SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 6, adressée à M. le
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Claude Biwer.
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au
cours du mois de juillet 2002, la presse s'est largement fait l'écho de la
situation paradoxale à laquelle nos compatriotes allaient être confrontés cette
année. Au moment même où le Gouvernement confirmait, à juste titre, la baisse
de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, les départements allaient, de
leur côté, devoir augmenter les impôts locaux, au risque de brouiller le
message gouvernemental.
Dans ces conditions, les contribuables peuvent se demander si on ne leur
reprend pas d'une main ce que l'on leur donne de l'autre !
Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement parce que le gouvernement
précédent a, directement ou indirectement, transféré un certain nombre de
charges aux départements sans prévoir aucune compensation financière.
Je pense, tout d'abord, à la réforme des SDIS, les services départementaux
d'incendie et de secours, réforme qui se traduit par une montée en puissance
progressive des engagements substantiels de dépenses pour les départements.
Ainsi, les dépenses de fonctionnement des SDIS augmentent de plus de 10 % en
2002 par rapport à 2001.
Je pense, ensuite, à la généralisation des 35 heures à la fonction publique
territoriale qui a été mise en place sans aucune concertation préalable avec
les associations représentatives d'élus.
Elle n'est, bien entendu, assortie d'aucune aide financière de l'Etat,
contrairement à ce qui se passe pour les entreprises du secteur privé. C'est
ainsi que l'application de cette mesure a imposé de nombreuses embauches de
personnels dans les conseils généraux et dans les établissements de soins
départementaux. Les dépenses liées à la mise en place des 35 heures augmentent
donc de 7,6 % en 2002 par rapport à 2001.
Je pense, enfin, à la mise en oeuvre de l'APA, l'allocation personnalisée
d'autonomie. Dieu sait si le Sénat et l'Assemblée des départements de France
avaient, en leur temps, tiré la sonnette d'alarme ! Mais rien n'y fit !
Aujourd'hui, nous voyons la traduction chiffrée de cette réforme. Une fois de
plus, l'Etat a été particulièrement généreux avec les deniers des départements
et, donc, des contribuables locaux.
L'APA est, en effet, financée pour plus des trois quarts par les départements.
L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée a chiffré le surcoût
pour ceux-ci à 1,7 milliard d'euros pour la période 2002-2003, soit 11
milliards de francs. L'augmentation globale du poids de l'aide sociale s'élève
à environ 13 % par an. En 2002, les départements vont consacrer près de 4
milliards d'euros aux personnes âgées, soit une progression de 42,5 % par
rapport à 2001.
Contrairement au budget de l'Etat, les budgets de fonctionnement des
départements doivent être équilibrés. Dès lors, il ne faut guère s'étonner
qu'après une pause fiscale de plusieurs années ces derniers se voient, la mort
dans l'âme, dans l'obligation de majorer leur fiscalité. Ainsi, la direction
générale des collectivités locales, la DGCL, vient de confirmer que
soixante-huit départements ont relevé leur taux d'imposition en 2002 !
Il convient d'ajouter que leur situation financière est également rendue
difficile du fait de la suppression d'un certain nombre d'impôts. Ils sont
remplacés par des compensations dont le montant est fixé par l'Etat :
suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, suppression de la
vignette automobile, baisse des droits de mutation.
Non seulement l'autonomie fiscale des départements s'en trouve
considérablement réduite, mais, de plus, ils subissent une perte nette de
recettes, les compensations étant toujours insuffisantes.
Ainsi les conseils généraux sont-ils condamnés à un redoutable effet de
ciseaux : baisses de leurs recettes, d'une part, majoration de leurs dépenses,
d'autre part.
L'inscription dans la Constitution du principe de l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales constituera une bonne et saine réforme, mais elle
ne suffira pas à régler les problèmes que je viens d'évoquer.
Permettez-moi donc de vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures
vous comptez proposer afin que soit compensé, pour les départements, le
surcroît de dépenses provoqué par la mise en oeuvre de l'APA.
Par ailleurs, la volonté décentralisatrice exprimée par le Président de la
République et par le Premier ministre - que je partage pleinement - ne devra
pas se traduire, de la part de l'Etat de plus en plus impécunieux, par des
transferts de compétences supplémentaires en direction des régions et des
départements, transferts qui seraient, à nouveau, insuffisamment compensés.
Il faudra, dès lors, envisager, de façon concomitante, le transfert partiel
d'un impôt d'Etat, faute de quoi les dérives que je viens de dénoncer ne
pourront que s'aggraver.
Je compte beaucoup sur vous, monsieur le ministre, pour tenir compte des
préoccupations que je viens d'évoquer et pour les relayer. Comme vous le savez,
les prélèvements obligatoires sont constitués par la fiscalité d'Etat tout
autant que par la fiscalité locale. Il ne servirait à rien de baisser la
première et de favoriser l'augmentation de la seconde, car cela ne changerait
rien au niveau global des prélèvements et ce seraient toujours nos compatriotes
qui auraient à en supporter le poids.
En vérité, il faut tout mettre en oeuvre pour garantir aux départements, mais
aussi aux régions, aux communes et à l'intercommunalité des ressources
suffisantes et évolutives leur permettant de faire face à leurs dépenses. Pour
concrétiser cette ardente obligation, vous pourrez compter, monsieur le
ministre, sur l'appui du Sénat.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur Biwer, la description que
vous donnez de la situation est exacte.
Celle-ci est en effet particulièrement critique pour l'allocation
personnalisée d'autonomie. Je rappelle les chiffres : le gouvernement précédent
avait prévu d'accorder une dotation pour l'APA de 800 millions d'euros par an ;
or, à elle seule, l'APA coûtera 2 milliards d'euros en 2002 et 3,5 milliards
d'euros en 2003, la part de l'Etat restant de 800 millions d'euros.
Le Gouvernement étudie donc un dispositif de nature à soutenir les
départements, car cette dépense considérable a une forte incidence sur leur
fiscalité.
S'agissant des SDIS, l'article 72 du projet de loi de finances pour 2003
prévoit un fonds d'aide à l'investissement.
Au-delà de ces phénomènes conjoncturels, auxquels il faut faire face et qui
font partie, en quelque sorte, de l'héritage, c'est la réforme
constitutionnelle qui protégera dorénavant les collectivités territoriales de
telles dérives.
Quatre principes seront posés dans le dispositif financier.
Premier principe, la libre disposition de leurs ressources par les
collectivités territoriales sera affirmée expressément dans la Constitution.
Ainsi, sans même parler de transfert, l'Etat ne pourra plus créer de nouvelles
prestations et en imposer, par la voie législative, la charge aux collectivités
locales.
Deuxième principe, dont la pleine application impliquera nécessairement une
montée en puissance progressive, les ressources propres des collectivités
territoriales devront représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs
ressources. J'indique à ce propos que le Conseil d'Etat a estimé que l'adjectif
« déterminant » avait plus de force que l'adjectif « prépondérant », dont le
Sénat défendait l'emploi.
Troisième principe qui sera transcrit dans la Constitution, les transferts de
compétences seront obligatoirement accompagnés du transfert des ressources
correspondantes qui étaient affectées à l'exercice de cette compétence par
l'Etat.
Ce principe avait déjà été énoncé dans le cadre des réformes Deferre, mais il
l'avait été dans la loi ordinaire. De ce fait, le Conseil constitutionnel ne
sanctionnait pas son non-respect. Dorénavant, il figurera dans la Constitution
et s'imposera donc avec force.
Quatrième principe, l'Etat aura désormais l'obligation de corriger les
inégalités de ressources des territoires, notamment par la péréquation, et
cette obligation sera générale.
L'inscription de ces quatre principes dans nos fondements institutionnels
conduira par la suite, bien sûr, à des réformes financières et fiscales qui
garantiront à l'avenir la libre autonomie financière des collectivités
territoriales. La réforme constitutionnelle devrait donc, sur le fond, vous
donner satisfaction, monsieur le sénateur.
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos rassurants. Je note la
volonté de changer de méthode et de manière.
Je rappelerai seulement qu'il appartient aux collectivités départementales et
communales aussi de favoriser la création d'emplois sous différentes formes, en
mettant en place les dispositifs utiles et les équipements qui créent
l'environnement de l'entreprise. Il faut donc absolument que ces collectivités
aient la possibilité d'exercer pleinement leurs pouvoirs, c'est-à-dire qu'elles
puissent consacrer les impôts qu'elles votent à leurs investissements, ce qui
implique qu'elles ne soient pas trop « pompées ».
J'observe à ce propos, étant maintenant plus souvent à Paris, que les impôts
locaux y sont moins chers que dans ma région.
(Sourires.)
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Paris est riche !
CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE VOTE