de
budget pour 2003 ne sont pas faites pour les rassurer, notamment pour ce qui
est des dotations de compensation et surtout de péréquation. En effet, le
projet comporte une diminution de 18 % de la dotation de péréquation.
Le constat de cette baisse inquiète aujourd'hui les élus locaux et, au-delà,
suscite des interrogations quant à la réelle ambition du projet de loi en la
matière.
L'article 6 du projet de loi comporte certes une annonce de péréquation, mais
le plus grand flou entoure les éventuelles dispositions prévues en la matière.
Voter cet article en l'état, sans connaître le contenu des lois qui doivent
compléter le texte constitutionnel revient, me semble-t-il, à donner un
blanc-seing au Gouvernement et à spéculer sur ses bonnes intentions. Cela est
inacceptable.
Quant aux modalités de péréquation, deux solutions existent : soit développer
des dispositifs de péréquation horizontale, qui ont leurs limites, sachant que
les régions sont des « nains budgétaires » et qu'il paraît difficile de
prélever des recettes sur des régions qui en sont fort démunies, soit instaurer
le système de la péréquation verticale qui, incontestablement, a permis, au
cours des années passées, d'apporter des réponses aux questions qui sont
apparues. L'Italie a d'ailleurs largement utilisé ce dernier dispositif.
La force péréquatrice des dotations de l'Etat doit donc être réaffirmée et
affinée. Pour ce faire, il est indispensable d'aborder la question des finances
locales en termes à la fois d'objectif et de moyens.
C'est donc bien sur ces principes cumulés que la réforme de la fiscalité
locale doit se construire. En l'état, votre projet de loi constitutionnelle est
bien loin de cette conception ambitieuse de la décentralisation.
La Constitution ne doit en effet pas être un texte fourre-tout. Son rôle est
d'énoncer les grands principes relatifs à l'organisation et à la dévolution des
pouvoirs au sein de la République et de ses territoires. C'est pourquoi il se
révèle à mes yeux nécessaire d'inscrire dans la Constitution, non pas la notion
d'« autonomie financière » des collectivités, mais le principe même de garantie
de ressources et de solidarité vis-à-vis des collectivités, car tel est le rôle
d'un texte constitutionnel.
M. Roland Courteau.
Très bien !
M. François Marc.
J'en arrive à la troisième question, celle de l'injustice de la fiscalité
locale.
Plusieurs ministres du Gouvernement l'ont dit ces derniers jours : « Du fait
des transferts de charges aux collectivités, les impôts locaux vont
augmenter... » Or tout le monde convient ici que la fiscalité locale est
aujourd'hui totalement inadaptée et profondément injuste.
Les dysfonctionnements actuels se manifestent à deux niveaux. Le système
financier local est générateur, d'une part, d'inégalités et, d'autre part,
d'incertitudes qui pèsent sur la gestion locale.
Il est important de souligner que, dans ce cadre, les réformes nécessaires
destinées à réduire les inégalités et les incertitudes induites par notre
système financie mettent inéluctablement face à face l'autonomie financière des
collectivités et les dispositifs nationaux de péréquation.
On constate en effet qu'au cours de la décennie passée ces systèmes de
compensation ont permis de satisfaire les exigences en matière de finances
locales et d'allégement du fardeau pesant sur un certain nombre de
contribuables. Le succès de ces réformes démontre la pertinence de la
péréquation verticale pour réduire les injustices.
Que nous propose donc aujourd'hui le Gouvernement pour pallier les carences du
système fiscal local, à partir de solutions décentralisées ?
Le projet de loi constitutionnelle prévoit la possibilité pour les
collectivités de définir elles-mêmes l'assiette de l'impôt qu'elles
perçoivent.
Mais cela risque d'entraîner un imbroglio épouvantable puisque chaque
collectivité devra rechercher à son étage fiscal les modalités d'ajustement au
cours de chaque exercice.
Madame la ministre, monsieur le ministre, tout le monde au Gouvernement a
conscience de l'inadaptation complète du système financier local en vigueur.
L'expérience ambitieuse - et aujourd'hui unanimement saluée, - de ces vingt
dernières années révèle au surplus des enseignements en matière de transferts
de charges dont il serait fondamental de s'inspirer.
Or la réforme fiscale qui, à nos yeux, devrait constitiuer le préalable
absolument nécessaire à toute nouvelle étape de la décentralisation se voit
renvoyée aux calendes grecques. Dans ces conditions, les Français sont fondés à
penser que c'est sciemment que le gouvernement Raffarin aura contribué à la
montée des injustices fiscales entre Français.
Diminuer les recettes d'un impôt équitable, l'impôt sur le revenu, et
organiser le recours accru aux « quatre vieilles », profondément injustes,
constitue un choix politique que nous ne pouvons accepter pour l'avenir. C'est
pourquoi il importe d'amender profondément ce texte.
Mais il importe surtout de commencer par le commencement, c'est-à-dire de
conditionner cette étape de la décentralisation à la mise en place d'une
réforme indispensable de la fiscalité locale, pour plus de justice et
d'égalité.
En refusant de prendre en considération cette exigence fondamentale, largement
partagée par les élus locaux, par de nombreux sénateurs, appartenant notamment
à la commission des finances, mais aussi par les nombreux experts et
universitaires qui ont été auditionnés par le Sénat, le Gouvernement prendrait
le risque considérable de conduire dans une impasse cette deuxième phase de la
décentralisation.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre délégué, mes
chers collègues, l'un de nos excellents collègues se déclarait récemment «
jacobin, colbertiste, hexagonal ». Une telle déclaration devrait entraîner des
protestations unanimes puisque, apparemment, tout le monde s'est déclaré
favorable à la décentralisation. Or, au-delà des discours, il semble bien qu'un
certain nombre de nos collègues soient conditionnés par une tradition
multi-séculaire propre à notre pays. Nous percevons effectivement certaines
réticences devant ce qui peut constituer une réforme fondamentale de
l'organisation et de la conception mêmes des pouvoirs publics.
Monsieur le ministre délégué, vous parliez de « révolution » dans un article ;
vous nous indiquiez d'ailleurs que les Girondins n'étaient pas ce que l'on
croyait. (
M. le ministre délégué acquiesce.
) Cela a sans doute intéressé
nombre de mes collègues, quelles que soient d'ailleurs les travées sur
lesquelles ils siègent : ceux-ci n'utiliseront plus désormais les termes de «
jacobin » et de « girondin ».
N'allons-nous pas faire voler en éclat l'indivisibilité et l'unité de la
République tant l'histoire de notre pays est marquée par le fait que c'est
l'Etat qui a forgé la nation ? Telle est notre caractéristique, contrairement à
la tradition de beaucoup de nos voisins européens.
Voilà la réalité ! Ce n'est qu'en 1975 que les collectivités locales ont pu
fixer elles-mêmes le taux des impôts locaux. De plus, il a fallu attendre la
loi du 2 mars 1982 - après, je tiens à le rappeler, une tentative sous le
gouvernement de Raymond Barre, à travers un projet de loi soutenu par MM.
Bonnet et Bécam - pour mettre en marche une décentralisation dont, bien
souvent, les effets ont été restreints, notamment en matière financière, par la
substitution progressive de dotations à une fiscalité locale autonome. Quand
même, depuis quelques années, on a fait très fort, notamment sous la précédente
législature, ainsi que l'a excellemment démontré Jean Arthuis tout à
l'heure.
N'est-il pas, dès lors, nécessaire d'affirmer la décentralisation comme
principe constitutionnel, puisque la formule de l'article 72 de la Constitution
- les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils
élus et dans des conditions fixées par la loi » - ne saurait à elle seule,
semble-t-il, assurer sa pérennité ? Et quels que soient les avis tout à fait
éminents des instances juridiques qui conseillent le Gouvernement, comme c'est
nous qui faisons la Constitution, il nous faut écouter ces avis, en tenir
compte et, ensuite, bien entendu, faire ce que nous avons à faire.
Mais aussi, ce n'est pas le moindre des écueils à notre démarche, ce principe
de décentralisation, et cela inquiète légitimement un certain nombre de
collectivités, ne va-t-il pas aggraver les inégalités entre les territoires,
l'Etat étant censé en corriger les effets pervers ? Car les inégalités, hélas !
malgré cette centralisation qui demeure, s'aggravent. Il faut donc s'engager
sur la voie de la décentralisation et prévoir un certain nombre de
garanties.
Notre pays a la passion de l'égalité, qui prend souvent la forme d'une passion
de l'égalitarisme. On épie le voisin pour s'assurer qu'il n'ait pas plus que
nous. La passion de l'égalité - je vous renvoie, sur ce sujet, une fois encore
à Tocqueville - est une constante de notre pensée politique, même si sa
traduction est souvent plus juridique que réelle. Nous avons vu, cet
après-midi, des illustrations remarquables de cette idée.
La réforme qui nous est proposée est un tournant - qui selon moi peut être
historique pour notre pays - tant il est nécessaire, comme dans toutes les
organisations modernes, de diffuser les responsabilités au plus près du terrain
selon le principe de subsidiarité qui va bien au-delà d'un principe
d'organisation des sociétés. C'est une approche globale des rapports entre les
personnes, les communautés et l'Etat. C'est dire que nous ne pouvons qu'adhérer
totalement à l'esprit de la réforme qui nous est proposée.
Beaucoup ayant déjà été dit au cours de ce débat, je me bornerai à formuler
quelques observations sur l'articulation entre le principe de libre
administration des collectivités locales et la nécessité d'assurer une
cohérence des politiques publiques par la notion de chef de file.
Est-il besoin vraiment, à moins de réaffirmer, à l'instar de la commission des
lois, le principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre,
de réglementer à tout prix ce qui relève du contrat entre collectivités et qui
permet de réelles synergies entre les collectivités, d'une part, et entre les
collectivités et l'Etat, d'autre part ? C'est là une véritable
interrogation.
Je ne reviendrai pas sur l'autonomie financière des collectivités locales qui
pose le problème de la libre disposition de ressources fiscales propres et
suffisantes, sinon pour rappeler que l'autonomie financière n'est pas le seul
critère de la libre administration des collectivités locales puisque certains
pays d'organisation fédérale ne connaissent pas cette notion. Cependant, nous
devons tenir compte de la réforme constitutionnelle que nous avions proposée et
votée et au centre de laquelle se situait l'autonomie financière des
collectivités locales.
Le corollaire de l'autonomie financière doit être la solidarité entre
collectivités devant les charges et devant les inégalités géographiques,
économiques et sociales. A cet égard, il importe de réexaminer le maquis des
différents dispositifs de dotations en vigueur dont la complexité finit par
créer de nouvelles disparités. On donne de l'argent à la montagne, aux communes
touristiques, aux villes-centres, etc. Personne ne s'y retrouve plus.
Nous-mêmes, modestes maires, attendons patiemment de nous voir attribuer nos
dotations, dont nous sommes incapables aujourd'hui de calculer le montant. Si
le montant de notre dotation est inférieur à celui de l'année précédente, nous
protestons en supposant l'existence d'une erreur de calcul. Dans le cas
contraire, nous ne disons rien.
L'ensemble des dispositifs de dotations, qui était relativement simple au
départ, est devenu extraordinairement confus. Une simplification s'impose.
Le présent projet de loi constitutionnelle ne saurait faire l'économie du
principe de solidarité ou de péréquation entre les diverses collectivités.
S'agissant du droit à l'expérimentation, qui touche d'ailleurs l'ensemble du
champ de l'action publique et pas seulement les collectivités locales, il est
depuis si longtemps réclamé qu'il constitue, à mon sens, l'un des aspects
essentiels du texte qui nous est soumis. Le droit à l'expérimentation a
d'ailleurs existé, contrairement à ce que l'on pense, et quelquefois avant même
les lois de décentralisation de 1982...
M. Patrick Devedjian
ministre délégué aux libertés locales.
La loi Veil !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement ! Je pense aussi aux départements qui avaient décidé de créer,
avant la loi de 1996, des services départementaux d'incendie et de secours qui
d'ailleurs fonctionnaient très bien. Ces collectivités étaient en avance. La
loi de 1996 a rigidifié le dispositif. Etant complètement encadrés, nous sommes
loin de la décentralisation. Toutefois, l'expérimentation ne doit pas se
limiter seulement au domaine de la loi, selon l'article 34 de la Constitution,
mais aussi aux matières relevant de l'article 37.
Les articles 34 et 37 n'ont maintenant plus grand sens. On élabore des lois
dans des matières qui relèvent du domaine réglementaire. On vote parfois des
mesures qui relèveraient de circulaires.
Le pouvoir réglementaire du Gouvernement doit pouvoir aussi utiliser cette
possibilité d'expérimentation qui constitue certainement une voie prometteuse
de la réforme de l'Etat.
Je ne reviendrai pas sur la réforme de l'article 73, puisque notre ami
Jean-Paul Virapoullé a brillamment développé ces notions.
Je suis de ceux qui considèrent que l'on peut très bien, et pas seulement pour
les collectivités d'outre-mer, trouver des solutions diversifiées, à condition
qu'elles soient assorties de règles diverses et de garanties.
Il est vrai que les diverses catégories de collectivités d'outre-mer, telles
que nous les connaissons, sont maintenant inadaptées. Nous adhérons donc à la
réforme proposée. Le statut qui a été voté antérieurement pour la Polynésie
française, cher Gaston Flosse, en était un bon exemple. Nous allons aboutir au
même résultat, à condition que les collectivités qui veulent conserver un
statut d'assimilation législative adaptée ne soient pas contraintes de renoncer
à leur spécificité.
M. le Premier ministre s'est engagé profondément dans cette réforme. Madame,
messieurs les ministres, la réforme que vous nous proposez, et qui devra se
décliner dans tous ses aspects, est une chance pour notre pays. Elle suppose
aussi une profonde conversion des structures de l'Etat et doit s'accompagner
d'une déconcentration réelle, tant le dialogue entre les échelons de l'Etat et
les collectivités peut être fructueux, au lieu d'un simple contrôle tatillon,
que nous avons trop connu, et de l'abondance de normes de plus en plus
paralysantes.
Que l'audace de la réforme ne se perde pas dans les sables d'une
hyper-réglementation, dont nous pourrions citer de nombreux exemples - le
Parlement n'est pas, à cet égard, totalement exempt de reproches - sans quoi
nous aurions perdu notre temps et une chance de modernisation de notre société
politique.
Cette réforme sera réussie si, au-delà de cette enceinte, les citoyens
comprennent ce principe et y adhèrent. Le dynamisme de la déconcentration ne se
traduit sans doute pas seulement par le droit de pétition et de référendum
local. Nous aurons d'ailleurs à discuter de ces divers aspects au cours du
débat. Les conditions essentielles au bon fonctionnement de la démocratie
locale doivent être la clarification des compétences et la simplification des
normes, mais aussi l'exigence de cohérence, le besoin de proximité et la
responsabilité des élus locaux. C'est à l'aune de ces principes que nous aurons
à décliner cette réforme indispensable pour notre pays. Je félicite le
Gouvernement de nous l'avoir proposée.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
la décentralisation mise en oeuvre en 1982 a montré qu'en rapprochant les lieux
de décision des populations concernées, celles-ci étaient mieux entendues.
C'est le cas pour les lycées et les collèges.
Cette décentralisation s'est effectuée avec un transfert de ressources
équivalentes à celles qui étaient consacrées par l'Etat aux lycées et collèges.
Aujourd'hui, les collectivités territoriales, selon leur situation, consacrent
de trois à dix fois plus de moyens que l'Etat précédemment pour la mise à
disposition de bâtiments donnant aux enfants des conditions de travail scolaire
dignes de notre époque.
Depuis, de nouvelles compétences ont été octroyées aux conseils généraux ou
aux conseils régionaux. Il s'agit de l'allocation personnalisée d'autonomie,
l'APA, par exemple, dont les deux tiers restent à la charge directe du budget
du département. J'entends d'ailleurs des élus qui avancent aujourd'hui une
proposition que nous avions défendue à l'époque, à savoir d'assurer le
financement de ce dispositif par la sécurité sociale.
Dans le domaine de la régionalisation des transports, les conseils régionaux
ont largement débattu de la nécessité de maîtriser le coût réel de ce qui leur
était transféré. Mais j'ai également le souvenir que M. le Premier ministre,
alors président de la région Poitou-Charentes, a négocié avec vigueur
l'obtention de moyens tenant compte à la fois des besoins - et pas seulement
ceux qui avaient été estimés au moment du transfert - et de l'évolution
envisagée.
Comme le disait ma collègue Josiane Mathon, selon nous, la poursuite de la
décentralisation doit se faire dans une perspective d'avancée démocratique.
Elle doit contribuer à mieux répondre aux besoins des habitants. Elle doit en
même temps garantir l'égalité du citoyen quel que soit le lieu du territoire où
il habite.
Pour y parvenir, cela suppose que la collectivité qui assure ces nouvelles
compétences en ait les moyens.
Vous vous référez à la libre administration des collectivités territoriales et
vous faites allusion aux ressources dont elles peuvent disposer librement pour
y faire face. Vous ajoutez qu'elles peuvent recevoir tout ou partie du produit
des impositions, quelle que soit leur nature, et que la loi peut les autoriser
à en fixer le taux et l'assiette.
Vous connaissez tous la situation des collectivités territoriales. Vous
connaissez les différences énormes existant d'une commune à l'autre, d'un
conseil général ou d'un conseil régional à un autre. Vous savez combien la mise
en place des communautés de communes et des communautés d'agglomération ont
modifié les réalités financières de ces collectivités. Ces questions ne sont
pas réellement débattues et le texte est très flou dans ce domaine
financier.
Pourtant, au hasard des déclarations, on entend dire que les communes
pourraient elles-mêmes procéder à la révision des valeurs locatives, alors que
le projet de réforme n'a pu voir le jour.
Parallèlement, la taxe professionnelle a subi d'importants allégements avec la
suppression du calcul de la taxe sur les bases salariales, réduisant la
progression de cette ressource pour les années à venir.
Compte tenu de l'évolution des besoins des populations et des nouvelles
compétences qui seront transférées, les besoins financiers des collectivités
sont et seront toujours croissants. Les capacités contributives des populations
sont diverses. Ainsi, dans mon département, entre une commune comme la mienne,
où le revenu moyen par habitant et par an s'élève à 34 000 francs, et une autre
de la même agglomération où ce revenu est de 66 000 francs, les possibilités
seront bien différentes. C'est d'autant plus vrai que, dans le même temps, les
exigences des réglementations conduisent à voir augmenter la participation des
populations au coût des services, notamment de l'enlèvement des ordures
ménagères ou de l'assainissement. De plus en plus, face aux difficultés
rencontrées, on incite les élus à abandonner la solidarité assumée par le
budget municipal, départemental ou régional et à faire payer le service au coût
réel.
Ainsi, une fois de plus, le projet de loi constitutionnelle montre combien
vous restez cohérents avec les choix que le Gouvernement a présentés devant
notre assemblée au début du mois. Vous voulez réduire l'intervention de l'Etat
dans de nombreux domaines, que vous voulez donc transférer vers les
collectivités, afin de réduire vos charges. Ainsi, vous pourriez diminuer le
déficit de l'Etat, qui passerait en dessous des 3 % imposés par le traité de
Maastricht.
Vous pouvez annoncer la réduction de l'impôt sur le revenu - le seul qui
tienne compte des ressources de chacun -, vous pouvez proposer la réduction de
l'impôt sur les sociétés et, en même temps, exiger que les services rendus à la
population soient de qualité : le poids de cette exigence se transférerait
alors, de ce fait, sur les collectivités territoriales qui, si aucune autre
ressource n'est mise à leur disposition, devront augmenter leurs impôts.
Telle n'est pas notre conception de la décentralisation. Nous souhaitons que
les compétences soient assumées à l'échelon qui permet aux populations de mieux
prendre leur place dans les choix qui les concernent, mais nous estimons que
l'Etat doit assurer l'égalité des citoyens sur tout le territoire national. Tel
est le sens même de notre République. C'est ce qu'exprime l'article 1er de
notre Constitution.
Pour assumer ces choix, une autre conception des finances locales doit être
associée au développement de la décentralisation.
Aujourd'hui, ce dont nous avons besoin, c'est que les ressources soient
appuyées sur les richesses produites dans notre pays. Elles peuvent être de
véritables outils contre la spéculation, dont on a vu les conséquences
catastrophiques sur l'économie mondiale Les modifications de la taxe
professionnelle doivent être engagées dans ce sens ; une taxation des actifs
financiers apporterait des ressources nouvelles à l'échelon national et
permettrait au budget de l'Etat d'assumer une véritable péréquation.
Une véritable péréquation, à l'image d'une vraie réforme des finances locales,
serait un système qui prendrait en compte les réalités sociales, les besoins de
nos citoyens, un système qui saurait se mettre à l'écoute de la vie des
populations dans nos villes et dans nos villages.
C'est à condition de leur en donner les moyens que les collectivités
territoriales pourront assumer de nouvelles compétences, quelles que soient
leurs richesses.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur quelques travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers
collègues, deux ans après l'adoption par le Parlement à la quasi-unanimité d'un
projet de loi constitutionnelle resté lettre morte faute d'une réunion en
Congrès, nous abordons à nouveau aujourd'hui la question de la nécessaire
évolution du cadre constitutionnel qui préside à la définition du statut de la
Polynésie française.
Les débuts de cette évolution datent de 1946 : les articles 74 et 79 du titre
VIII de la Constitution firent entrer la Polynésie française dans une catégorie
juridique nouvelle : les territoires d'outre-mer.
Mais, dans l'ensemble des statuts qui se sont succédé depuis 1946, l'exécutif
de la collectivité, comme c'était le cas en métropole avec les préfets, était
entre les mains du représentant de l'Etat, à savoir le gouverneur.
Il fallut attendre 1984 pour qu'apparaisse clairement l'autonomie. Dans ce
cadre, le Parlement a doté la Polynésie française d'un véritable gouvernement,
responsable devant l'assemblée.
Le territoire était, en outre, doté d'une compétence de principe, l'Etat ne
disposant plus que des compétences énumérées dans le texte statutaire.
En 1996, une avancée notable supplémentaire a été permise par une nouvelle loi
statutaire. Mais, pour aller plus loin, il fallait une réforme
constitutionnelle.
La démarche adoptée par et pour la Polynésie française a été constamment
pragmatique : c'est en fonction de la capacité qu'avaient le gouvernement et
l'assemblée du territoire d'exercer de nouvelles compétences que celles-ci ont
été déléguées, au fur et à mesure que ce transfert se révélait être un gage
d'efficacité.
Aujourd'hui, tout le monde peut ainsi constater que les pouvoirs qui nous ont
été transférés ont été le moteur de notre développement économique et social et
qu'ils nous ont permis de relever le défi de la reconversion du territoire,
depuis l'arrêt, en 1996, des essais nucléaires.
L'autonomie a été le levier de notre dynamisme économique, nous avons fait ce
qu'il fallait pour encourager les intiatives.
Il n'y a pas, en Polynésie française, de rémunération sans travail, pas de
RMI, pas d'indemnités de chômage et pas de 35 heures.
M. Jean-Paul Virapoullé.
C'est le paradis !
(Sourires.)
M. Gaston Flosse.
En contrepartie, nous offrons à tous des moyens d'accession à l'emploi,
d'insertion économique et de formation professionnelle.
Nous avons par ailleurs mis en place, depuis 1995, une couverture sociale
généralisée et gratuite pour tous ceux qui perçoivent un revenu inférieur au
SMIC.
Grâce aux actions permises par l'autonomie, la Polynésie française se porte
bien. Sa croissance économique atteint 5 % par an en moyenne depuis 1995. Le
produit intérieur brut par habitant y est d'un niveau analogue à celui de
l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Nous avons significativement augmenté
nos ressources propres grâce au tourisme, à la perliculture et à la pêche.
En outre, la stabilité politique vient conforter et confirmer cette réussite.
En réduisant l'influence des indépendantistes, nous avons démontré que
l'autonomie est le meilleur rempart contre l'indépendance.
L'expérience de la Polynésie française, qui en fait un véritable laboratoire
de la responsabilité décentralisée, prouve que l'intention du Gouvernement de
rapprocher la prise de décision du citoyen représente une voie pleine de
promesses.
Bien entendu, l'ampleur des responsabilités déléguées doit être adaptée aux
conditions, notamment d'éloignement, qui font les caractéristiques de chaque
collectivité.
Je ne dis évidemment pas que la recette polynésienne doit s'appliquer à
l'identique en tous lieux et pour toutes les collectivités. Cependant, je
constate que, lorsque l'occasion leur en est donnée, les citoyens d'une
collectivité savent prendre et exercer des responsabilités décisives pour leur
avenir.
Je ne peux donc qu'approuver la démarche du Premier ministre, dont j'ai
applaudi le remarquable discours.
Je suis bien sûr heureux que la réforme de la République ainsi entreprise
laisse sa place à la Polynésie française. Certes, j'aurais préféré que, comme
en 1999, nous bénéficiions d'un article spécifique, mais je peux comprendre que
nous ne soyons pas dans le même contexte et qu'il faille ouvrir le texte à la
diversité des situations outre-mer.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ne comporte plus
certaines des dispositions qui figuraient dans celui de 1999. J'aurai donc
l'occasion, au cours du débat, de présenter quelques amendements visant à
rapprocher le plus possible le texte de ce qui avait alors été prévu.
Toutefois, je reconnais que des réponses ont été apportées à quelques-uns des
problèmes qui fragilisent l'exercice de l'autonomie, et je m'en réjouis. C'est
le cas de la protection des compétences de la Polynésie française ; c'est aussi
le cas de la participation de la Polynésie à l'exercice de certaines des
compétences conservées par l'Etat.
Je tiens donc à remercier publiquement M. le Premier ministre, M. le garde des
sceaux et, plus particulièrement, Mme la ministre de l'outre-mer...
M. Jean-Paul Virapoullé.
Très bien !
M. Gaston Flosse.
... d'avoir, sous la haute autorité du Président de la République, bien voulu
écouter la Polynésie française. Je suis sûr que, au travers du débat sur les
amendements, vous accepterez de répondre à nos dernières attentes et que,
ainsi, le modèle d'autonomie dans la République que représente la Polynésie
française sera notre réussite commune.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Rodolphe Désiré.
M. Rodolphe Désiré.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
le 23 juillet 1958, dans le dessein d'examiner le projet de révision de la
Constitution, tous les députés non communistes des quatre départements
d'outre-mer se réunirent au Palais-Bourbon, sous la présidence d'Emmanuel Véry,
député socialiste de la Martinique. A l'issue de la réunion, ces parlementaires
proposèrent de reprendre l'article 73 de la Constitution de 1946, en le
complétant par un amendement dont on peut mesurer aujourd'hui l'audace :
« Le régime des départements d'outre-mer est le même que celui des
départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi ; un statut
particulier sera conféré à chaque département d'outre-mer par une loi votée sur
proposition ou après avis du conseil général ; ce statut définira, notamment,
les conditions dans lesquelles le conseil général de chacun des départements
sera habilité à administrer et régler librement les questions d'ordre local de
son département dans l'ensemble de la République française, à donner son avis
sur tous les problèmes économiques, techniques et sociaux concernant ce
département, à proposer des adaptations locales des textes d'application des
lois de la République. »
C'était il y a quarante-quatre ans.
Mais la Constitution du 4 octobre 1958 devait comprendre en définitive le
texte aujourd'hui en vigueur :
« Le régime législatif et l'organisation administrative des départements
d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur
situation particulière. »
Malheureusement, cet article 73 devait être interprété, au fil des années,
dans le sens restrictif que nous connaissons.
Nous n'essayerons pas de refaire l'histoire en imaginant ce qui aurait pu
advenir si les propositions formulées voilà quarante-quatre ans avaient été
retenues. Cela aurait peut-être permis d'éviter des aberrations significatives
dans l'application du droit commun, comme l'extension cocasse de l'heure
d'hiver aux Antilles en 1973 après le premier choc pétrolier ou, exemple plus
catastrophique, la mise en place sur un seul et même territoire d'un double
exécutif, ce qui n'avait jamais été prévu par la loi. Peut-être cela aurait-il
aussi permis une meilleure intégration sociale et économique de nos
départements à la République et à l'Europe.
C'est dire que l'outre-mer, plus particulièrement les Antilles et la Guyane,
attendait depuis longtemps la réforme constitutionnelle que nous propose
aujourd'hui le Gouvernement pour faire suite aux lois de décentralisation de
MM. Defferre et Mauroy de 1982 et de 1983.
Ce projet de loi constitutionnelle me semble, par ailleurs, aller dans le sens
des promesses et des déclarations formulées par M. le Président de la
République à la Réunion puis à la Martinique avant la dernière élection
présidentielle. Il promettait alors de favoriser les évolutions statutaires
conformes aux voeux des populations locales, mais dans le cadre de la
République.
Lorsque ce projet de loi constitutionnelle aura été adopté par le Parlement,
trois voies s'offriront essentiellement à nous.
Il s'agit, tout d'abord, du
statu quo.
Dans ce cas, nous conserverons
un double exécutif sur un même territoire, ce qui semblerait être la voie
privilégiée actuellement par les élus de la Réunion.
On pourra également, en vertu du cinquième alinéa du texte proposé pour
l'article 73 de la Constitution, se diriger soit vers la mise en place d'une
assemblée délibérante unique réunissant le conseil général et le conseil
régional, soit vers l'instauration d'une collectivité se substituant au
département et à la région. On restera alors dans le cadre de l'assimilation
législative, tout en ouvrant droit à davantage de compétences et d'adaptations,
voire à un pouvoir réglementaire.
Enfin, chaque département-région actuel pourra, s'il le souhaite, devenir une
collectivité à statut particulier régie par l'article 74 de la Constitution et
son régime de la spécialité législative modulé, permettant une plus large
autonomie.
On le voit - c'est une évidence difficile à réfuter -, chacun pourra
dorénavant prétendre revêtir le « costume institutionnel » de la taille et de
la couleur qu'il souhaite. Cependant, aucun changement ne pourra intervenir -
il faut le souligner, car c'est une garantie démocratique - sans consultation
préalable de la population concernée.
Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que si cette réforme devait en rester
là, sans que des dispositions complémentaires soient prévues, elle ne nous
permettrait pas de mettre en oeuvre le système démocratique et les progrès
auxquels nous aspirons.
Il conviendra de la compléter, à l'occasion de l'élaboration des lois
organiques, en cas de mise en place d'une assemblée ou d'une collectivité
unique, par trois mesures.
La première tient à l'équilibre des pouvoirs au sein de la représentation
politique locale. Il faudra que l'exécutif, de préférence pluriel, soit
clairement identifié, disjoint de l'assemblée, qu'il ne prenne pas part au vote
des décisions et que ladite assemblée ait les moyens de le contrôler en cours
de législature, afin d'éviter les tentations « caudillistes » dont nous
constatons déjà quelques prémices.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Rodolphe Désiré.
La deuxième mesure porte sur la nécessaire réforme de l'Etat, qui doit aboutir
à la réduction du nombre des services extérieurs de celui-ci, lequel est
aujourd'hui de quarante-deux. M. de Peretti, ministre délégué à l'outre-mer en
1995, avait envisagé, à l'époque, de ramener ce nombre à douze. Cela aurait
permis, par exemple, d'éviter que, pour l'élagage d'un arbre penché sur un
chenal, un maire ne se trouve placé dans la situation ridicule d'être renvoyé
d'un service à un autre, sous prétexte que les racines de l'arbre dépendent de
la direction de l'agriculture et de la forêt alors que ses branches,
surplombant l'eau, sont du ressort de la direction des affaires maritimes !
(Sourires.)
Quant à la troisième mesure, elle devra permettre de porter notre PIB moyen,
qui, malgré les progrès considérables effectués depuis 1946, atteint
aujourd'hui 55 % du PIB moyen métropolitain, à 80 % de celui-ci d'ici à quinze
ou vingt ans - pour mémoire, le PIB moyen corse représente 76,9 % du PIB moyen
métropolitain - mais nous aborderons sans doute le sujet du développement
économique des DOM lors du débat sur la future loi de programmation.
Pour terminer, je tiens, madame, messieurs les ministres, en ce qui concerne
l'outre-mer, à vous souhaiter une pleine réussite dans cette révision de la
Constitution, notamment de ses articles 72 et 73, au titre XII, et de son
article 1er, que vous proposez de rédiger ainsi : « La France est une
République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Son organisation est
décentralisée. » C'est là une véritable révolution copernicienne !
J'espère que vous parviendrez à convaincre ceux qui, aujourd'hui encore, sont
atteints du « syndrome du réverbère », que j'expliciterai par la petite
histoire qui suit.
Un homme cherche ses clés à la lumière d'un réverbère ; un passant
l'apostrophe : est-il bien certain de les avoir perdues à cet endroit précis ?
Non, répond l'autre, mais ici, au moins, il y a de la lumière !
(Sourires.)
Cet homme peut être comparé à ceux qui cherchent la clé de la réforme
institutionnelle des DOM dans le conservatisme de la Constitution de 1958 ou à
la seule lumière du « congrès » de la loi d'orientation. Je pense pour ma part
que l'éclairage beaucoup plus large de la révision de la Constitution et du
titre XII de celle-ci permettra à chacun de trouver la clé qui lui convient
pour ouvrir les portes de la responsabilité et du progrès.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Mauroy.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
la décentralisation est à l'ordre du jour, et c'est tant mieux.
Depuis plus de vingt ans, nous, les socialistes, sommes pour la
décentralisation. Mon gouvernement, sous l'autorité de François Mitterrand,
avec le très actif concours de Gaston Defferre, a permis de la mettre en
application dès la promulgation des grandes lois de la République de 1982 et de
1983. Je remercie d'ailleurs M. le Premier ministre et M. Daniel Hoeffel,
président de l'Association des maires de France, ainsi que tous ceux qui ont
salué cette haute période de la décentralisation, mes amis socialistes, bien
sûr, mais aussi nombre de sénateurs appartenant à d'autres groupes
politiques.
Il n'est pas question pour moi aujourd'hui d'adopter une démarche d'opposition
systématique. Mais, chacun peut le comprendre, on ne me mettra pas en
contradiction avec ce que j'ai toujours défendu et exprimé dans les 154
propositions de la commission que j'ai présidée et à laquelle le Premier
ministre et quelques-uns d'entre vous ont participé. Surtout - puisque tel est
le sujet d'aujourd'hui -, j'entends garder l'esprit même de la décentralisation
que j'ai initiée.
Le gouvernement de Lionel Jospin a repris nombre de ces propositions, en
particulier cette belle innovation - les conseils de quartier - qui honore,
plus que des discours, la démocratie de proximité.
Aujourd'hui, le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, nous propose un
projet de loi constitutionnelle, mais pas encore de projet de loi organique,
pas davantage d'ailleurs de projets de lois ordinaires qui nous permettraient
de beaucoup mieux apprécier le sens quelquefois caché du texte. Nous devons
donc nous situer uniquement au niveau des principes constitutionnels et de
l'orientation de la démarche. La commission sur l'avenir de la décentralisation
n'avait pas jugé nécessaire de réviser la Constitution pour poursuivre
l'approfondissement de la décentralisation. Elle avait considéré que la
souplesse du cadre juridique français permettait de passer à une nouvelle
étape, en prenant appui principalement sur le principe de libre administration
des communes prévu par l'article 72 de la Constitution.
Vous en avez jugé autrement. Pourquoi pas ? Mais les orientations affirmées
dans le texte ne vont pas dans le sens d'une décentralisation républicaine, en
tout cas telle que je la conçois et que je n'ai pas cessé de la concevoir,
certes garante de liberté - vous répondez à ce souci -, mais aussi d'égalité et
de solidarité. Or, ce contrepoids de l'égalité, que vous essayez d'expliquer
dans l'exposé des motifs, est quelque chose qui, on le sent bien, fait problème
à nos yeux du moins. La réforme mise en oeuvre à partir de 1982 se fondait sur
des principes clairs et largement consensuels : les principes de la
République.
Il n'est d'ailleurs pas vain de rappeler que la principale originalité de la «
décentralisation à la française » est de se placer dans le contexte
constitutionnel d'un Etat unitaire.
L'article 1er de la Constitution n'a pas à être complété par la phrase : « Son
organisation est décentralisée. », qui trouve mieux sa place, par exemple, à
l'article 72, sans que l'on ait le moindre soupçon sur la permanence de la
formule républicaine, que vous connaissez : « La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C'est une formule extrêmement
forte, qui engage l'ensemble des Françaises et des Français. On ne peut pas
faire un tel ajout à l'occasion d'une modification de la Constitution. Voilà
quel est le cap. Il ne faut pas en dévier.
Nous sommes des décentralisateurs - je pense l'avoir montré -, mais nous ne
voulons ouvrir aucune route, pas même un sentier, à une construction de type
fédéral ou à ce qui dériverait vers une telle construction. Nous sommes pour
les régions, et d'ailleurs nous nous félicitons de ce qu'elles figurent
désormais dans la Constitution ; c'est un bon point. Mais nous nous méfions
d'une certaine forme de régionalisme qui conduirait vite à l'Europe des
régions. Ce débat est récurrent.
(M. Jean-Pierre Schosteck sourit.)
Les
observations répétées du Conseil d'Etat - vous ne voulez pas en tenir compte et
vous en avez le droit - montrent bien que, dans ce domaine constitutionnel
hautement protégé, la rigueur doit chasser le flou.
A l'article 2, le maître mot est lancé : la loi et le règlement peuvent
comporter des dispositions à caractère expérimental. Alors que les lois de
décentralisation avaient posé, il y a vingt ans, le principe de blocs de
compétences transférées, l'empilement des textes, mais aussi des contrats de
toute nature, a développé une confusion de plus en plus grande dans l'exercice
des compétences. Je vous ai entendu vous exprimer sur ce point, mes chers
collègues, et quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez. En
effet, vous avez évoqué nombre de fois cet empilement et dit que, finalement,
cela finissait par rendre la décentralisation illisible.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est bien vrai !
M. Pierre Mauroy.
Tout le monde se plaint de cette situation. Beaucoup attendent de revenir à ce
principe simple : une collectivité intervient dans le cadre du bloc de
compétences qui lui a été dévolu par la loi ; la collectivité principalement
compétente peut solliciter des financements d'autres partenaires en tant que
chef de file d'un projet, en respectant la règle selon laquelle aucune
collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre. Je vous ai entendu bien
des fois, et ce que je viens de rappeler peut faire l'unanimité sur l'ensemble
des travées.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Absolument !
M. Pierre Mauroy.
L'expérimentation, nous en acceptons tout à fait l'idée. Elle existe
d'ailleurs déjà depuis longtemps dans des faits et dans quelques lois. Mais
nous ne pouvons l'accepter qu'à condition qu'elle ne s'applique que pendant un
temps déterminé, dans des domaines où le retour en arrière est possible,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Bien sûr !
M. Pierre Mauroy.
... et si elle est généralisée en cas de succès.
M. Josselin de Rohan.
Pourquoi pas ?
M. Pierre Mauroy.
Enfin, chacun peut penser que les dérogations aux lois et aux règlements, même
encadrées, ne répondent pas vraiment à la demande répétée et expresse de
simplification et de transparence des Français. De plus, elles accentuent les
inégalités entre les territoires. Autour de moi, j'entends des élus, qui n'ont
certainement pas encore eu connaissance de nos débats d'aujourd'hui, dire : on
expérimente. J'ai l'impression que l'on veut expérimenter partout et un peu
n'importe comment. En tout cas, l'expérimentation apportera sûrement sa part de
liberté...
M. Roger Karoutchi.
Tant mieux !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est déjà ça !
M. Pierre Mauroy.
Je vous en prie, laissez-moi poursuivre !
L'expérimentation apportera sa part de différenciation territoriale, sans
toujours respecter dans son principe le contrepoids d'égalité de tous les
citoyens devant la loi, cette référence républicaine qui est le fondement de
toutes les juridictions, et en particulier du Conseil d'Etat, qui vous l'a dit,
mais vous êtes nombreux à savoir comprendre le Conseil d'Etat...
Mais ce qui m'a le plus frappé dans ce texte, c'est le silence qui entoure les
communautés à fiscalité propre, et tout particulièrement l'intercommunalité.
C'est le trou noir ! Pas un mot sur l'idée la plus novatrice et la plus réussie
de ces dernières années en matière de décentralisation ! Entendez-vous ainsi,
pour donner un gage à la France conservatrice, celle qui résiste au changement,
donner un coup d'arrêt à cette révolution intercommunale en marche qui, dans
les dix prochaines années, devrait voir exister une vingtaine de communautés
urbaines, plus d'une centaine de communautés d'agglomérations et plusieurs
milliers de communautés de communes ? Moi, je crois à ce mouvement et, même si
vous y résistez, vous ne pourrez pas l'arrêter.
Pour leur part, les socialistes ne se satisfont pas de cet oubli. C'est la
raison pour laquelle ils ont déposé un amendement visant à introduire les
communautés à fiscalité propre dans la Constitution, au premier alinéa de
l'article 72. Cet amendement est ainsi rédigé : « Les collectivités
territoriales de la République sont les communes, les communautés à fiscalité
propre, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer. »
Je sais que certains membres de votre majorité - ils sont peut-être plus
nombreux que je ne le pense - partagent mon point de vue. J'espère que nous
serons entendus ! Il serait tout de même aberrant que les communes disposent
d'un droit d'expérimentation et que les communautés urbaines n'en disposent
pas, d'autant que la première incidence forte sur la décentralisation est liée
à l'évolution démographique. En vingt ans, la géographie humaine de notre pays
s'est profondément transformée. En France métropolitaine, près de 43 millions
de personnes, soit trois sur quatre, habitent désormais dans l'une des 361
aires urbaines. Il n'est donc plus possible d'opposer, comme par le passé, une
France des villes et une France des campagnes. Nous respectons les institutions
locales, elles s'enracinent dans l'histoire du pays. La commune, en
particulier, a une existence séculaire, conciliable avec la France de 2015 qui
s'esquisse et qui est en marche.
Cette France pourrait être très différente de celle que nous connaissons
aujourd'hui. Elle dépasse l'exception française liée à l'éparpillement communal
par le jeu d'une coopération intercommunale dont la réussite est déjà inscrite
dans les faits, et qu'il conviendra sans doute un jour de doter de la pleine
légitimité démocratique. Cependant, nous n'en sommes pas encore là, ne
précipitons pas le mouvement. Tous ceux qui l'ont évoqué l'envisageaient pour
2007 ou 2010.
Je dirai un mot seulement sur les dispositions financières, puisque MM.
Bernard Frimat et François Marc en ont excellemment parlé.
La commission que j'ai présidée affirmait la nécessité de redonner la primauté
à la fiscalité locale sur les dotations d'Etat. Dans une période qui n'était
pas facile, ne serait-ce que par rapport aux propositions du gouvernement de
Lionel Jospin, nous avions, ici même, adopté un certain nombre de propositions,
et je m'y étais prêté. Vous avez encore cela présent à l'esprit. Je ne varie
pas, comme d'ailleurs l'ensemble des socialistes. S'agissant de redonner la
primauté à la fiscalité locale sur les dotations d'Etat, nous nous sommes
exprimés. La libre administration des collectivités territoriales implique
qu'elles bénéficient des ressources dont elles peuvent disposer librement dans
les conditions fixées par la loi. Nous en avons déjà parlé, et nous ne
changeons pas.
(M. Jean-Pierre Schosteck s'exclame.)
La loi doit aussi
mettre en oeuvre des dispositifs de solidarité nationale - c'est essentiel - en
vue de corriger les inégalités de ressources entre les collectivités
territoriales.
Vous ne serez pas surpris que nous y attachions beaucoup d'importance. Nous
l'avons déjà dit dans cet hémicycle. Notre position n'a pas varié. Tout
transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités locales doit
s'accompagner de l'attribution des ressources nécessaires à leur exercice. Sur
ce point non plus, notre position n'a pas varié. Enfin, toute suppression d'une
recette fiscale propre perçue par les collectivités territoriales doit donner
lieu à l'attribution de recettes fiscales propres d'un produit équivalent. Sur
tous ces points, nous restons fidèles à nos propos.
Je partage le point de vue exprimé par M. Claude Lise sur les territoires
d'outre-mer. J'appuie aussi fortement l'amendement déposé par le groupe
socialiste, aux termes duquel « le droit de vote et d'éligibilité aux élections
municipales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union
européenne, résidant en France ». Il s'agit de la reprise d'une position
ancienne.
En conclusion, mon expérience de la décentralisation me conduit à penser que
le meilleur service à rendre aux citoyens est de rendre cette décentralisation
claire et lisible. C'est une condition de l'adhésion des Français à ce grand
dessein, voire de leur enthousiasme. Dans un pays que l'on dit cartésien, une
bonne approche consisterait sans doute à repondre clairement à la question :
qui fait quoi ? Surtout, il ne faut pas accroître la confusion là où, vous le
savez tous, il y en a suffisamment.
(MM. Claude Domeizel et François Marc
opinent.)
Loin de satisfaire à cette exigence, la révision constitutionnelle que vous
nous proposez contient des dispositions qui font peser sur la pérennité des
principes qui fondent notre cohésion nationale des incertitudes et des dangers
trop grands. Ainsi, vous parlez excellemment de la « subsidiarité », mais vous
le faites comme les Anglo-Saxons, alors que nous sommes en France ! De même,
s'agissant de l'expérimentation, vous n'apportez pas suffisamment de
précisions.
Les socialistes sont heureux de participer au débat sur la décentralisation
auquel le Gouvernement nous appelle, et heureux d'honorer la région ; mais ils
ont d'autres propositions à formuler. Ils présenteront donc des amendements. Le
Premier ministre a lancé une boutade. Nous verrons demain les amendements.
En tout cas, je suis là, je suis prêt. Je verrai bien ce qui se passera sur
ces travées du Sénat.
Mais les socialistes seront exigeants, vous l'avez compris, madame, messieurs
les ministres, car ils ne sauraient voter un texte qui n'engage pas notre pays
dans la décentralisation qu'il mérite.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
j'ai bien conscience qu'à ce stade de notre débat il devient difficile d'être
original.
Je me bornerai donc à formuler quelques observations.
Premièrement, pourquoi décentraliser ? La décentralisation est-elle un sujet
d'actualité ? Avons-nous besoin de donner à cette décentralisation un souffle
nouveau ?
La réponse est oui, car il faut décentraliser d'abord pour reconstruire un
Etat. Les rendez-vous électoraux du printemps dernier ont montré, à l'évidence,
que nos concitoyens attendaient de l'Etat un certain nombre de services.
L'Etat, pour être capable de rendre ces services, ne doit pas être « tout »,
et, pour ce faire, il doit accepter de partager avec ses territoires un certain
nombre de compétences et de pouvoirs.
C'est en ce sens que nous avions pu dire, dans le rapport de la mission
présidée par M. Delevoye, que la République territoriale était la chance de la
République unitaire.
Deuxièmement, si nous devons décentraliser, pourquoi faut-il recourir d'abord
à une loi constitutionnelle ? Cette question a été posée plusieurs fois, et
fort brillamment. Il le faut simplement parce que l'expérience en montre la
nécessité.
Nous nous sommes tous accordés pour reconnaître que la décentralisation de
1982 était une belle construction qui reposait sur des principes clairs.
Mais, au fil du temps, ces principes se sont altérés, laissant place à un
certain flou, dû à une jurisprudence extrêmement restrictive du Conseil
constitutionnel sur les règles de la décentralisation, notamment sur le
principe de libre administration des collectivités territoriales. Chaque fois
que le Conseil constitutionnel a dû se prononcer sur cette notion, il s'est
borné à constater que le principe de libre administration était un bon principe
et lui a donc, en quelque sorte, rendu hommage avant de considérer qu'il n'y
était pas porté atteinte. Il en a été notamment ainsi s'agissant de la question
du partage entre les ressources propres et les ressources issues des dotations
versées par l'Etat. Ce principe de libre administration des collectivités
territoriales n'est donc juridiquement pas très consistant, et le Conseil
constitutionnel a veillé, je crois, à ce qu'il en soit ainsi. Par conséquent,
notre rôle est bien d'éclairer le juge constitutionnel sur la volonté du
constituant.
Par ailleurs, depuis 1982 - beaucoup l'ont déjà dit - l'Etat a pratiqué une
politique extrêmement néfaste de retour en arrière : sous prétexte de
décentraliser, l'Etat a supprimé une à une pratiquement toutes les ressources
fiscales transférées en 1982 vers les collectivités territoriales, que ce soit,
par exemple, la vignette, les droits de mutation, la taxe professionnelle. Dans
le même temps, l'Etat a prescrit de plus en plus aux collectivés territoriales
la façon dont elles devaient dépenser les ressources qui leur étaient allouées.
Ainsi la loi du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion, le
RMI, que je ne remets pas en cause, contient-elle une obligation de dépenser un
certain pourcentage ; de même, s'agissant de l'allocation personnalisée
d'autonomie décidée l'année dernière, aucune liberté n'est laissée aux
collectivités locales.
Les collectivités territoriales restent le dernier employeur en France à
connaître le résultat des négociations salariales... par le journal, puisque
ces collectivités ne sont associées en rien à ce qui est pourtant l'une de
leurs principales dépenses !
Il y avait donc nécessité d'inscrire dans la loi fondamentale un certain
nombre de principes, afin d'aboutir, d'une part, à une nécessaire clarification
et, d'autre part, à la définition d'un bloc d'obligations mis à la charge de
l'Etat.
S'agissant de la clarification, notre pays se voit reconnaître trois niveaux
de collectivités territoriales : la commune, le département et la région. Nous
nous alignons ainsi sur le droit commun européen puisque la quasi-totalité des
Etats connaissent ces trois niveaux de collectivités territoriales.
Toutefois, le nombre même des communes que compte notre pays pose le problème
de l'intercommunalité. Que pouvons-nous en dire aujourd'hui ?
Permettez-moi de vous rappeler la démarche suivie pour la création de la
région : devenue collectivité territoriale par une loi simple, ce n'est qu'au
bout de plusieurs années, après une certaine maturation, au vu de l'expérience
acquise et l'institution étant entrée dans les moeurs, qu'il est proposé
d'élever la région au rang de collectivité territoriale constitutionnelle avec,
me semble-t-il, l'assentiment général.
Une démarche similaire pourrait prévaloir pour l'intercommunalité. Aller trop
vite et inscrire dès aujourd'hui le principe de l'intercommunalité dans la
Constitution risquerait de bloquer ou de figer la création des structures
intercommunales. Je suis pour ma part très favorable au mouvement
intercommunal. La situation évoluera sur ce point. En tout cas, veillons pour
l'heure à ne pas cristalliser les choses en inscrivant le principe de
l'intercommunalité dans la Constitution. Une loi simple pourra être utilisée le
moment venu pour faire progresser les choses.
Il y a donc une clarification sur les niveaux, mais aussi une clarification
sur la définition de ce qu'est une collectivité territoriale. C'est très
important. Deux éléments en ressortent : d'une part, la libre administration
par des conseils élus - c'est l'élément traditionnel - et, d'autre part, le
fait que cette libre administration n'existe que si les collectivités locales
peuvent librement disposer de ressources propres ; ce dernier point constitue
une avancée très forte de la décentralisation.
Madame, messieurs les ministres, nous avons déposé un certain nombre
d'amendements sur cette question afin d'obtenir des réponses de la part du
Gouvernement et de faire progresser la notion de ressources propres et de libre
emploi de ces dernières. Ainsi, les collectivités auront-elles la liberté de
voter les taux d'imposition ? Je pense que la réponse est positive. Toutefois,
tirant les enseignements de ce qui s'est passé ces dernières années, nous
serons amenés à vous poser une autre question : les collectivités locales
auront-elles la faculté de dépenser librement leurs ressources ou seront-elles
enserrées par des textes de nature législative ou réglementaire ? Peut-on, oui
ou non, avoir à nouveau un dispositif comme celui de l'APA ? C'est une question
à laquelle il faudra répondre.
Cette clarification essentielle et attendue s'accompagne d'un certain nombre
d'obligations à la charge de l'Etat. Il s'agit, en fait, avec ce texte, de ne
pas revenir de façon détournée sur la décentralisation. Affirmer, dès l'article
1er, que l'organisation administrative de la République est décentralisée ne
nuit pas du tout au caractère indivisible de notre république. Je ne suis pas,
moi non plus, partisan d'un Etat fédéral, mais je crois fortement que seule une
organisation territoriale nous permet de garder une république unitaire.
L'article 6 est bien entendu, de ce point de vue aussi, extrêmement important
pour l'Etat. Il est évident que, une fois la Constitution révisée, il faudra
entamer très rapidement une réforme fiscale, sous peine de nous retrouver en
contradiction complète avec la loi constitutionnelle et de risquer la censure
du juge constitutionnel.
Cet après-midi, M. le ministre de l'intérieur a annoncé aux membres de la
commission des finances du Sénat que le Gouvernement réfléchissait à un partage
de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. C'est en effet une voie qui
peut tout à fait être retenue.
Il était nécessaire, je le répète, d'inscrire dans la loi fondamentale un
certain nombre de principes afin d'aboutir à une nécessaire clarification et à
la définition de nouvelles obligations pour l'Etat, de façon que l'on ne
revienne pas sur la décentralisation. C'est à mon avis le rôle de la loi
constitutionnelle que de fixer la voie et un certain nombre de principes.
On entend souvent la critique forte selon laquelle cette décentralisation
rompra l'unité ou, en tout cas, l'égalité entre les Français.
Il faut, à mon avis, bien analyser cette notion d'égalité. L'égalité qui est
créée par la rigidité et l'uniformité de nos structures est très largement
formelle.
Ce matin, quittant ma petite commune pour me rendre à Paris, je suis passé
successivement devant le lycée de Thizy et devant le lycée Henri-IV.
(Exclamations sur différentes travées.)
J'ai eu là une vision claire de
ce que pouvait être l'égalité formelle sans véritable équité entre tous les
élèves de ce pays et toutes les structures.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas possible !
M. Gérard Delfau.
Il y a plus mal loti que Lyon !
M. Michel Mercier.
Je crois simplement qu'il ne faut pas avoir peur. La véritable équité entre
les Français et entre les territoires est celle qui naîtra à la fois de la
diversité de nos territoires et de la confiance que l'Etat donnera à l'ensemble
des élus locaux. De cette équité résultera un vrai renforcement de l'unité de
la République.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, à
cette heure, tout a été dit ou presque. Aussi, je serai très bref, je m'y
engage.
La décentralisation ne résulte pas, semble-t-il, d'un apparentement
partisan.
Anticipée dans sa conception par le général de Gaulle lors du référendum de
1969, elle a connu - vous avez raison, monsieur le ministre - une phase active
et positive avec les lois Defferre de 1982-1983.
Puis, après cette phase, le magnétoscope est resté sur pause. La tendance,
naturellement jacobine de nos élites, comme souvent de notre haute
administration, a considéré que c'était assez, voire que c'était trop.
On a alors assisté à une recentralisation rampante dans les esprits et dans
les faits. Le gouvernement précédent, dont on nous parle tant, a détenu la
palme, s'agissant de la création de charges nouvelles pour les collectivités
locales tout en réduisant leur autonomie en matière de ressources fiscales. Les
ressources fiscales de la région d'Ile-de-France, par exemple, représentaient
en 1997 50 % de ses ressources totales ; en 2002, malgré les grands discours de
M. Jospin, nous en sommes à 27 % ! Nous avons perdu la moitié de notre
autonomie fiscale en l'espace de cinq ans.
Le Gouvernement actuel a donc choisi une démarche dynamique et volontariste.
Bien sûr, chacun sait que, si nous avions commencé par évoquer une réforme
fiscale, nous n'aurions rien fait et que les textes sur la décentralisation
seraient restés des voeux pieux.
Le Gouvernement a donc choisi de forcer le destin pour que la France soit,
certes, une République une et indivisible, mais une République riche de sa
diversité, de ses différences, voire de ses oppositions.
A ce titre, la décentralisation avait toute sa place dans la Constitution,
laquelle reconnaît enfin, aux côtés des communes et des départements,
l'existence des régions, après trente ans de bons et loyaux services.
En l'occurrence, reconnaître dans la Constitution une collectivité
territoriale comme la région, ce n'est pas la même chose que reconnaître les
structures intercommunales, qui ne sont que des établissements publics.
Ce texte, qui établit la subsidiarité et le droit à l'expérimentation,
reconnaît en fait aux collectivités locales leur rôle premier, celui d'incarner
les forces vives locales, de les mobiliser, de réduire le coût des opérations,
de créer de l'emploi, de mieux gérer les richesses naturelles, de mieux
préserver l'environnement immédiat.
Oui, mes chers collègues, les élus locaux qui se dévouent sans compter savent
ce qui convient le mieux sur place et ils trouveront des méthodes pour assumer
mieux encore leur complémentarité.
Avoir peur de la notion de « chef de file », qui existe depuis des années, et
que nous avons retrouvée dans des textes socialistes, c'est vraiment se faire
peur avec une expression. J'ai quelques souvenirs sur cette notion, en matière
de développement économique dans les régions.
Le chef de file devra assurer la coordination, la concertation. Il ne s'agit
évidemment pas d'organiser la tutelle d'une collectivité sur une autre. Ne nous
faisons pas, entre nous, de faux procès, de procès en sorcellerie pour nous
faire peur.
Aujourd'hui, dans nos collectivités, nous avons tous besoin
d'expérimentations, de diversité face à des structures figées et totalement
rigides. Cela a souvent été répété cet après-midi.
Bien sûr, dès lors, une véritable autonomie financière et fiscale s'impose. La
fiscalité locale, tout le monde l'a dit, doit être réformée. Nous devons donc
réfléchir à de nouvelles formes de fiscalité qui devront respecter l'objectif
de diminution du taux global des prélèvements obligatoires.
Madame, messieurs les ministres, évitons la répétition du théorème de l'APA
!
Les dotations de l'Etat devront également être réformées. La multiplication de
dotations aux objectifs diffus et parfois contradictoires comme la
superposition de règles nouvelles à chaque loi de finances ont contribué à
priver les collectivités locales de toute visibilité sur l'évolution de ces
ressources, souvent essentielles pour leur budget.
Madame, messieurs les ministres, les collectivités locales aspirent à des
ressources propres déterminantes, prépondérantes, en tout cas essentielles pour
gérer au mieux leurs responsabilités.
Je conclurai en attirant l'attention, en tant qu'élu francilien, sur la notion
de péréquation. Cette notion n'est pas remise en cause dans sa légitimité ni
dans ses fondements - notre collègue M. Mercier vient de s'exprimer à ce sujet
à propos du lycée Henri-IV - mais elle nous interpelle légitimement, parce que
nous savons bien ce que, dans l'esprit de certains, elle peut signifier.
Alors, si nous disons très sincèrement : oui à la péréquation, oui à la
solidarité nationale, oui à un effort d'unité, encore faut-il, dans notre
région comme dans toutes les autres, faire auparavant le point sur les
inégalités, sur les difficultés internes, sur les besoins. Puis nous avons le
temps, la suite du débat nous donnera l'occasion d'en reparler - nous
demanderons que l'ensemble des péréquations soient remises à plat pour pouvoir
disposer d'un schéma simple qui nous permette enfin de connaître clairement la
situation de chacune des régions.
Madame, messieurs les ministres, n'écoutez pas les esprits chagrins, ceux qui
vous accusent de démanteler l'Etat ou d'émietter la République, pas plus que
ceux - parfois issus du même camp, d'ailleurs - qui vous accusent d'être trop
frileux. Les opposants à ce texte se contredisent : c'est souvent bon signe.
Poursuivez, amplifiez, avancez !
La France ne peut plus se contenter de situations dépassées, figées ; elle a
besoin d'un vrai mouvement, d'un véritable élan. Alors, oui, la majorité
sénatoriale fait le pari que ce texte représentera pour notre pays une nouvelle
respiration démocratique. Nous vous faisons confiance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Dominique Larifla.
M. Dominique Larifla.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
c'est sans aucun doute la marche des choses, de celles qui sont inscrites dans
le paysage administratif et démocratique français, qui nous amène à entamer
cette nouvelle page d'histoire. Ainsi, en tant que fervent défenseur, depuis
toujours, de la décentralisation, je ne peux qu'approuver la démarche
consistant à approfondir le mouvement lancé par Pierre Mauroy et Gaston
Defferre, mouvement que vous nous proposez de concrétiser dans la
Constitution.
Au demeurant, l'examen du projet de loi de révision constitutionnelle fait
apparaître certaines ambiguïtés, suscitant de sérieuses inquiétudes, notamment
à l'article 7.
Je salue la qualité du rapport du président de la commission des lois, dont
les propositions d'amendements répondent manifestement à un souci de
clarification du texte. Souhaitons que la discussion permettra d'aller plus
avant en ce sens.
En effet, avec ce projet de loi, plus que l'organisation administrative, c'est
bien le lien à la République qu'il s'agit de repenser, en s'appuyant sur les
collectivités territoriales.
Dès lors que sont posés le rôle central et la responsabilité charnière dévolue
à l'échelon local, aussi bien dans ses intentions que dans ses modalités, ce
nouveau souffle décentralisateur devra permettre de garantir l'épanouissement
de l'acteur local dont la mission se verra renforcée par ce nouveau palier de
la décentralisation.
Cet épanouissement sera le résultat d'une équation, qui ne doit en aucun cas
comporter d'inconnues.
Ainsi, par exemple, il importe que tout transfert de compétence soit assorti
d'un transfert concomitant et équivalent des moyens de l'action. Si tel n'est
pas le cas, l'administré pâtira de la paralysie de la collectivité.
Surtout, il importe que cette dynamique décentralisatrice ne s'accompagne pas
d'un morcellement de la République. Cette dernière ne doit pas perdre de vue
l'une de ses valeurs constitutives, à savoir l'égalité. Autrement dit, l'action
suppose un partage équitable des ressources.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Dominique Larifla.
A ces conditions seulement, la décentralisation favorisera l'apparition de
nouvelles responsabilités tout autant que celle d'un nouveau lien refondé dans
la proximité.
Autrement dit, cette relation renouvelée se sera construite dans une
république suffisamment forte pour qu'une pleine confiance soit accordée aux
régions.
C'est effectivement en ces termes que se pose la problématique de la
décentralisation pour l'outre-mer, pour les départements d'outre-mer
particulièrement.
Pour ces régions, l'enjeu consiste aujourd'hui à tirer les leçons du passé, à
les intégrer au droit, sans pour autant préjuger des aspirations des
générations à venir.
Là réside, en effet, un point d'équilibre pour l'histoire de nos populations :
c'est l'harmonie que nous attendons du réaménagement de l'organisation de
l'Etat, en l'occurrence de la réforme de la Constitution.
En ce domaine, les lois de décentralisation de 1982 et la loi d'orientation
pour l'outre-mer de 2000 avaient déjà ouvert des pistes novatrices.
En 1946, la loi de départementalisation a franchi l'étape de l'intégration,
appelée, en son temps, étape de l'« assimilation » et érigée désormais au rang
de « vieillerie » doctrinale, sur laquelle il n'est pas nécessaire de
s'attarder.
Refuser, après cela, d'entendre les aspirations qui ont plus tard émergé
serait faire de la départementalisation et, aujourd'hui, de la décentralisation
des concepts juridiques et administratifs vidés de leur contenu humain.
A cet égard, nous constatons avec un plaisir non dissimulé que ceux-là même
qui, il y a vingt ans, étouffaient les voix par lesquelles ces revendications
se faisaient entendre, les écoutent aujourd'hui jusqu'à s'en faire l'écho !
Une avancée avait alors été ajournée.
Plus tard, le cadre constitutionnel, qui s'est révélé trop étroit, n'a pas
permis à la France de s'adapter à la diversité des réalités que recoupe
l'outre-mer sur les plans humain, culturel, géographique et économique, en
reconnaissant la diversité des départements et des territoires d'outre-mer tout
en leur permettant de demeurer des composantes à part entière de la
République.
Comment, aujourd'hui, concilier unité nationale et multiplicité des exigences
locales ? La question n'est pas propre à l'outre-mer, même si elle peut s'y
poser avec une certaine acuité.
A quel moment sortir définitivement du lien colonisateur ?
La réponse était déjà en germe dans la loi censurée en 1982 et, plus encore,
dans la loi d'orientation pour l'outre-mer.
En effet, une fois passé le stade de l'intégration mutuellement consentie à la
République française est née la revendication, à notre sens légitime, d'une
simplification administrative résultant de « l'absurdité » de la coexistence,
sur un même territoire, de deux assemblées délibérantes. Celle-ci a constamment
embarrassé tout le monde : du citoyen au politique, en passant par les
associations et les acteurs économiques.
Bref, qu'on la nomme responsabilité ou dignité, cette revendication est celle
d'une plus grande participation aux affaires locales, condition nécessaire à
une meilleure adaptation et à un développement plus harmonieux, plus empreint
des réalités locales.
Telle est notre définition : décentraliser, c'est mieux prendre en compte les
aspirations locales !
A cet égard, il conviendra, au sein de l'ensemble de l'archipel guadeloupéen,
de noter la volonté particulière de la population de Saint-Barthélemy.
Enfin, cette dialectique de l'unité et de la différence a, elle aussi, sa
synthèse : elle réside dans la levée des ambiguïtés qui pèsent sur la rédaction
actuelle du projet de loi qui nous est soumis.
En ne confondant pas unité et uniformité, il sera stipulé expressément dans la
Constitution que la collectivité unique entérinant le droit à une organisation
administrative propre à l'outre-mer continuera d'être régie par l'article 73 de
la Constitution, donc par le principe d'identité législative.
Nous aurons alors, dans ces régions, réussi à franchir une nouvelle étape.
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
une deuxième étape de la décentralisation est à l'évidence nécessaire. Mais il
y a une différence entre les lois de 1982 et 1983 et le présent projet de
loi.
Les premières, que nous sommes un certain nombre à avoir votées, sont claires,
nettes et précises, notamment les lois sur les compétences, tandis que le
projet de loi dont nous discutons aujourd'hui est vague, flou, mouvant,...
M. Josselin de Rohan.
Il n'est pas socialiste !
(Sourires).
M. Jean-Pierre Sueur.
... indistinct, imprécis.
M. Josselin de Rohan.
C'est tout ? Vous êtes sûr de ne rien avoir oublié ?...
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce texte est même volontairement imprécis, car, monsieur le garde des
sceaux,...
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Vous interprétez ma volonté !
M. Jean-Pierre Sueur.
... après M. le Premier ministre, vous avez très clairement expliqué...
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Vous voyez bien que c'est clair
!
M. Jean-Pierre Sueur.
... qu'il fallait que le texte fût imprécis, de manière à laisser toute la
place aux expérimentations qui ne manqueront pas d'avoir lieu.
Pour le reste, je formulerai brièvement trois observations.
La première concerne l'architecture territoriale, qui est l'un des non-dits de
ce projet de loi constitutionnelle.
A en croire plusieurs déclarations récentes de membres du Gouvernement, voici
à quoi il faut s'attendre : « à l'avenir, les communes seront confortées » ; «
l'intercommunalité sera renforcée » ; « les pouvoirs du département seront
élargis » ; « les pouvoirs de la région seront développés » ;...
M. Josselin de Rohan.
Tant mieux !
M. Jean-Pierre Sueur.
... « parallèlement, le rôle de la France sera accru...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il faut l'espérer !
M. Jean-Pierre Sueur.
... dans une Europe dont les prérogatives seront étendues. »
(Mme Nicole
Borvo s'esclaffe.)
Bref, tout le monde sera content !
Or, vous le savez bien, cela est absolument impossible.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est l'art de gouverner !
M. Jean-Pierre Sueur.
Mais, finalement, ce que vous ne dites pas, c'est quelle architecture
territoriale future vous voulez.
Faites-vous le choix d'organiser l'aménagement et le développement du
territoire autour de structures intercommunales fortes, de régions fortes, avec
les conséquences qui en découlent pour les autres niveaux de collectivité ?
Vous savez que nous tenons tous profondément à la commune et que nous
envisageons une complémentarité entre la commune et la structure
intercommunale. Nous aimerions connaître vos orientations à cet égard. Mais
vous n'en donnez aucune ! Sans doute par prudence - une prudence que, après
tout, on peut comprendre - vous dites-vous qu'il vaut mieux en rester à
l'implicite, au non-dit.
Cependant, messieurs les ministres, mes chers collègues, on ne peut pas faire
comme si cette question ne se posait pas. Et l'on ne peut faire plaisir à tout
le monde ! Nous devons tout de même savoir dans quelle direction vous proposez
que la décentralisation s'oriente. J'écouterai donc avec beaucoup d'attention
la réponse que vous voudrez bien nous donner sur ce point.
Mon deuxième point concerne le flou qui ressort du texte s'agissant des
prérogatives de l'Etat.
M. Patrick Devedjian a déclaré tout récemment, en substance, à l'occasion d'un
débat auquel il avait bien voulu participer : « Nous ne souhaitons pas définir
a priori
les compétences et les prérogatives de l'Etat ».
Dès lors, la logique du dispositif que vous mettez en place consiste
nécessairement à inciter les collectivités - communes, départements, régions -
à choisir, parmi les prérogatives aujourd'hui exercées par l'Etat, celles
qu'elles souhaiteraient ou souhaiteront exercer...
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est plutôt sympathique !
M. Josselin de Rohan.
Vous, vous leur aviez simplement envoyé l'addition !
M. Jean-Pierre Sueur.
... à titre temporaire ou définitif.
A cet égard, le risque est grand d'ajouter de la complexité à la complexité.
On a déjà bien du mal à s'y retrouver, aujourd'hui, dans les financements
croisés, dans les empilements de niveaux de responsabilités.
Si vous souhaitez faire en sorte que chaque collectivité ait la faculté de
choisir, parmi les compétences exercées par l'Etat, celles qu'elle voudra
exercer, il faut en conclure que votre conception de l'Etat est, au moins
implicitement, une conception résiduelle : ne resterait à l'Etat que ce qui
n'aurait pas été choisi par les différents niveaux de collectivités.
Pouvons-nous souscrire à une conception de l'Etat en vertu de laquelle
celui-ci exercerait des prérogatives et des compétences à dimensions variables
? C'est une véritable question.
Pour notre part, nous préférons la clarté du rapport Mauroy. En effet, parmi
les 154 propositions de Pierre Mauroy, il en est de nombreuses qui, en matière
de transfert de compétences, sont tout à fait précises. On peut les approuver
ou les rejeter, mais force est de reconnaître que ce rapport a le mérite
d'annoncer la couleur.
Enfin, je voudrais, à mon tour, aborder la question financière.
Lors de la rentrée scolaire, M. Luc Ferry, ministre de l'éducation nationale
et de divers autres domaines administratifs, répondant aux questions qui lui
étaient posées à propos de cette mesure tout à fait désastreuse et
incompréhensible qui consiste à supprimer 5 600 postes de surveillant,...
M. Patrick Devedjian
ministre délégué.
Ils n'étaient pas pourvus !
M. Jean-Pierre Sueur.
... a déclaré : « Mais, en février, il y aura la décentralisation ! » C'était
une manière parfaitement explicite de dire que, finalement, la décentralisation
allait vous permettre de régler tous les problèmes qui ne pourraient être
réglés compte tenu des réductions que l'on fait subir au budget de l'Etat !
Nous sommes totalement opposés à cette conception de la décentralisation qui
n'en fait qu'un transfert de charges.
M. Josselin de Rohan.
Vous ne manquez pas d'air !
M. Michel Mercier.
Vous êtes des experts !
M. Jean-Pierre Sueur.
Le rapport Mauroy, encore lui, contient d'excellentes propositions concernant
l'autonomie financière des collectivités locales et les dotations de l'Etat.
Le poids des dotations de l'Etat est de plus en plus élevé et nous ne saurions
nous satisfaire d'un dispositif dans lequel, au nom de nouveaux transferts, on
ajouterait encore des dotations aux dotations.
M. Josselin de Rohan.
Le précédent gouvernement l'a fait à l'envi !
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est vrai, il y a là un paradoxe qu'illustrent tous les gouvernements qui se
succèdent depuis dix ou quinze ans. Cela prouve que le sujet mérite
réflexion.
M. Josselin de Rohan.
Jospin a fait beaucoup dans ce paradoxe-là !
M. Jean-Pierre Sueur.
Pas seulement lui ! Nous avons tous augmenté les dotations, et M. Juppé a été
un expert en la matière. C'est donc une question qui se pose pour tout le monde
dans les mêmes termes, et il est clair que l'on ne peut plus continuer comme
ça.
Il conviendrait, toutefois, d'instituer quelques garanties. Or, de ce point de
vue, le fait d'inscrire dans la Constitution le mot « déterminant », comme le
propose le Gouvernement, n'engage strictement à rien ! Qu'est-ce qu'une part
déterminante ? Est-ce 5 %, 10 %, 15 %, 25 % ?
Le président de la commission des lois propose de remplacer « déterminante »
par « prépondérante ». Cela veut-il dire plus de 50 % ? Je lui ai posé la
question, mais il n'a pas pu tout à fait me répondre.
Si l'emploi de l'adjectif « prépondérante » signifie que les ressources
strictement locales - en excluant donc les dotations de l'Etat - représenteront
plus de la moitié de leurs ressources, je dis bravo. Mais vous savez comme moi
que ce n'est pas possible à court terme !
Nous sommes, là aussi, sur un terrain extrêmement flou. Si quelqu'un peut me
dire quelle est la valeur juridique, normative, du terme « déterminant »,...
M. Patrick Devedjian
ministre délégué.
Avec plaisir !
M. Jean-Pierre Sueur.
... j'en serai très satisfait. J'attends donc, monsieur le ministre, avec
beaucoup d'intérêt de connaître votre définition de l'adjectif « déterminant »
et vos explications sur les garanties qu'il implique.
Vous le voyez, mes chers collègues, beaucoup d'incertitudes demeurent. Je
dirai donc pour conclure : oui à la décentralisation mais non au flou. A
l'imprécision préférons la netteté, la clarté et l'égalité, de manière que les
citoyens comprennent et aiment la décentralisation comme ils comprennent et
aiment la République.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Henri de Richemont.
M. Henri de Richemont.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues,
nous sommes arrivés à un moment-clé de l'évolution que nous vivons depuis
1982.
Je crois que, dans nos régions et nos départements, tout le monde se félicite
de ce que les lois Defferre ou Mauroy ont apporté, en particulier en matière de
lycées et de collèges. Je forme le voeu que, dans trente ans, on se félicite
pareillement de ce que les lois que vous nous appelez à voter, madame la
ministre, messieurs les ministres, auront apporté à nos concitoyens.
A l'instant, notre collègue Jean-Pierre Sueur nous expliquait que, selon lui,
ce texte était porteur d'une « conception résiduelle de l'Etat ».
Mon cher collègue, nous sommes tous, par notre culture et par notre formation,
profondément attachés à l'Etat, car la nation s'est constituée autour de son
Etat. Ce que, moi, je perçois dans ce texte, ce n'est pas un Etat résiduel,
c'est un Etat plus efficace dans l'exercice de ses fonctions régaliennes.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Henri de Richemont.
Dès lors que l'Etat ne peut plus intégralement financer des missions devenues
peut-être pléthoriques et qu'il demande aux régions et aux départements de le
faire à sa place, il est normal qu'il leur propose de leur déléguer certaines
compétences, à partir d'une expérimentation.
A propos d'expérimentation, la semaine dernière, au conseil régional de
Poitou-Charentes, le porte-parole du groupe socialiste nous a expliqué : « Nous
n'en serions pas là si vous aviez accepté les contrats avec la SNCF au titre de
l'expérimentation. C'est parce que vous avez refusé l'expérimentation que la
région Poitou-Charentes, riche par ailleurs, a des problèmes avec la SNCF. »
Mais l'expérimentation que nous propose le Gouvernement, ce n'est pas du
démantèlement : c'est véritablement la possibilité de mieux exercer certaines
compétences à titre provisoire, à condition toutefois que les inégalités entre
territoires ne s'accentuent pas. Précisément, l'Etat, se trouvant libéré de
certaines tâches, ne pourra que mieux assumer son rôle de garant de l'égalité
entre les territoires.
Je souhaite évoquer brièvement deux points avant de conclure.
Je suis heureux que, au-delà de la nécessaire intercommunalité, le rôle des
communes soit consacré. Je crains cependant que nos petites communes ne soient
réduites, dans le cadre d'une décentralisation ou d'une intercommunalité
toujours plus accentuée, à ne recevoir des dotations que pour assurer ce dont
personne ne veut s'occuper, comme l'entretien des chemins et des églises.
Quelles seront donc, demain, les ressources de ces petites communes ?
Je crains aussi que, si l'on va vers une affectation des impôts, les communes
ne deviennent le parent pauvre. Mais je suis sûr que telle n'est pas la volonté
du Gouvernement.
Deuxième point : la péréquation, c'est-à-dire la solidarité.
J'ai le bonheur de vivre dans une région très belle...
M. Roger Karoutchi.
Très riche !
M. Henri de Richemont.
... mais économiquement peu prospère. Cependant, nous avons fourni un exemple
de solidarité en donnant à la France le meilleur de nos hommes !
(Sourires
et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
Aussi bien, quand notre collègue Roger Karoutchi
nous dit qu'il faut étudier un certain nombre de questions, j'ai envie de lui
répondre : étudiez ce que vous voulez mais, puisque nous vous donnons nos
hommes, que l'Ile-de-France nous donne aussi un peu de ses ressources ! C'est
ainsi que nous ferons ensemble une belle décentralisation !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Roger Karoutchi.
Nous avons donné des ministres !
(Sourires.)
M. Patrick Devedjian
ministre délégué.
Et non des moindres !
(Nouveaux sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers
collègues, tout a été dit, ou presque ; je suis tenté de me demander ce que je
fais là.
La décentralisation, c'est vraiment la grande affaire ; c'est le souffle dont
notre pays a besoin.
Nous ne pouvons pas rester enfermés dans la longue entropie structurelle
construite au fil des siècles, toujours dénoncée, mais jamais complètement
surmontée.
Il y a eu, bien sûr, l'idée du général de Gaulle, puis les lois de 1982 du
gouvernement Mauroy. C'est vrai, monsieur Sueur, ces lois étaient claires et
précises. Mais qu'en est-il aujourd'hui sur le terrain, au niveau des régions,
en matière d'autonomie de ressources ? La clarté, qu'est-elle devenue ?
M. Roger Karoutchi.
Elle est devenue obscure !
M. Jean-Claude Etienne.
En cinq ans, la moitié des ressources des régions ont disparu. M. Karoutchi
l'a dit tout à l'heure, mais j'ai envie de le répéter.
M. Roger Karoutchi.
C'est exact !
M. Jean-Claude Etienne.
M. Hoeffel me disait que, pour les conseils généraux, c'est du pareil au même.
L'APA, sussurait-il.
C'était sûrement clair et précis, monsieur Sueur, mais, avec le projet de loi
qui nous est soumis aujourd'hui, nous aurons une loi à crémaillères. Lorsqu'un
cran de décentralisation sera franchi, on ne peut pas revenir en arrière, la
décentralisation ne se fera pas à reculons.
C'est en cela que le projet de loi est particulièrement intéressant : il grave
dans le marbre la volonté d'avancer sur le chemin de la décentralisation, ce
dont nous pouvons vous remercier, madame, messieurs les ministres.
Je dirai aussi que le transfert de compétences de l'Etat vers les
collectivités locales est, bien sûr, la pierre angulaire du dispositif. Mais
cette mesure devra, dans certains cas, être préparée par une
expérimentation.
Cette expérimentation, qui nous met d'ailleurs légitimement en appétit, peut
nous faire craindre que, après s'être mis à table avec bonheur, voire
empressement, nous n'ayons pas, au moment de payer l'addition, les moyens de le
faire.
Lors de l'examen de l'article 6, les membres de la commission des lois et son
président ont disserté sur l'adjectif à retenir pour qualifier de «
déterminante » ou de « prépondérante » la part des ressources des collectivités
territoriales.
En pratique, on a besoin de sous pour faire cette décentralisation !
(MM.
Jean-Pierre Sueur et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.)
C'est clair,
c'est sans bavure ! Autrement, on ne la fera pas ! Nous attendons donc que la
loi organique nous donne quelques perspectives qui nous rassurent
pleinement.
Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas le choix, nous devrons payer la note !
Nous le savons et nous comptons sur certains transferts de moyens qui se
trouvent aujourd'hui au niveau de l'Etat, qu'il s'agisse d'une part - la plus
importante possible bien évidemment - de la TIPP, la taxe intérieure sur les
produits pétroliers, ou d'une autre ressource. Mais nous l'attendons.
Par ailleurs, il y a le problème du droit de pétition, du référendum.
Selon moi, il n'est pas mauvais, il est même bon d'inviter les citoyens à
participer pleinement, à s'impliquer. Certains pays, en Europe, ont de
l'expérience dans ce domaine : depuis 1945, les Italiens fonctionnent sur ce
mode, mais ils ont dû modifier leurs seuils de recevabilité. Profitons de leur
expérience pour permettre ce salutaire exutoire qui affirmera la démocratie
locale.
Enfin, il est un article de ce projet de loi qui a particulièrement retenu mon
attention : l'article 4, plus précisément son alinéa 4.
Moi qui suis élu d'une région de taille modeste - même si l'on y fait un vin
local qui n'est pas plus mauvais qu'ailleurs !
(Sourires.)
- je suis
évidemment très intéressé par cet article : bon nombre de projets concernant
les régions ne peuvent être concrétisés que dans la mesure où il existe une
coopération interrégionale.
Je songe aux grandes infrastructures, mais aussi à certains domaines
particuliers - que mon ami Karoutchi n'en prenne pas ombrage ! -, je veux
parler de la recherche universitaire, fortement centralisée, qui est en
Ile-de-France.
Dans la mesure où nous pouvons espérer qu'un vent nouveau vienne animer ces
perspectives dans des secteurs aussi prometteurs que ceux-là, il serait bon que
cet article du projet de loi constitutionnelle puisse être décliné en termes de
coopération interrégionale et prenne toute sa dimension dans des
expérimentations à venir.
C'est dire que l'expérimentation, singularité s'il en est de ce projet de loi,
en apparaît comme le corollaire indispensable, synonyme de créativité
retrouvée, prouvant que, sans la respiration des différentes collectivités de
nos territoires, c'est la France tout entière qui étoufferait.
Nous n'avons pas envie d'être asphyxiés. Pour la première fois, la
décentralisation est reconnue en France comme un principe de gouvernance
républicaine, et ce par-delà l'orthodoxie des textes et leur rédaction.
Ce principe est mis en exergue à l'article 1er. Cet affichage accentue la
clarté, la précision, la simplicité dont, les uns et les autres, nous avons
tant besoin. En tout cas, c'est pour moi, pour nous, pour bon nombre de mes
amis, un formidable espoir. C'est surtout, pour notre pays, un rendez-vous à ne
pas manquer.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La discussion générale est close. La suite de la discussion est renvoyée à la
prochaine séance.
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